Violences sexuelles et sexistes dans le cinéma français — Wikipédia

Les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma français concernent les violences sexuelles et sexistes commises par des professionnels du cinéma en France.

À la suite de plusieurs affaires sexuelles médiatisées, les institutions du cinéma français organisent la profession pour endiguer celles-ci. Ainsi, en 2019, des formations sont rendues obligatoires pour les dirigeants des structures (producteurs, distributeurs et vendeurs internationaux), et soutenues par le Centre national du cinéma et de l'image animée, pour lutter contre le harcèlement sexuel. En 2023, cette formation est élargie à toute l’équipe d’un film. Par ailleurs, le métier de coordinateur d'intimité commence à s'implanter sur les tournages. En 2024, quatre coordinatrices d’intimité sont recensées en France. Une certification professionnelle est envisagée avec la formation de six personnes par an dès 2025.

Historique[modifier | modifier le code]

Adèle Haenel en 2017.

En 2019, à la suite des accusations d'Adèle Haenel et de la vague #MeToo, le ministre de la Culture Franck Riester s'engage, lors des deuxièmes Assises sur la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma, à faire accorder les aides du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) sous réserve du respect de règles contre le harcèlement sexuel[1]. Ainsi le CNC rend obligatoire des formations aux dirigeants des structures (producteurs, distributeurs et vendeurs internationaux), qui lui demandent des aides financières, pour lutter contre le harcèlement sexuel[2].

Pour sa part la télévision publique, va plus loin et s'engage sur un quotas de réalisatrices à partir de 2020, une clause de diversité contractuelle pour l'ensemble de ses productions et la création d'un « référent harcèlement sexuel sur chacun des tournages »[3].

Le CNC publie en 2017 la statistique de féminisation des « petits métiers » du cinéma français soit par exemple : 96 % chez les scriptes, 88,4 % pour les habilleuses ou 74 % pour les coiffeurs-maquilleurs. Interrogées par Virginie Ballet, une journaliste de Libération, certaines témoignent, en 2019, du climat sexiste qu’elles estiment subir sur les tournages. Peu considérées, avec un statut précaire, elles préfèrent « serrer les dents » si elles sont importunées : « Outre une question de domination masculine, c'est aussi une forme de domination sociale qui est à l'œuvre, et qui entraîne une peur de ne pas retravailler, d'être blacklistée[4]. »

Lors de la 45e cérémonie des César en février 2020, le César de la meilleure réalisation est attribué à Roman Polanski, accusé et à plusieurs reprises de viol, Adèle Haenel, suivie de Céline Sciamma et d’autres professionnels, quitte la salle en criant « C'est la honte ! La honte ![5] »

Publié à l’occasion des troisièmes assises du collectif 50/50 en 2020, le livre blanc « pour la prévention et la lutte contre le harcèlement sexuel & les violences sexistes et sexuelles dans l’audiovisuel et le cinéma » est une boîte à outils à l'usage de la profession[6],[7]. Il est « pensé comme une aide concrète destinée aux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel pour définir, sensibiliser, détecter, réagir » et comprend des chiffres clés, des informations légales ou encore des modèles de courriers[8].

Le métier de coordinateur d'intimité commence à prendre de l'ampleur aux États-Unis à partir de 2017. En France, il n'existe pas à cette date de formation spécifique à ce nouveau métier du cinéma[9]. En 2024, quatre coordinatrices d’intimité sont recensées en France, contre quatre-vingts aux Etats-Unis. L’activité reste donc faible, même si des productions américaines tournées en France, comme Emily in Paris, les font intervenir. Aussi, la Commission paritaire nationale emploi et formation de l'AudioVisuel (CPNEF-AV) étudie la création d’une certification professionnelle et envisage de former six personnes par an dès janvier 2025[10].

En décembre 2023, le nombre des producteurs qui ont suivi la formation obligatoire, mise en place depuis 2019, est de 4 000. Il y est notamment précisé qu'il existe une porosité sur le tournage d'un film entre vie personnelle et vie privée. Ainsi la responsabilité de la production ne s'arrête pas aux heures de travail et aux infractions pénales. Le producteur Marc Missonnier, président de l’association des producteurs de cinéma, indique : « Je n’avais pas compris, par exemple, que s’il y avait une agression commise lors d’une soirée entre techniciens pendant le week-end, ma responsabilité était quand même engagée. » Par ailleurs, la cellule d’écoute installée en 2020 pour le secteur de la culture, a reçu un millier d’appels avec 52 % d'entre eux pour des actes et agressions physiques et 48 % pour des attitudes ou des propos sexistes[11].

Toujours en décembre 2023, Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, annonce un renforcement des mesures de prévention contre les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français. Il s'agit en particulier d’élargir la formation obligatoire au début du tournage, à destination de toute l’équipe d’un film soutenu par le CNC[12],[13].

Judith Godrèche, qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour agressions sexuelles, dénonce « l'omertà » et « l'écrasement de la parole » face à l'emprise et aux violences sexuelles[14]. Elle prononce le 24 février 2024, un discours lors de la cérémonie des César pour évoquer « son expérience de jeune fille abusée par des réalisateurs » et la place des femmes dans le cinéma en général[15],[16]. Au lendemain de cette intervention Judith Godrèche constate l'omerta du milieu du cinéma et demande des « changements » dans les institutions cinématographiques. Ainsi, elle s'interroge ; comment Dominique Boutonnat, président du CNC, mis en examen pour agression sexuelle sur son filleul, peut « organiser au CNC des formations contre les violences sexuelles et sexistes[17] ? » Dans le même temps, Rachida Dati, ministre de la culture, dénonce « un aveuglement collectif, un aveuglement qui a duré des années » et annonce une remise en question profonde pour le cinéma français[18].

Le 29 février 2024, Judith Godrèche est auditionnée par la délégation parlementaire aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes du Sénat : elle demande une commission d’enquête concernant les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma. Elle préconise l'obligation d'un référent indépendant, non payé par la production, sur les tournages avec un mineur, afin « qu’un enfant ne soit jamais laissé seul ». Elle demande aussi un coordinateur d'intimité pour les scènes d'ordre sexuel. Par ailleurs, elle précise avoir reçu 4 500 témoignages de victimes sur une adresse électronique, ouverte à cet effet[19].

Affaires médiatisées[modifier | modifier le code]

Maria Schneider en 2001.

Après Le Dernier Tango à Paris, sorti en 1972, le réalisateur Bernardo Bertolucci admet qu'il a organisé la scène du viol de Maria Schneider, la plupart du temps nue dans le film, sans la prévenir car il attendait une réaction « en tant que femme et pas en tant qu'actrice. Pour obtenir quelque chose, je pense que vous devez être complètement libre. Je ne voulais pas qu'elle joue l'humiliation et la rage, je voulais que Maria la ressente ». Bien que fictive, la sodomie imposée est destructrice pour l'actrice de 19 ans[20].

À la suite du Mouvement #MeToo et de l'affaire Harvey Weinstein, plusieurs personnalités du cinéma français sont impliquées dans des affaires d'abus sexuels[21].

Le producteur et cinéaste Luc Besson est accusé, en mai 2018, de viols par l'actrice Sand Van Roy. Puis huit autre femmes l'accusent de violences sexuelles ou de comportements déplacés. Un non-lieu est prononcé par la juge d'instruction en 2021. Les autres témoignages restent sans suite, souvent prescrits[22].

À partir de , Gérard Depardieu est accusé de viols et d'agressions sexuelles par plusieurs femmes et il est mis en examen en 2020. En 2023 et 2024, quatre nouvelles accusations de viol et/ou d'agressions sexuelles puis la diffusion d'un reportage le concernant provoquent une véritable affaire Gérard Depardieu. Celui-ci conteste ces accusations[23],[24].

En 2019, Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » entre 2001 et 2004, alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans[25]. À la suite de ces révélations, Valentine Monnier accuse Roman Polanski d'un nouveau viol qui se serait produit en 1975[26],[27]. En 2024, le parquet requiert à l'encontre de Christophe Ruggia un procès pour « agressions sexuelles aggravées sur mineur de 15 ans[28].

Lors du Festival de Cannes 2023, le film Le Retour de la réalisatrice Catherine Corsini, est présent alors que le procureur de la République est saisi d'allégations d'agressions sexuelles sur le tournage. Pour le collectif 50/50 : « C’est évidemment un signal dévastateur envoyé aux victimes de violences sexistes et sexuelles »[29],[30].

Benoît Jacquot en 2016.

Au début de l'année 2024, quatre actrices : Judith Godrèche, Julia Roy, Vahina Giocante et Isild Le Besco témoignent d'actes de harcèlements sexuels, ainsi que de violence psychologique et physique à l'encontre du réalisateur Benoît Jacquot[31]. En février 2024, Judith Godrèche porte plainte contre Benoît Jacquot pour « viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans » commis par personne ayant autorité, malgré la probable prescription des faits[32].

En février 2024, l'acteur Aurélien Wiik indique avoir été abusé, de ses 11 ans à ses 15 ans, par son agent et d’autres membres de son entourage, et encourage dès lors toutes les victimes à parler afin d’envoyer les coupables en prison : « Jusqu’à 25 ans, on m’a proposé des rôles en échange de faveurs. On a tenté de me droguer souvent. » Il indique avoir porté plainte à l'âge de seize ans, son agresseur est alors condamné à cinq ans de prison. Il incite d'autres victimes à parler, il explique : « On était plusieurs gamins au procès. Il a pris cinq ans. C’est possible[33],[34]. »

À la suite des accusations d'agressions sexuelles à l'encontre de Jacques Doillon, par trois actrices Judith Godrèche, Anna Mouglalis et Isild Le Besco, les acteurs Nora Hamzawi et Alexis Manenti refusent d'assurer la promotion du film CE2 qui doit sortir en mars 2024. Pour Nora Hamzawi : « Ce qui se passe dans le milieu du cinéma […] est essentiel et important. C’est la chose à soutenir en priorité aujourd’hui[35]. »

Après la prise de parole d'Aurélien Wiik et sous le hashtag #metoogarcons, l'acteur Francis Renaud porte plainte contre André Téchiné et Gérard Moulevrier le [36].

Le 9 avril 2024, dix actrices, parmi lesquelles Hélène Seuzaret, Élodie Frenck, Amandine Dewasmes, Emilie Deville, Marie Gillain et Louise Szpindel, dénoncent des comportement inappropriés et des agressions sexuelles, de la part du réalisateur Philippe Lioret, incluant des gestes déplacés et des baisers forcés. Certaines d’entre elles témoignent sous couvert d’anonymat. La comédienne Clémentine Poidatz, membre du conseil d’administration de l’association ADA, qui lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma, estime que les castings devraient être plus encadrés et propose que soient présents « des coordinateurs d’intimité lors des castings, comme il y en a - certes en nombre insuffisant-, sur les tournages »[37].

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Les professionnels du cinéma vont devoir se former à la prévention des violences sexuelles », sur Le Monde, (consulté le ).
  2. « Harcèlement sexuel : les petits pas du cinéma français », Les Échos,‎ (lire en ligne).
  3. « Sexisme et abus dans le cinéma : la fin du hors-champ ? », sur Libération, (consulté le ).
  4. « Sexisme dans le cinéma Scriptes, costumières… : "On a peur d’être blacklistées" », sur Libération.fr, (consulté le ).
  5. « Césars : le changement, c’est pas maintenant », sur Libération.fr, (consulté le ).
  6. « Cinéma français : «Certaines injustices persistantes mettent profondément en colère» », sur Libération.fr, (consulté le ).
  7. « Un Livre blanc pour la prévention des violences sexuelles dans le cinéma français », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  8. « Assises 50/50 : deux jours de débats passionnants et un “Livre blanc” pour l’égalité », sur Télérama (consulté le ).
  9. « Monia Aït El Hadj, coordinatrice d'intimité, un métier du cinéma post-#MeToo », sur France Culture, (consulté le ).
  10. Djaïd Yamak, « Coordinateur d’intimité, un "métier de niche" en quête de professionnalisation », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  11. Céline Rouden, « Violences sexuelles : dans le cinéma français, une prise de conscience tardive », La Croix,‎ (lire en ligne).
  12. Joanna Blain, « Sur les tournages, tout le monde devra avoir suivi une formation contre les violences sexistes et sexuelles », sur Télérama, (consulté le ).
  13. Anne Diatkine et Didier Péron, « #MeToo : Violences sexuelles : Gérard Depardieu, l’homme qui cache les progrès du cinéma français », sur Libération, (consulté le ).
  14. « Agressions sexuelles : Judith Godrèche va prononcer un discours aux César sur les violences sexistes dans le cinéma », La Dépêche du Midi,‎ (lire en ligne).
  15. « « Deux mains dégueulasses sur mes seins de 15 ans » : le puissant discours de Judith Godrèche souffle les César 2024 », Madame Figaro,‎ (lire en ligne).
  16. « César 2024 : "Judith Godrèche a eu des mots justes, des mots courageux", selon la porte-parole d'Osez le féminisme », France Info,‎ (lire en ligne).
  17. « Judith Godrèche appelle à des "changements" dans les institutions cinématographiques », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  18. « Rachida Dati dénonce un « aveuglement qui a duré des années » au sujet des violences sexuelles dans le cinéma français », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  19. « Judith Godrèche demande la création d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le milieu du cinéma », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  20. Thomas Messias, « Tu t'appelais Maria Schneider, le lent poison du traumatisme », Slate,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  21. « De Polanski à Boutonnat en passant par Berry et Depardieu… Une année aux enfers pour le cinéma français », Le Figaro,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  22. « Luc Besson accusé de viol : le non-lieu confirmé en appel », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  23. « Violences sexuelles : ce que l'on sait des nouvelles accusations contre Gérard Depardieu », france Info,‎ (lire en ligne).
  24. Marine Turchi, « Gérard Depardieu, une complaisance française », Mediapart,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  25. « Adèle Haenel a décidé de porter plainte contre le réalisateur Christophe Ruggia », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  26. « Une photographe française accuse Roman Polanski de l’avoir violée en 1975 », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  27. (en) Liz Alderman et Elian Peltier, « Roman Polanski Accused of 1975 Rape », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  28. « Affaire Adèle Haenel : le parquet requiert un procès contre le réalisateur Christophe Ruggia pour agressions sexuelles sur mineure », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  29. Céline Rouden, « Festival de Cannes 2023 : Le Retour de Catherine Corsini en compétition malgré la polémique », sur La Croix, (consulté le ).
  30. Cécile Vargoz, « Le Retour à Cannes fait réagir », sur BoxOffice, (consulté le ).
  31. « Après Judith Godrèche, d’autres actrices témoignent à leur tour contre Benoît Jacquot », sur Le HuffPost, (consulté le ).
  32. « « C’est une histoire d’enfant kidnappée » : l’actrice Judith Godrèche porte plainte contre le réalisateur Benoît Jacquot », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  33. « Le comédien Aurélien Wiik révèle avoir subi des agressions et lance un « #MeTooGarçons » », sur Le HuffPost, (consulté le ).
  34. Émeline Collet, « "On m’a proposé des rôles en échange de faveurs" : le comédien Aurélien Wiik lance un #MeToogarçons », sur leparisien.fr, (consulté le ).
  35. « MeToo cinéma Nora Hamzawi se désolidarise de la sortie de «CE2» de Jacques Doillon, Alexis Manenti n’en assurera pas la promotion non plus », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  36. « Plainte contre le réalisateur André Téchiné pour harcèlement sexuel : le parquet ouvre une enquête », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  37. « ENQUÊTE. Baisers forcés et gestes "déplacés" : le réalisateur Philippe Lioret mis en cause par des actrices », sur Franceinfo, (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Article connexe[modifier | modifier le code]

Lien externe[modifier | modifier le code]