Violences gynécologiques et obstétricales — Wikipédia

Les violences gynécologiques et obstétricales sont les comportements, actes, paroles, ou omissions commis par le personnel de santé, qui ne sont pas justifiés médicalement ou sont accomplis sans le consentement libre et éclairé d'une femme enceinte, d'une parturiente ou d'une jeune mère[1]. Des comportements inappropriés ou sexistes sont aussi recensés. Ces violences font partie des violences médicales et sont incriminées par le Code pénal lorsqu'elles portent atteintes à l'intégrité, à la liberté, à la dignité et à la personnalité de la patiente[2].

Il s'agit d'un type de violence contre les femmes. Longtemps taboues même en milieu féministe[3], ces maltraitances sont désormais décrites et débattues dans la sphère publique et médiatique, notamment grâce à l'action de Marie-Hélène Lahaye dans le monde francophone.

Description[modifier | modifier le code]

Sont notamment cités comme relevant de la violence obstétricale[4],[5] :

  • la révision utérine, lorsque réalisée sans anesthésie ;
  • l'épisiotomie, lorsque pratiquée de manière quasi-systématique ;
  • le « point du mari » : point de suture appliqué après une épisiotomie resserrant l'entrée du vagin ;
  • l'injection d'ocytocine de synthèse (oxytocine) au cours de l'accouchement sans l'accord de la parturiente ;
  • le toucher vaginal, lorsque pratiqué sans consentement ou sur une patiente anesthésiée.

Historique[modifier | modifier le code]

Les références bibliographiques répondant au mot-clé « violence obstétricale » sont disponibles sur la base de données de l'Alliance francophone pour un accouchement respecté (AFAR)[6].

L'article du Ladies Home Journal, un magazine grand public américain datant de 1958, est vraisemblablement la première dénonciation des violences obstétricales[7]. La sage-femme canadienne Gloria Lemay estime qu'il a eu « un énorme impact sur les femmes » et a « initié le mouvement visant à autoriser la présence des pères dans les salles d'accouchement »[8].

En 1965, F. Edmonde Morin publie en France l'ouvrage Petit Manuel de guérilla à l'usage des femmes enceintes, dénonçant « la confiscation de la maternité » par le corps médical[9].

Dès la première moitié des années 1990, une revue de la littérature scientifique montre que l’accouchement peut donner lieu à des traumatismes, allant pour certains jusqu’au syndrome de stress post-traumatique[10].

Au début des années 2000 en France, plusieurs associations s'engagent à militer pour une « naissance respectée ». Les pratiques intrusives sur le corps des parturientes, dans un univers surmédicalisé, sont de plus en plus souvent assimilées à des « viols »[11] ou des « mutilations génitales » (dans le cas de l'épisiotomie sans consentement). Le terme « violence obstétricale » était déjà utilisé au Québec en 2002[12] et repris en France à partir de 2004[13] pour désigner des gestes accomplis sans le consentement de la patiente, bien que ces prises de position fussent qualifiées « d'extrémistes » par le corps médical, voire « rétrogrades » dans certains groupes féministes qui tenaient la médicalisation de l'accouchement pour une avancée indiscutable de leur cause[14].

En 2009, une étude réalisée pour la Haute autorité de santé (HAS) sur la maltraitance « ordinaire » (car banalisée, et non exceptionnelle) dans les établissements de santé pose des bases d’analyse dans le contexte français, bien que ce rapport ne cible pas spécifiquement l'obstétrique et la maternité[15].

En 2010, le Venezuela définit dans la loi sur les droits des femmes, la violence obstétricale et en donne la définition suivante : « l'appropriation du corps et du processus de reproduction des femmes par le personnel de santé, [...] entraînant une perte d'autonomie et la capacité de décider librement de leurs corps et de leur sexualité, ayant un impact négatif sur la qualité de vie des femmes »[16].

Le , le Conseil de l'Europe adopte une résolution pour lutter contre les violences obstétricales[17].

Pays[modifier | modifier le code]

En Belgique[modifier | modifier le code]

Mi 2022, le Sénat prépare un rapport d'information sur les violences obstétricales devant déboucher sur des recommandations annoncées pour fin 2022[18].

En France[modifier | modifier le code]

Le débat est relancé en France dès 2014, avec une forte médiatisation, par le hashtag #PayeTonUterus. Des milliers de femmes témoignent sur les réseaux sociaux des jugements de valeur, paroles ou comportements déplacés qu'elles ont eu à subir de la part du personnel de santé autour de leur santé gynécologique et sexuelle[19]. Un collectif crée à ce moment le site collaboratif Gyn&co, pour recenser des soignants respectueux de leur patientèle[20].

Début 2015, un internaute révèle que l'enseignement du toucher vaginal est réalisé, dans certaines services hospitaliers, sur des patientes endormies au bloc opératoire. La BBC réalisera un documentaire[21] sur le lancement de cette affaire.

Une tribune appelant au respect du consentement dans l'enseignement de la médecine est rédigée par Marie-Hélène Lahaye, Clara de Bort et Béatrice Kammerer et co-signée par une cinquantaine de personnalités[22]. Marisol Touraine, alors ministre chargée de la santé, commande un rapport[23] à la conférence des doyens, rapport rendu public en [24].

Un documentaire diffusé sur France Culture en septembre 2015 présente de nombreux témoignages et relance le débat[25].

En 2016, Marie-Hélène Lahaye, qui tient le blog Marie accouche là portant sur une analyse politique et féministe autour de la naissance, définit la violence obstétricale comme « tout comportement, acte, omission ou abstention commis par le personnel de santé, qui n’est pas justifié médicalement et/ou qui est effectué sans le consentement libre et éclairé de la femme enceinte ou de la parturiente. »[26].

Un débat reprend en , lorsque la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa commande un rapport sur le sujet au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes[27], en annonçant en particulier un taux d'épisiotomie en France de 75 %, contre une recommandation OMS de l'ordre de 20 à 25 %[28]. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français s'est insurgé de ce commentaire. En effet, là où l'INSERM évoque un taux de 26,8 % dans un rapport de 2010[29], la secrétaire d'État s'appuie sur une étude menée en 2013 par l'association Maman travaille, association dont elle est la fondatrice[28]. Le Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE) commente cette « bataille de chiffres »[30] et publie en octobre un communiqué de presse sur les violences obstétricales[31].

En 2017, l'ouvrage Le livre noir de la gynécologie, contenant de nombreux témoignages de violences gynécologiques et obstétricales, est publié[32].

Le rapport publié le par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes[33] recommande 26 actions pour reconnaître l'existence et l'ampleur des actes sexistes, les prévenir, faciliter leur signalement, les condamner et informer les femmes sur leurs droits[34]. Selon ce rapport, la surreprésentation des hommes dans les spécialités médicales gynécologie et obstétrique, le nombre élevé de consultations de suivis médicaux, la non-prise en compte dans la formation du personnel médical du caractère intime ainsi que l'absence de formations sur les violences sexistes et sexuelles favorisent les agissements sexistes[35].

Aux États-Unis[modifier | modifier le code]

Entre les années 1950 et 1980, certains obstétriciens et gynécologues nord-américains auraient pratiqué le "point du mari" qui consiste en des sutures clandestines effectuées après une épisiotomie pour rendre l’entrée du vagin plus étroite afin d'augmenter soi-disant le plaisir du partenaire sexuel de la femme qui en est victime, ce qui provoque des douleurs à long-terme[36]. Il n'y a pas de preuve que cette pratique ait été répandue en Amérique du Nord, mais elle apparaît dans des études sur l'épisiotomie au Brésil par exemple.

En 1958, une sage-femme écrit anonymement au Ladies Home Journal, un magazine grand public américain, et supplie l'éditeur d'investiguer sur les violences obstétricales. Il s'ensuit une avalanche de lettres de femmes qui dénoncent des abus de médicaments pour le confort du médecin, des femmes attachées pendant leur accouchement ou des médecins insultants[8].

Au Mexique[modifier | modifier le code]

Une étude de 2012, conduite dans deux hôpitaux publics de Mexico, montre des abus physiques et verbaux ainsi qu'une discrimination des femmes à la charge de l'état de la part du personnel médical[37].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Voir Billet sur le blog de Marie-Hélène Lahaye
  2. K. Lefeuvre-Darnajou, « La violence en milieu hospitalier : de la prévention à la sanction de la violence par le droit », Médecine et droit,‎ (lire en ligne)
  3. Voir un billet bilan lors du changement d'adresse du blog de Marie-Hélène Lahaye en juin 2019.
  4. Piquet et Thibert 2017.
  5. Meysenq 2017.
  6. Thème « violence obstétricale », base de données bibliographiques de l'AFAR.
  7. Sheila Stubbs, Cruelty in Maternity Wards, Ladies Home Journal, 1958.
  8. a et b Gloria Lemay, Cruelty in Maternity Wards, article de blog, 2010.
  9. F. Edmonde Morin, Petit Manuel de guérilla à l'usage des femmes enceintes, Le Seuil, 1965, (ISBN 9782020089005).
  10. Hélène Vadeboncoeur, Accouchement et traumatisme psychologique. Revue de littérature sur accouchement et traumatisme, 2006
  11. Leilah McCracken, Rape of the Twentieth Century, 1999. (version française)
  12. Hélène Vadeboncoeur, Les gestes obstétricaux violents. Les Dossiers de l’Obstétrique n° 317, juin 2003, p. 26-29.
  13. Bernard Bel, Pour une naissance insoumise, In Grégoire, Lysane & Stéphanie St-Amant (dir.), Au cœur de la naissance : témoignages et réflexions sur l'accouchement, Montréal, Remue-ménage, 2004, p. 361-382.
  14. Voir « Le rapport à la modernité » dans Agnès Echène, Féminisme & Maternité, Le Cordon, décembre 2003.
  15. Campagnon, Claire; Ghadi, Véronique, Un état des lieux fondé sur des témoignages d’usagers et de professionnels : la maltraitance « ordinaire » dans les établissements de santé, rapport à la Haute Autorité de Santé, 2009.
  16. (en) Rogelio Pérez D'Gregorio, « Obstetric violence: A new legal term introduced in Venezuela », International Journal of Gynecology & Obstetrics, vol. 111, no 3,‎ , p. 201–202 (ISSN 0020-7292, DOI 10.1016/j.ijgo.2010.09.002, lire en ligne, consulté le )
  17. (en-US) « Le Conseil de L’Europe adopte une résolution sur les violences obstétricales | Marie accouche là » (consulté le )
  18. Carole Stavart, « Vers la bientraitance obstétricale », sur Site-LeJournalDuMedecin-FR, (consulté le )
  19. « #Payetonuterus: Les femmes épinglent leur gynéco sur Twitter », sur www.20minutes.fr (consulté le )
  20. Catherine Mallaval, « Gyn&Co, à chaque genre suffit sa peine », sur Libération, (consulté le )
  21. « The Medical Scandal Uncovered by a Tweet, Trending - BBC World Service », sur BBC (consulté le )
  22. Clara de Bort, Marie-Hélène Lahaye, Béatrice Kammerer, « Le consentement, point aveugle de la formation des médecins », Club de Mediapart,‎ (lire en ligne, consulté le )
  23. « Touchers vaginaux et rectaux sans consentement : Marisol Touraine reçoit le rapport des doyens de médecine et réaffirme "l'extrême fermeté" de l'Etat », Ministère des Solidarités et de la Santé,‎ (lire en ligne, consulté le )
  24. Aude Lorriaux, « L'ampleur des touchers vaginaux enfin dévoilée », Slate.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. Mélanie Dechalotte, « Collection Témoignages : Maltraitance gynécologique », France Culture,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. Marie-Hélène Lahaye, Qu’est-ce que la violence obstétricale ?, blog Marie accouche là, 9 mars 2016.
  27. Secrétariat d'État chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes 2017.
  28. a et b HuffPost et AFP 2017.
  29. Blondel et Kermarrec 2011.
  30. De l’utilité des bourdes - L’essentiel derrière les batailles de chiffres et les polémiques suite aux déclarations de Marlène Schiappa, communiqué de presse du CIANE, 28 juillet 2017.
  31. Violences obstétricales : comprendre, prévenir, réparer, communiqué de presse du CIANE, 17 octobre 2017.
  32. Mélanie Dechalotte, « Le livre noir de la gynécologie », First,‎ (lire en ligne, consulté le )
  33. Danielle Bousquet, Geneviève Couraud et Margaux Collet, « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical. Rapport n°2018-06-26-SAN-034 voté le 26 juin 2018 », Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes,‎ (lire en ligne, consulté le )
  34. Licia Meysenq, « ENQUETE FRANCEINFO. Césariennes à vif, épisiotomies imposées… Le grand tabou des violences durant l'accouchement », Franceinfo,‎ (lire en ligne, consulté le )
  35. Catherine Fournier, « Il faut "reconnaître les actes sexistes" : le Haut Conseil à l'égalité veut en finir avec les violences gynécologiques et obstétricales », Franceinfo,‎ (lire en ligne, consulté le )
  36. (en) Pat Ireland Nixon, A Century of Medicine in San Antonio : The Story of Medicine in Bexar County, Texas, Priv. pub. by the author, (lire en ligne)
  37. Rosario Valdez Santiago, Luz Arenas Monreal, Anabel Rojas Carmona et Mario Sánchez Domínguez, « “If we’re here, it’s only because we have no money…” discrimination and violence in Mexican maternity wards », BMC Pregnancy and Childbirth, vol. 18,‎ (ISSN 1471-2393, PMID 29914421, PMCID 6006746, DOI 10.1186/s12884-018-1897-8, lire en ligne, consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]