Pétroleuse — Wikipédia

Caricature de « pétroleuse » d’après une carte postale versaillaise de 1871.

Pétroleuse est le terme qualifiant une femme accusée d’avoir employé du pétrole pour allumer des incendies, en 1871, pendant les incendies de Paris lors de l’écrasement de la Commune de Paris par les Versaillais. On nomme ainsi les femmes qui ont pris part aux combats armés pendant la Semaine sanglante, particulièrement après l’incendie de l’hôtel de ville de Paris ().

Histoire[modifier | modifier le code]

La Barricade, lithographie de Lefman d'après Bertall.

Des recherches récentes par les historiens de la Commune de Paris, comme Robert Tombs et Gay Gullickson, ont révélé qu’il n’y eut en fait aucun incident avéré d’incendie volontaire commis par des femmes, et qu’aucune femme n’avait réellement été condamnée comme incendiaire[1].

Parmi les milliers de communardes présumées jugées après la Commune, seules quelques-unes furent reconnues coupables, et elles avaient été condamnées pour avoir tiré sur les troupes versaillaises, et non comme incendiaires. Lorsque les archives sont devenues consultables au XXe siècle, la consultation des actes des procès officiels pris par les autorités versaillaises révèle que ces accusations sont dénuées de fondement, et qu’aucune femme n’a jamais été condamnée pour incendie criminel. Les bâtiments incendiés à la fin de la Commune ne l’ont pas été par des pétroleuses. L’hôtel de ville fut détruit par les membres de la Garde nationale pendant leur retraite. Les bâtiments le long de la rue de Rivoli brûlèrent au cours des combats de rue entre les Communards et les troupes versaillaises, tandis que d’autres bâtiments ont été détruits par des obus incendiaires.

Malgré le mythe populaire de la pétroleuse, aucune femme n’a jamais été reconnue coupable d’incendie criminel délibéré[2]. Gullickson suggère que le mythe de la pétroleuse faisait en réalité partie d’une campagne de propagande orchestrée par les hommes politiques versaillais, visant à dépeindre les Parisiennes de la Commune comme non naturelles, destructrices et barbares, pour donner la victoire morale aux forces loyalistes sur les Communards « contre nature ». Malgré cela, on a largement donné foi au mythe des pétroleuses jusqu’au XXe siècle. Dans Paris même, la vente de liquides inflammables fut interdite pendant plusieurs mois après la fin de la Commune. Pour mieux comprendre la raison d’être de ce terme, il faut donc se replacer dans le contexte de l’époque et se rappeler que, pendant que les femmes n’étaient pas considérées comme membres à part entière de la société, la Commune, elle, avait instauré une meilleure parité[3],[4].

Procès des « pétroleuses » du faubourg Saint-Germain devant le 4e conseil de guerre.

Littérature[modifier | modifier le code]

« J'ai été réjoui, ce matin, par l'histoire de Mlle Papavoine[5], une pétroleuse, qui a subi au milieu des barricades les hommages de dix-huit citoyens, en un seul jour ! Cela est raide. »

— Flaubert, Correspondance

  • Dans le roman-feuilleton La Porteuse de pain (1884), Jeanne Fortier utilise du pétrole pour s'éclairer en tant que gardienne d'une usine. L'usine est incendiée et Jeanne est condamnée à tort en tant que pétroleuse, même si le mot n'est pas prononcé. Dans l'adaptation télévisée de 1973, le caissier Ricoux traite Jeanne de pétroleuse. Jeanne devient folle, et c'est un autre incendie, alors qu'elle est internée pendant la Commune de Paris en 1871, qui lui rendra sa raison : un incendie à l'époque des pétroleuses de la Commune. En fait de pétroleuse, le véritable incendiaire de l'usine et assassin du patron est un pétroleur.
  • Dans son roman L’adolescent, Dostoïevski met le mot « pétroleur » dans la bouche de Versilov lorsqu'il évoque l'incendie des Tuileries pendant la Commune : « Moi seul, entre tous les pétroleurs, pouvais leur dire en face que leurs Tuileries étaient une erreur[6] » ; et un peu plus loin : « le pétroleur n'agit que pour réclamer son droit à un morceau de pain[7]. »
  • Dans les dernières pages de La Débâcle (1892), roman d'Émile Zola, lors de la Semaine sanglante, des exécutions sommaires ont lieu dans les rues de la capitale. Une femme et deux hommes, livrés aux soldats versaillais par des habitants du quartier, vont être fusillés. « Toute une foule violente s'acharnait contre la femme surtout, une de ces pétroleuses dont la peur hantait les imaginations hallucinées, qu'on accusait de rôder le soir, de se glisser le long des habitations riches, pour lancer des bidons de pétrole enflammé dans les caves. » (troisième partie, chapitre VIII)

Postérité[modifier | modifier le code]

Le terme de « pétroleuses » réapparaît lors des évènements de Mai 68[8],[9] et dans les années qui suivent. Il est notamment utilisé durant cette période par un courant[10] de la tendance Lutte de classe du Mouvement de libération des femmes[11] composé de féministes parisiennes proches de la Ligue communiste révolutionnaire, qui prennent le nom de « pétroleuses »[12],[13]. Elles publient de [14] à le périodique Les Pétroleuses : le journal des femmes qui luttent[15], sous la direction de Michèle Descolonges[16]. Il connaît neuf numéros[17] à la parution irrégulière[10].

Cette idéologie persiste jusqu'à nos jours[18] puisque le magazine Paris Match représente en 2000 Louise Michel comme incendiaire[19].  

Le groupe de punk britannique Petrol Girls tire son nom de ce mythe[20].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Davidson 1998.
  2. .Emmanuèle Peyret, « Pétroleuses de la Commune », Libération,‎ (lire en ligne)
  3. Gullickson 1996.
  4. Édith Thomas, Les « Pétroleuses, Gallimard,
  5. Voir la page dédiée à Eulalie Papavoine sur le site de l'Institut international d'histoire sociale.
  6. « L'adolescent », Troisième partie, chapitre VII, II (Bibliothèque de La Pléiade, page 507).
  7. Même chapitre, III (page 509)
  8. « La grève des hôtesses d'Air Inter en mai 68 », sur L'Humanité, (consulté le ).
  9. Michelle Zancarini-Fournel, « Genre et politique : les années 1968 », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, no 3,‎ , p. 133-143 (lire en ligne).
  10. a et b Naty Garcia Guadilla, Libération des femmes : le M.L.F., FeniXX, 152 p. (lire en ligne).
  11. Marie-Christine Granjon, « Le féminisme radical français », Raison présente, no 34,‎ , p. 25-43 (lire en ligne).
  12. Jean Bérard, « Dénoncer et (ne pas) punir les violences sexuelles ? Luttes féministes et critiques de la répression en France de Mai 68 au début des années 1980 », Politix, no 107,‎ (lire en ligne [PDF]).
  13. Fanny Gallot et Eve Meuret-Campfort, « Des ouvrières en lutte dans l'après 1968 », Politix, no 109,‎ , p. 21-43 (lire en ligne).
  14. Fanny Gallot, « L'ouvrière rebelle au travail : objet ou sujet des discours féministes dans les années 1968 ? », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, no 125,‎ , p. 87-99 (ISBN 978-2-917541-46-3).
  15. Les Pétroleuses (Paris) sur data.bnf.fr.
  16. Michèle Jacobs-Hermès, « Mai 68 : quand les femmes des Beaux-Arts racontent la lutte », sur TV5 Monde, (consulté le ).
  17. [PDF] Les numéros des Pétroleuses mis en ligne par le Centre de recherche pour l'alternative sociale.
  18. Anaïs Bensaad, « « La Représentation des Communardes dans le roman français de 1871 à 1900 », Master 1, sous la direction de Isabelle Tournier, Université Paris 8, 2013 », Genre & Histoire, no 14,‎ (ISSN 2102-5886, lire en ligne, consulté le )
  19. Robert Le Quillec, Bibliographie critique de la Commune de Paris 1871, La Boutique de l’histoire, , p. 130
    Paris-Match, n° 2658, 4 mai 2000, cité par l'auteur
  20. (en) « Petrol Girls stream their debut album exclusively with The Independent » [archive du ], sur The Independent, (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]