Marie Rogissart — Wikipédia

Marie Catherine Rogissart est née le 12 mai 1841 à Neufmanil (Ardennes) et morte le 7 août 1929 à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Ayant gagné la capitale, elle devient en 1871 une insurgée de la Commune de Paris dans le 12e arrondissement de Paris. Elle est membre du club Éloi et porte-drapeau du bataillon des femmes. Arrêtée, et déportée en Nouvelle-Calédonie, elle choisit d’y rester après sa peine. En 1929, elle est sur l’île la dernière survivante des déportés politiques de la Commune.

Biographie[modifier | modifier le code]

Exode à Paris[modifier | modifier le code]

Marie Catherine Rogissart est née en 1841 à Neufmanil[1] dans une famille de cloutiers de cette commune située à quelques kilomètres de la frontière belge, entourée de forêts et de prairies. Des quatre filles du couple Jacques Rémi Rogissart et Marguerite Dominé, ses parents, Marie Catherine est la seule qui parvienne à l'âge adulte. La jeune femme quitte Neufmanil pour Paris et s'installe dès 1861[2] comme couturière à Belleville, commune annexée à la capitale depuis peu. Elle y est célibataire, puis vit en concubinage dans le 11e arrondissement avec un certain Touchet[3] au 161 faubourg Saint-Antoine[4],[5].

Le siège de Paris et la Commune[modifier | modifier le code]

Survient la guerre de 1870, l'effondrement du Second Empire et un siège de Paris éprouvant, marqué notamment par des manques de vivre. Des habitants de l’Est de Paris participent à un premier soulèvement le 31 octobre 1870. L'hôtel de ville est envahi, la nomination d'un gouvernement révolutionnaire est réclamée. Mais les divisions entre les meneurs font échouer ce mouvement. Le 7 novembre suivant se tiennent les élections de conseils municipaux et des candidats d'extrême-gauche sont élus, notamment dans les 11e et 20e arrondissements. À partir du 5 janvier, les canons prussiens bombardent la capitale. La population est terrorisée et ulcérée. L'armistice est signé le 28 janvier 1871. Le 8 février, les élections législatives nationales voient le succès des conservateurs et des monarchistes. Conscient du risque de débordement social dans Paris, Adolphe Thiers transfère la nouvelle assemblée à Versailles. Le nouveau gouvernement décrète aussi la fin du moratoire sur le paiement des loyers, moratoire mis en place pour le temps de la guerre.

Le 18 mars 1871, c'est une nouvelle insurrection dans les quartiers est parisiens. La Commune de Paris commence. Le 29 mars 1871, le conseil de la Commune décrète que les loyers dus depuis le moratoire du 13 août 1870, sont annulés. Des mouvements féminins se constituent, telle, le 11 avril 1871, l'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés conduite par Élisabeth Dmitrieff, et Nathalie Lemel. Les femmes réclament le droit au travail et l'égalité des salaires. Marie Catherine Rogissart participe à ces mouvements à partir de ce mois d'avril 1871[2], et en mai, prend une part active aux réunions du club Éloi[6], un club se réunissant dans l'église Saint-Éloi du 12e arrondissement[note 1] et intègre son bataillon des femmes, groupe armé chassant les réfractaires. Elle a la parole facile et devient porte-drapeau. Elle participe à la recherche d'otages ainsi qu'à la chasse aux réfractaires (tout Parisien a l'obligation de rejoindre la garde nationale).

Le , les troupes versaillaises entrent dans Paris. C'est le début de la Semaine sanglante. Pendant cette fameuse semaine, Marie Catherine Rogissart est dans la rue. Puis elle disparaît[7]. Elle est arrêtée le , par dénonciation, plus d'un an après la tourmente révolutionnaire. On trouve dans la modeste chambre du 4e arrondissement, où elle s'est réinstallée, une affiche rouge sur le bataillon des femmes, une lampe à pétrole et très peu de pétrole, à peine de quoi recharger cette lampe. Sur ce simple fait, son nom est pourtant associé immédiatement aux pétroleuses, par la police. Les pétroleuses … cette rumeur encouragée par Thiers affirmait qu'un groupe de femmes aurait participé aux incendies (bien réels) de Paris lors de l'écrasement de l'insurrection. Elle nie toutes les accusations portées contre elle. Un témoin, qu'elle avait accusé d'être un espion de Versailles lors d'une assemblée à Saint-Éloi rappelle un de ses discours dans cette église contre les « lâches et fainéants » de réfractaires. Le , le conseil de guerre de Versailles, dans sa vingtième séance, la condamne à sept ans de travaux forcés. Mais sa peine est transformée en une déportation en Nouvelle-Calédonie[8],[note 2].

Déportation en Nouvelle-Calédonie[modifier | modifier le code]

Elle embarque le , à Brest, un an après les premières déportations de communards. Son transport s'effectue sur L'Orne, un trois-mâts transport-écuries à hélice. C’est un navire conçu sous le Second Empire pour transporter des hommes et des chevaux sur les théâtres d'opérations militaires. Le navire compte 205 hommes d'équipage, hommes de surveillance et religieuses, et 540 déportés, politiques et de droit commun, dont 24 femmes, toutes des condamnées de droit commun à l'exception, justement, de Marie Catherine Rogissart. Il comprend même quelques enfants[9]. Le à 15 h 0, la vigie annonce terre en vue après un voyage long et éprouvant [9]. Le , les condamnés à la déportation en enceinte fortifiée, dont Marie Catherine Rogissart, gagnent à pied la presqu'île Ducos, à quelques centaines de mètres du débarcadère[10][note 3]. Cette presqu'île marque la limite septentrionale de la rade de Nouméa. Il faut s'habituer à la chaleur, à la saison des pluies, aux cyclones. Mais cette terre a également du charme, tels les couchers de soleil, décrits par Henri Rochefort : « C'était de l'or liquéfié, de l'améthyste en fusion. J'en ai vu d'une splendeur à faire pousser des cris. Puis après ce suprême et rutilant coup de feu, le soir descendait comme un rideau qui tombe sur l'apothéose d'une féerie. A huit heures moins dix, le ciel était embrasé. A huit heures, il était noir ».

Marie Catherine Rogissart voit sa peine réduite une première fois à cinq ans de réclusion le [8]. Elle se marie sur place, le , avec un autre déporté, Charles Emilien Girod[11]. Un mariage qui survient quelques semaines après l'évasion d'Henri Rochefort, et très peu de temps avant un durcissement des conditions de déportation[12]. Le mariage entre déportés est considéré favorablement par les autorités : c’est pour elles un élément de stabilisation et de moralisation, avec la possibilité de naissance s’inscrivant dans la volonté de peuplement de la colonie[13]. En 1875, sa peine est de nouveau réduite, à quatre ans[3]. Mais, pour autant, tout individu du bagne condamné à moins de huit ans de travaux forcés est tenu, à l'expiration de sa peine, de résider dans la colonie un temps égal à la durée de la condamnation. Être libéré ne signifie donc pas être libre, et le libéré reste une personne dotée d'un matricule, enregistré dans la nomenclature pénitentiaire. Malgré l'amnistie de 1880, elle fait partie des rares déportés qui reste sur l'île. Remariée, elle décède à 88 ans, le 7 août 1929, à l'hospice de Nouméa[14], six ans après Jean Roch Chalier, quelquefois présenté comme le dernier survivant des déportés[14]. Dans les mêmes années 1920, son arrière-petit-neveu, Jean Rogissart, instituteur en Ardennes, commence sa carrière littéraire.

Hommage[modifier | modifier le code]

En 2019 est inauguré un passage Marie-Rogissart dans le 12e arrondissement de Paris.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Curieusement, saint Éloi est aussi le saint patron des cloutiers et ouvriers métallurgistes de son village natal.
  2. Sur les 13 450 insurgés condamnés, 2 989 l’ont été à la déportation à la Nouvelle-Calédonie dont 20 femmes (comprenant Louise Michel et Nathalie Lemel).
  3. Cette presqu'île Ducos porte le nom du ministre de la Marine et des Colonies Théodore Ducos qui organisa en 1853 la colonisation en Nouvelle-Calédonie.

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Neufmanil registre des naissances, vue 222/315 », sur le site des A.D.
  2. a et b Pérennès et Chantepie 1991, p. 576.
  3. a et b Rey, Gayat et Pepino 2013, p. 241.
  4. « Des communard-e-s près de chez vous - uMap », sur umap.openstreetmap.fr (consulté le )
  5. « ROGISSART Marie, Catherine », dans Le Maitron, Maitron/Editions de l'Atelier, (lire en ligne)
  6. Dulotel 1997, p. 298.
  7. Dulotel 1997, p. 299.
  8. a et b Rey, Gayat et Pepino 2013, p. 242.
  9. a et b Ballière 1889.
  10. Baronnet et Chalou 1987, p. 158.
  11. Barbançon 2003, p. 359.
  12. Baronnet et Chalou 1987, p. 169-170.
  13. Mailhe 1995, p. 261.
  14. a et b Cornet 1999, p. 123.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Claudine Rey, Annie Gayat et Sylvie Pepino, Petit dictionnaire des femmes de la Commune, Éditions Le bruit des autres, , « Rogissard Marie Catherine ou Marguerite », p. 241-242.
  • Louis-José Barbançon, L'archipel des forçats, histoire du bagne de Nouvelle-Calédonie, Presses universitaires du Septentrion, (lire en ligne), p. 359.
  • Louise Michel, La Commune. Histoire et Souvenirs, Éditions La Découverte, .
  • Claude Cornet, Communards, puis Calédoniens: la vie et la descendance des déportés politiques en Nouvelle-Calédonie, Éditions de la Boudeuse, (lire en ligne), « Marie Rogissart », p. 123.
  • Odile Krakovitch, Les femmes bagnardes, Éditions Perrin, .
  • Alain Dulotel, « Les femmes dans les clubs rouges 1870-1871 », dans Alain Corbin, Jacqueline Lalouette et Michèle Riot-Sarcey, Femmes dans la cité, Créaphis, , p. 293-304.
  • Germaine Mailhe, Déportation en Nouvelle-Calédonie des communards et des révoltés de la Grande Kabylie (1872-1876), Éditions L’Harmattan, .
  • Roger Pérennès et Frank Chantepie, Déportés et forçats de la commune : de Belleville à Nouméa, Ouest Éditions, , « Rogissart Marie Catherine », p. 576.
  • Jean Baronnet et Jean Chalou, Communards en Nouvelle-Calédonie, histoire de la déportation, Mercure de France, .
  • Édith Thomas, Les Pétroleuses, Éditions Gallimard, (lire en ligne), p. 114, 125, 247.
  • Achille Ballière, Souvenirs d'un évadé de Nouméa, Éditions Charpentier, .
  • Paul Fontoulieu, Les églises de Paris sous la Révolution, Éditions Édouard Dentu, (lire en ligne), « Le Club Éloi », p. 61-69. L'auteur est un abbé anti-communard.

Liens externes[modifier | modifier le code]