En mathématiques, la fonction zêta de Riemann est une fonction analytiquecomplexe qui est apparue essentiellement dans la théorie des nombres premiers. La position de ses zéros complexes est liée à la répartition des nombres premiers. Elle est aussi importante comme fonction modèle dans la théorie des séries de Dirichlet et se trouve au carrefour d'un grand nombre d'autres théories. Les questions qu'elle soulève sont loin d'être résolues et elle sert aussi de motivation et de fil conducteur à de nouvelles études, à l'instar du rôle joué par le grand théorème de Fermat.
Le présent article commence par la définition de la fonction à partir de la série de Dirichlet puis cette définition est étendue au plan complexe privé de 1. On examine ensuite ce qui se passe en 1. La théorie de la fonction ζ de Riemann définit trois régions dans le plan complexe, la région de convergence Re(s) > 1, la bande critique 0 ≤ Re(s) ≤ 1, et la région Re(s) < 0. À partir de la relation fonctionnelle, le module de la fonction est estimé dans chacune de ces régions. Cela nécessite des formules permettant d'estimer la fonction ou d'autres fonctions qui lui sont liées. Puis on étudie les zéros. La relation fonctionnelle fournit les zéros réels et également l’ordre de ces zéros : ils sont simples. Dans la bande critique, il en existe une infinité. On estime donc ce nombre N(T) dans un rectangle de hauteur T. Le théorème de Hardy en place une infinité sur l'axe Re(s) = 1/2. On estime, avec beaucoup de difficulté, le nombre N0(T) des zéros dont la partie imaginaire est comprise entre 0 et T et dont la partie réelle est 1/2. Pour étudier la répartition des zéros, différentes quantités les faisant intervenir sont estimées. Enfin, les conjectures classiques sont examinées : définitions, conséquences, critères équivalents.
Les recherches sur la fonction zêta constituent un domaine très technique. La plupart des preuves, nécessitant une formation spécialisée en théorie analytique des nombres, sont omises ici.
La théorie de la fonction ζ de Riemann est presque tout entière dominée par la question de la répartition de ses zéros. Comme l'explique la théorie générale des fonctions analytiques, toute fonction méromorphe s'écrit comme le produit de facteurs faisant apparaître les pôles et les zéros de cette fonction. L'hypothèse de Riemann selon laquelle tous les zéros non triviaux de la fonction ζ de Riemann sont de partie réelle égale à 1/2 renforce encore l'intérêt pour ces zéros. Aussi la théorie s'est-elle développée dans plusieurs directions : la première est celle de l'étude des zéros eux-mêmes. On a cherché à démontrer l'hypothèse de Riemann elle-même avant de se rendre compte des difficultés. L'objectif est alors devenu plus modeste : démontrer une partie de l'hypothèse de Riemann. D'un autre côté, la communauté mathématique croit en l'hypothèse de Riemann, aussi a-t-on cherché les conséquences de l'hypothèse de Riemann en prévision de sa démonstration. Cependant chaque nouvelle conséquence de l'hypothèse de Riemann est aussi une voie nouvelle pour l'infirmer.
Par exemple, on démontre que l'on a, sous l'hypothèse de Riemann, si C > e2γ (où γ = 0,577… est la constante d'Euler-Mascheroni), pour t assez grand :
Si l'on démontrait l'existence d'une suite (tn) tendant vers l'infini telle que
il en serait fini de l'hypothèse de Riemann.
Les conséquences de l'hypothèse de Riemann sont nombreuses. On a ainsi cherché à les démontrer indépendamment de cette hypothèse, ce qui s'avéra parfois possible. Et chacune de ces conséquences est devenue un objectif en soi. Devant la difficulté posée par la démonstration de l'hypothèse de Riemann, on a aussi énoncé des hypothèses plus faibles qu'on a également tenté de démontrer, sans beaucoup plus de succès.
D'après la théorie des séries de Dirichlet[note 1], on déduit que la fonction ainsi définie est analytique sur son domaine de convergence. La série ne converge pas en s = 1 car on a
qui tend vers l'infini avec m(voir l'article détaillé « Série harmonique » pour d'autres démonstrations de ce résultat, et une estimation plus précise de la valeur des sommes partielles). La valeur s = 1 est donc une singularité de la fonction.
Euler a calculé (dans le cadre de sa solution au problème de Bâle) la valeur de la fonction ζ pour les entiers strictement positifs pairs en utilisant l'expression de sous forme de produit infini[note 2] ; il en a déduit la formule :
Pour les entiers impairs, le calcul n'est pas si simple. Ramanujan a beaucoup travaillé sur ces séries et Apéry a démontré en 1978 que ζ(3), qui vaut environ 1,202 056 9, est irrationnel (voir les articles « Constante d'Apéry » et « Théorème d'Apéry »).
En 2000, Tanguy Rivoal a démontré[2] qu'il existe une infinité de nombres irrationnels parmi les valeurs aux entiers impairs. En 2001, Wadim Zudilin(en) a démontré que l'un au moins des quatre nombres ζ(5), ζ(7), ζ(9) et ζ(11) est irrationnel[3].
Cette valeur est utilisée pour calculer la température critique d'un condensat de Bose-Einstein dans une boîte à frontière périodique, et pour l'onde de spin des systèmes magnétiques ;
Cette constante (appelée constante de Stefan-Boltzmann) est également utilisée dans le calcul de la limite basse température de la capacité thermique des solides dans le cadre du modèle de Debye.
Développements en série de Dirichlet en lien avec quelques fonctions arithmétiques[modifier | modifier le code]
En 1899, La Vallée Poussin démontra qu'il existe une constante K telle que , de sorte que la série précédente converge également pour s = 1, vers 0 :
Ce résultat, conjecturé par Euler, avait déjà été démontré par von Mangoldt en 1897[8]. Von Mangoldt utilise dans sa preuve le théorème des nombres premiers, démontré en 1896. Et ce dernier théorème est en fait équivalent à la convergence vers 0 de la série ci-dessus, comme l'a finalement établi Edmund Landau en 1911[9],[10].
En fait, la position des zéros de la fonction ζ de Riemann fournit la position des nombres premiers. On peut même trouver une formule exprimant chaque nombre premier en fonction des zéros de la fonction ζ de Riemann.
Dans le cas restant (σ ∈ ]0, 1] mais t ≠ 0), pour montrer qu'elle diverge aussi et préciser comment, il suffit d'affiner un peu la comparaison série-intégrale :
or
donc la série correspondante converge. Quant à l'intégrale , elle est égale, à une constante près, à , de module .
si 0 < σ < 1, il en résulte que lorsque N tend vers l'infini, ce terme prend des oscillations de plus en plus importantes : la série diverge.
si σ = 1 (et t ≠ 0), le module devient égal à 1 / | t |, mais l'argument (mod 2π) ne tend pas vers une constante : la série diverge mais ses oscillations restent bornées par 1 / | t |.
En faisant tendre N vers l'infini et en restant dans le demi-plan Re(s) > 1, on en déduit pour tout entier n = 1, 2, 3… que
Les fonctions x ↦ Bn(x – [x]) étant périodiques et polynomiales sur [0 ; 1[, elles restent bornées sur l'intervalle d'intégration, donc l'intégrale à droite converge si Re(s) > 1 – n. Donc le membre de droite définit, sur Re(s) > 1 – n, une fonction ζn, holomorphe en dehors de 1, qui prolonge ζ. L'unicité du prolongement analytique montre que les fonctions ζn et ζn + 1 sont identiques sur Re(s) > 1 – n. Ces identités permettent donc de définir une unique fonction méromorphe sur tout le plan complexe (avec un seul pôle en 1), coïncidant avec la fonction ζ déjà définie pour Re(s) > 1 et qu'on appelle encore ζ.
On part de l'expression intégrale vue plus haut, pour tout complexe s tel que Re(s) > 1 :
Le prolongement analytique est réalisé[note 4] en écrivant
La seconde intégrale est une fonction holomorphe de s. On décompose en série de Taylor dans la première. Les Bndésignant les nombres de Bernoulli, comme on a, pour tout t tel que | t | < 2π
en remplaçant dans la première intégrale et en intégrant terme à terme, on trouve
La série est convergente et définit une fonction holomorphe partout sauf aux entiers négatifs ou nuls (car pour s différent de ces valeurs, le rayon de convergence de la série entière de coefficients Bn/n!n'est pas modifié lorsqu'on divise ces coefficients par les n + s – 1) et de même, au voisinage d'un entier négatif – k, elle est la somme d'une fonction holomorphe et du terme
Quand s tend vers – k, Γ(s) ayant un pôle simple en s = – k , ζ(s) est par conséquent la somme d'une fonction qui tend vers 0 et du terme :
Ainsi, le prolongement méromorphe de ζ à tout le plan complexe n'a de pôle qu'au point 1, et l'on obtient au passage la formule d'Euler[note 5] :
Cdésigne un lacet longeant l'axe réel et englobant 0 parcouru de -∞ à +∞ dans le sens trigonométrique.
Une fois cette formule démontrée initialement pour Re(s) > 1, l'expression à droite restant valable pour toute valeur bornée de s définit donc une fonction analytique. D'après le théorème du prolongement analytique, elle représente le prolongement (sauf en s = 1) de la fonction ζ.
Démonstration
On part à nouveau de l'expression intégrale vue plus haut, pour tout complexe s tel que Re(s) > 1 :
D'une autre part, on considère la fonction hsur l'ensemble par :
avec le lacet décrit ainsi :
: demi-droite dont les points ont pour argument 0, décrite de +∞ à ν.
: cercle de rayon νet de centre 0, dont l'argument des points croit de 0 à 2π.
: demi-droite dont les points ont pour argument 2π, décrite de νà +∞.
alors pour que hsoit holomorphe sur tout le plan complexe on prend 0 < ν < 2π (voir que eu – 1 ne s'annule pas si νest défini ainsi) donc :
D'une part il est clair que :
alors :
et que :
ce qui entraîne le fait que :
et enfin que :
et puisque la fonction hest indépendante de νalors :
La partie entière [u] se décompose en u – {u}, où {u} désigne la partie fractionnaire de u. On a alors :
Comme {u} est toujours compris entre 0 et 1, l'intégrale est convergente pour Re(s) > 0. À partir du prolongement pour Re(s) > 0 et en appliquant la relation fonctionnelle (valide pour 0 < Re(s) < 1, voir plus loin), on obtient le prolongement pour Re(s) ≤ 0 (sauf en s = 0).
Cela réalise ainsi le prolongement de la fonction ζ sur Re(s) > 0, sauf pour
qui sont les zéros de 1 – 21 – s.
À partir du prolongement pour Re(s) > 0 et en appliquant la relation fonctionnelle (voir plus loin), on obtient le prolongement partout sauf en ces points.
Pour ces points, on peut appliquer soit la série de Dirichlet de 1/ζ, qui converge sur Re(s) = 1, soit une autre relation du même genre[16].
est convergente pour Re(s) = 1[note 7]. En procédant comme pour la fonction η, on montre que :
Il suffit donc de calculer la série seulement pour ces points car ln 3/ln 2 se trouvant irrationnel, le dénominateur 1 – 31 – s ne peut être nul en même temps que 1 – 21 – s (sauf pour s = 1).
La fonction êta vérifie également
On déduit, pour Re(s) > 0, sous réserve de ce qui a été dit pour le prolongement par la fonction êta de Dirichlet pour les points s = 1 + 2ikπ/ln(2), l'expression intégrale :
Dans les formules précédentes, il est à remarquer que le prolongement ne s'obtient que dans une portion du plan et qu'il faut utiliser la relation fonctionnelle pour avoir un prolongement au plan tout entier. Les deux formules qui suivent n'ont pas ce défaut. Ces deux autres méthodes de prolongement de ζ, sans conteste les plus simples, sont fondées, chacune, sur une formule exprimant ζ(s) en fonction de ζ(s + 1), ζ(s + 2), …
Le prolongement analytique s'effectue par bandes de largeur 1. La série de Dirichlet étant absolument convergente sur Re(s) > 1, la formule choisie prolonge sur Re(s) > 0. En appliquant à nouveau la formule, on prolonge à Re(s) > –1, et ainsi de suite.
Comme {u} est toujours compris entre 0 et 1, l'intégrale est convergente et le terme est borné. Le premier terme vaut aussi , ce qui montre que la fonction ζ admet un pôle d'ordre 1 en 1 et de résidu 1. Cela constitue le théorème de Dirichlet. Le développement en série de Laurent de la fonction ζ(s) s'écrit donc
On sait aussi qu'asymptotiquement, la moitié de ces nombres sont positifs.
L'équivalent montre que ζ est négative sur l'axe réel juste avant 1[note 9] (elle est positive après 1 de manière élémentaire puisque tous les termes de la série de Dirichlet sont alors positifs).
valable pour tout nombre complexe s différent de 0 et 1, démontrée par Riemann en 1859. Ici, Γ désigne la fonction gamma.
Démonstration
Une démonstration, parmi de nombreuses autres, a été donnée par Luis Báez-Duarte en 2003[21]. Elle est particulièrement courte. On part de la formule intégrale résultant de la formule sommatoire d'Abel (attention la borne inférieure est prise à 0, non à 1)
La fonction ζ étant réelle sur l'axe réel et plus grande que 1, le logarithme de cette valeur existe et est réel. Il est donc naturel de choisir, parmi l'infinité des définitions possibles du logarithme d'une fonction analytique, celle qui prolonge le logarithme naturel sur la demi-droite ]1, +∞[. On prolonge donc par continuité les valeurs de ln ζ qui sont réelles sur ]1, +∞[.
Présentation élémentaire pour les nombres complexes du demi-plan Re(s) > 1[modifier | modifier le code]
On part de la formule du produit eulérien, dont on sait qu'il converge pour tout s dans Re(s) > 1. On peut se limiter à considérer dans un premier temps s = σ réel. On prend le logarithme du produit. Cela a un sens puisque ζ(σ) ne s'annule pas sur σ > 1. On a alors
Il reste à développer le logarithme en série entière, ce qui est possible puisque p ≥ 2 et σ > 1. Cela justifie que l'on définisse, pour tout complexe s satisfaisant Re(s) > 1 la série :
Cette série, normalement convergente sur tout compact du demi-plan Re(s) > 1, définit une fonction holomorphe sur ce demi-plan.
Si s = σ > 1 est réel, alors où ln est le logarithme réel habituel. On en déduit que eD(σ) = ζ(σ). Les deux fonctions eD et ζ sont holomorphes sur Re(s) > 1 et elles coïncident sur la demi-droite ]1, +∞[. Par le principe de prolongement holomorphe, on a donc
pour tout complexe s tel que Re(s) > 1. Par dérivation de l'égalité précédente, on obtient immédiatement . En dérivant la série définissant D, on obtient :