Référendum constitutionnel australien de 2023 — Wikipédia

Référendum constitutionnel australien de 2023
Corps électoral et résultats
Inscrits 17 671 784
Votants 15 895 231
89,95 %
Blancs et nuls 155 545
Résultats par État ou Territoire
Carte
Résultats par circonscription
Diagramme
Création d'un organe consultatif représentant les aborigènes et les indigènes du détroit de Torrès
Oui
39,94 %
Non
60,06 %
Résultats officielsVoir et modifier les données sur Wikidata

Le référendum constitutionnel australien de 2023 a lieu le afin de permettre à la population de se prononcer sur un amendement de la Constitution de l'Australie.

Projet phare du gouvernement du Premier ministre travailliste Anthony Albanese, l'amendement soumis au vote vise à créer un organe consultatif représentant les aborigènes d'Australie et les indigènes du détroit de Torrès auprès du Parlement et du gouvernement fédéral.

Très tôt désigné sous le nom de Voix des aborigènes et insulaires du détroit de Torrès (en anglais : Aboriginal and Torres Strait Islander Voice), cet organe est par la suite couramment surnommé « la Voix » (the Voice) au cours des débats.

L'amendement est rejeté par une large majorité des électeurs aussi bien au niveau national que dans chacun des six États du pays.

Contexte[modifier | modifier le code]

Anthony Albanese

En 2017, 270 délégués autochtones sont à l'origine de la déclaration d'Uluru, réclamant entre autres la mise en place d'un organe chargé de conseiller le Parlement sur les lois les concernant[1].

Les élections fédérales australiennes de 2022 aboutissent à une alternance avec la victoire du Parti travailliste mené par Anthony Albanese sur la Coalition libérale au pouvoir depuis neuf ans[2],[3]. Anthony Albanese prête serment en tant que 31e Premier ministre le 23 mai. Lors de son premier discours post investiture, il réitère son intention d’organiser un référendum constitutionnel sur la création d'un tel organe représentatif des autochtones, l'une de ses promesses de campagne[4].

Début 2023, le gouvernement dévoile un avant projet d'amendement[5], qu'il prévoit de soumettre au vote populaire entre octobre et novembre 2023. Officiellement soumis au parlement le 30 mars suivant, l'amendement porte sur l'ajout à la constitution d'un chapitre IX, dont le contenu vise à créer un organe appelé Voix des aborigènes et insulaires du détroit de Torrès (Aboriginal and Torres Strait Islander Voice), et à le charger de représenter de manière consultative les aborigènes d'Australie et les indigènes du détroit de Torrès auprès du Parlement et du gouvernement fédéral dans les domaines les concernant. Enfin, l'amendement laisse au parlement le soin de rédiger la législation organisant la composition de cet organe[6],[7].

Régions où les Aborigènes d'Australie sont majoritaires
Régions où les autochtones d'Australie sont majoritaires :
Aborigènes
Indigènes du détroit de Torrès

Selon le projet de loi rédigé en parallèle, il devrait être composé de 24 membres élus au suffrage indirect par les membres de 35 organes aborigènes et indigènes locaux pour des mandats de quatre ans renouvelable une seule fois de manière consécutive — et renouvelé par moitié tous les deux ans — avec une stricte parité homme/femme. Sur ce total, deux membres seraient élus dans chacun des six États ainsi que dans le Territoire de la capitale australienne, le Territoire du Nord et les Îles du détroit de Torrès. A ces dix huit membres s'ajouteraient un supplémentaire pour le Territoire du Nord, l'Australie-Occidentale, l'Australie-Méridionale, le Queensland et la Nouvelle-Galles du Sud afin de représenter les territoires isolés. Enfin, un dernier membre serait attribué à la population des Indigènes du détroit de Torrès présente sur le continent[6],[7]. Environ 900 000 personnes s'identifient comme aborigènes en 2023, sur une population totale d'environ 25 millions d'australiens[8].

Afin d'être validé, l'amendement doit être voté à la majorité absolue à la Chambre des représentants et au Sénat, puis être soumis à un référendum organisé entre deux et six mois plus tard, et y recevoir une double majorité, c'est-à-dire à la fois la majorité absolue des suffrages exprimés au niveau national, mais aussi dans la majorité absolue des États, soit quatre sur six[9],[10],[11]. Le 31 mai, l'amendement est voté à la Chambre par 121 voix pour et 25 contre[12], puis le 19 juin au Sénat par 52 voix pour et 19 contre[8],[13]. Le passage de l'amendement au parlement est suivie peu après par la publication d'un sondage donnant pour la première fois une majorité de sondés opposée au projet[14]. Le 30 août, le gouvernement annonce finalement la date du scrutin, fixé au 14 octobre[15]. Une période de vote anticipé est par ailleurs ouverte à partir du 3 octobre pour les électeurs vivant dans des régions isolées[16].

Campagne[modifier | modifier le code]

Rassemblement en faveur du « Oui » à Brisbane le 17 septembre.

Le gouvernement s'engage notamment à mettre en œuvre une campagne d'information afin de répondre aux questions des électeurs, mais sans fournir de financement public aux campagnes « Pour » ou « Contre », observant ainsi une neutralité dans les débats[6].

Porteur du projet, le Premier ministre Anthony Albanese y apporte évidemment son soutien, de même que les dirigeants travaillistes de l'ensemble des États et Territoires du pays[17]. Pour le Premier ministre, le projet porte sur l' « identité [des Australiens] en tant que nation » et vise à la « réconciliation » et à la « reconnaissance constitutionnelles des peuples des premières nations »[8],[13]. Les partisans du « Oui » au projet voient dans la réforme un moyen de remédier aux inégalités auxquelles les aborigènes font face, dont notamment un accès moindre aux soins et à l'éducation, une espérance de vie plus faible, et un taux de pauvreté et d'incarcération plus élevé[18],[19].

Bulletin de vote utilisé, ici pour un vote postal

Après s'être déclaré favorable au projet en 2019 lorsqu'il était au pouvoir sous le gouvernement Morrison II, mais sous la forme d'une simple législation et non d'un amendement constitutionnel, le Parti libéral dirigé en 2023 par Peter Dutton s'avère divisé sur la question[9],[20],[21]. Si son partenaire de Coalition, le Parti national, se prononce contre dès novembre 2022[22], le Parti libéral ne décide finalement qu'en avril 2023 de faire également campagne contre, jugeant que le projet ne fait que diviser le pays sans apporter de réelle solution aux problèmes auxquels font face les aborigènes. Le Parti libéral laisse cependant ses membres et parlementaires faire campagne et voter selon leur libre conscience tout au long du processus. Cette opposition au projet ne s'applique par ailleurs qu'à la branche fédérale du parti, les branches des États de Tasmanie, d'Australie-Occidentale et de Nouvelle-Galles du Sud décidant quant à elles de faire campagne en faveur du Oui[23]. Peter Dutton s'oppose néanmoins directement au projet, qu'il dénonce comme une division du pays selon des « critères raciaux », où « tous les Australiens [seraient] égaux, mais où certains Australiens [seraient] plus égaux que d'autres »[8],[13]. Le 3 septembre, cependant, il crée la surprise en promettant — en cas de rejet de la Voix et d'un retour au pouvoir du parti libéral — d'organiser un second référendum sur la reconnaissance du rôle des aborigènes dans l'histoire du pays et la création d'organes de représentation uniquement locaux[24].

Le projet soumis à référendum rencontre par ailleurs l'opposition d'une partie des aborigènes, dont plusieurs parlementaires. La sénatrice Lidia Thorpe (en) accuse ainsi la Voix d'être un « organe consultatif impuissant » qui ne viserait qu'à « apaiser la culpabilité des Blancs dans ce pays »[8],[13]. L'ancien député Warren Mundine l'accuse quant à lui d'« inscrire dans la Constitution une division entre les Australiens selon leur race » lui rappelant la ségrégation raciale qu'il a connue enfant dans les années 1950 et 1960[25],[26]. La sénatrice Jacinta Nampijinpa Price, issue du peuple aborigène warlpiri du Territoire du Nord, mène campagne contre la Voix à laquelle elle reproche d'une part son caractère flou, le gouvernement ne devant dévoiler qu'après le référendum le détail de ce que cet organe sera en pratique. Elle estime d'autre part qu'une Voix au niveau national ne serait pas représentative, lui préférant des instances représentatives au niveau local[27]. S'il s'affirme en accord avec une partie des arguments de Price, le militant des droits des aborigènes Noel Pearson se positionne parmi les meneurs de la campagne pour le Oui, jugeant que les instances locales ne sauraient être en mesure d'avoir la portée politique de la Voix[28].

Sondages[modifier | modifier le code]

Moyenne lissée des sondages

Résultats[modifier | modifier le code]

Résultats nationaux[29],[30]
Choix Votes %
Pour 6 286 894 39,94
Contre 9 452 792 60,06
États pour 0 Non 4 / 6
Votes valides 15 739 686 99,02
Votes blancs et invalides 155 545 0,98
Total 15 895 231 100
Abstention 1 776 553 10,05
Inscrits/Participation 17 671 784 89,95
Votes
Pour
(39,94 %)
Votes
Contre
(60,06 %)
Majorité absolue

Analyse[modifier | modifier le code]

Électeurs faisant la queue pour voter dans la Circonscription de Tangney
Résultat par circonscription électorale

L'amendement ne parvient à recueillir aucune des deux conditions nécessaires à sa validation, les électeurs australiens votant contre à une large majorité d'un peu plus de 60 % des suffrages au niveau national, ainsi que dans chacun des six États[31].

Seul le Territoire de la capitale australienne exprime une majorité de votes pour, le Territoire du Nord votant quant à lui majoritairement contre. N'ayant pas le statut d’États, les votes de leur population comptent pour le total national, mais leur total respectifs ne sont pas pris en compte pour la double majorité, qui ne prend en compte que les résultats dans chacun des six États australiens.

L'échec du référendum constitutionnel est largement attribué à l'absence de soutien bipartisan, puisque la « Voix » n'avait pas l'appui du Parti libéral, tandis qu'une partie des électorats aborigène et progressiste le jugeait insuffisant. Cette faiblesse a pesé de manière décisive face à une Constitution australienne jugée très difficile à modifier, seuls 8 amendements ayant réussi à obtenir la double majorité des voix et des États sur un total de 45 tentatives depuis son entrée en vigueur en 1901. Les tentatives réussies bénéficiaient chaque fois du soutien combiné du gouvernement et de l'opposition. La Constitution n'a ainsi pas connu de changement depuis 46 ans, le dernier référendum constitutionnel réussi ayant eu lieu en 1977[32],[33]. Selon une étude de l'université nationale australienne, la plupart des Australiens soutiennent la mise en place de mesures par les autorités pour aider les Aborigènes souffrant de désavantages en raison de l'héritage des politiques passées, mais ne soutiennent pas ce qu'ils perçoivent comme une mesure de « division » qui accorderait des droits différenciés à différents citoyens selon leur appartenance ethnique. L'étude montre également que le citoyen « type » ayant voté « non » vit en milieu rural ou dans une petite ville, est plutôt pauvre, plus âgé que la moyenne, et est issu de l'immigration non-anglophone. L'étude montre, enfin, qu'environ 85 % des Australiens auraient voté « oui » s'il s'était agi simplement de reconnaître officiellement les peuples autochtones dans la Constitution[34].

Le Premier ministre Anthony Albanese reconnait la défaite du projet au soir du scrutin. Déclarant respecter la décision de la population australienne et le processus démocratique, il promet de continuer à se battre pour réduire les inégalités subies par les indigènes et à promouvoir la réconciliation[35].

Le chef de l'opposition Peter Dutton appelle quant à lui les électeurs à ne pas se laisser diviser par le résultat. Il réitère sa promesse de mettre en place une commission d’enquête sur les cas de maltraitance d'enfants indigènes ainsi qu'un audit des programmes d'aides afin de mieux cibler les besoins des communautés concernées[35].

Des représentants d'Aborigènes s'indignent du résultat en participant à une « semaine de silence » , et interprètent son échec comme un rejet massif de la part de la majorité blanche du pays[36], même si les blancs ont moins voté « non » que les personnes issues de l'immigration non-blanche[34]. Linda Burney, la ministre des Australiens autochtones et elle-même aborigène, décrit le résultat du référendum comme « un jour de tristesse » et promet de continuer à être l'écoute des Aborigènes. À l'inverse, Jacinta Price, aborigène et principale porte-parole de la campagne pour le « non », appelle à ce que ce soient les voix des Aborigènes marginalisés, les Aborigènes pauvres et parfois non-anglophones vivant dans des communautés reculées, qui soient écoutées plutôt « la classe moyenne de l'Australie aborigène » qui, selon elle, ne se préoccupe pas de leurs intérêts[37].

L'échec du référendum a par ailleurs pour effet de geler le projet du gouvernement d'en organiser un autre sur le passage de l'Australie à un système républicain en mettant fin à la monarchie[38].

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en-US) « Uluru Statement Language Translations », transcription audio et pdf dans de nombreuses langues dont le français, sur Uluru Statement from the Heart (consulté le )
  2. « Australie : le Premier ministre conservateur Scott Morrison reconnaît sa défaite aux législatives », sur Franceinfo, (consulté le ).
  3. « Australie : le nouveau premier ministre obtient la majorité à la Chambre des représentants », sur LEFIGARO, lefigaro, (ISSN 0182-5852, consulté le ).
  4. « En Australie, les défis d’Anthony Albanese, le nouveau premier ministre travailliste », sur Le Monde.fr, Le Monde, (ISSN 1950-6244, consulté le ).
  5. « Aborigènes : en Australie, un référendum pour avoir voix au chapitre », sur Libération, Libération (consulté le ).
  6. a b et c (en) « What is the Indigenous voice to parliament, how would it work, and what happens next? », sur the Guardian, (consulté le ).
  7. a et b (en) « The government is being asked for detail on the Voice. Here's what we know », sur NITV, NITVAustralia (consulté le ).
  8. a b c d et e « Australie : vers l’organisation d’un référendum visant à donner une « voix » aux Aborigènes au Parlement », sur Le Monde.fr, Le Monde, (ISSN 1950-6244, consulté le ).
  9. a et b (en) Angelica Silva, « What is the Indigenous Voice to Parliament? Here's how it would work and who's for and against it - ABC News », sur www.abc.net.au, (consulté le ).
  10. (en) « The referendum count », sur Australian Electoral Commission (consulté le ).
  11. (en) « Chapter VIII. Alteration Of The Constitution. », sur www.aph.gov.au, (consulté le ).
  12. (en) Matthew Doran, « Indigenous Voice to Parliament referendum bill passes lower house - ABC News », sur www.abc.net.au, (consulté le ).
  13. a b c et d « Australie : le Sénat ouvre la voie à un référendum sur les droits aborigènes », sur Le Figaro.fr, Le Figaro, (ISSN 0182-5852, consulté le ).
  14. (en) Simon Benson, « Indigenous voice to parliament: Anthony Albanese at record low approval ratings as No vote overtakes Yes for the first time, according to Newspoll », sur www.theaustralian.com.au, theaustralian (consulté le ).
  15. (en) "Voice referendum: Australia to hold historic Indigenous vote in October", BBC News, 30 août 2023
  16. « Australie : début du vote anticipé sur les droits des Aborigènes », sur TV5MONDE - Informations, (consulté le ).
  17. (en) Nick Gibbs, « Explanation of voice can be improved, Qld premier says », sur The Canberra Times, (consulté le ).
  18. « En Australie, un référendum sur la reconnaissance des peuples premiers dans la Constitution », sur Le Monde.fr, Le Monde, (ISSN 1950-6244, consulté le ).
  19. « En Australie, un référendum pour reconnaître la population aborigène », sur Libération, Libération (consulté le ).
  20. (en) Michelle Grattan, « There'll be a lot more talk before we hear the Indigenous Voice », sur The Conversation, https:facebook.comConversationEDU, (consulté le ).
  21. « Federal Liberal ranks split on Voice to Parliament ».
  22. (en) Amy Landsey, « Split emerges within Nationals over Indigenous Voice », sur skynews, Sky News Australia (consulté le ).
  23. (en) Georgia Hitch, « Liberal Party confirms it will oppose the Indigenous Voice to Parliament - ABC News », sur www.abc.net.au, (consulté le ).
  24. (en) « Peter Dutton pledges to hold second referendum if Voice vote fails », sur 9news.com.au (consulté le ).
  25. (en) "No campaign says Voice proposal would divide the country", Australian Broadcasting Corporation, 30 août 2023
  26. (en) "Warren Mundine accuses Anthony Albanese of dividing nation on race over the Voice", News.com.au, 30 août 2023
  27. (en) "Jacinta Nampijinpa Price answers your questions on the No campaign's Voice position", Special Broadcasting Service, 4 septembre 2023
  28. (en) "Lead Yes spokesman reveals he agrees with No campaigner Jacinta Price, but says Voice still needed", News.com.au, 23 juillet 2023
  29. (de) « Australien, 14. Oktober 2023 : Stimme der Urbevölkerung ».
  30. (en) Australian Electoral Commission, « National results », sur Australian Electoral Commission, (consulté le ).
  31. « En Australie, les droits des Aborigènes essuient un « non » lors d’un référendum », sur Le Monde.fr, Le Monde, (ISSN 1950-6244, consulté le ).
  32. (en) Amy Maguire, « Explainer: Australia has voted against an Indigenous Voice to Parliament. Here’s what happened », sur The Conversation, https:facebook.comConversationEDU, (consulté le ).
  33. (en) [{@type:Person, « Australia rejects proposal to recognise Aboriginal people in constitution », sur the Guardian, (consulté le ).
  34. a et b (en) Centre Director et [email protected], « Detailed analysis of the 2023 Voice to Parliament Referendum and related social and political attitudes », sur ANU Centre for Social Research & Methods, (consulté le )
  35. a et b (en) Michelle Grattan, « View from The Hill: Anthony Albanese promises to continue to 'advance reconciliation' despite sweeping defeat of referendum », sur The Conversation, https:facebook.comConversationEDU, (consulté le ).
  36. « Australie : des responsables aborigènes dénoncent le résultat « honteux » du référendum sur leurs droits en Australie », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  37. (en) "From ‘gut-wrenching’ to ‘respect’: how prominent Australians reacted to the voice referendum result", The Guardian, 14 octobre 2023
  38. (en) bbcnews, « Australia puts republic referendum plan on hold », sur BBC News (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]