L.H.O.O.Q. — Wikipédia

L.H.O.O.Q.
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Dimensions (H × L)
19,7 × 12,4 cmVoir et modifier les données sur Wikidata
No d’inventaire
MVoir et modifier les données sur Wikidata
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L.H.O.O.Q. est une œuvre d'art de 1919 de Marcel Duchamp, parodiant La Joconde de Léonard de Vinci. Son titre est à la fois un homophone du mot anglais look[1] et un allographe[2] que l'on peut ainsi prononcer : « elle a chaud au cul ». L'œuvre s'inscrit à la fois dans la série de ready-mades créés par Duchamp (il s'agit d'une reproduction de La Joconde surchargée par l'artiste), et dans le mouvement dada.

Description[modifier | modifier le code]

Le support consiste en un format portrait proche de celui de l'estampe (19,7 × 12,4 cm)[3] reproduisant La Joconde que Duchamp a surchargée d'une moustache, d'un bouc et des lettres qui donnent le titre à l'œuvre (L.H.O.O.Q.).

L'original est parfois défini comme une carte postale[4]. Duchamp lui-même le décrit comme « un chromo 8 × 5 (pouces) bon marché »[5].

Esthétique[modifier | modifier le code]

De Vinci, La Joconde.

« En 1919, quand Dada battait son plein, et que nous démolissions beaucoup de choses, Mona Lisa est devenue la première victime, je lui ai mis une moustache et un bouc sur le visage, avec seulement l’idée de la désacraliser. »

— Marcel Duchamp[6]

L.H.O.O.Q. s'inscrit dans le courant des ready-mades créés par l'artiste et participe de sa volonté de questionner l'art, lançant ainsi un défi à la peinture[7].

L'œuvre ayant d'abord été réalisée à titre privé[n 1], Francis Picabia en a réalisé en 1920 une reproduction approximative pour sa revue 391, oubliant de dessiner le bouc[9]. En effet, Duchamp avait donné à Picabia l'autorisation de reproduire son œuvre, mais étant à New York avec l'original, il avait envoyé celui-ci à Picabia, qui ne le reçut pas à temps pour l'impression de la revue[10].

Duchamp parle à son égard d'une combinaison de ready made et de « dadaïsme iconoclaste »[n 2]. Picabia fait de l'œuvre le manifeste du mouvement Dada, dont l'implantation à Paris est en effet contemporaine. Marcel Duchamp, déjà reconnu à cette époque, démontre qu'un simple « gribouillage » fait de la carte postale une œuvre à part entière. Le côté dadaïste vient principalement de la désacralisation de La Joconde, insultée (L.H.O.O.Q. = Elle a chaud au cul, en épelant les lettres) et peinte, sans compter le côté humoristique du jeu de mots propre aux dadaïstes.

Le geste de Marcel Duchamp se comprend en rapport à la publication en 1910 de l'essai Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci[11] dans lequel Sigmund Freud parle de l'incapacité de l'artiste à terminer son œuvre, de la sublimation de la vie dans l'art et surtout de son homosexualité.

En outre, suivant certaines thèses, le modèle de La Joconde aurait effectivement été un homme. D'une façon générale, l'ambiguïté entre le genre masculin et le genre féminin est caractéristique de Léonard de Vinci[réf. nécessaire]. Marcel Duchamp lui-même change volontiers d'identité à cette époque, choisit le pseudonyme de Rrose Sélavy et se fait photographier en femme par Man Ray.

Le fait qu'il s'agisse d'une simple reproduction de La Joconde est toutefois contesté par Rhonda R. Shearer (en), qui y voit une adaptation au propre visage de Duchamp[12].

Muséographie[modifier | modifier le code]

Elle est à ce jour la propriété du Parti communiste français (PCF), qui l'a placée en dépôt pour 99 ans au musée national d'Art moderne du centre Pompidou[13]. Elle a été offerte au PCF par le poète Louis Aragon, qui l'avait reçue en cadeau de Duchamp lui-même. Elle a été prêtée à la Royal Academy of Arts en 2002[14].

Selon Arturo Schwarz, dans The Complete Works of Marcel Duchamp, l'œuvre appartenant au Parti communiste n'est qu'une réplique de 1930, d'ailleurs d'un format plus grand (64,7 × 48,2 cm contre 19,7 × 12,4 cm pour l'« original »). Elle aurait été offerte par Aragon qui la tenait de Hans Arp. L'originale, L.H.O.O.Q. 1919, est indiquée par Schwarz appartenir à une collection privée à Paris. Il y aurait six répliques de cette œuvre, celle du PCF ci étant la seconde. L.H.O.O.Q. 1930 a été exposée en 1930 à Paris par Louis Aragon, avec quatre autres œuvres de Duchamp, dans l'exposition intitulée La Peinture au défi ; Duchamp a révélé qu'il avait recréé cette œuvre dans ce but[15].

Duchamp en a créée une autre version en 1964. Elle appartenait à la collection d'Arthur Brandt jusqu'à sa vente aux enchères par Sotheby's en pour 631 500 [16].

Antécédents[modifier | modifier le code]

Mona Lisa fumant la pipe.

Pour l'exposition des Arts incohérents, en 1883, Sapeck réalise Mona Lisa fumant la pipe qui préfigure l'œuvre de Marcel Duchamp en 1919[17] ; elle est publiée en 1887 dans Le Rire de Coquelin cadet[18]. Ainsi, « la même œuvre d’art a été associée par les deux artistes à un élément totalement contradictoire, tant par la forme que par l’intention. […] il était question pour l’un comme pour l’autre de bafouer, de profaner une icône[19]. » Au-delà de cette comparaison entre les deux œuvres, c’est dans sa « manière d’envisager l’humour » que Sapeck est considéré comme un précurseur de Duchamp[19]. Des Jocondes à moustaches ont été réalisées avant Duchamp et bien sûr après ; on en dénombre environ 180[20]; la première, probablement, est publiée dans Le Monde pour rire en 1870[21].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Morando 2014, p. 39. Il déclarera plus tard : « Qu’est-ce que j’en ai fait d’ailleurs de cette Joconde, à ce moment-là ? Rien. J’ai dessiné une moustache et une barde, ça a été tout. Je ne l’ai montrée nulle part[8]. »
  2. « Cette Joconde à moustache et à bouc est une combinaison ready-made/dadaïsme iconoclaste. L’original, je veux dire le ready-made original est un chromo 8 × 5 (pouces) bon marché au dos duquel j’écrivis quatre [sic] initiales qui, prononcées en français, composent une plaisanterie très osée sur la Joconde[5]. »

Références[modifier | modifier le code]

  1. Dalia Judovitz (en) (trad. Annick Delahèque et Frédéric Joseph), Déplier Duchamp : Passages de l'art, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Peintures », , 247 p. (ISBN 2-85939-610-1), p. 134.
  2. Colette Guedj, « Sur quelques procédés verbo-visuels dans Corps et biens », Signes, no 18,‎ , p. 87.
  3. (en) « L.H.O.O.Q. », National Gallery of Art (version du sur Internet Archive).
  4. Marc Partouche, Marcel Duchamp : “J'ai eu une vie absolument merveilleuse”, biographie 1887-1968, Marseille, Images en manœuvres, coll. « Une vie d'artiste », , 157 p. (ISBN 2-908445-03-4 et 2-908445-09-3), p. 144, repris dans Partouche 2005, p. 192 [lire en ligne].
  5. a et b Marcl Duchamp, « À propos de moi-même », dans Michel Sanouillet (dir.) et Paul Matisse (dir.), Duchamp du signe suivi de Notes, Paris, Flammarion, coll. « Écrits d'artistes », , 430 p. (ISBN 978-2-08-011664-2), p. 212.
  6. (en) Marcel Duchamp (interviewé) et Herbert Crehan (intervieweur), « Dada », Evidence, no 3,‎ , p. 36 (lire en ligne), citée par Décimo 2014, p. 66.
  7. Morando 2014, p. 39.
  8. Marcel Duchamp : entretiens avec Pierre Cabanne, Paris, Allia, , 172 p. (ISBN 978-2-84485-894-8), p. 73.
  9. Manou Farine, « Jean-Hubert Martin : « À Paris, j’ai voulu rester dans l’esprit dada » », L'Œil, no 601,‎ (lire en ligne).
  10. Francis M. Naumann (en), « L.H.O.O.Q. de Marcel Duchamp : La fabrication d'une réplique originale », Étant donné, no 3,‎ , p. 147–153 (147).
  11. Paul B. Franklin, « Portrait d'un poète en jeune homme bi : Pierre de Massot, Marcel Duchamp et l'héritage Dada », Étant donné, Association pour l'étude de Marcel Duchamp, no 2,‎ , p. 56–85 (66).
  12. (en) Marco de Martino (trad. Camillo Olivetti), « Mona Lisa », Art Science Research Laboratory, .
  13. Sylvia Zappi, « Financièrement exsangue, le PCF fait évaluer les œuvres d'art de son siège », Le Monde, .
  14. Maurice Ulrich, « L.H.O.O.Q. à Londres », L'Humanité, (version du sur Internet Archive).
  15. Marcel Duchamp, Francis M. Naumann (en) (dir.) et Hector Obalk (dir.) (trad. Jill Taylor), Affectionately, Marcel : The Selected Correspondence of Marcel Duchamp, Gand, Ludion, , 406 p. (ISBN 90-5544-249-6, lire en ligne), p. 171, lettre no 102 : « J'ai fait, juste avant de quitter Paris, une Joconde pour Aragon qu'il doit exposer galerie Goëmans [...] Man Ray a eu la 1re Joconde », lettre à Jean-Joseph Crotti du , citée dans Marc Partouche, Marcel Duchamp : Sa vie, même, biographie 1887-1968, Romainville, Al dante, coll. « & », , 203 p. (ISBN 2-84761-094-4), p. 112 [lire en ligne].
  16. « Art. Une Joconde moustachue de Marcel Duchamp vendue 631 500  », Ouest-France, .
  17. Marc Décimo, Marcel Duchamp et l'érotisme, Dijon, Les Presses du réel, coll. « L'écart absolu », , 317 p. (ISBN 978-2-84066-225-9).
  18. Ernest Coquelin (ill. Sapeck), Le Rire, Paris, Paul Ollendorff, , 152 p. (BNF 36576894), p. 5 [lire en ligne].
  19. a et b Annabelle Görgen-Lammers (trad. Nathalie Paulme), « Les fumistes entre eux. Le surréalisme et les Arts incohérents. Marcel Duchamp et Alphonse Allais », dans Julia Drost et Scarlett Reliquet, Le splendide XIXe siècle des surréalistes (colloque organisé par le Musée d'Orsay et le Centre allemand d'histoire de l'art, Paris, 25-26 juin 2009), Presses du réel, coll. « Œuvres en sociétés », (ISBN 978-2-84066-641-7, présentation en ligne), p. 289« Le splendide XIXe siècle des surréalistes : héritage et détournement (26/06/2009) », sur www.musee-orsay.fr. Voir aussi son article « Les œuvres anthumes, posthumes, et les autres : Marcel Duchamp, fumiste, et « un tremblement de terre de l’esprit » dans Debray 2014, p. 54-59.
  20. Marc Décimo, Les Jocondes à moustaches, Dijon, Les Presses du réel, coll. « Les hétéroclites », , 314 p. (ISBN 978-2-84066-725-4, présentation en ligne).
  21. Hector Moloch, « La femme à barbe », reproduction dans Décimo 2014a, p. 69.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]