Empire du Japon — Wikipédia

Empire du Japon
(ja) 大日本帝國
(Dai Nippon Teikoku)

3 janvier 1868 – 3 mai 1947
(79 ans et 4 mois)

Drapeau
Drapeau de l'empire du Japon (à partir de 1870)
Blason
Emblème
Hymne 君が代 (depuis 1880) (Kimi ga yo, « Votre règne »)
Description de cette image, également commentée ci-après
L'empire du Japon à son apogée (1942)

En vert foncé : territoire japonais ().
En vert : acquisitions et occupations ().
En vert clair : occupation et États satellites ().
En pointillés : mandat des îles du Pacifique ().
Informations générales
Statut Monarchie
Texte fondamental Constitution de 1889
Capitale Kyoto ()
Tokyo (à partir de 1869)
Langue(s) Japonais
Religion Shintoïsme
Monnaie Yen [I 1]
Démographie
Population (c. 1935) 97 770 000
Densité (c. 1935) 144,8 hab./km2
Superficie
Superficie (c. 1935) 675 000 km2
Histoire et événements
Restauration Meiji
Abolition du système han
1re Constitution
Première guerre sino-japonaise
Guerre russo-japonaise
Seconde guerre sino-japonaise
Guerre du Pacifique (Seconde Guerre mondiale)
Capitulation
Entrée en vigueur d'une nouvelle constitution. Fin officielle de l'empire du Japon.
Empereur du Japon
Meiji
Taishō
Shōwa
Diète impériale du Japon
Chambre haute Chambre des pairs
Chambre basse Chambre des représentants

Entités précédentes :

Entités suivantes :

  1. Le yen coréen est officiel en Corée à partir de 1910 et le yen taïwanais à Taïwan à partir de 1896.

L'empire du Japon (en japonais 大日本帝國 (kyūjitai) / 大日本帝国 (shinjitai), prononcé Dai Nippon Teikoku, littéralement « empire du Grand Japon ») est le régime politique que connaît le Japon de la restauration de Meiji en 1868 à la capitulation du pays en 1945. Le pays sort du régime shogunal des Tokugawa qui caractérisait la période précédente pour adopter des institutions relevant de la monarchie constitutionnelle : l'empereur est formellement à la tête du pays et, au travers d'institutions encadrées par une constitution, un gouvernement progressivement issu d'un parlement bicaméral le dirige. Le Japon connaît initialement un glissement vers un fonctionnement de plus en plus démocratique de ses institutions, culminant lors de la période de la Démocratie Taishō dans les années 1910 et 1920, avant de connaître une dérive militariste marquée par les tentatives de coup d'État des 15 mai 1932 et 26 février 1936, puis par la prise de pouvoir effective des militaires à partir de 1937 et jusqu'à la capitulation du pays.

Sur le plan international, le statut du pays évolue considérablement, qui passe en quelques années de la domination par les Occidentaux à un rôle international de premier plan. Si, au milieu du XIXe siècle, le Japon est contraint de signer des traités inégaux avec les puissances occidentales, il parvient, dès 1894, à obtenir leur révision puis à signer des traités d'alliance avec elles, le premier en 1902 avec le Royaume-Uni. Dans le même temps, le Japon devient une puissance régionale en parvenant à vaincre militairement ses grands voisins, d'abord la Chine en 1895, puis la Russie en 1905. Ces victoires dotent le pays de ses premières colonies, Taïwan à partir de 1895 et la Corée à partir de 1910. Par la suite, le pays poursuit une politique expansionniste qui vise à constituer une vaste zone d'influence en Asie. C'est ainsi que le Japon s'engage dans une série de conflits contre la Chine à partir de 1937 et contre les Alliés à partir de 1941 — conflit qu'il perd en 1945, entaché de crimes de guerre qui donnent lieu au procès de Tokyo en 1946.

Lors de cette période, le pays se modernise rapidement, grâce au recours à de nombreux conseillers étrangers, mais aussi à l'envoi de nombreux Japonais à l'étranger pour se former. Cette modernisation touche à la fois les domaines économiques et industriels — et entraîne la constitution de grands conglomérats que sont les Zaibatsu —, mais aussi artistiques. L'urbanisation rapide que connaît le pays voit l’apparition de nouveaux modes de consommation et l'émergence d'une culture de masse qui marque profondément la culture du pays. Le cinéma japonais fait ses débuts dès 1899, alors que la littérature, l'architecture, ou encore la peinture connaissent un grand dynamisme, en intégrant des influences étrangères et en faisant émerger des formes d'expression propres au pays. L'attrait pour la culture japonaise est aussi perceptible à l'étranger, et celle-ci jouit d'une certaine influence dans les milieux artistiques internationaux, engendrant notamment le japonisme.

Histoire politique[modifier | modifier le code]

Crises du régime shogunal à la fin de l'ère Edo[modifier | modifier le code]

Lors de ses trente dernières années d'existence, le shogunat Tokugawa, qui dirige le Japon depuis 1603, est confronté à trois séries de crises de différentes natures qui ébranlent ses fondations. La première période de crises est déclenchée par la grande famine Tenpō qui frappe l'archipel de 1833 à 1837. Aux centaines de milliers de morts enregistrés dans le pays[1] s'ajoute la rébellion de Ōshio Heihachirō en 1837, qui vise à débarrasser le pays des fonctionnaires corrompus, accusés d'avoir aggravé la crise par leur cupidité[2]. Les autorités shogunales promeuvent alors Mizuno Tadakuni. Pour répondre au mécontentement de la population, celui-ci engage les réformes Tenpō[3], qui se soldent par un échec, et aggravent au contraire la perte de confiance envers le régime. Dans le même temps, de grands seigneurs locaux tirent leur épingle du jeu en modernisant efficacement leurs fiefs — notamment les domaines de Satsuma et de Chōshū, qui disposent de forces militaires équipées d'armes modernes[4].

Une deuxième période de crises s'ouvre lors des années 1840 et 1850, dominée par les questions internationales. Lors de la première guerre de l'opium, la victoire du Royaume-Uni en 1842, face à la Chine, puissance dominante du continent, fait prendre conscience aux différentes élites du pays de la menace que représente la puissance des Occidentaux pour le Japon[1]. La menace se concrétise en 1853, lorsque l'amiral américain Matthew Perry et ses « navires noirs » arrivent dans la baie d'Edo et réclament l'ouverture de relations diplomatiques et commerciales avec le pays[5]. En ce qui concerne la réponse à donner à ces demandes, des lignes de fracture apparaissent entre les responsables du shogunat, les grands seigneurs, et la cour impériale — ce qui contribue à affaiblir le pouvoir shogunal[6]. Un traité d'amitié est finalement signé en 1854 avec les Américains, puis un traité commercial avec les puissances européennes, en 1858[7]. Si la menace militaire occidentale ne se matérialise pas lors de cette période[n 1], l'ouverture du marché intérieur aux Occidentaux est à l'origine de plusieurs crises politiques et économiques, alors qu'une inflation galopante frappe le pays[8].

Peinture d'une grande pièce dans un palais japonais. L'empereur du Japon est visible au centre, entouré de dignitaires à genoux devant lui.
Restitution des pouvoirs du shogun Tokugawa Yoshinobu à l'empereur Meiji en 1867.

La troisième et dernière période de crises agite les dix dernières années du régime. Ces crises, à la fois économiques, politiques et sociales, provoquent la chute du régime[1]. Les responsables du shogunat Tokugawa se divisent en deux branches, l'une conservatrice dirigée par Ii Naosuke, l'autre réformiste. Cette dernière branche est frappée par la purge d'Ansei en 1858-1859, avant que l'aile conservatrice ne soit elle aussi victime de l'assassinat de son dirigeant Ii Naosuke, lors de l'incident de Sakuradamon en 1860[9]. Les samouraïs issus des couches les plus défavorisées émergent en 1860-1862, comme une force politique importante, susceptible de s'opposer au pouvoir shogunal. En 1867, un courant d'agitation populaire et festif, le Ee ja nai ka, réunit cinq à six millions de personnes dans le pays. Le rapport de force entre le shogunat Tokugawa et la maison impériale s'inverse lors de la décennie. L'empereur apparait de plus en plus comme le plus apte à assurer le salut du pays[10]. La mort du shogun Tokugawa Iemochi en 1866 et celle de l'empereur Kōmei en 1867 précipitent la transition politique. Le nouveau shogun Tokugawa Yoshinobu décide de « restituer ses pouvoirs » au nouvel empereur Meiji en . La transition ne se fait pas sans heurts, et les forces des domaines de Satsuma et de Chōshū, favorables à l'empereur, affrontent les dernières forces shogunales lors de la guerre de Boshin en 1868-1869[11].

Premières réformes du régime (1868-1873)[modifier | modifier le code]

Photo noir et blanc d'un homme assis sur un fauteuil, en tenue impériale officielle, un sabre à la hanche, un bicorne posé sur une table à gauche.
L'empereur Meiji, photographié par Uchida Kuichi en 1873.

Dans sa première déclaration en 1868, l'empereur présente une loi fondamentale — le Serment en cinq articles, prélude à une constitution et gage de liberté d'expression — et indique qu'une lutte contre la hausse des prix va être entreprise. Une coalition instable est alors au pouvoir, composée du parti anti-shogunal et centrée sur les leaders du domaine de Satsuma et sur les nobles de la cour[12]. Le nouveau gouvernement restitue leur fief aux Tokugawa, cependant amputé des quatre cinquièmes de son revenu. Le début de l'ère Meiji est proclamé en . Le premier organe de gouvernement de ce nouveau régime est un conseil honorifique : celui-ci tente de maintenir encore un équilibre entre, d'une part les domaines ayant participé au renversement de l'ancien régime, d'autre part la noblesse de cour[13].

Lors des mois suivants sont opérés plusieurs changements d'organisation, ce qui permet l'émergence de personnalités comme Ōkubo Toshimichi, Kido Takayoshi et Iwakura Tomomi. Du au sont publiées 34 ordonnances importantes, allant de la suppression des monnaies locales jusqu'à l'interdiction de certains châtiments corporels[14]. Une réforme territoriale remplaçant les anciens domaines par des préfectures est menée à bien au deuxième semestre 1869[15], avec comme conséquence principale une plus grande centralisation de l'État. Un impôt foncier est introduit en 1873 pour garantir une recette publique stable. De 1868 à 1875, de grandes réformes d'inspiration occidentale sont entreprises — touchant l'éducation, l'armée et le système juridique — et des experts étrangers sont engagés[16].

Fin 1871, Ōkubo, Kido et Iwakura laissent leur place à la tête du gouvernement pour prendre la direction de la mission diplomatique Iwakura — laquelle doit traverser les États-Unis et l'Europe pour renégocier les traités inégaux mais aussi s'informer sur les sociétés et technologies occidentales. Le gouvernement qu'ils laissent derrière eux doit en théorie se limiter à la gestion des affaires courantes et se tenir à l'écart de décisions politiques trop critiques. Saigō Takamori, Itagaki Taisuke, Ōkuma Shigenobu et Etō Shinpei, qui dirigent ce gouvernement d'intérim, se lancent au contraire dans de grandes réformes : en 1872, la scolarité est rendue obligatoire au primaire, toute forme de trafic d'êtres humains (travailleurs, prostitués…) est interdite, le calendrier grégorien est adopté et, l'année suivante, sont instituées une nouvelle taxe foncière ainsi que la conscription[17]. Dans le même temps, au cours de leurs voyages, les membres de la mission Iwakura acquièrent la conviction que le Japon doit se lancer dans une modernisation radicale, pilotée par un État fort, et mise en œuvre de manière progressive. Si les réformes de ce gouvernement d'intérim ne sont pas remises en cause lors du retour de la mission Iwakura, les deux camps ont en revanche l'occasion de s'opposer au sujet du Seikanron — projet d'invasion de la Corée en 1873, repoussé par l'empereur, qui prend ainsi le parti d'Iwakura[18].

Les soutiens du projet d'invasion de la Corée mis en minorité, comme Etō Shinpei, Gotō Shōjirō, Saigō Takamori, quittent le gouvernement. Certains, comme Etō, prennent la tête de rébellions locales (rébellion de Saga en 1874 pour Etō, rébellion Shinpūren en 1876…). Saigō en particulier prend la tête de la rébellion de Satsuma en 1877, dernière grande révolte de samouraïs, dont la répression achève d'asseoir la légitimité du nouvel État[19].

Atermoiements sur la forme du régime (1873-1890)[modifier | modifier le code]

Déjà mentionnée dans la Charte du serment de 1868, l'adoption d'une constitution fait partie des premières promesses du régime. Ce projet devient un symbole politique fort de l'accession du Japon à un nouveau rang civilisationnel. Dès le début des années 1870, des ébauches sont rédigées au sommet de l'État, mais celles-ci restent sans suite. Dans le même temps, les intellectuels s'emparent du sujet — très largement discuté dans la presse —, qui touche alors des millions de lecteurs. La conférence d'Osaka de 1875 réunit plusieurs responsables d'opposition pour en débattre. Un décret de 1875 réaffirme la promesse d'adoption d'une constitution, mais sans précision de date ou de délai. En 1881, l'accumulation de crises politiques (dont l'affaire du bureau de colonisation de Hokkaidō) cristallise le mécontentement de la population. Pour apaiser les oppositions, le pouvoir décide par décret de la mise en place d'une constitution et d'un parlement dans les dix ans[20].

Les débats s'articulent autour de deux grandes tendances. D'un côté, les personnes à la tête du régime — comme Ōkubo, puis Itō Hirobumi — sont favorables à un État autoritaire et fort, mieux à même selon eux de faire aboutir les politiques nécessaires à la modernisation du Japon. Face à eux, les tenants d'une ligne libérale sont favorables à un plus grand droit laissé au peuple, garant d'une plus grande légitimité pour le régime. Cette dernière ligne est défendue par des responsables politiques comme Itagaki ou Ōkuma, et rassemble de nombreux membres au sein du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple[21], puis au sein des partis Rikken Kaishintō et Jiyūtō[22]. Ces mouvements deviennent rapidement populaires — à tel point que le gouvernement peine à les contenir —, mais sont aussi gagnés par une certaine radicalité. Les années 1884-1885 connaissent un pic de violence avec des évènements comme les incidents de Chichibu et ceux d'Ōsaka, qui entraînent l'intervention de l'armée. Les plus modérés finissent par quitter ces partis, qui dès lors perdent en influence[23]. Toujours en 1885, la population critique abondamment le manque d'autorité du gouvernement à l'international, lors du coup d'État de Gapsin en Corée, qui menace les intérêts du Japon face à ceux de la Chine[24].

Le régime s'oriente alors vers une monarchie laissant le pouvoir suprême à l'empereur[25]. Les institutions qui régissent l'État, modelées sur le régime des codes, sont réformées en 1885 et un système de cabinets ministériels à l'européenne est adopté. À sa tête, est placé le cabinet du Premier ministre. Le système des kazoku et des shizoku est réformé de manière à préparer l'instauration d'une chambre haute dont les membres proviendraient d'une aristocratie cooptée[26]. Si les débats s'articulent autour de deux modèles de constitution européenne — l'une britannique et libérale, l'autre prussienne et autoritaire —, le projet développé reflète le rapport de force entre les soutiens de ces deux modèles. La constitution retenue énumère un certain nombre de droits civils et dote le parlement de deux chambres, dont l'une, élue au suffrage direct, est autorisée à rédiger des lois et à voter le budget. Cependant, c'est à l'empereur que répondent le gouvernement et l'armée[27].

C'est le qu'une constitution est effectivement adoptée, qui fixe la répartition des pouvoirs[28]. La date est choisie pour correspondre à la date anniversaire de la fondation mythique du Japon par le premier empereur Jinmu et la constitution est présentée comme un « cadeau accordé par l'empereur à ses sujets »[29].

Débuts du parlementarisme japonais (1890-1900)[modifier | modifier le code]

Les premières élections législatives de l'histoire du pays se tiennent en juillet 1890, et placent le Jiyūtō et le Rikken Kaishintō en tête de la représentation nationale, rassemblant à eux deux 170 des 300 sièges de la chambre des représentants[30]. Ces deux partis s'opposent à l'oligarchie — qui tient toujours le pouvoir dans la chambre des pairs et qui décide de la composition du gouvernement. La puissance réelle du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō est cependant amoindrie par la faiblesse de leur base électorale. Du fait du suffrage censitaire, seul 1 % des Japonais dispose du droit de vote lors de cette première élection, ce qui amoindrit la légitimité de ces partis et exclut d'autres mouvements de masse de la représentation démocratique[31].

Les premiers gouvernements formés par l'oligarchie continuent de relever du rapport de forces déjà présent au sein du pouvoir. Les représentants des clans de Satsuma (Matsukata Masayoshi…) et de Chōshū (Yamagata Aritomo, Itō Hirobumi…) se répartissent les postes avec une grande régularité[32]. La chambre des représentants s'oppose régulièrement à ces gouvernements nommés par l'empereur, dans le but d'obtenir plus de pouvoir pour leur assemblée. L'obstruction passe notamment par le refus de vote du budget, tel que présenté par le gouvernement plusieurs années de suite, aspect sur lequel la chambre des représentants dispose de prérogatives[30]. De son côté, le gouvernement a le droit de dissoudre la chambre des représentants — ce qu'il fait à plusieurs reprises, mais sans parvenir à faire évoluer le rapport de force. Les mêmes personnes sont réélues, élection après élection, et la composition de la chambre des représentants évolue peu[33]. Le manque d'assise du gouvernement au sein des assemblées le rend faible et instable, sa composition, ouverte aux évolutions des rapports de force au sein de l'oligarchie[34].

En 1894, le déclenchement de la guerre sino-japonaise en Corée suspend provisoirement l'opposition entre la chambre des représentants et le gouvernement, dans une forme d'« union sacrée » autour de la figure de l'empereur. En , les puissances occidentales contestent certains points du traité de Shimonoseki et mettent fin à la guerre contre la Chine, ce qui favorise les échanges entre membres de l'oligarchie et responsables de partis de la chambre des représentants[30]. L'oligarchie prend conscience que sans les partis de la chambre des représentants, aucune stabilité institutionnelle n'est possible, tandis que les partis de la chambre des représentants comprennent qu'ils ne pourront jamais accéder au pouvoir sans d'abord accéder au gouvernement. Les deux camps commencent ainsi à passer des alliances ponctuelles, de manière à étendre leurs zones d'influence respectives[35].

En est instauré le premier gouvernement reposant sur une alliance entre l'oligarchie et un parti de la chambre des représentants. En , le Premier ministre Itō Hirobumi nomme le président du Jiyūtō, Itagaki Taisuke, ministre de l'Intérieur. La recherche d'alliances entre oligarchie et partis de la chambre des représentants est renouvelée quatre fois entre 1895 et 1900, et aboutit à la formation de trois gouvernements de ce type[36]. En 1898, le premier gouvernement reposant exclusivement sur une alliance des partis de la chambre des représentants voit le jour. Le Kenseitō, parti issu de la fusion du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō, soutient la formation d'un gouvernement avec Ōkuma Shigenobu comme Premier ministre. Si le gouvernement ne tient que quatre mois, il inaugure la pratique des gouvernements reposant principalement sur des partis de la chambre des représentants[37].

Le collège électoral de la chambre des représentants connaît une évolution importante en 1900. Le seuil de taxes permettant d'être électeur est abaissé : le nombre d'électeurs passe ainsi de 502 000 en 1898 à 982 000 en 1900. Les circonscriptions électorales sont aussi modifiées et favorisent la population urbaine au détriment des territoires ruraux[38]. Les rapports entre haute-administration et élus sont régulés par une série de décrets autour de 1900. Les hauts fonctionnaires n'ont plus accès aux postes de vice-ministres, et le poste de ministre de la Guerre est limité aux militaires encore actifs les plus gradés. Le système des dépouilles et le pantouflage sont combattus, et le recrutement par concours de la fonction publique est renforcé[39].

Ancrage de la pratique parlementaire (1900-1924)[modifier | modifier le code]

Une recomposition des partis politiques s'amorce en 1900, lorsque Itō Hirobumi et Hoshi Tōru se rapprochent pour fonder le parti Rikken Seiyūkai, unissant à la fois des anciens membres de la chambre des représentants issus du Kenseitō et des membres de la chambre des pairs de différentes tendances. Ce nouveau parti domine la politique japonaise au cours des deux décennies suivantes[40]. Si lors de cette période, ce nouveau parti est majoritaire à la chambre des représentants, il doit y composer avec l'opposition de partis plus faibles, comme le Kensei Hontō. Ces derniers peuvent quant à eux compter sur une alliance avec la faction menée par Yamagata Aritomo à la chambre des pairs, où elle domine. Le rapport de force entre ces deux groupes perdure jusqu'à la fin de l'ère Meiji en 1912[41]. Ce fonctionnement gouvernemental et parlementaire s'ancre dans la pratique politique japonaise et, lors de la décennie suivante, de 1901 à 1913, Katsura Tarō et Saionji Kinmochi occupent de façon alternée le poste de Premier ministre pour le compte de ces deux familles politiques[42].

En 1913, un an après le décès de l'empereur Meiji, la crise politique Taishō met fin à cette répartition du pouvoir et ouvre l'époque de la démocratie Taishō[42]. À la suite d'un conflit avec les dirigeants militaires, le premier ministre Saionji Kinmochi est contraint de démissionner. Souhaitant alors diminuer les dépenses de l'armée pour faire baisser les impôts, il se heurte au refus des militaires de participer au gouvernement[n 2]. Katsura Tarō, un ancien militaire et membre de l'oligarchie, lui succède. Il prend la décision de maintenir le budget de l'armée et s'appuie sur des personnalités de l'oligarchie et sur des proches des anciens clans Satsuma et Chōshū. Katsura doit alors faire face à un mouvement d'opposition mené par des députés. Efficacement relayé par des journalistes issus de l'université Keiō, ce mouvement rencontre un écho favorable dans l'opinion publique, ce qui entraîne des émeutes. Des journaux pro-Katsura sont pris pour cibles et mis à sac[43]. L'armée doit reculer, et accepte de participer à un gouvernement sans avoir de garantie sur son budget[44].

Après la crise politique Taishō de 1913, commence une période d'une quinzaine d'années pendant laquelle se renouvelle la culture parlementaire, avec à la clef une ouverture démocratique. La montée en puissance des classes moyennes et du milieu ouvrier favorise l'éclosion de discours critiques sur l'autoritarisme de l'État[44]. De 1900 à 1920, s'opère un recul des factions politiques liées aux anciens clans du Sud-Ouest, à la bureaucratie et aux hauts fonctionnaires. Cet affaiblissement profite aux diplômés de plusieurs universités qui s'imposent dans certains secteurs. C'est ainsi que la haute fonction publique, la magistrature et les banques accueillent les diplômés de l'université impériale de Tokyo, le monde de la presse et celui des affaires, ceux de l'université Waseda, et la médecine, ceux de l'université Keiō[43]. Une presse libérale s'épanouit et exprime une certaine sympathie envers les revendications chinoises et coréennes lorsque ces pays subissent la répression de l'armée japonaise[45].

La fin des années 1910 connaît plusieurs vagues d'agitation qui marquent le régime. Des émeutes du riz éclatent en 1918, qui provoquent la chute du Premier ministre Terauchi Masatake[44]. Hara Takashi, qui lui succède, organise le premier gouvernement ne comprenant aucun représentant de l'oligarchie. Il amorce plusieurs réformes pour réduire l'influence de ce groupe, comme le retrait de la gestion des colonies par les militaires[45]. L'agitation sociale prend plusieurs formes. Un premier congrès national des syndicats se tient en , qui réclame la journée de 8 heures, ainsi que le suffrage universel[44]. Un premier syndicat agricole se structure en 1922, et le nombre de conflits entre propriétaires terriens et exploitants agricoles se multiplie[46]. En 1922, un premier Parti communiste japonais est créé, mais il est aussitôt interdit par les autorités[45]. En 1925, est votée une loi visant à stopper la montée de l'extrême gauche[47], qui en 1928, à l'issue de la première élection au suffrage masculin, compte huit élus au parlement. Une police politique est mise en place dans chaque préfecture, et certaines activités politiques deviennent passibles de la peine de mort[48].

L'ère des chefs de partis, instauration du bipartisme, instabilité sur les questions internationales (1924-1932)[modifier | modifier le code]

La gestion de la reconstruction après le séisme qui ravage la région de Tōkyō en 1923 et une tentative d'attentat contre l'empereur la même année ont raison du gouvernement de Yamamoto Gonnohyōe, qui démissionne en [49]. Contrairement à la pratique qui commence à s'installer, c'est à Kiyoura Keigo, chef du Conseil privé, que revient la charge de former un gouvernement. Bien que ce gouvernement comporte quelques membres de la chambre des représentants, la majorité des ministres provient de la chambre des pairs. Poussé dans un affrontement avec la chambre des représentants, Kiyoura Keigo dissout l'assemblée et appelle à de nouvelles élections. Celles-ci placent les membres de la chambre des représentants en position de force, et c'est le chef du Rikken Seiyūkai, Katō Takaaki, qui accède au poste de Premier ministre. Dès lors, la pratique de nommer Premier ministre le chef du parti dominant à la chambre des représentants s'impose et est appliquée jusqu'en 1932[50].

Le gouvernement de Katō Takaaki fait aboutir plusieurs réformes importantes. La loi sur les élections législatives de 1925 instaure le suffrage universel masculin, et le Japon passe ainsi de 3,3 millions à 12,5 millions d'électeurs. Katō Takaaki doit cependant concéder une série de lois de préservation de la paix qui durcit le contrôle de certains groupes politiques jugés dangereux pour le régime. Les pouvoirs de la chambre des pairs sont aussi un peu amoindris[50]. Les premières élections législatives organisées selon la nouvelle loi électorale ont lieu en 1928. Deux partis s'imposent alors, le Rikken Seiyūkai et le Rikken Minseitō et alternent au pouvoir jusqu'en 1940, exerçant au moins en façade la direction du gouvernement[51].

Les gouvernements successifs sont confrontés à des problèmes liés à la situation internationale, qui précipitent ou provoquent leur chute[52] : la défense des intérêts japonais en Mandchourie entraîne en juillet 1929 la chute du Premier ministre Tanaka Giichi[53], la gestion de la crise économique de 1929 et de la renégociation du traité naval de Londres fait se liguer contre Hamaguchi Osachi une partie de la population et des mouvements nationalistes, et aboutit à l'attentat qui le prend pour cible en [54]. Wakatsuki Reijirō, d'abord opposé à un plus grand engagement militaire en Mandchourie, est contraint de l'accepter et de le cautionner après un coup de force des militaires lors de l'incident de Mukden en  ; lâché par ses ministres, il finit par démissionner[55].

Les élections législatives japonaises de 1932 ne parviennent pas à enrayer la perte de légitimité des parlementaires face à l'armée. Le chef du Rikken Minseitō, Wakatsuki Reijirō, est nommé Premier ministre, mais son gouvernement ne parvient pas à mettre fin à l'engrenage de l'intervention en Mandchourie et doit démissionner en . Le gouvernement d'Inukai Tsuyoshi du Rikken Seiyūkai qui lui succède achoppe sur la même difficulté[56].

La politique sous la coupe des militaires (1932-1937)[modifier | modifier le code]

La crise économique de 1929 et la montée des tensions internationales dans les années 1930 mettent sous pression le système politique basé sur les partis[47]. Alors que la situation économique s'aggrave, l'entretien d'une armée importante devient un lourd fardeau. La montée du communisme aux frontières du pays fait peur à la classe moyenne, et les conservateurs sont considérés comme trop proches des conglomérats industriels pour constituer une alternative possible. A contrario, l'armée continue d'être perçue comme un moyen d'ascension sociale, et son discours impérialiste est jugé crédible par certains pour faire face aux difficultés économiques[57]. Dans ce contexte, un courant nationaliste radical, dont les tenants sont souvent issus des rangs de l'armée, fait son chemin en s'opposant au milieu politique en place, qu'il juge trop faible. Ce mouvement choisit une « stratégie de la tension », ce qui à partir de 1931, déclenche plusieurs coups d'État. Le , une tentative de putsch conduit à l'assassinat du Premier ministre Inukai Tsuyoshi. Son remplacement par un militaire, Saitō Makoto, met fin au régime des partis existant depuis 1918[58].

À partir de 1932, les grands partis que sont le Rikken Seiyūkai et le Rikken Minseitō perdent en influence au sein de la vie politique du pays et ne sont plus considérés comme des passages obligés pour l'accès au pouvoir. Les personnalités issues des milieux économiques, les anciens militaires ou les hauts fonctionnaires sont de moins en moins nombreux à rejoindre les rangs de ces partis. Au sein du Rikken Minseitō, le nombre d'anciens hauts fonctionnaires élus à la chambre des représentants passe de 41 à 27 entre 1928 et 1936, celui des militaires, de quatre à aucun sur la même période, et celui des personnalités liées aux milieux économiques, de 97 à 72. Dans le même temps, le nombre de candidats indépendants réussissant à se faire élire à la chambre des représentants s'accroit rapidement, passant de 4 % en 1932 à 24 % en 1937. Cette perte d'attractivité des partis se mue en une perte d'influence au sein du système politique[59]. Les deux grands partis peinent à trouver une posture pertinente face aux militaires qui commencent à s'installer au poste de Premier ministre. Après l'ancien amiral Saitō Makoto, en poste de 1932 à 1934, c'est Keisuke Okada, un autre ancien amiral, qui est en fonction de 1934 à 1936[60]. Si le Rikken Minseitō parvient à regagner la majorité à la chambre des représentants lors des législatives de 1936, son président ne réussit pas à faire aboutir sa candidature au poste de Premier ministre[61].

Le pouvoir nationaliste émergent est alors traversé par deux tendances : d'une part la faction du contrôle, composée de militaires alliés à la bureaucratie, qui souhaite orienter l'État vers une économie de guerre en augmentant les dépenses de l'armée, d'autre part la faction de la voie impériale, plus radicale, qui vise à mettre fin à la domination des partis politiques et des conglomérats industriels sur le pays. Le , cette seconde faction est à l'origine d'une nouvelle tentative de coup d'État pendant laquelle plusieurs ministres sont assassinés. La partie de l'armée restée loyale au pouvoir tire avantage de l'échec de l'opération en imposant ses vues au sommet de l'État[62]. À partir de , Kōki Hirota devient Premier ministre pour onze mois, mais il doit composer avec les militaires les plus radicaux[63]. Ceux-ci exigent une réorganisation de l'État et une hausse drastique du budget de l'armée. Malgré de nombreuses intimidations et des menaces de nouvelle tentative de putsch, les responsables militaires ne parviennent pas à obtenir la mise en œuvre de ces politiques, ce qui conduit Kōki Hirota à démissioner en [64]. L'ancien général qui lui succède, Senjūrō Hayashi, parvient en jouant la modération à faire converger les intérêts des milieux économiques et ceux des militaires. L'ancien banquier Toyotarō Yūki entre ainsi au gouvernement comme ministre des Finances, puis comme gouverneur de la Banque du Japon, poste qu'il occupe jusqu'à la fin de la guerre. Les conservateurs du Rikken Minseitō perdent ainsi leurs soutiens dans les milieux financiers, alors que les militaires parviennent à obtenir la mise en œuvre de plans de développement pluri-annuels de l'armée[64]. Les élections législatives de 1937 sonnent comme un désaveu pour le Premier ministre Senjūrō Hayashi, avec les résultats du Rikken Seiyūkai et du Rikken Minseitō qui réaffirment leur position dominante au sein de la chambre des représentants. Le prince Konoe, qui lui succède au poste de Premier ministre, adopte une position plus modérée. Le nouveau gouvernement prend la forme d'un gouvernement d'union nationale ; il accorde une place plus limitée aux militaires, compte de nombreux hauts fonctionnaires et intègre deux membres de partis politiques de la chambre basse[65].

Des gouvernements de guerre (1937-1945)[modifier | modifier le code]

La guerre qui éclate contre la Chine en surprend le gouvernement et les responsables politiques. L'escalade du conflit est rapide, passant d'un incident isolé à Pékin à une invasion totale du pays en six semaines. Or, politiquement, la guerre permet de légitimer le gouvernement. Tout d'abord, l'armée suspend pour un temps ses exigences en matière de réformes plus profondes ; ensuite, la chambre des représentants se range derrière le gouvernement et soutient les décisions favorables aux troupes engagées en Chine ; enfin, la population mécontente prend plus aisément pour cible la Chine que son propre gouvernement[66]. Cependant, l'enlisement du conflit sape rapidement cette « union sacrée », et au contraire, exacerbe les tensions qui traversent l'appareil politique japonais. Si en le gouvernement du prince Konoe parvient à faire voter une loi de mobilisation générale de l'État, c'est au prix de concessions avec la chambre des représentants — notamment, le fait de suspendre la mise en œuvre cette loi à la fin du conflit et au retour d'une situation économique plus propice. Or, en plus des difficultés militaires, les États-Unis décident en d'un embargo économique qui prive le pays de plusieurs ressources stratégiques[67]. Mis en difficulté à cause de l'enlisement du conflit, le prince Konoe démissionne en . Son successeur Hiranuma Kiichirō, figure des mouvements nationalistes japonais, ne parvient à se maintenir que quelques mois au pouvoir, son gouvernement achoppant sur la question des alliances internationales[68]. L'ancien général Nobuyuki Abe, Premier ministre d' à , est lui aussi renversé à cause de la gestion des conséquences de la guerre contre la Chine[68]. Pour la troisième trois fois en trois ans, un gouvernement tombe en raison d'une opposition forte au sein de la chambre des représentants. Cela fait prendre conscience aux pouvoirs militaires que, sans une maitrise de cette chambre, aucune réforme favorable à l'armée ne peut être votée[69].

En , dès les premières semaines d'activité du gouvernement de l'amiral Mitsumasa Yonai, les responsables de l'armée commencent à manœuvrer pour faire émerger un parti unique au sein de la chambre des représentants[70]. Les dirigeants du Rikken Seiyūkai et du Rikken Minseitō sont régulièrement pris à partie à la Diète[71], et c'est finalement en , qu'est constitué autour du prince Konoe ce parti unitaire, baptisé Association de soutien à l'autorité impériale. Les militaires le considèrent comme l’outil indispensable pour faire passer leurs réformes à la Diète ; les responsables politiques qui s'y rallient y voient la possibilité pour la Diète de peser sur le gouvernement[72]. Jusqu'en , le nouveau parti sert efficacement de relais du gouvernement au sein de la population[73]. La montée des tensions avec les États-Unis favorise les responsables de la Marine impériale, qui envisagent de plus en plus concrètement de frapper les intérêts américains dans le Pacifique. Le Premier ministre Konoe tente de s'y opposer, mais, mis en minorité, il démissionne en . Son successeur, le général Hideki Tōjō, est favorable à cette nouvelle guerre que la Marine impériale estime pouvoir gagner en 18 mois : le mois suivant, le Japon entre en guerre dans le Pacifique contre les Alliés[74].

Hideki Tōjō reste au pouvoir jusqu'en . Il ne parvient pas à soumettre totalement les oppositions présentes au sein de la bureaucratie et de la Diète. Si les élections législatives de 1942 font la part belle aux candidats soutenus par l'Association de soutien à l'autorité impériale, l'ampleur de leur victoire n'est pas suffisante pour museler les opposants au sein de cette assemblée, qui dès lors, peut être utilisée comme tribune[75]. Au sein des ministères, l'allocation des ressources matérielles entre les civils et les militaires reste l’objet d'importantes tractations pendant tout le conflit[74]. La justice parvient à conserver une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir militaire[76], mais la presse subit une importante censure, et les opposants au régime comme les libéraux, les socialistes, les journalistes ou les professeurs d'université sont intimidés ou arrêtés[77]. Derrière l'apparence de l'unité nationale, les conflits politiques restent intenses, ce qui ne permet pas l'instauration d'un nouvel ordre politique totalitaire, comme souhaité par certains responsables militaires. En outre, pour aboutir à des compromis, de nombreuses tractations sont nécessaires. Même lors de la décision de capitulation du pays, les discussions au sein du conseil suprême de guerre montrent de nombreuses lignes de fracture au sein du pouvoir[78].

L'occupation américaine et la démocratisation du pays[modifier | modifier le code]

Allocution de l'empereur du Japon annonçant la reddition sans condition du pays.
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Discours du président américain Harry Truman annonçant la victoire des forces alliées contre le Japon.
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Le , lors d'une allocution radiophonique, l'empereur Hirohito annonce la capitulation du Japon[79]. Le 17, le prince Naruhiko Higashikuni est chargé de former un gouvernement transitoire afin de gérer le pays en attendant l'arrivée des troupes alliées. Le , à bord du cuirassé USS Missouri, les dignitaires japonais signe la reddition du pays et des troupes japonaises, et le 8, Douglas MacArthur, responsable de l'administration de l'occupation américaine, installe son administration à Tokyo, face au palais impérial. Environ quatre cent mille soldats américains débarquent dans le pays jusqu'à la fin du mois d'octobre de la même année[80]. Dès le , 40 hauts cadres de l'armée, dont Hideki Tōjō, sont arrêtés et, le 4 octobre, l'occupant se porte garant des libertés civiles des Japonais[81] : près de 2 500 prisonniers politiques sont libérés, le droit de vote est accordé aux femmes, et la majorité électorale est fixée à vingt ans[82].

Un nouveau système politique se met en place. Le , alors que se posent la question de l'abdication de l'empereur Hirohito et celle de son inculpation, ce dernier annonce qu'il renonce à sa nature de « divinité à forme humaine »[82]. Les législatives organisées en avril 1946 débouchent sur un renouvellement profond de la représentation nationale[83], et Yoshida devient le premier Premier ministre de ce nouveau régime politique[84]. Une nouvelle constitution est annoncée en  ; elle est votée le 3 novembre et entre en vigueur le  : si l'empereur garde une place symbolique, le parlement détient l'essentiel du pouvoir, et les droits de l'homme sont garantis. Son article 9 proclame le renoncement du Japon à la guerre[85]. Début 1946, environ deux cent mille personnes sont déclarées inéligibles par l'occupant en raison de leurs liens avec le régime précédent[83]. De à , les procès de Tokyo jugent les anciens responsables du régime[85] ; sur cinquante mille inculpés, dix pour cent sont condamnés, dont 984 à la peine capitale. À l'occasion de ces procès, l'opinion publique japonaise prend connaissance des crimes commis par son armée, comme ceux de Nankin ou ceux de Bataan[86].

C'est dans un climat international tendu, que s'ouvrent les négociations du traité de paix. Malgré l'opposition de gauche, qui tente d'obtenir la neutralité du pays, et la droite conservatrice de Hatoyama et Kishi, qui envisage de reconstituer une armée sitôt l'indépendance recouvrée, le Premier ministre Yoshida accepte les conditions américaines, qui prévoient l'instauration de bases militaires permanentes dans le pays[87]. Le , 49 États ratifient par écrit le traité de paix avec le Japon[88].

Relations internationales[modifier | modifier le code]

Le Japon, objet de l'intérêt des puissances occidentales à la fin de l'époque d'Edo[modifier | modifier le code]

Le Japon de l'époque d'Edo entretient des relations avec l'Europe au travers des Néerlandais, ressortissants du seul État autorisé par le pouvoir à commercer avec le pays, en vertu d'une politique de contrôle strict des frontières. Les Pays-Bas bénéficie d'un statut de partenaire privilégié dans d'autres secteurs que le commerce et conseille régulièrement le pouvoir shogunal pour mieux analyser les demandes des autres puissances occidentales. Ils servent aussi d'intermédiaire pour introduire de nouveaux savoirs dans le pays. C'est ainsi qu'ils fournissent le premier navire-école moderne au Japon et forment ses officiers à la guerre moderne au centre d'entraînement naval de Nagasaki, en 1855, un an après l'arrivée des Américains dans le pays. Cependant, vers la fin de l'époque d'Edo, les Japonais prennent conscience que les Pays-Bas ne sont plus une puissance majeure et qu'ils ne peuvent pas être d'une aide importante en cas de conflit[89]. Or, depuis la fin du XVIIIe siècle, des Russes sont présents dans l'environnement immédiat du Japon, au nord, où les deux pays se croisent sur l'île de Sakhaline. De plus, la Russie cherche à négocier auprès du shogunat un bail de 99 ans sur l'île Tsushima, pour y établir une base militaire. Ces avancées russes sont perçues comme une menace par le pouvoir en place[90].

En 1853, l'arrivée de l'amiral américain Perry dans la baie d'Edo signe la fin de la politique d'isolement du pays[9], qui dès lors doit composer avec la présence des puissances occidentales. En 1858, le tairō Ii Naosuke est contraint de signer avec celles-ci une série de traités inégaux, ce qui provoque la dernière grande crise du régime[8]. Tandis que Naosuke s'efforce d'engager des négociations avec les puissances étrangères afin d'éviter une guerre, il doit faire face à une opposition qui souhaite expulser les étrangers du Japon[9]. Une agitation gagne alors plusieurs régions du pays[91]. L'opposition se radicalise lorsque, pour la première fois depuis plusieurs siècles, l'empereur régnant intervient publiquement et manifeste sa désapprobation à l'égard de l'action du gouvernement shogunal. En 1863, l'empereur Kōmei signe l'ordre d'expulser les barbares[9]. Il s'ensuit une série de heurts avec les Occidentaux qui culmine avec le bombardement de Shimonoseki en 1864. Dans le même temps, le Japon devient l'objet d'un affrontement diplomatique à distance entre la France et le Royaume-Uni. Si la France obtient de moderniser les troupes du pouvoir shogunal, le Royaume-Uni soutient au contraire la rébellion des clans du sud, qui finalement l'emportent et renversent le régime. Le Royaume-Uni remporte ainsi une victoire diplomatique dans le pays, qu'il exploite par la suite[90].

De 1864 à 1882[n 3],[92], les puissances occidentales ne sont concernées que par des enjeux européens, ce qui évite au Japon de devenir un de leurs champs d'affrontements. La Russie, qui cherche à étendre son influence en Asie centrale et dans les Balkans, provoque une réaction du Royaume-Uni. Paris doit faire face à l'échec de sa diplomatie au Mexique, puis à un affrontement militaire avec la Prusse, en 1870. De leur côté, les États-Unis sont pris dans la guerre de Sécession jusqu'en 1865, puis, occupés à la reconstruction du sud du pays[93]. La poussée coloniale des puissances européennes ne reprend que dans les années 1880, ce qui laisse pour un temps le Japon sans danger immédiat à affronter : les Britanniques colonisent la Birmanie en 1886, les Français, l'Indochine de 1884 à 1893[94].

La diplomatie japonaise tournée vers la modernisation du pays à partir de 1868[modifier | modifier le code]

Dès le début de la restauration de Meiji en 1868, le nouveau pouvoir fait la promesse via la charte du serment de renforcer la puissance du pays en faisant l'acquisition de nouveaux savoirs et de nouvelles technologies à l'étranger[95]. Plusieurs missions diplomatiques sont envoyées dans ce but, dont la plus importante, la mission Iwakura, parcourt les États-Unis et l'Europe de 1871 à 1873. Une cinquantaine de hauts responsables, dont Tomomi Iwakura et Itō Hirobumi, ainsi que de nombreux étudiants rencontrent des personnalités politiques, des industriels et des intellectuels occidentaux. Ils acquièrent ainsi la conviction que, si le Japon veut pouvoir résister aux Occidentaux, il ne peut limiter sa modernisation à quelques emprunts technologiques, et doit au contraire faire évoluer son organisation politique et sociale. En effet, l'origine de la puissance occidentale ne provient pas de son armée, mais des responsables civils qui ont permis à celle-ci de se développer[96].

À partir de 1872, le système éducatif japonais est modernisé en s'inspirant du système britannique[97]. À partir de 1878, La hiérarchie militaire est organisée sur le modèle de celle de la Prusse, et des officiers sont envoyés se former dans ce pays. Lors des années 1880 et 1890, la marine de guerre se développe en suivant l'exemple de la Royal Navy britannique, et sa doctrine navale est inspirée des travaux de l'amiral américain Alfred Mahan. Une fois son système judiciaire réformé et aligné sur le système occidental, le Japon fait valoir cette avancée pour renégocier certains points des traités inégaux : désormais, les expatriés au Japon n'ont plus besoin d'une protection particulière, et les clauses d'extraterritorialité deviennent de fait caduques. Le traité de commerce et de navigation anglo-japonais de 1894 entérine cette avancée, et supprime ces mesures d'extraterritorialité. Les années suivantes, le Japon obtient des renégociations de traités similaires sur les mêmes bases : la modernisation du pays est alors utilisée comme un levier de négociation par la diplomatie japonaise[98].

Des Occidentaux de nouveau présents à partir des années 1880, la Corée comme intérêt stratégique[modifier | modifier le code]

À partir de la première moitié du XIXe siècle, le Japon observe l'avancée des Occidentaux en Chine. La France et le Royaume-Uni infligent à l'empire du Milieu deux défaites importantes : lors de la première guerre de l'opium, de 1839 à 1842, puis, lors de la seconde, de 1856 à 1860[99]. Le sac du palais d'Été en 1860 impressionne les esprits japonais, et ces deux pays européens commencent à jouir d'un certain prestige dans l'archipel[90]. Les États-Unis deviennent eux aussi un acteur important dans le Pacifique à partir des années 1890, ce que la diplomatie japonaise prend de plus en plus en compte : les Américains renversent le royaume d'Hawaï en 1893 et s'installent à Guam et aux Philippines à la suite de la Guerre hispano-américaine de 1898, puis, aux Samoa en 1899. Entretenir de bonnes relations avec cette puissance devient un objectif majeur, d'autant plus qu'il s'agit d'un pays d'émigration important pour le Japon, dont les élites par ailleurs fréquentent en nombre les universités américaines. En prévision d'un possible conflit avec la Russie, le gouvernement japonais cherche par plusieurs moyens à s'attirer la bienveillance des autorités américaines, acteur probable de toute négociation de paix[100].

À partir de 1873, la Corée devient un enjeu stratégique pour certains hommes politiques japonais. Cette année-là, les dirigeants nippons débattent sur la question de l'invasion de la Corée, mais l’idée est tout d'abord repoussée en raison de l'insuffisance de la préparation et de la modernisation japonaises. Ce n'est qu'en 1875, à l'occasion de l'Incident de Ganghwa, que commence véritablement l'implication japonaise dans le pays. La péninsule ainsi que la région de la Mandchourie en Chine deviennent des objectifs majeurs à long terme, autour desquels la diplomatie japonaise se concentre lors des décennies suivantes[101]. La Corée est considérée comme un objectif stratégique, d'autant plus que la Russie cherche à s'étendre dans la région. En effet, en 1891, le début de la construction du Transsibérien menace le projet d'extension japonaise, et une Corée sous influence russe pourrait servir de tête de pont à une invasion du Japon par la Russie. La Chine continue d'entretenir des relations tributaires avec la Corée, ce qui constitue aussi un obstacle dans les prétentions japonaises sur la péninsule[102]. L'incident d'Imo en 1882 permet au Japon d'augmenter le nombre de ses troupes dans le pays[103]. Politiquement, le Japon est aussi actif pour s'immiscer dans la politique locale, notamment auprès des réformateurs coréens. C'est ainsi qu'il soutient une tentative de coup d'État en 1884. Si celle-ci est un échec, le traité négocié par la suite en 1885 permet au Japon de supprimer temporairement la présence militaire chinoise en Corée[104]. La péninsule est ainsi l'objet de la guerre du Japon contre la Chine en 1894-1895[105]. Après cette date, la Chine — battue par le Japon lors de cette guerre — voit son influence réduite à néant dans la péninsule. La Russie profite de cette vacance du pouvoir pour s'immiscer dans les affaires internes de la Corée, où elle tente de faire jeu égal avec le Japon les années suivantes[106]. De plus, le Japon doit également renoncer à ses conquêtes en Chine, en raison de l'implication d'autres pays occidentaux, par le biais de la Triple intervention en . La France, le Royaume-Uni, et la Russie font pression sur le Japon pour qu'il revienne sur certains points de son traité de paix avec la Chine, dont son occupation de la péninsule du Liaodong. Ne pouvant s'opposer à ces puissances, le Japon est contraint de reculer, et dès 1898, la Russie parvient à occuper la péninsule du Liaodong. Si l'armée nippone fait une première démonstration de ses capacités, le Japon perd le fruit de ses victoires militaires en raison d'une diplomatie encore inexpérimentée. Cet échec est mis à profit, et une préparation diplomatique précède les conflits suivants[107].

Par la suite, le Japon accélère sa politique en Corée en soutenant le coup d'État de Daewongun et la mise en place des Réformes Gabo en 1894, qui lui donnent une plus grande emprise sur la péninsule[108]. En 1895, l'assassinat de la reine Min, soutenu par des Japonais, ainsi que le regain d'influence de la Russie, marquent un relatif recul du Japon dans le pays[109]. Entre 1895 et 1905[110], la Russie fait alors jeu égal avec le Japon en termes d'influence. En 1896, le général Yamagata tente de ménager les Russes en leur proposant de se répartir la Corée autour du 38e parallèle, ce qu'ils refusent. En 1898, la diplomatie japonaise renouvelle la proposition auprès des Russes — après que ces derniers ont obtenu la concession de Port-Arthur dans la péninsule du Liaodong —, mais celle-ci est de nouveau repoussée. Après la révolte des Boxers en 1900, à l'issue de laquelle les Russes obtiennent de nombreuses concessions en Mandchourie, la « question russe » revêt une importance majeure. Les années suivantes, d'autres options sont proposées au pouvoir russe, de manière à obtenir des zones d'influence exclusives : la Mandchourie pour les Russes, et la Corée pour les Japonais. Ces propositions essuient de nouveaux refus, la Russie visant toujours à intégrer la Corée à sa sphère d'influence[106]. L'intransigeance de la Russie sur cette question convainc les responsables japonais qu'une guerre contre ce pays est inévitable. De manière à éviter les déconvenues diplomatiques de la guerre contre la Chine quelques années plus tôt, le Japon prend soin au préalable de nouer l'alliance anglo-japonaise en 1902, afin de pouvoir compter sur des soutiens lors de futures négociations de paix[111]. À l'issue de la guerre russo-japonaise, la défaite russe de 1905 finit d'asseoir la domination nippone sur la péninsule. C'est ainsi que le traité d'Eulsa transforme la Corée en protectorat du Japon, prélude à l’annexion du pays en 1910[110].

Recherche d'alliances avec les Occidentaux jusqu'à la Première Guerre mondiale[modifier | modifier le code]

Le Japon densifie ses relations avec les puissances occidentales à l'issue de sa victoire contre la Russie en 1905. Son intervention en 1901 au sein de la coalition militaire contre les Boxers lui a déjà permis d'obtenir quelques concessions en Chine et de développer son influence[112]. Grâce aux traités de Shimonoseki en 1895 et de Portsmouth en 1905, le Japon accède au rang de puissance régionale. L'alliance anglo-japonaise négociée en 1902 est reconduite en 1905 et 1907. La Russie noue quant à elle quatre traités entre 1907 et 1916 ; la France en fait de même en 1908, suivie par les États-Unis en 1908, via les accords Root-Takahira. Le Japon intègre ainsi le système des puissances déjà en place en Asie, sans chercher alors à remettre en cause celui-ci, se contentant de négocier quelques concessions et d'obtenir une reconnaissance de son rang au sein des puissances internationales[113].

L'éclatement de la révolution chinoise de 1911 fait évoluer les perspectives du Japon, et la situation en Chine devient un point de crispation pour les pouvoirs japonais. Les gouvernements qui se succèdent à l'époque (Saionji et Yamamoto) sont très partagés sur l'attitude à adopter, et sont tiraillés entre les aspirations incompatibles des libéraux et de l'armée. Sun Yat-sen, qui s'est réfugié au Japon en 1913, peine à y trouver des soutiens. Cherchant à protéger ses intérêts dans le pays, le gouvernement japonais soumet vingt et une demandes au gouvernement chinois de Yuan Shikai[114]. Celui-ci est contraint d'en accepter une partie, et la Chine devient alors de fait un protectorat du Japon. Cependant, le pouvoir chinois parvient entretemps à trouver le soutien des États-Unis, encore neutres lors de la Première Guerre mondiale, lesquels par la voix de leur secrétaire d'État William Jennings Bryan mettent en garde le Japon contre toute action qui « violerait la souveraineté chinoise ». Le Japon commence ainsi à s'aliéner le gouvernement des États-Unis pour de maigres avantages en Chine[115].

L'engagement du Japon pendant la Première Guerre mondiale reste limité et essentiellement restreint aux régions dans lesquelles il a alors des intérêts à défendre. Du fait de l'alliance anglo-japonaise, le pays combat aux côtés des alliés. S'il envoie quelques navires légers pour patrouiller en Méditerranée, le Japon est surtout actif en Asie et dans le Pacifique pour combattre les forces allemandes du secteur. La région chinoise du Shandong où les allemands ont une concession est saisie, toute comme leurs colonies des Samoa[114]. Le Japon poursuit son engagement aux côtés des alliés lors de l'intervention en Sibérie, pendant la guerre civile russe jusqu'en 1922, mais là aussi, plus pour la défense de ses intérêts (éviter une propagation du bolchévisme dans la région) que pour des intérêts diplomatiques[116]. Le retrait des Japonais de Vladivostok en octobre 1922 signe la prise par la république d'Extrême-OrientÉtat fantoche séparant la RSFSR du Japon[117] — du dernier grand bastion blanc de Russie[118]. Lors de la conférence de paix de 1919, le Japon obtient que le traité de Versailles satisfasse ses revendications sur le Shandong, ce qui conduit le gouvernement chinois à refuser de signer le texte[119] et provoque en Chine un regain d'agitation nationaliste anti-japonaise[112]. Le Japon n'obtient pas que le traité final fasse état d'une égalité entre les races, ce qui rend les responsables japonais méfiants vis-à-vis d'autres concessions qui pourraient leur être demandées[116].

D'une guerre à l'autre au sein de la Société des Nations[modifier | modifier le code]

En 1919, le Japon prend part à la création de la Société des Nations, espace qui, après la Première Guerre mondiale, devient le principal lieu d'exercice de la diplomatie japonaise. Nitobe Inazō, un Japonais influent, y est nommé secrétaire-général adjoint[120]. Cependant, ni les États-Unis ni l'Union soviétique ne siègent dans cette organisation ; de plus, le Japon est la seule nation asiatique représentée, ce qui en limite l’intérêt pour intervenir dans les problématiques de l'Asie. Les relations bilatérales montrent elles aussi leurs limites. En 1922, l'Alliance anglo-japonaise doit être renouvelée, mais la grande proximité qu'entretient le Royaume-Uni avec les États-Unis en réduit tout l'intérêt. L'Alliance n'est donc pas renouvelée, et c'est dans un traité des quatre puissances que le Japon s'engage, aux côtés de la France, du Royaume-Uni, et des États-Unis. De portée plus limitée, ce nouveau traité vise à satisfaire le statu quo existant en Asie et dans le Pacifique[121].

En 1921-1922, à l'occasion des négociations de la conférence navale de Washington — qui doit fixer la taille des flottes militaires de chaque pays —, le Japon accède à une certaine reconnaissance internationale. Il tente d'obtenir le droit de disposer d'une flotte égale à 70 % des flottes britanniques ou américaines, mais n'obtient que 60 %. Le pays obtient cependant qu'aucune nouvelle base ne soit créée ou agrandie dans le Pacifique, à l'exception de celles présentes à Hawaii, à Singapour et au Japon. Il obtient aussi que les porte-avions soient exclus de l'accord, ce qui lui permet de reconvertir certains de ses navires amiraux et de développer cet aspect de sa flotte. De plus, le pays s'engage dans le traité des neuf puissances qui vise à garantir l'intégrité territoriale de la Chine. Le Japon rétrocède ainsi le territoire du Shandong au pays, ce qui permet de normaliser les relations avec les États-Unis. Sur le front soviétique, le même effort de normalisation des relations est opéré par Gotō Shinpei, et le pays se retire de Sibérie ainsi que de la partie nord de Sakhaline. En 1925, est signée une convention de reconnaissance réciproque. Bien que ces différents traités internationaux soient diversement reçus par l'opinion politique et par les militaires[n 4], ils sont respectés à la lettre par le Japon et permettent de figer la situation internationale dans la région pour une dizaine d'années[122].

Sous l'impulsion de Kijūrō Shidehara, ministre des Affaires étrangères à plusieurs reprises entre 1924 et 1931, voit le jour une « doctrine Shidehara », qui encadre les actions du Japon sur la scène internationale. Le pays s'engage dans une dynamique de collaboration avec les autres nations au sein de la SDN et coopère en particulier avec le Royaume-Uni et les États-Unis[123]. Dans le domaine économique, la doctrine vise à un développement pacifique, en renonçant à toute forme de pression militaire pour sécuriser l'accès à certains marchés ou à certaines ressources. La doctrine vise aussi à cesser toute forme d'ingérence dans les affaires internes de la Chine, tout en soutenant l'abolition de l'extraterritorialité, qui s'applique encore dans certains domaines de ce pays. Lors de l'Incident de Nankin en 1927, le Japon a l'occasion de faire la démonstration qu'il sait honorer ses engagements. Bien que les Anglo-Américains soient favorables à une intervention militaire pour soutenir leurs intérêts économiques, le Japon refuse de prendre part à celle-ci en estimant que le problème doit être réglé par les autorités chinoises elles-mêmes. Perçue comme trop timorée, cette politique est à l'origine de l'éviction du gouvernement de Shidehara la même année[124].

Tanaka Giichi, qui en 1927 succède à Shidehara, procède à une réorientation complète de la politique étrangère du Japon. Giichi décide alors d'intervenir en Mandchourie et en Mongolie pour séparer ces régions de la Chine, et éviter que les troubles chinois ne s'y propagent. Il proclame aussi que des troupes militaires seront envoyées en Chine, partout où sont menacés des citoyens ou des intérêts japonais[125]. La réponse chinoise est rapide et hostile. Un boycott des projets japonais touche le pays, et l'incident de Jinan en marque le renouveau des interventions militaires japonaises en Chine. Cette mauvaise gestion de la question chinoise cause la chute du gouvernement de Tanaka Giichi en 1929. À l'issue de cette séquence diplomatique, les relations se sont envenimées avec le pouvoir chinois, mais aussi avec les Anglo-Américains, qui, entretemps, se sont accordés pour revoir leur politique en Chine[126].

Dès , le retour aux affaires de Kijūrō Shidehara engage une nouvelle dynamique pour la diplomatie japonaise. Si le nouveau traité naval signé à Londres en 1930 permet de réchauffer les relations avec les Anglo-Américains, les prétentions du Kuomintang en Mandchourie empêchent de pacifier les relations avec la Chine. De plus, les différents choix diplomatiques de Shidehara sont perçus au Japon comme trop timorés par les militaires et l'opinion publique, ce qui produit dans la population un rejet croissant des responsables politiques. Au sein de l'armée, certains commencent à envisager des actions violentes pour forcer l'action du gouvernement en Mandchourie[127]. L'incident de Mukden en , perpétré dans ce but par un lieutenant japonais, fait basculer la situation[128].

La guerre de quinze ans[modifier | modifier le code]

Invasion et enlisement en Chine, retrait de la SDN et recherche de nouvelles alliances[modifier | modifier le code]

En , l'incident de Mukden relance les tensions diplomatiques. En dehors de tout cadre politique, l'armée japonaise du Guandong domine rapidement la Mandchourie. Le coup de force de quelques dirigeants militaires locaux met à mal le gouvernement de Wakatsuki qui chute en décembre. Inukai Tsuyoshi, qui lui succède comme Premier ministre, prend le parti de reconnaître ce coup de force, ainsi que l'occupation de la Mandchourie par le Japon. En Chine, le dirigeant Tchang Kaï-chek fait le choix de ne pas lancer l'armée chinoise contre l'armée japonaise et s'en remet à la Société des Nations. Cependant, aucune des autres puissances ne souhaite s'engager : le Royaume-Uni et les États-Unis sont occupés par les effets de la Grande Dépression[128], et l'Union soviétique est en pleine reconstruction économique, à peine sortie des luttes entre Staline et Trotski. Non seulement le Royaume-Uni cherche à ménager le Japon pour contrebalancer l'Union soviétique, mais cette dernière commence à se désengager de la région[n 5]. C'est ainsi que le Japon est libre de mettre en place un État fantoche, le Mandchoukouo, qu'il est le seul à reconnaître officiellement[129]. Une mission internationale mandatée par la SDN, la commission Lytton, est envoyée sur place pour enquêter sur l'incident de Mukden. Le rapport Lytton qui ressort de cette enquête impute les faits au Japon, lequel saisit ce prétexte pour sortir de la Société des Nations en , en signe de protestation — ce qui le fait également sortir du « système de Versailles »[129].

Le pouvoir chinois reste indécis sur les suites à donner. La souveraineté de la Chine sur la Mandchourie ne fait pas l'unanimité, et dans un premier temps, la position du Japon en Mandchourie est tacitement reconnue. Le dirigeant chinois Tchang Kaï-chek étant occupé à réprimer les communistes en Chine, la question mandchourienne passe au second plan. Les accord de He-Umezu de 1935 entérinent la situation, le Japon et la Chine s'accordant sur la levée du boycott des produits japonais, sur une reconnaissance de l'État Mandchoukouo et sur la lutte contre le communisme[130]. Si localement, des militaires japonais continuent de tenter des coups de force, l'incident du 26 février à Tokyo a pour effet de purger l'armée des éléments les plus radicaux[131].

En , commence une nouvelle phase d'expansion du Japon en Chine, au moment où éclate la guerre sino-japonaise, déclenchée par l'incident du pont Marco-Polo. Attaquant au nord, et à partir de Shanghai, les troupes nippones se heurtent à celles de Tchang Kaï-chek. Nankin, la capitale du régime nationaliste chinois, est prise le , ce qui donne lieu à un massacre de la population au cours duquel environ deux cent mille personnes sont tuées[132]. Le conflit s'enlise dès le printemps 1938, alors que les Chinois continuent de résister[133]. Dans le même temps, le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, et l'Union soviétique prennent le parti de la Chine et envoient de l'aide militaire sur place[134].

Après sa sortie de la Société des Nations en 1933 et du traité naval de Londres en 1936, le Japon cherche de nouveaux alliés, de manière à éviter un isolement diplomatique. Il se tourne alors vers l'Allemagne nazie et, en , signe avec ce pays ainsi qu'avec l'Italie fasciste, le pacte anti-Komintern, qui vise à combattre la montée du communisme. L'armée japonaise incite le gouvernement à élargir les contours du traité pour en faire une alliance militaire, ce que repousse la marine impériale[135]. La réponse américaine, à travers le discours de la quarantaine prononcé en , revêt la forme d'une dénonciation symbolique[136]. L'Union soviétique, en particulier, dès la signature du pacte anti-Komintern, augmente son soutien militaire à la Chine. Une telle décision lui fait entrevoir la possibilité d'éloigner le spectre d'un conflit sur deux fronts, contre l'Allemagne et le Japon, en fixant les armées japonaises en Chine[137]. À la même période, le Japon entretient aussi des échanges avec la Turquie, de manière à pouvoir envisager une fermeture du détroit du Bosphore à la flotte russe ; si aucun traité formel ne ressort de ces discussions, la Turquie commande néanmoins en 1934 onze croiseurs à des chantiers japonais[138].

Dès 1938, face à l'enlisement du conflit en Chine, les militaires japonais envisagent deux options. Par idéologie anti-communiste, certains chefs militaires favorisent une « option nord », qui consiste à attaquer l'URSS de façon à sécuriser les possessions au nord. D'autres responsables, soutenant une « option sud », souhaitent couper les voies d'approvisionnement des nationalistes chinois et s'en prendre aux colonies européennes (Indochine française, Birmanie britannique, Indes orientales néerlandaises…). Les tenants de la première option ont d'abord gain de cause, et une première série d'escarmouches oppose troupes japonaises et soviétiques à l'été 1938. L'année suivante, les troupes soviétiques surclassent les forces japonaises à la bataille de Khalkhin Gol[139].

La signature du Pacte germano-soviétique le les ayant apparemment privés du soutien potentiel de l'Allemagne nazie, les Japonais renoncent dès l'automne de la même année, à attaquer l'URSS une nouvelle fois. Les victoires allemandes en Europe de l'Ouest, qui entraînent un affaiblissement des puissances coloniales européennes en Asie, ouvrent la voie en 1940 à la réalisation de l'« option sud »[140]. Le Tonkin est envahi en septembre 1940. Le Pacte tripartite est signé le même mois entre le Japon, l'Allemagne, et l'Italie, scellant l'axe Rome-Berlin-Tokyo. Ces développements sont perçus négativement par les États-Unis qui restreignent leurs exportations de fer et de pétrole vers le Japon[141]. La signature de ce pacte par le Japon est ainsi un message envoyé aux États-Unis, les dissuadant d'intervenir militairement en Asie. Après le Pacte germano-soviétique, le pays nourrit aussi l'illusion[n 6] qu'un élargissement de celui-ci est possible, ce qui couperait l'approvisionnement à la Chine[137]. C'est dans cette perspective que, le , est signé le pacte nippo-soviétique de non-agression, toujours dans l'optique de couper l'approvisionnement étranger aux troupes chinoises. De leur côté, les Russes projettent au contraire de détourner l'attention des Japonais, en les poussant ainsi à attaquer les États-Unis[142]. En , profitant de l'effondrement de la France sur le front européen l'année précédente, les troupes japonaises envahissent le Sud de l'Indochine française, ce qui place leur aviation à portée des possessions anglaise (Malaisie) et américaine (Philippines). En représailles, les États-Unis décrètent un embargo total vis-à-vis du pétrole exporté vers le Japon. Or, ce dernier a besoin de carburant pour mener sa guerre contre la république de Chine. Dans l'espoir de ramener les Américains à la table des négociations, les militaires japonais envisagent une guerre maritime éclair contre eux[143].

Guerre totale contre les alliés de 1941 à 1945[modifier | modifier le code]

À partir du printemps 1941, le Japon et les États-Unis entament une série de négociations sur la situation en Asie, et en particulier en Chine[137]. Pour les États-Unis, ce dernier pays ne constitue pas une priorité stratégique, et tactiquement, le maintien des forces nippones en Chine est même vu positivement par certains observateurs américains, car cette occupation éloigne les Japonais des intérêts américains, comme leur colonie des Philippines[136]. De la même façon, pour les Japonais, la menace la plus pressante n'est plus celle des Anglo-Américains, mais celle des Soviétiques, ce qui les pousse à signer une alliance militaire avec l'Allemagne, puis un pacte de non-agression avec l'URSS. En faisant ceci, du point de vue américain, le Japon s'est placé dans le camp des alliés de l'Allemagne[144]. En , à l'entrée en guerre de l'Allemagne nazie contre l'URSS, le Japon, redoutant d'avoir à mener une guerre sur deux fronts[145], reste en dehors de ce conflit, malgré des demandes allemandes répétées[146]. Les militaires japonais préparent un plan d'attaque des États-Unis pendant que se déroulent les négociations entre les deux pays. Les demandes des Japonais sont jugées excessives : rétablissement de l'approvisionnement en pétrole, maintien des troupes en Indochine… La note Hull que les Américains adressent aux diplomates japonais le est elle aussi jugée excessive par les responsables politiques et militaires japonais, et perçue comme un ultimatum. Le jour même, la flotte spécialement constituée pour attaquer Hawaï, quitte le port et prend la direction des Kouriles[147].

La guerre du Pacifique commence le [n 7], lorsque les troupes japonaises attaquent simultanément les Britanniques en Malaisie et les Américains à Pearl Harbor. Le conflit mené en Asie par le Japon devient alors partie intégrante de la Seconde Guerre mondiale. Les troupes nippones, qui envahissent dans la foulée les Philippines, Hong Kong, Guam, les Indes orientales néerlandaises, puis la Birmanie, progressent rapidement lors des mois suivants, en remportant victoire sur victoire[148]. Le Japon place des gouvernements fantoches dans les pays « libérés » — dirigés de fait par l'armée japonaise. Il y déploie la rhétorique d'une « fraternité asiatique », opposée aux « puissances colonisatrices occidentales ». C'est dans cette optique qu'est organisée en la conférence de la grande Asie orientale, qui réunit à Tokyo les responsables des pays « libérés » et qui vise alors à donner corps à la sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale. Les engagements y sont symboliques, car à cette date, la situation militaire s'est retournée[149]. En effet, dès la mi-1942, la progression du Japon dans la région est déjà interrompue, et l'armée japonaise subit ses premiers revers, comme à Midway, en juin[150]. À partir de la fin de la bataille de Guadalcanal en , les Japonais sont contraints de mener une guerre défensive contre les Alliés[151]. La prise de Saipan en place le Japon à portée des bombardiers américains[152]. Presque un demi-million de civils japonais sont victimes de ces engins au cours des attaques aériennes américaines au-dessus de l'archipel[153]. Entre avril et , l'île d'Okinawa est conquise par les Américains — bien que ceux-ci enregistrent également de lourdes pertes[154].

Entretemps, les Japonais se voient coupés de leurs alliés : l'Italie capitule en septembre 1943, suivie par l'Allemagne en mai 1945. Le , lorsque la déclaration de Postdam est adressée au Japon par le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine, exigeant une capitulation générale, le pouvoir japonais croit pouvoir s'appuyer sur l'URSS pour négocier. En effet, le Japon qui a signé un pacte de non-agression avec les Soviétiques, n'est pas intervenu contre ces derniers aux côtés de l'Allemagne, et l'URSS de son côté, n'a pas signé la déclaration de Postdam. Mais pour les Alliés, l'absence de réponse japonaise est analysée comme un refus de se soumettre à l'injonction de capitulation : les États-Unis comme l'URSS appliquent alors leurs plans respectifs[155]. Alors qu'un plan d'invasion du Japon est mis au point par les Américains, ces derniers prennent finalement la décision d'utiliser l'arme nucléaire nouvellement développée pour contraindre le pays à la reddition, et signaler par la même occasion aux Soviétiques que les États-Unis disposent de plusieurs exemplaires d'une arme d'un nouveau genre. Hiroshima est bombardée le 6 août, et Nagasaki, le 9[156]. Cependant, dans un premier temps, considérant que les villes bombardées ne constituent que de « simples pertes » parmi d'autres, les autorités japonaises n'envisagent pas la reddition. Estimant que l'hypothétique invasion des nombreuses iles de l'archipel serait trop coûteuse pour les États-Unis, elles pensent être capables de les défendre suffisamment longtemps pour trouver un accord convenable pour l'Empire. Le gouvernement compte aussi sur l'aide de l'URSS dans les discussions à venir avec les Américains pour sortir de la guerre. Mais le 9 aout, les Soviétiques envahissent la Mandchourie. L'offensive coûte également au Japon sa colonie coréenne, le Nord de Sakhaline et les îles Kouriles[157]. La défaite de l'armée japonaise du Guandong anéantit l'espoir des Japonais de résister aux États-Unis et de compter sur la médiation de l'URSS pour une sortie de guerre. Préférant, pour la survie du système impérial, l'occupation américaine à la conquête soviétique, la capitulation est acceptée le 10 août par les autorités japonaises, et est formellement signée le [158].

Populations étrangères prises pour cibles et victimes de crimes de guerre[modifier | modifier le code]

L'armée japonaise fait payer un lourd tribut à la population chinoise, lors du conflit en Chine, mais aussi, lors des conquêtes en Asie, en s'en prenant à sa diaspora. Lors du massacre de Nankin, au moins vingt mille (et peut-être jusqu'à 80 000) Chinoises sont violées et au moins deux cent mille civils chinois désarmés sont exécutés. D'importantes exactions sont aussi perpétrées à Wuhan et Xuzhou[159]. Vivant aux dépens du pays, l'armée japonaise commet de nombreux pillages, mais elle procède aussi à de nombreuses exactions pour intimider les populations locales. Au total entre 1937 et 1945, 95 millions de Chinois, soit 26 % de la population, deviennent des réfugiés[160]. Au nord du Vietnam, ces politiques de réquisition de nourriture pour entretenir l'armée participent à une grande famine qui frappe le pays en 1945 et qui cause jusqu'à deux millions de morts dans la population locale[161]. Aidée par les expérimentations médicales de l'Unité 731, l'armée utilise aussi ponctuellement des gaz de combat et des pathogènes (comme la peste, l'anthrax, le choléra et la fièvre typhoïde) contre des Chinois[162]. Pour mettre fin aux activités de résistance, l'armée japonaise suit la politique des Trois Tout en détruisant systématiquement tout village suspecté de soutenir la guérilla anti-japonaise, et en exécutant tous ses habitants[159]. Lors de l'invasion de l'Asie du Sud-Est, l'armée japonaise s'en prend aux populations chinoises locales : après la prise de Singapour en 1942, près de 200 000 des 600 000 Chinois qui y vivent sont détenus et interrogés (suspectés d'être des soutiens du gouvernement nationaliste ou d'être communistes), et 40 000 sont tués. Lors de la campagne de Malaisie, soixante mille Chinois supplémentaires sont exécutés dans des conditions similaires. Ces exactions ne se limitent pas aux Chinois : lors de la construction de la ligne Siam-Birmanie, sur les deux cent mille travailleurs venant de Birmanie, d'Indonésie, de Malaisie, d'Inde, de Thaïlande et de Chine, plus de 74 000 meurent avant la fin du chantier[163].

À partir de 1937, lors des opérations en Chine, l'armée japonaise systématise la mise en place de bordels militaires[161]. Environ cent mille femmes, à 80 % coréennes, sont recrutées par la force ou par la ruse pour y « travailler », selon des modalités relevant de l'esclavage sexuel[164]. Les conditions sont particulièrement rudes, chaque femme devant « servir » jusqu'à une dizaine d'hommes par jour — chiffre pouvant atteindre 30 ou 40, avant les départs pour le front ou au retour d'opérations[165]. En , l'armée installe 400 de ces structures (la plupart, en Chine, mais les territoires nouvellement conquis en possèdent aussi), lesquelles fonctionnent avec des femmes locales — philippines, indonésiennes, malaisiennes, mais aussi hollandaises (capturées lors de la prise des colonies des Pays-Bas). Si le système, qui repose essentiellement sur des Coréennes, vise officiellement à faire baisser les viols dans les populations locales, il ne l'empêche nullement[164].

Le Japon impose des conditions de vie terribles aux prisonniers de guerre capturés. Sur les 132 134 prisonniers britanniques, américains, australiens, canadiens, néozélandais, et hollandais, 35 756 meurent, soit un taux de létalité de 27 % — bien supérieur au chiffre de 4 % enregistré dans les camps de prisonniers mis en place par les Alliés. Ce chiffre s'explique par de nombreuses marches de la mort que l'armée japonaise impose à ses prisonniers (comme celle de Bataan ou celle de Sandakan), mais aussi par les travaux forcés, souvent effectués avec peu de nourriture et dans des conditions extrêmes — comme pour la construction de la ligne Siam-Birmanie, passant par le pont sur la rivière Kwaï. L'armée japonaise procède aussi à des assassinats de prisonniers ennemis, notamment chinois. Les deux pays n'ayant pas formellement procédé à une déclaration de guerre, le Japon considère les personnes qu'il combat comme de simple bandits et refuse de les reconnaître comme des soldats : ceci lui permet de les exécuter en l'absence de tout jugement[166].

Économie[modifier | modifier le code]

Premières initiatives étatiques au début de l'ère Meiji[modifier | modifier le code]

L'industrie est modernisée en ayant recours au modèle des manufactures d'État. Des usines sont créées ex nihilo grâce à du matériel acheté à crédit à l'étranger, et des usines plus anciennes — créées par des daimyō ou l'administration shogunale — sont reprises par l’État[167]. Le développement de Hokkaidō est aussi décidé. Les évolutions sociales rapides sont cependant à l'origine de révoltes parmi les samouraïs — comme en 1874 à Saga, et en 1877 à Satsuma — qui font peser de nouvelles charges sur l'État[168]. Pour faire face aux déficits budgétaires causés par les dépenses, le gouvernement et les banques ont recours à de nombreuses émissions de monnaie, ce qui fait plonger la valeur des billets en circulation, face aux pièces d'argent. En 1880 un cours forcé des billets est imposé et la même année, un coup de frein est donné aux dépenses visant au développement industriel[25]. Cette crise monétaire entraîne une dépression de 1881 à 1886, que le ministre des finances Matsukata Masayoshi doit affronter. Les dépenses de l'État sont réduites, et plusieurs impôts, instaurés — dont l'impôt sur le revenu, en 1887. Créée en 1882, la Banque du Japon assure la conversion des billets émis auparavant en pièces d'argent, et permet ainsi d'assainir la situation financière[169].

Les entreprises créées par l'État au début de l'ère Meiji sont privatisées dix ans après leur création, ce qui permet au gouvernement de dégager des liquidités. Des conglomérats, comme Mitsubishi ou Mitsui, se renforcent par ce biais, le plus souvent à très bon compte[170]. Ces entreprises nationales créées dans les années 1870 concentrent leurs activités dans le domaine de la construction navale, des arsenaux et des mines. L’État prend aussi des initiatives pour construire des usines produisant du ciment, du verre et des lainages[171].

La production agricole connaît quelques progrès entre les années 1860 et les années 1890. Bien que la population augmente de près d'un tiers au cours de cette période, le pays reste exportateur de produits agricoles. La surface cultivée augmente de près de cent mille hectares de rizières, et de 80 000 hectares de terres agricoles sèches, la moitié de cette dernière surface étant obtenue grâce à la mise en valeur de Hokkaidō. L'amélioration des transports et le déploiement d'entrepôts plus modernes permet aussi de réduire les pertes alimentaires[172].

La production minière est rapidement considérée comme une priorité, permettant d'alimenter de nouvelles usines. Sous l'impulsion de personnalités comme Inoue Kaoru, l'État acquiert des mines, de manière à les moderniser, puis ouvre des écoles dans lesquelles des conseillers étrangers sont employés pour former les mineurs. L'usage d'outils modernes, comme des pompes à vapeurs ou des explosifs, se développe. La production de charbon passe ainsi de 400 000 tonnes dans les années 1860 à 2 600 000 tonnes en 1890. Entre 1860 et 1900, la production de cuivre passe quant à elle de 1 000 à 29 400 tonnes[173].

Des infrastructures modernes commencent à être déployées à l'échelle du pays. En 1895, sont construites plus de trois mille kilomètres de lignes de chemin de fer, la plupart à l'initiative d'investisseurs privés. À la même date, six mille kilomètres de lignes télégraphiques parcourent le pays. À partir des années 1870, le Japon développe aussi une marine marchande, laquelle lui permet de contrôler 14 % des flux rentrants dans les ports du pays[173].

Le Japon continue de dépendre de l'Occident pour plusieurs de ses importations, comme les machines-outils, l'acier, les équipements militaires. Le pays importe aussi de grandes quantités de balles de coton pour ses usines de tissu. Le Japon exporte ensuite ses cotonnades, qui au début des années 1890, représentent 42 % de toutes ses exportations[171].

Forte croissance dans la seconde moitié de l'ère Meiji[modifier | modifier le code]

L'économie japonaise connaît une phase de forte croissance dans la seconde moitié de l'ère Meiji. Entre 1880 et 1914, le revenu national brut augmente de 4 % par an en moyenne. Cette tendance est plus accentuée entre 1895 et 1905, la production industrielle doublant lors de cette période. Le secteur textile représente une part importante de cette production et joue un rôle moteur pour le reste du secteur industriel. En 1900, 67 % des ouvriers y travaillent et en 1913, la production du pays atteint la quatrième place mondiale[174]. En 1904, l'industrie lourde bénéficie du déclenchement de la guerre russo-japonaise, mais aussi, de l'essor des chemins de fer dans le pays. La production passe de sept mille tonnes d'acier en 1901 à 70 000 tonnes en 1906, et 500 000 tonnes en 1919[175]. La part des actifs travaillant pour l'industrie passe de 6 % en 1880 à 20 % en 1920[174]. En 1918, la part de la production industrielle dépasse la part de la production agricole dans le revenu national brut[175].

Le développement de l'industrie lourde japonaise s'accompagne de quelques particularités. L'importation de matières premières depuis l'étranger (comme le charbon et le fer) — en tant que principales sources d'approvisionnement — permet à des aciéries comme celles de Yahata (ouverte en 1901) de prospérer au-delà de ce que permet la production locale. Celle-ci est alors essentiellement approvisionnée en minerai venant de Chine ou de Corée, préfigurant la logistique industrielle qui se met en place par la suite, lors de l'exploitation des colonies japonaises[176]. La transition de la machine à vapeur vers l'électricité est tout aussi rapide au Japon[177]. Dès 1887, une première centrale électrique au charbon ouvre à Tokyo, et en 1891, la première centrale hydroélectrique ouvre près de Kyoto. En 1913, 2,3 millions de foyers ont accès à l'électricité, et ce chiffre double dès 1917. Toujours en 1917, l'électricité dépasse la vapeur en puissance utilisée dans les usines du pays[178] ; elle permet le développement de certaines productions, comme celle de fertilisants, mais aussi, le fonctionnement des usines la nuit, grâce à la généralisation des ampoules électriques[179].

Cependant, la hausse de la production se fait souvent au détriment des travailleurs des différents secteurs. Dans l'agriculture, près de la moitié des surfaces cultivées sont exploitées par des fermiers qui ne possèdent pas la terre, et qui doivent parfois reverser à leurs propriétaires près de 60 % des fruits de leur travail. Dans le secteur textile où la main d’œuvre est principalement féminine, les salaires sont particulièrement bas, et les conditions de travail et d'hébergement, le plus souvent insalubres[180]. Les conditions ne sont guère différentes dans le secteur minier, et des sites comme les mines de cuivre d'Ashio ont à cet égard très mauvaise réputation. De telles conditions de travail rendent le recrutement de plus en plus difficile, alors qu'il est nécessaire d'augmenter la production. De nombreux ouvriers n'hésitent pas à fuir vers les grands centres urbains, ou même à l'étranger, au Brésil ou à Hawaï[181].

À la même époque, se constitue un mouvement ouvrier, réclamant l'élaboration d'un droit du travail, ainsi qu'une amélioration des rémunérations et des conditions de travail. Des grèves éclatent dans le secteur de la métallurgie (1897) et des chemins de fer (1898), et en 1898, un premier syndicat clandestin est créé dans le secteur de l'imprimerie[181]. La réponse des autorités est initialement violente. En 1900, des lois sont promulguées pour restreindre les possibilités de manifester et de se regrouper ; l'armée et les Yakuza sont régulièrement utilisés pour réprimer les grèves. La situation se tend en particulier après l'incident de haute trahison en 1911 qui voit une douzaine d'anarchistes tenter d'assassiner l'empereur Taishō Tennō[182]. La première législation du travail n'est votée qu'en 1912, et n'est appliquée qu'à partir de 1916. Celle-ci met l'accent sur les conditions de travail, plus que sur les salaires, et vise par ce biais à développer la fidélité de l'ouvrier envers son employeur, dans une vision confucéenne[183]. L'âge minimum pour travailler est alors fixé à 12 ans et la durée maximale du travail journalier pour les femmes et les enfants, à 12 heures[184].

Des crises de l'ère Taishō à la crise de 1929[modifier | modifier le code]

Le Japon bénéficie économiquement de la Première Guerre mondiale, en fournissant du matériel aux Alliés — notamment des bateaux (le chiffre d'affaires des constructeurs est multiplié par dix entre 1914 et 1919) —, mais aussi, en captant de nouveaux marchés internationaux, jusque-là dominés par les Occidentaux (fournitures de cotonnades en Chine et en Inde notamment). Entre 1917 et 1920, le produit national brut augmente ainsi globalement de 20 %[185]. La balance commerciale du pays devient momentanément bénéficiaire ; elle passe ainsi d'un déficit d'un milliard de yens en 1913 à un excédent de deux milliards de yens en 1920. Sitôt le choc du conflit absorbé par les puissances occidentales, la balance commerciale du Japon redevient déficitaire[186], alors que s'installe un certain marasme, consécutif à la dépression de 1920-1921. Le prix de certaines denrées — comme le riz, le coton et la soie — s'effondre sur les marchés, ce qui entraîne des faillites et fragilise les zaibatsu les plus petits, comme Furukawa Group. En 1922, lorsque la situation économique japonaise se stabilise, plusieurs incidents financiers éclatent, comme la faillite d'une douzaine de banques locales et la ruine du spéculateur Sadashichi Ishii, ce qui prolonge une certaine tension sur les marchés[187].

L'essor économique qui accompagne la Première Guerre mondiale se déroule cependant au détriment de la population. L'inflation entraîne rapidement une augmentation du prix des produits alimentaires, comme le riz — dont le prix double pendant l'été 1918, ce qui provoque quelque 497 émeutes dans tout le pays[188]. Cette agitation, qui mobilise jusqu'à un million de personnes, dynamise les premiers syndicats japonais d'ampleur nationale, qui ont commencé à se structurer dans la clandestinité, dès 1916. En , est organisé un premier congrès national de ces syndicats, lequel relaie diverses revendications, depuis la reconnaissance officielle des syndicats, jusqu'à la journée de 8 heures[44]. En 1922, un premier syndicat ouvrier officiel est ainsi créé, la Fédération générale des travailleurs japonais (ou Sōdōmei), alors que le mouvement ouvrier commence à être parcouru par une division entre réformistes et révolutionnaires. La même année, se constitue également un syndicat de fermiers, alors que se multiplient les conflits entre ces derniers et les propriétaires[46].

Le séisme de 1923 du Kantō ravage Tokyo et plonge ainsi le pays dans une nouvelle crise économique. Pour financer la reconstruction, la banque du Japon émet des « bons d'obligation du séisme »[189]. L'effondrement des exportations (provoqué par ces destructions) conjugué à la hausse des importations (exigée par la reconstruction de la capitale) entraîne une chute du taux de change de la monnaie nationale. En 1924, lorsque le gouvernement doit emprunter sur les marchés étrangers, les taux d'intérêts négociés auprès de banques américaines et britanniques sont très élevés[190]. Le remboursement de ceux-ci entraîne indirectement en 1927 la faillite d'une banque de Kōbe, laquelle provoque à son tour la faillite d'une quarantaine de banques régionales[189] et de trois banques majeures, ainsi que la chute du gouvernement Wakatsuki. Une panique bancaire gagne alors le pays (près de 11 % de tous les dépôts sont retirés) et le gouvernement doit imposer un moratoire des paiements d'une durée de 20 jours. L'éclatement de cette crise financière Shōwa marque durablement le pays et affaiblit ses finances juste après l'éclatement de la crise mondiale de 1929[191]. En 1927, est promulguée une loi qui contraint les banques les plus petites à fusionner, leur nombre passant ainsi de 1 575 en 1926 à 651 en 1932. Si de nombreuses petites entreprises sont affaiblies ou périclitent, les plus gros zaibatsu — comme Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo et Yasuda — en profitent pour se lancer dans de nombreuses acquisitions et se trouvent alors au sommet de leur influence[192].

Pendant cette période, les gouvernements successifs se montrent assez souvent interventionnistes et protectionnistes. Ainsi, en 1920, lorsque des entreprises textiles se constituent en cartels pour racheter et détruire les invendus de manière à stabiliser les prix, le gouvernement consent à des prêts à très faible intérêt. En 1921, le gouvernement intervient directement sur le marché du riz, en achetant et vendant de grandes quantités de la production pour stabiliser le marché. De plus, le parti Rikken Seiyūkai, au pouvoir de 1918 à 1922, sous l'impulsion du ministre des Finances Takahashi Korekiyo, lance une vague d'investissements dans les infrastructures des régions périphériques du pays, ce qui lui permet d'y renforcer son poids politique. En 1924, lorsque le parti d'opposition Kenseikai arrive au pouvoir, cette politique d'investissement dans les régions est maintenue, bien que le parti fasse alors la promotion de l'équilibre des dépenses[193]. Ces investissements permettent de faire émerger de grandes régions d'industrie lourde — d'une part entre Tokyo et Yokohama, d'autre part entre Ōsaka et Kōbe —, bénéficiant notamment de la généralisation de la fourniture d'électricité (aciéries, productions d'engrais…)[194]. En 1935, 89 % des foyers japonais ont ainsi accès à l'électricité, contre 68 % des foyers américains, et 44 % des foyers britanniques[195].

Des crises de 1929 et 1930 à la reprise économique[modifier | modifier le code]

La convertibilité du yen en or, abandonnée lors de la Première Guerre mondiale, fait l'objet de plusieurs tentatives infructueuses de réinstauration lors des années 1920. Les nombreuses maisons de négoce en particulier font pression dans ce sens sur les gouvernements successifs, un yen fort leur permettant d'acheter à moindre coût à l'étranger[53]. Les conséquences du krach de 1929 sont encore mal identifiées, et en , le ministre de l'économie Junnosuke Inoue prend la décision de réinstaurer la convertibilité du yen en or. À partir de cette date, l'économie japonaise doit faire face à un double choc : la perte de compétitivité de ses industries, en raison de sa monnaie, et la diminution drastique de ses débouchés en raison de la crise économique qui touche plusieurs de ses marchés extérieurs. L'industrie minière licencie jusqu'à 40 % des mineurs et dans l'industrie textile, des réductions de salaire, pouvant atteindre les 40 %, provoquent de nombreuses grèves[196]. La production agricole enregistre aussi des baisses importantes des prix de vente : jusqu'à 66 % pour le coton et jusqu'à 50 % pour le riz[197]. En réaction à cette double crise, le gouvernement choisit de laisser l'industrie se réguler d'elle-même ; des cartels se forment alors pour réduire la production et maintenir les prix, favorisés en ce sens par une loi de 1931[196]. Le gouvernement adopte aussi une très grande rigueur budgétaire et réduit fortement les dépenses de l'État. Ces politiques très impopulaires causent de nombreux troubles au sein de la population. Le parti Rikken Minseitō perd définitivement le pouvoir lors des élections législatives de 1932 et le Rikken Seiyūkai forme une nouvelle coalition[198].

Takahashi Korekiyo, ministre de l'économie pour l'essentiel de la période 1931-1936, instaure une politique proche du keynésianisme, articulée autour d'une baisse des taux d'intérêt et des taux de change, ainsi qu'une hausse de la dépense publique[199]. Il laisse le yen se dévaluer face au dollar, le taux de change passant de 100 yens pour 50 dollars à 100 yens pour 20 dollars fin 1932. Quant aux taux d'intérêt accordés aux banques, ils passent de 6,6 % à 3,7 %, de 1932 à 1933. Les dépenses de l'État passent elles de 1 480 milliards de yen en 1931 à 2 250 milliards de yen en 1933 et se stabilisent à ce niveau les années suivantes ; l'armée et les dépenses ciblant les campagnes sont favorisées par cette hausse[200].

Ces « politiques Takahashi » permettent de dynamiser les exportations japonaises, notamment dans le secteur textile, mais cette évolution incite les pays étrangers à mettre en place de nombreuses mesures protectionnistes vis-à-vis des produits japonais[199]. La baisse du taux de change rend les importations plus chères, ce qui permet à certaines industries nationales, comme l'industrie chimique et l'industrie lourde, de redevenir compétitives dans le pays. Des industriels en profitent pour moderniser leurs structures et atteignent ainsi les meilleurs standards internationaux dans plusieurs domaines : la production de viscose pour Toyo Rayon ou Asahi Bemberg, les machines-outils électriques pour Toshiba et Hitachi, ou encore la production aéronautique, grâce à des financements de l'armée[201].

Au cours de cette période, émerge une nouvelle génération de zaibatsu, incluant des firmes comme Nissan, Shōwa Denkō, Nippon Soda, ou encore Nakajima[201]. Ils ont en commun d'être constitués autour des nouvelles technologies de l'époque, et d'être dirigés, non pas par des gestionnaires, mais par des ingénieurs ou des militaires[202]. Sans lien avec les zaibatsu plus anciens — et donc, sans accès au financement des banques —, ils bénéficient pour leur développement de divers prêts de l'État[203]. Entre 1932 et 1933, de nombreux cartels voient le jour dans divers domaines, comme l'industrie papetière, la production électrique, la finance ou encore les brasseries. S'ils permettent d'augmenter les prix de vente et donc, de consolider financièrement ces entreprises, leur situation monopolistique attire de nombreuses critiques, ce qui pousse le gouvernement à faire voter en 1936 une loi pour les dissoudre[204].

Une économie de guerre à partir de 1936[modifier | modifier le code]

Le 26 février 1936, le ministre de l'économie Takahashi Korekiyo et plusieurs autres membres du gouvernement sont assassinés par des militaires de la Kōdōha. Cette tentative de coup d'État fait évoluer drastiquement la politique économique du Japon. Depuis 1934, Takahashi était parvenu à maintenir sous contrôle les dépenses militaires ; ses successeurs, incapables de s'opposer au nouveau pouvoir militaire, augmentent celles-ci en votant des plans d'armement pluriannuels. C'est ainsi que, dès 1937, l'État accroît ses dépenses de près de 40 %[204]. Lorsque Konoe devient Premier ministre du Japon en 1937, trois priorités économiques sont définies : l'équilibre de la balance des paiements, l'essor des dépenses militaires et la régulation de l'offre et de la demande des biens de consommation, en plafonnant l'importation et l'exportation de certaines ressources. En , dès le déclenchement de la seconde guerre sino-japonaise, l'économie nationale est à la fois sévèrement contrôlée[205] et principalement organisée pour satisfaire les besoins de l'armée. Cette nouvelle orientation entraîne un pénurie de certaines ressources, comme le pétrole, qui commence à toucher le pays[206].

La loi de mobilisation générale de l'État, votée par la Diète en , permet au gouvernement de nationaliser les entreprises et les mines, de contrôler les allocations de ressources financières et de matières premières attribuées aux entreprises, de recruter de force la main-d'œuvre nécessaire et de décider, comme bon lui semble, des conditions de travail[206]. C'est ainsi que le Japon entre rapidement dans une économie de guerre. En 1940, le gouvernement ordonne de rationner le riz et le sucre ; des prix fixes sont également décrétés — mais ceux-ci ne font que stimuler le marché noir[207]. Les entreprises japonaises implantées en Mandchourie et dans le nord de la Chine sont largement mises à contribution pour fournir les matériaux nécessaires à la machine de guerre japonaise. Des pénuries apparaissent dans les chaines d'approvisionnement. En 1939, le traité commercial entre le Japon et les États-Unis est abrogé par ces derniers, ce qui permet à son gouvernement d'instaurer un embargo sur certaines matières premières critiques (fer et acier en 1940, pétrole en 1941). Le déclenchement de la guerre en Europe la même année perturbe l'approvisionnement de certains biens. Enfin, les stocks d'or et de devises étrangères que possède encore la banque du Japon sont presque épuisés en 1940, ce qui empêche le pays d'acheter des matières premières en dehors de sa zone d'influence économique. L'effondrement de plusieurs puissances coloniales européennes, comme les Pays-Bas et la France, rend leurs colonies asiatiques vulnérables, et les militaires japonais commencent à préparer des plans d'invasion dans le but d'accéder à certaines ressources (pétrole, caoutchouc, et étain dans les Indes orientales néerlandaises notamment)[208].

À partir de la fin 1941, le Japon remporte des victoires contre les Occidentaux en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique. Ces premiers succès retardent la mise en œuvre de mesures économiques plus drastiques. Par excès d'optimisme, les dirigeants japonais pensent pouvoir matérialiser la sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale et s'en servir pour combler leurs besoins. Ce n'est qu'à l'automne 1942 que sont prises des mesures supplémentaires et que la priorité est donnée à la production d'armes et d'équipements militaires. La construction aéronautique passe de 6 174 unités en 1941 à 26 507 unités en 1944, et la construction navale, de 201 000 à 408 000 tonnes sur la même période. À partir de l'été 1944 et de la défaite de la bataille de Saipan, l'approvisionnement depuis l'Asie du Sud-Est cesse, et en la matière, le Japon ne peut plus compter que sur le nord de la Chine, la Mandchourie et la Corée[209]. Le besoin en matériaux est tel que des équipements non prioritaires sont sacrifiés pour répondre à la demande : des cloches de temple ou des rails de tramway sont fondus pour en faire des munitions, et des machines d'usines textiles, reconverties pour les produire[210]. Les ouvriers des usines qui ne peuvent plus fonctionner sont réquisitionnés pour travailler dans les mines et les usines d'armement, et à partir de 1944, les étudiants et les lycéens sont eux aussi mis au travail pour soutenir l'effort de guerre[211].

La production agricole vacille dès 1937. Du fait des réquisitions de main-d'œuvre, la population paysanne diminue de 7,4 % entre 1937 et 1939 — ce recul touchant en particulier les hommes de 16 à 35 ans — et continue de diminuer tout au long de la guerre. Le manque d'équipements agricoles, de fertilisants chimiques, ainsi que de pétrole, contribue grandement à faire chuter la production[212]. De son côté, la Corée est touchée par une série de sécheresses à partir de 1940 et les importations de riz depuis cette colonie sont divisées par deux. Le gouvernement japonais voit alors dans le développement de la Mandchourie la solution à ses problèmes d'approvisionnement, mais là aussi, la production agricole baisse en dépit de plusieurs plans de soutien[213]. La famine touche à la fois la population de l'archipel et celle des pays occupés. Plus d'un million de Vietnamiens meurt de famine en 1945, et les soldats japonais meurent davantage de malnutrition que du fait des combats[214].

Les conquêtes du Japon sont exploitées de différentes manières. Les mines de fer de Malaisie sont remises en activité dès décembre 1941, mais en 1942, elles ne produisent plus que le dixième de la production d'avant-guerre. Les puits de pétrole de Sumatra sont quant à eux relancés avec un certain succès, mais les problèmes de logistique ne permettent pas d'en faire profiter le Japon. La population locale est aussi utilisée comme main-d'œuvre, dans des conditions qui peuvent s'avérer très dures. Plus du tiers des quatre cent mille mineurs travaillant à l'extraction de charbon au Japon à la fin de la guerre sont coréens, chinois, ou prisonniers de guerre — la plupart gravement sous-alimentés et soumis à des conditions très rudes[215].

Les derniers mois de la guerre mettent à mal l'ensemble de l'appareil de production. À partir de mi-1944, les bombardements américains touchent massivement l'archipel. Complexes industriels et centres urbains connaissent d'importantes destructions. En , l'invasion soviétique de la Mandchourie coupe le Japon d'un important centre d'approvisionnement. À la fin de la guerre, 80 % de la flotte maritime japonaise est perdue, tout comme 25 % de l'ensemble de ses bâtiments, et 34 % de ses outils de production industrielle. Plus largement, le Japon est coupé de toutes ses sources d'approvisionnement en nourriture et en matières premières, sur lesquelles il a bâti son modèle économique depuis le début de la période impériale[216].

L'empire et ses limites : Aires d'influence, colonies, marges, migrations[modifier | modifier le code]

Intégration des marges : Hokkaidō et Okinawa[modifier | modifier le code]

Dès le début de l'ère Meiji, le Japon cherche à renforcer sa position dans des territoires proches de ses îles principales, mais encore insuffisamment intégrés. C'est ainsi que, pour se protéger des prétentions occidentales dans la région, il entreprend de resserrer ses liens avec Hokkaidō et l'archipel des Ryūkyū. La souveraineté du Japon sur Hokkaidō est confirmée par le traité russo-japonais de 1875, tout comme sa souveraineté sur les îles Kouriles[217]. Au sud, le royaume de Ryūkyū, déjà tributaire du domaine de Satsuma, fait l'objet d'un accord avec la Chine. Le royaume devient un protectorat en 1875, avant d'être intégré au reste du Japon comme préfecture d'Okinawa en 1879[218]. Si, en théorie, les populations locales natives (Aïnous à Hokkaidō et Okinawaïens dans les Ryūkyū) jouissent des mêmes droits que les autres Japonais, la mise en œuvre très lente de ces droits en font des citoyens à part. Le Koseki (livret de famille) sert à séparer ces populations locales des Japonais des autres préfectures. La conscription obligatoire dans le reste du pays ne concerne Hokkaidō et Okinawa qu'à partir de 1898[219].

L'administration de ces territoires diffère du reste du pays. À Hokkaidō, l'île est dirigée politiquement et économiquement comme une colonie. À Okinawa, l'opposition des élites locales est plus forte, et la métropole renonce à toucher à certaines coutumes. L'ancienne relation tributaire liant l'archipel au domaine de Satsuma est même virtuellement prolongée, en recrutant — essentiellement dans les préfectures de Kagoshima et de Nagasaki — du personnel administratif et des policiers[219]. De la même façon, le droit de vote des populations locales n'est accordé qu'avec beaucoup de retard, comparé au reste du pays. Hokkaidō ne bénéficie d'une assemblée préfectorale qu'en 1901, et du droit de vote aux élections législatives, qu'en 1903. À Okinawa, ces droits ne sont accordés qu'en 1909 et 1912, alors que les autres préfectures jouissent de ces droits depuis 1871 et 1889[220].

L'État instaure des politiques d'assimilation par l'éducation, visant les Aïnous et les Okinawaïens[221]. Il ouvre des écoles primaires dont les professeurs sont recrutés exclusivement dans les autres préfectures. L'objectif est tout d'abord de supprimer les langues locales pour imposer le japonais standard[222] (via l'utilisation de symboles par exemple[223]), mais aussi d'effacer les coutumes de ces populations (interdiction des cheveux longs et des habits traditionnels à Okinawa). Si à Okinawa les écoles peuvent inclure des Japonais des autres préfectures, les Aïnous, jusqu'en 1922, sont éduqués dans des écoles séparées, principalement pour des motifs racistes[222]. Même si les élites d'Okinawa sont relativement favorables à l'assimilation, la majorité des Okinawaïens fait l'objet de discriminations par les autres Japonais — dans le pays comme dans ses colonies —, et partagent souvent le sort des migrants coréens[224].

L'économie de ces territoires est développée de manière diverse. À Hokkaidō, le gouvernement traite l'île comme un territoire vierge et un bureau de colonisation est créé pour la développer. D'anciens samouraïs et soldats sont incités à s'y installer pour mettre les terres en valeur en les cultivant[225]. À Okinawa, le gouvernement met en œuvre une réforme foncière, afin de lever plus d'impôts, mais y développe peu les infrastructures. La culture du sucre s'étend dans l'archipel, mais se trouve aux mains de marchands d'autres préfectures (principalement celles de Kagoshima et d'Ōsaka), et les bénéfices sont rarement réinvestis dans l'archipel. Cette industrie sucrière commence à décliner à Okinawa après l'intégration de Taïwan comme colonie. Ceci pousse de nombreuses populations locales à émigrer dans le reste du Japon ou dans les colonies[226].

Les colonies[modifier | modifier le code]

Mise en place des colonies et administration[modifier | modifier le code]

L'empire du Japon se constitue en quelques années, de 1895 à 1922, un empire colonial. Le pays connaît une phase de croissance en intégrant des territoires proches avant cette date, comme l'archipel Ogasawara, les îles Ryūkyū, et Karafuto (actuelle Sakhaline), mais ses conquêtes restent limitées. Si la Corée est le premier territoire que le Japon cherche à intégrer (des discussions ont lieu dès 1873 au sein du pouvoir japonais), c'est Taïwan qui devient la première colonie du pays en 1895. À la faveur d'une guerre contre la Chine au sujet de la Corée, le traité de Shimonoseki qui fixe cette année-là les conditions de la paix entre les deux pays octroie la souveraineté de l'île aux Japonais[227]. La mainmise sur la Corée se fait plus progressivement et le Japon doit d'abord vaincre militairement la Chine en 1895 puis la Russie en 1905[228] avant de pouvoir transformer la Corée en protectorat (en 1905) puis de l'intégrer comme colonie (en 1910). Le Japon intègre enfin dès 1914 les colonies allemandes du Pacifique à l'occasion du déclenchement de la première Guerre Mondiale[229].

La pacification de ces territoires est obtenue de manière variable. À Taïwan, la résistance à la colonisation par le Japon nécessite une campagne militaire de cinq mois, coûteuse en hommes (sept mille morts du côté japonais) et en matériel, à laquelle s'ajoutent plusieurs décennies de révoltes et d'incidents sporadiques. L'île étant devenue presque par accident une colonie japonaise, les autorités n'ont pas de plan précis pour son administration ou son développement, situation qui dure jusqu'à la nomination du général Kodama Gentarō comme gouverneur général de l'île[230]. En Corée la période de protectorat est mise à profit par le Japon pour s'imposer dans l'appareil d'État existant, et pour placer des Japonais aux postes clefs, en particulier ceux liés à la police, à l'armée, aux communications, aux transports et à la justice. La mise en œuvre de l'administration coloniale est assurée assez brutalement par le général Terauchi Masatake de 1910 à 1916 qui agit alors comme gouverneur-général de Corée[231]. La situation est plus nuancée dans les autres territoires colonisés. À Sakhaline la colonisation apparait d'avantage comme un prolongement de la politique menée à Hokkaidō. La plupart des colons sont Japonais en dehors de quelques Aïnous disséminés sur l'île. Dans le Liadong le statut incertain du territoire complique son administration, qui se heurte à de nombreux problèmes financiers jusqu'à son intégration au sein du Mandchoukouo[232]. Dans les territoires du Pacifique, l'administration civile japonaise ne prend pas immédiatement la suite de l'administration allemande, et l'armée gère pour un temps ces îles. Dès 1922 la situation est régularisée et la population subit rapidement une dynamique d'acculturation en faveur du Japon[233].

Le Japon fait le choix de mettre en œuvre une politique coloniale et des institutions locales similaires aux modèles occidentaux de la même époque[234]. Les soutiens japonais de la colonisation développent eux aussi un discours raciste se voulant scientifique, reflet des politiques occidentales contemporaines[235]. Dans les faits la gestion des populations locales est le plus souvent paternaliste, et adopte un ton humanitaire dans sa forme, à la manière de la mission civilisatrice en France ou Le Fardeau de l'homme blanc au Royaume-Uni[236]. Le Japon se distingue de ses modèles occidentaux en y ajoutant une dimension pan-asianiste dans laquelle le Japon serait appelé à servir de modèle pour unifier les différents peuples d'Asie, ceux-ci devant adopter ses mœurs et sa culture pour s'élever à son niveau[237]. Dès le début des années 1920, dans l'atmosphère libérale qui caractérise la période de la démocratie Taishō, des gouvernements civils prennent la place des gouverneurs militaires dans toutes les colonies, sauf en Corée pour des raisons stratégiques, et en raison de l'ampleur du Mouvement du 1er mars 1919[234]. Quelques mesures modestes y sont cependant décidées pour permettre à quelques Coréens de monter dans la hiérarchie de l'administration coloniale, et pour octroyer quelques libertés dans le domaine culturel[238]. L'idée est alors non pas d'accorder des possibilités d'autonomie aux colonies, mais au contraire de viser à les intégrer au sein de l'appareil politique japonais[239]. La parenthèse libérale des années 1920 dans les colonies japonaises est cependant rapidement remise en cause par le tournant militariste du régime dans les années 1930, puis par la période de guerre totale au début des années 1940[240]. Le but n'est alors plus d'octroyer les mêmes droits aux populations locales des colonies, mais de les soumettre aux même obligations, notamment militaires, que les Japonais[241].

Les gouvernements locaux des colonies sont pour l'essentiel similaires. Un gouverneur nommé par décret impérial les dirige. Elles comportent trois niveaux de gouvernement (colonial, régional, et municipal). Si à Taïwan les Japonais occupent les postes à tous les niveaux (comme à Sakhaline et dans les colonies du pacifique), en Corée (et dans le Liadong) le niveau municipal est souvent largement fourni en locaux. Des instances chargées de réceptionner les suggestions des locaux existent, mais restent consultatives, et leurs membres sont nommés, ce qui assure de leur biais pro-japonais[242]. L'administration est en général efficace, et assurée par des fonctionnaires issus des plus grandes universités impériales[243]. Le Japon y stationne de plus des forces armées importantes, notamment comparées aux moyens militaires que les puissances coloniales occidentales stationnent dans leurs propres colonies[244]. Enfin, pour s'assurer de la loyauté des colonisés, le pouvoir japonais n'hésite pas à adapter son discours en fonction des colonies pour mieux manipuler les populations et les soumettre à son autorité. Ainsi à Taïwan le système Baojia qui soumet traditionnellement les différentes communautés locales à un ensemble de responsabilités collectives est exploité par les Japonais, alors qu'en Corée c'est le modèle néoconfucéen qui prône la loyauté des administrés au souverain qui est mis en avant[245].

Développement et exploitation économique[modifier | modifier le code]

Si la création de colonies par le Japon obéit avant tout à des motifs stratégiques, le pays cherche rapidement à en tirer des bénéfices économiques. L'administration coloniale met en place de nombreuses politiques visant à développer ces territoires qui restent beaucoup plus ruraux que la métropole[246]. Le plus souvent, ces politiques sont issues de l'expérience acquise par le Japon à l'occasion de sa propre modernisation, lors de l'ère Meiji. À Taïwan, ne pouvant compter sur aucune source de revenus déjà en place, l'administration coloniale développe en priorité les secteurs les plus aptes à assurer de rapides rentrées d'argent. En recourant à l'endettement et à de nombreuses taxes sur les produits agricoles, l'agriculture de l'île est rapidement modernisée. Développée entre 1900 et 1910, l'industrie sucrière est à l'origine de la première manne financière sur laquelle peut compter le gouvernement colonial de Taïwan[247], bientôt suivie par la production de riz qui, au cours des années 1920, atteint le deuxième rang en volume des importations vers le Japon[247].

Cette stratégie de développement basée sur des investissements publics massifs — eux-mêmes basés sur l'endettement allant de pair avec la création de monopoles semi-publics — est reprise par la suite dans d'autres colonies japonaises comme les îles du Pacifique, le Liaodong ou à Karafuto. Le but de cette augmentation de la production n'est pas de répondre à des besoins locaux, mais avant tout de fournir des ressources à la métropole. À leur tour, les colonies absorbent une partie de la production industrielle du Japon, et l'État veille à ne pas y développer d'industries qui pourraient menacer celles de la métropole[247]. La production agricole des colonies n'entre pas en concurrence avec la production agricole locale, cette dernière ne parvenant plus à nourrir toute la population japonaise. La production de riz de la Corée en particulier est même encouragée pour satisfaire les besoins de la métropole[248], parfois au détriment de la population locale qui doit s'alimenter avec des céréales de qualité inférieure[249].

Ce système fondé sur la production agricole perdure jusqu'au début des années 1930, mais doit s'adapter en raison de la double contrainte de la crise économique mondiale de 1929 et de la remilitarisation progressive du Japon[250]. De nombreuses entreprises étant malmenées par la Grande Dépression, les acteurs financiers japonais cherchent à réaliser de nouveaux investissements rentables dans le secteur de l'industrie. Les économies de la Corée et de Taïwan voient leurs priorités évoluer, le but devenant alors de produire des matériaux pouvant être utilisés par l'industrie japonaise, comme des minerais, du pétrole, ou des métaux divers. Cet effort d'industrialisation produit des résultats mitigés à Taïwan, mais rencontre un certain succès en Corée : en effet, la péninsule est riche en minerais, en potentiel hydroélectrique, et en main-d'œuvre bon marché, contrairement à Taïwan qui ne dispose pas d'infrastructures aussi développées[249]. Là encore, l'industrialisation ne bénéficie pas aux populations locales, la production étant tournée vers les besoins de la métropole, en particulier vers les besoins militaires. Dans les années 1930, par exemple, la Corée produit trois fois plus d'énergie hydroélectrique que Taïwan, mais seuls 12 % des foyers coréens disposent de l'électricité, contre 36,3 % des foyers taïwanais à la même période. L'inadéquation entre la production et les besoins de la population locale est d'autant plus aggravée qu'à partir des années 1930, la péninsule coréenne sert de base arrière à l'armée japonaise pour son invasion de la Chine. Cette industrialisation des colonies est aussi d'un intérêt limité pour l'archipel. Ses colonies ne peuvent fournir la métropole en ressources clefs comme les fibres textiles, mais également en métaux, en pétrole, ou en produits fertilisants, et le Japon est toujours contraint de recourir à des importations. De plus, les colonies ne représentent qu'un marché limité pour écouler les productions du pays — pas plus de 20 % des produits industriels exportés y sont vendus, et pas plus de 10 % de ses produits textiles[250].

Japonais et populations locales dans les colonies[modifier | modifier le code]

Les Japonais qui s'installent dans les colonies importent avec eux leur mode de vie ou cherchent à le reproduire localement. Ces usages s'expriment notamment à l'occasion de la construction de capitales ou de centres urbains coloniaux. C'est ainsi qu'à Taïwan, la ville de Taipei (renommée Taihoku par le Japon) fait l'objet de grands travaux de rénovation : de larges avenues bordées d'arbres sont percées, des parcs et des jardins sont aménagés, et d'imposants bâtiments de briques rouges sont construits pour les administrations. Par la suite, d'autres pôles régionaux de Taïwan subissent le même sort, de même que les capitales des autres colonies, comme Séoul (alors renommée Keijo), Dalian (renommée Dairen), Port-Arthur (alors renommée Ryojun), ainsi que Toyohara à Karafuto. Le réaménagement de ces villes est alors très similaire à ce que font les autres puissances dans leurs propres colonies. De plus, des quartiers résidentiels sont spécialement construits pour accueillir la population japonaise et tenir celle-ci à l'abri et à l'écart de la population locale — cette dernière, en dehors de quelques élites, ne peut bénéficier de toutes ces améliorations. Des hôpitaux, des écoles, mais aussi des sanctuaires shintōs, sont ainsi édifiés dans les grands pôles urbains des colonies[251].

Cette vie en autarcie, dans des conditions bien plus aisées que celles que connaissent les populations locales, nourrit un sentiment de supériorité des colons vis-à-vis des colonisés et crée des tensions grandissantes[252]. Les réactions des populations locales varient cependant selon les colonies. En Corée, dès la période de protectorat, le Japon doit faire face à une guerre larvée et à de larges mouvements d'opposition dans la population, notamment lors du mouvement du 1er mars 1919, qui aboutit à la constitution d'un gouvernement coréen en exil, réclamant l'indépendance du pays. À Taïwan, au contraire, la population est beaucoup plus passive face à l'ordre colonial imposé par le Japon (bien que soient enregistrés quelques épisodes de révoltes d'aborigènes)[253], tout comme dans le Liaodong où la population locale cherche au contraire à échapper à l'ordre des seigneurs de guerre qui ravagent la Chine à la même époque. À Karafuto et dans les îles du Pacifique, de manière très rapide, les Japonais sont largement en surnombre — comparé à la population locale, qui est alors marginalisée[254]. La différence de réactions entre les populations coréenne et taïwanaise s'explique par plusieurs facteurs. À Taïwan, lors de la conquête japonaise, les élites locales ont pu fuir vers la Chine continentale, laissant peu de cadres politiques ou économiques enclins à s'opposer à la présence nippone. En Corée, tout au contraire, l'essentiel des élites est resté dans le pays. À l'époque, Taïwan dispose d'institutions très récentes, alors qu'en Corée, l'histoire politique du pays est ancienne, et un cadre néoconfucéen traditionnel est profondément ancré dans les habitudes de la population. De plus, depuis la guerre d'Imjin en 1592-1598, les Coréens nourrissent un certain ressenti vis-à-vis des Japonais. Les conditions de la colonisation sont aussi plus dures en Corée que dans les autres colonies, et de nombreux symboles culturels sont pris pour cibles par les Japonais[255].

En Corée, comme à Taïwan, dans l'administration et dans les finances, les Japonais occupent la plupart des postes à responsabilités, ce qui limite l'acquisition de compétences professionnelles par les populations locales. Lors de cette phase de colonisation, aucun groupe d'entrepreneurs ne se développe à Taïwan, et ceux-ci sont très peu nombreux en Corée. Lors du retrait des Japonais en 1945, ces compétences manquent, ce qui déstabilise l'économie locale[256].

La sphère d'influence de l'empire[modifier | modifier le code]

L'État du Mandchoukouo est progressivement intégré à l'aire d'influence du Japon. Si dès le début du XXe siècle, des intérêts économiques lient ce territoire au Japon, c'est l'incident de Mukden en 1931 qui provoque l'invasion japonaise du pays. À la suite de l'incident de Tientsin de 1932, l'ancien empereur de Chine[n 8] est placé sur le trône du pays et prend le nom de règne de Puyi[257]. S'agissant d'un régime fantoche, la reconnaissance internationale du Mandchoukouo reste dépendante du Japon, et fluctue en fonction de la signature de ses alliances[n 9],[258]. Si la tête du gouvernement est formellement confiée à un Chinois, ses dirigeants sont tous japonais, et les plans de développement du pays sont préparés au Japon[259]. En 1932, est mise en place une banque centrale de Mandchou, qui permet d'ancrer le système monétaire du pays à celui du Japon, créant ainsi une « zone économique Japon-Mandchoukouo » unique[260]. En 1937, Ishiwara prépare directement la mise en œuvre d'un plan de développement économique de cinq ans ; des zaibatsu comme Nissan prennent part à la réorganisation du tissu industriel du pays[205]. L'exploitation agricole de la Mandchourie est une priorité pour le Japon, qui à partir de 1936, cherche à y faire immigrer plus d'un million de fermiers japonais — au final 270 000 fermiers japonais sont présents à la fin de la guerre. Bien que la productivité agricole reste en deçà des objectifs visés par les autorités japonaises, la Mandchourie reste un important fournisseur alimentaire pour le Japon jusqu'à la fin de la guerre[261].

Après 1938, lorsque le Japon étend sa mainmise sur le nord de la Chine — via des régimes fantoches ou proches, comme le Mengjiang en Mongolie ou des gouvernements collaborateurs en Chine —, il y crée des entreprises de développement (ou Kaihatsu Kaisha) pour assurer l'exploitation de mines ou d'usines locales[262].

À partir du début des années 1930, l'asiatisme gagne en vigueur au Japon et sert de cadre intellectuel à cet expansionnisme nippon. En 1933 est fondée la société de la Grande Asie qui prône l'union et la solidarité de toutes les populations asiatiques[263], ainsi que l'instauration par le Japon d'un pendant à la doctrine Monroe, qui exclurait d'Asie toute ingérence occidentale. L'association et ses idées jouissent d'un certain poids politique, puisque s'y croisent des personnalités politiques ou militaires, comme Konoe Fumimaro, Ishiwara Kanji, ou Matsui Iwane, ou même, des intellectuels, comme Ōkawa Shūmei. La société de la Grande Asie façonne les éléments de langage utilisés par la suite politiquement pour justifier les interventions du Japon en Asie. Dans ses publications, l'association donne aussi la parole à divers militants indépendantistes — asiatiques, comme Mohammed Hatta ou Achmad Soebardjo, ou même panafricains, comme W. E. B. Du Bois[264]. Si ce discours prônant l'asiatisme rend dubitative une bonne partie de la population japonaise lors du déclenchement de la guerre contre la Chine en 1937, il rencontre un bien meilleur écho lors du déclenchement de la guerre contre les Alliés, puis lors des premières victoires militaires[265].

Début 1942, l'avancée rapide des troupes japonaises dans le sud-est asiatique place un grand nombre de pays de cette région sous la domination du Japon. Ces territoires sont administrés selon des modalités variées : aux Philippines, est proclamée une république fantoche, la Malaisie est coupée en deux zones, l'une transférée à la Thaïlande et l'autre sous occupation japonaise, l'Inde se voit reconnaître un gouvernement pro-japonais en exil, avec Subhas Chandra Bose à sa tête[266]. Ce n'est qu'en , au terme d'une conférence impériale, qu'est prise la décision d'intégrer plus formellement ces territoires dans la sphère d'influence japonaise. La Birmanie et les Philippines se voient confirmer leurs gouvernements nationaux : la Birmanie est reconnue comme un État, avec Ba Maw à sa tête, alors que l'Indonésie et la Malaisie sont administrées directement par le Japon. Dans le même temps, le Japon resserre ses liens avec le gouvernement collaborateur chinois en signant une alliance militaire en [267]. Une conférence de la Grande Asie orientale est organisée en pour formaliser cette union politique autour du Japon, sous la forme de la sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale, mais les importants revers militaires qui frappent déjà le Japon à cette date en font rapidement une coquille vide. Pressé par ses besoins en ressources, le Japon cherche à piller assez largement les pays sous sa domination jusqu'à leurs redditions respectives[149]. Cependant, les importations depuis ces pays restent très limitées, la marine japonaise perdant une grande partie de ses capacités de transport au fur et à mesure de l'avancée du conflit[268].

Émigrations japonaises[modifier | modifier le code]

Avec l'ère Meiji prend fin l'interdiction faite aux Japonais de se rendre à l'étranger. De nombreux travailleurs en profitent pour aller chercher du travail en dehors de leur pays. Ces flux de migrants sont continuels pendant cette période, mais les destinations évoluent en fonction des priorités du gouvernement japonais et des gouvernements locaux[269].

Lors de l'ère Meiji, c'est d'abord vers Hawaï que s'orientent les travailleurs japonais, avant de gagner également la côte ouest des États-Unis, en particulier la Californie, mais aussi la région de Vancouver au Canada[269]. Dans ces différentes destinations, les Japonais sont cependant l'objet d'un rejet de la part des populations locales, et au fil du temps, plusieurs lois sont promulguées pour limiter leurs possibilités d'émigration et d'intégration. Les accords nippo-américains de 1907 vont jusqu'à pousser le gouvernement japonais à prendre des mesures pour empêcher ses ressortissants d'émigrer aux États-Unis, sur demande de ces derniers. Dans les années 1920, des tensions sur cette question surgissent à nouveau entre États-Unis et Japon, lorsqu'un mouvement anti-asiatique obtient la mise en œuvre de nouvelles mesures. À partir de 1920, une quinzaine d'États font voter des lois pour interdire la possession de propriétés par des Japonais. En 1921, Le Congrès adopte des quotas d'immigration très défavorables aux Japonais, la Cour suprême juge les Japonais inéligibles à la citoyenneté américaine, et la loi d'immigration Johnson-Reed de 1924 restreint de manière encore plus drastique l'immigration japonaise dans le pays[122]. À partir des années 1920, toutes ces mesures catalysent une défiance réciproque entre responsables japonais et américains[270]. Ainsi, si le nombre de Japonais présents sur le continent passe de 76 709 à 131 357 entre 1909 et 1924, il redescend et se stabilise autour de 111 184 en 1936. À Hawaï, la situation est différente, le nombre de Japonais continuant de croitre sur la même période, passant de 65 760 en 1909 à 123 036 en 1924, puis progressant à 152 199 en 1936[271].

À partir du milieu des années 1920, l'Amérique du Sud devient une destination importante — le Pérou et le Brésil, en particulier. Le nombre de Japonais au Pérou passe ainsi de 9 864 à 22 570 entre 1924 et 1936, et au Brésil[269], leur nombre passe de 605 en 1909 à 41 774 en 1924, puis à 193 057 en 1936[271]. À partir des années 1930, la Mandchourie, transformée en un État fantoche dirigé par l'armée japonaise, est aussi une destination importante[269], et le nombre de Japonais y passe de 31 427 en 1909 à 93 223 en 1924, puis à 376 036 en 1936[271].

L'émigration japonaise vers ses colonies comme la Corée et Taïwan est plus limitée, et se heurte à plusieurs contraintes. La Corée est déjà très peuplée, et Taïwan comme Korafuto possèdent des climats peu favorables aux Japonais. Au début, les migrants nippons sont essentiellement des petits paysans et des travailleurs pauvres, ce qui limite le succès de leur intégration. Cependant, ces migrants accaparent terres et ressources au détriment des populations locales, ce qui déclenche de l'animosité entre locaux et Japonais[272]. Dans les années 1920, alors que s'achève cette première phase, la nouvelle vague de migration qui s'amorce est plus limitée. C'est avec peu de succès que l'État met en place des incitations pour que les Japonais s'établissent à Taïwan et en Corée, et les colonies agricoles restent peu nombreuses dans ces territoires. La population japonaise est très minoritaire comparée à celle des locaux : elle ne représente que 5,6 % de la population de Taïwan en 1930, et 2,9 % de la population de la Corée en 1939. Cette faiblesse numérique des migrants limite leur poids politique dans l'archipel, où ils peinent à faire évoluer la politique coloniale[273]. Les migants japonais se concentrent cependant dans les strates les plus élevées de la société, où ils occupent des postes dans les administrations, dans le commerce ou dans l'industrie. Il s'agit d'une population essentiellement urbaine : en 1938, la moitié des Japonais en Corée se concentrent dans dix agglomérations, et à Taïwan, 41 % des Japonais résident dans la capitale Taipei[274]. Seule exception notable, la Micronésie où l'immigration japonaise met en minorité la population autochtone[251].

La fin de la Seconde Guerre mondiale et l'effondrement de l'empire colonial japonais déclenchent le retour en masse des émigrants japonais, civils comme militaires. Immédiatement après la guerre, ce sont sept cent mille personnes qui sont ainsi rapatriées depuis la Corée, et 470 000 personnes depuis Taïwan, la plupart avant la fin de l'année 1946. À partir de 1956, un demi-million de prisonniers de guerre[n 10] capturés lors de l'offensive soviétique de Mandchourie sont progressivement libérés[275]. À de nombreuses reprises, le gouvernement japonais organise l'avortement des Japonaises victimes de viols avant leur retour. Au total, six millions de personnes, soit 8 % de la population japonaise de l'époque, sont ainsi rapatriées[276].

Minorités au Japon et dans l'Empire[modifier | modifier le code]

Au cours de la période, plusieurs minorités peuplant le Japon font de traitements divers par les pouvoirs successifs.

Les Burakumin sont à l'origine un groupe social japonais discriminé, socialement et économiquement, en raison de leurs professions, jugées impures selon les standards bouddhistes. L'État ne leur impose aucune mesure particulière, ni aucune politique discriminante, mais ils subissent un rejet de la part de la population. Cette situation pouvant entraîner des troubles, le pouvoir s'en inquiète. Dans les années 1890, apparait une forme d'activisme au sein de la communauté des Burakumin, pour normaliser leurs conditions de vie et leurs rapports avec le reste des Japonais. Ce mouvement s'intensifie à partir de 1920. En 1922, une association nationale voit même le jour, la Zenkoku Suiheisha, qui connaît un succès rapide et qui, dès 1925, dispose de 703 bureaux locaux. Les avancées sont cependant modestes, et l'État reste suspicieux vis-à-vis du dynamisme de l'association, préférant soutenir des initiatives moins radicales[277].

Les migrants coréens dans l'empire sont confrontés à des problématiques propres. Attirés au Japon par des promesses de travail dans des secteurs comme l'industrie, les mines ou la construction, ils arrivent en nombre dans l'archipel après la transformation de la Corée en colonie en 1910. S'ils ne sont que mille cette année-là, ils sont trois cent mille en 1930, environ un million en 1940, puis deux millions à la fin de la guerre. La plupart d'entre eux sont issus des campagnes coréennes les plus pauvres, et près de la moitié sont illettrés. Ils ont très mauvaise réputation dans la population japonaise. Ainsi, lors du séisme qui ravage Tokyo en 1923, entre quatre mille et six mille Coréens périssent lapidés par la foule qui les accuse de divers méfaits. À côté de cette immigration de travail, existe aussi une immigration d'étude. En 1915, 481 Coréens étudient dans les universités japonaises, et ce chiffre passe à huit mille en 1930, puis à 29 000 en 1942. Le pouvoir japonais se méfie beaucoup de cette immigration, qu'il suspecte d'entretenir des liens avec les mouvements locaux d'extrême gauche. La plupart de ces étudiants soutiennent l'indépendance de la Corée, et le pouvoir japonais craint qu'ils ne cherchent à provoquer des troubles dans l'archipel en ralliant les Coréens travaillant au Japon[278].

À Hokkaidō et Karafuto, les Aïnous subissent le développement rapide de ces territoires. Marginalisés, ils sont victimes d'un phénomène d'acculturation rapide. Le gouvernement japonais cherche à les assimiler via l'éducation, et en particulier via l'enseignement du japonais. Plusieurs de leurs pratiques culturelles, comme les tatouages et les boucles d'oreilles, sont interdites. À partir de 1920, des Aïnous éduqués commencent à se réunir pour préserver et valoriser leurs traditions, mais le gouvernement favorise au contraire leur assimilation. Les Aïnous sont aussi régulièrement « étudiés » pour soutenir les théories raciales de l'époque, et leur culture est souvent réduite à une vitrine touristique[279].