Droit nazi — Wikipédia

Marinus van der Lubbe lors du procès nazi le plus médiatisé.

Le droit nazi désigne l'ordre juridique du Troisième Reich. Les juges, juristes et administrateurs de ce régime – dont les professionnels juifs furent exclus – ont prétendu s'inspirer d'un ancien droit germanique et œuvrer pour l'avènement du bon sens populaire (de), du droit du peuple (de) et de l'État de droit national-socialiste (de). L'obéissance au chef constitue le socle de cet ordonnancement constitutionnel (de). Après la guerre, il a fait l'objet de la Loi no 1 du Conseil de contrôle allié portant abrogation du droit nazi. Cette phase de l'histoire du droit allemand a donné lieu à d'importants débats philosophiques sur la nature du droit et la nécessité d'y désobéir, notamment autour de la formule de Radbruch (de).

Législation[modifier | modifier le code]

Persécutant les personnes juives[modifier | modifier le code]

Les lois de Nuremberg (en allemand: Nürnberger Gesetze, /ˈnʏʁnbɛʁɡɐ ɡəˈzɛt͡sə/[1] Écouter) sont trois textes adoptés par le Reichstag à l'initiative d'Adolf Hitler, lors d'une session du parlement tenue à Nuremberg à l'occasion du septième congrès annuel du Parti nazi, le  :

Elles sont rédigées, dans la précipitation, sur instruction directe de Hitler et adoptées à l'unanimité par les membres du Reichstag. Les trois lois sont publiées au Reichsgesetzblatt le et entrent en vigueur le jour de leur promulgation.

La loi sur la citoyenneté du Reich, mise en œuvre par un décret du , et la loi sur la protection du sang et de l'honneur allemand participent de manière essentielle à la transposition de l'antisémitisme nazi dans l'appareil législatif du Troisième Reich. Elles permettent de poursuivre et d'accentuer le processus d'exclusion des Juifs de la société allemande entamé dès .

Droit du travail[modifier | modifier le code]

La loi du sur l’organisation du travail national (Gesetz zur Ordnung der nationalen Arbeit vom 20. Januar 1934), dite loi d’organisation du travail ou Arbeitsordnungsgesetz (AOG)[2] est une loi adoptée le par le Gouvernement du Reich dans le cadre de la Gleichschaltung et appliquant le Führerprinzip au monde de l’entreprise : elle nomme les patrons des grandes entreprises allemandes « Führer » de leur firme et interdit la grève.

En cas de conflit entre patrons et ouvriers dans une entreprise de moins de 20 salariés, la loi établit que le conflit devait être réglé par un conseil de confiance (Vertrauensrat), composé de militants nazis élus par les ouvriers de l'entreprise sur une liste dressée par le patron en accord avec la cellule nazie.

Si le désaccord subsistait, elle prévoyait qu’un administrateur du travail (Treuhänder der Arbeit), fonctionnaire gouvernemental, trancherait. Un tribunal d'honneur a été créé auprès de chaque administrateur, qui était habilité à relever les dirigeants d'usine en cas de faute grave ou d'abus de confiance[3].

Selon la loi, les dirigeants de l'usine possédaient une autorité absolue, et les employés devaient se soumettre sans poser de questions. Elle limitait considérablement la capacité et la possibilité de se plaindre et éliminait le droit des travailleurs à participer à la prise de décision[4].

Les relations du travail doivent être réglées autant que possible au sein même de l'entreprise qui rencontrera, pendant une période assez longue de transition, des difficultés aussi bien d'ordre personnel qu'économique et social. On a alors donné au commissaire du travail des moyens de régler les conditions du travail.

La loi a été signée par Adolf Hitler (chancelier du Reich), Franz Seldte (ministre du Travail du Reich), Dr Kurt Schmitt (ministre de l'Économie du Reich), Dr Franz Gürtner (ministre de la Justice du Reich), Johann Ludwig Graf Schwerin von Krosigk (ministre des Finances du Reich) et Wilhelm Frick (ministre de l'Intérieur du Reich).

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la loi sur l'ordre du travail a été abrogée par la loi sur le conseil de contrôle (Kontrollratsgesetz) no 40 du 30 novembre 1946[5].

Agricole[modifier | modifier le code]

Voir Reichserbhofgesetz (de).

Électoral[modifier | modifier le code]

Voir Droit électoral nazi (de).

Justice[modifier | modifier le code]

Politique[modifier | modifier le code]

Un Sondergericht, un « tribunal d'exception » (pluriel : Sondergerichte) est un tribunal hitlérien. À partir de 1933, une variété de nouveaux crimes et délits institués par lois ou décrets d'exception sont jugés par des juridictions spéciales du Troisième Reich.

Eugénique[modifier | modifier le code]

Voir Erbgesundheitsgericht (de).

Martiale[modifier | modifier le code]

Voir Juridiction martiale nazie (de).

Reichskriegsgericht[modifier | modifier le code]

Bâtiment abritant anciennement le Reichskriegsgericht à Berlin-Charlottenbourg.
Le Reichskriegsgericht (RKG, en français : cour martiale du Reich) était la plus haute cour martiale à l'époque de l'Allemagne nazie .

Administration[modifier | modifier le code]

Ministère[modifier | modifier le code]

Le ministère de la Justice du Reich (Reichsministerium der Justiz en allemand) était un ministère du Reich allemand de 1919 à 1945. Ce ministère succéda à l'office de la Justice du Reich (Reichsjustizamt) et fut remplacé en 1949 par le ministère fédéral de la Justice (Bundesministerium der Justiz).

Police[modifier | modifier le code]

Voir Police nazie (en).

Départements[modifier | modifier le code]

SS[modifier | modifier le code]

Voir Système judiciaire de la SS (en).

Recherche et enseignement[modifier | modifier le code]

Académie du droit allemand[modifier | modifier le code]

L'Académie du droit allemand est, de 1933 à 1945, l'office scientifique responsable de la refonte nazie du système juridique allemand, et l'instrument de la mise au pas de la société sous le Troisième Reich.

Fondée le à Munich, présentée au congrès des juristes allemands le par Hans Frank à Leipzig, l'académie du droit allemand devient une institution publique, dont le siège est à Munich, le .

Postérité[modifier | modifier le code]

Le droit nazi a été travaillé de manière très intense par les différentes politiques de dénazification, mais il a aussi continué à exister et à contribuer au fonctionnement des tribunaux et des administrations de l'après-guerre[6],[7].

Ruptures[modifier | modifier le code]

Annulations[modifier | modifier le code]

Voir Loi no 1 du Conseil de contrôle allié portant abrogation du droit nazi et Annulation de jugements nazis injustes (de).

Justice internationale[modifier | modifier le code]


Le procès des Juges (officiellement The United States of America vs. Josef Altstötter, et al.) a été le troisième des douze procès pour crimes de guerre organisé par les autorités américaines dans leur zone d'occupation en Allemagne, à Nuremberg, après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Dans ce procès, les accusés étaient seize juristes et avocats allemands. Neuf avaient été fonctionnaires du Reich au ministère de la Justice, d'autres étaient procureurs et juges de tribunaux spéciaux et tribunaux populaires du Troisième Reich. Ils étaient notamment tenus pour responsables de la mise en œuvre et la promotion de la « pureté raciale » nazie par le biais d'un programme d'eugénisme et de lois raciales.

Tous les accusés ont plaidé non coupable. Quatre ont été condamnés à la prison à vie ; quatre ont été acquittés.

Justice de la zone britannique[modifier | modifier le code]

Voir Oberster Gerichtshof für die Britische Zone (de).

Justice de la RFA[modifier | modifier le code]

Selon Jörg Friedrich, la majorité des procès contre des juges nazis devant des tribunaux de la République fédérale allemande pour prévarication s'est soldée par des acquittements[8].

Travail de mémoire[modifier | modifier le code]

Voir Ungesühnte Nazijustiz (de).

Continuités[modifier | modifier le code]

Après la guerre, le droit nazi a continué à produire des effets à travers des normes restées en place, des institutions inchangées et des professionnels nazis du droit restés en fonction[9],[10].

Droit privé allemand[modifier | modifier le code]

Après la guerre, un certain nombre de normes du droit nazi ont continué à être appliquées dans les faits par les tribunaux[11],[12]. Cette situation a créé de nombreuses complexités dans la jurisprudence[13].

Droit pénal allemand[modifier | modifier le code]

Selon Kai Ambos (en), la justice pénale nazie exerce encore aujourd'hui une influence déterminante sur les pratiques des tribunaux allemands[14].

Droit européen[modifier | modifier le code]

Selon Christian Joerges (de) et Navraj Singh, le droit nazi a exercé une influence non négligeable sur la formation du droit européen[15].

Débats philosophiques[modifier | modifier le code]

« Inutile d'ajouter que le fatras juridique qui en résulta, loin d'être seulement un symptôme de pédanterie ou de perfectionnisme, servit de la façon la plus efficace à donner une apparence de légalité à toute l'affaire[16]. »

— Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem

Le droit nazi a donné lieu, dans l'après-guerre, à des débats et des réflexions sur l'injustice du droit, notamment autour de la formule de Radbruch[17]. Progressivement, vers le tournant du XXIe siècle, de plus en plus d'auteurs ont considéré que l'ordre judiciaire et administratif nazi n'aurait rien à voir avec le vrai droit mais serait plutôt une anomie monstrueuse et exceptionnelle. Selon Marie Goupy ce déni de la nature juridique du régime nazi – qu'elle met en parallèle avec certaines critiques de l'état d'exception comme défaut seulement ponctuel de l'état de droit – est une tentative malheureuse de trancher le flou entre droit et non-droit. Pour elle, c'est précisément ces relations d'indistinction entre le droit et les autres formes de contrôle et de pouvoir au sein de la société dans son ensemble qui peuvent faire des outils juridiques des armes de domination[18].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Prononciation en allemand standard retranscrite selon la norme API.
  2. Reichsgesetzblatt, 1934, partie I, p. 45 [lire en ligne]]
  3. Monika Herrmann, Enzyklopädie des Nationalsozialismus, s.v. Arbeitsordnungsgesetz, p. 949.
  4. Tillack-Graf, Anne-Kathleen (2014). "Work during the Time of Nazi Germany: Work for Nazi Germany". In Polkowska, Dominika (ed.). The Value of Work in Contemporary Society. Oxford. p. 169–174.
  5. (de) « Kontrollratsgesetz Nr. 40 » Accès libre (consulté le )
  6. (de) Eva Schumann, Kontinuitäten und Zäsuren: Rechtswissenschaft und Justiz im "Dritten Reich" und in der Nachkriegszeit, Wallstein, (ISBN 978-3-8353-0305-8, présentation en ligne, lire en ligne)
  7. (de) Joachim Perels, Das juristische Erbe des "Dritten Reiches": Beschädigungen der demokratischen Rechtsordnung, Campus Verlag, (ISBN 978-3-593-36318-9, lire en ligne)
  8. (de) Jörg Friedrich, Freispruch für die Nazi-Justiz: die Urteile gegen NS-Richter seit 1948 : eine Dokumentation, Rowohlt, (ISBN 978-3-499-15348-8, lire en ligne)
  9. Justiz und Nationalsozialismus: Kontinuität und Diskontinuität ; Fachtagung in der Justizakademie des Landes NRW, Recklinghausen am 19. und 20. November 2001, BWV Berliner Wissenschaftsverl, coll. « Juristische Zeitgeschichte Abteilung 2, Forum juristische Zeitgeschichte », (ISBN 978-3-8305-0528-0, présentation en ligne)
  10. Martin Bennhold, Spuren des Unrechts: Recht und Nationalsozialismus ; Beiträge zur historischen Kontinuität, Pahl-Rugenstein, coll. « Kleine Bibliothek Politik und Zeitgeschichte », (ISBN 978-3-7609-1254-7)
  11. (de) Maren Bedau, Entnazifizierung des Zivilrechts: die Fortgeltung von NS-Zivilrechtsnormen im Spiegel juristischer Zeitschriften aus den Jahren 1945 bis 1949, BWV, coll. « Berliner juristische Universitätsschriften », (ISBN 978-3-8305-0597-6, OCLC ocm57569414, présentation en ligne)
  12. (de) Manuela Sonnenschein, Entnazifizierung nationalsozialistischen Arbeitsrechts: die Rechtsprechungstätigkeit nordrhein-westfälischer Arbeitsgerichte 1945-1949, Ed. Rechtskultur in der H. Gietl Verl. & Publ.-Service GmbH, coll. « Rechtskultur Wissenschaft », (ISBN 978-3-86646-423-0, présentation en ligne)
  13. (de) Martin Löhnig, Neue Zeiten – Altes Recht: Die Anwendung von NS-Gesetzen durch deutsche Gerichte nach 1945, Walter de Gruyter GmbH & Co KG, (ISBN 978-3-11-040258-2, lire en ligne)
  14. Kai Ambos, Nationalsozialistisches Strafrecht: Kontinuität und Radikalisierung, Nomos ; Facultas ; Dike, coll. « Grundlagen des Strafrechts », (ISBN 978-3-8487-5631-5, 978-3-8452-9714-9 et 978-3-03891-096-1, présentation en ligne)
  15. (en) Christian Joerges et Navraj Singh Ghaleigh, Darker Legacies of Law in Europe: The Shadow of National Socialism and Fascism over Europe and its Legal Traditions, Bloomsbury Publishing, (ISBN 978-1-84731-167-2)
  16. Hannah Arendt (trad. Anne Guérin, Michelle-Irène Brudny-de Launay, Martine Leibovici et Pierre Bouretz), Les origines du totalitarisme et Eichmann à Jérusalen, Gallimard, coll. « Quarto », (ISBN 978-2-07-075804-3)
  17. Clea Laage, « Die Auseinandersetzung um den Begriff des gesetzlichen Unrechts nach 1945 », Kritische Justiz, vol. 22, no 4,‎ , p. 409–432 (ISSN 0023-4834, lire en ligne, consulté le )
  18. Marie Goupy, « Le non-droit, l’état d’exception et l’incertitude juridique comme outils de domination politique », Astérion. Philosophie, histoire des idées, pensée politique, no 19,‎ (ISSN 1762-6110, DOI 10.4000/asterion.3683, lire en ligne, consulté le )

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Il existe une catégorie consacrée à ce sujet : Loi du Troisième Reich.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Nazis juristes[modifier | modifier le code]