Affaire de la Tourette — Wikipédia

L'« affaire de la Tourette » ou « affaire de Bournissac » est un épisode de la Révolution française qui s'est produit à Marseille et s'étale entre le mois d' et le mois de . Pendant cette période, l’aristocratie et une partie de la haute bourgeoisie mènent une offensive contre le mouvement patriote et populaire pour les empêcher de retrouver la vigueur dont ils ont fait preuve au printemps 1789.

Cette affaire est traversée par le conflit qui oppose à Marseille l'ancienne garde citoyenne à la garde bourgeoise[1].

La journée du 19 août 1789[modifier | modifier le code]

Le matin du [2], de mystérieux placards manuscrits, signés « Sans Soucy », sont trouvés aux coins des rues de Marseille appelant les membres de l'ancienne garde citoyenne à se rassembler à l'esplanade de la Tourette[3]. Personne ne vient, sauf la foule qui accueille la garde bourgeoise avec des huées et des sifflets lorsque celle-ci arrive à la Tourette venant du Cours[4]en fin d’après-midi. Perdant leur sang-froid, les gardes bourgeois tirent alors sur la foule, blessant une quarantaine de personnes et tuant trois personnes, dont le brigadier Garcin de la garde bourgeoise. Alors que la garde bourgeoise s'est volatilisée[5], l'émeute s'étend dans tout le centre de Marseille. La maison de l'échevin Laflèche, située dans le quartier Noailles, est pillée et des meubles sont brûlés dans la rue. On arrêtera quarante-trois pillards et incendiaires ou présumés tels[6]. Le comte de Caraman, commandant en chef de Provence, essaie de prononcer une harangue pour calmer les esprits, mais il est obligé de s'enfuir pour ne pas être molesté par la foule. À dix heures du soir, la loi martiale est proclamée et, nonobstant les privilèges de la cité, les dragons et les Suisses entrent dans Marseille pour réprimer l'émeute et ramener le calme. Il y eut encore des attroupements le lendemain devant les forts Saint-Nicolas et Saint-Jean pour demander la libération des personnes incarcérées dans les émeutes de la veille, mais ils furent dispersés par les régiments d'Ernest-Suisses et du Royal-la-Marine.

M. de Bournissac et la justice prévôtale[modifier | modifier le code]

L'affaire donne lieu à une procédure judiciaire qui va susciter de vives polémiques. Au lieu de laisser informer le lieutenant criminel de la sénéchaussée, Jean-Pierre de Chomel, le comte de Caraman, en accord avec les échevins, confie l'instruction au prévôt général de la maréchaussée de Provence, M. Sanchon de Bournissac. Or, le propre de la justice prévôtale était de décider sans appel[7]. En plus, de Bournissac, qui s'installe au fort Saint-Jean, exécutera sa mission avec un particulière rigueur prenant comme procureur du roi Jean-Baptiste Laget et comme assesseur Jean-Baptiste Miolis[8], tous deux avocats, tous deux membres de la garde bourgeoise et tous deux ne cachant pas leur appartenance au parti aristocratique. Il apparut rapidement que l'enquête était orientée et qu'il s'agissait plutôt de s'en prendre aux jeunes patriotes qui s'étaient fait remarquer au printemps 1789 que d'établir les vraies responsabilités dans cette affaire[9]. Toussaint Pascal, Omer Granet et François Trophime Rebecqui sont arrêtés le [10], enfermés au fort Saint-Jean avant d'être mis au secret au château d'If. Par contre on ne donna pas suite à la demande de Barbaroux, Lejourdan et Mossy de subir le même sort, peut-être parce que l'on savait qu'ils avaient en vue d'utiliser le procès comme tribune[11].

La justice prévôtale va d'autant plus déchaîner contre elle l’hostilité de la majorité des Marseillais que la réforme de la justice entreprise par l'Assemblée constituante paraissait frapper de caducité le tribunal de Bournissac. Le , le conseil municipal et le comte de Caraman, avaient d'ailleurs demandé la suspension de l’instruction de l’affaire de la Tourette jusqu’à la publication de nouvelles lois sur le système judiciaire.

La journée du 8 décembre 1789[modifier | modifier le code]

L'affaire de la Tourette provoqua de nouvelles émeutes du 8 au . Le , l'armée disperse un rassemblement tenue devant le fort Saint-Nicolas pour obtenir la libération des prisonniers. L'attroupement qui se reforme sur le Cours Belsunce est lui aussi réprimé. Il y eut deux morts et des blessés. Le lendemain la loi martiale était proclamée. Elle ne sera levée que le 12. Antoine Brémond-Julien est arrêté le 9 pour un écrit qui aurait incité à l'émeute. Le 14 c'est au tour d’Étienne Chompré de se faire appréhender à la sortie de l'hôtel de ville alors qu'il se trouvait en compagnie de d'André[12]. Mossy sera quant à lui incarcéré le .

Ce même l’Assemblée constituante avait décrété le renvoi des accusés devant la sénéchaussée de Marseille. Faute de sanction de la part du roi, le décret ne fut pas appliqué. Il faudra attendre le mois de mars pour que l'assemblée renouvelle son décret, qui obtint cette fois la sanction du roi.

Du discours de Mirabeau à la libération des prisonniers[modifier | modifier le code]

Les émeutes de avaient servi Bournissac puisqu'elles justifiaient la sévérité dont il avait fait preuve vis-à-vis des révolutionnaires marseillais. Mais la situation va changer au début de l'année 1790, d'abord parce les emprisonnés de Marseille vont trouver un extraordinaire avocat en la personne de Mirabeau. En réponse à l'abbé Maury, défenseur de Bournissac, Mirabeau prononce le à l'Assemblée nationale un discours qui va faire grand bruit et dans lequel il met violemment en cause le rôle et la partialité du prévôt dans l'instruction de l'affaire de la Tourette[13].

Ensuite parce qu'avec la mise en place progressive des réformes de l'Assemblée constituante (élections d'une nouvelle municipalité entre le et le , création d'une garde nationale le ), Bournissac se retrouve de plus en plus isolé. D'ailleurs le comte de Camaran lui-même est parti le , remplacé par son second, le marquis de Miran.

Par contre, dès son élection, la nouvelle municipalité, charge deux médecins de visiter les prisonniers pour rendre compte de leur état[14]. Le , c'est au tour des districts de Marseille, de plus en plus influents, de protester contre la justice prévôtale et de demander la libération des prisonniers. Le lendemain, jour de son installation, la nouvelle municipalité répondant aux vœux des districts adresse une dénonciation à l'Assemblée constituante. Le prévôt prend alors une ordonnance qui est dénoncée par un arrêté des districts et de la commune du . Bournissac[15] comprend en fin que la bataille est perdue. Il ferme son tribunal quelques jours plus tard et préfère quitter Marseille. Il avait été précédé en cela par ses adjoints.

Le , l’Assemblée constituante renvoie de nouveau les accusés de l’affaire de la Tourette devant le siège de Marseille. Cette fois le décret est signé par le roi, mais il ne sera pas appliqué : le tribunal de la prévôté étant fermé depuis le , les inculpés sont mis en liberté provisoire, sauf les pillards et les incendiaires.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. La garde citoyenne créée au lendemain des émeutes populaires des 23 et 24 mars avait été un élément important de la « dissidence » marseillaise du printemps 1789. Elle fut remplacée le 25 mai de la même année par une garde bourgeoise au moment du recul (momentané) du mouvement révolutionnaire. Elle renaîtra sous la forme d'une garde nationale le 15 février 1790, ce qui entraînera la dissolution de la garde bourgeoise.
  2. Pour plus de détails sur cette journée, voir C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat Version numérique Tome I, pages 93 à 105.
  3. Située entre le fort Saint-Jean et la cathédrale La Major.
  4. Aujourd'hui cours Belsunce.
  5. L'attitude de la garde bourgeoise pendant la journée du 19 août 1789 achèvera de la discréditer aux yeux des Marseillais. C'est à ce moment qu'on entendra dire : « Nous avons une garde de deux mille hommes pour garder la ville, et une armée de six mille soldats pour garder la garde » C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat Version numérique Tome I, p. 115.
  6. Voir le rapport médical établi le 15 février 1790 par MM. Achard, médecin, et Brémond fils, chirurgien, dans C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat Version numérique Tome I, pièce justificative, pages 398 à 413. La plupart des inculpés du 19 août sont de jeunes ouvriers appartenant aux "Compagnons du devoir.
  7. Monique Cubells, Marseille entre en Révolution (1787-1789) dans Marseille en Révolution, p. 41.
  8. Miolis sera remplacé le 1er décembre 1789 par Joseph-François Moissel, lui aussi avocat, garde bourgeois et membre du parti aristocratique.
  9. C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat Version numérique Tome I, p. 106.
  10. Omer Granet s'était constitué prisonnier.
  11. C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat Version numérique Tome I, pp. 119-120.
  12. C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat, Jeanne Lafitte, 1999 (ISBN 978-2734805168) Voir version numérique Tome I p. 132.
  13. Extrait du discours de Mirabeau du 26 janvier « Sur les désordres de Marseille » : « Au lieu de punir le sieur Rebecqui et les autres accusés de la procédure prévôtale de Marseille, il faudra les récompenser ; au lieu de les environner des terreurs qui précédent les supplices, il faudra les sortir en triomphe de leurs cachots, les mettre au nombre des coopérateurs de l'Assemblée nationale ; reconnaître nos principes dans leurs principes et les déclarer bons citoyens ou nous avouer nous-mêmes coupables. »Version numérique pages 25 à 105.
  14. Rapport du 15 février de MM. Achard, médecin, et Brémond fils, chirurgien, sur l'état des prisonniers détenus au fort Saint-Jean et à la citadelle Saint-Nicolas par sentence prévôtale. C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat, Jeanne Lafitte, 1999, 2 volumes (ISBN 978-2734805168) Version numérique version numérique, tome I], pièce justificative n° 13, pages 396 à 413
  15. Étienne François Antoine Baudile, seigneur de Bournissac, né en 1730, capitaine des chevaliers de Saint Louis, lieutenant des maréchaux de France en 1771, président général de la sénéchaussée de Provence, sera condamné à mort et guillotiné le 7 Nivôse an II (27 décembre 1793).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Monique Cubells, Marseille entre en Révolution (1787-1789) dans Marseille en Révolution, catalogue du bicentenaire à la Vieille Charité (commissaires Claude Badet et Jacques Guilhaumou), éditions Rivages-musées de Marseille, 1989, pages 35 à 41.
  • C. Lourde de Mazamet, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence de 1789 au Consulat, Jeanne Lafitte, 1999, 2 volumes (ISBN 978-2734805168) Version numérique Senés imp., Marseille, tome I.
  • Séverin Étienne Fulbert Vialla, Marseille révolutionnaire : l'armée-nation (1789-1793), librairie Chapelot, 1910.
  • Œuvres de Mirabeau, discours et opinions, tome VIII, imprimerie de Gaultier-Laguionie, Version numérique Discours du « Sur les désordres de Marseille », pages 25 à105 – Discours du « Suite du discours sur les désordres de Marseille », pages 123 à 127 – Discours du , « Discussions sur le discours de Marseille », pages 127 et 128.