Traité de bave et d'éternité — Wikipédia

Traité de bave et d'éternité

Réalisation Isidore Isou
Acteurs principaux
Pays de production Drapeau de la France France
Durée 120 min
Sortie 1951

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Traité de bave et d'éternité est le premier film ciselant du cinéma lettriste, écrit et réalisé par Isidore Isou en 1951. Ce film a notamment fait scandale à Cannes en 1951 et a reçu le prix des Spectateurs d'Avant-Garde.

Le film[modifier | modifier le code]

Montage[modifier | modifier le code]

Ce film est basé sur le principe du montage discrépant qui consiste, selon Isou, en une disjonction totale entre le son et l'image, traités de manière autonome sans aucune relation signifiante.

Son[modifier | modifier le code]

Ainsi, la bande-son est constituée de poèmes lettristes (servant de générique et d'interludes), auxquels s'adjoint une narration contant l'histoire de Daniel, auteur d'un manifeste pour un nouveau cinéma (le cinéma discrépant), de son discours face à un public hostile et de son histoire d'amour avec une dénommée Ève. L'autonomisation du son a pour but de le faire s'épanouir pleinement, sans tenir compte de l'image, lui offrant ainsi toute la richesse stylistique de la prose, devenant un véritable roman parlé.

D'autre part, la bande-son de ce long métrage introduit pour la première fois des poèmes et improvisations lettristes.

Image[modifier | modifier le code]

La bande-image, quant à elle, constituée, en grande partie, de found footage, présente une succession d'images banales : Isou errant dans le quartier de Saint-Germain-des-Près ou en compagnie de personnalités (comme Jean Cocteau, ou Blaise Cendrars), des fragments de films militaires récupérés dans les poubelles de l'armée ou d'exercices de gymnastique filmés, et des plans d'actualités de personnalités de l'époque, telle l'actrice Danièle Delorme.

Ces images servent de prétexte à l'utilisation de la ciselure, procédé rendu en peignant, grattant ou rayant directement la pellicule, séparant ainsi chaque photogramme, habituellement perdu dans le mouvement général d'un film, pour l'explorer en lui-même et l'anéantir. L'image se retrouve parfois réduite à des écrans blancs ou noirs à divers moments du film.

Démarche[modifier | modifier le code]

Ce film est bâti sur le fait que le cinéma n'a cessé de s'enrichir et de se perfectionner, depuis les frères Lumière jusqu'à Cocteau et Buñuel (en passant par Méliès, Murnau, Chaplin ou Eisenstein), mais que, depuis lors, il s'est banalisé, cessant d'être créatif pour devenir simplement productif, à l'instar des films commerciaux hollywoodiens.

Par souci de créativité, Isou constate que la seule manière de faire un film original est de le détruire en ses fondements propres, où l'anéantissement cinématographique peut être générateur de nouvelles beautés.

Influence[modifier | modifier le code]

Cette phase destructive du cinéma est nommée cinéma ciselant, dont le cinéma discrépant n'est que la première étape et qui sera approfondi la même année par Maurice Lemaître (Le film est déjà commencé ?), puis l'année suivante par Gil J Wolman (L'Anticoncept), et Guy Debord (Hurlements en faveur de Sade), dont les scénarios furent publiés par Marc'O au sein de l'unique numéro de Ion, sorti en .

Dans son article de 1952 des cahiers du cinéma, Éric Rohmer écrit :

« Enfin, je crois de mon devoir de dire que ce premier chapitre où l’on nous montre Isou déambulant sur le boulevard Saint-Germain m’a mille fois plus « accroché » que le meilleur des films non commerciaux qu’il m’ait jamais été donné de voir. »

Isou ira même jusqu'à proposer, en 1952, le Film-débat, film sans pellicule uniquement constitué des discussions des spectateurs sur un film possible.

Traité de bave et d'éternité a eu une influence durable sur le cinéma en général et le cinéma expérimental en particulier, devenant une référence pour les cinéastes de la Nouvelle Vague (et notamment de Jean-Luc Godard et Alain Resnais) et du cinéma underground américain (chez Stan Brakhage). On retrouve aussi son influence dans la plupart des films de Debord ou de Chris Marker.

Dans son entretien avec Jean Narboni, à la question :

« Pourtant, vous n’étiez pas iconoclaste. Vous ne l’avez jamais été… »

Éric Rohmer répond :

« Je n’étais pas iconoclaste. Je n’adhérais d’ailleurs nullement au lettrisme, je ne pensais pas que la voie du cinéma était celle que prétendait Isou, je disais seulement qu’il fallait le prendre en considération. Il a été d’une certaine façon le précurseur du happening. Ce qui se passait sur l’écran n’était destiné qu’à provoquer l’intervention du spectateur. Il a également dit que Godard n’avait rien inventé. Il y avait en effet déjà chez lui certaines idées godardiennes – ne serait-ce que le fait de maltraiter la pellicule, la salir, la piétiner, ou plus simplement mépriser les « raccords » de montage. »

Fiche technique[modifier | modifier le code]

  • Titre français : Traité de bave et d'éternité
  • Titre anglais : Venom and eternity
  • Réalisation : Isidore Isou
  • Assistant-réalisateur : Maurice Lemaître
  • Bande-paroles : écrite par Isidore Isou
  • Les voix : Daniel par Albert J. Legros ; Le Commentateur par Bernard Blin
  • Divers : Serge, Colette, Wolman, Marc'O, Jean-Louis Brau, Maurice Lemaître, Isidore Isou
  • Voix additionnels : C. Carrigue, Myriam.
  • Images : Nat. Saufer
  • Musique : « commerciale » composée et interprétée sous la direction de Daniel Garrigue.
  • Son : Enregistrement sur disques par R. Beauvais, G. Parry et Carron sous la direction de M. Farge.
  • Ingénieurs du son : M.Ormancey, J. Boutiron
  • Montage : Suzanne Cabon
  • Production : Marc Gilbert Guillaumin dit Marc'O
  • Pays d'origine : France
  • Quelques personnalités qui apparaissent dans le film : Jean Cocteau, Blaise Cendrars, André Maurois, Armand Salacrou, Jean-Louis Barrault, Marcel Achard
  • Tirage : C.I.M Gennevilliers
  • Période de réalisation : Entre le et le
  • Durée : 120 minutes
  • Première publique (film non achevé) : au Festival de Cannes
  • Premières projections : (Ciné-Club du Musée de l'Homme, Paris), (Cinéma Alexandra Paris), au (en exclusivité au Studio de l'Étoile, Paris)
  • Tous publics

Citations du film[modifier | modifier le code]

« Je crois premièrement que le cinéma est trop riche. Il est obèse. Il a atteint ses limites, son maximum. Au premier mouvement d’élargissement qu’il esquissera, le cinéma éclatera ! »

« J’annonce la destruction du cinéma, le premier signe apocalyptique de disjonction, de rupture, de cet organisme ballonné et ventru qui s’appelle film. »

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Isidore Isou
    • Œuvres de spectacle, éd. Gallimard, 1964
    • Esthétique du cinéma in revue Ion n°1, 1952 ; rééd. J.-P. Rocher, 1999
    • Traité de bave et d'éternité, éd. Hors Commerce, 2000
  • Frédérique Devaux
    • Le Cinéma lettriste, éd. Paris expérimental, 1992
    • Le Traité de bave et d'éternité d'Isidore Isou, éd. Yellow now, 1994
  • Kaira Cabanas
    • Off-Screen Cinema: Isidore Isou and the Lettrist Avant-Garde, University of Chicago Press, 2014
  • Éric Rohmer
    • Isou ou les choses telles qu’elles sont. Opinions sur l’avant-garde. Cet article, publié pour la première fois dans les Cahiers du cinéma n° 10, mars 1952, et signé Maurice Schérer, est repris dans Éric Rohmer et Jean Narboni (dir.), Le Goût de la beauté, Cahiers du cinéma, coll. « Petite bibliothèque des cahiers du cinéma », (1re éd. 1984), 272 p. (ISBN 978-2-86642-386-5), recueil d'articles publiés par Éric Rohmer entre 1948 et 1979, sélectionnés par Jean Narboni et précédé d'un entretien entre Jean Narboni et Éric Rohmer.

Éditions du film[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]