Traité de Versailles (1768) — Wikipédia

Traité de Versailles
Signé
Versailles
Parties
Royaume de France République de Gênes
Signataires Étienne-François de Choiseul Agoslino-Paoli-Domenico Sorba

Le traité de Versailles est un traité signé dans la ville de Versailles le , entre le Royaume de France, représenté par Étienne-François de Choiseul, principal ministre de Louis XV ainsi que secrétaire d'état aux affaires étrangères, et la république de Gênes, représentée par Agoslino-Paoli-Domenico Sorba.

Selon le traité, l'île de Corse est placée sous l'administration française (vendue pour 2 000 000 livres tournois). La République de Gênes se réserve le droit d'en demander, dans un délai de dix ans, la rétrocession sitôt qu'elle se sera acquittée des dépenses engagées par la France pour y rétablir l'ordre contre les Corses révoltés. L'intervention française permet de pacifier l'île, mais le coût des opérations est de 30 000 000 livres tournois. La République de Gênes ne pouvant s'en acquitter dans l'immédiat, l'île demeura française.

Lors de la Révolution française, le Gouvernement génois, dont les finances se sont rétablies, se déclare prêt à rembourser sa dette et réclame la restitution de la Corse. Bien qu'en la République française ait promulgué un décret stipulant que «tous les traités existants entre la France et Gênes seront fidèlement exécutés », la rétrocession n'eut jamais lieu.

Contexte[modifier | modifier le code]

Carte géographique de la Corse.

Depuis 1284, la Corse est sous la domination de la République de Gênes.

À partir des années 1730, les Corses entrent en rébellion quasi-permanente contre les Génois afin d’obtenir l'indépendance de leur île (plus tard, Napoléon Bonaparte, l'oncle du futur empereur, en organisera une qui échouera toutefois et lui vaudra l'exil[1]). La situation se dégrade alors, au point qu'entre 1736 et 1738, Théodore de Neuhoff, un homme politique et militaire allemand, est élu roi des Corses avec le soutien de la Grande-Bretagne et des Provinces-Unies. Il ne fut cependant pas reconnu par l'ensemble des puissances européennes, ce qui engendra une intervention de la France, alliée des Génois, qui mit un terme à cet événement.

Néanmoins, la Corse représente un intérêt stratégique non négligeable pour le contrôle de la Méditerranée, notamment pour les deux grandes puissances européennes de l'époque : la France et la Grande-Bretagne. Les deux royaumes se sont déjà opposés à maintes reprises au cours des différentes guerres de successions qui ravagent l'Europe des Lumières. La France a déjà perdu beaucoup de terrain, notamment après le Traité de Paris (1763), qui lui retire l'ensemble de ses possessions nord-américaines et indiennes au profit de la Grande-Bretagne.

Ces revers excitent l'opinion française, qui condamne la perte de prestige du royaume tant sur le plan européen qu'international. Étienne-François de Choiseul, principal ministre de Louis XV et secrétaire d'état aux affaires étrangères comprend la situation et afin de compenser ces pertes et d'empêcher la Grande-Bretagne de menacer les intérêts de la France dans la Méditerranée, se soucie du devenir de la Corse.

La République de Gênes se retrouve dans une situation intenable. Elle doit concentrer ses efforts pour lutter contre les indépendantistes corses malgré des finances catastrophiques sans toutefois parvenir à rétablir l'ordre sur l'île. Le gouvernement génois s'est d'abord tourné vers le Saint-Empire romain germanique mais l'aide impériale s'est révélée trop faible pour être efficace. Les espoirs génois se tournent alors vers la France, l'occasion est rêvée pour le duc de Choiseul de rétablir la position du pays sur le plan européen sans pour autant risquer un conflit ouvert qu'elle ne saurait soutenir.

Près de 20 000 soldats français débarquent sur l'île pour y lutter contre les Corses indépendantistes et renforcer les forteresses de l'île. Mais le duc préfère défendre les forts et les ports de l'île plutôt que d'affronter directement les Corses, agissant ainsi comme un médiateur et non comme une force de répression. La République de Gênes se retrouve vite dans l'incapacité de financer l'armée française qui agit pour son compte.

Le duc de Choiseul pense ainsi pouvoir contraindre Gênes à céder la Corse à la France, en échange des créances que le Roi de France détient désormais. La dette contractée s'élève alors à 30 000 000 livres tournois pour une aide militaire destinée à réprimer la révolte des Corses mais qui n'aboutit pas.

Le , la République de Gênes et le Royaume de France conviennent d'un accord. La République de Gênes cède au Royaume de France l’exercice de la souveraineté sur la Corse, sans renoncer à cette possession, sous réserve que, dès que les finances de la république génoise seront en mesure de rembourser l'aide française, elle pourra demander et obtenir la restitution de l'île. Néanmoins, le poids de la dette est si lourd que personne ne doute de l'incapacité de Gênes à récupérer ce territoire.

Ce n'est pas tant l'étendue de la dette qui pousse Gênes à céder cet exercice de la souveraineté sur la Corse à la France mais parce que les dépenses colossales pour conserver l'île révoltée étaient inutiles : l'île n'était plus rentable. La population hostile n'aurait jamais accepté de retourner sous le joug ligure[2].

La révolte des Corses devient donc une affaire française et, après d'âpres combats, l'armée aura raison de l'agitation sur l'ile. Un an plus tard, le Roi est maître de la Corse.

Le traité[modifier | modifier le code]

Il n’est à l’origine qu’un traité de « conservation ». Moyennant une rente annuelle d’environ 200 000 livres tournois pour une durée de dix ans, la république de Gênes cède au royaume de France que l'administration de la Corse et la pleine souveraineté sous condition qu'elle parvienne à pacifier l'île.

Voltaire résume ainsi la transaction effectuée : « Par ce traité, le royaume de Corse n’était absolument pas donné au roi de France, mais il était censé lui appartenir avec la faculté réservée à la république de rentrer dans cette souveraineté en remboursant au roi les frais immenses qu’il avait faits en faveur de la république. C’était, en effet, céder à jamais la Corse, car il n’était pas probable que les Génois fussent en état de la racheter. Il était encore moins probable que, l’ayant rachetée, ils pussent le conserver contre les Corses qui avaient fait serment de mourir plutôt que de vivre sous le joug de Gênes. »[3]

La France considérait qu'après la période des dix ans de versement de subsides, Gênes accepterait la cession de la souveraineté sur la Corse. Or, la république ruinée est dans l'incapacité de rembourser à la France, en 1778, les frais occasionnés par la pacification de l'île, exigés dans les deux derniers articles « séparés et secrets » du traité. Les termes du traité étant non respectés, la France s'accorde le droit de considérer la Corse comme faisant partie intégrante de son territoire.

En 1789, Gênes, dont les finances se sont plus que brillamment améliorées, demande par deux fois la rétrocession de la Corse au gouvernement français. Le projet, très mal perçu par les conventionnels, ne se concrétise pas. La somme évoquée par la France pour la rembourser de ses investissements s'élevait à plus de trente millions de livres tournois, somme que la république de Gênes était largement en mesure de fournir[2].

En , la république de Gênes proteste envers le décret du déclarant officiellement la Corse comme faisant partie intégrante de la France.

En , à la suite de l'acceptation par Louis XVI de la constitution, la république de Gênes lui rappelle ses droits souverains sur l'île.

En , la république française promulgue un décret stipulant que « tous les traités existants entre la France et Gênes seront fidèlement exécutés » sans que la situation en soit modifiée.

Texte du traité[modifier | modifier le code]

L'intérêt & l'amitié que S. M. a toujours fait paraître pour la République de Gênes, sont les motifs qui ont donné lieu à plusieurs traités en 1737, 1755, 1756 & 1764, afin de maintenir la dite République dans la paisible possession de l'Isle de Corse ; mais, comme l'illustre République a depuis fait connaître à Sa Majesté que les moyens employés à cet effet n'avoient point eu le succès désiré, & qu'à l'expiration du Traité de 1764 (lequel finira au mois d'août prochain) S. M. trouvant bon de rappeler ses troupes, les suites de rébellion & de désordres seront pires que ci-devant : C'est pourquoi Sa Majesté touchée de la vérité de ces représentations, a concerté avec la République un nouveau plan relatif à la Corse, suivant lequel les deux Puissances sont résolues d'y rétablir l'ordre & la tranquillité.

En conséquence Sa Majesté & la République ont muni de leurs pleins pouvoirs son excellence le Comte de Choiseul d'Amboise, Pair de France, &c. de la part du Roi, & de la part de la République le Noble Agoslino-Paoli-Domenico Sorba, Ministre plénipotentiaire auprès de Sadite Majesté, lesquels deux Seigneurs, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs respectifs dont les copies se trouvent au bas de ce traité, conviendront des articles suivants.

Art. I. — Sa Majesté fera occuper par ses troupes les places de Bastia, San-Fiorenzo, Algajola, Ajaccio, Calvi, Bonifacio, & autres places, forts, tours ou ports, situés dans l'Isle de Corse, lesquels postes sont nécessaires pour la sûreté des troupes & peuvent servir aux fins proposées, nommément à ôter aux Corses tous les moyens de pouvoir nuire par-là aux fidèles sujets & aux possessions de la République.

II. — Les places ou forts occupés par les troupes du Roi, seront gouvernés par Sa Majesté qui y commandera en souverain ; & seront lesdits places & forts réputés pour gages & cautions des dépenses que le Roi devra faire, tant pour leur prise que pour leur conservation.

III. — Le Roi et la Sérénissime République sont convenus que l’exercice de la souveraineté cédé au Roi par l’article précédent sera entier et absolu, mais que cependant comme il ne doit être que le gage des avances que Sa Majesté fera pour l’intérêt de la République, la dite souveraineté dans les mains du Roi n’autorisera pas Sa Majesté à disposer des places et ports de Corse en faveur d’un tiers sans le consentement de la République.

IV. — Le Roi s'engage à garder sous son autorité & commandement toutes les places de la Corse qui seront soumises par ses armes, jusqu'à réclamation & paiement des dépenses : bien-entendu que les dites places ne seront comptables que des sommes qui auront été employées en Corse suivant la stipulation du premier Traité ; & qu'indépendamment de la souveraine possession, la République ne formera & ne pourra former aucune prétention ultérieure, ni compensation entre elle & Sa Majesté.

V. — Lorsque dans la suite des tems la partie la plus intérieure de l'Isle se sera soumise à l'obéissance du Roi, la République consent que Sa Majesté y exerce une souveraineté absolue ou en partie, de la même manière & aux mêmes conditions énoncées dans l'article IV.

VI. — Le Roi s'oblige de livrer à la République l'isle de Capraja le plutôt possible, & le plus tard en 1771.

VII. — Dès que les places & forts seront à la disposition du Roi, Sa Majesté promet de mettre en usage tous les moyens possibles d'arrêter les hostilités des Corses contre la République ; mais, comme il n'est pas possible de fixer préalablement les effets de cette alliance, le Roi promet de traiter, selon la rigueur des lois de la guerre, tous les Corses qui causeront aux sujets de la République quelque préjudice, soit par eau ou par terre. De son côté la République promet qu'elle fera alors cesser réciproquement les hostilités contre les Corses.

VIII. — On ne permettra pas aux navires barbaresques, l'entrée dans aucun port, ni l'approche à aucune rade des places de l'Isle, occupées par les troupes du Roi, sinon dans les cas seulement de nécessité ou de naufrage, conformément à la loi de l'humanité.

IX. — Les Génois nationaux & les sujets Corses seront rétablis, pour autant qu'il dépendra de Sa Majesté, dans la jouissance de leurs biens qui pourront avoir été confisqués ou retenus, sous quelque dénomination que ce soit, relativement aux troubles passés ; & l'on aura soin que ce rétablissement, non moins que celui de la liberté des habitants de l'un & de l'autre parti, se fassent en tems-convenable.

X. — Toutes conventions particulières, exceptions & prérogatives, dont jouissent quelques particuliers ou habitants, seront annulées, & S. M. examinera quels dédommagements elle pourra leur accorder, principalement aux, habitants de San-Bonifacio, Calvi & San-Fiorenzo.

XI. — Sa Majesté s'engage à prendre des mesures en règle pour prévenir les défraudassions & la contrebande que poudroient commettre les bâtiments Corses sous pavillon de France dans les ports, golfes, détroits & fur les côtes de la République en terre-ferme.

XII. — II sera dressé un inventaire de l'artillerie de Gênes & des munitions de guerre qui dans les places de Corse seront trouvées appartenir à la République ; & six mois après, à compter du jour de la prise de possession, Sa Majesté paiera la valeur de ce qu'elle jugera à propos de retenir de ces munitions, suivant l'estimation qui en fera faite. Tous les effets, canons & munitions que le Roi ne voudra pas, seront transportés à Gènes aux dépens de Sa Majesté. On dressera aussi un inventaire des protocoles d'actes civils & criminels, afin qu'ils puissent servir aux fins mentionnées dans l'article IV.

XIII. — Le Roi se charge pour toujours de la garantie authentique des états que l'illustre République possède, en terre-ferme, sous quelque nom que ce soit, & qui sous prétextes quelconques pourraient être attaqués & molestés ; Sa Majesté prend aussi sur elle la garantie de l'Isle de Capraia, après qu'elle sera rentrée sous la domination de la République en conséquence de l'article VI.

XIV. La Justice, par conséquent la police générale & particulière, ainsi que le droit d'amirauté, s'administreront au nom du Roi par ses Officiers dans les places, ports, pays & lieux qu'occuperont les troupes du Roi sous le titre de gages & de cautions, comme il est dit article II.

XV. — Pendant que Sa Majesté sera en possession des places, ports & lieux de la Corse, elle y imposera des droits d'aides & de gabelles, & universellement tous ceux de ses fermes générales, avec telles taxes qu'elle jugera nécessaires ; du provenu desquels droits & charges il sera tenu exactement registre, afin de les déduire de ce que la République sera obligée de payer au Roi lorsque Sa Majesté l'aura remise en possession de la Corse.

XVI. — L'échange des ratifications du présent Traité, expédiées en bonne forme, se fera dans l'espace d'un mois, ou le plutôt possible, à compter du jour de la signature.

En foi de quoi nous ministres plénipotentiaires, &c.

Signé : Comte de Choiseul. A. P. Dom. Sorba.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Michel Vergé-Franceschi, Histoire de la Corse, 2 volumes, Éditions du Félin, Paris, 1996
  • André Zysberg, La monarchie des Lumières (1715-1786), Points Seuil, Paris, 2002
  • Christian Ambroisi, Les deux annexions de la Corse (1768 et 1789). Dans "Annales Historiques de la Révolution française", N°203, 1971

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Pierre Norma, Napoléon
  2. a et b Antoine-Marie Graziani, l'histoire de Gênes, Fayard 2009
  3. Voltaire, Précis du siècle de Louis XV, chap. XL