Théorie des nombres — Wikipédia

Traditionnellement, la théorie des nombres est une branche des mathématiques qui s'occupe des propriétés des nombres entiers (qu'ils soient entiers naturels ou entiers relatifs). Plus généralement, le champ d'étude de cette théorie concerne une large classe de problèmes qui proviennent naturellement de l'étude des entiers. La théorie des nombres occupe une place particulière en mathématiques, à la fois par ses connexions avec de nombreux autres domaines, et par la fascination qu'exercent ses théorèmes et ses problèmes ouverts, dont les énoncés sont souvent faciles à comprendre, même pour les non-mathématiciens. C'est ce qu'exprime la citation suivante, de Jürgen Neukirch :

« La théorie des nombres occupe parmi les disciplines mathématiques une position idéalisée analogue à celle qu'occupent les mathématiques elles-mêmes parmi les autres sciences[1]. »

Le terme « arithmétique » est aussi utilisé pour faire référence à la théorie des nombres. C'est un terme assez ancien, qui n'est plus aussi populaire que par le passé ; pour éviter des confusions, on désignait aussi parfois, jusqu'au début du vingtième siècle, la théorie des nombres par le terme « arithmétique supérieure ». Néanmoins, l'adjectif arithmétique reste assez répandu, en particulier pour désigner des champs mathématiques (géométrie algébrique arithmétique, arithmétique des courbes et surfaces elliptiques, etc.), où la restriction des questions et des solutions aux entiers, ou à certaines de leurs extensions, joue un rôle déterminant. Ce sens du terme arithmétique ne doit pas être confondu avec celui utilisé en logique pour l'étude des systèmes formels axiomatisant les entiers, comme dans l'arithmétique de Peano.

La théorie des nombres est divisée en plusieurs champs d'étude en fonction des méthodes utilisées et des questions traitées.

Les diverses branches de la théorie des nombres[modifier | modifier le code]

Théorie élémentaire des nombres[modifier | modifier le code]

Le terme élémentaire désigne généralement une méthode qui n'use pas d'analyse complexe. Par exemple, le théorème des nombres premiers a été prouvé en utilisant une analyse complexe en 1896, mais la preuve élémentaire n'a été trouvée qu'en 1949 par Erdős et Selberg. Le terme est quelque peu ambigu : par exemple, les preuves basées sur des théorèmes taubériens complexes (par exemple le théorème de Wiener-Ikehara) sont souvent considérées comme très éclairantes mais non élémentaires. Une preuve élémentaire peut être plus longue et plus difficile pour la plupart des lecteurs qu'une preuve non élémentaire.

La théorie des nombres a la réputation d'être un domaine dont beaucoup de résultats peuvent être compris par le profane. En même temps, les preuves de ces résultats ne sont pas particulièrement accessibles, en partie parce que la gamme d'outils qu'ils utilisent est exceptionnellement large en mathématiques[2].

Beaucoup de questions en théorie élémentaire des nombres apparaissent simples mais requièrent de très profondes considérations et de nouvelles approches, tels les exemples suivants :

La théorie des équations diophantiennes a même été montrée comme étant indécidable, c’est-à-dire qu’on peut construire une équation explicite dont l’existence de solutions ne peut être démontrée à l’aide des axiomes usuels des mathématiques (c’est le théorème de Matiyasevich).

Théorie analytique des nombres[modifier | modifier le code]

La fonction zêta de Riemann ζ(s) dans le plan complexe. La couleur d'un point s code la valeur de ζ(s): les couleurs proches du noir indiquent des valeurs proches de zéro, alors que la teinte code l'argument de la valeur.

La théorie analytique des nombres peut être définie :

  • par rapport à ses outils, c'est-à-dire l'étude des entiers au moyen d'outils d'analyse réelle et complexe[3] ;
  • par rapport à ses intérêts, c'est-à-dire l'étude des estimations sur la taille et la densité, par opposition aux identités[4].

Certains sujets généralement considérés comme faisant partie de la théorie analytique des nombres, par exemple la théorie des cribles, sont définis plutôt par la seconde définition.

L'action du groupe modulaire sur le plan. La région en gris est le domaine fondamental standard.

Voici des exemples de problèmes en théorie analytique des nombres : le théorème des nombres premiers, la conjecture de Goldbach (ou la conjecture des nombres premiers jumeaux ou les conjectures de Hardy-Littlewood), le problème de Waring ou encore l'hypothèse de Riemann[5]. Certains des outils les plus importants de la théorie analytique des nombres sont la méthode du cercle, les méthodes des cribles et les fonctions L. La théorie des formes modulaires (et plus généralement des formes automorphes) occupe également une place de plus en plus centrale en théorie analytique des nombres[6].

Théorie algébrique des nombres[modifier | modifier le code]

Un nombre algébrique est un nombre complexe qui est solution d'une équation polynomiale à coefficients dans le corps . Par exemple, toute solution de est un nombre algébrique. La théorie algébrique des nombres étudie les champs de nombres algébriques. Ainsi, les théories analytique et algébrique des nombres peuvent se chevaucher : la première est définie par ses méthodes, la seconde par ses objets d'étude.

Ernst Kummer

Les fondations de cette branche telle que nous la connaissons, ont été établies à la fin du XIXe siècle, lorsque les idéaux et la valuation ont été développés. L'impulsion du développement des idéaux (par Ernst Kummer) semble provenir de l'étude des lois de réciprocité supérieure[7], c'est-à-dire des généralisations de la loi de réciprocité quadratique.

Les corps sont souvent étudiés comme extensions d'autres corps plus petits: un corps L est dit être une extension d'un corps K si L contient K. La classification des extensions abéliennes a fait l'objet du programme de théorie des corps de classes, initié à la fin du XIXe siècle (en partie par Kronecker et Eisenstein) et réalisé en grande partie en 1900-1950.

La théorie d'Iwasawa est un exemple de domaine de recherche actif en théorie algébrique des nombres. Le programme de Langlands, l'un des principaux programme de recherche actuels à grande échelle en mathématiques, est parfois décrit comme une tentative de généraliser la théorie des corps de classes aux extensions non abéliennes.

Géométrie diophantienne[modifier | modifier le code]

Le problème central de la géométrie diophantienne est de déterminer quand une équation diophantienne a des solutions, et si oui, combien. L'approche adoptée est de considérer les solutions d'une équation comme un objet géométrique.

Par exemple, une équation à deux variables définit une courbe dans le plan. Plus généralement, une équation, ou un système d'équations, à deux ou plusieurs variables définit une courbe, une surface, etc., dans un espace à n dimensions. En géométrie diophantienne, on se demande s'il existe des points rationnels (points dont toutes les coordonnées sont rationnelles) ou des points entiers (points dont toutes les coordonnées sont des entiers) sur la courbe ou la surface. S'il y a de tels points, l'étape suivante consiste à demander combien il y en a et comment ils sont répartis. Une question fondamentale dans cette direction est la suivante : existe-t-il un nombre fini ou infini de points rationnels sur une courbe (ou surface) donnée ? Qu'en est-il des points entiers ?

Un exemple serait l'équation de Pythagore  ; nous voudrions étudier ses solutions rationnelles, c'est-à-dire ses solutions telles que x et y soient tous deux rationnels. Cela revient à demander toutes les solutions entières de  ; toute solution à cette dernière équation nous donne une solution , . Cela est équivalent au fait de demander tous les points à coordonnées rationnelles sur la courbe décrite par (cette courbe se trouve être le cercle unité).

Deux exemples de courbes elliptiques. Celles-ci peuvent être vues comme une tranche d'un tore en quatre dimensions.

La reformulation des questions sur les équations en termes de points sur les courbes s'avère fructueuse. La finitude ou non du nombre de points rationnels ou entiers sur une courbe algébrique, s'avère dépendre de façon cruciale du genre de la courbe. Ce domaine est étroitement lié aux approximations diophantiennes : étant donné un nombre, à quel point peut-il être approché par des rationnels ? (On considère qu'un rationnel , avec a et b premiers entre eux, est une bonne approximation de si , où est grand.) Cette question est d'un intérêt particulier si est un nombre algébrique. Si ne peut pas être bien approximé, alors certaines équations n'ont pas de solutions entières ou rationnelles. De plus, plusieurs concepts s'avèrent cruciaux à la fois en géométrie diophantienne et dans l'étude des approximations diophantiennes. Cette question est également d'un intérêt particulier en théorie des nombres transcendants : si un nombre peut être mieux approché que n'importe quel nombre algébrique, alors c'est un nombre transcendant. C'est par cet argument qu'il a été démontré que et sont transcendants.

La géométrie diophantienne ne doit pas être confondue avec la géométrie des nombres, qui est une collection de méthodes graphiques pour répondre à certaines questions de la théorie algébrique des nombres. Le terme de géométrie arithmétique est sans doute le plus souvent utilisé lorsque l'on veut mettre l'accent sur les liens avec la géométrie algébrique moderne (comme le théorème de Faltings) plutôt que sur les techniques des approximations diophantiennes.

Approches et branches récentes[modifier | modifier le code]

Théorie probabiliste des nombres[modifier | modifier le code]

En prenant un nombre au hasard entre un et un million, quelle est la probabilité qu'il soit premier ? C'est juste une autre façon de demander combien il y a de nombres premiers entre un et un million. Et combien de diviseurs aura-t-il, en moyenne ?

Une grande partie de la théorie probabiliste des nombres peut être considérée comme une branche de l'étude de variables qui sont presque indépendantes les unes des autres. Parfois, une approche probabiliste non rigoureuse conduit à un certain nombre d'algorithmes heuristiques et de problèmes ouverts, notamment la conjecture de Cramér.

Théorie combinatoire des nombres[modifier | modifier le code]

Soit A un ensemble de N entiers. Considérons l'ensemble A + A = { m + n | m, nA } constitué de toutes les sommes de deux éléments de A. A + A est-il beaucoup plus grand que A? À peine plus grand ? A ressemble-t-il à une suite arithmétique? Si nous partons d'un ensemble infini A assez grand, contient-il beaucoup d'éléments dans la progression arithmétique  ?

Ces questions sont caractéristiques de la théorie combinatoire des nombres. Son intérêt pour les questions de croissance et de distribution tient en partie au développement de ses liens avec la théorie ergodique, la théorie des groupes finis, la théorie des modèles et d'autres domaines. Les ensembles étudiés n'ont pas besoin d'être des ensembles d'entiers, mais plutôt des sous-ensembles de groupes non commutatifs, pour lesquels le symbole de multiplication, et non le symbole d'addition, est traditionnellement utilisé; ils peuvent également être des sous-ensembles d'anneaux.

Théorie algorithmique des nombres[modifier | modifier le code]

Il y a deux questions principales: « pouvons-nous calculer cela ? » et « pouvons-nous le calculer rapidement ? ». N'importe qui peut tester si un nombre est premier ou, si ce n'est pas le cas, obtenir sa décomposition en facteurs premiers ; le faire rapidement devient plus compliqué. Nous connaissons aujourd'hui des algorithmes rapides pour tester la primalité, mais, malgré beaucoup de travail (à la fois théorique et pratique), aucun algorithme n'est vraiment rapide pour cette tâche.

La difficulté d'un calcul peut être utile : les protocoles modernes de chiffrement de messages (par exemple, le RSA) dépendent de fonctions connues de tous, mais dont les inverses ne sont connus que d'un petit nombre, et les trouver par ses propres moyens prendrait trop de temps. Alors que de nombreux problèmes de calcul en dehors de la théorie des nombres sont connus, la plupart des protocoles de chiffrement actuels sont basés sur la difficulté de quelques problèmes théoriques.

Il s'avère que certaines choses peuvent ne pas être calculables du tout ; cela peut être prouvé dans certains cas. Par exemple, en 1970, il a été prouvé, résolvant ainsi le dixième problème de Hilbert, qu'il n'existe pas de machine de Turing capable de résoudre toutes les équations diophantiennes[8]. Cela signifie que, compte tenu d'un ensemble d'axiomes calculables et énumérables, il existe des équations diophantiennes pour lesquelles il n'existe aucune démonstration, à partir des axiomes, de savoir si l'ensemble des équations a ou non des solutions entières.

Histoire[modifier | modifier le code]

Origines[modifier | modifier le code]

Aube de l'arithmétique[modifier | modifier le code]

La tablette Plimpton 322.

La découverte historique d'une nature arithmétique est un fragment de tableau : la tablette d'argile brisée Plimpton 322 (Larsa, Mésopotamie, vers 1800 avant notre ère) contient une liste « triplets pythagoriciens », c'est-à-dire des entiers tels que [9]. Ceux-ci sont trop grands pour avoir été obtenus par recherche exhaustive[10]. La disposition de la tablette suggère[11] qu'elle a été construite au moyen de ce qui équivaut, dans un langage moderne, à l'identité[12]

.

Alors que la théorie des nombres babylonienne consiste en ce seul fragment, l'algèbre babylonienne (au sens de l'« algèbre » des études secondaires) était exceptionnellement bien développée[13]. Pythagore aurait appris les mathématiques auprès des Babyloniens[14]. Beaucoup de sources antérieures[15] déclarent que Thalès et Pythagore ont voyagé et étudié en Égypte.

La découverte de l'irrationalité de 2 est attribuée aux premiers pythagoriciens[16],[17],[18]. Cette découverte semble avoir provoqué la première crise de l'histoire mathématique ; sa preuve et sa diffusion sont parfois attribuées à Hippase, qui a été expulsé de la secte pythagoricienne[19]. Cela a forcé à faire une distinction entre les nombres (entiers et rationnels), d'une part, et les longueurs et les proportions (nombres réels), d'autre part[20].

Le théorème des restes chinois apparaît comme un exercice dans le traité Sunzi Suanjing (IIIe, IVe, ou Ve siècle av. J.-C.)[21],[22].

Grèce antique et début de l'époque hellénistique[modifier | modifier le code]

En dehors de quelques fragments, les mathématiques de la Grèce antique nous sont connues soit par les rapports de non-mathématiciens contemporains ou à travers des œuvres mathématiques de la période hellénistique[23]. Dans le cas de la théorie des nombres, cela inclus Platon et Euclide. Platon s'intéressait aux mathématiques et distinguait nettement l'arithmétique et le calcul. (Par arithmétique, il entendait la théorisation sur le nombre.) C'est à travers un des dialogues de Platon, Théétète, que nous savons que Théodore a prouvé que sont des nombres irrationnels. Théétète était, comme Platon, un disciple de Théodore; il a travaillé sur la distinction des différents types de commensurabilité, et était donc sans doute un pionnier dans l'étude des systèmes numériques.

Euclide a consacré une partie de ses Éléments aux nombres premiers et à la divisibilité, sujets centraux en théorie des nombres (Livres VII à IX des Éléments d'Euclide). En particulier, il a donné un algorithme pour calculer le plus grand commun diviseur de deux nombres (Éléments, Prop. VII.2) et la première preuve connue de l’existence d'une infinité des nombres premiers (Éléments, Prop. IX.20).

Diophante[modifier | modifier le code]

Page de couverture de l'édition de 1621 de l'Arithmetica de Diophante, traduite en latin par Claude Gaspard Bachet de Méziriac.

Nous ne savons que très peu de choses sur Diophante d'Alexandrie ; il a probablement vécu au troisième siècle de notre ère, c'est-à-dire environ cinq cents ans après Euclide. L'Arithmetica est une collection de problèmes où la tâche est de trouver des solutions rationnelles à des équations polynomiales, généralement de la forme ou ou . Ainsi, de nos jours, on parle d'équations diophantiennes quand on parle d'équations polynomiales dont on doit trouver des solutions rationnelles ou entières.

Tandis que Diophante s'intéressait surtout aux solutions rationnelles, il émettait des conjectures sur les entiers naturels, comme le fait que tout entier est la somme de quatre carrés.

Āryabhaṭa, Brahmagupta, Bhāskara[modifier | modifier le code]

Alors que l'astronomie grecque a probablement influencé l'apprentissage indien, au point d'introduire la trigonométrie[24], il semble que les mathématiques indiennes soient une tradition indigène[25] ; en effet, il n'y a aucune preuve que les Éléments d'Euclide aient atteint l'Inde avant le XVIIIe siècle[26].

Āryabhaṭa (476-550 av. J.C.) a montré que les paires de congruences , pouvaient être résolues par une méthode qu'il a appelée kuṭṭaka[27] ; c'est une procédure proche et généralisée de l'algorithme d'Euclide, qui a probablement été découvert indépendamment en Inde[28],[24]. Brahmagupta (628 avant J.C.) a commencé l'étude des équations quadratiques, en particulier l'équation de Pell-Fermat, à laquelle Archimède s'était déjà intéressé, et qui n'a commencé à être résolue en Occident qu'avec Fermat et Euler. Une procédure générale (la méthode chakravala) pour résoudre l'équation de Pell-Fermat a été trouvée par Jayadeva (cité au XIe siècle, son travail est perdu) ; la première exposition survivante apparaît dans Bīja-gaṇita de Bhāskara II[29]. Les mathématiques indiennes sont restées inconnues en Europe jusqu'à la fin du XVIIIe siècle[30]. Le travail de Brahmagupta et Bhāskara a été traduit en anglais en 1817 par Henry Colebrooke[31].

Arithmétique à l'âge d'or islamique[modifier | modifier le code]

Johannes Hevelius, Selenographia (Gdansk, 1647). Représentations d'Alhasen, Ibn al-Haytham, à gauche, tenant un diagramme géométrique symbolisant la connaissance par la raison et Galilée à droite, tenant un télescope et symbolisant la connaissance par les sens.

Au début du IXe siècle, le calife Al-Ma'mūn ordonna la traduction de nombreuses œuvres mathématiques grecques et d'au moins une œuvre sanscrite (le Sindhind, qui pourrait[32] ou non[33] être le Brāhmasphuṭasiddhānta de Brahmagupta). L'œuvre principale de Diophante, l'Arithmetica, a été traduite en arabe par Qusta ibn Luqa (820-912). Selon Roshdi Rashed[34], Alhazen, contemporain d'Al-Karaji, connaissait ce qui sera plus tard appelé le théorème de Wilson.

L'Europe de l'Ouest au Moyen Âge[modifier | modifier le code]

À part un traité sur les carrés en progression arithmétique par Fibonacci, aucun progrès en théorie des nombres ne fut effectuée en Europe de l'Ouest au Moyen Âge. Les choses ont commencé à changer en Europe à la fin de la Renaissance, grâce à une étude renouvelée des œuvres de l'Antiquité grecque.

Théorie des nombres moderne[modifier | modifier le code]

Fermat[modifier | modifier le code]

Pierre de Fermat.

Pierre de Fermat (1601-1665) n'a jamais publié ses écrits ; en particulier, son travail sur la théorie des nombres est contenu presque entièrement dans des lettres aux mathématiciens et dans les notes et marges privées[35]. Il n'a presque écrit aucune démonstration en théorie des nombres. Il n'avait aucun modèle dans le domaine[36]. Il a fait un usage répété du raisonnement par récurrence, en introduisant la méthode de descente infinie. Un des premiers intérêts de Fermat était les nombres parfaits (qui apparaissent dans les Éléments IX d'Euclide) et les nombres amicaux ; ceci l'amène à travailler sur des diviseurs entiers, qui furent dès le début parmi les sujets de la correspondance (année 1636 et suivantes) qui le mettent en contact avec la communauté mathématique de l'époque[37]. Il avait déjà étudié attentivement l'édition de Bachet de Diophante[38] ; après 1643, ses intérêts se sont portés vers les problèmes diophantiens et somme de carrés[39] (aussi traités par Diophante).

Les résultats de Fermat en arithmétique incluent :

  • Le petit théorème de Fermat (1640)[40], indiquant que, si a n'est pas divisible par un nombre premier p, alors .
  • Si a et b ne sont pas premiers entre eux, n'est pas divisible par n'importe quel nombre premier congru à −1 modulo 4[41] et tout nombre premier congru à 1 modulo 4 peut être écrit sous la forme [42]. Ces deux énoncé datent de 1640 ; en 1659, Fermat écrivit à Huygens qu'il avait prouvé la dernière déclaration par descente infinie[43]. Fermat et Frenicle ont fait quelques travaux (certains erronés) sur d'autres formes quadratiques[44].
  • Fermat a posé le problème de la résolution de comme un défi pour les mathématiciens anglais (1657). Le problème a été résolu en quelques mois par Wallis et Brouncker[45]. Fermat a considéré leur solution valide, mais a souligné qu'ils avaient fourni un algorithme sans preuve (comme Jayadeva et Bhaskara, bien que Fermat ne le saurait jamais). Il déclare qu'une preuve peut être trouvée par descente infinie.
  • Fermat déclare et prouve (par descente infinie) en appendice aux observations sur Diophante (Obs XLV) que l'équation diophantienne n'a pas de solutions non triviales dans les entiers[46]. Fermat a également mentionné à ses correspondants qu'il n'y a pas de solutions non triviales à , et que cela pourrait être prouvé par descente infinie[47]. La première preuve connue est due à Euler (1753, par descente infinie)[48].

La déclaration de Fermat (« dernier théorème de Fermat ») d'avoir montré qu'il n'y a pas de solutions à l'équation pour tout apparaît seulement en marge d'une copie d'Arithmetica de Diophante.

Euler[modifier | modifier le code]

Leonhard Euler.

L'intérêt de Leonhard Euler (1707-1783) pour la théorie des nombres fut d'abord stimulé en 1729, quand un de ses amis, l'amateur Goldbach, l'orienta vers une partie du travail de Fermat sur le sujet[49],[50]. Cela a été appelé la « renaissance » de la théorie moderne des nombres[38], après le relatif manque de succès de Fermat pour attirer l'attention de ses contemporains sur le sujet[51]. Le travail d'Euler sur la théorie des nombres comprend les éléments suivants[52] :

  • Preuves des déclarations de Fermat. Cela inclut le petit théorème de Fermat (généralisé par Euler aux modules non premiers) ; le fait que si et seulement si  ; un travail en vue d'une preuve du théorème des quatre carrés (la première preuve complète est de Joseph-Louis Lagrange (1770), ensuite améliorée par Euler lui-même[53]) ; l'absence de solutions entières non nulles à (impliquant le cas n = 4 du dernier théorème de Fermat, le cas n = 3 a aussi été traité par Euler).
  • L'équation de Pell-Fermat[54], et de son lien aux fractions continues[55].
  • Premiers pas vers la théorie analytique des nombres. Dans son travail de sommes de quatre carrés, de partitions, de nombres pentagonaux et de la distribution des nombres premiers, Euler fut le pionnier de l'utilisation de ce qui peut être vu comme une analyse (en particulier, des séries infinies) en théorie des nombres. Il a effectué un travail précoce remarquable (mais non entièrement rigoureux) sur ce que l'on appellera plus tard la fonction zêta de Riemann[56].
  • Formes quadratiques. À la suite de Fermat, Euler a poursuivi ses recherches sur la question de savoir quels nombres premiers pouvaient être exprimés sous la forme , préfigurant alors la loi de réciprocité quadratique[57],[58],[59].
  • Équations diophantiennes. Euler a travaillé sur quelques équations diophantiennes[60],[61]. En particulier, il a étudié le travail de Diophante, et a essayé de le systématiser, mais le temps n'était pas encore mûr pour un tel effort — la géométrie algébrique était encore à ses balbutiements[62]. Il remarqua un lien entre les problèmes diophantiens et les intégrales elliptiques, dont il avait lui-même initié l'étude[62].

Lagrange, Legendre, et Gauss[modifier | modifier le code]

Disquisitiones Arithmeticae de Carl Friedrich Gauss, première édition.

Joseph-Louis Lagrange (1736-1813) fut le premier à donner des preuves complètes à certains travaux et observations de Fermat et Euler – par exemple, le théorème des quatre carrés et la théorie de l'équation de Pell-Fermat. Il a également étudié les formes quadratiques définissant leur relation d'équivalence, montrant comment les mettre sous forme réduite, etc.

Adrien-Marie Legendre (1752-1833) fut le premier à énoncer la loi de réciprocité quadratique. Il a également conjecturé ce qui équivaut aujourd'hui au théorème des nombres premiers et au théorème de Dirichlet sur les progressions arithmétiques. Il a donné une analyse complète de l'équation [63]. Durant la fin de sa vie, il fut le premier à prouver le dernier théorème de Fermat pour n = 5[64].

Carl Friedrich Gauss.

Dans ses Disquisitiones Arithmeticae (1798), Carl Friedrich Gauss (1777-1855) a démontré la loi de réciprocité quadratique et développé la théorie des formes quadratiques. Il a également introduit la notation de congruence et a consacré une section aux tests de primalité[65]. La dernière section des Disquisitiones établit un lien entre les racines de l'unité et la théorie des nombres[66]. De cette façon, Gauss a sans doute amorcé le travail d'Évariste Galois et de la théorie algébrique des nombres.

Division en sous-domaines[modifier | modifier le code]

Peter Gustav Lejeune Dirichlet.

Commençant au début du XIXe siècle, les développements suivants ont progressivement eu lieu :

Citation[modifier | modifier le code]

« La mathématique est la reine des sciences et la théorie des nombres est la reine des mathématiques. » Gauss

Notes et références[modifier | modifier le code]

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Number theory » (voir la liste des auteurs).
  1. Introduction à l'ouvrage Cohomology of Number Fields. « Die Zahlentheorie nimmt unter den mathematishen Disziplinen eine ähnlich idealisierte Stellung ein wie die Mathematik selbst unter den anderen Wissenschaften. »
  2. Voir par exemple le commentaire introductif de Iwaniec et Kowalski 2004, p. 1.
  3. a et b Apostol 1976, p. 7.
  4. Granville 2008, section 1: « The main difference is that in algebraic number theory [...] one typically considers questions with answers that are given by exact formulas, whereas in analytic number theory [...] one looks for good approximations. »
  5. Granville 2008, section 3 : « [Riemann] defined what we now call the Riemann zeta function [...] Riemann's deep work gave birth to our subject [...] »
  6. Voir les remarques dans l'introduction de Iwaniec et Kowalski 2004, p. 1 : « However much stronger... ».
  7. Edwards 2000, p. 79.
  8. Martin Davis, Yuri Matiyasevich et Julia Robinson, « Hilbert's Tenth Problem: Diophantine Equations: Positive Aspects of a Negative Solution », dans Felix E. Browder (dir.), Mathematical Developments Arising from Hilbert Problems, AMS, coll. « Proc. Symp. Pure Math. » (no XXVIII.2), (ISBN 0-8218-1428-1, zbMATH 0346.02026), p. 323-378. Réimprimé dans The Collected Works of Julia Robinson, édité par Solomon Feferman, p. 269-378, AMS, 1996.
  9. Neugebauer (Neugebauer 1969, p. 36-40) discute en détail le tableau et mentionne incidemment la méthode d'Euclide en notation moderne : (Neugebauer 1969, p. 39).
  10. Neugebauer et Sachs 1945, p. 40. « The holding-square of the diagonal from which 1 is torn out, so that the short side comes up... » Robson 2001, p. 192.
  11. Robson 2001, p. 189. — D'autres sources donnent la formule moderne . Van der Waerden donne à la fois la formule moderne et celle que semble préférer Robson. (van der Waerden 1961, p. 79).
  12. van der Waerden 1961, p. 184.
  13. van der Waerden 1961, p. 43.
  14. Jamblique, Vie de Pythagore, cité dans van der Waerden 1961, p. 108. Voir aussi Porphyre, Vie de Pythagore, paragraphe 6. Van der Waerden (van der Waerden 1961, p. 87-90) renforce l'idée que Thalès ait connu les mathématiques babyloniennes.
  15. Herodotus (II. 81) et Isocrates (Busiris 28), cités dans (en) Carl A. Huffman et Edward N. Zalta, « Pythagoras », dans Stanford Encyclopaedia of Philosophy, (lire en ligne). Sur Thalès, voir Eudemus Proclus, 65.7 (par exemple dans Morrow 1992, p. 52) cité dans : O'Grady 2004, p. 1. Proclus utilise une œuvre de Eudemus of Rhodes (aujourd'hui disparue), le Catalogue des géomètres. Voir aussi introduction, Morrow 1992, p. _ _ _ .
  16. Platon, Théétète, p. 147 B, cité dans von Fritz 2004, p. 212 : « Theodorus was writing out for us something about roots, such as the roots of three or five, showing that they are incommensurable by the unit;... ». Voir aussi la spirale de Théodore de Cyrène.
  17. van der Waerden 1961, p. 109.
  18. Becker 1936.
  19. von Fritz 2004.
  20. Heath 1921, p. 76.
  21. Sunzi Suanjing, chap. 3, problème 26. Celui-ci se trouve dans Lam et Ang 2004, p. 219-220, qui contient une traduction complète du Suan Ching (d'après Qian 1963). Voir aussi la discussion dans Lam et Ang 2004, p. 138-140.
  22. Voir Lam et Ang 2004, p. 27-28.
  23. Boyer et Merzbach 1991, p. 82.
  24. a et b Plofker 2008, p. 119.
  25. La possibilité d'un contact précoce entre mathématiques babyloniennes et indiennes reste à l'état de conjecture. (Plofker 2008, p. 42).
  26. Mumford 2010, p. 387.
  27. Āryabhaṭa, Āryabhatīya, chap. 2, vers 32-33, cité dans : Plofker 2008, p. 134-140. Voir aussi Clark 1930, p. 42-50. Une description sensiblement plus explicite de la kuṭṭaka a plus tard été faite dans Brahmagupta, Brāhmasphuṭasiddhānta, XVIII, 3-5 (dans Colebrooke 1817, p. 325, cité dans Clark 1930, p. 42).
  28. Mumford 2010, p. 388.
  29. Plofker 2008, p. 194.
  30. Plofker 2008, p. 283.
  31. Colebrooke 1817.
  32. Colebrooke 1817, p. lxv, cité dans (en) J. F. P. Hopkins, « Geographical and Navigational Literature », dans M. J. L. Young, J. D. Latham et R. B. Serjeant, Religion, Learning and Science in the 'Abbasid Period, Cambridge University Press, coll. « The Cambridge History of Arabic Literature », (ISBN 978-0-521-32763-3), p. 302. Voir aussi la préface de (en) Eduard Sachau, Alberuni's India: An Account of the Religion, Philosophy, Literature, Geography, Chronology, Astronomy and Astrology of India, vol. 1, Londres, Kegan, Paul, Trench, Trübner & Co., (présentation en ligne), citée dans Smith 1958, p. 168.
  33. (en) David Pingree, « The Fragments of the Works of Yaʿqūb ibn Ṭāriq (en) », Journal of Near Eastern Studies, vol. 26,‎ , p. 97-125 et (en) David Pingree, « The Fragments of the Works of al-Fazari », Journal of Near Eastern Studies, vol. 28,‎ , p. 103-123, cité dans Plofker 2008, p. 256.
  34. Rashed 1980, p. 305-321.
  35. Weil 1984, p. 45-46.
  36. Weil 1984, p. 118. (Weil 1984, p. 33).
  37. Mahoney 1994, p. 48, 53-54. , Tannery et Henry 1891, vol. II, p. 72, 74, cité dans Mahoney 1994, p. 54.
  38. a et b Weil 1984, p. 1-2.
  39. Weil 1984, p. 53.
  40. Tannery et Henry 1891, vol. II, p. 209, Lettre XLVI de Fermat à Frenicle, 1640, citée dans Weil 1984, p. 56.
  41. Tannery et Henry 1891, vol. II, p. 204, cité dans Weil 1984, p. 63. (Fermat 1679).
  42. Tannery et Henry 1891, vol. II, p. 213.
  43. Tannery et Henry 1891, vol. II, p. 423.
  44. Weil 1984, p. 80, 91-92.
  45. Weil 1984, p. 92.
  46. Tannery et Henry 1891, vol. I, p. 340-341.
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  48. Weil 1984, p. 115-116.
  49. Weil 1984, p. 2, 172.
  50. Varadarajan 2006, p. 9.
  51. Weil 1984, p. 2 et Varadarajan 2006, p. 37
  52. Varadarajan 2006, p. 39 et Weil 1984, p. 176-189.
  53. Weil 1984, p. 178-179.
  54. Weil 1984, p. 174.
  55. Weil 1984, p. 183.
  56. Varadarajan 2006, p. 45-55 ; voir aussi chap. III.
  57. Varadarajan 2006, p. 44-47.
  58. Weil 1984, p. 177-179.
  59. Edwards 1983, p. 285-291.
  60. Varadarajan 2006, p. 55-56.
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  65. Goldstein et Schappacher 2007, p. 14.
  66. Disquisitiones Arithmeticae ; Goldstein et Schappacher 2007, p. 16
  67. Weil 1984, p. 25).
  68. Davenport et Montgomery 2000, p. 1.
  69. Iwaniec et Kowalski 2004, p. 1.
  70. Varadarajan 2006, sections 2.5, 3.1 and 6.1.
  71. Granville 2008, p. 322-348.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages cités
Autres ouvrages

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]