Théorème des valeurs intermédiaires — Wikipédia

Illustration du théorème des valeurs intermédiaires : si f est une fonction continue sur l'intervalle [a ; b], alors elle prend toutes les valeurs comprises entre f(a) et f(b) au moins une fois. Ici la valeur s est prise trois fois.

En mathématiques, le théorème des valeurs intermédiaires (abrégé en TVI[1]), parfois appelé théorème de Bolzano[2], est un résultat important en analyse et concerne des fonctions continues sur un intervalle. Il indique que si une fonction continue sur un intervalle prend deux valeurs m et n, alors elle prend toutes les valeurs intermédiaires entre m et n.

Ce théorème donne dans certains cas l'existence de solutions d'équations et est à la base de techniques de résolutions approchées comme la méthode de dichotomie.

Approche intuitive[modifier | modifier le code]

Profil de l'étape Pau-Hautacam du Tour de France 2008.

La 10e étape du Tour de France 2008 était une course cycliste de 156 km de long partant de Pau (altitude : 200 m) et arrivant à Hautacam (1 520 m).

Le profil de l'étape est une fonction définie sur l'intervalle [0 ; 156] et à valeurs réelles. À tout nombre x de [0 ; 156], elle associe l'altitude du point situé à x kilomètres du départ. Puisque les altitudes s'échelonnent de 200 à 1 520 m, il paraît évident que les coureurs ayant terminé l'étape ont dû passer au moins une fois par toutes les altitudes intermédiaires, c'est-à-dire les altitudes entre 200 et 1520m. Par exemple, le coureur passera au moins une fois par l'altitude 1 000 m. Cependant, cette constatation s'appuie sur deux hypothèses :

  • le parcours est un intervalle, ce qui suppose que l'espace est un « continuum » – les mathématiciens parlent d'espace connexe – c'est-à-dire qu'il n'y a pas de « trou » entre 0 et 156.
  • la fonction altitude est continue, ce qui signifie qu'une variation infinitésimale du kilométrage entraîne une variation infinitésimale de l'altitude. En d'autres termes, un coureur ne peut pas se téléporter instantanément d'une altitude à une autre.

Remarquons que le raisonnement n'est plus valable si le profil n'est plus défini sur un intervalle, par exemple si l'on ne s'intéresse qu'aux points de contrôle marqués sur le graphique ci-contre : il se peut qu'aucun de ces points, si nombreux soient-ils, ne se trouve à 1 000 m d'altitude.

Le théorème des valeurs intermédiaires formalise ce raisonnement empirique.

Énoncé[modifier | modifier le code]

Pour toute fonction f définie et continue sur un intervalle I de ℝ et à valeurs réelles, l'image f(I) est un intervalle de ℝ.

Énoncé équivalent  :

Pour toute application continue f : [a, b] → ℝ et tout réel u compris entre f(a) et f(b), il existe au moins un réel c compris entre a et b tel que f(c) = u.

Cas particulier (Théorème de Bolzano) :

Si f(a)f(b) ≤ 0, il existe au moins un réel c ∈ [a, b] tel que f(c) = 0 (car « f(a)f(b) ≤ 0 » signifie que 0 est compris entre f(a) et f(b)).

Remarques[modifier | modifier le code]

  • Il faut prendre garde au fait que le théorème n'affirme pas que l'image de l'intervalle [a, b] par f est l'intervalle [f(a);f(b)]. C'est faux, comme le montre le contre-exemple de la fonction f(x) = sin(x) avec a = 0 et b = π ; dans ce cas, f([a, b]) = [0, 1] mais [f(0), f(π)] = {0}.
  • Le théorème amène à se poser la question : n'y a-t-il pas équivalence entre la propriété de la valeur intermédiaire et la continuité ? La réponse est négative (voir la section Note historique). Un contre exemple est donné par la fonction réelle de la variable réelle f définie par :Cette fonction n'est pas continue en 0 mais elle satisfait bien la propriété de la valeur intermédiaire pour chaque couple de réels. Un contre-exemple plus élaboré est la fonction de Conway en base 13, qui est discontinue en tout point.
  • Il y a équivalence entre :
f est continue sur [a, b]
et
Pour tout sous-intervalle [c, d] inclus dans [a,b] et tout y élément de [f(c), f(d)], l'ensemble est une partie non vide et fermée de [a,b][3].
  • Ce théorème est essentiel à l'élaboration de la théorie de l'analyse élémentaire, il permet la démonstration du théorème de la bijection et la construction de nombreuses fonctions élémentaires comme la fonction racine carrée.
  • Ce théorème est faux sur le corps des nombres rationnels. Il faut nécessairement utiliser les propriétés du corps des nombres réels. Par exemple, la fonction f(x) = x2 – 2 de ℚ dans ℚ est continue sur [0, 2] et vérifie f(0) = –2, f(2) = 2. Cependant, il n'y a pas de nombre rationnel x tel que f(x) = 0.
  • Ce théorème met en valeur une propriété topologique des nombres réels. Il se démontre simplement à l'aide de la topologie ou de manière plus laborieuse si l'on procède « manuellement ».
  • Lorsque de plus f est strictement monotone, elle est injective donc la solution c est unique.
  • Soient –∞a < b +∞ et f : ]a, b[ → ℝ continue et possédant en a et b des limites La et Lb (éventuellement infinies). Alors, pour tout réel u strictement compris entre La et Lb, il existe un réel c dans ]a, b[ tel que f(c) = u[4].

Applications[modifier | modifier le code]

  • On utilise souvent ce théorème pour montrer que deux fonctions continues sur un même intervalle et dont la différence change de signe dans cet intervalle prennent la même valeur en au moins un point de cet intervalle.
    Exemple : Soient f et g deux fonctions continues sur un intervalle non vide [a, b] de ℝ, telles que g(a) – f(a) et g(b) – f(b) soient de signes contraires. Il existe au moins un réel c compris entre a et b et tel que f(c) = g(c).
    En effet, posons φ = fg. La fonction φ est continue (comme différence de fonctions continues), et 0 est compris entre φ(a) et φ(b). Il existe donc au moins un réel c compris entre a et b et tel que φ(c) = 0, soit encore f(c) = g(c).
    Dans le cas particulier où g est l'identité sur l'intervalle [a, b] et où f(a) > a et f(b) < b, on obtient un théorème de point fixe (Brouwer en dimension 1).
  • Pour tout polynôme P à coefficients réels et de degré impair, il existe au moins une racine réelle, c'est-à-dire un réel c tel que P(c) = 0.
    En effet, les limites de P en +∞ et –∞ sont infinies et (comme le degré de P est impair) opposées l'une de l'autre. Comme la fonction polynomiale P est continue, on déduit de la généralisation ci-dessous[5] qu'elle prend toutes les valeurs réelles, en particulier la valeur 0.
Énoncé et démonstration du théorème des valeurs intermédiaires par Cauchy (1821).
Fin de la démonstration par Cauchy (1821).

Note historique[modifier | modifier le code]

Dans son Cours d'Analyse de l'École royale polytechnique publié en 1821, Cauchy donne un énoncé du théorème des valeurs intermédiaires comme le théorème IV du chapitre II, puis il en donne une démonstration[6].

Résolution et démonstration[modifier | modifier le code]

Le théorème des valeurs intermédiaires fait partie des théorèmes dits d'existence. Cependant, il n'existe pas de démonstration générale constructive de cette existence[7].

La démonstration originale de Bolzano repose sur la notion de borne supérieure d'un ensemble de réels[8].

Nous donnons ci-dessous deux autres démonstrations. La première est courte mais s'appuie sur une théorie plus élaborée, la topologie. La seconde est basée sur la méthode de dichotomie[9] et peut, dans une certaine mesure, être mise en œuvre numériquement.

Démonstration topologique[modifier | modifier le code]

La topologie fournit une démonstration en quelques lignes de cette propriété :

Les connexes de ℝ sont les intervalles. L'ensemble de départ est donc un connexe. L'image d'un connexe par une fonction continue est un connexe. Donc l'image par f de [a, b] est un intervalle, ce qui démontre le théorème.

Mais derrière cette apparente simplicité se cachent des résultats qu'il faut avoir démontrés au préalable, comme le fait que tout intervalle de ℝ est connexe, démonstration du même ordre de difficulté que celle du théorème des valeurs intermédiaires.

Démonstration par dichotomie[modifier | modifier le code]

Le principe[10],[11] consiste à couper l'intervalle de départ en deux et à conserver l'intervalle où l'on sait que se trouve une solution. On recommence ensuite en coupant en deux l'intervalle conservé, etc. On obtient ainsi des intervalles emboîtés de plus en plus petits dans lesquels on est sûr de trouver une solution. On finit alors par trouver un encadrement « assez fin » de la solution.

Algorithmes[modifier | modifier le code]

La démonstration par dichotomie se traduit facilement sous forme algorithmique, à l'exception du test f(mn) = u (où mn est le milieu du n-ième intervalle), qu'on ne saurait vérifier exactement alors que l'on procède à des calculs numériques approchés. On préfère lui substituer la condition |f(mn) – u| < ε, où ε est une erreur donnée à l'avance. L'algorithme fournira alors un réel x tel que |f(x) – u| < ε, mais cette valeur peut se révéler relativement éloignée de la valeur exacte c de la racine si l'on ne fait aucune autre hypothèse sur f que la continuité.

Dans le cas où f est C1 (c'est-à-dire où f et sa première dérivée sont continues) et où l'on peut trouver un nombre m > 0 tel que |f '| > m dans l'intervalle où la méthode de dichotomie est appliquée, alors l'algorithme de la dichotomie converge vers un nombre c tel que f(c) = u. On a de plus, la majoration de l'écart entre la valeur x calculée par la dichotomie et c sous la forme |x – c| ≤ ε/m.

Par ailleurs, la méthode de dichotomie ne permet de trouver qu'une seule valeur x. Le fait d'éliminer tout un intervalle à chaque étape risque d'éliminer d'autres solutions.

Enfin, la dichotomie est un algorithme simple, mais n'est pas le plus performant : la précision n'augmente que d'un facteur 2 à chaque itération. On a donc cherché d'autres méthodes permettant une convergence plus rapide. La méthode de Newton ou méthode des tangentes en est une d'une bonne efficacité.

Généralisations[modifier | modifier le code]

Théorème de Darboux[modifier | modifier le code]

Une fonction peut vérifier la conclusion du théorème des valeurs intermédiaires sans être continue[12] (exemple : la fonction x ↦ sin(1/x), complétée par 0 ↦ aa est un réel choisi entre –1 et 1).

En 1875, Gaston Darboux a montré que cette conclusion était vérifiée par toutes les fonctions dérivées, dont les fonctions continues font partie, d'après le premier théorème fondamental de l'analyse. Le théorème des valeurs intermédiaires est donc un cas particulier du théorème de Darboux[13].

Théorème de Poincaré-Miranda[modifier | modifier le code]

Le théorème suivant, appelé théorème de Poincaré-Miranda, est une généralisation du théorème des valeurs intermédiaires, ou plutôt de sa formulation selon Bolzano.

Soit f = (f1, … , fn) : [–1, 1]n → ℝn une application continue telle que sur chaque face xi = 1, fi ≥ 0 et sur chaque face xi = –1, fi ≤ 0. Alors il existe un point où f s'annule[14].

Henri Poincaré l'a annoncé en 1883 puis démontré en 1886[15], mais ce n'est qu'en 1940 que Carlo Miranda (it) a remarqué[16] qu'il équivaut au théorème du point fixe de Brouwer.

En prenant dans ce théorème, on obtient bien le théorème de Bolzano.

Sur un espace topologique quelconque[modifier | modifier le code]

Soit E un espace topologique connexe et f : E → ℝ un application continue. Le « théorème des valeurs intermédiaires généralisé[17] » dit que l'image f(E) est un intervalle.

On retrouve l'énoncé sur ℝ à partir de l'énoncé général à condition d'avoir démontré au préalable que tout intervalle réel est connexe (voir supra).

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Daniel Perrin, « Les valeurs intermédiaires », sur le blog de Alexandre Moatti, .
  2. [PDF]Laurent Moonens, aspirant du FRS, « Bolzano et le théorème des valeurs intermédiaires », sur AlmaSoror, .
  3. I. Gaber, A. Lev, R, Zigdon, « Insights and Observations on Teaching the Intermediate Value Theorem », Amer. Math. Monthly, vol. 126, no 9,‎ , p. 845-849 (DOI 10.1080/00029890.2019.1647061)
  4. Exercice 1 ou 4 sur la continuité (et leurs solutions) sur Wikiversité.
  5. (en) Michael Spivak, Calculus, (lire en ligne), p. 103, donne une démonstration plus classique.
  6. Augustin Louis Cauchy, Cours d'Analyse de l'École royale polytechnique (lire en ligne), « chapitre II »
  7. Lire par exemple : Thierry Coquant, « Herbrand et le programme de Hilbert », Gazette de la SMF, no 118,‎ , p. 17-18 (lire en ligne). Dans cet article est abordé la différence entre une existence formelle et une existence effective d'un objet en mathématique. Le théorème des valeurs intermédiaires est utilisé pour illustrer cette différence.
  8. Pour une démonstration moderne dans le même esprit, voir par exemple (en) Peter D. Lax et Maria Shea Terrell, Calculus With Applications, Springer, , 2e éd. (1re éd. 1976) (lire en ligne), p. 66-67 ou « Théorème des valeurs intermédiaires, ou de Bolzano » sur Wikiversité.
  9. Pour l'équivalence entre la propriété de la borne supérieure (utilisée par Bolzano) et le théorème des suites adjacentes (utilisé dans la preuve par dichotomie), voir Construction des nombres réels#Équivalence des deux constructions.
  10. [PDF]Daniel Perrin, « Deux démonstrations par dichotomie », sur Université Paris-Sud.
  11. Voir la démonstration par dichotomie du théorème des valeurs intermédiaires sur Wikiversité.
  12. Cependant, si une fonction vérifie cette conclusion et ne prend chaque valeur qu'un nombre fini de fois, alors elle est continue : Spivak 1967, p. 109 (ex. 13).
  13. Spivak 1967, p. 253 (ex. 12) ou Spivak 20063e édition, CUP (ISBN 978-0-52186744-3) — p. 296 (ex. 20).
  14. [PDF]Voir la démonstration de (en) Władysław Kulpa, « Poincaré and domain invariance theorem », Acta Univ. Carolin. Math. Phys., vol. 39, no 1,‎ , p. 127-136 (lire en ligne), p. 130-131 (reprise de (en) Władysław Kulpa, « The Poincaré-Miranda Theorem », Amer. Math. Month., vol. 104, no 6,‎ , p. 545-550 (DOI 10.2307/2975081)), ou sa réécriture dans (en) Michael Müger, « A remark on the invariance of dimension », sur Radboud Universiteit Nijmegen, qui y détecte un « lemme de Sperner cubique ».
  15. [PDF]H. Poincaré, « Sur les courbes définies par une équation différentielle, IV », Journal de mathématiques pures et appliquées, vol. 85,‎ , p. 151-217 (lire en ligne).
  16. (it) C. Miranda, « Un'osservazione su una teorema di Brouwer », Bollettino dell'Unione Matematica Italiana, vol. 3,‎ , p. 527.
  17. (en) Charles C. Pugh, Real Mathematical Analysis, Springer, (lire en ligne), p. 83

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Article connexe[modifier | modifier le code]

Lemme de Cousin

Liens externes[modifier | modifier le code]

  • Bolzano, Rein analytischer Beweis des Lehrsatzes, dass zwischen je zwei Werthen, die ein entgegengesetztes Resultat gewähren, wenigstens eine reelle Wurzel der Gleichung liege [Démonstration purement analytique du théorème : entre deux valeurs quelconques qui donnent deux résultats de signes opposés se trouve au moins une racine réelle de l'équation], Prague, 1817.
    Dans ce texte, Bolzano réfute les démonstrations antérieures qui s'appuient sur des principes d'évidence ou des considérations géométriques. Il énonce le théorème (p. 9), puis le démontre en utilisant la propriété de la borne supérieure (p. 21-22). On peut trouver des traductions partielles en français dans Mathématiques au fil des âges, Bordas, 1987, p. 206-207 ou dans La démonstration mathématique dans l'histoire, IREM de Besançon et de Lyon, 1989, p. 99-114. Ce texte de Bolzano restera grandement méconnu jusqu'à la publication de ses travaux en 1848.
  • (en) S. B. Russ, « A translation of Bolzano's paper on the intermediate value theorem », Historia Mathematica, vol. 7, no 2,‎ , p. 156-185 (DOI 10.1016/0315-0860(80)90036-1)
  • Cauchy, Analyse algébrique, 1821, p. 43-44.
    Dans cette démonstration, Cauchy se contente de l'évidence géométrique. Cette démonstration n'est pas jugée satisfaisante par Giuseppe Peano (Calcolo differenziale e principii di calcolo integrale, 1884, p. xi). Ce dernier donne la démonstration par dichotomie, après avoir défini les réels comme coupures de Dedekind.
  • Cauchy, Analyse algébrique, 1821, N. III, p. 460.
    Cauchy donne ici un procédé numérique de résolution d'équation, assimilable à la démonstration par dichotomie du théorème des valeurs intermédiaires.