Bordurie — Wikipédia

Bordurie
Drapeau de la Bordurie plekszy-gladzienne de l'après-guerre.
Univers de fiction
Présent dans lʼœuvre
Créateur
Éditeur
Première apparition
Caractéristiques
Type
Pays
Localisation
Capitale
Szohôd
Langue
bordure
Devise nationale :
Amaïh Plekszy-Gladz!
(En langue française : « Vive Plekszy-Gladz ! »)

La Bordurie est un pays imaginaire d'Europe orientale créé par Hergé dans Les Aventures de Tintin. Elle joue le rôle de l'antagoniste, en particulier en s'attaquant à son voisin, la Syldavie. La capitale en est Szohôd. C'est un régime totalitaire, d'abord inspiré de l'Allemagne nazie puis des régimes soviétiques.

Histoire[modifier | modifier le code]

Une brochure dans Le Sceptre d'Ottokar indique que le roi de Bordurie conquiert la Syldavie en 1195. Le pays l'occupe jusqu'en 1275, lorsque le baron Almaszout chasse les Bordures. Depuis, de nombreux conflits opposent les deux pays, en situation de « guerre larvée »[1].

Lors des événements narrés dans Le Sceptre d'Ottokar, la Bordurie tente de s'emparer de son voisin en détrônant le roi Ottokar : en Syldavie, le Parti de la Garde d'Acier dirigé par Müsstler (dont le nom rappelle Mussolini et Hitler), doit provoquer des incidents avec la population bordure, tandis que des « sections de choc » du Zyldav Zentral Revoluzionär Komitzät (Comité central révolutionnaire syldave)[2] sont chargées de s'emparer des points névralgiques de la capitale Klow ; les troupes bordures doivent ensuite pénétrer en territoire syldave[3]. Grâce à la découverte du complot par Tintin, le coup d’État échoue et les troupes bordures reculent à 20 kilomètres de la frontière[4].

Si la Bordurie n'est pas nommée dans la dilogie Objectif LuneOn a marché sur la Lune, l'agent au service de l'ennemi est le colonel Boris, c'est-à-dire l'agent chargé du coup d’État pro-bordure dans Le Sceptre d'Ottokar. La Bordurie tente de s'emparer de la fusée construite par le professeur Tournesol. L'album Objectif Lune, paru en 1953, rappelle les rivalités de la guerre froide dans la conquête spatiale[5].

Dans L'Affaire Tournesol, la Bordurie (tout comme la Syldavie) tente de récupérer l'arme à ultra-sons inventée par le professeur Tournesol afin de s'en servir à des fins militaires, mais échoue.

Plus tard, comme cela est rapporté dans Tintin et les Picaros, le régime de Szohôd fournit un soutien technique au dictateur du San Theodoros, le général Tapioca, éternel rival du général Alcazar, réfugié dans la jungle avec ses partisans[6]. Le régime tapioquiste adopte alors l'idéologie et l'emblème de la Bordurie.

Localisation[modifier | modifier le code]

L'histoire de la Bordurie selon Hergé permet de situer ce pays dans les Balkans. Plusieurs caractéristiques politiques la rapprochent cependant de l'Allemagne nazie[7], puis de l'URSS[8].

Le nom du pays renvoie à la notion de bordure, c'est-à-dire de limite ou de frontière : Hergé choisit ainsi de mettre une séparation avec le monde où évoluent Tintin et ses compagnons. Pour Z. Truchlewski, « la Bordurie et la Syldavie sont en effet cet "autre" déprécié et qui incarne le parent pauvre de la civilisation occidentale »[9].

Régime[modifier | modifier le code]

Régime fasciste de 1939[modifier | modifier le code]

Dans l'album Le Sceptre d'Ottokar, la Bordurie est clairement un régime totalitaire fasciste. Il existe de nombreux parallèles entre la tentative d'annexion de la Syldavie et les revendications territoriales de l'Allemagne nazie (Anschluss) à l'époque de création de l'album[14],[15]. Les uniformes des soldats bordures sont copiés sur les uniformes nazis[16], et Hergé s'est inspiré d'un avion allemand Heinkel (nom qui apparaît clairement sur le moteur dans la version noir et blanc[12]) pour dessiner l'avion bordure que Tintin dérobe sur un aérodrome avant d'être abattu par la DCA syldave[17]. Enfin, le chef du Parti de la Garde d'Acier (calque de « Garde de fer », parti fasciste roumain[18]) se nomme Müsstler, contraction de Mussolini et Hitler[7] évoquant aussi[réf. souhaitée] les noms des fascistes Anton Mussert (néerlandais) et Oswald Mosley (britannique).

Régime stalinien après la Seconde Guerre mondiale[modifier | modifier le code]

Après la Seconde Guerre mondiale, les références et inspirations indiquent plutôt une caricature des dictatures communistes d'Europe de l'Est[3]. Les indices les plus probants figurent dans L'Affaire Tournesol, où l'on voit Hergé brosser le portrait d'un pays glorifiant à tout propos son dictateur Plekszy-Gladz (dont la moustache évoque en partie celle de Joseph Staline[3], et dont le nom est calqué sur le Plexiglas, rappelant de façon parodique le pseudonyme de Staline, directement inspiré par l'acier, cf. сталь en russe, Stahl en allemand), et où les visiteurs venus de l'Ouest sont en permanence accompagnés de « guides » appartenant à la police secrète. De même, l'intrigue de L'Affaire Tournesol tourne autour de l'espionnage et l'appropriation d'armes de destruction massive.

Néanmoins, le salut militaire bordure Amaïh Pleksy-Gladz évoque le salut nazi Heil Hitler ![19] (ainsi que l'exclamation anverso-gantoise amaï[réf. nécessaire]).

Si le tyran Plekszy-Gladz et sa police politique évoquent Staline et le NKVD, ses généraux et le colonel Sponsz ressemblent surtout aux officiers du Troisième Reich ; quant à la capitale Szohôd, elle pourrait, par ses vitrines, son éclairage et ses nombreuses voitures, être n'importe quelle ville occidentale, s'il n'y avait, dans certaines vignettes de L'Affaire Tournesol, des minarets cylindriques de style turc qui la placent clairement dans les Balkans. On peut donc voir dans la Bordurie une caricature du totalitarisme en général[3], que ce soit l'URSS stalinienne ou l'Allemagne hitlérienne.

Les généraux de l'armée bordure détestent assez les pays occidentaux, applaudissant en voyant une représentation de la destruction (fictive) de New York dans L'Affaire Tournesol.

Un régime totalitaire[modifier | modifier le code]

Pour François Schuiten, Hergé utilise la Bordurie pour montrer les différences entre un régime autoritaire et un régime totalitaire : « en Bordurie, il n'est pas possible d'échapper au poids de l'idéologie moustachiste et de sa liturgie. L’État est partout, l'emprise du pouvoir y est beaucoup plus grande que dans un régime autoritaire »[20].

Culte de la personnalité[modifier | modifier le code]

Le culte de la personnalité du maréchal Plekszy-Gladz fait modifier jusqu'aux pare-chocs des voitures bordures eux-mêmes. On retrouve la forme de sa moustache (dans L'Affaire Tournesol) sur tous les véhicules bordures. La moustache se retrouve également sur les casques des motards bordures, sur le fronton des immeubles (page 47 de L'Affaire Tournesol), sur les montures des lampes du palace où séjournent Haddock et Tintin, sur les calendriers et même sur le rebord d'une table de la suite de Tintin à Szohôd (page 48 de L'Affaire Tournesol)[21]. Enfin, une statue monumentale du maréchal Plekszy-Gladz se situe au centre de la place Plekszy-Gladz à Szohôd. On peut remarquer un passant saluant la statue (page 47 de L'Affaire Tournesol), le bras droit replié contre la poitrine[22], ce qui n'est pas sans rappeler le salut zoguiste (en) en vigueur en Albanie sous le roi Zog[réf. nécessaire].

Rivalité avec la Syldavie[modifier | modifier le code]

La Bordurie, fidèle à sa rivalité héréditaire avec la Syldavie, lui livre une lutte acharnée. La Bordurie constitue ainsi l'alter-ego de la Syldavie[3]. La relation entre les deux pays permet à Hergé « de condenser et de simplifier l'essentiel des problèmes qui déchirent alors le continent européen »[3] dans les années 1930 puis 1950.

Langue[modifier | modifier le code]

La langue parlée en Bordurie est le bordure. Elle s'écrit avec l'alphabet latin et utilise beaucoup l'accent circonflexe, qui rappelle le symbole de la moustache. Pour Benoît Peeters, c'est une marque de la propagande du régime bordure, qui étend son influence jusque dans l'alphabet[3]. Le lexique est inspiré du bruxellois[23].

Lexique[modifier | modifier le code]

  • amaïh ! = salut !, vive ! (< Néerl. amai, expression de surprise ou d'étonnement)
  • hôitgang = sortie (< Néerl. uitgang)
  • mänhir = monsieur (< All. Mein Herr ; < Néerl. Mijnheer)
  • ointhfan = bureau de réception (< Néerl. ontvangst)
  • platz = place (< All. Platz ; Néerl. plaats)
  • pristzy ! = juron (< Fr. sapristi)
  • szonett = sonnerie (< Fr. sonnette)
  • sztôpp = stop
  • tzhôl = douane (< All. Zoll)
  • zserviz = service
  • zsnôrr = moustache (< Néerl. snor)

La capitale du pays est Szohôd (transcription du bruxellois zo-ot, « sot », aussi utilisé comme onomatopée avec le sens de « Mon œil ! »).

Les mots en bordure transforment les lettres du néerlandais en d'autres lettres, telle que "i" qui devient "ï", "ui" devient "hôi", "ei" devient "ä", "ce" et "z" deviennent "tz" et "sn" devient "zsn".

En dehors de l'univers d'Hergé[modifier | modifier le code]

Le cas de la Syldavie et de la Bordurie a été réutilisé en dehors de l'univers des Aventures de Tintin, par exemple dans un manuel de droit international public[24] ou dans un ouvrage consacré à l'information et au renseignement[1]. En 1967, un roman de Jean-Marie Caplain relate le conflit syldavo-bordure en faisant intervenir de nouveaux personnages (ministres, ambassadeurs, militaires...) et enrichit son histoire[25].

En 2011, des parlementaires français du « Club des parlementaires tintinophiles » organisent un débat sur la question fictive du conflit borduro-syldave. Tintin se voit nommé représentant de l'Union européenne pour résoudre la crise[26].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Philippe Capet et Thomas Delavallade, L'Évaluation de l'information : Confiance et défiance, éditions Lavoisier, (ISBN 978-2-7462-8928-4, lire en ligne), p. 28.
  2. (en) Jean-Marie Apostolidès, The Metamorphoses of Tintin, Or, Tintin for Adults, Stanford University Press, (ISBN 978-0-8047-6030-0, lire en ligne), p. 91.
  3. a b c d e f et g Benoît Peeters (édition revue et mise à jour), Hergé, fils de Tintin, Paris, éditions Flammarion, coll. « Champs essais », , 629 p. (ISBN 978-2-08-123474-1, lire en ligne), p. 326.
  4. Hergé, Le Sceptre d'Ottokar, Casterman, p. 61, case 4.
  5. La Nouvelle alternative, Association Festival Est-Ouest, (lire en ligne), p. 159.
  6. Isabelle Roblin, « Pierre Skilling (2001), Mort aux tyrans ! Tintin, les enfants, la politique », Communication. Information médias théories pratiques, Québec, Éditions Nota bene, coll. Études culturelles, vol. 23/1,‎ , p. 201–207 (ISSN 1189-3788, lire en ligne, consulté le ).
  7. a et b Hubert Védrine, Comptes à rebours: 2013-2018, éditions Fayard, (ISBN 978-2-213-71091-4, lire en ligne), p. 293.
  8. Joëlle Kuntz, « Exclusif: la Bordurie passe à l’Est », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le ).
  9. Grégoire Lits et Quentin Martens, Émulations n°6: Regards sur notre Europe: [Partie 1] Politique et citoyenneté, Presses univ. de Louvain, (ISBN 978-2-87463-183-2, lire en ligne), p. 152.
  10. « Cryptogramme géométrique qui ne peut qu'évoquer la svastika du Reich. » (Soumois 1987, p. 142).
  11. Soumois 1987, p. 142.
  12. a et b L'avion tel qu'il apparaît dans la version en noir et blanc : planche 94, Le Petit Vingtième, no 26, .
  13. « Dans la version moderne, le cryptogramme est remplacé par un signe de la paix renversé et rougi. » (Soumois 1987, p. 142).
  14. Rémi Kauffer, « L'Anschluss : valse brune à Vienne », Historia, Paris « Hors-série » « Les personnages de Tintin dans l'histoire : Les événements de 1930 à 1944 qui ont inspiré l'œuvre d'Hergé »,‎ , p. 82-87.
  15. Frédéric Soumois, « Du rififi dans les Balkans », Historia, Paris « Hors-série » « Les personnages de Tintin dans l'histoire : Les événements de 1930 à 1944 qui ont inspiré l'œuvre d'Hergé »,‎ , p. 80-81.
  16. (en) Jean-Marie Apostolidès, The Metamorphoses of Tintin, Or, Tintin for Adults, Stanford University Press, (ISBN 978-0-8047-6030-0, lire en ligne), p. 29.
  17. Philippe Goddin, Hergé: Lignes de vie, éditions Moulinsart, (ISBN 978-2-87424-097-3, présentation en ligne).
  18. Joëlle Kuntz, « Exclusif: la Bordurie passe à l’Est », Le Temps, (consulté le ).
  19. Albert Algoud, « Plekszy-Gladz », dans Dictionnaire amoureux de Tintin, éditions Plon, (ISBN 9782259252331).
  20. François Schuiten, Tintin et la ville, éditions Moulinsart, (ISBN 978-2-87424-032-4, lire en ligne).
  21. Patrick Peccatte, « La Bande dessinée et la Tapisserie de Bayeux [2/2] – Le « système du poil » dans les narrations visuelles séquentielles », sur Déjà Vu (consulté le ).
  22. Gilles Ratier, L’Affaire Tournesol page 47, BDZoom.
  23. Jan Baetens, Hergé écrivain, éditions Flammarion, (ISBN 978-2-08-123476-5, lire en ligne), p. 19.
  24. Emmanuel Decaux et Olivier de Frouville, Droit international public, Dalloz, (ISBN 978-2-247-18506-1, lire en ligne), p. 400.
  25. Jean-Marie Caplain, L'Ombre et la Lumière : Chronique de notre siècle, FeniXX réédition numérique, (ISBN 978-2-402-20481-1, lire en ligne), p. 51.
  26. « Tintin est-il de droite ou de gauche ? », RTL (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Frédéric Soumois, Dossier Tintin : Sources, Versions, Thèmes, Structures, Bruxelles, Jacques Antoine, , 316 p. (ISBN 2-87191-009-X)

Liens externes[modifier | modifier le code]

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