Suette — Wikipédia

Suette
Description de l'image Euricius cordus - englisch schweiss.jpg.

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Spécialité InfectiologieVoir et modifier les données sur Wikidata
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CIM-9 078.2Voir et modifier les données sur Wikidata
MeSH D018614

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Page de titre d'un traité publié à Marbourg en 1529 par Euricius Cordus, consacré au traitement de la suette anglaise (« Englisch Schweiß ») :
Eyn Regiment, wie ma sich vor der Newen Plage/ Der Englisch schweiß genant/ bewaren/ Un so man damit ergriffen wirt/ darin halten sol.

La suette est une ancienne maladie infectieuse épidémique caractérisée par une fièvre importante, une transpiration profuse et une mortalité élevée.

On en distingue deux variétés :

  • la suette anglaise (en latin : sudor anglicus) qui a sévi sur un mode épidémique à cinq reprises aux XVe et XVIe siècles en Angleterre ;
  • la suette picarde, ou suette miliaire ainsi dénommée car elle s'accompagnait d'une éruption cutanée en forme de grains de mil.

Cette maladie appartient à l'histoire de la médecine : en effet aucun nouveau cas n'a été enregistré depuis le milieu du XVIe siècle pour la suette anglaise, et le début du XXe siècle pour la forme miliaire. Son agent causal reste par conséquent hypothétique. Certains arguments cliniques et épidémiologiques suggèrent le diagnostic rétrospectif d'une infection à hantavirus.

La suette anglaise[modifier | modifier le code]

Il s'agit d'une maladie mystérieuse et hautement virulente qui a frappé l'Angleterre, puis l'Europe sous forme d'épidémies récurrentes. La première épidémie eut lieu en 1485 et la dernière en 1551, après quoi la maladie semble avoir complètement disparu. Les épidémies ont eu lieu surtout durant l'été et au début de l'automne et ont concerné une population de sujets adultes masculins. Le début des symptômes était soudain et spectaculaire et la mort survenait en quelques heures. L'étiologie en reste inconnue.

Cette maladie infectieuse ne doit pas être confondue avec l'hyperhidrose, un symptôme consistant en une sudation excessive.

Historique[modifier | modifier le code]

La suette anglaise (francisation de l'appellation "sweats", ou suées en anglais) semble faire son apparition à la fin du XVe siècle : avant cette époque on ne trouve en effet aucune description précise de l'affection, bien que certains historiens en évoquent la possibilité dès le XIIe siècle[N 1],[1].

L'épidémie de 1485[modifier | modifier le code]

La suette attire l'attention des médecins au tout début du règne d'Henri VII d'Angleterre. Elle est connue, en effet, quelques jours après le débarquement d'Henri à Milford Haven le , car on possède des preuves formelles qu'on en parle avant la bataille de Bosworth Field, le 22 août. Après son débarquement, Henri Tudor complète son armée en enrôlant des prisonniers. On peut donc émettre l'hypothèse que la suette est liée à l'hygiène ou du moins aux conditions de vie dans les prisons galloises. Elle va ensuite suivre l'armée d'Henri Tudor jusqu'à Londres. L'épidémie éclate à Londres peu après l'entrée d'Henri VII dans la capitale le 28 août, et y fait plusieurs milliers de morts, jusqu'à son extinction vers la fin du mois d'octobre de la même année[2]. Parmi les victimes figurent deux lord-maires de Londres, six membres d'assemblée ou conseil municipal, et trois shérifs[3]. Cette maladie inquiétante est bientôt connue sous le nom de « suette ». Elle est bien identifiée comme distincte de la peste, de la fièvre pestilentielle ou d'autres maladies épidémiques déjà connues, non seulement par son symptôme caractéristique, l'hypersudation, mais aussi par sa progression foudroyante vers l'issue fatale.

La suette atteint probablement l'Irlande en 1492, date à laquelle les annales d'Ulster[4] enregistrent le décès de James Fleming, baron de Slane, de la pláigh allais « récemment venue en Irlande ». Les Annales de Connacht[5] enregistrent également ce décès, et les Annales des Quatre Maîtres[6] signalent « une peste inhabituelle » à Meath, « d'une durée de 24 heures », délai au-delà duquel quiconque en était atteint, y survivait. Elle n'attaque pas les nourrissons ni les jeunes enfants. Il faut noter cependant que Freeman, dans une annotation de bas de page des Annales de Connacht, récuse la possibilité que cette peste ait été la suette, malgré la ressemblance des noms, mais évoque plutôt une « fièvre de la faim à rechutes », peut-être le typhus.

XVIe siècle[modifier | modifier le code]

Les épidémies de 1507 et 1517[modifier | modifier le code]

La suette ne fait plus parler d'elle de 1492 à 1507[N 2], année durant laquelle une seconde épidémie survient, de bien moindre gravité que la première.

Dix ans plus tard, en 1517, éclate la troisième épidémie qui sera beaucoup plus sévère. Elle a un taux de mortalité important à Oxford, Cambridge et dans d'autres villes, allant jusqu'à tuer la moitié de la population de certaines d'entre elles. La maladie ne s'étend pas ailleurs qu'en Angleterre, à l'exception des villes de Calais et Anvers où l'on observe quelques cas.

L'épidémie de 1528[modifier | modifier le code]
Henry Fitzroy, duc de Richmond et Somerset (1519-1536)

En 1528, la maladie refait son apparition pour la quatrième fois et frappe avec une grande sévérité. Elle se manifeste d'abord à Londres à la fin du mois de mai et s'étend rapidement sur toute l'Angleterre, en épargnant l'extrême nord du pays, l'Écosse et l'Irlande.

À Londres, la mortalité est très élevée ; la cour est décimée et Henri VIII se voit contraint de fuir la ville et de changer souvent de résidence. Son fils Henry Fitzroy en meurt à 17 ans en 1536. On pense qu'Anne Boleyn pourrait avoir contracté la maladie et y avoir survécu, contrairement à son beau-frère William Carey[7].

Le fait le plus remarquable concernant cette épidémie est qu'elle se répand sur l'Europe, faisant soudainement son apparition à Hambourg et se propageant si rapidement qu'elle tue un millier de personnes en l'espace de quelques semaines.

La terrible suette poursuit ainsi sa marche destructrice vers l'est de l'Europe, se répandant à la manière du choléra avec une mortalité effroyable. Elle atteint la Confédération suisse en décembre, puis plus au nord le Danemark, la Suède et la Norvège, et à l'est la Lituanie, la Pologne et la Russie. Elle émerge aussi dans les contrées appartenant aujourd'hui à la Belgique et aux Pays-Bas, probablement en provenance directe d'Angleterre car elle apparaît simultanément dans les ports d'Anvers et d'Amsterdam au matin du 27 septembre.

Elle ne se manifestera en revanche jamais en France ou en Italie, mais elle est notée dans le duché de Lorraine où le dernier cas est signalé en 1557[8].

Portrait de Henry Brandon, 2e duc de Suffolk (1535-1551), par Hans Holbein le Jeune.
Portrait de Charles Brandon, 3e duc de Suffolk (1537-1551), par Hans Holbein le Jeune.

Dans tous les endroits qu'elle infecte, la maladie n'a qu'une durée très brève, généralement pas plus de deux jours. À la fin de l'année, la suette a entièrement disparu, sauf en Suisse orientale où elle dure jusqu'à l'année suivante. Après quoi elle ne réapparaîtra plus sur le continent européen.

La dernière épidémie de 1551[modifier | modifier le code]

La dernière grande vague de la maladie survient en Angleterre en 1551. Un médecin éminent, John Caius, en est à l'époque un témoin direct et rédige un compte rendu intitulé : « A Boke or Counseill Against the Disease Commonly Called the Sweate, or Sweatyng Sicknesse ». Parmi les victimes de cette épidémie figurent les jeunes Henry (16 ans) et Charles Brandon (14 ans), ducs de Suffolk, tous les deux foudroyés à une heure d'intervalle le .

La maladie ne sera plus jamais observée en Angleterre après l'an 1578.

Symptômes[modifier | modifier le code]

Les symptômes de la suette anglaise ont été décrits par J. Caius et par d'autres médecins.

La maladie commençait très soudainement par un sentiment d'appréhension, suivi par des frissons (parfois très violents), des vertiges, des maux de tête et de fortes douleurs de la nuque, des épaules et des membres, accompagnées d'une grande fatigue. Après cette phase « froide », qui pouvait durer d'une demi-heure à trois heures, survenait la phase « chaude » avec les sueurs. La transpiration caractéristique se déclenchait brusquement sans cause apparente. En même temps que celle-ci, ou après qu'elle eut abondamment coulé, il y avait une sensation de chaleur, des maux de tête, un délire, une accélération du pouls et une soif intense. Les palpitations et la douleur dans la région du cœur étaient fréquentes. Aucune éruption cutanée ne fut jamais notée par les observateurs y compris par Caius.

Aux stades terminaux, on pouvait constater un épuisement général avec collapsus ou une tendance irrésistible au sommeil, que l'on pensait fatale si l'on permettait aux patients d'y céder. Un premier accès ne garantissait pas l'immunité et certains souffrirent de plusieurs attaques avant de succomber.

La suette miliaire[modifier | modifier le code]

Connue aussi sous le nom de « suette des Picards[9] » ou « suette de Picardie », elle survint en France entre 1718 et 1947. Cette variété était moins souvent fatale que la suette anglaise et s'accompagnait d'une éruption cutanée, absente dans les épidémies de suette observées jusqu'alors.

En tout, 194 épidémies ont été dénombrées[10]. Les mieux étudiées ont été les suivantes :

On peut trouver une description plus complète de la suette des Picards dans un ouvrage publié en 1935 par le médecin américain Hans Zinsser[17].

Causes[modifier | modifier le code]

Il s'agit de l'aspect le plus mystérieux de la maladie. Des commentateurs anciens et modernes ont incriminé les conditions de saleté qui prévalaient à l'époque, les eaux usées ayant pu abriter la source de l'infection. Le fait que la première vague de suette surgisse à la fin de la guerre des Deux-Roses indique qu'elle pourrait avoir été transportée de France par les mercenaires français qu'Henri VII employa pour conquérir le trône d'Angleterre, car ils paraissaient immunisés. La maladie semble avoir été plus virulente chez les riches que chez les pauvres, et ceci peut expliquer qu'elle attira plus l'attention que d'autres maladies de la même époque.

La fièvre récurrente a été proposée comme cause possible. Cette maladie transmise par les tiques et les poux, survient plus fréquemment durant les mois d'été, comme le fit à l'origine la suette. Toutefois, la fièvre récurrente est caractérisée par une croûte noire au site de la morsure de la tique, suivie d'une éruption cutanée, un signe relativement évident que les observateurs n'ont jamais relevé, ce qui rend l'identification de la maladie douteuse.

Plus récemment, des virus du groupe des hantavirus sont apparus comme des candidats sérieux au rôle d'agents possibles de la maladie[18].

Cependant, certains caractères cliniques des épidémies à hantavirus ne semblent pas cadrer avec la progression de la suette ; plus spécifiquement on n'a que rarement observé une transmission interhumaine des hantavirus, alors que l'on pense que c'est ce mode de transmission qui prévaut dans la suette[19]. Bien que les épidémies de syndrome pulmonaire à hantavirus aient un tableau clinique très similaire à celui décrit dans la suette, nombre de questions non résolues laissent encore la porte ouverte à d'autres théories concernant l'étiologie.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Par exemple Georges Bordonove, selon lequel en 1191, lors de la Troisième croisade, les rois Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion auraient tous les deux contracté la « suette », en fait une affection fébrile qui pourrait aussi bien avoir été une forme de fièvre typhoïde. Richard se rétablit en premier et poursuit les combats, mais la maladie force Philippe Auguste à rentrer en France (à moins qu’elle ne lui serve de prétexte).
  2. À l'exception de l'année 1502, où certains historiens ont attribué à cette maladie la mort subite du prince Arthur Tudor à l'âge de quinze ans.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem : Grandes Heures de L'Histoire de France, Pygmalion Editions, , 448 p. (ISBN 2-85704-381-3 et 9782857043812, lire en ligne), p. 333.
  2. (en) Entick John, A new and accurate history and survey of London, Westminster, Southwark, and places adjacent, Londres, , p. 434, vol. 1.
  3. (en) Walter Harrison, A new and universal history, description and survey of the cities of London and Westminster, the borough of Southwark, Londres, , p. 127.
  4. Annals of Ulster vol. iii, ed. B. MacCarthy, Dublin, 185, pp. 358f.
  5. Annals of Connacht, ed. A.M.Freeman, Dublin, 1944, pp. 594f.
  6. Annals of the Four Masters, vol. iii, ed. J. O'Donovan, Dublin, 1856, pp. 1194f.
  7. Philippe Erlanger, Henri VIII, Perrin 1982, rééd. 2002 p. 146-147.
  8. Philippe Martin, Une guerre de Trente Ans en Lorraine 1631-1661. Éditions Serpenoise, BP 70090, 57004 Metz cedex 1. 2002 (ISBN 2-87692-550-8), page 19.
  9. (en) Michael W. Devereaux: The English Sweating Sickness. In : Southern Medical Journal, November 1968, Volume 61, Issue 11, p. 1191-1194 (lire en ligne).
  10. (en) Llywelyn Roberts: Sweating Sickness and Picardy Sweat. In : British Medical Journal, August 11 1945; 2(4414): 196 (lire en ligne).
  11. F. Dumas, « Une épidémie de fièvre miliaire à Toulouse en 1782 », Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 10e série, t. 11,‎ , p. 227-240 (lire en ligne)
  12. Histoire de l'épidémie de suette miliaire qui a régné en 1821 dans les départements de l’Oise et de Seine-et-Oise, Paris, Baillière, 1822.
  13. Loreau Alphonse, Simples causeries sur une grave question, de la suette du Poitou, considérée d'une manière générale, 1846.
  14. Docteur Lebled, Mémoire sur l'épidémie de rougeole et de suette miliaire, qui a sévi dans la commune de Rochecorbon pendant les mois de février, mars, avril et mai, lu à la Société médicale du Département d'Indre-et-Loire, dans sa séance du 7 mai 1857 (lire en ligne).
  15. Arsène Dumont, « La race et la suette à l'Ile d'Oléron », Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, vol. 4, no 1,‎ , p. 370-374 (DOI 10.3406/bmsap.1893.5450, lire en ligne, consulté le )
  16. Dartigolles Jean-Marie-Robert, Contribution à l'étude de la suette miliaire. Épidémie de 1906 (Charente et Charente inférieure).
  17. (en) Hans Zinsser, Rats, lice, and history, New Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers, , 301 p. (ISBN 978-1-4128-0672-5, lire en ligne), p. 101.
  18. (en) M. Taviner, G. Thwaites, V. Gant « The English sweating sickness, 1485-1551: a viral pulmonary disease ? », Med Hist. janvier 1998, 42(1):96–98.
  19. (en) E. Bridson « English 'sweate' (Sudor Anglicus) and Hantavirus pulmonary syndrome » The British Journal of Biomedical Science 2001 ; lire en ligne.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Victor Hugo, les Misérables livre premier chapitre II : « dans les épidémies, nous avons eu cette année le Typhus, nous avons eu une suette miliaire il y a deux ans, cent malades quelquefois; nous ne savons que faire. »
  • Ch. Beauchamp, La maladie et son double. La suette miliaire et son traitement au XIXe siècle, "Annales", XLVIII (1993), pp. 203-26.
  • John L. Flood, « Englischer Schweiß und deutscher Fleiß. Ein Beitrag zur Buchhandelsgeschichte des 16. Jahrhunderts », in The German book in Wolfenbüttel and abroad. Studies presented to Ulrich Kopp in his retirement, ed. William A. Kelly et Jürgen Beyer, Tartu: University of Tartu Press 2014, pp. 119–178 .
  • Chantal Beauchamp, « La crise salutaire. Stratégies de la guérison dans la suette miliaire, XVIIe – XXe siècles », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, vol. 45, no 4,‎ , p. 807–821 (DOI 10.3406/rhmc.1998.1938, lire en ligne, consulté le )
  • Marie-Rose Viala, « L'épidémie de suette miliaire de Castelnaudary (1781- 1782) », Couleur Lauragais,‎ (lire en ligne)

Liens externes[modifier | modifier le code]

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