Subsistit in — Wikipédia

Subsistit in (« subsiste dans ») est une expression qui se trouve dans la constitution dogmatique Lumen gentium de Vatican II, et dont le sens est débattu.

Les débats interprétatifs autour du subsistit in aujourd'hui sont la manifestation de l'existence, dans l’Église catholique, des enjeux concernant la réception de Vatican II[1].

Contexte[modifier | modifier le code]

Dans Mystici Corporis Christi de Pie XII, la doctrine s'énonçait ainsi : « cette véritable Église de Jésus-Christ - celle qui est sainte, catholique, apostolique, romaine ». Elle a été réaffirmée dans Humani generis : « Certains estiment qu'ils ne sont pas liés par la doctrine que Nous avons exposée il y a peu d'années dans notre lettre Encyclique [Mystici Corporis Christi] et qui est fondée sur les sources de la 'révélation', selon laquelle le Corps Mystique et l'Église catholique romaine sont une seule et même chose », ce qui selon Pie XII est une erreur[2].

Or, dans la constitution dogmatique Lumen gentium de 1965 il est écrit (emphase ajoutée) :

« C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, cette Église que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur (Jn 21, 17), qu’il lui confia, à lui et aux autres Apôtres, pour la répandre et la diriger (cf. Mt 28, 18, etc.) et dont il a fait pour toujours la « colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique. »

Cette formulation avait été introduite dans le texte conciliaire par le théologien néerlandais Sebastian Tromp[3].

Après l'avoir insérée dans Lumen Gentium, le Concile Vatican II l'a reprise dans le préambule de la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse :

« C’est pourquoi, tout d’abord, le saint Concile déclare que Dieu a lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent obtenir le salut et le bonheur dans le Christ. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique à laquelle le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes, lorsqu’il dit aux Apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19-20). »

Débat sur le sens de l'expression[modifier | modifier le code]

En effet, pour certains, généralement issus des rangs catholiques réformateurs, cela signifie que l'Église catholique n'a pas le « monopole du salut », que dans d'autres communautés ou églises que l'Église on peut trouver les moyens du salut, que la grâce de Dieu excède les frontières de la seule Église catholique. « En clair cela signifie qu'il ne manque rien à l'Église catholique mais qu'elle n'est pas nécessairement l'unique à être fidèle au Christ ! Bref, l'Église catholique appartient pleinement à l'Église du Christ, mais je n'ai pas dit que l'Église du Christ était l'Église catholique. »[4]

Pour d'autres, comme le cardinal Walter Kasper, président émérite du conseil pontifical pour l'unité des chrétiens depuis 2010, il s'agit d'une formule d'ouverture, qui aide à dépasser l'identification absolue que suppose l'usage du verbe « être » : « Le subsistit in peut être considérée comme une clause d'ouverture. Avec ce verbe, la prétention de l’Église catholique n'est ni relativisée, ni effacée, mais elle ne peut plus être présentée dans le sens du tout ou rien »[5]

Dans la même ligne, Bernard Sesboüé dans son Histoire des Dogmes explique que le Concile Vatican II voulait « se garantir contre le soupçon de 'relativisme' religieux, bête noire des Pères de la minorité » et que la formule veut affirmer que « la conviction que l'Eglise catholique a d'elle-même n'exclut pas que d'autres religions puissent participer à l' 'unique vraie religion' et comporter des éléments de vérité »[6].

Congrégation pour la Doctrine de la Foi[modifier | modifier le code]

En 1985, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi marque son refus de ce type d'interprétation : « Contraire à la signification authentique du texte conciliaire est donc l'interprétation qui tire de la formule subsistit in la thèse que l'unique Église du Christ pourrait aussi subsister dans des Églises et Communautés ecclésiales non catholiques. "Le Concile avait, à l'inverse, choisit le mot subsistit précisément pour mettre en lumière qu'il existe une seule 'subsistance' de la véritable Église, alors qu'en dehors de son ensemble visible, existent seulement des elementa Ecclesiae qui — étant des éléments de la même Église — tendent et conduisent vers l'Église catholique" »[7]

Dominus Iesus[modifier | modifier le code]

La Congrégation pour la Doctrine de la Foi affirme dans Dominus Iesus que « par l'expression subsistit in, le Concile Vatican II a voulu proclamer deux affirmations doctrinales : d'une part, que malgré les divisions entre chrétiens, l'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique ; d'autre part, "que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures", c'est-à-dire dans les Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique. Mais il faut affirmer de ces dernières que leur "force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique" »[8]

Le , le Vatican a publié un nouveau document destiné à préciser les enseignements donnés dans Dominus Iesus. Ces « réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine de l'Église »[9], daté du , précisent cinq questions :

« Première question sur la continuité de la doctrine
« Le Concile n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changé la doctrine en question, mais a bien plutôt entendu la développer, la formuler de manière plus adéquate et en approfondir l’intelligence. »

Deuxième et troisième questions sur le sens de l'expression subsistit in et son usage à la place de est.

« Selon la doctrine catholique, s’il est correct d’affirmer que l’Église du Christ est présente et agissante dans les Églises et les Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l’Église catholique, grâce aux éléments de sanctification et de vérité qu’on y trouve, le verbe ‘subsister’ ne peut être exclusivement attribué qu’à la seule Église catholique, étant donné qu’il se réfère à la note d’unité professée dans les symboles de la foi (‘Je crois en l’Église, une’) ; et cette Église une ‘subsiste’ dans l’Église catholique. » [...]

Quatrième question sur l'ecclésiologie des Églises particulières d'Orient.

« Cependant, étant donné que la communion avec l’Église catholique, dont le Chef visible est l’Évêque de Rome et Successeur de Pierre, n’est pas un complément extérieur à l’Église particulière, mais un de ses principes constitutifs internes, la condition d’Église particulière dont jouissent ces vénérables Communautés chrétiennes souffre d’une déficience »

Cinquième question sur l'ecclésiologie des communautés protestantes

« Ces Communautés ecclésiales, qui n’ont pas conservé l’authentique et intégrale réalité du Mystère eucharistique, surtout par la suite de l’absence de sacerdoce ministériel, ne peuvent être appelées "Églises" au sens propre selon la doctrine catholique. » »

Hervé Legrand[modifier | modifier le code]

Pour Hervé Legrand, l'interprétation de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui se trouve dans Dominus Iesus et dans le jugement de l'ouvrage de Boff, est contradictoire avec le vote des Pères conciliaires de Vatican II. Legrand affirme que, dans ses prolongements, cette interprétation permettrait de « refuser le statut d’Église sœur à l'Église orthodoxe ». Or, « le recours aux Acta Synodalia [de Vatican II] permet d'établir, avec une certitude presque absolue, qu'on a recours à ce verbe subsister pour éviter l'identification exclusive entre l’Église du Christ et l'Église catholique ». Quand le débat entre est et subsistit in est repris en commission conciliaire, il est décidé d'en rester à subsistit in. « Ce n'est ni un compromis, ni un refus de statuer : l'identification proposée dans le document préparatoire est récusée. On ne peut donc affirmer que subsistit in signifie est, car après l'explication de vote que l'on vient de mentionner, ce texte a été adopté par 1903 voix contre 17 »[10].

Fraternité sacerdotale Saint-Pie X[modifier | modifier le code]

La formulation doctrinale substitit in de Lumen gentium est critiquée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X[11],[12].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Karim Schelkens, « Lumen Gentium's "Subsistit in" Revisited: The Catholic Church and Christian Unity after Vatican II », Theological Studies, vol. 69,‎ , p. 875-893 (ISSN 0040-5639 et 2169-1304, DOI 10.1177/004056390806900406, lire en ligne, consulté le )
  2. « Humani Generis (12 août 1950) | PIE XII », sur www.vatican.va (consulté le )
  3. « Ein neuer Blick auf das subsistit in » (Lumen gentium 8), recension du livre de Alexandra von Teuffenbach: Die Bedeutung des subsistit in (LG 8) – Zum Selbstverständnis der katholischen Kirche. Herbert-Utz-Verlag München. 2002. (ISBN 3-8316-0187-9), par Florian Kolfhaus sur le site theologishes.net Le théologien néerlandais Sebastian Tromp, latiniste de haut niveau, avait utilisé le terme subsitit in dans le sens traditionnel : « Dans l'Église catholique seule subsiste la seule Église du Christ »
  4. Père Charles Mallard in Chrétiens : il n'est pas interdit de lire la Bible p 155 Éditions Saint Paul, Versailles - 2002
  5. (en) Walter Kasper, The Catholic Church : Nature, Reality and Mission, Bloomsbury Publishing, , 488 p. (ISBN 978-1-4411-1754-0, lire en ligne)
  6. Bernard Sesboüé, La Parole du Salut. Histoire des Dogmes, tome IV, Paris, Desclée, , 658 p. (ISBN 2-7189-0628-6), p. 570-571
  7. À propos du livre Église : charisme et pouvoir du P. Leonardo Boff. Notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. AAS 77 [1985] 756-762
  8. Dominus Jesus au § 16 sur le site du Vatican
  9. « Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l'Église », sur www.vatican.va (consulté le )
  10. Hervé Legrand, « Quelques réflexions ecclésiologiques sur l'Histoire du concile Vatican II de G. Alberigo », Revue des sciences philosophiques et théologiques, vol. 90,‎ , p. 495-520 (ISSN 0035-2209, lire en ligne, consulté le )
  11. « Prenons, à titre d'exemple, le cas du célèbre subsistit in de la constitution Lumen Gentium : si le but du Concile était d'exposer la foi dans un langage plus adapté à notre époque, et donc plus compréhensible par tous, pourquoi utiliser une telle terminologie ? Pourquoi recourir à une expression d'un usage peu courant, sinon pour pouvoir ouvrir la voie à différentes interprétations (non orthodoxes) de ce texte dans la phase de l'après-Concile ? Qu'est-ce qui empêchait de dire plus clairement : « l'Église du Christ est l'Église catholique », étant donné l'appel répété à lire le Concile à la lumière de la Tradition? Ainsi, ce texte peut être interprété tantôt dans un sens traditionnel, tantôt dans un sens progressiste, offrant une prise aux uns et aux autres, et devenant une occasion de confusion et de dérives » in Le concile Vatican II en question Symposium Théologique de Paris - Octobre 2005
  12. « Subsistit in? », sur fsspx.org, (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie complémentaire[modifier | modifier le code]