Stjepan Radić — Wikipédia

Stjepan Radić (né le à Trebarjevo près de Sisak, Autriche-Hongrie - assassiné le à Zagreb, royaume des Serbes, Croates et Slovènes) était un homme politique croate, fondateur du Parti paysan croate (en croate Hrvatska Seljačka Stranka, HSS) en 1905. Il réussit à unifier la population rurale croate en une force politique viable.

Il s'était opposé à l'union de l'État des Slovènes, Croates et Serbes avec le royaume de Serbie puis à l'hégémonie serbe au sein du royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Il devient une importante personnalité politique du pays et est assassiné par Puniša Račić, un Monténégrin du Parti radical populaire serbe, un geste qui a par la suite causé de nombreuses tensions entre les Croates et les Serbes.

Sa mort violente fait de lui un héros de la cause nationale croate.

Biographie[modifier | modifier le code]

Stjepan Radić est né à Desno Trebarjevo, près de Sisak dans le royaume de Croatie-Slavonie alors partie de l'Autriche-Hongrie, neuvième d'une famille de onze enfants[1]. Après avoir été expulsé de son gymnaste à Zagreb, il finissa au gymnaste de Karlovac. En 1888, Radić voyagea à Đakovo lorsqu'il rencontra l'évêque Josip Juraj Strossmayer, à qui il demanda de l'aide pour un voyage dans l'Empire russe[2]. Strossmayer lui conseillea le mihailo métropolitain de Belgrade, qui lui communiqua un professeur russe de Kiev. Radić voyagea à Kiev et fut autorisé à rester à la laure des grottes de la ville, où il y resta six semaines avant de rentrer en Croatie[2].

En septembre 1891, il s'inscrit en faculté de droit à l'université de Zagreb[3]. Il fut sélectionné comme représentant du corps étudiant lors des célébrations du 300ème anniversaire de la bataille de Sisak, en 1893. Après avoir critiqué le ban de Croatie Károly Khuen-Héderváry durant la cérémonie et le mentionnait comme un « hussard hongrois », Radić fut condamné à quatre mois de prison qu'il purgea à Petrinja[3]. Il fait partie d'un groupe d'étudiants qui mettèrent le feu au drapeau hongrois le 16 octobre 1895, durant la visite de l'empereur François-Joseph Ier à Zagreb. En réponse, il fut condamné à une peine de prison et expulsé de l'université de Zagreb, ainsi que banni de toutes les universités du royaume[4]. Après un court séjour en Russie puis à Prague, Radić continua ses études à l'école libre des sciences politiques à Paris, où il fut diplômé en 1899[5].

Période yougoslave[modifier | modifier le code]

Après la Première Guerre mondiale, il s'opposa à la fusion de la Croatie avec le royaume de Serbie, sans garanties d'une autonomie croate. Radić fut sélectionné comme membre du Conseil national des Slovènes, Croates et Serbes. Le 24 novembre 1918, il demanda aux délégués attendant une réunion qui déciderait de l'avenir politique du pays de ne pas « se précipiter comme des oies saoules dans le brouillard »[réf. nécessaire]. Il fut le seul membre du comité central du Conseil national à voter contre l'envoi d'une délégation à Belgrade pour négocier avec le royaume de Serbie[6].

Sous la pression des grandes puissances (Empire britannique, France, États-Unis) et afin d'honorer l'accord secret de Londres conclu entre l'Entente et le royaume de Serbie, le royaume des Serbes, Croates et Slovènes fut fondé et deux représentants du parti de Radić furent nommés à la représentation provisoire servirent au Parlement jusqu'à la constitution d'élections. Néanmoins, les représentants du parti décidèrent de ne pas prendre fonction[réf. nécessaire].

L'arrestation[modifier | modifier le code]

Le , le Comité central du PPP vote une résolution déclarant que « les citoyens croates ne reconnaissent pas le royaume des Serbes, Croates et Slovènes de la dynastie Karađorđević car ce royaume a été proclamé autrement que par le Sabor (parlement) croate et sans aucun mandat du peuple croate ». Le texte original a été traduit en français et expédié à l'étranger ; il a précipité la décision du gouvernement d'arrêter Radić ainsi que de nombreux autres membres du parti.

Il fut détenu pendant 11 mois jusqu'à , juste avant les premières élections législatives du royaume des Serbes, Croates et Slovènes devant se tenir en . La participation fut de 230 590 suffrages en Croatie, correspondant à 50 sièges sur un total de 419. Avant la première session parlementaire, après une manifestation géante rassemblant 100 000 personnes à Zagreb, Stjepan Radić et le PPP (qui a changé son nom juste après en PPCR - Parti paysan croate républicain) tinrent un meeting extraordinaire lors duquel une motion fut présentée et votée, selon laquelle le PPCR ne prendra pas part aux discussions parlementaires avant que les litiges avec la Serbie ne soient résolus sur le plan de la gouvernance, le point le plus marquant étant la minoration du peuple croate et les pouvoirs directs du roi sur le gouvernement central de Belgrade.

La nouvelle Constitution[modifier | modifier le code]

Le , le Parlement du royaume des Serbes, Croates et Slovènes eut sa première session, sans les représentants du HSS (50 députés) et du Parti croate du Droit (2 députés). Le , la constitution du royaume des SHS (la constitution Vidovdan) fut adoptée après le vote des 223 députés sur un total de 285 présents (soit une confortable majorité de 78,24 % parmi les présents), représentant un quorum maximal de 53,2 % sur un nombre total de députés étant de 419. Le parlement étant censé voter une nouvelle constitution dans le cadre d'une assemblée constituante, la majorité fut donc en fait très faible.

Les élections législatives suivantes se tenant en , Stjepan Radić et le PPC essayèrent de mobiliser l'électorat contre le gouvernement central. Le Parti paysan croate républicain remporta 70 sièges avec 473 733 suffrages exprimés, ce qui représentait la majorité de l'électorat en Croatie septentrionale et méridionale, ainsi que l'électorat croate en Bosnie et en Herzégovine.

Nouvelle incarcération[modifier | modifier le code]

Radić persistait dans l'idée d'une Croatie indépendante, et tint le parti en dehors du parlement en signe de protestation. Ceci permit au premier ministre Nikola Pašić de renforcer le pouvoir de son gouvernement dominé par les Serbes. À son retour d'une tournée à l'étranger en 1923 pendant laquelle Stjepan Radić visita le Royaume-Uni (pendant 5 mois), l'Autriche (5 mois), et l'URSS (2 mois), il fut arrêté à Zagreb et condamné pour association avec les communistes soviétiques. Ce voyage avait en effet pour but de plaider la cause les Croates opposés au royaume des Serbes, Croates et Slovènes et d'internationaliser la lutte.

À sa sortie de prison, Stjepan Radić revint en politique, non sans difficultés. Le , le gouvernement central dominé par les Serbes déclara dans la résolution Obzana que son parti PPCR était en infraction avec la loi de sécurité intérieure de 1921, ce qui fut confirmé par le roi Aleksandar Karađorđević le , déclenchant le l'arrestation des dirigeants du PPCR et de Stjepan Radić, le [7].

Après les élections législatives de , même avec tous ses dirigeants derrière les barreaux, excepté Stjepan Radić, le PPCR remporta 67 sièges avec 532 872 suffrages. Même si la participation fut plus forte qu'à la précédente élection, un minutieux redécoupage des circonscriptions par le gouvernement central permit au PPCR de remporter moins de sièges. Afin de renforcer son pouvoir de négociation, le Parti paysan croate républicain entra en coalition avec le Parti démocrate (Demokratska stranka), le Parti populaire slovène (Slovenska ljudska stranka) et l'Organisation musulmane yougoslave (Jugoslavenska Muslimanska Organizacija).

Retour au Parlement[modifier | modifier le code]

Stjepan et Pavle Radić en 1928.

Immédiatement après les élections législatives en , le PPCR changea son nom en Parti Paysan Croate (Hrvatska Seljačka Stranka)[7]. Avec le soutien de ses partenaires dans la coalition, le PPC conclut un accord avec le plus grand parti conservateur serbe, le Parti populaire radical (Narodna Radikalna Stranka), en vue d'un partage du pouvoir et d'une libération des dirigeants du PPC. Le PPC dut faire certaines concessions[7] comme la reconnaissance du gouvernement central, du roi Aleksandar Ier Karađorđević comme chef d'État, et de la constitution Vidovdan, devant un parlement comble le . Stjepan Radić devint ministre de l'Éducation et d'autres dirigeants du PPC obtinrent d'autres postes ministériels : Pavle Radić, Dr Nikola Nikić, Dr Benjamin Šuperina and Dr Ivan Krajač. Cet accord de partage du pouvoir prit fin peu de temps après le décès, le , du président du Parti Populaire Radical Nikola Pašić.

Radić démissionna rapidement de son poste ministériel en 1926 et retourna dans l'opposition, puis entra en coalition avec Svetozar Pribićević, président du Parti démocratique indépendant, parti majoritaire chez les Serbes de Croatie. La coalition Paysanne-Démocrate avait une réelle chance de briser la longue domination des Radicaux sur le parlement. Ils avaient été longtemps opposés, mais les Démocrates furent déçus par la bureaucratie belgradoise et ont retrouvé de bonnes relations avec le Parti Paysan avec lequel ils étaient alliés à l'époque de l'Empire austro-hongrois. Stjepan Radić put ainsi obtenir une majorité parlementaire en 1928, mais il ne put pas former de gouvernement. La coalition Paysanne-Démocrate s'opposait en effet à une certaine élite croate ; par exemple Ivo Andrić, qui voyait les partisans du PPC comme des "…idiots suivant un chien aveugle…" (ce chien aveugle étant Stjepan Radić).

Assassinat en plein Parlement[modifier | modifier le code]

Le pouvoir du Parti radical étant amoindri, et la coalition paysanne-démocrate incapable de former un gouvernement, l'atmosphère au Parlement devient de plus en plus instable, les députés s'affrontant sur des contentieux à base ethnique. Ces accusations fusent de tous côtés et Radić répond ainsi à l'une d'entre elles : «…Nos amis serbes nous rappellent toujours le prix qu'ils ont payé pendant la guerre. J'aimerais les inviter à en établir les coûts, afin que nous en soldions les comptes, et que nous nous en allions… ». Des menaces de mort et d'agression sont proférées à son encontre au Parlement, sans aucune intervention du président de l'Assemblée. Le matin du , Radić est averti du risque d'une tentative assassinat à son encontre et est incité à rester à l'écart de l'Assemblée ce même jour. Il répond qu'il est comme un soldat dans la guerre des tranchées, et en tant que tel, il est de son devoir d'y aller, mais il promet cependant de ne pas s'exprimer.

Dans l'Assemblée, Puniša Račić, un membre monténégrin du Parti radical populaire serbe, se lève et fait un discours provocant qui soulève une réaction houleuse de l'opposition, mais Radić lui-même reste complètement silencieux. Finalement, Ivan Pernar se met à hurler en direction de l'orateur : «…toi, Bey plumé !… », en se référant à des accusations de corruption à l'encontre de Puniša Račić. À ces mots, ce dernier sort un revolver, abat Pernar et continue à tirer sur Radić et quelques autres députés du Parti paysan croate[8] dont deux, Pavle Radić et Đuro Basariček, sont tués sur le coup. On croit alors que Stjepan Radić est mort lui aussi, mais, gravement touché, il est ramené à Zagreb, où il meurt quelques semaines plus tard des complications d'une sévère blessure à l'estomac, à l'âge de 57 ans. De son côté, Pernar survit à ses blessures.

L'enterrement de Radić rassemble une foule nombreuse et son décès est perçu comme un gouffre dans les relations entre Croates et Serbes dans la première Yougoslavie.

Son assassin est « condamné » à la résidence surveillée dans une luxueuse villa de Serbie. Il sera par la suite libéré et mourra en 1944, exécuté pour collaboration avec l'Allemagne.

À la suite des tensions ethniques engendrées par ce meurtre, le roi Alexandre abolit la Constitution en , dissout le Parlement et met en place une dictature monarchique, opprimant désormais les sentiments nationalistes au sein de la désormais Yougoslavie, officiellement proclamée en octobre de la même année.

Radić est enterré au cimetière Mirogoj à Zagreb.

Héritage[modifier | modifier le code]

La mort violente de Radić fit de lui un martyr ; il devint une icône de la lutte politique des ouvriers et des paysans, et le grand symbole des patriotes croates. L'iconographie de Stjepan Radić fut ensuite non seulement utilisée par son successeur Vladko Maček, mais aussi par les autres courants politiques croates, de droite ou de gauche.

Les Oustachis utilisèrent la mort de Stjepan Radić comme une preuve de l'hégémonie serbe, et comme une excuse de leur comportement à l'égard des Serbes, alors que de nombreux dirigeants du PPC furent emprisonnés ou tués par les Oustachis en raison de leur opposition au régime d'Ante Pavelić. D'un autre côté, les Partisans Yougoslaves usèrent ce point pour recruter des militants du PPC déçus de l'État indépendant de Croatie, et créèrent en 1943 une brigade du nom d'Antun & Stjepan Radić.

L'image de Stjepan Radić fut largement utilisée pendant le mouvement du Printemps croate au début des années 1970. De nombreux groupes folkloriques, clubs, écoles primaires ou secondaires portent le nom de Stjepan Radić. Beaucoup de villes Croates ont des rues, des squares portant son nom et les statues de Stjepan Radić sont nombreuses. Le portrait de Stjepan Radić orne le billet de banque de 200 Kuna (monnaie) croate.

En 1997 un sondage de l'hebdomadaire Nacional présenta Stjepan Radić comme la personnalité historique croate la plus admirée.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (hr) Jan Rychlik, « Braća Radić i Hrvatska seljačka stranka » Accès libre [PDF], sur hrcak.srce.hr, (consulté le ).
  2. a et b (hr) Ivo Očak, Stjepan Radić i Rusija, Zagreb, Zavod za hrvatsku povijest,
  3. a et b (hr) Branka Boban, Mladi Stjepan Radić o Srbima u Hrvatskoj i odnosima Hrvata i Srba, Zagreb, Radovi Zavod za hrvatsku povijest,
  4. (hr) Ljerka Racko, « Spaljivanje mađarske zastave 1895. godine u Zagrebu » Accès libre, sur hrcak.srce.hr, (consulté le ).
  5. (hr) « Radić, Stjepan | Hrvatska enciklopedija » Accès libre, sur enciklopedija.hr (consulté le ).
  6. (hr) Zlatko Matijević, Narodno vijeće Slovenaca, Hrvata i Srba u Zagrebu, Zagreb, Hrvatski institut za povijest, , 116 p. (lire en ligne)
  7. a b et c Marcus Tanner, Croatia, (œuvre littéraire), Yale University Press, , [lire en ligne]Voir et modifier les données sur Wikidata
  8. Zvonimir Kulundžić : Atentat na Stjepana Radića (The assassination of Stjepan Radić)

Lien interne[modifier | modifier le code]

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