Stéréotomie — Wikipédia

Le tracé d'une trompe (ici à l'abbaye Toussaint d'Angers) requiert la maîtrise de la stéréotomie.

La stéréotomie (du grec : στερεός : « solide » et τομή « coupe ») est l'art de la découpe et de l'assemblage des pièces en taille de pierre et aussi en menuiserie (terme moins souvent utilisé pour ce métier), dans le but de construire des éléments architectoniques comme des voûtes, des encorbellements, des trompes, des volées d'escalier.

L'étude théorique de la stéréotomie s'appuie sur des traités où sont développées les techniques de dessin permettant de représenter les ouvrages à réaliser. Ces techniques de géométrie, développant l'art du trait ont été codifiées par Gaspard Monge dans la géométrie descriptive[1] et s'appuient sur les projections.

Description[modifier | modifier le code]

La stéréotomie est surtout l'art de découper des volumes en volumes plus petits, formant un ensemble qui « tient debout ». Par exemple, la division d'un arc en plusieurs pierres. Les tracés peuvent en être très complexes. Par exemple, la division d'un arc en anse de panier à 11 points, rampant, de biais dans une trompe conique. Lors de la taille des pierres de ce type de tracé, aucune face ne sera d'équerre avec une autre, et le tailleur de pierre aura besoin de panneaux en vraies grandeurs (surface exacte projetée perpendiculairement) pour toutes les faces de son « caillou », le calepineur préparera les projections de toutes ses faces à une certaine échelle, puis l'appareilleur préparera à l'échelle 1 les panneaux servant à la taille.

Le spécialiste en stéréotomie est avant tout un excellent projeteur. La complexité et la réalisation de certains calepins étant difficilement concevable par d'autres dessinateurs, telle la réalisation de panneaux de têtes et de calibres rallongés servant à la taille de limons d'escalier (projection parallèle de segments d'hélicoïdes sur une surface plane servant à l'édification des panneaux formant la courbe du limon) ou le calepin pour l'appareil d'un escalier en vis de Saint-Gilles.

En général, le trait se pratique avec une règle, une équerre et surtout un compas. Un spécialiste ne se servait principalement que du compas et de la règle, et était capable de diviser un cercle en 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, etc. parties égales en appliquant des règles de géométries descriptives simples, basé sur des rapports reconnus. De même, pour diviser un angle en 2, 3 ou 4 angles égaux, et le raccordement de segments d'arc différents, trouver une perpendiculaire à une droite passant par un point donné, etc.

L'apparition de la CAO et de la DAO bouleverse un peu les habitudes, mais n'empêche pas de gagner du temps en connaissant ces règles.

Histoire[modifier | modifier le code]

Mausolée de Théodoric, voûte d'arêtes, détail, 530 ap. J.-C.

Le développement de la stéréotomie va de pair avec celui des premières constructions en pierre de taille dans l'Antiquité dans le Bassin méditerranéen, par exemple dans la Grèce antique ainsi qu'en Italie dès l'architecture étrusque, notamment avec l'apparition des voûtes qui vont peu à peu se complexifier. Dans l'Empire romain, l'usage commun d'une maçonnerie en mortier rempli de pierraille, en béton romain ou en brique, faisant usage de coffrages (opus caementicium) ou de cintres (voûte concrète), permet de tenir l'architecture romaine souvent éloignée des problèmes de stéréotomie. La stéréotomie est cependant bien développée dans tout l'Empire. On peut citer comme exemple la voûte d'arêtes en pierre de l'arc de triomphe de Cáparra en Espagne, datant de la fin du Ier siècle, et qu'on retrouve avec une technicité identique au Mausolée de Théodoric vers 530 à Ravenne en Italie. Toutefois la manière « en zigzag » d'assembler les voussoirs en façade du mausolée quoique pratiquée dans l'Empire romain pendant la période impériale, au VIe siècle ne semble plus pratiquée qu'au Proche-Orient, ce qui laisse supposer que l’architecture du mausolée est le fait d'un architecte importé de Syrie ou d'Asie Mineure[2]. On peut citer aussi la petite coupole sur pendentifs de l'arc de Septime Sévère à Leptis Magna en Libye. Les voûtes clavées connaissent un essor en Syrie paléochrétienne : Phillipolis dans le Djebel druse présente des berceaux rampants (d'axe non horizontal) et une voûte d'arêtes, ainsi que quelques très belles voûtes hémisphériques[3]. On peut également citer l'abside de la basilique de Qualblosch datée de la fin du Ve siècle, l'abside de la basilique orientale de Qal'at Saman (également du Ve siècle), la salle d'audience d'al-Mundhir à Resafa (VIe siècle).

Carnet de Villard de Honnecourt : exemples de trait pour un voussoir.

Les premiers dessins sur la coupe des pierres se trouvent dans le Carnet de Villard de Honnecourt. Ce n'est pas un traité mais un recueil de recettes. Cependant il montre qu'une science du trait existait au XIIIe siècle[4].

La vis de Saint-Gilles est considérée comme un chef-d'œuvre de la stéréotomie médiévale.

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les appareilleurs ne se servaient pour l'application du trait sur les matériaux qu'ils employaient que des méthodes isolées particulières à chaque problème et se rattachant à quelques principes généraux et abstraits. Ces règles pratiques utilisées par les maîtres charpentiers ou les tailleurs de pierre sont rappelées dans le Traité d'architecture de Philibert de l'Orme de 1576 et les Secrets de l'Architecture[5] de Mathurin Jousse de 1642, revu par Philippe de La Hire en 1702.

Le père jésuite François Derand (1590-1644) avait déjà bien écrit en 1643 L'Architecture des voûtes, ou l'Art des traits et coupe des voûtes où l'art du trait appliqué à la coupe des pierres et à la charpente lequel reposait sur la théorie des projections[6]. Girard Desargues (1591-1661) aussi avait bien montré l'analogie qui existait entre différents procédés pratiqués dans La Pratique du trait[7]. Jean-Baptiste de La Rue (1697-1743), architecte, publie en 1728 son Traité de la coupe des pierres[8] où pour la première fois les voussoirs sont représentés en perspective et ombrés avec des retombées dépliantes. L'ouvrage est réédité en 1764 et 1858[9]. Un maître charpentier, Fourneau, publie en 1786 L'art du trait.

Voûte du rez-de-chaussée de l'hôtel de ville d'Arles.

La voûte du rez-de-chaussée de l'hôtel de ville d'Arles, réalisée suivant les plans de Jules Hardouin-Mansart, en 1673, est considérée comme le chef-d'œuvre de la stéréotomie française.

Amédée François Frézier (1682-1773), ingénieur en chef à Landau puis directeur des fortifications de Bretagne, dans son Traité de stéréotomie édité à Strasbourg en 1737, réédité à Paris en 1754 sous le titre La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois, pour la construction des voutes et autres parties des bâtimens civils & militaires, ou traité de stéréotomie à l'usage de l'architecture[10], avait bien donné suite aux idées de généralisation de Desargues et avait traité géométriquement diverses questions qui devaient se présenter dans plusieurs parties de la coupe des pierres et de la charpente avec les procédés pratiques qu'il fallait employer pour tailler ces matériaux. Il emploie les projections horizontale et verticale pour définir les voussoirs.

Dans son traité magistral L’Art du Menuisier, publié entre 1769 et 1782[11], André-Jacob Roubo consacre les chapitres 9 à 14 de la Seconde partie, à l’Art du Trait. (page 273 à 449, Planches 100 à 170). Il va de soi qu’il oriente et illustre toujours son propos pour la partie qui l’occupe : la menuiserie. Ses sources dépassent largement celles de son siècle puisqu’il est par ailleurs acquis qu’il connaissait parfaitement les traités de Philibert de l’Orme (dépassant aussi le seul sujet de l’Art du Trait). Il privilégie son contemporain Frézier et reprend à son compte, en le complétant, le travail ouvert en 1729 par Edme Blanchard[12]

Mais tous ces principes qui résumaient une foule de questions pratiques découlaient eux-mêmes d'autres principes plus simples qui leur sont communs. Gaspard Monge est chargé du cours de stéréotomie à l'école de Mézières entre 1770 et 1784. Il va mettre en évidence les règles élémentaires qu'il a aperçues dans les opérations de la stéréotomie et qu'il a réunies en une seule doctrine à laquelle il a donné le nom de géométrie descriptive[13]. Il va enseigner ces règles aux élèves de l'école de Mézières, puis de l'École polytechnique en 1794, et en 1795 aux Écoles normales. Il a réuni ces règles dans le premier traité de Géométrie descriptive[14],[15].

Principaux métiers utilisant la stéréotomie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Association des historiens modernistes des universités, La science à l'époque moderne : actes du colloque de 1996, éd. Presses Paris Sorbonne, 1998, p. 20 Lire en ligne
  2. Deborah Mauskopf Deliyannis. Ravenna in Late Antiquity: AD; 7. Ravenna capital: 600-850 AD.; Cambridge University Press, 29 janv. 2010 - 444 page
  3. Sakarovitch 1998, p. 105
  4. BnF : Villard de Honnecourt - Tracés de construction
  5. Mathurin Jousse, Le secret d'architecture découvrant fidèlement les traits géométriques, couppes, et dérobemens nécessaires dans les bastiments : enrichi d'un grand nombre de figures, adioustées sur châque disours pour l'explication d'iceux, Georges Griveau imprimeur du roi, La Flèche, 1642 (lire en ligne)
  6. François Derand, L'architecture des voutes ou l'art des traits et coupe des voutes, Sébastien Cramoisy, Paris, 1643 Lire en ligne
  7. La Pratique du trait à preuves, de M. Desargues, Lyonnois, pour la coupe des pierres en l'architecture, par Abraham Bosse, imprimerie de Pierre Des-Hayes, Paris, 1643 (lire en ligne)
  8. Jean-Baptiste De La Ruë, Traité de la coupe des pierres, où par une méthode facile et abrégée, l'on peut aisément se perfectionner en cette science, Imprimerie royale, Paris, 1728 (lire en ligne)
  9. Michel Gallet, Les architectes parisiens du XVIIIe siècle. Dictionnaire biographique et critique, p. 179, Mengès, Paris, 1995 (ISBN 2-8562-0370-1)
  10. Amédée-François Frézier, La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois, pour la construction des voutes et autres parties des bâtimens civils & militaires, ou traité de stéréotomie à l'usage de l'architecture (lire en ligne)
  11. André-Jacob Roubo (1739-1791) L’Art du Menuisier, Paris, Cellot et Jombert, 1769-1782.
  12. L’Art du Menuisier, op. cit., note de bas de page de la page 293 :

    « Les Auteurs qui ont écrit ſur l’Art du Trait, ſont, le Pere Dérends, Jéſuite, la Rue & Fraiſier, pour la coupe des pierres ; Philibert de Lorme , Mathurin Jouſſe, le Muet & Fourneau, pour la Charpenterie ; & Blanchard, pour la Menuiſerie ; mais de tous ces Auteurs, Fraiſier cſt le plus étendu & le plus ſavant. »

  13. Charles Pierre Lefebvre de Laboulaye. Complément de la troisième édition du Dictionnaire des arts et manufactures. Librairie du Dictionnaire des Arts et Manufactures, 1868 Lire en ligne)
  14. Charles-François-Antoine Leroy, Traité de stéréotomie : comprenant les applications de la géométrie descriptive à la théorie des ombres, la perspective linéaire, la gnomonique, la coupe des pierres et la charpente : avec un atlas composé de 74 planches in-folio, Tome 1, p. V-VI, Gauthier-Villars, Paris, 1870 (lire en ligne)
  15. Gaspard Monge, Géométrie descriptive . Leçons données aux Écoles normales, l'an 3 de la République, Baudouin imprimeur, Paris, an VII (lire en ligne)

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages anciens
  • Villard de Honnecourt, Carnet, XIIIe siècle (lire en ligne)
  • Philibert Delorme, Le premier tome de l’Architecture, F. Morel, Paris, 1567
    Réédition Traités d'architecture, Léonce Laget, Paris 1988 (ISBN 2-85204-113-8)
  • Mathurin Jousse, Le secret d'architecture découvrant fidèlement les traits géométriques, couppes, et dérobemens nécessaires dans les bastiments : enrichi d'un grand nombre de figures, adioustées sur châque disours pour l'explication d'iceux, Georges Griveau imprimeur du roi, La Flèche, 1642 (lire en ligne)
  • François Derand, L'architecture des voutes ou l'art des traits et coupe des voutes, Sébastien Cramoisy, Paris, 1643 (lire en ligne)
  • Girard Desargues, La Pratique du trait à preuves, de M. Desargues, Lyonnois, pour la coupe des pierres en l'architecture, par Abraham Bosse, imprimerie de Pierre Des-Hayes, Paris, 1643 (lire en ligne)
  • Jean-Baptiste de La Rue, Traité de la coupe des pierres, où par une méthode facile et abrégée, l'on peut aisément se perfectionner en cette science, Imprimerie royale, Paris, 1728 (lire en ligne)
  • Edme Blanchard, Traité de la coupe des bois pour le revêtement des voutes, arrieres-voussures, trompes, rampes et tours rondes : utile aux arts de charpente, menuiserie et marbrerie., Jacques Josse et Claude Jombert, Paris, 1729 (lire en ligne).
  • Amédée François Frézier, La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois pour la construction des voûtes et autres parties... ou traité de stéréotomie à l'usage de l'architecture, Paris-Strasbourg, Charles-Antoine Jombert, Paris, 1754-1759, 3 volumes Lire en ligne T1 T2 T3
    Réédition Jacques Laget, 2000 (ISBN 978-2854970234)
  • Amédée-François Frézier, Élémens de stéréotomie, à l'usage de l'architecture, pour la coupe des pierres, Charles-Antoine Jombert, Paris, 1760, 2 volumes, Lire en ligne T2
    Réédition Hachette Livre BNF, 2013 (ISBN 978-2011894830)
  • Collectif, Nouveau manuel complet de la coupe des pierres, Encyclopedie Roret, Paris, 1856, 1902 (lire en ligne), avec Atlas (lire en ligne).
    Réédition R. Baudouin, Paris, 1979 (ISBN 978-2863960301)
  • Charles-François-Antoine Leroy, Traité de stéréotomie : comprenant les applications de la géométrie descriptive à la théorie des ombres, la perspective linéaire, la gnomonique, la coupe des pierres et la charpente : avec un atlas composé de 74 planches in-folio, Tome 1 (lire en ligne), tome 2 - Atlas (lire en ligne), Gauthier-Villars, Paris, 1870
  • J. Chaix, Traité de coupes des pierres, H. Chairgrasse fils, Paris, 1890 Lire en ligne
    Réédition Jean-Cyrille Godefroy, 1970 (ISBN 978-2-86553-109-7)
  • Edouard Tachon, Traité pratique de la coupe des pierres, Librairie de construction moderne, Paris, 1914
Ouvrages contemporains
  • Joël Sakarovitch, Épures d'architecture. De la coupe des pierres à la géométrie descriptive XVIe – XIXe siècles, Bâle, Birkhäuser Verlag AG. Collection Science Networks, , 428 p. (ISBN 978-3-7643-5701-6, lire en ligne)
  • Louis Monduit, Traité théorique et pratique de la stéréotomie, Éditions Vial, Paris, 2002 (ISBN 978-2851010841)
  • Claudio D'amato, L'art de la stéréotomie : Les compagnons du devoir et les merveilles de la construction en pierre, Librairie du Compagnonnage, 2005 (ISBN 978-2901362531)
  • Guy Jouberton, Tracés et coupes des pierres : réseaux, Éditions Vial, Paris, 2013 (ISBN 978-2851011763).
  • Guy Jouberton, Tracés et coupes des pierres. Stéréotomie, Éditions Vial, Paris, 2013 (ISBN 978-2851011695).
  • Jean-Marie Pérouse de Montclos, L'architecture à la française du milieu du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle, Livre 2. La stéréotomie pierre de touche de la manière française, p. 79-224, Éditions A. et J. Picard, Paris, 2001 (ISBN 2-7084-0613-2)

Articles connexes[modifier | modifier le code]