Soulèvement de Jeju — Wikipédia

Soulèvement de Jeju
Description de cette image, également commentée ci-après
Des restes humains trouvés dans la grotte de Darangshi[1]
Informations générales
Date (~ 1 an et 1 mois)
Lieu Jeju
Casus belli Partition de la Corée
Issue Victoire sud-coréenne décisive
Belligérants
États-Unis Corée du Sud (à partir d'août 1948) Parti du travail de Corée du Sud
Commandants
William F. Dean
Syngman Rhee
Kim Ik-ryeol (en)
Song Yo-chan (en)
Yu Jae-hung (en)
Cho Byeong-ok
Park Jin-kyeong (ko)
Kim Dal-sam (en)
Lee Deok-gu (ko)
Pak Hon-yong
Forces en présence
3 000 hommes 1 500 hommes
Pertes
1 091 morts inconnues

Civils :
14 373 à 30 000 morts


Total :
14 000 à 30 000 morts (Chalmers Johnson)[2]
60 000 morts (Kim Yong-ha)[3]
100 000 morts (Spencer C. Tucker (en))

Guerre froide

Batailles

Crises et conflits majeurs entre le monde occidental et le monde communiste

Crises et conflits mineurs entre le monde occidental et le monde communiste

Crises dans le monde communiste

Crises dans le monde occidental

Autres crises régionales

Coordonnées 33° 22′ nord, 126° 32′ est
Géolocalisation sur la carte : Corée du Sud
(Voir situation sur carte : Corée du Sud)
Soulèvement de Jeju

Le soulèvement de Jeju commence le sur l'île de Jeju au sud de la Corée. En 1948, le gouvernement provisoire de l'armée américaine se retire pour transmettre le pouvoir à un président élu, le nationaliste et anticommuniste Syngman Rhee. Le soulèvement de Jeju et sa répression coûtent la vie à 14 000 ou 60 000 personnes sur une île qui compte à l'époque 300 000 habitants. L'intervention de l'armée sud-coréenne est particulièrement brutale, et cause la destruction de nombreux villages. Par réaction, elle suscite des rébellions dans la péninsule ainsi que la mutinerie de plusieurs centaines de soldats. La rébellion dure jusqu'en . Quelques combats isolés se produisent jusqu'en 1953[4],[5]. Quarante mille résidents[6] de Jeju s'enfuient au Japon, et certains d'entre eux créent une « Jeju town » à Osaka.

Contexte[modifier | modifier le code]

Le , les Nations unies adoptent la résolution n° 112 qui appelle à la tenue d'élections sous la supervision de la commission des Nations unies[7]. L'Union soviétique refuse de s'y conformer et interdit l'accès à la partie nord du pays à la commission[8]. En conséquence, l'assemblée des Nations unies adopte une nouvelle résolution appelant à l'organisation d'élections dans les zones qui lui sont accessibles, c'est-à-dire, celles sous le contrôle du gouvernement militaire de l'armée américaine, l'USAMGIK. Ces élections se déroulent le . Dans la zone nord, le comité populaire provisoire organise des élections législatives le , les candidats soutenus par le gouvernement remportant 86,3 % des voix pour un taux de participation de 99,6 %[9]. Elles sont aussi organisées clandestinement dans le sud.

Bouleversé par cette partition de la péninsule, le Parti du travail de Corée du Sud prévoit d'organiser des rassemblements le 1er mars pour protester contre les élections du . L'arrestation de 2 500 cadres du parti ainsi que la mort de trois d'entre eux arrêtent ce mouvement.

Soulèvement[modifier | modifier le code]

Le à Jeju, la police tire sur des manifestants commémorant la lutte des Coréens contre l'occupant japonais[10]. Outrés, les habitants attaquent 12 postes de police. Durant les combats, une centaine de policiers et de civils sont tués. Les rebelles brûlent également les centres électoraux pour les scrutins à venir et attaquent des politiciens ainsi que leur famille[5],[11]. Ils émettent également un appel demandant à la population de se soulever contre le gouvernement militaire américain.

Cet appel du parti des travailleurs est accueilli favorablement par la population locale grâce au ressentiment envers le gouvernement et les forces de police soupçonnés d'avoir collaboré trop volontiers avec les Japonais. La lourde imposition des produits agricoles joua aussi un rôle[12].

Le gouvernement essaie de trouver un règlement rapide à cette insurrection et envoie 3000 soldats du 11e régiment de gendarmerie soutenir les forces de police. Cependant, le , plusieurs centaines de soldats se rebellent et fournissent un nombre important d'armes légères aux rebelles. Le gouvernement de Séoul envoie aussi une force paramilitaire issue de l'association de la jeunesse du nord-ouest qui est constituée de réfugiés anti-communistes venus du nord de la Corée[5]. Des membres de ce groupement ont tué des habitants avant d'organiser un mariage forcé avec un membre de la famille afin qu'il puisse hériter des terres[10].

Peu après les élections, le , les rebelles tuent 35 policiers et extrémistes de droite. Le , la police arrête dans deux villages 169 habitants soupçonnés de soutenir l'insurrection[6]. Au mois de juin, un rapport du colonel Rothwell H. Brown indique que 4 000 personnes ont été interrogées par l'armée. On y apprend qu'une armée démocratique du peuple a été créée en avril, qu'elle est composée de 4000 personnes mal armées puisque seule 400 d'entre elles ont une arme à feu. Le parti des travailleurs compte alors 60 à 70 000 membres à Jeju répartis dans chaque village dans des comités populaires[6].

Brown enjoint d'intensifier les actions visant à couper la guérilla des villageois et à empêcher le ravitaillement des guérilleros et de continuer à interroger les prisonniers. 3000 personnes sont arrêtées entre le et la fin juillet[6].

Le lieutenant-général Kim Ik Ruhl, commandant des troupes sud-coréennes sur l'île mena les négociations avec les rebelles. Il rencontra plusieurs fois Kim Dal-Sam (en), un membre du parti des travailleurs mais ils n'aboutirent pas à un accord. Le gouvernement voulait une reddition complète tandis que les rebelles demandaient le désarmement de la police locale, la démission de tous les fonctionnaires de l'île, l'interdiction des groupes paramilitaires et la réunification de la péninsule. Le général Kim Ik Ruhl fut rappelé subitement à Séoul à cause de son approche conciliante et fut surpris de voir que son remplaçant organise une offensive soutenue contre les rebelles à la fin de l'été[5]. Le , le gouvernement militaire provisoire de l'armée américaine est dissout, Syngman Rhee devient le premier président de la république de Corée.

La guérilla avait créé des camps dans la montagne tandis que les forces gouvernementales tenaient les villes de la côte. Les communautés agricoles entre la côte et les collines formaient donc le champ de bataille principal. En , l'armée rebelle se composait d'environ 4 000 combattants et bien que beaucoup fussent mal armés, ils gagnèrent quelques petits combats face à l'armée. À la fin de l'automne, les rebelles ont commencé à prendre ouvertement parti pour la Corée du Nord et à en porter le drapeau[13].

Au printemps 1949, cependant, quatre bataillons de l'armée sud-coréenne arrivent porter renfort aux forces déjà en présence. Ensemble, elles viennent rapidement à bout des rebelles. Le , le mouvement s'effondre à la suite de l'assassinat de l'un de ses principaux chefs, Yi Tuk-ku[13]. Le gouverneur de Jeju estime alors que 60 000 habitants ont été tués et que 40 000 sont partis au Japon[6].

L'engagement américain[modifier | modifier le code]

À cette époque, la présence américaine sur l'île était faible. Jimmie Leach, alors conseiller auprès de la police de l'île affirme qu'il n'y avait que six Américains avec deux avions légers L-4 et deux bateaux. D'autre part, les Américains ont pris en charge la formation des forces armées ainsi que l'acheminement du matériel et des troupes par des avions C-47[6]. Des reporters du Stars and Stripes ont fourni des comptes-rendus vifs et détaillés de la répression de la rébellion par l'armée sud-coréenne, du soutien populaire aux rebelles ainsi que des représailles des rebelles contre les locaux. Les Américains ont documenté les exactions mais ne sont jamais intervenus[14]. Ce n'est qu'après le déclenchement de la guerre de Corée que les États-Unis ont repris le commandement des forces armées sud-coréennes.

Pendant la guerre de Corée[modifier | modifier le code]

Immédiatement après l'attaque de la Corée du Nord sur le Sud, le , les militaires sudistes ordonnent « l'appréhension préventive » des militants de gauche présumés dans tout le pays. Des milliers de personnes ont été arrêtées à Jeju et classées en quatre groupes A, B, C et D suivant le risque qu'elles posaient à la sécurité. Le , une ordonnance écrite par un officier supérieur du renseignement de la marine sud-coréenne enjoint à la police de Jeju d'exécuter les personnes des groupes C et D avant le [14]. Ces exécutions sur Jeju peuvent être englobées dans la vaste répression qui s'est abattue sur l'ensemble des sud-coréens suspectés de sympathies communistes, une série d'éliminations physiques ordonnées par le gouvernement de Syngman Rhee qu'on désigne sous le terme de Massacre de la Ligue Bodo.

La réconciliation[modifier | modifier le code]

L'un des premiers actes officiels de l'assemblée nationale sud-coréenne fut l'adoption de la loi sur les traîtres à la nation en 1948 qui entre autres mesures interdit le parti des travailleurs[15]. Pendant près de 50 ans, les gens qui mentionnaient les massacres pouvaient être torturés et condamnés à une longue peine de prison[10]. Ces événements ont été largement ignorés par le gouvernement. En 1992, le gouvernement du président Roh Tae-woo fit fermer une grotte où avaient été découverts des restes des victimes[14]. Mais après la démocratisation des années 1990, le gouvernement a présenté des excuses à plusieurs reprises pour la répression et des efforts sont faits pour réévaluer la portée des événements et indemniser les survivants. En , une commission vérité et réconciliation (en) confirma son rapport disant qu'« au moins 20 000 personnes emprisonnées pour avoir pris part au soulèvement de Jeju, Yeosu et Suncheon ou accusées d'être communistes ont été massacrées dans 20 prisons du pays » lorsque la guerre de Corée commença[16].

La commission de la vérité rapporte 14 373 victimes dont 86 % par les forces de sécurité et 14 % par les rebelles et estime le nombre total de morts à 30 000[17]. 70 % des 230 villages ont été brûlés et 39 000 maisons ont été détruites[10].

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Hunjoon Kim, "A Path toward the Establishment of a Truth Commission on Jeju April 3 rd Incident in Korea", Exposé aux rencontres internationales de Chicago, mars 2007
  2. (en) Chalmers Johnson, Blowback : The Costs and Consequences of American Empire, New York, Henry Holt & Company, , 288 p. (ISBN 9781429928113 et 1429928115), chap. 4 (« South Korea: Legacy of the Cold War »), p. 99-101
  3. (en) Bruce Cumings, The Korean War : A History, New York, Modern Library, , 320 p. (ISBN 0679603786 et 978-0-679-60378-8), chap. 5 (« 38 Degrees of Separation: A Forgotten Occupation »), p. 124-125
  4. (en) John Kie-Chiang O, Korean Politics : The Quest for Democratization and Economic Development, Cornell University Press, .
  5. a b c et d (en) Hugh Deane, The Korean War, 1945–1953, San Francisco, China Books & Periodicals, , 246 p. (ISBN 978-0-8351-2644-1, OCLC 43456191, LCCN 99062801, lire en ligne)
  6. a b c d e et f (en)"Cheju, 1948. Un génocide commis par les États-Unis". Extrait d'une conférence du spécialiste de la Corée du Nord Bruce Cumings prononcée à Tokyo en mars 1998, reproduite dans l'édition d'avril 1998 du mensuel des Coréens du Japon The People's Korea
  7. (en) « United Nations Resolution 112: The Problem of the Independence of Korea », United Nations, (consulté le )
  8. (en) « North Korea Through The Looking Glass »
  9. (en) "Andreĭ Nikolaevich Lanʹkov", « From Stalin to Kim Il Sung: the formation of North Korea, 1945-1960 »
  10. a b c et d (en) Chalmers Johnson, Blowback : The Costs and Consequences of American Empire, New York, Owl Book, , 288 p. (ISBN 978-0-8050-6239-7), p. 99–101
  11. (en) Col. Jimmie Leach, as told to Matt Hermes, « Col. Jimmie Leach, a former U.S. Army officer, recalls the Cheju-do insurrection in 1948 »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), beaufortgazette, (consulté le )
  12. (en) Michael Breen, The Koreans : America's Troubled Relations with North and South Korea, New York, Thomas Dunne Books, , 276 p., relié (ISBN 978-0-312-24211-4), p. 304
  13. a et b (en) Michael J. Varhola, Fire and Ice : The Korean War, 1950-1953, Mason#Toponymes, Da Capo Press, , 334 p., poche (ISBN 978-1-882810-44-4, LCCN 00104152), p. 317
  14. a b et c (en) HIDEKO TAKAYAMA IN TOKYO, « Ghosts Of Cheju », newsweek, (consulté le )
  15. (en) Carter Malkasian, The Korean War (Essential Histories), Oxford, Osprey Publishing, , 96 p., poche (ISBN 978-1-84176-282-1, LCCN 2003464357), p. 2222
  16. (en) « Truth commission confirms civilian killings during war », Republic of Korea, (consulté le ) : « At least 20,000 people jailed for taking part in the popular uprisings in Jeju, Yeosu and Suncheon, or accused of being communists, were massacred in some 20 prisons across the country. »
  17. (en) « The National Committee for Investigation of the Truth about the Jeju April 3 Incident », (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]