Smörrebröd — Wikipédia

Trois smørrebrød sur une assiette d'une table à Copenhague, de gauche à droite, au saumon fumé à l'œuf, au rôti de porc à l'aigre et rôti de bœuf au raifort râpé.

Un smörrebröd ou par simplification smorrebrod ou smorbrod, adaptation du mot danois smørrebrød, au sens générique de « pain beurré », ou du dano-norvégien smørbrød, agglutination probable de smør og brød « beurre et pain » consiste typiquement en une tartine beurrée recouverte d'ingrédients divers, à l'origine une tranche de pain de seigle beurrée sur laquelle on ajoutait des charcuteries, du poisson, des condiments, du fromage ou une autre pâte à tartiner ou tartinade[1]. S'il peut s'agir d'un déjeuner traditionnel ou d'une collation rapide, de la cuisine scandinave ou nordique, en particulier de la cuisine danoise ou norvégienne, leur déclinaison en grandes variétés très souvent colorées et hautes en font aussi des petits canapés, diversement garnis, qui peuvent constituer un libre repas.

Graphie, traduction et occurrences en français[modifier | modifier le code]

L'entrée smorrebrod, adaptation du danois smørrebrød est attesté dans le Petit Robert au début de l'année 2000[2]. D'après le lexicologue Robert, ce mot de genre masculin, signifiant pain beurré, et prononcé tout simplement en français smɔʀbʀɔd s'est généralisé après la Seconde Guerre Mondiale, vers 1950.

L'emploi au sens générique reste commun au Danemark, à moindre mesure en Norvège : une fois compris qu'il s'agit d'un ou de plusieurs smorrebrod, il faut préciser quelle sorte de montage déjà préparé ou quelle type de tranche déjà ajustée est désiré.

Littérature, poésie et philatélie[modifier | modifier le code]

Asle, personnage du roman de Jon Fosse, au sortir des Urgences de Bjørgwin, entre dans le restaurant et débit de boisson nommé "Boire et Manger". Il commande d'abord un café.

  • "Et le barman me tend la carte, et je la parcours à la va-vite, et je vois qu'il y a au menu un smörrebröd de viande hachée et d'oignons poêlés, et je dis que je prendrai bien volontiers un smörrebröd (...)" (Jon Fosse, Det andre namnet ou L'autre nom, septologie I-II, Christian Bourgeois éditeur, 2021, 446 pages, traduit du néo-norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, phrase cité p. 201).

Le poète norvégien Johan Herman Wessel, du siècle des Lumières, a écrit en dano-norvégien un court poème sur le smörrebröd, la nourriture et l'amour, intitulé "Kærlighed og Smørrebrød" qui rappelle son aversion pour la nourriture facile prise sur le pouce et la superficialité des relations humaines depuis l'époque moderne :

  • "At Smørrebrød er ikke Mad, Og Kærlighed er ikke Had,
  • Det er for Tiden hvad jeg veed, Om Smørrebrød og Kærlighed"

Que le smörrebröd ne soit point de la vraie nourriture / et que l'amour n'ait rien en commun avec la haine / C'est à ce moment tout ce que je sais / sur le smörrebröd et le gentil amour.

Dans son poème "Au petit-déjeuner" ou "Ved Frokosten", l'écrivain danois Johannes Vilhelm Jensen n'hésite pas à faire l'éloge du smorrebrod, décliné en quatre morceaux, avec de la bière et du schnaps.

La Poste royale danoise a souhaité rendre hommage à cette spécialité culinaire foisonnante, née au Danemark, en éditant le 1er juin 2012 une série de quatre timbres. Le concepteur de cette série, Peter Dam, montre quatre smörrebröd vus d'en haut, dévoilant respectivement : pour 6 couronnes danoises, des œufs aux crevettes et un rouleau de saucisse, pour 8 couronnes, des tranches de pommes de terre, et enfin une tranche de rosbif pour 16 couronnes.

Préparation paysanne rapide, déclinaison culinaire ancienne, repas pratique ou festif[modifier | modifier le code]

Les paysans d'Europe occidentale, en particulier les femmes, préparaient pour le goûter de leurs enfants une tranche de pain, souvent beurrée ou graissée (huile, saindoux etc.), et souvent saupoudrée, à défaut du simple sel, plus rarement du sucre ou d'épices, ou recouverte d'ingrédients goûteux, par exemple suivant les ressources, miel, gelée, confiture, charcuteries, fromages, œufs, viandes, ail, crevettes, poissons etc. Il semble que les diverses smörrebröd, types de sandwich ouvert réalisé à partir du "rugbrød" ou pain de seigle au levain, épais et lourd, longtemps peu digeste s'inscrivent dans cette tradition des paysanneries nordiques. Retrouvés dans les auberges, ces spécialités n'étaient guère appréciées des bourgeois gastronomes et autres fins gourmets, jouisseurs des bons temps de la vie, comme le rappelle le petit poème de Johan Herman Wessel.

Pourtant, la variété des couvertures et l'adjonction de garnitures supérieures, à effet esthétique, tout comme l'usage précoce du "franskbrød" ou pain blanc français, léger et croustillant, entérine une récupération festive, marchande ou élitiste.

Lors d'un repas danois, par exemple autour d'une table familiale, à smorrebrod, le plat contenant le pain de mie préalablement tranché circulent, ainsi que les plats contenant les diverses garnitures, à commencer par les plus traditionnelles :

  • harengs saur, marinés, nature, épicé ou au curry, légèrement plus sucrés que les harengs hollandais ou allemands
  • poissons fumés, comme le saumon ou la truite, l'anguille ou le maquereau
  • œufs de poissons ou caviar
  • pâtés de foie de porc, charcuteries
  • une grande variété de viandes salés, souvent en fines tranches
  • œufs brouillés
  • une grande variété de fromage, en fines tranches ou encore du fromages frais
  • tranches de légumes frais et autres crudités, tomates, concombres, fenouil, radis, mâche, cressons, très souvent avec des œufs durs et des crevettes.
  • préparation au vinaigre ou au citron, par exemple betteraves marinés, concombres, cornichons et aneth, ciboulettes et raifort
  • maquereaux à la sauce tomate
  • œuf à la coque et rondelles d'oignon rouge
  • viandes crues ou tartare, avec jaune d'œufs crus, rondelles d'oignons crues et raifort râpés.

Pour rajouter une couche intermédiaire plus épaisse sur son pain ou sandwich ouvert, l'hôte qui mange à table, non pas avec ses mains mais avec couteau et fourchette, a accès à diverses sauces épaisses ou autres rémoulades ou mayonnaises. L'italiensk salat désigne en particulier une mayonnaise mélangée à des petits pois, des pointes d'asperges bouillies et des carottes coupées en petits dés.

Les repas festifs semblent mieux ordonnés, au premier stade figurent les garnitures de poissons, harengs, crevettes etc. puis viennent les diverses charcuteries et les salades, et enfin fromages avec du pain et autres craquelins avec des fruits. Des plats chauds sont parfois servis avec les viandes, ainsi le filet de carrelet pané, la saucisse médister frite, une fricatelle aux choux rouges marinés, un "mørbradbøf", c'est-à-dire un filet de porc aux oignons sautés et servis avec une sauce aux champignons et à la crème. Pâques et Noël voient surgir à l'honneur fromage de tête ou encore æbleflæsk, littéralement le porc aux pommes, soit un rôti de porc ou du bacon cuit à la compote de pommes. Les garnitures estivales s'allègent sensiblement : maquereaux fumés, crevettes décortiquées, pommes de terre nouvelles, "sommersalat" ou salade d'été composée d'une vinaigrette comportant du fromage fumé, du radis et autres concombres.

L'art du smorrebrod, spécialité culinaire, donne naissance à des centaines de variétés marchandes, qu'il est facile d'exposer en vitrine. Le "Stjerneskud" ou étoile filante consiste à disposer sur du pain blanc beurré deux morceaux de poissons : un de poisson blanc cuit à la vapeur sur une moitié de sa surface, l'autre de plie frite et panée. Le dessus est recouvert d'un monticule de crevettes, recouvert d'une cuillère de mayonnaise et de caviar rouge, sur lequel est fixé une tranche de citron. Le "Leverpostej" est, comme son nom l'indique, un pâté de foie, ici chaud et haché grossièrement, servi sur du pain noir de seigle, et garni de bacon et de champignons poêlés. Le "Dyrlægens natmad", ou collation nocturne du vétérinaire, est également une couche de pâté de foie sur du pain noir, surmontée d'une tranche de bœuf salé et une tranche d'aspic de viande, l'ensemble garni de rondelles d'oignons crues et de cressons.

Il ne faudrait pas en conclure que le smorrebrod danois n'obéit à aucune règle stricte[3]. Le pain de seigle traditionnel, malheureusement introuvable et souvent remplacé par un Pumpernickel ou un pain de mie commercial foncé, est souvent la norme, et le pain blanc croustillant n'est réservé qu'à des tartinages et garnitures spécifiques. Une faute dans le support et l'assemblage disqualifie, immédiatement et pour longtemps, le cuisinier improvisé, qui doit se limiter à des variations mineures pour ne pas perdre sa réputation.

Boîte à repas et rôle des marchands de vins à la Belle Époque[modifier | modifier le code]

Avec l'essor du travail en chantier, en usine et de la scolarisation, ouvriers, employés et écoliers partaient dès le petit matin portant un Mad pack, une boîte à repas, souvent une boîte en fer blanc pour la soupe ou la boisson avec un sac léger[4]. Le "Mad pack" contenaient alors souvent des tartines préalablement beurrées ou graissées au saindoux dans les contrées rurales, le smorrebrod primitif. La collation ouvrière est souvent accompagnée d'une petite fiole d'eau de vie ou de schnaps.

Le marchand de vin et d'alcool fort, Oskar Davidsen et son épouse Petra ouvrent un lieu de restauration associée à un débit de boissons en 1888, au voisinage de Copenhague. Plutôt que d'emporter sa collation, dès le matin, les ouvriers danois n'ont qu'à passer au restaurant et les spécialités fraîches de smorrebrod garnis de poissons, œufs, crevettes, viande de poulet ou de porc, disponibles et si attractives, font vite fureur et sont copiées. Il en existe, pour tous les goûts ou appétits des buveurs, plus de 250 types en quelques années, de la taille d'un amuse-gueule à une tranche d'une longueur avoisinant 140 cm[5].

Laboratoire de production de smorrebrod (Maison Oskar Davidsen, Boulevard Å) en 1954

Dès les années 1950 et 1960, l'american way of life favorise l'invasion des hamburgers, puis au cours des décennies suivantes, les premières formes de mondialisation généralisent fast food, pizzas et autres tapas. Ce n'est qu'après un long déclin qu'une timide résistance scandinave s'organise, à l'instar de celle du sandwich français. Petit à petit, le smörrebröd est loué, par les intellectuels et autres publicistes nordiques, en tant que petit repas de midi, pris généralement au cours d'une courte pause, mangé sur le pouce, servi par une serveuse accorte, avec une bière et parfois un aquavit.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Le mot smörgås, littéralement "oie au beurre" est le correspondant en langue suédoise, alors que le terme général suédois smörgåsbord désigne le buffet ou table rempli de smörgås. En français, on retrouve parfois aussi la graphie simplifiée smorebrod, moins conforme à la prononciation que la graphie phonétique d'ailleurs très approximative smeurebreud. La prononciation danoise est [ˈsmɶɐ̯ˌpʁœðˀ]. En pratique, le mot totalement francisé "smeurebreud" est rare.
  2. Le Nouveau Petit Robert de la langue française, 2007, p.2381. Elle est absente du Petit Larousse en 2004.
  3. Le sandwich français, en dehors des pains labélisés ou codifiés tel que les pan bagnat, paraît au contraire une source de liberté et de créativité culinaire.
  4. L'industrialisation est souvent tardive dans le nord, mais sous diverses formes techniques, souvent avant 1900.
  5. Le restaurant Davidsen s'installe à Søpavillionen en 1965. Il est tenu en 2010 par une lointaine héritière Ida Davidsen. Le Petit Journal.com opus cité en lien externe.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ole Troelsø, Smørrebrød i Danmark - Stederne, stykkerne og historien, København: Forlaget Lucullus, 2012, (ISBN 9788799551606) (Un aperçu géo-historique danois du smorrebrod)

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