Sigmund Rascher — Wikipédia

Sigmund Rascher
une illustration sous licence libre serait bienvenue
Biographie
Naissance
Décès
Nationalité
Allégeance
Formation
Activités
Période d'activité
à partir de Voir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Nini Rascher (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Parti politique
Membre de
Arme
Grade militaire
Conflit
Lieux de détention

Sigmund Rascher, né le à Munich et mort le à Dachau, est un médecin SS allemand, instigateur des expérimentations humaines menées dans le camp de concentration de Dachau.

Protégé du Reichsführer Heinrich Himmler, les expériences qu'il a conduites portaient principalement sur la haute altitude et le froid extrême. Avec son épouse, il est impliqué dans une histoire de vol d'enfants, ils sont tous deux internés à Dachau en 1944 pour être exécutés en 1945 par les SS avant l'arrivée des Américains.

Biographie[modifier | modifier le code]

Ascension[modifier | modifier le code]

Sigmund Rascher est né le à Munich en Allemagne. Il commence des études de médecine en 1930. En 1933, il adhère au parti nazi et à sa branche paramilitaire la Sturmabteilung ou sections d'assaut (SA) en 1936[1].

Il est chirurgien-assistant pendant trois ans à l'hôpital de Schwabing[1]. Il est provisoirement suspendu de l'Université de Munich pour « suspicion d'être un sympathisant communiste », à cause de son père, médecin comme lui. En 1939, reniant son père, il s'engage dans la SS, pour être appelé dans la Luftwaffe[2], en tant que médecin-major[3].

Il a alors une liaison avec Karolina Diehl (« Nini » Diehl), une veuve de 15 ans son aînée, qu'il épousera en 1941. C'est une ancienne chanteuse de cabaret, mais aussi une secrétaire de Himmler. Rascher a dès lors un accès direct à Himmler. Il le rencontre le 24 avril 1939 et une semaine après, il lui adresse un « rapport sur des solutions de quelques problèmes discutés avec le Reichführer ». C'est le début d'une relation servile qui permet à Rascher d'obtenir les bonnes grâces d'Himmler[2].

Vêtements des détenus de Dachau, Musée juif de Grèce.

Cette relation est si forte que pratiquement « tous les supérieurs de Rascher tremblent de peur devant lui », devant l'énorme pouvoir de sa position. Ce jeune médecin-major est fréquemment mentionné dans les documents des plus hauts dignitaires nazis, indiquant que ses expériences à Dachau font l'objet d'une attention particulière. Hitler lui-même s'estime satisfait de ses travaux. Toutefois, en dépit de l'appui d'Himmler, les recherches de Rascher ne sont guère acceptées dans le milieu universitaire, plusieurs universités les considérant comme non scientifiques[2].

Chute[modifier | modifier le code]

En marge de ses activités expérimentales, Rascher récupère à Dachau de la peau humaine pour en faire des sacs à main pour dames, abat-jour, culottes d'équitation et autres objets personnels. Il en fait commerce en les vendant à ses collègues[2]. Cette activité commerciale illégale (enrichissement personnel) à Dachau sera retenue contre lui. Toujours soucieux de plaire à Himmler, obsédé par la fertilité et souhaitant une expansion de la population aryenne, il lui fait croire que l'on pouvait repousser l'âge limite de la grossesse[4]. Le meilleur exemple était son propre couple, puisque sa femme, après avoir passé l'âge de 48 ans, lui avait donné trois enfants en peu de temps. À chaque naissance, Himmler est ravi, et Rascher bénéficie de nouvelles générosités[5].

C'est au cours de sa quatrième « grossesse » que Mme Rascher est arrêtée pour vol de nouveau-né. L'enquête révèle que les trois enfants du couple Rascher ont été achetés ou kidnappés[2], ou sont ceux de la servante des Rascher[6].

S'estimant trahi, Himmler lâche son protégé qui tombe en disgrâce en avril 1944. Après avoir commis d'autres malversations financières, Sigmund Rascher est arrêté et condamné en février 1945. Lui et son épouse sont internés à Dachau. Ils sont exécutés le 26 avril 1945 par les SS, trois jours avant l'arrivée des Américains, probablement sur ordre d'Himmler[2]. Sa femme est pendue et lui abattu ; leurs fils d'abord logés à Munich sont ensuite placés à la maternité du Lebensborn de Steinhöring[7].

Expériences menées au camp de Dachau[modifier | modifier le code]

À partir du 22 février 1942, Sigmund Rascher commence des expérimentations au camp de concentration de Dachau[3]. La plupart des rapports originaux concernant les expérimentations humaines dans les camps de concentration ont été détruits avant leur libération. Elles sont cependant connues grâce aux rapports réguliers adressés à Himmler par les expérimentateurs, et qui ont pu être saisis[2].

Expériences sur la haute altitude[modifier | modifier le code]

le premier avion-fusée : le Me163 en 1941.

Le premier avion-fusée Messerschmitt 163 est à l'essai au début 1941. Il est prévu pour atteindre une altitude de 12 000 m. Un des problèmes soulevés est celui de l'effet de la haute altitude sur les pilotes obligés de s'éjecter. À ce moment-là, Rascher est affecté auprès du professeur Weltz, directeur de l'Institut de médecine aéronautique. Pour ses expériences, l'institut utilise des animaux ou des médecins volontaires. À la fin d'une conférence sur le sujet, Rascher propose d'utiliser des criminels, ce qui est refusé par l'Institut[5].

En mai 1941, Rascher utilise ses relations avec Himmler et Rudolf Brandt, et le projet est accepté en juillet 1941. Un caisson de décompression est transféré à Dachau et en février 1942, les expériences commencent[3].

Ces expériences consistent à reproduire des conditions de descente en parachute d'une altitude de 15 km et d'évaluer le taux de survie. 34 détenus, juifs allemands, polonais ou russes sont soumis aux premiers essais[3]. Au total, durant trois mois, près de deux cents détenus passeront dans le caisson. Dans une dizaine de cas, Rascher étudie plus particulièrement la formation d'une embolie gazeuse. Durant le procès des médecins, un témoin affirmera que 70 à 80 personnes furent tuées[2].

En novembre 1942, Himmler fait la déclaration suivante : « Dans les milieux médicaux chrétiens, on accepte qu'un jeune pilote allemand risque sa vie, mais pas qu'un criminel, dispensé de service militaire, risque la sienne »[8].

Expériences sur le froid[modifier | modifier le code]

Contexte et organisation[modifier | modifier le code]

Ce projet a été proposé par le Maréchal d'aviation Erhard Milch et approuvé par Himmler. Son but était d'établir la meilleure protection possible contre le froid et l'hypothermie pour les équipages de la Luftwaffe abattus au-dessus de la mer du Nord. Rascher est choisi pour mener ce projet, mais sa compétence étant limitée, on lui adjoint deux médecins plus qualifiés que lui : Ernst Holzlöhner (de) et Erich Finke (de).

Ce projet s'effectue à Dachau d'août 1942 à mai 1943, après les expérimentations sur la haute altitude. Ces expériences sont connues[9], entre autres, par un rapport de 56 pages adressé à Himmler, daté du , et signé par Rascher et ses deux adjoints. Après cette date, ces deux derniers se retirent, estimant leur tâche terminée.

Rascher décide de continuer seul, en menant 350 expériences supplémentaires, expliquant qu'il a besoin de compléter sa thèse de doctorat. Il a pu le faire grâce au soutien de Himmler, venu plusieurs fois en personne pour assister à ces expériences, dont le à Dachau[10].

À partir de janvier 1943, à la demande de Grawitz, Rascher participe à des expériences sur le froid sec, afin de déterminer si les méthodes applicables aux naufragés pourraient s'appliquer sur le front russe[11].

Procédures[modifier | modifier le code]

Mémorial du camp de Dachau.

Les sujets sont des prisonniers civils de diverses nationalités et religions, ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques. Leur participation était le plus souvent forcée, parfois volontaire contre des promesses (rarement tenues) de libération, ou des annulations de sentence de mort.

Ces expériences consistent à soumettre des sujets au froid extrême afin de se rendre compte des limites du corps humain[12]. Les victimes ont été forcées à rester nues à l'extérieur par un temps glacial jusqu'à 14 heures consécutives, ou à rester immergées dans un réservoir d'eau glacée (2-12°C) pendant 3 heures. Certains prisonniers sont anesthésiés, d'autres conscients, d'autres nus ou d'autres habillés. Leur pouls et température corporelle sont mesurées par une série d'électrodes. Le nombre d'expériences est estimé de 360 à 400, et ce sur 280 à 300 victimes, ce qui indique que des sujets ont subi plus d'une expérience. Au cours de ces expériences, 80 à 90 personnes décèdent[2].

Différentes méthodes de réchauffement des victimes sont testées. Le plus souvent, les sujets sont plongés dans un bain d'eau chaude ; au moins un témoin, alors assistant lors des expériences, témoignera plus tard que certaines victimes ont été jetées dans l'eau bouillante.

En juillet 1942, après avoir assisté à plusieurs de ces expériences, Himmler suggère sur le ton de la plaisanterie « qu'une femme de pêcheur pouvait très bien réchauffer son mari à moitié gelé dans son lit ! Personne n'ignore que la chaleur animale est bien supérieure à la chaleur artificielle »[13],[14].

En septembre 1942, Himmler insiste pour que les expériences de « chaleur animale » soient réalisées, car il a pris sa propre plaisanterie au sérieux par « intuition magique »[14]. Rascher utilise alors quatre femmes roms du camp de concentration de Ravensbrück, probablement d'anciennes prostituées[réf. nécessaire] ; des expériences de réchauffement ont ainsi été réalisées en plaçant le corps de la victime hypothermique en sandwich entre deux femmes nues[15],[16].

Suites[modifier | modifier le code]

En octobre 1942, les résultats de ces expérimentations sont présentés lors d'une conférence médicale à Nuremberg, dans deux présentations nommées "Prévention et traitement de l'hypothermie" et "Le réchauffement du corps après avoir subi le gel à un point critique"[15]. Après son transfert à la Waffen-SS, Rascher était désireux d'obtenir les qualifications académiques nécessaires pour occuper un poste universitaire de haut rang. Cependant, à Munich, Marbourg et Francfort, l'habilitation, attribuée sur la base des recherches précédentes, n'a pas pu lui être accordée en raison de l'exigence formelle que les résultats soient mis à la disposition du public[17].

Des expériences similaires "sur l'humain en conditions marines" ont été menées de juillet à septembre 1944, principalement sous la direction de Wolfram Sievers, l'Ahnenerbe offrant un contexte, des locaux et du matériel suffisants pour que les médecins militaires de Dachau se livrent à de telles recherches. Sievers s'est rendu à Dachau le , pour s'entretenir avec les médecins Kurt Plötner et Wilhelm Beiglboeck, c'est ce dernier qui a finalement réalisé les expériences[réf. nécessaire].

Cette expérimentation a fait l'objet en 1946 d'une publication du docteur Léopold Alexander, un médecin juif d'origine autrichienne exilé aux États-Unis en 1933[note 1],[18], et la méthode préconisée sera adoptée un temps par les services de sauvetage américains[19]. L'interprétation des résultats reste contestée. En 1990, une nouvelle analyse estime que les expériences d'hypothermie de Dachau sont inconsistantes et grotesques, entachées de falsification de données, et de conclusions non appuyées par les faits présentés. « [les résultats de Dachau] ne constituent ni une avancée scientifique, ni un moyen de sauver des vies humaines »[2].

Expériences pharmaceutiques[modifier | modifier le code]

Pendant qu'il est à Dachau, Rascher développe secrètement et fabrique des capsules au cyanure, facilement écrasables, pour les expérimenter sur des détenus, mettant au point une technique de suicide rapide[20],[21].

Rascher entreprend de sa propre initiative, avec l'assistance de Robert Feix (de), un chimiste autrichien détenu à Dachau, des expérimentations humaines destinées à évaluer les propriétés d’un gel, le « Polygal », censé être cicatrisant, anti-infectieux et hémostatique (arrêter le saignement). Pour cela, plusieurs prisonniers sont utilisés. La mise au point se fait au camp de concentration de Biesings (de) (annexe de Dachau). Les résultats sont publiés en mars 1944 dans une revue médicale de Munich[3].

Tout ceci est fait sans autorisation préalable, et l'article précise qu'il s'agit d’expérimentation humaine dans le camp de Dachau. Cette publication est dérangeante pour la hiérarchie SS. Lorsque Rascher perd la protection d'Himmler, une enquête des services de santé de la SS révèle que les résultats concernant le « Polygal » ont été truqués, et que Rascher a pris contact, pour son propre compte, avec un laboratoire situé près de la frontière suisse. Le , il est arrêté et condamné pour fraude scientifique, malversation financière[3], et meurtre de son assistant[2]. Il est finalement exécuté par les SS à Dachau même le .

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Le Dr Léopold Alexander a témoigné au procès des médecins, de l'expérimentation humaine nazie.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b « Biographie: Rascher Sigmund(1909-1944) », sur encyclopedie.bseditions.fr (consulté le )
  2. a b c d e f g h i j et k Robert L. Berger, « Nazi Science — The Dachau Hypothermia Experiments », New England Journal of Medicine, vol. 322, no 20,‎ , p. 1435–1440 (ISSN 0028-4793, PMID 2184357, DOI 10.1056/NEJM199005173222006, lire en ligne, consulté le )
  3. a b c d e et f J.P. Demarez, « Recherches cliniques à Dachau », La Lettre du Pharmacologue,‎ janvier-février-mars 2005 (lire en ligne)
  4. Anne-Spooky, « Sigmund Rascher », sur lesarchivesdeladouleur.wordpress.com, (consulté le ).
  5. a et b Aziz 1975, op. cit., p. 26-28.
  6. Philippe Aziz, Les médecins de la mort, vol. 3, Famot, , p. 76.
  7. (de) Time Note, « Sigmund Rascher », sur timenote.info (consulté le ).
  8. (en) Ulf Schmidt, Medical Ethics and Nazism, New York, Cambridge University Press, , 876 p. (ISBN 978-0-521-88879-0), p. 601.
    dans The Cambridge World History of Medical Ethics, R.B. Baker (dir.).
  9. (de) NS-Archiv, « Dr. Raschers Unterkühlungsversuche : Les tentatives d'hypothermie du Dr Rascher », sur ns-archiv.de, (consulté le ).
  10. (de) Dieter Wunderlich, « Sigmund Rascher: Menschenversuche : Sigmund Rascher: Expériences humaines », sur dieterwunderlich.de (consulté le ).
  11. Aziz 1975, op. cit., p. 65.
  12. « Expériences du docteur Rascher pour la Wehrmacht », sur encyclopedie.bseditions.fr (consulté le )
  13. Maura Phillips Mackowski, Testing the limits : aviation medicine and the origins of manned space flight, Texas A & M University Press, (ISBN 978-1-58544-439-7, 1-58544-439-1 et 978-1-62349-817-7, OCLC 57564786, lire en ligne)
  14. a et b Aziz 1975, p. 48-49 et 55-56
  15. a et b George J. Annas et Michael A. Grodin, The Nazi doctors and the Nuremberg Code : human rights in human experimentation, Oxford University Press, (ISBN 0-19-507042-9, 978-0-19-507042-2 et 0-19-510106-5, OCLC 23767795, lire en ligne), pp. 74-75
  16. Lettre de Rascher à Himmler, 17 Fev 1943, tiré de Trials of War Criminals before the Nurenberg Military Tribunals, Vol. 1, Case 1: The Medical Case (Washington, DC: US Government Printing Office, 1949-1950), p. 249-251.
  17. Charles E. Rosenberg, University of North Carolina Press et Mazal Holocaust Collection, Doctors under Hitler, University of North Carolina Press, (ISBN 0-8078-1842-9, 978-0-8078-1842-8 et 0-8078-4858-1, OCLC 19264823, lire en ligne)
  18. (en) L. Alexander, The treatment of schock from prolonged exposure to cold, especially in water, Washington, Office of the Publication Board, Department of Commerce,
  19. Aziz 1975, op. cit., p. 60.
  20. Aziz 1975, op. cit., p. 73-74.
  21. Leo Alexander, « Medical Science under Dictatorship », New England Journal of Medicine, vol. 241, no 2,‎ , p. 39–47 (ISSN 0028-4793, PMID 18153643, DOI 10.1056/NEJM194907142410201, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]