Sept Dormants d'Éphèse — Wikipédia

Les Sept Dormants d'Éphèse est un récit miraculeux chrétien mettant en scène des jeunes gens chrétiens fuyant une persécution religieuse. Ils se seraient endormis dans une caverne pendant une très longue durée. Selon certains chercheurs, la sourate coranique Al-Kahf reprend et adapte ce récit au contexte arabo-musulman. Les Sept Dormants sont probablement « les héritiers topiques de cultes préhistoriques dédiés à des fratries de sept dieux » [1].

La légende[modifier | modifier le code]

L'empereur Dèce ordonnant l'emmurement des Sept Dormants. D'après un manuscrit du XIVe siècle.

Histoire du récit[modifier | modifier le code]

L’origine de ce récit est un sermon d’Étienne, évêque d’Éphèse, prononcé, en grec[2], à l’occasion de la redécouverte vers 448 de corps bien conservés dans une caverne, à proximité de la ville. Selon l'islamologue Geneviève Gobillot, supposant un événement miraculeux et afin de critiquer une hérésie, l’évêque compose alors un récit, sans fondement historique, défendant une orthodoxie sur la question de la résurrection[3]. La version la plus ancienne de ce récit date du 1er quart du VIe siècle et est conservée dans les homélies de Jacques de Saroug. Denys de Tel mentionne l’existence de ce récit dans un livre syriaque du Ve siècle[3] et Fudge souligne l'existence d'un manuscrit datant de la fin de ce siècle[4]. Le récit des Dormants connait une large diffusion et 18 manuscrits syriaques (entre le VIIe et le XVe siècle) rapportent ce récit[3].

Vers l'an 500, Jacques de Saroug, évêque de Batnæ en Syrie, fait l'éloge des Dormants d'Éphèse, dans une des deux-cent-trente homélies qu'il a composées en syriaque[5]. Le récit est repris en latin par Grégoire de Tours (De gloria martyr., l. I, c. XCV), Paul Diacre (I, c.IV)[6], Nicéphore (Cal. 1. XIV, c. XLV), Syméon Métaphraste (P.G., CXV, 427-448), Jacques de Voragine dans la Légende dorée.

Récit[modifier | modifier le code]

L'histoire se déroule au temps de la persécution de l'empereur Dèce (règne de 249 à 251) contre les chrétiens. Sept officiers du palais, originaires de la ville d'Éphèse, sont ainsi accusés : il s'agit de Maximien, Malchus, Marcien, Denys, Jean, Sérapion et Constantin (selon une autre source, il s'agit de Maximilien, Jamblique, Martinien, Jean, Denis, Constantin et Antonin (vers 250)[7]). Alors que l'empereur est en voyage, ils distribuent leurs biens aux pauvres et se réfugient dans la montagne voisine.

L'empereur, à son retour, fait rechercher les sept chrétiens. Ceux-ci, prenant leur repas du soir, tombent mystérieusement endormis : c'est dans cet état qu'ils sont découverts. Dèce les fait alors emmurer dans leur cachette. Et c'est en 418, qu'un maçon ouvre par hasard la grotte où sont enfermés les Sept Dormants. Ceux-ci se réveillent, inconscients de leur long sommeil. Aussitôt, l'empereur Théodose II accourt, et voit dans le miracle une preuve contre ceux qui nient la résurrection des morts.

Comparaison avec le récit des Gens de la caverne[modifier | modifier le code]

Le récit des « Gens de la Caverne » et l'expression Ahl al-Kahf se trouvent dans la sourate 18 du Coran[8]. Il a fait l'objet de nombreux commentaires[9] et fait partie des quelques récits d'origine non-biblique présents dans le Coran[10]. Cette sourate 18, qui est axée sur l'énonciation de l'omnipotence divine et l'annonce de l'imminence du Jugement, donne une grande importance à plusieurs motifs narratifs de l'Antiquité tardive[11]. Le récit des « gens de la caverne » y est présenté « comme la version authentique d’événements, transmis par des récits contenant entre eux des points de divergences »[12].

Ce récit, par les altérations et modifications de la légende chrétienne originale, s’inscrit donc dans un contexte de polémiques anti-chrétiennes[13] et peut, pour Reynolds, être lu comme une « homélie coranique sur la littérature biblique »[14]. Plusieurs chercheurs voient dans ce récit des Dormants d'Éphèse un arrière-plan syriaque au texte du Coran[Note 1]. Plusieurs approches sont néanmoins possibles. Ainsi, si des points communs existent avec la version syriaque, d’autres éléments en sont absents, comme le chien[13]. Ainsi, si le chien n'a pas de parallèle directs dans les récits syriaques[Note 2], il en existe un avec le Guide de Pèlerinage de Théodose (début du VIe siècle). Pour Tardieu, le récit coranique serait donc davantage à relier à cette tradition « orale et folklorique » qu'à la « version syriaque théologisée »[13]. Mortensen souligne que le « niveau d’intertextualité et la question du dialogue interculturel est au centre du débat »[13]. Griffith soutient l’idée d’une « intertextualité orale ». Ainsi, les parallèles ne proviennent pas d’un seul document mais de « plusieurs témoins textuels ». Pour Griffith, «la tradition syro-araméenne n'est pas la seule source du discours chrétien présente dans le milieu du Coran arabe, mais c'est sans doute la plus importante et la plus répandue »[2]. Si le niveau de dépendance du Coran au récit rapporté par Saroug est interrogé, « on peut voir clairement [...] que ce dernier [le Coran] est situé dans un milieu influencé par les disputes théologiques chrétiennes et les différentes versions concurrentes de la légende »[13].

Célébrations[modifier | modifier le code]

En Allemagne[modifier | modifier le code]

En Allemagne, les Sept Dormants d'Éphèse sont fêtés lors du Siebenschläfertag (de) le 27 juin. Il y a aussi une église des sept dormants (de) près de Ruhstorf an der Rott en Bavière avec une excellente représentation des sept dormants dans le style rococo.

Pèlerinage islamo-chrétien[modifier | modifier le code]

Intérieur de la grotte dite des Sept Dormants à Éphèse en Turquie.

En 1878, François-Marie Luzel et Ernest Renan publient tous les deux, dans le même numéro de la revue Mélusine, deux articles décrivant, pour le premier, la chapelle des Sept-Saints construite avec sa crypte près d'un dolmen[15] dans la commune du Vieux-Marché (Côtes-d'Armor), secondant la légende des Sept-Dormants[16].

En 1954, Louis Massignon transforme cette hypothèse de rapprochement entre les Sept saints fondateurs de la Bretagne et les Sept dormants d'Éphèse en une certitude, et crée à cet endroit un pèlerinage islamo-chrétien. Selon lui, l'origine du pardon des Sept Saints remonterait au IIIe siècle, et leur culte serait parvenu au Vieux Marché par l'intermédiaire de moines et de missionnaires grecs qui accompagnaient les commerçants d'Orient sur la route de l'étain[17],[18]. Est lié à ce pèlerinage un ancien chant breton, ou gwerz[19], traduit par Geneviève Massignon, dont il reste 18 strophes dans le "Cantique de la procession"[20],[21].

Cette hypothèse, qui ne repose sur aucune source, est contredite par l'histoire et l'origine galloise bien connue des Sept saints fondateurs de la Bretagne.

Inspiration[modifier | modifier le code]

Romans[modifier | modifier le code]

  • Xavier Accart, Le dormant d'Ephèse, Editions Tallandier (2019) ;
  • Manoël Pénicaud, Dans la peau d’un autre, Presses de la Renaissance (2007) ;
  • Rachid Koraïchi, Les Sept Dormants, Actes Sud (2002) ;
  • Andrea Camilleri, Chien de faïence (1996) ;
  • Salah Stétié, Le Passage des Dormants (1995) ;
  • Salah Stétié, Rimbaud, Le huitième dormant (1993) ;
  • Danilo Kis, La Légende des Dormants (1983) ;
  • Manuel Mujica Lainez, El escarabajo, Editorial Sudamericana (1982) ;
  • Jacques Mercanton, L’Été des Sept Dormants (1974) ;
  • Tawfiq al-Hakim, La Caverne des songes (1950) ;
  • A. Kingsley Porter, The Seven Who Slept (1919).

Poésie[modifier | modifier le code]

  • Marie Étienne, Dormans (Flammarion poésie, 2006)

Récits de voyage[modifier | modifier le code]

L'écrivain américain Mark Twain, qui a visité la région d'Ephèse en 1867, évoque à sa manière la « légende des Sept Dormeurs » dans Le Voyage des innocents[22]. Il conclut avec humour : « Telle est l'histoire des Sept Dormeurs (avec de légères modifications) et je suis sûr qu'elle est vraie, car j'ai vu la caverne de mes propres yeux. »

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. L'arrière-plan peut être repéré tant par les liens narratifs que, pour Stewart, linguistiques : Qur'an Seminar
  2. Pour Griffith, le chien est néanmoins une transformation du « veilleur » évoqué par les textes syriaques et interprété par la tradition syriaque comme un ange gardien.

Références[modifier | modifier le code]

  1. .Jean-Christophe Cassard, « Le Tro-Breiz Médiéval, un mirage hagiographique ?», MILIN, G., GALLIOU, P. (éd.), Hauts lieux du sacré en Bretagne, Kreiz 6 – Études sur la Bretagne et les Pays Celtiques, Brest, CRBC, 1997, p. 109.
  2. a et b S. Griffith, "Christian lore and the Arabic Quran: the "Companions of the Cave" in Sural al-Kahf and in Syriac Christian tradition", The Qur'an in its historical context, p. 109-138.
  3. a b et c G. Gobillot, « Gens de la Caverne », Dictionnaire du Coran, 2007, Paris, p. 362-365.
  4. Bruce Fudge, "The Men of the Cave: "Tafsīr, Tragedy and Tawfīq al-Ḥakīm" Arabica, 54, 2007, p. 67-93
  5. Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l'empire romain, Robert Laffont, 1983, vol.1, p.993.
  6. qui localise la caverne en Germanie.
  7. Le Calendrier Liturgique Orthodoxe 2015, édité par la Fraternité Orthodoxe en Europe Occidentale, dans sa version française, note 7 noms, dont certains diffèrent de ceux mentionnés dans l'article. Les "7 enfants (ou dormants) d'Éphèse", commémorés le mercredi 04 août sont Sts Maximilien, Jamblique, Martinien, Jean, Denis, Constantin et Antonin (vers 250). Les sources consultées par la F.O.E.O. peuvent probablement lui être demandées.
  8. G. Gobillot, « Gens de la caverne », Dictionnaire du Coran, 2007, Paris, p. 362-365.
  9. Sidney Griffith, « Christian Lore and the Arabic Quråan. The "Companions of the Cave" in Surat al-Kahf and in Syriac Christian Tradition », dans Gabriel Said Reynolds (dir.), The Qurʼān in Its Historical Context, Londres, Routledge, 2008, p. 109-138.
  10. Anne-Sylvie Boisliveau, Le Coran par lui-même. Vocabulaire et argumentation du discours coranique autoréférentiel, Leiden, Brill, 2014, p. 203
  11. M. B. Mortensen, « Sourate 18 », Le Coran des historiens, Paris, Cerf, 2019, t.2b, p. 693 et suiv.
  12. Geneviève Gobillot, « Gens de la Caverne », dans Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2007, p. 362-365.
  13. a b c d et e M. Mortensen, « Sourate 18 », Le Coran des historiens, Paris, Cerf, 2019, t.2b, p. 693 et suiv.
  14. G. Reynolds, The Qur’an and Its Biblical Subtext, Londres 2010, p. 167 et suiv.
  15. François-Marie Luzel, "La chapelle des Sept-Saints dans la commune du Vieux-Marché (Côtes-du-Nord)", revue Mélusine, 1878.
  16. Ernest Renan, "La légende des Sept-Dormants", revue Mélusine, 1878.
  17. [1]. Le lieu de pèlerinage, Dolmen et Crypte
  18. Manoël Pénicaud, « Musulmans au pèlerinage islamo-chrétien des Sept Dormants en Bretagne », Hommes & Migrations, no 1316,‎ , p. 142 à 147 (lire en ligne)
  19. [2] Gwerz des Sept-Saints
  20. Sources et détails [3] et [4]
  21. [5] Gérard Prémel
  22. Mark Twain, Le Voyage des innocents – Un pique-nique dans l'Ancien Monde, François Maspéro / La Découverte, trad. F. Gonzalez Batlle, Paris, 1982 (ISBN 2-7071-1272-0), pp. 338-342.

Sources[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Gérard Viaud, « Les sept saints dormants d'Éphèse », Annales de Bretagne, t. 73, no 4,‎ , p. 599-606. (lire en ligne)
  • J. Bonnet, Artémis d'Éphèse et la légende des sept dormants, Paris, 1977.
  • F. Jourdan, La tradition des sept dormants, Paris, 1983.
  • David Sidersky, Les origines des légendes musulmanes dans le Coran et dans les vies des prophètes, Geuthner, Paris, 1933.
  • (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, t. 3, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re éd., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208), p. 1883, s. v. Seven Sleepers.
  • GG. Prémel, Anniversaires (éditorial) ; 50e anniversaire du pèlerinage islamo-chrétien des Sept Saints en Vieux-Marché : G. Massignon, Le culte des Sept Saints dormants d’Éphèse (Genèse) ; ; L. Massignon, Le Coran (Exégèse) ; Les dix-huit versets de la 18e sourate (Exégèse) D. Laurent, La « Gwerz des Sept Saints dormants » (exégèse / document) ; revue La Bretagne au monde Hopala  ! n°17
  • E. Doubchak, Les Compagnons de la Caverne, traduction et commentaire de la pièce de Tawfîq al Hakîm, "Ahl al Kahf", mémoire de Maîtrise d'Arabe, Lyon, 1984.
  • Geneviève Gobillot, article « Gens de la Caverne » in M. Ali Amir-Moezzi (dir.) Dictionnaire du Coran, éd. Robert Laffont, 2007, p. 362-365.
  • N. AFIF, « Un nouveau témoin de l’Histoire des Sept Dormants d’Ephèse. Le manuscrit Cambridge Syr. Add. 2020. Texte et traduction », dans BABELAO, 1 (2012), p. 25-76.
  • Neuve-Eglise (Amélie), « Les Sept Dormants d’Éphèse et les "Ahl al-Kahf" », La Revue de Téhéran, , http://www.teheran.ir/spip.php?article17#nb15
  • Garona - Cahiers du CECAES n° 18, Entre Orient et Occident - La Légende des Sept Dormants, Presses Universitaires de Bordeaux, déc. 2007 (ISBN 9782867814860)
  • Barbara Sturnega, "Louis Massignon et Carl Gustav Jung en dialogue à Eranos: al-Khadir et la légende des Sept Dormants", in: Octagon, La recherche de perfection, (Hans Thomas Hakl éditeur), Gaggenau, Scientia Nova, 2018, vol. 4, pp. 151-167. (ISBN 978-3-935164-12-2)

Liens externes[modifier | modifier le code]