Rodolphe Töpffer — Wikipédia

Rodolphe Töpffer
Biographie
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Voir et modifier les données sur Wikidata (à 47 ans)
GenèveVoir et modifier les données sur Wikidata
Sépulture
Nationalités
suisse (à partir de )
République de GenèveVoir et modifier les données sur Wikidata
Formation
Activités
Période d'activité
Père
Enfants
Adèle Töpffer
François Töpffer (d)
Jean-Charles Töpffer (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
A travaillé pour
Université de Genève (à partir de )Voir et modifier les données sur Wikidata
Distinction
Archives conservées par
Bibliothèque de Genève (CH BGE Ms. suppl. 1142-1260, Ms. suppl. 1638-1652, Ms. suppl. 147 et 441, Ms. fr. 310-313, Ms. fr. 9000)Voir et modifier les données sur Wikidata

Rodolphe Töpffer (aussi écrit Toepffer), né à Genève le 12 pluviôse an VII () à dix heures après midi[1] et mort dans cette même ville le , est un pédagogue, écrivain, homme politique et auteur de bande dessinée suisse, considéré comme le créateur et le premier théoricien de cet art.

Biographie[modifier | modifier le code]

Rodolphe Töpffer, statue à Genève.

Rodolphe Töpffer naît dans la maison familiale dite de la « bourse française » près de la cathédrale Saint-Pierre de Genève. Il est le fils de l'artiste peintre et caricaturiste réputé[2] Wolfgang Adam Toepffer, qui lui communique le goût de la satire et de l'observation. Il voyage en Savoie, à Annecy, après la Restauration. Trouvant la ville à demi en ruines, il regrette qu'elle ne fût pas encore reconstruite, étant certain qu'elle fournirait de « très agréables séjours aux étrangers », au vu de ses atouts.

En 1816, Adam Toepffer suit en Angleterre un riche admirateur de ses œuvres et confie la responsabilité de la famille à Rodolphe. C'est à ce moment que celui-ci découvre son affection oculaire. Il se rend alors à Paris plusieurs mois à partir d'octobre 1819 pour y suivre un nouveau traitement, il y continue ses études littéraires et y fréquente les milieux artistiques[3]. Il rend aussi souvent visite à la famille Dubochet dont son cousin Jacques-Julien sera son éditeur parisien[4]. En , de retour à Genève, ne pouvant suivre la même carrière artistique que son père, il décide alors de se consacrer à la littérature. Il devient sous-maître de latin, de grec et de littérature ancienne dans la pension du pasteur Heyer.

Il épouse le une amie de sa sœur Ninette, Anne-Françoise Moulinié (1801-1857), surnommée Kity. Quatre enfants naissent de ce mariage : Adèle-Françoise (1827-1910), dernière descendante directe, elle lègue à la ville de Genève l'ensemble des manuscrits de son père ; François (1830-1870) ; Jean-Charles (1832-1905) et Françoise-Esther (1839-1909).

La forte dot de sa femme lui permet d'ouvrir à Genève, dans la maison de la place Maurice sur la promenade Saint-Antoine, un pensionnat de jeunes garçons en majorité étrangers[3], auquel il se consacre jusqu'à sa mort en 1846.

« Nos pensionnats ne sont pas des lycées ; on y vit en famille. J'ai composé pour le divertissement de mes élèves une douzaine de comédies. J'ai écrit pour le même objet la relation illustrée et annuelle de chacune des excursions que j'ai faites avec eux dans nos cantons, aux Alpes et sur le revers italien des Alpes. C'est aussi à leur grand plaisir que, durant les soirées d'hiver, j'ai composé et dessiné sous leurs yeux ces histoires folles, mêlées d'un grain de sérieux, qui étaient destinées à un succès que j'étais bien loin de prévoir. »

— écrit-il à Sainte-Beuve[3].

Durant les années 1830 et 1840, il écrit différents ouvrages et acquiert une certaine réputation dans le milieu intellectuel genevois ; il partage son temps entre ses élèves et les cénacles littéraires de la ville. À partir de 1832, il donne des cours de « Rhétorique et de Belles Lettres » à l'Académie de Genève. Éloigné de l'effervescence littéraire parisienne, Töpffer n'a de reconnaissance que tardive. Sainte-Beuve lui consacre un de ses Portraits dans la Revue des Deux Mondes du .

En 1834, Töpffer devient membre conservateur du parlement du canton de Genève et, en 1842, il est polémiste et écrit dans un journal ultra-conservateur où il s'oppose aux volontés de réformes libérales de James Fazy.

À partir de 1843, sa santé se dégrade de plus en plus et il est contraint de renoncer à l'enseignement en . Il s'installe à Cronay dans la maison familiale de sa femme reçue en héritage. Ses médecins l'envoient en cure aux bains de Lavey et ensuite à Vichy après la découverte d'une grave maladie hépatique, peut être une hypertrophie de la rate. Il décède à l’âge de 47 ans, à Genève dans sa maison de la cour Saint-Pierre en 1846.

Pédagogue[modifier | modifier le code]

Page de titre du Voyage de 1840 autographiée par Töpffer.

Depuis le temps de la pension Heyer, Töpffer a pris l'habitude d'organiser des excursions. Bientôt dans sa propre institution, il emmène ses pensionnaires en « course d'école » une ou deux fois l'an.

Ce sont de plus grands voyages d'études, souvent à pied, avec sa femme Kity qui « voyage pour le soulagement des blessés, et l'agrément de ceux qui se portent bien. Elle porte un voile vert, et une petite pharmacie dans son sac ». Au retour, il écrit et illustre le récit de ses excursions, d'abord manuscrit et à partir de 1832, sous la forme d'album autographié.

Ses récits de voyages seront au moins aussi importants que le reste de son œuvre littéraire. Repris et remaniés par Töpffer, ils constituent la matière de deux nouveaux volumes de récits de voyage : les Voyages en zigzag parus à Paris en 1844, et les Nouveaux voyages en zig-zag publiés en 1854 après sa mort. Goethe admire ces textes de Töppfer au même titre que sa « littérature en estampes »[5].

Par ailleurs, au sein de son établissement, il confie à son père l'enseignement du dessin.

Écrivain[modifier | modifier le code]

Töpffer est influencé par Molière, Racine, Virgile, Tacite et surtout, par les idées de Jean-Jacques Rousseau[6]. En 1824, sa première œuvre est une édition scolaire de textes en grec ancien, Harangues politiques de Démosthène et en 1826, il publie anonymement sa première critique d'art sur une exposition du musée Rath de Genève. En 1841, la réputation littéraire de Töpffer est établie par la parution des Nouvelles genevoises chez Charpentier éditeur à Paris. La consécration vient avec l'étude critique que Sainte-Beuve fait paraître sur Töpffer dans la Revue des Deux Mondes[5].

Ces « littératures en estampes » (que Töpffer appelle « histoires en estampes ») créées de 1827 à sa mort sont au nombre de sept plus une posthume et quatre non-publiées[7]. Elles rencontrent dès l'époque un grand succès. En 1842, il fait paraître une notice sur les essais d'autographie, technique qu'il préfère à la lithographie pour réaliser ses ouvrages de bandes dessinées et en 1845, s'intéressant dans son Essai de physiognomonie (voir physiognomonie) à l'originalité de ce qu'il appelle la « littérature en estampes », il écrit le premier ouvrage théorique sur la bande dessinée.

Parallèlement à ses créations littéraires, Töpffer écrit sa première pièce L'Artiste et la fait jouer par Kity et une troupe de ses pensionnaires le . Il en écrit plusieurs autres qui sont jouées pour l'édification de ses élèves. Jamais Töpffer n'accepta de laisser publier ses pièces de son vivant et il en aurait été de même de ses « littératures en estampes » sans les encouragements de Goethe[8].

Homme politique[modifier | modifier le code]

Simon de Nantua (Rodolphe Töpffer) rencontre Albert (James Fazy).

Töpffer a des opinions très conservatrices à la différence de son père qui défend des idées libérales. En 1834, Rodolphe Töpffer est membre conservateur du parlement du canton de Genève, responsabilité qu’il quitte en 1841 à la suite d'un premier succès des libéraux. Ensuite en 1842, il devient polémiste dans le Courrier de Genève « Je voudrais avoir dix bras, dix plumes, dix journaux, et surtout deux bons yeux, pour faire une guerre que j’estime être au fond celle de l’honnêteté contre le vice car, s’il ne s’agissait ici que d’intérêt, de ce qu’on appelle vulgairement politique, je n’aurais pas, j’en suis sûr, d’idées de quoi écrire une ligne » écrit-il à de La Rive du [9]. Le Courrier de Genève est suspendu le .

Il continue à lutter avec ses amis de l'Académie contre la bourgeoisie libérale, dont fait partie son père, et le Volkstribun James Fazy qui tentent de supprimer définitivement le vieux système de patricien du canton de Genève.

C'est sous le nom de Simon de Nantua[10] que Töpffer continue sa lutte en « littérature en estampes » en dessinant Histoire d'Albert dans laquelle il caricature son adversaire politique James Fazy sous les traits d'Albert. C'est aussi la première fois qu'une bande dessinée est utilisée en politique.

Cette lutte se termine par la victoire des libéraux lors de la révolution de 1846, année de la mort de Töpffer[5].

Inventeur de la bande dessinée[modifier | modifier le code]

Une planche d'Histoire d'Albert d'apparence très moderne.

La notion d'« inventeur de la bande dessinée » est controversée, un art n'étant pas un procédé technique. Cependant, le caractère inédit des histoires en images que Töpffer commence à créer en 1827, cette nouvelle manière d'articuler texte et images montées en séquences, et surtout la perception par l'auteur qu'il faisait quelque chose de nouveau, le pressentiment qu'il avait que d'autres personnes utiliseraient ce mode d'expression inédit le font généralement considérer comme le premier auteur de bande dessinée occidental.

Bien que Töpffer soit très influencé dans sa mise en scène par le théâtre (les personnages sont généralement représentés de plain-pied, comme face à un public), et par le roman dans ses textes (qui articulent les vignettes), ses histoires ne sont pas de simples romans illustrés car « les composants de la narration verbo-iconique sont indissociables[11] » : sans le dessin, le texte n'aurait pas de sens, mais ce dernier aide à faciliter la compréhension de l'histoire. Loin d'être une simple juxtaposition de textes et d'images, elles sont donc intéressantes de par leur caractère mixte (narration-illustration), ce qui suffit à les caractériser comme bandes dessinées, bien que la narration soit encore fortement assujettie au texte.

La bande dessinée est souvent vue comme un art à la croisée de l’écriture littéraire et de l’écriture graphique[12]. C’est la vision de l’inventeur de la bande dessinée que décrit Töpffer dans la préface de L'Histoire de Monsieur Jabot : « Ce petit livre est d’une nature mixte. Il se compose de dessins autographiés au trait. Chacun des dessins est accompagné d'une ou deux lignes de texte. Les dessins, sans le texte, n’auraient qu’une signification obscure ; le texte, sans les dessins, ne signifierait rien. Le tout ensemble forme une sorte de roman d’autant plus original qu’il ne ressemble pas mieux à un roman qu’à autre chose[13]. »

En avril 2021, le jury des prix Eisner, la principale récompense américaine de bande dessinée, fait entrer Töpffer à titre posthume dans son temple de la renommée[14].

Satiriste[modifier | modifier le code]

Histoire de Monsieur Cryptogame.

Dans l'article qu'il consacre en 1990 à Töpffer, Thierry Groensteen évoque à propos des huit héros de ses histoires une « typologie du ridicule »[15]. Dans la tradition des grands satiristes (de Juvénal à Boileau), Töpffer prend plaisir à observer les hommes pour mieux faire ressortir leurs défauts. « De tout temps [mon père et moi] avons fréquenté les places publiques, les carrefours ; (…) c'est le penchant de tous ceux qui, aimant à observer leurs semblables, se plaisent à les rencontrer nombreux, en rapport les uns avec les autres, et livrant à un observateur qu'ils ne remarquent point, dont ils ne se défient pas, le secret de leurs motifs, de leurs sentiments ou de leurs passions[16]. »

« Histoire de monsieur Jabot » (1833, dessinée en 1831), inspirée par Le Bourgeois gentilhomme, met en scène « une sorte de bouffon sot et vaniteux qui, pour s'introduire dans le beau monde, en singe maladroitement les manières »[15]. Dans « Histoire de monsieur Crépin » (1837, dessinée en 1827), Töpffer se moque de la pédagogie à système, faisant défiler des précepteurs inefficaces dont les méthodes sont toujours basées sur un principe unique. La succession des maîtres se double d'une progression vers l'absurde, le dernier pédagogue présentant un système d'éducation basé sur le nombre de bosses présentes sur le crâne des enfants. Les Amours de monsieur Vieux Bois (1837, dessinée vers 1827) est une variation sur le thème de l'amoureux éconduit ; Monsieur Pencil (1840) sur l'aveuglement des artistes, savants et hommes politiques imbus d'eux-mêmes.

Planche 24 de l'Histoire d'Albert.

« Histoire d'Albert » (1845, dessinée en 1844), directement dirigée contre James Fazy, fondateur du Parti Radical, est la seule histoire de Töpffer faisant référence au contexte politique de l'époque ; Albert est un dilettante s'enrichissant en fondant un journal qui met Genève à feu et à sang. Töpffer a publié cette histoire autographique sous le nom de Simon de Nantua. Les clefs d'interprétation sont transparentes : Simon, l'exact contraire d'Albert, croise celui-ci à la planche 30 où il tente de le remettre dans le droit chemin[17].

Ses deux autres bandes dessinées publiées de son vivant, moins satiriques, présentent toujours des personnages ridicules : Docteur Festus (1840, dessinée en 1829) présente le voyage à dos de mulet accompli par un professeur à des fins d'instruction, prétexte à une succession d'aventures rocambolesques, tandis qu’Histoire de monsieur Cryptogame (1846, dessinée en 1830) lui permet de mettre de nouveau en scène des amours contrariées. Monsieur Trictrac (publiée en 1937 mais réalisée en 1830) est une charge contre le corps médical, qui reconnaît Trictrac particulièrement changé dans les diverses personnes qui ont pris sa place alors qu'il est parti à la recherche des sources du Nil.

Ses cibles favorites, les forces de l'ordre et les savants[18] étaient déjà très prisées des caricaturistes : l'utilisation de l'archétype permet à Töpffer de créer des histoires peu vraisemblables, et d'autant plus plaisantes. Son comique, basé sur l'accumulation, la gradation vers l'absurde, liées à un rythme narratif très élevé, et surtout l'erreur d'interprétation des signes, se rattache à la comédie classique. Si les moyens sont classiques, ils sont cependant rénovés par leur application à un nouvel art : le mélange de la séquentialité à un dessin très caricatural et lâche permet d'augmenter une impression d'incohérence. Les audaces de mise en page, témoignant de la grande aisance de Töpffer avec un art qu'il vient pourtant de créer, permettent à l'auteur de créer un humour propre à la bande dessinée, comme en témoigne la 24e planche d’Albert.

Succès, plagiat, influence[modifier | modifier le code]

Monsieur Cryptogame autographié par Töpffer (à gauche) et xylographié par Cham (à droite).

Dès les premières versions manuscrites de ses bandes dessinées, pourtant encore hésitantes, celles-ci rencontrent un grand succès : Goethe déclare : « C'est vraiment trop drôle ! C'est étincelant de verve et d'esprit ! Quelques-unes de ces pages sont incomparables. S'il choisissait, à l'avenir, un sujet un peu moins frivole et devenait encore plus concis, il ferait des choses qui dépasseraient l'imagination »[19].

Ses manuscrits redessinés avec soin pour être édités en albums, tirés à 500 exemplaires à partir de 1833 par les éditions suisses Cherbuliez, sont régulièrement réédités du vivant de Töpffer[20], et très vite, sont contrefaits : les éditions parisiennes Aubert, de Charles Philipon propriétaire de Charivari, publient des Jabot, Crépin et Vieux Bois maladroitement redessinés dès 1839[21]. Cham, ayant Aubert comme éditeur, fait paraître la même année ses premières bandes dessinées, Histoire de Mr Lajaunisse et Histoire de Mr Lamélasse, directement inspirées de Töpffer. C'est ce même Cham, qui à la demande du cousin de Töpffer, Jacques-Julien Dubochet, et éditeur de L'Illustration, le premier magazine français d'actualité totalement illustré, grave les bois pour la prépublication du au de l’Histoire de monsieur Cryptogame. Il faut attendre 1860 pour que paraissent en France des éditions correctes, scrupuleusement redessinées par François Töpffer, son fils, chez Garnier Frères[22], qui ont une influence déterminante sur les grands auteurs de la fin du XIXe siècle, comme Christophe. En Allemagne, une édition bilingue comprenant six titres est publiée en 1846, élogieusement préfacée par Friedrich Theodor Vischer, revitalisant l'histoire illustrée allemande, incarnée alors par (Struwwelpeter d'Heinrich Hoffmann, 1845), et donnant l'idée de faire de la bande dessinée à des auteurs locaux comme Adolph Schrödter qui dessine en 1849 Herr Piepmeyer sur le scénario d'un député, Johann Detmold, directement inspiré de l’Histoire d'Albert. C'est Schrödter qui inspire à son tour Wilhelm Busch pour Max und Moritz[23].

À la fin de sa vie, Töpffer est très réputé et connu dans toute l'Europe : Monsieur Cryptogame est publié en 1846 en Grande-Bretagne, en Norvège, en Suède, en France, au Danemark et en Allemagne. Töpffer est traduit aux États-Unis, dès 1842, dans un supplément de Brother JonathanMonsieur Vieux Bois s'appelle Obadiah Oldbuck[24]. Selon l'historien Robert Beerbohm (en) qui en 2000 tombe sur un exemplaire de ce Obadiah Oldbuck, c'est la première bande dessinée éditée aux États-Unis[25]. Cette édition est une édition pirate car elle paraît sans que Töpffer en ait connaissance. Il en va de même pour les autres œuvres de Töpffer qui sont toutes publiées ainsi[26]. Au début du XXe siècle, Töpffer reste assez connu, comme en témoigne l'adaptation des Amours de M. Vieux Bois en dessin animé en 1920. Cependant, il est par la suite relativement oublié, la bande dessinée prenant une direction plus rigide, plus académique (comme chez Christophe, qui se réclame cependant ouvertement de l'influence de Töppfer[27], ou chez Joseph Pinchon), et n'est redécouvert que dans les années 1970.

Premier théoricien d'un art nouveau[modifier | modifier le code]

Essai de Physiognomonie.

Critique littéraire, érudit, Töpffer a immédiatement conscience d'inventer un art nouveau. Il écrit en 1833 dans la préface de l'Histoire de monsieur Jabot : « Ce petit livre est d'une nature mixte. Il se compose d'une série de dessins autographiés au trait. Chacun de ces dessins est accompagné d'une ou deux lignes de texte. Les dessins, sans ce texte, n'auraient qu'une signification obscure ; le texte, sans les dessins, ne signifierait rien. Le tout ensemble forme une sorte de roman d'autant plus original, qu'il ne ressemble pas mieux à un roman qu'à autre chose[28] ».

Töpffer, à la suite du lancement d'un concours (le programme), va dès janvier et en , livrer sur 48 pages, ses réflexions sur l'imagerie populaire pour souligner son rôle éducatif. La précocité de ses vues est particulièrement étonnante ainsi que la pertinence de ses analyses[29]. Elles précèdent de plus de trente ans l'Histoire de l'imagerie populaire de Champfleury.

En 1842, il fait paraître une notice sur la technique de l'autographie[30]. Ce petit volume in-8° format à l'italienne comporte 24 planches de dessins autographiés, moitié paysages moitié visages annonçant son essai de physiognomonie, pour démontrer les réelles qualités artistiques de cette technique de reproduction.

Considéré comme le premier théoricien de la bande dessinée[19], il publie en 1845 Essai de Physiognomonie[31], premier ouvrage théorique sur ce qui ne s'appelle alors pas encore la bande dessinée. La théorie töpfférienne se base principalement sur l'indissociabilité du texte et du dessin (la bande dessinée est un genre mixte et non composite) ; la facilité d'accès de la bande dessinée par rapport à la littérature, grâce à la concision et à sa clarté ; la conscience du développement futur de la bande dessinée[32] ; la centralité du personnage dans le récit ; la nécessité d'un dessin au trait autographié spontané, par opposition au relief (la gravure) et à la couleur (la peinture), afin de tendre au plus grand dynamisme narratif possible[33], d'où l'importance de la physiognomonie, et la nécessité de savoir construire des visages expressifs. Dans son Essai de physiognomonie, il prend l'exact contrepied de Johann Kaspar Lavater pour qui « la physiognomonie ou l'art de connaître les hommes » est « la science, la connaissance du rapport qui lie l'extérieur à l'intérieur, la surface visible à ce qu'elle couvre d'invisible ». Töpffer cherche dans la physiognomonie le moyen de dessiner des personnages typés exprimant clairement leur personnalité. Pour qu'une histoire en image « parle directement aux yeux », l'essentiel des évolutions narratives doit pouvoir se lire sur les faciès, indique Groensteen[34].

Œuvres[modifier | modifier le code]

Littérature[modifier | modifier le code]

Théâtre[modifier | modifier le code]

  • L'Artiste (1829)
  • Monsieur Briolet ou le dernier voyage d'un bourgeois.
  • Les Grimpions.
  • Les aventures de monsieur Croquemolle.
  • Les Deux Amis.
  • Les Quiproquo.
  • Monsieur Du Sourniquet.
  • Didon.

Nouvelles, romans épistolaires et essais critiques[modifier | modifier le code]

  • Harangues politiques de Démosthène (1824), édition scolaire de textes en grec ancien (BNF 31480204).
  • Réflexions et menus propos d'un peintre genevois (1830), 1er opuscule de douze.
  • Le Presbytère (1832, rééd. 1839), roman épistolaire.
  • La Peur (1833), nouvelle.
  • L'Homme qui s'ennuie (1833), nouvelle.
  • L'Héritage (1834).
  • Élisa et Widmer (1834).
  • Du progrès dans ses rapports avec le petit bourgeois (1835), éd. Le temps qu'il fait, 1983, 2001.
  • La Traversée (1837).
  • Les amours de Mr Vieux-Bois (1837).
  • Histoire de M. Jabot (1833).
  • Histoire de M. Crépin (1837).
  • Histoire d'Albert (1845).
  • Histoire de Jules (1838), comprenant Les Deux Prisonniers (1837), La Bibliothèque de mon oncle (1832) et Henriette (1837).
  • Nouvelles et Mélanges (1840).
  • Docteur Festus (1840), réécriture sous forme de roman de la littérature en estampes.
  • Monsieur Pencil (1840), réécriture sous forme de roman de la littérature en estampes.
  • Nouvelles genevoises (1841), préface de Xavier de Maistre, éditions Jacques-Julien Dubochet, Paris ; Paris, Charpentier, 1841.
  • Essai de physiognomonie (1845)
  • Rosa et Gertrude (1847), roman posthume.
  • Réflexions et menus propos d'un peintre genevois, éditions Jacques-Julien Dubochet, Paris (1848), édition regroupant les douze fascicules.
  • Essai sur le beau dans les arts, éditions Jacques-Julien Dubochet, Paris (1848).

Récits de voyage[modifier | modifier le code]

Tous les récits sont illustrés par l'auteur.

  • Voyage pittoresque au Grimsel (automne 1825).
  • Voyage dans les Alpes pour les progrès des Beaux-Arts, des Sciences et de l’Industrie à Chamonix ().
  • Voyage aquatico-historico-romantico-comico-comique dans le Nord Est jusqu’au Righi (automne 1826).
  • Voyage autour du lac de Genève ().
  • Voyage pittoresque, hyperbolique et hyperboréen (automne 1827).
  • Voyage à Chamonix avec accompagnement d’orgue et passage en velu ().
  • Voyage en Italie à la poursuite d’un passeport jusqu’à Milan (automne 1828).
  • Pèlerinage à la Grande Chartreuse ().
  • Voyage entre deux eaux jusqu’au Righi (automne 1829).
  • Voyage à Chamonix sous les hospices de St-Médard ().
  • Voyage à Turin (automne 1830).
  • Voyage à Lugano ().
  • Excursion dans les Alpes (automne 1832), le premier voyage lithographié.
  • Voyage à la Grande Chartreuse ().
  • Voyage à Milan (automne 1833).
  • Voyage à Gênes (automne 1834).
  • Voyage à Chamonix ().
  • Excursion dans l'Oberland bernois (automne 1835).
  • Voyage en zigzag par monts et par vaux, ou excursions d'un pensionnat en vacances dans les cantons suisses et sur le versant italien des Alpes jusqu’à Einsiedeln (été 1836).
  • Le col d'Anterne (1836), dans Nouvelles genevoises.
  • Le lac de Gers (1837), dans Nouvelles genevoises.
  • La vallée du Trient (1837), dans Nouvelles genevoises.
  • Voyage aux Alpes et en Italie jusqu’à Milan (été 1837).
  • Second voyage en zig-zag jusqu’à Coire (été 1838).
  • Le Grand Saint-Bernard (1839), dans Nouvelles genevoises.
  • Voyage de 1839 : Milan, Côme, Splugen (été 1839).
  • Voyage de 1840 jusqu’au Righi (été 1840).
  • Tour du lac ().
  • Voyage à Venise (été 1841).
  • Voyage autour du Mont Blanc jusqu’à Zermatt (été 1842), c'est son dernier voyage avec ses élèves.
  • Derniers voyages en zigzag I, Lausanne, Éditions Plaisir de Lire.
  • Derniers voyages en zigzag II, Lausanne, Éditions Plaisir de Lire.

Bandes dessinées[modifier | modifier le code]

Le recensement des « littératures en estampes » est l'œuvre de Thierry Groensteen[41].

Bandes dessinées publiées[modifier | modifier le code]

Publication Titre Création
(1833) 1835[42] Histoire de monsieur Jabot 1831
1837 Les Amours de monsieur Vieux Bois 1827
1837 Histoire de monsieur Crépin 1837 environ
1840 Docteur Festus 1829
1840 Monsieur Pencil 1831
1845 Histoire d'Albert 1844
1846[43] Histoire de monsieur Cryptogame 1830
1937[44] Monsieur Trictrac 1830

Bandes dessinées inachevées[modifier | modifier le code]

  • Histoire de monsieur Fluet et de ses quinze filles (dessinée avant 1837), 4 planches, 24 dessins.
  • Histoire de monsieur Vertpré et de mademoiselle d'Espagnac (dessinée entre 1830 et 1840), 4 planches, 26 dessins.
  • Histoire de monsieur de Boissec, 5 planches.
  • Monsieur Calicot, 11 dessins.

Archives[modifier | modifier le code]

  • Fonds : Papiers et collection de manuscrits et d'autographes isolés de Rodolphe Töpffer (1793-1911) [14 mètres linéaires, manuscrits d’œuvres publiées, dessins, papiers personnels, documents d'enseignement, correspondance personnelle et familiale]. Cote : CH-000007-9 CH BGE Ms. suppl. 1142-1260; Ms. suppl. 1638-1652; Ms. suppl. 147 et 441; Ms. fr. 310-313; Ms. fr. 9000, cotes diverses; Coll. Suz.. Genève : Bibliothèque de Genève (présentation en ligne).

Certains documents sont numérisés et consultables en ligne dans la base de données des manuscrits et archives privées de la Bibliothèque de Genève.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Archives d’État de Genève, E.C. Genève naissance 2, Images 61-62.
  2. Il était appelé le « Hogarth suisse ». Groensteen, 1990, p. 11.
  3. a b et c Groensteen et Peeters, 1994, p. XIV.
  4. Jean Pierre Chuard, 1993, p. 141.
  5. a b et c Société d'études töpffériennes.
  6. Groensteen, 1990, p. 12.
  7. Elles sont publiées à partir de 1833.
  8. Groensteen et Peeters, 1994, p. 83.
  9. Groensteen et Peeters, 1994, p. XVI.
  10. En 1818, Laurent-Pierre de Jussieu publie son ouvrage Simon de Nantua.
  11. Groensteen, 1990, p. 19.
  12. M. Alessandrini (1979).
  13. R. Töpffer, L'Histoire de Monsieur Jabot, Bibliothèque universelle de Genève, juin 1837, préface.
  14. (en) Heidi MacDonald, « 2021 Will Eisner Hall of Fame inductees announced », sur Comics Beat, .
  15. a et b Groensteen, 1990, p. 13.
  16. Cité par Daniel Baud-Bovy, Les Caricatures d'Adam Töpffer et la Restauration genevoise, 1917.
  17. Groensteen et Peeters, 1994, pp. 232-233.
  18. Qui seront aussi celles de bien des auteurs comiques postérieurs : de l'Inspecteur Croûton de Gil Jourdan aux agents de Quick et Flupke ; de Zorglub au Savant Cosinus ou au Professeur Tournesol.
  19. a et b https://www.bd2020.culture.gouv.fr/Actualites/Histoire-acceleree-de-la-bande-dessinee-le-9e-art-en-30-dates-cles.-De-1830-a-1928
  20. Le premier tirage de M. Vieux Bois est épuisé en un an.
  21. Pour des raisons techniques : Töpffer utilisait l'autographie, alors que les journaux français désirant le publier nécessitaient de passer par la xylographie, ce que l'auteur suisse ne pouvait se permettre à cause de ses problèmes oculaires.
  22. Groensteen et Peeters, 1994, p. XVII.
  23. Groensteen et Peeters, 1994, p. 135.
  24. (en) Randy Duncan et Matthew J. Smith, The Power of Comics : History, Form & Culture, New York, The Continuum International, , 346 p. (ISBN 978-0-8264-2936-0, lire en ligne).
  25. (en) Jean-Paul Gabilliet, Of Comics and Men : A Cultural History of American Comic Books, Univ. Press of Mississippi, , p. 3.
  26. Florian Rubis, « Comics From the Crypt to the Top : panorama des comics en français », DBD, no 61,‎ , p. 39 (ISSN 1951-4050).
  27. « Relisons le Sapeur Camember ! », sur ,.phylacterium.fr (consulté le ).
  28. T. Groensteen et B. Peeters, 1994, p. 161.
  29. Rodolphe Töpffer, « Réflexion à propos d'un programme », dans la Bibliothèque universelle de Genève, Genève (1836) reproduit pour partie dans T. Groensteen et B. Peeters, 1994, pp. 144-160.
  30. Rodolphe Töpffer, Essai d'autographie, reproduit dans T. Groensteen et B. Peeters, 1994, p. 166-173.
  31. Rodolphe Töpffer, Essai de physiognomonie, autographié chez Schmid, Genève (1845) reproduit dans T. Groensteen et B. Peeters, 1994, pp. 185-225.
  32. Il écrit à Sainte-Beuve le 29 décembre 1840 : « Il est certain que le genre est susceptible de donner des livres, des drames, des poèmes tout comme un autre, à quelques égards mieux qu'un autre, et je regrette que vos habiles et féconds artistes, Gavarni par exemple, et Daumier, ne l'aient pas tenté. Ils font des suites, c'est-à-dire des faces différentes d'une même idée ; ce sont des choses mises bout à bout, non des choses liées par une pensée. »
  33. Töpffer justifie son propos en évoquant la spontanéité des graffitis Pompéiens.
  34. Groensteen et Peeters, 1994, pp. 6-19.
  35. "Histoire de M. Crépin"
  36. "Histoire de M. Jabot"
  37. "Monsieur Pencil"
  38. "Les amours de Mr Vieux-Bois"
  39. "Le docteur Festus"
  40. "Histoire d'Albert"
  41. T. Groensteen et B. Peeters, 1994, pp. 227-237.
  42. (en) Kunzle, David, « The Gourary Töpffer Manuscript of Monsieur Jabot: A Question of Authenticity », European Comic Art 2.2,‎ , p. 173.
  43. Prépubliée dans L'Illustration sur une gravure de Cham en 1845.
  44. Histoire inachevée car les originaux ont été volés.

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages[modifier | modifier le code]

Articles[modifier | modifier le code]

  • Thierry Groensteen, « Au commencement était Töpffer », Le Collectionneur de bandes dessinées, no 64,‎ , p. 10-21.
  • David Kunzle, « Histoire de monsieur Cryptogame (1845) : une bande dessinée de Rodolphe Töpffer pour le grand public », dans Genava tome XXXII, 1984, p. 139-169.
  • Alain Rey, Les spectres de la bande, Éditions de Minuit, Paris, 1978, p. 19-24.
  • Arnaud Tripet, préface à Rodophe Töpffer, Nouvelles, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1986.
  • (en) Sergio C. Figueiredo, « The Rhetorical Invention of Comics: A Selection of Rodolphe Töpffer's Late Reflections on Composing Image-Text Narratives », Imagetext, Interdisciplinary Comics Studies, English Department at the University of Florida, vol. 8, no 4,‎ (ISSN 1549-6732, lire en ligne).
  • La rédaction et Thierry Groensteen (int.), « Rodolphe Töpffer a eu un jour cette idée folle d'inventer la BD », Tribune de Genève,‎ .
  • Corinne François Denève, « Étrangers en bande : voyage dans la Suisse de Rodolphe Töpfer », Théâtres du monde, Cahier hors série n° 5, La Comédie et l'étranger (dir. Jean-Claude Ternaux), Avignon Université, 2020, pp. 169-190. (ISSN 1162-7638)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]