Pigment — Wikipédia

Des pigments en vente sur un marché de Goa (Inde).

Un pigment est une substance chimique colorante insoluble dans le milieu qu'elle colore (PRV3). On peut associer, par mordançage, une teinture, soluble, à un sel métallique comme l'alun, pour former un pigment, insoluble[1].

Utilisés en art et dans l'industrie, les pigments se présentent sous la forme de poudres.

Ils peuvent être :

Un pigment peut être d'origine minérale ou organique, naturel ou synthétique.

En biologie, on appelle pigment les substances naturelles qui communiquent une couleur aux organismes vivants.

Définition[modifier | modifier le code]

Avec le développement de l'industrie des colorants, les auteurs ont éprouvé le besoin de définir avec plus de précision qu'auparavant les termes qu'ils emploient. Si le CNRTL définit le terme pigment comme « toute substance colorée quelle qu'en soit l'origine, la structure et la nature[2] », reflétant la variété des usages passés et présents, dans les textes scientifiques et techniques depuis le milieu du XXe siècle, cette définition correspond à colorant et

pigment désigne des matières insolubles utilisées en dispersion dans un milieu (PRV3, p. 181).

Cette définition s'applique aux pigments traités dans cet article.

Cependant, bien que, comme le signale le dictionnaire de l'Académie française, l'étymologie de pigment le rattache à la peinture[3], jusque dans les années 1930, pigment s'appliquait principalement aux substances biologiques colorant la peau, et les auteurs francophones employaient pour les matières colorantes de la peinture le mot couleurs, comme dans l'expression marchand de couleurs (PRV3, p. 181-182).

Pigments biologiques[modifier | modifier le code]

En médecine, en physiologie, anthropologie physique, le terme pigment désigne les substances qui communiquent une coloration plus ou moins sombre à la peau, principalement les mélanines.

En biologie, le terme recouvre plus généralement toutes les substances synthétisées par des organismes vivants qui leur donnent une couleur.

Structure des poudres[modifier | modifier le code]

Les pigments sont, généralement, des poudres. La finesse et la forme des grains peuvent changer assez considérablement la teinte du pigment broyé, en agissant sur la proportion de rayons lumineux réfléchis par la surface des grains par rapport à ceux qui les traversent.

La nature du liant peut aussi dans certains cas transformer radicalement leur apparence, à cause des phénomènes de réfraction.

Exemple — Le smalt :

Le pigment bleu datant de la Renaissance, le smalt, un verre teint en bleu par le cobalt, ne doit pas être broyé trop finement pour obtenir un bleu intense ; il donne des couleurs plus vives à l'eau qu'à l'huile (Ball 2010, p. 178).

Les grains peuvent être sphéroïdaux, lamellaires, en forme d'aiguilles ou n'avoir aucune forme bien définie (PRV3, p. 182-183). La forme influe sur la couleur. L'outremer véritable est moins violet que sa forme synthétique, le bleu Guimet, bien qu'ils soient chimiquement identiques ; c'est que le grain du bleu outremer de synthèse est plus arrondi[4].

La forme a plus encore d'influence pour les pigments pour peinture métallisée et pour les pigments nacrés, où la forme aplatie des grains et la réfraction jouent un rôle considérable.

La dimension des particules dépend des caractéristiques des pigments, et influe sur leur opacité et leur pouvoir colorant. Elle varie d'un facteur mille : de quelques dizaines de nanomètres pour les noirs de carbone à plusieurs dizaines de microns pour les plus grosses comme le rouge de cadmium (PRV3, p. 184).

Pigments d'origine naturelle[modifier | modifier le code]

Minéraux[modifier | modifier le code]

Ce sont les terres, ocres, lapis-lazuli, cinabre, oxydes de fer et de cuivre naturels, connus pour certains depuis la Préhistoire.

La préparation des pigments minéraux naturels consiste uniquement en un broyage. Traditionnellement il s'est fait au mortier et au pilon. Les poudres étaient moulées en trochisques qui étaient avant emploi broyés à la molette.

Plantes tinctoriales[modifier | modifier le code]

Les pigments biologiques extraits de plantes tinctoriales sont des composés organiques.

Le pigment est extrait de diverses parties constitutives de la plante : les feuilles (guède, chlorophylle (E140), anthocyanes (E163)), les racines (garance) ou l'écorce (quercitron).

Parmi les plantes tinctoriales les plus connues figurent :

Les pigments végétaux contiennent en général plusieurs colorants, mélangés. L'indigotier et la guède contiennent l'un et l'autre de l'indigotine ; mais la guède contient en plus des flavonoïdes, qui rapprochent du bleu-vert le pigment qu'on en tire, tandis que l'indigo contient un isomère de l'indigotine donnant une couleur rouge, et le pigment fabriqué à partir de la plante tire en général vers le bleu-violet.

Les couleurs des pigments végétaux varient aussi par l'association à des mordants et varient souvent selon l'acidité du milieu. La garance donne ainsi plusieurs gammes de rouge, du rouge-violacé au rouge-orangé.

Pigments d'origine animale[modifier | modifier le code]

Pigments synthétiques[modifier | modifier le code]

À partir du XIXe siècle, beaucoup de pigments naturels ont été reproduits par synthèse chimique. Le bleu Guimet reproduit l'outremer extrait du lapis-lazuli ; l'alizarine remplace la garance ; l'indanthrone l'indigo.

D'autres pigments de synthèse n'existent pas dans la nature, comme la fuchsine, la mauvéine, les pigments azoïques, les quinacridones, et de nombreux autres.

La fabrication de pigments et autres matières colorantes est un secteur important de l'industrie chimique.

Chimie minérale[modifier | modifier le code]

Les pigments de synthèse obtenus en chimie minérale sont issus de sulfures et oxydes métalliques, de fer, plomb, cadmium, chrome, cobalt, mercure ou titane. Certains pigments minéraux synthétiques sont connus depuis l'Antiquité (bleu égyptien, vermillon).

Chimie organique[modifier | modifier le code]

La chimie organique fournit les pigments les plus utilisés aujourd'hui : Pérylène (pigment), quinacridones, phtalocyanines, azoïques. Leur découverte date du XIXe siècle et ils ont été constamment améliorés depuis.

Classification et nomenclature[modifier | modifier le code]

Qualités principales[modifier | modifier le code]

Stabilité chimique
Certains pigments sont fugaces. D'une belle couleur peu après leur fabrication, ils se décomposent petit à petit. Les pigments sont soumis à l'action chimique des pigments voisins, du liant des peintures, de l'air. Seul le liant est au contact direct du pigment, dont l'exposition aux autres substances est faible et les transformations souvent lentes. Les œuvres d'art, conservées sur une longue période, montrent toutefois que la dégradation peut aller jusqu'à la destruction de l'ouvrage. Le noircissement des couleurs au plomb, la décoloration sous l'effet de l'hydrogène sulfuré présent en petite quantité dans l'air, sont des problèmes connus.
Résistance à la lumière
De nombreux pigments se décolorent lorsqu'ils sont exposés à la lumière. Les plus fugaces sont aujourd'hui éliminés des nuanciers. Après de nombreux déboires, depuis le milieu du XIXe siècle des marchands de couleurs ont effectué des essais, avec exposition au soleil parfois pendant cinquante ans, afin de déterminer la résistance des produits colorants. Aujourd'hui, les essais de vieillissement sont raccourcis par la possibilité de soumettre les échantillons à une exposition permanente à des rayonnements renforcés, notamment ultraviolets. Les progrès de la chimie ont aussi permis d'améliorer, par des modifications du procédé de fabrication, la solidité des pigments, maintenant disponibles avec une résistance à la lumière améliorée.
Miscibilité
Certains pigments réagissent entre eux, comme ceux à base de plomb (céruse, minium, massicot) qui noircissent au contact de couleurs contenant du soufre (cadmiums, outremer). On ne peut les mélanger dans une formulation.
Opacité
Selon la taille, la forme et l'indice de réfraction des particules, les pigments se classent sur une échelle d'opacité entre opaques, semi-opaques, semi-transparents ou transparents. Les grains gros (10 µm) et plats d'indice de réfraction élevé sont les plus couvrants, à masse de pigment égale. Le pouvoir couvrant, c'est-à-dire la surface qu'une unité de volume peut recouvrir de façon opaque, dépend du pigment, mais aussi de la formulation.
Pouvoir colorant
Certains pigments tachent le support de manière durable tandis que d'autres s'effacent facilement ; certains pâlissent rapidement en mélange avec du blanc de titane, tandis qu'une plus faible quantité d'autres suffit pour maintenir une coloration.

Nomenclature des pigments[modifier | modifier le code]

Les industriels, fabricants et utilisateurs de colorants, se réfèrent généralement à la nomenclature du Colour Index International publié depuis 1924. Son code commence par une lettre qui indique le mode de fabrication, N pour les colorants naturels, P pour les colorants synthétiques. Une ou deux lettres donnent ensuite la famille de couleur, et un numéro indique ensuite la référence précise, qui référence renvoie à une fiche d'information. Les données sur la chimie d'un colorant sont regroupées sur des fiches portant un numéro à 5 chiffres. Le Colour Index comprend aussi une liste de dénominations commerciales de chacun des colorants.

Les lettres des pigments identifiant le familles de couleurs, selon une terminologie anglaise, sont :

  • W = White (blanc) ;
  • O = Orange (orange) ;
  • R = Red (rouge) ;
  • Y = Yellow (jaune) ;
  • B = Blue (bleu) ;
  • G = Green (vert) ;
  • V = Violet - violets, bleus violacés, certains roses ;
  • Bk = Black (noir) ;
  • Br = Brown (brun).

Par exemple : PB29 correspond au Pigment Blue no 29, qui est le Bleu Guimet, version synthétique du bleu outremer (aluminosilicate de sodium). Les pigments naturels sont précédés de la lettre N a la place du P, par exemple le rouge carmin est NR4.

Lorsqu'une formulation comprend un mélange de pigments, chacun d'eux est mentionné : par exemple le gris de Payne est souvent PB15/PBk6.

Dénominations[modifier | modifier le code]

Les noms des couleurs modernes varient d’une marque à l’autre. On trouve ainsi dans nos nuanciers :

  • des appellations génériques (rouge vermillon, noir d’ivoire, terre de Sienne), même si le pigment n'est plus celui d'origine (naturel), mais son équivalent synthétique. Par exemple, le bleu indigo n'est plus le pigment NB1, issu de l'indigotier, mais son équivalent de synthèse (PB66) ;
  • des reprises de nom du pigment (bleu phtalo, vert de cobalt, rouge de quinacridone). C'est la manière la plus simple et fidèle d'appeler une couleur, mais certains noms compliqués (benzimidazolone, anthraquinonique) expliquent que cela ne puisse être généralisé ;
  • le nom du fabricant (vert Rowney, rouge Blockx) de l'inventeur (Vert de Hooker, Brun Van Dyck) ;
  • très souvent des noms de fantaisie plus ou moins sanctionnés par la tradition, comme Vert Véronèse, Magenta.

Quelques précisions :

  • de même qu'un même nom peut couvrir diverses compositions pigmentaires, un même pigment peut se retrouver sous des noms de couleur divers : un vert phtalocyanine (PG7) sera appelé vert Monestral (Daler-Rowney), vert cyanine (Pébéo), vert bleu Winsor (Winsor) ou vert phtalo (Lefranc, Talens) ;
  • beaucoup de couleurs gardent leur appellation d'origine alors qu'elles sont aujourd'hui obtenues à partir d'un mélange de différents pigments synthétiques : une couleur comme le jaune de Naples, ce jaune rosé obtenu à partir de plomb et de soufre, arrêté, car toxique, est aujourd'hui présent sous la forme de mélanges divers, plus ou moins approximatifs. Pour imiter parfaitement un pigment, et que le contretype donne la même couleur que l'original dans toutes les lumières, il faudrait que sa courbe de réflectance soit identique, et pour qu'il s'utilise identiquement, il faut que son pouvoir colorant et sa transparence soient similaires ;
  • certaines imitations n'en portent pas la mention (Imitation ou Hue) par le fabricant (carmin, laque de garance), même quand le pigment d’origine est encore disponible (terre verte, ocres) ;
  • certaines substitutions peuvent présenter des avantages : les terres de Sienne et d'ombre (PBr7) sont aujourd'hui souvent produites à partir d'équivalents de synthèse (PY42 et PR101), qui, dénués de manganèse, sont préférables lorsqu'utilisés à l'huile.

Pigments beaux-arts[modifier | modifier le code]

Voici quelques exemples de pigments utilisés dans les couleurs à l'huile (peinture à l'huile), à l'eau (gouache, aquarelle ), à l'acrylique (acrylique), à l'œuf (tempera), etc.

Inventaire du patrimoine culturel immatériel en France[modifier | modifier le code]

La fabrication de pigments à Bécherel *
Domaine Savoir-faire
Lieu d'inventaire Bretagne
Ille-et-Vilaine
Bécherel
* Descriptif officiel Ministère de la Culture (France)

La fabrication de pigments est un savoir-faire répertorié à l'Inventaire du patrimoine culturel immatériel en France[5] après une étude menée chez l'artisan François Perego de Bécherel en Bretagne.

Identification des pigments[modifier | modifier le code]

La question de l'identification des pigments se pose fréquemment dans les études archéologiques, dans les travaux de restauration de peinture[6], et dans d'autres disciplines.

Dans la restauration d'une œuvre d'art, on désire souvent éviter d'attirer l'attention sur le travail des restaurateurs. On ne peut, pour éviter qu'un raccord de peinture se voie, se fier à l'examen visuel en atelier. Quand les pigments utilisés sont différents, le métamérisme peut être parfait dans certaines conditions d'éclairage, et défectueux dans d'autre conditions. Ce problème ne peut se poser que si les pigments utilisés sont différents. Quand les archives ne renseignent pas sur les techniques que l'artiste a utilisées, que l'analyse spectrale de la couleur ne donne pas de renseignements suffisants, et que le budget le permet, on a recours à des techniques plus élaborées.

Quand on peut détruire l'échantillon, les méthodes ordinaires d'analyse chimique sont disponibles.

Souvent ce n'est pas le cas. La spectroscopie Raman et la goniospectrocolorimétrie permettent de déterminer la composition du pigment et la structure de ses particules[7].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Philip Ball (trad. Jacques Bonnet), Histoire vivante des couleurs : 5000 ans de peinture racontée par les pigments [« Bright Earth: The Invention of Colour »], Paris, Hazan,
  • François Delamarre et Bernard Guineau, Les matériaux de la couleur, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard / Sciences et techniques » (no 383), , 160 p. (ISBN 2-07-053478-2).
  • Bernard Guineau, Pigment et colorants de l'Antiquité et du Moyen Âge, Paris, CNRS, .
  • Jean Petit, Jacques Roire et Henri Valot, Encyclopédie de la peinture : formuler, fabriquer, appliquer, t. 1, Puteaux, EREC,
  • Jean Petit, Jacques Roire et Henri Valot, Encyclopédie de la peinture : formuler, fabriquer, appliquer, t. 2, Puteaux, EREC,
  • Jean Petit, Jacques Roire et Henri Valot, Encyclopédie de la peinture : formuler, fabriquer, appliquer, t. 3, Puteaux, EREC, notamment p. 181 « Pigments (généralités) ».

Liens externes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

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Références[modifier | modifier le code]

  1. Ball 2010, p. 92, 300etc.
  2. « Pigment », sur cnrtl.fr
  3. « Du latin pigmentum, « couleur pour peindre », lui-même dérivé de pingere, « peindre » », « Pigment, n.m. », sur cnrtl.fr.
  4. (en) Ogden Nicholas Rood, Modern chromatics with applications to art and industry, Londres, C. K. Paul, (lire en ligne), p. 293.
  5. Fiche d'inventaire de la Fabrication de pigments au patrimoine culturel immatériel français, sur culturecommunication.gouv.fr (consultée le 29 septembre 2015)
  6. Anita Hayem, Caractérisation de pigments sur des peintures de chevalet par méthodes optiques non-invasives : Thèse doctorale, Université de Cergy Pontoise, (lire en ligne).
  7. « Analyse des pigments », sur cnrs.fr (consulté le ).