Massacres hamidiens — Wikipédia

Massacres hamidiens
Image illustrative de l’article Massacres hamidiens
Massacres d'Erzurum, le 30 octobre 1895.

Date 1894-1897
Lieu Drapeau de l'Empire ottoman Empire ottoman
Victimes Arméniens, chrétiens syriaques, Assyriens
Type Tueries de masse, pillages, conversions forcées
Morts Entre 80 000 et 300 000
Auteurs Milices locales
Motif Persécution des Arméniens (en)

Les massacres hamidiens renvoient à la première série d'actes criminels de grande ampleur perpétrés contre les Arméniens de l'Empire ottoman. Ils eurent lieu entre 1894 et 1896 sous le règne du sultan Abdülhamid II, connu en Europe sous le nom de « Sultan Rouge » ou encore de « Grand Saigneur ». Le qualificatif fait référence au nom du sultan Abdülhamid II sous le règne duquel eurent lieu ces massacres. Bien que l'historiographie traditionnelle occidentale tende à lui attribuer ces massacres, le sultan en personne ne les a jamais commandés, le caractère spontané de ces tueries étant le résultat d'une action populaire et réactionnaire soutenue et/ou organisée par les milices locales[1]. Les massacres ont visé principalement les Arméniens, mais ont touché également des chrétiens syriaques, comme à Diyarbakır où la tuerie fit 25 000 morts[2].

Les massacres commencèrent en 1894 pour gagner en ampleur dans les années 1894-1895 et diminuer progressivement en 1897 devant la pression exercée par les condamnations internationales. Le nombre des victimes arméniennes n'est pas connu avec exactitude et se situerait selon les auteurs entre 80 000 et 300 000[3].

Contexte[modifier | modifier le code]

L'hostilité envers les Arméniens se nourrit de la position de plus en plus précaire de l'Empire ottoman au cours du dernier quart du XIXe siècle. Les Ottomans ont perdu les Balkans et doivent affronter des courants nationalistes exigeant l'autonomie, voire l'indépendance. Les Arméniens luttent depuis le début des années 1870 pour obtenir des réformes civiles et fiscales et d'une façon générale pour l'égalité des droits avec les musulmans. Les dirigeants ottomans y voient une menace pour le caractère islamique de l'empire et pour son existence même.

La victoire russe lors de la guerre de 1877-1878, associée à la crise financière que subit l'empire depuis 1873 et qui place celui-ci sous la quasi-tutelle fiscale des puissances occidentales suscitent des espoirs de libération chez les Arméniens. Mais le congrès de Berlin maintient la majorité des territoires arméniens sous le joug ottoman. Des agitations sociales ont lieu à Merzifon (1892) et à Tokat (1893) protestant contre l'usurpation des terres, le pillage des Kurdes et des Circassiens, les irrégularités dans la collecte des impôts, le refus d'accepter les chrétiens comme témoins dans les procès[4]. Le sultan n'était cependant pas prêt à renoncer à son pouvoir. L'historien turc et biographe d'Abdülhamid, Osman Nuri, observe que « la simple mention du mot “réforme” irrite Abdul Hamid, et excite ses instincts criminels »[5].

Les provinces orientales de l'Asie Mineure étaient une zone d'insécurité, eu égard à la faiblesse de l'empire. Des bandes d'irréguliers kurdes attaquaient régulièrement les villages arméniens. Faute de pouvoir y mettre un terme, le sultan Abdülhamid leur donnait une quasi-caution officielle. Ces bandits étaient connus sous le nom d'Alaylari Hamidiye (appartenant à Hamid).

Pour leur défense, les Arméniens s'organisent en formations révolutionnaires dans les années 1880 : le Dachnak, l'Arménakan, le Hentchak.

Révolte du Sassoun[modifier | modifier le code]

En 1894, des tensions naissent entre les agriculteurs arméniens et les tribus kurdes qui harcèlent les populations, signe précurseur d'un premier massacre[1]. Cette persécution renforce le sentiment nationaliste parmi les Arméniens. La première révolte notable de la résistance arménienne a lieu au Sassoun. Des militants Hentchak, Mihran Damadian, Hampartsoum Boyadjian et Hrayr, encouragent la résistance du fait de l'inaction du gouvernement contre la persécution et la double imposition fiscale exercée par l'État central turc et des féodaux kurdes. La Fédération révolutionnaire arménienne arme les habitants de la région. Les Arméniens font face à l'armée ottomane et aux irréguliers kurdes au Sassoun, mais doivent se rendre devant la supériorité des adversaires et l'assurance turque d'une amnistie qui ne sera jamais respectée[6].

Pour éliminer toute résistance, le gouverneur local incite les musulmans à se mobiliser contre les Arméniens. L'historien Lord Kinross écrit que les massacres de ce genre étaient souvent canalisés en rassemblant les musulmans dans la mosquée locale et en affirmant que les Arméniens avaient pour but de détruire l'islam[7]. La violence se répand et gagne rapidement la plupart des villes arméniennes.

Les massacres[modifier | modifier le code]

Cadavres d'enfants arméniens après les massacres d'Erzurum, le .

En , les grandes puissances (Royaume-Uni, France et Russie) interviennent auprès du sultan pour qu'il réduise les pouvoirs de l'Alaylari Hamidiye. Le , deux mille Arméniens défilent à Constantinople lors de la manifestation de Bab Ali et pétitionnent pour la mise en œuvre des réformes. La police ottomane disperse violemment la foule[8]. Aussitôt les massacres d'Arméniens éclatent à Constantinople, puis s'étendent aux autres provinces peuplées d'Arméniens : Bitlis, Diyarbakir, Erzeroum, Kharpout, Sivas, Trabzon et Van. Des milliers d'Arméniens sont tués par leurs voisins musulmans et les forces gouvernementales, et bien d'autres succombent pendant l'hiver froid de 1895-1896. La pire des atrocités a lieu à Ourfa où les troupes ottomanes brûlent la cathédrale arménienne dans laquelle se sont réfugiés trois mille Arméniens, et tirent sur ceux qui tentent de s'échapper[9].

Les tueries se poursuivent jusqu'en 1897. En trois ans, il y a entre 200 000 et 250 000 victimes, sans compter les pillages, dépossessions et enlèvements de femmes ; 350 villages sont rayés de la carte, 645 églises détruites[10]. Il faut considérer aussi que cent mille Arméniens choisissent l'exil dans les pays occidentaux ou en Russie et que quelques dizaines de milliers se réfugient dans les provinces occidentales de l'Empire ottoman[11]. Tous les révolutionnaires arméniens ont été tués ou se sont exilés en Russie. Le gouvernement ottoman dissout les mouvements politiques arméniens. Pour Vahakn Dadrian, ces massacres ont une dimension « proto-génocidaire » et constituent le prélude expérimental au génocide de 1915[10].

Certains groupes non-arméniens ont également été poursuivis pendant ces trois années. L'Alaylari Hamidiye a en effet perpétré des massacres d'Assyriens à Diyarbakir, Hasankeyef, Sivas et dans d'autres parties de l'Anatolie[12].

Réactions internationales[modifier | modifier le code]

Caricature du Sultan Abdülhamid II.
Caricature du sultan Abdülhamid II, à la suite des massacres hamidiens.

La nouvelle des massacres est largement rapportée en Europe et aux États-Unis et suscite de vives réactions de la part des gouvernements étrangers et des organisations humanitaires.

Jean Jaurès dénonce le massacre des populations arméniennes dans un discours à la Chambre des députés le [13],[14].

En 1896, au plus fort des massacres, Abdülhamid tente de limiter l'impact des protestations internationales. L'hebdomadaire américain Harper est interdit par la censure ottomane pour sa couverture des massacres.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b François Georgeon, Abdülhamid II. Le sultan calife, Paris, Fayard, , p. 292-293.
  2. (en) Michael Angold, Cambridge History of Christianity, vol. 5, Eastern Christianity, Anthony O’Mahony Éd., 2006, p. 512.
  3. (en) Taner Akçam (trad. du turc), A shameful act : the Armenian genocide and the question of Turkish responsibility, New York, Metropolitan Books, , 483 p. (ISBN 0-8050-7932-7), p. 42.
  4. Akçam 2006, p. 36.
  5. (en)Vahakn Dadrian, The History of the Armenian Genocide: Ethnic Conflict from the Balkans to Anatolia to the Caucasus, Oxford, Berghahn Books, 1995, p. 163.
  6. (hy) Mihran Kurdoghlian, Badmoutioun Hayots [« Histoire de l'Arménie »], vol. III, Athènes, Hradaragoutioun Azkayin Oussoumnagan Khorhourti, 1996, p. 42-44.
  7. (en) Lord Patrick Kinross, The Ottoman Centuries: The Rise and Fall of the Turkish Empire, New York, Morrow, 1977, p. 559.
  8. (en) Peter Balakian, The Burning Tigris : The Armenian Genocide and America's Response, New York, HarperCollins, , p. 57-58.
  9. (en) Hans-Lucas Kieser, « Ottoman Urfa and its Missionary Witnesses », dans Armenian Tigranakert/Diarbekir and Edessa/Urfa, p. 406.
  10. a et b Bernard Bruneteau, Le siècle des génocides, Armand Colin, , p. 51-53.
  11. Mikaël Nichanian, Détruire les Arméniens. Histoire d'un génocide, PUF 2015 p. 52
  12. (en) Hannibal Travis, « “Native Christians Massacred”: The Ottoman Genocide of the Assyrians during World War I », Genocide Studies and Prevention, vol. 1, no 3,‎ (lire en ligne).
  13. « Discours de Jean Jaurès à la Chambre des Députés, Paris, le 3 novembre 1896 », sur jaures.eu (consulté le ).
  14. Jean Jaurès, Il faut sauver les Arméniens, Mille et une nuits, 2006 (ISBN 978-2-84205-994-1), p. 13.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jean Jaurès, Il faut sauver les Arméniens, Mille et une nuits, 2006 (ISBN 978-2-84205-994-1).
  • Victor Bérard et Martin Melkonian, La politique du sultan — Les massacres des Arméniens : 1894-1896, coll. « Les Marches du Temps », 1897.
  • Gustave Meyrier, Les massacres de Diarbékir, correspondance diplomatique du vice-consul de France, 1894-1896, présentée et annotée par Claire Mouradian et Michel Durand-Meyrier, Paris, L'inventaire, 2000 (ISBN 2-910490-30-0).
  • Yves Ternon, Les Arméniens. Histoire d'un génocide, Paris, Seuil, [détail des éditions].
  • Jelle Verheij, 'Les frères de terre et d'eau': sur le rôle des Kurdes dans les massacres arméniens de 1894-1896, Bruinessen. M. & Blau, Joyce (eds), coll. « Islam des Kurdes » (edition thematique des Annales de l'autre Islam 5), 1998

Liens externes[modifier | modifier le code]