Mégenrage — Wikipédia

Le mégenrage est l'action de désigner une personne par un genre qui ne correspond pas à son identité de genre[1]. Il peut être volontaire ou accidentel. Les formes les plus courantes en sont l'utilisation de pronoms et d'accords qui ne sont pas ceux utilisés par la personne[2],[3], appeler une personne « madame » ou « monsieur » en contradiction avec son identité de genre[4], utiliser l'ancien prénom d'une personne trans[3] (pratique appelée morinommage ou deadnaming), ou encore insister pour qu'une personne se conforme aux normes d'un genre qui n'est pas le sien (par exemple dans l'utilisation des toilettes[5],[6]).

Personnes trans[modifier | modifier le code]

Les personnes trans subissent fréquemment le mégenrage avant leur transition, et même après pour beaucoup de ces personnes[7]. Les personnes trans sont fréquemment mégenrées par des membres du corps médical[8],[9], par la police, les médias, ou leurs camarades. Ces expériences ont été décrites comme humiliantes[10], blessantes, cruelles[11], et rendant les vies des personnes trans plus difficiles. Elles font partie du spectre des violences transphobes[12].

Une étude concernant 129 jeunes trans[13], publiée en 2018 dans le Journal of Adolescent Health (en), a déterminé que « pour chaque contexte social où [les personnes étaient appelées par leur nom choisi], il y avait une baisse statistiquement significative des symptômes dépressifs, des idées et des comportements suicidaires » chez les personnes trans[14]. Aucune causalité ne peut néanmoins être déduite de cette corrélation, et l'échantillon reste faible, mais même avec ces limites l'étude montre qu'il s'agit d'un important problème[14]. Mégenrer volontairement une personne trans est considéré comme extrêmement agressif par des personnes transgenres[11], constituant une violation du droit à la dignité[15], et est discriminatoire selon le tribunal des droits de la personne de Colombie-Britannique[16],[17].

Des chercheurs suisses et québécois avancent également que le mégenrage est une des oppressions qui contribueraient à la suicidalité particulièrement élevée chez les jeunes trans[15],[9].

Pour les personnes non binaires, le mégenrage peut s'éviter par des techniques de langage épicène, comme l'utilisation du point médian (« élu·e »), de néologismes comme iel ou de formules neutres[18].

De la même façon qu’il n’est pas souhaitable d’utiliser le morinom, des guides de styles journalistiques et des groupes de défenses des personnes LGBTQ+ recommandent d’utiliser les pronoms choisis par les personnes trans, même lorsqu’il est fait référence à des événements anciens les concernant, et même si ces événements sont plus anciens que la transition de la personne concernée[19],[20].

En France, l'association des journalistes lesbiennes, gays, bis, trans et intersexes, revendique le respect du « genre dans lequel la personne interviewée ou la personne dont on parle se définit »[21].

Droit par pays[modifier | modifier le code]

Canada[modifier | modifier le code]

Au Canada, l'identité ou l'expression de genre est l'un des motifs de discrimination prévus par les lois sur les droits de la personne des provinces (par ex. l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec)[22].

Le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a déjà condamné un employeur à payer un montant de 30 000 $ pour mégenrage[23]. Dans une affaire distincte, ce même tribunal a aussi condamné le militant Bill Whatcott à payer 55 000 $ à Morgane Oger, car Whatcott avait traité une personnalité politique transgenre de « mâle biologique qui a changé de nom […] après avoir adopté un style de vie de travesti »[24].

Dans l'arrêt Cinq-Mars c. Maxi/Loblaws Roberval inc[25], la Cour du Québec a condamné un employeur à une amende de 1 000 $ canadiens pour avoir tenu des propos discriminatoires sur l'identité de genre de son employée. L'employeuse avait qualifié son employée (dont le prénom est Danielle) de « jeune homme », puis avoir dit Danielle « Pour moi, t’es un gars, j’ai pas été voir dans tes culottes pour voir ce qu’il y avait dedans ». Le Tribunal a par ailleurs remarqué qu’en parlant de la demanderesse pendant son témoignage, que l’employeuse s’exprime presque tout le temps au « il » plutôt qu’au « elle ». Dans cette décision, la Cour du Québec décrit ainsi l'atteinte à la dignité: « Une atteinte au droit à la dignité se manifeste, entre autres, par le mépris et le manque de respect, et elle s’apprécie de façon objective, devant être évaluée dans le contexte précis qui est dénoncé pour atténuer le caractère abstrait du critère de la personne raisonnable »[26].

France[modifier | modifier le code]

La France n’a pas en 2024 de lois ni de jurisprudences spécifiques quant au mégenrage, malgré une tentative du député Raphaël Gérard en 2017 et 2019 pour faire entrer dans la loi l’obligation pour la communauté éducative de « respecter et faciliter l’usage du prénom et du pronom choisis par les élèves au regard de leur identité de genre »[27].

Le défenseur des droits dans sa décision-cadre de 2020 « recommande aux chefs d’établissement scolaire et d’enseignement supérieur de permettre aux mineurs et jeunes transgenres de se faire appeler par le prénom choisi , d’employer les pronoms correspondants […] »[28].

Le Conseil de l’Europe en 2010 publie des recommandations parmi lesquelles celle du nécessaire soutien de la communauté éducative aux élèves pour vivre en accord avec leur identité de genre[28],[29].

Une plainte a été déposée en 2023 à l’encontre de la féministe trans-exclusive Dora Moutot par Marie Cau (maire de Tilloy-lez-Marchiennes dans le Nord), le journaliste Hanneli Escurier et les associations LGBT+ Mousse et Stop Homophobie, pour « injures publiques envers une personne à raison de son identité de genre » et « provocation publique à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe », faisant suite entre autres à un usage volontaire de mauvais prénoms et pronoms[30].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Serano, Julia., Whipping girl : a transsexual woman on sexism and the scapegoating of femininity, Seal Press, (ISBN 978-0-7867-4791-7, 0-7867-4791-9 et 1-58005-154-5, OCLC 726734680, lire en ligne)
  2. Herman, JoAnne., Transgender explained for those who are not, AuthorHouse, (ISBN 978-1-4490-2957-9 et 1-4490-2957-4, OCLC 469762719, lire en ligne)
  3. a et b Bender-Baird, Kyla., Transgender employment experiences : gendered perceptions and the law, State University of New York Press, (ISBN 978-1-4619-0630-8, 1-4619-0630-X et 978-1-4384-3676-0, OCLC 756501393, lire en ligne)
  4. Atkins, Dawn., Looking queer : body image and identity in lesbian, bisexual, gay, and transgender communities, Haworth Press, (ISBN 1-56023-931-X, 978-1-56023-931-4 et 0-7890-0463-1, OCLC 38519315, lire en ligne)
  5. Arnaud Alessandrin, « La transphobie en France : insuffisance du droit et expériences de discrimination », Cahiers du Genre, vol. 60, no 1,‎ , p. 193 (ISSN 1165-3558 et 1968-3928, DOI 10.3917/cdge.060.0193, lire en ligne, consulté le )
  6. Arnaud Alessandrin, « « Mineurs trans » : de l’inconvénient de ne pas être pris en compte par les politiques publiques », Agora débats/jeunesses, vol. 73, no 2,‎ , p. 7 (ISSN 1268-5666 et 1968-3758, DOI 10.3917/agora.073.0007, lire en ligne, consulté le )
  7. Harrison, Kelby., Sexual deceit : the ethics of passing, Lexington Books, [2013] (ISBN 978-0-7391-7706-8, 0-7391-7706-0 et 1-299-55774-0, OCLC 842929903, présentation en ligne)
  8. (en) Y. Gavriel Ansara et Peter Hegarty, « Cisgenderism in psychology: pathologising and misgendering children from 1999 to 2008 », Psychology and Sexuality, vol. 3, no 2,‎ , p. 137–160 (ISSN 1941-9899 et 1941-9902, DOI 10.1080/19419899.2011.576696, lire en ligne, consulté le )
  9. a et b Denise Medico, Annie Pullen Sansfaçon, Gabriel Galantino et Adèle Zufferey, « « J’aimerais mourir. » Comprendre le désespoir chez les jeunes trans par le concept d’oppression développementale », Frontières, vol. 31, no 2,‎ (ISSN 1180-3479 et 1916-0976, DOI 10.7202/1070338ar, lire en ligne, consulté le )
  10. (en) Y. Gavriel Ansara, « Cisgenderism In Medical Settings: Challenging Structural Violence Through Collaborative Partnerships », dans Ian Rivers et Richard Ward, Out of the ordinary : representations of LGBT lives, Cambridge Scholars Pub, (ISBN 978-1-4438-3873-3 et 1-4438-3873-X, OCLC 836848876, lire en ligne), p. 93-111
  11. a et b (en-CA) « Gender Block: media misgendering and Chelsea Manning », sur This Magazine, (consulté le )
  12. « Transphobie: Le «mégenrage», une discrimination omniprésente dans le quotidien des personnes transgenres », sur www.20minutes.fr (consulté le )
  13. (en) Stephen T. Russell, Amanda M. Pollitt, Gu Li et Arnold H. Grossman, « Chosen Name Use Is Linked to Reduced Depressive Symptoms, Suicidal Ideation, and Suicidal Behavior Among Transgender Youth », Journal of Adolescent Health, vol. 63, no 4,‎ , p. 503–505 (PMID 29609917, PMCID PMC6165713, DOI 10.1016/j.jadohealth.2018.02.003, lire en ligne, consulté le )
  14. a et b (en) Stanley R. Vance, « The Importance of Getting the Name Right for Transgender and Other Gender Expansive Youth », Journal of Adolescent Health, vol. 63, no 4,‎ , p. 379–380 (DOI 10.1016/j.jadohealth.2018.07.022, lire en ligne, consulté le )
  15. a et b Florence Ashley, « Qui est-ille ? Le respect langagier des élèves non-binaires, aux limites du droit », Service social, vol. 63, no 2,‎ , p. 35–50 (ISSN 1708-1734, DOI 10.7202/1046498ar, lire en ligne, consulté le )
  16. « Dawson v. Vancouver Police | Human Rights Advisory Services », sur www.queensu.ca (consulté le )
  17. Ontario Human Right Commission, « Questions et réponses sur l’identité sexuelle et les pronoms » (consulté le )
  18. (en) Michaël Lessard et Suzanne Zaccour, « Quel genre de droit? Autopsie du sexisme dans la langue juridique (Autopsy of Sexism in Legal Language) », Revue de droit de l'Université Sherbrooke, Université Sherbrooke, no 227,‎ , p. 246 (lire en ligne, consulté le )
  19. (en) Glicksman, Eve, « Transgender terminology: It's complicated » [archive du ], sur www.apa.org (consulté le )
  20. (en) Preface: Fenway Health, « Glossary of Gender and Transgender Terms », sur web.archive.org (consulté le )
  21. « Respecter les personnes trans – AJL » (consulté le )
  22. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 10, <https://canlii.ca/t/19cq#art10>, consulté le 2021-10-31
  23. Radio-Canada : Mégenrer, une violation des droits de la personne. En ligne. Page consultée le 2021-10-31
  24. Oger v. Whatcott (No. 7), 2019 BCHRT 58
  25. 2022 QCCQ 416
  26. Cinq-Mars c. Maxi/Loblaws Roberval inc., 2022 QCCQ 416 (CanLII), , <https://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2022/2022qccq416/2022qccq416.html>, consulté le 2024-02-08
  27. « Lille : le suicide de Fouad, lycéenne transgenre, va-t-il faire bouger les lignes au sein de l’Éducation nationale ? », sur France 3 Hauts-de-France, (consulté le )
  28. a et b Défenseur des Droits, « Décision-Cadre du Défenseur des droits n°2020-136 » [PDF], sur juridique.defenseurdesdroits.fr,
  29. Conseil de l’Europe, « Recommandation CM/REC(2010)5 du Comité des Ministres aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre », sur search.coe.int, (consulté le )
  30. Cassandre Leray, « Des associations LGBT+ poursuivent Dora Moutot pour «injures et appel à la haine transphobes» », sur Libération (consulté le )