Loving v. Virginia — Wikipédia

Loving v. Virginia
Sceau de la Cour suprême des États-Unis
Cour suprême des États-Unis
Informations générales
Nom complet Richard Perry Loving, Mildred Jeter Loving v. Virginia
Soumis 1967
Décidé

Loving v. Virginia (« Loving contre l'État de Virginie ») est une décision de la Cour suprême des États-Unis (no 388 U.S. 1), arrêtée le . À l'unanimité des neuf juges, elle casse une décision de la Cour suprême de Virginie (en) et déclare comme anticonstitutionnelle la loi de cet État interdisant les mariages inter-raciaux. Plus largement, elle abroge toute loi qui apporterait des restrictions au droit au mariage en se fondant sur la race. De telles lois existaient alors dans seize États des États-Unis. Le nom des plaignants, les Loving, donne en anglais un double sens à l'intitulé de cet arrêt : Loving v. Virginia peut en effet être traduit littéralement par « L'Amour contre l'État de Virginie ».

Faits[modifier | modifier le code]

Les plaignants, Mildred Delores Jeter Loving[1], une femme d'ascendance afro-américaine et amérindienne et Richard Perry Loving[2], un ouvrier du bâtiment d'ascendance européenne[3], sont résidents en Virginie. Ils se sont mariés en à Washington[4], ayant quitté la Virginie pour échapper à une loi de cet État interdisant les mariages inter-raciaux, conformément au Racial Integrity Act de 1924 et aux articles de la loi de l'État de Virginie qui en découlent soit les articles 20–54 et 20–58[5],[6]. Le Racial Integrity Act de 1924 est un des volets d'une politique raciste voulant préserver la pureté raciale, éviter les processus dits de « dégénérescence », ainsi la même année, l'État de Virginie publie une loi autorisant la stérilisation des personnes en situation de handicap mental et autres marginaux, le Virginia Sterilization Act of 1924 (en), loi qui est entérinée par la décision du prise par la Cour suprême concernant la requête Buck v. Bell[7],[8].

À leur retour en Virginie, ils sont arrêtés chez eux au milieu de la nuit par le shérif du comté agissant sur une dénonciation anonyme. Accusés de violation de l'interdiction, ils plaident coupable, et sont condamnés à un an de prison, avec suspension de la sentence pour vingt-cinq ans à condition qu'ils quittent l'État de Virginie[9].

Le juge, Leon Bazile[10], reprend, pour justifier sa décision, une phrase de l'anthropologue du XVIIIe siècle, Johann Friedrich Blumenbach[11],[12] :

« Almighty God created the races white, black, yellow, malay and red, and he placed them on separate continents. And but for the interference with his arrangement there would be no cause for such marriages. The fact that he separated the races shows that he did not intend for the races to mix. »

— [13],[14].

« Dieu Tout-Puissant a créé les races blanches, noires, jaunes, malaises et rouges, et il les a placées sur des continents séparés. Et sans l'ingérence dans son arrangement, il n'y aurait aucune raison pour que de tels mariages aient lieu. Le fait qu'il ait séparé les races montre qu'il n'avait pas l'intention que les races se mélangent »

Les Loving déménagent à Washington et en 1963, entament une série de procès pour faire casser leur condamnation en s'appuyant sur le quatorzième amendement de la constitution des États-Unis ; Mildred Loving saisit le procureur général Robert Francis Kennedy qui soumet le cas à l'Union américaine pour les libertés civiles pour en vérifier la constitutionnalité, puis l'affaire remonte jusqu'à la Cour suprême fédérale[15],[16].

Décision[modifier | modifier le code]

Le la Cour suprême, sous la présidence d'Earl Warren[17],[18] casse le verdict dans une décision unanime des neuf juges, rejetant l'argument de l'État de Virginie selon lequel une loi interdisant aussi bien aux Noirs qu'aux Blancs d'épouser une personne d'une autre « race », et prévoyant des peines identiques pour des contrevenants noirs comme blancs, ne pouvait être considérée comme discriminatoire. Dans sa décision la cour écrit : « Le mariage est un des « droits civiques fondamentaux de l'homme », fondamentaux pour notre existence. Pour nier cette liberté fondamentale sur une base aussi intenable que les classifications raciales incorporées dans ces lois, des classifications si directement subversives au principe d'égalité au cœur du quatorzième amendement, privent assurément tous les citoyens de l'État d'une liberté sans procédure légale régulière (« due process of law »). Le quatorzième amendement requiert que la liberté de choix de se marier ne soit pas restreinte par des discriminations raciales. Sous notre constitution, la liberté d'épouser, ou de ne pas épouser, une personne d'une autre race réside dans l'individu et ne peut être réduite par l'État. »[19],[20],[21].

À la suite de cet arrêt de la Cour suprême des États-Unis, le nombre des mariages mixtes a connu une nette progression. Ainsi, selon les services du recensement, de 1970 à 2005 le nombre de mariages mixtes entre Afro-Américains et Blancs d'ascendance européenne est passé de 65 000 à 422 000[22]. Sur la période qui va de 1960 à 1992, le pourcentage de mariages mixtes (toutes ascendances confondues) est passé de 0,4 % à 2,2 %[23], pour atteindre les 17 % en 2015 dans les grandes zones métropolitaines des États-Unis[24].

Cela dit, malgré cette décision, certains États du sud conservèrent les textes prohibant les mariages mixtes, même s'ils n'étaient plus appliqués. Peu à peu ces textes furent abrogés. Le dernier État à avoir aboli les textes législatifs contre les mariages mixtes est l'État de l'Alabama en 2000, après l'organisation d'un référendum où 60 % des votants se prononce pour l'abrogation : c'est la fin des lois Jim Crow[25].

Suite[modifier | modifier le code]

Tombes de Mildred et Richard Loving à Central Point, dans le comté de Caroline en Virginie.

Richard et Mildred Loving retournent en Virginie après la décision de la Cour suprême. Ils ont trois enfants. Richard Loving est tué en 1975, à l'âge de quarante-deux ans, dans un accident de voiture provoqué par une personne ivre ; sa femme est grièvement blessée[9].

Le , pour les quarante ans de l'arrêt de la Cour suprême, elle publie une déclaration publique dans laquelle elle proclame[26] :

« Entourée comme je le suis par de merveilleux enfants et petits-enfants, pas un jour ne passe sans que je pense à Richard et à notre amour, notre droit de nous marier, et combien cela signifiait pour moi d'avoir la liberté d'épouser la personne précieuse pour moi, même si d'autres pensaient qu'il était le « mauvais genre de personne » pour m'épouser. Je crois que tous les Américains, quels que soient leur race, leur sexe, leur orientation sexuelle, doivent avoir la même liberté de mariage. Ce n'est pas l'affaire du gouvernement d'imposer les croyances religieuses de certains aux autres. Spécialement si ce faisant, il leur dénie leurs droits civiques. »

« Je ne suis toujours pas versée dans la politique, mais je suis fière que notre nom à Richard et à moi soit celui d'un arrêt de la Cour qui puisse favoriser l'amour, l'engagement, l'équité et la famille, ce que tant de personnes, noires ou blanches, jeunes ou vieilles, homo ou hétéros, recherchent dans la vie. Je suis pour la liberté de se marier pour tous. C'est de ça qu'il s'agit dans Loving (l'arrêt) et dans loving (l'amour). »

Mildred Loving décède des suites d'une pneumonie le à l'âge de 68 ans[27],[28],[29].

Les époux Loving reposent au cimetière de l’église baptiste St. Stephen de Central Point (Virginie) (en)[30].

Influences postérieures[modifier | modifier le code]

Pour le mariage entre personnes de même sexe[modifier | modifier le code]

L'arrêt Loving v. Virginia a été discuté dans le contexte du débat public sur le mariage homosexuel aux États-Unis. Selon le sociologue états-unisien Michael Rosenfeld, "au cours des dernières décennies, les unions interraciales et homosexuelles sont passées de l'invisibilité et de l'illégalité à la marginalité et à une acceptation sociale réticente"[31].

En 2006, dans l'affaire Hernandez v. Robles, l'opinion majoritaire de la Cour d’appel de New York (New York Court of Appeals) (en), la plus haute juridiction de l'État, a estimé que la Cour ne devait pas s'appuyer sur l'affaire Loving v. Virginia pour décider s'il existe un droit au mariage entre personnes de même sexe, car "le contexte historique de l'affaire Loving est différent de l'histoire qui sous-tend cette affaire"[32].

Toutefois, en 2015, dans l'arrêt Obergefell v. Hodges, la Cour suprême des États-Unis a invoqué l'arrêt Loving v. Virginia, entre autres, comme précédent pour affirmer que les États sont tenus d'autoriser les mariages entre personnes de même sexe en vertu de la clause de protection égale et de la clause d'application régulière de la Constitution des États-Unis[33].

La décision de la Cour dans l'arrêt Obergefell cite l'arrêt Loving près d'une douzaine de fois et se fonde sur les mêmes principes : l'égalité et le droit non énuméré (droit naturel) au mariage. Au cours de la plaidoirie, l'auteur éventuel de l'opinion majoritaire, le juge Anthony Kennedy, a fait remarquer que la décision jugeant la ségrégation raciale inconstitutionnelle et celle jugeant l'interdiction du mariage interracial inconstitutionnelle (à savoir les arrêts Brown v. Board of Education en 1954 et Loving v. Virginia en 1967) ont été rendues à environ 13 ans d'intervalle, tout comme la décision jugeant l'interdiction de l'activité sexuelle entre personnes de même sexe inconstitutionnelle et celle jugeant l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe inconstitutionnelle (à savoir les arrêts Lawrence v. Texas en 2003 et Obergefell v. Hodges en 2015)[34].

Dans la culture populaire[modifier | modifier le code]

Depuis 2004, une initiative est lancée pour faire du de chaque année le Loving Day (en)[15],[35],[36],[37].

Littérature[modifier | modifier le code]

En 2015, le journaliste français et spécialiste de la politique américaine, Gilles Biassette, publie un roman, L'Amour des Loving[15], inspiré de l'histoire des Loving et comprenant des éléments de fiction. Pour écrire ce livre, l'auteur a bénéficié en 2014 de la bourse hors les murs Stendhal de l'Institut français[38], et fait des recherches sur place, notamment en Virginie et à Washington.

Cinéma[modifier | modifier le code]

Un documentaire de Nancy Buirski (en), The Loving Story (2011), relatant la vie du couple à partir de témoignages et d'images d'archives, est plusieurs fois récompensé[39].

En 2016, Jeff Nichols réalise un film intitulé Loving[40] avec Joel Edgerton et Ruth Negga dans les rôles du couple Loving[41],[42].

L'histoire des Loving a fait l'objet en 1996 d'un téléfilm intitulé Mr. and Mrs. Loving (en), réalisé et scénarisé par Richard Friedenberg (en), avec Lela Rochon, Timothy Hutton (qui interprètent le couple Loving) et Ruby Dee[43],[44].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « Mildred Loving : American civil rights activist », sur Encyclopedia Britannica (consulté le ).
  2. (en) « Richard Loving », sur Biography (consulté le ).
  3. (en) « Loving v. Virginia », sur Encyclopedia Britannica (consulté le ).
  4. (en) « Loving v. Virginia (1967) », sur www.encyclopediavirginia.org (consulté le ).
  5. (en) Arica L. Coleman, « What You Didn’t Know About Loving v. Virginia », Time, (consulté le ).
  6. (en) « Eugenics, Race, and Marriage », sur Facing History and Ourselves (consulté le ).
  7. (en) « Buck v. Bell, 274 U.S. 200 (1927) », sur Justia Law (consulté le ).
  8. (en) Osagie K. Obasogie, « Why Loving v. Virginia Had Little to Do With Love », sur The Atlantic, (consulté le ).
  9. a et b (en) « Loving V. Virginia », sur HISTORY (consulté le ).
  10. (en) « Bazile, Leon M. (1890–1967) », sur www.encyclopediavirginia.org (consulté le ).
  11. (en) « Miscegeny Rules », sur Monica Ong (consulté le ).
  12. (en) « June 12, 1967: U.S. Supreme Court Invalidated Laws Prohibiting Interracial Marriage », sur Black Then, (consulté le ).
  13. (en) « Judge Leon M. Bazile, Indictment for Felony · Library of Virginia », sur lva.omeka.net (consulté le ).
  14. (en) Justice Leah Ward Sears & Sasha N. Greenberg, « The Love in Loving: Overcoming Artificial RacialBarriers », Notre Dame Law Review Online, volume 94-1,‎ (lire en ligne).
  15. a b et c Gilles Biassette, « Et l'Amérique dit "oui" à l'amour en noir et blanc », Vanity Fair, no 12,‎ , p. 62-64.
  16. (en) « 50 Years After Loving v. Virginia », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le ).
  17. (en) Marisa Peñaloza, « 'Illicit Cohabitation': Listen To 6 Stunning Moments From Loving V. Virginia », sur NPR.org, (consulté le ).
  18. (en) « Loving v. Virginia », sur law2.umkc.edu (consulté le ).
  19. (en) « Loving v. Virginia, 388 U.S. 1 (1967) », sur Justia Law (consulté le ).
  20. (en) « Loving et UX. v. Virginia.Appeal from the Supreme Court of Appeals of Virginia », sur Bibliothèque du Congrès.
  21. (en) « Loving v. Virginia », sur LII / Legal Information Institute (consulté le ).
  22. (en) Associated Press, « After 40 years, interracial marriage flourishing », sur MSNBC, (consulté le ).
  23. (en) « Table 1. Race of Wife by Race of Husband: 1960, 1970, 1980, 1991, and 1992 », sur Census Gov.
  24. (en) « Intermarriage across the U.S. by metro area », sur Pew Research Center’s Social & Demographic Trends Project (consulté le ).
  25. (en) Somini Sengupta, « November 5-11; Marry at Will », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le ).
  26. (en) Andrew Sullivan, « Mildred Loving, 40 Years Later », The Atlantic,‎ (lire en ligne).
  27. (en) « Mildred Loving », sur Biography (consulté le ).
  28. (en) Douglas Martin, « Mildred Loving, Who Battled Ban on Mixed-Race Marriage, Dies at 68 », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le ).
  29. (en) Phyl Newbeck, « Obituary: Mildred Loving », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
  30. (en) Sally Jacobs, « 50 Years Later, The Couple At The Heart of Loving v. Virginia Still Stirs Controversy », WGBH Educational Foundation, .
  31. (en-US) Lisa Trei, « Loving v. Virginia provides roadmap for same-sex marriage advocates | Stanford News Release » [« Loving v. Virginia fournit une feuille de route aux défenseurs du mariage homosexuel »] [archive du ], sur news.stanford.edu, (consulté le )
  32. (en-US) « Hernandez v Robles (2006 NY Slip Op 05239) » [archive du ], sur www.nycourts.gov, New York, (consulté le )
  33. (en-US) « Obergefell v. Hodges, 576 U.S. ___ (2015) » [archive du ], sur Justia Law,
  34. (en) Akhil Reed Amar, « Kennedy’s Gay Marriage Ruling Is the Brown v. Board of Education of Our Generation » [« L'arrêt Kennedy sur le mariage gay est le Brown contre Board of Education de notre génération. »] [archive du ], sur Slate Magazine,
  35. (en) « Celebrate Loving Day in June | Loving Day », sur www.lovingday.org (consulté le ).
  36. « L'Amérique de la diversité célèbre le « Loving Day ». Reportage. L'Amérique de la diversité célèbre le « Loving Day » », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le ).
  37. (en) Neely Tucker, « Loving Day Recalls a Time When the Union of a Man And a Woman Was Banned », Washington Post,‎ (lire en ligne).
  38. « Bienvenue à la Maison des écrivains et de la littérature », sur www.m-e-l.fr (consulté le ).
  39. « Icarus Films: The Loving Story », sur icarusfilms.com (consulté le )
  40. Marie-Cécile Naves, « Les Loving, ces amoureux qui ont changé l'histoire des Etats-Unis », Nouvel Obs,‎ (lire en ligne).
  41. Aurélien Ferenczi, « Berlinale : “Midnight special”, le nouveau Jeff Nichols qui en déroute plus d'un », sur telerama.fr, (consulté le ).
  42. (en) « Loving », sur American Civil Liberties Union (consulté le ).
  43. (en) Lisa D. Horowitz et Lisa D. Horowitz, « Mr. and Mrs. Loving », sur Variety, (consulté le ).
  44. (en) Patricia Brennan, « MR. AND MRS. LOVING' », Washington Post,‎ (lire en ligne).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles de revues[modifier | modifier le code]

  • (en) Walter Wadlington, « The Loving Case: Virginia's Anti-Miscegenation Statute in Historical Perspective », Virginia Law Review, Vol. 52, No. 7,‎ , p. 1189-1223 (lire en ligne),
  • (en) Peter Wallenstein, « The Right to Marry: Loving v. Virginia », OAH Magazine of History, Vol. 9, No. 2,,‎ , p. 37-41 (lire en ligne),
  • (en) Natalie A. Kaniel, « Loving v. Boren », Berkeley Technology Law Journal, Vol. 14, No. 1,‎ , p. 371-384 (lire en ligne),
  • (en) Jennifer Hoewe & Geri Alumit Zeldes, « Overturning Anti-Miscegenation Laws: News Media Coverage of the Lovings' Legal Case Against the State of Virginia », Journal of Black Studies, Vol. 43, No. 4,‎ , p. 427-443 (lire en ligne),

Essais et études[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]