Loi portant statut des Juifs — Wikipédia

La loi du « portant statut des Juifs », appelée par les historiens « premier statut des Juifs », est un décret-loi du régime de Vichy qui impose une définition biologique de la prétendue race juive. Cette loi est employée durant l'Occupation pour la mise en œuvre dans le cadre de la Révolution nationale d'une politique « raciale » antisémite. Elle précise les professions désormais interdites aux personnes répondant aux critères édictés.

Numérotée 28, elle précède d'un jour la « loi relative aux ressortissants étrangers de race juive » qui autorise et organise l'internement des Juifs étrangers et marque le début de la politique de collaboration du régime de Vichy à l'extermination des Juifs d'Europe. Ces deux « lois » sont parues simultanément au Journal officiel deux semaines plus tard, le .

Histoire[modifier | modifier le code]

La France subit le joug de l'Occupation allemande depuis le 21 juin 1940. Dès la fin septembre, s'annonce contre les Juifs " un train de mesures dues tantôt à l'administration militaire allemande, () tantôt aux autorités de l'Etat français."[1]. Dans un souci d'affirmer son autonomie vis-à-vis du vainqueur, l'Etat français entre en compétition avec lui pour instaurer des lois anti- juives. "Les politiques françaises et allemandes à l'égard des Juifs sont alors rivales, concurrentes. Elles se complètent ou se rejoignent à l'occasion. Elles se conjuguent et s'émulent, resserrant d'autant l'étau autour des Juifs, israélites, toutes catégories confondues"[1]

Projet de loi, annoté de la main de Pétain (page 1).
Projet de loi, annoté de la main de Pétain (page 2).

C'est dans ce contexte qu'est adoptée cette loi, signée par Pétain, Laval et 8 ministres[note 1]. Elle n'a pas été requise par les Allemands. On a longtemps considéré que le Garde des Sceaux , Raphaël Alibert avait été son principal initiateur[2]. Des travaux plus récents suggèrent que Pétain est intervenu sur le texte pour en durcir certaines dispositions.

Une du journal Le Matin
du .

Contenu du texte[modifier | modifier le code]

Une définition juridique de la qualité de "juif"[modifier | modifier le code]

L'article 1° définit le Juif : Est regardé comme juif "toute personne issue de trois grands parents de race juive ou de deux grands parents de la même race si son conjoint lui même est juif". Cette définition s'inspire du modèle fourni par la législation nazie de 1935[3]. Le paragraphe 5 de l'Ordonnance allemande du 14 novembre 1935 donne cette définition du Juif : "Celui qui, au point de vue racial, descend d'au moins trois grands-parents juifs". Mais la loi allemande fait également référence dans sa définition du Juif à "l'appartenance à la communauté religieuse juive", ce qui lui permet de caractériser les "demi-juifs". Le texte français n'y fait aucune référence et se borne à la notion de "race" inconnue du droit français. Cette imprécision des termes générera un contentieux devant les tribunaux français de la part de justiciables issus de mariages mixtes.

L'exclusion professionnelle[modifier | modifier le code]

Les articles suivants excluent les Juifs de la fonction publique. Cette exclusion est très large : elle concerne les principaux corps et les postes de responsabilité au sein de l'administration, mais aussi la magistrature, l'enseignement, les fonctions militaires. De plus, les Juifs sont exclus de la presse (sauf pour les publications scientifiques), du cinéma, de la radiodiffusion, du théâtre. Le texte annonce que des quotas seront établis pour limiter le nombre de Juifs exerçant une profession libérale.

Quelques dérogations sont prévues en faveur de ceux des anciens combattants dont l'action militaire a été récompensée : titulaires de la carte du combattant, ou ayant reçu une citation militaire ou la Légion d'honneur.

Il est également indiqué que des personnes ayant rendu "des services exceptionnels à l'État français" dans les domaines littéraire, scientifique ou artistique pourront être relevés de ces interdictions par décret motivé pris en Conseil d'État.

Les effets du texte[modifier | modifier le code]

Dans les semaines qui suivent l'adoption du texte, environ trois mille Juifs, selon l’historien Laurent Joly, sont exclus de la fonction publique. L’article 7 dispose qu’ils sont « admis à faire valoir leurs droits à la retraite s'ils remplissent les conditions de durée de service ; à une retraite proportionnelle s'ils ont au moins quinze ans de service ». Les autres se retrouvent donc privés de ressources.

Marque obligatoire bilingue allemand-français à afficher sur la devanture des entreprises juives, France, oct. 1940.

Promulgué sous le gouvernement Laval, ce premier statut des juifs est abrogé et remplacé durant le gouvernement Darlan par la loi dite « second statut des juifs » parue au Journal officiel le , qui rapporte l'appartenance à la « race juive » à la religion d'un grand parent et multiplie concomitamment les exceptions pour ceux qui ont rendu service à la nation et les interdictions pour les autres.

La loi s'applique à l'ensemble du territoire de l'État français mais en zone occupée, elle est doublée par les décrets de l'administration militaire allemande plus ou moins en conflit avec le ministère des affaires étrangères allemand. Elle concerne environ cent cinquante mille citoyens français, de religion juive ou pas, et autant d'étrangers.

Elle n'a pas d'application effective avant la mise en place opérationnelle à partir d' d'une police à même de la rendre exécutoire, le Commissariat général aux questions juives formellement créé un an plus tôt, mais a jeté les personnes visées dans une situation précaire. Elle provoque immédiatement l'exil ou la démission de certains, le recours à des prête noms dans quelques cabinets libéraux, à des emplois clandestins dans les sociétés de communication, tels les Studios de Boulogne. Dans l'Administration, des licenciements sont signifiés par des responsables zélés ou sous pression, tel l'administrateur de la Comédie Française par intérim Jacques Copeau dont le chef de la censure Hans Baumann obtient la démission parce qu'il n'a exclu que quinze personnels et trois pensionnaires, André Brunot, Béatrice Bretty et Robert Manuel. Ces chefs d'administration subissent des pressions de leur hiérarchie mais ne peuvent pas être sanctionnés judiciairement s'ils s'abstiennent tant qu'il n'y a pas de décret d'application.

Celui ci n'intervient que le et impose simultanément le port de l'Étoile jaune, provoquant un retournement de l'opinion publique même chez des antisémites avoués, comme en témoigne Marie Laurencin, retournement que renforce en août l'appel de Monseigneur Saliège, en septembre l'instauration du Service du travail obligatoire, en novembre l'enlisement de la Wehrmacht devant Stalingrad. Le décret d'application donne un cadre légal aux arrestations sporadiques puis à la participation de la police française en tant que principal agent aux rafles massives, celle du Vel d'hiv dès le , suivie de celle de Marseille le . Le , le statut des Juifs est complété par la loi sur l'aryanisation, qui organise la spoliation des biens possédés par les personnes tombant sous le coup du statut.

Source[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Stéphane Boiron, « Antisémites sans remords : les « bons motifs » des juristes de Vichy », Cités, Paris, Presses universitaires de France, no 36 « Le vertige du mal »,‎ , p. 37-50 (DOI 10.3917/cite.036.0037, lire en ligne).
  • Denis Broussolle, « L'élaboration du statut des Juifs de 1940 », Le Genre humain, Paris, Éditions du Seuil, nos 30-31 « Le droit antisémite de Vichy »,‎ , p. 115-139 (ISBN 978-2-02029-366-2, ISSN 0293-0277, lire en ligne).
  • Tal Bruttmann, Au bureau des affaires juives : l'administration française et l'application de la législation antisémite (1940-1944), Paris, La Découverte, coll. « L'espace de l'histoire », , 286 p. (ISBN 2-7071-4593-9, présentation en ligne).
  • Tal Bruttmann, « La mise en œuvre du statut des Juifs du 3 octobre 1940 », Archives Juives. Revue d'histoire des juifs de France, Paris, Les Belles Lettres, nos 41/1 « Les évictions professionnelles sous Vichy »,‎ 1er semestre 2008, p. 11-24 (lire en ligne).
  • Jérôme Cotillon (dir.), Raphaël Alibert, juriste engagé et homme d'influence à Vichy : actes du colloque organisé le 10 juin 2004, Paris, Economica, coll. « Histoire », , 272 p. (ISBN 978-2-7178-5683-5, présentation en ligne).
  • Dominique Gros, « Le « statut des juifs » et les manuels en usage dans les facultés de droit (1940-44) : de la description à la légitimation », Cultures et Conflits, Paris, L'Harmattan, nos 9/10 « La violence politique dans les démocraties européennes occidentales »,‎ , p. 139–174 (JSTOR 23698834).
  • Laurent Joly, « Tradition nationale et « emprunts doctrinaux » dans l'antisémitisme de Vichy », dans Michele Battini et Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), Antisemitismi a confronto : Francia e Italia. Ideologie, retoriche, politiche, Pise, Edizioni Plus / Pisa University Press, , 199 p. (ISBN 978-8-88492-675-3), p. 139-154.
  • (en) Laurent Joly, « The Genesis of Vichy's Jewish Statute of October 1940 », Holocaust and Genocide Studies, vol. 27, no 2,‎ , p. 276–298 (ISSN 8756-6583, DOI 10.1093/hgs/dct027).
  • Michel Laffitte, « La question des « aménagements » du statut des juifs sous Vichy », dans Michele Battini et Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), Antisemitismi a confronto : Francia e Italia. Ideologie, retoriche, politiche, Pise, Edizioni Plus / Pisa University Press, , 199 p. (ISBN 978-8-88492-675-3), p. 179-194.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et Références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. La liste avec accès aux articles est disponible sur Wikisource (lien ci-dessous)

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Renée Poznanski, Etre juif en France pendant la seconde guerre mondiale, Paris, Hachette, , 859 p., p. 66
  2. KASPI, Les Juifs pendant l'Occupation, Paris, Editions du Seuil, , 423 p., p. 54.
  3. Raul Hilberg, la destruction des Juifs d'Europe T1, Paris, Fayard, , p. 61 à 74
  4. République française, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 18 octobre 1940, (lire en ligne), p. 5323