Loi de réciprocité quadratique — Wikipédia

En mathématiques, en particulier en théorie des nombres, la loi de réciprocité quadratique, établit des liens entre les nombres premiers ; plus précisément, elle décrit la possibilité d'exprimer un nombre premier comme un carré modulo un autre nombre premier. Conjecturée par Euler[1] et reformulée par Legendre[α], elle a été correctement démontrée pour la première fois par Gauss en 1801[2].

Elle permet de résoudre les deux problèmes de base de la théorie des résidus quadratiques[3] :

  • étant donné un nombre premier p, déterminer, parmi les entiers, lesquels sont des carrés modulo p et lesquels n'en sont pas ;
  • étant donné un entier n, déterminer, parmi les nombres premiers, modulo lesquels n est un carré et modulo lesquels il n'en est pas un.

Elle est considérée comme un des théorèmes les plus importants de la théorie des nombres, et a de nombreuses généralisations.

Énoncés[modifier | modifier le code]

L'énoncé complet de Gauss comporte trois assertions : le « théorème fondamental » pour deux nombres premiers impairs et deux « lois complémentaires ». Il faut toutefois observer que si la première loi complémentaire est effectivement une loi de réciprocité, la seconde loi complémentaire ne l'est pas ; en effet, avec la notation de Legendre définie ci-dessous, la première loi complémentaire équivaut bien à

c'est-à-dire que –1 se comporte effectivement comme un nombre premier vis-à-vis de la loi de réciprocité quadratique. Il n'en est pas de même du nombre 2, dont la résiduité modulo p est simplement caractérisée par la seconde loi complémentaire : la loi de réciprocité est essentiellement un théorème concernant les nombres impairs en général, et c'est de fait à ces nombres qu'elle se généralise par le symbole de Jacobi, puis par celui de Kronecker.

Premier énoncé[modifier | modifier le code]

Théorème fondamental
Étant donnés deux nombres premiers impairs distincts p et q :

Plus explicitement : l'équation (d'inconnue x) x2p mod q a une solution si et seulement si l'équation (d'inconnue y) y2q mod p a une solution.

  • si p et q sont congrus à 3 modulo 4, alors p est un carré modulo q si et seulement si q n'est pas un carré modulo p.

Plus explicitement : l'équation x2p mod q a une solution si et seulement si l'équation y2q mod p n'a pas de solution.

Première loi complémentaire
–1 est un carré modulo p si et seulement si p est congru à 1 modulo 4.
Deuxième loi complémentaire
2 est un carré modulo p si et seulement si p est congru à 1 ou –1 modulo 8.

Symbole de Legendre[modifier | modifier le code]

En utilisant le symbole de Legendre, ces trois énoncés peuvent être résumés respectivement par :

Théorème fondamental
, autrement dit sauf si p et q sont tous deux congrus à –1 mod 4, auquel cas .
Première loi complémentaire
.
Deuxième loi complémentaire
.

Exemples[modifier | modifier le code]

  • Modulo q = 3, le seul carré non nul est (±1)2 = 1. La loi de réciprocité quadratique (jointe à sa première loi complémentaire) fournit donc, pour tout nombre premier p différent de 2 et 3, l'équivalence :
    .
    Cette équivalence se démontre plus directement[β],[γ] : l'entier p – 1 est un multiple de 3 si et seulement si[δ] (ℤ/pℤ)* contient un élément d'ordre 3, c'est-à-dire une racine du polynôme X2 + X + 1. Cela équivaut à l'existence dans ℤ/pℤ d'une racine carrée du discriminant –3 de ce polynôme.
  • Modulo q = 5, les carrés non nuls sont (±1)2 = 1 et (±2)2 ≡ –1. La loi de réciprocité quadratique fournit donc, pour tout nombre premier p différent de 2 et 5, l'équivalence[ε] :
    Mais dès 1775, Lagrange, parmi ses nombreux cas particuliers de la loi de réciprocité — fruits de son étude des formes quadratiques binaires — démontra le sens direct[4] (⇒) et étendit la réciproque (⇐)[ζ] au cas où p n'est pas premier[5]. Gauss, en préambule à sa première démonstration de la loi générale, fit de même[6].
  • Déterminons si 219 est un carré modulo 383[7]. La multiplicativité du symbole de Legendre montre que :.

Le théorème fondamental permet de simplifier les deux facteurs :. À nouveau par multiplicativité du symbole de Legendre, on simplifie encore le second facteur : .On conclut à l'aide des deux lois complémentaires : comme et , . Par conséquent, 219 est un carré modulo 383.

  • Déterminons modulo quels nombres premiers p > 3 l'entier 3 est un carré[8]. D'après le théorème fondamental,

,

or dépend de p mod 3 et dépend de p mod 4. On trouve ainsi que

Démonstrations de la loi de réciprocité quadratique[modifier | modifier le code]

Dans un livre publié en 2000[9], Franz Lemmermeyer expose l'histoire mathématique des lois de réciprocité en couvrant leurs développements et rassemble des citations de la littérature pour 344 différentes démonstrations[10] du théorème fondamental.

Les premières démonstrations de ce dernier aujourd'hui considérées comme complètes sont publiées par Gauss dans ses Disquisitiones arithmeticae en 1801. Gauss disposait des preuves dès 1796 (à l'âge de dix-neuf ans). La première de ces preuves repose sur un raisonnement par récurrence. Dans sa correspondance avec Gotthold Eisenstein, Gauss qualifie cette première preuve de laborieuse[11]. Ses troisième et cinquième preuves reposent sur le lemme de Gauss, qu'il démontra à cette occasion[10].

La démonstration originale de Gauss utilise les mêmes techniques que celles exposées dans la première preuve de la deuxième loi complémentaire ci-dessous, et quoique considérée comme un peu laborieuse par beaucoup, elle est en fait très naturelle et peut être largement simplifiée (Dirichlet). Gauss suppose par induction la loi vraie pour les nombres premiers p, q inférieurs à N. Il utilise constamment des équations de base telles que p = c2kq (si par exemple p est supposé résidu modulo q), pour démontrer que les facteurs premiers r divisant k sont résidus ou non résidus modulo p, ce qui permet d'en déduire la résiduité de q modulo p (voir la preuve de la deuxième loi complémentaire ci-dessous pour mieux saisir l'idée). Évidemment, il faut constamment utiliser les symétries logiques pour faire jouer l'induction, et examiner cas par cas.

Mais lorsque toutes les symétries ont été mises à profit, il reste encore un cas qui échappe à l'induction: c'est celui où p > q et p est congru à 1 modulo 4. C'est là que Gauss a l'idée digne de son génie d'utiliser comme levier un autre nombre premier q' < p tel que p est non résidu modulo q'. En supposant alors par l'absurde que p est résidu modulo q mais q non résidu modulo p, on en déduit que q' est non résidu modulo p et l'on a l'équation de base qq' = c2kp, ce qui permet de faire jouer l'induction et de terminer la preuve.

Il reste donc à démontrer que pour tout nombre premier p congru à 1 modulo 4, il existe un nombre premier q' < p tel que p est non résidu modulo q'[12]. C'est en fait la difficulté essentielle de la démonstration de la loi de réciprocité quadratique, et Gauss avoue que la preuve de ce résultat lui a longtemps résisté[13]. Il s'en tire néanmoins par un mini tour de force (numéros 126, 127, 128, 129 des Disquisitiones), en se servant accessoirement d'un lemme injustement tombé dans l’oubli, qu'il démontre facilement par induction et qui mérite d'être cité :

Si A, B, C, D... et A', B', C', D'... sont deux suites de nombres (ne comportant pas forcément le même nombre de termes) et si, pour tout nombre premier p et tout entier n > 0, le nombre des termes de la première suite divisibles par pn est au moins aussi grand que celui des termes de la seconde suite divisibles par ce même nombre, alors le produit des A, B, C... est divisible par le produit des A', B', C'...

Par exemple, si a est un entier relatif et n un entier positif, en observant[14] que le nombre des termes divisible par un entier positif quelconque k dans la suite a, a + 1, a + 2, … , a + n – 1 est au moins aussi grand que celui des termes divisibles par k dans la suite des nombres 1, 2, 3, … , n, on en conclut que a(a + 1)(a + 2)…(a + n – 1)/1.2…n est un entier, chose déjà connue par la combinatoire, mais qui reçoit par là une démonstration numérique pure (due à Gauss). C'est d'ailleurs peut être cet exemple qui a donné à Gauss l'idée de faire jouer la factorielle dans sa preuve du résultat ci-dessus.

Comme indiqué précédemment, les démonstrations de la loi de réciprocité quadratique sont légion. En particulier, citons-en deux.

Généralisations[modifier | modifier le code]

Il existe des lois de réciprocité cubique, biquadratique (en) (c'est-à-dire de degré 4) et ainsi de suite. Cependant, la véritable généralisation de toutes ces lois — généralisation monumentale — est la théorie des corps de classes. Voir « Neuvième problème de Hilbert ».

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Il croit l'avoir démontrée (A.-M. Legendre, « Recherches d'analyse indéterminée », Histoire de l'Académie royale des sciences de Paris, 1785, p. 465-559 : démonstration p. 516-520, reprise dans Essai sur la théorie des nombres, 1798) mais Gauss (trad. du latin par Antoine Charles Marcelin Poullet-Delisle), Recherches arithmétiques [« Disquisitiones arithmeticae »], (1re éd. 1801) (lire sur Wikisource), § 296-297, analyse les failles. La première est que Legendre admet à plusieurs reprises le théorème de la progression arithmétique, question qui s'avère encore plus difficile que celle de la réciprocité quadratique et ne sera démontrée qu'en 1837. Legendre percevait cette première difficulté (p. 552) mais crut dès 1808 l'avoir résolue. Une autre faille était « un imbroglio de raisonnement circulaire. […] Lors de la 3e édition (1830) de son Essai, il y avait eu suffisamment de critiques de la preuve de Legendre pour qu'il ajoute la 3e preuve de Gauss de la réciprocité, ainsi qu'une communiquée par Jacobi (tout en maintenant que sa première preuve était valide). » ((en) David A. Cox, Primes of the Form x2 + ny2, Wiley, (1re éd. 1989) (lire en ligne), p. 39).
  2. Voir par exemple l'exercice corrigé 4-11 de la leçon « Introduction à la théorie des nombres » sur Wikiversité.
  3. La réciproque (⇐), utile dans la détermination des nombres premiers d'Eisenstein, peut aussi se déduire de la factorialité de ℤ[j].
  4. Par exemple parce que (ℤ/pℤ)* est cyclique d'ordre p – 1, ou encore d'après le lemme de Cauchy. Pour d'autres arguments, voir l'exercice 4-11 précité.
  5. Pour une preuve directe de cette équivalence, dans le même esprit que la précédente, voir par exemple l'exercice corrigé 4-12 de la leçon « Introduction à la théorie des nombres » sur Wikiversité.
  6. Cette réciproque, utile dans la détermination des irréductibles de ℤ[φ], peut aussi se déduire de la factorialité de cet anneau.
  7. Pour une preuve analogue de la deuxième loi complémentaire, voir par exemple (en) Kenneth Ireland et Michael Rosen, A Classical Introduction to Modern Number Theory, coll. « GTM » (no 84) (lire en ligne), p. 69-70, ou l'exercice corrigé 4-8 de la leçon « Introduction à la théorie des nombres » sur Wikiversité.
  8. Voir aussi « Théorème des deux carrés de Fermat ».

Références[modifier | modifier le code]

  1. (la) « Observationes circa divisionem quadratorum per numeros primos (E552) », (écrit en 1772).
  2. Gauss 1801, § 125-151 et 262.
  3. (en) Tom M. Apostol, Introduction to Analytic Number Theory, Springer, (lire en ligne), p. 178.
  4. J.-L. Lagrange, « Recherches d'arithmétique (suite) », Mémoires de l'Académie de Berlin,‎ , p. 323-356 rééd. Joseph-Alfred Serret, Œuvres de Lagrange, vol. III, Gauthier-Villars, (lire en ligne), p. 759-795.
  5. J.-L. Lagrange, « Recherches d'arithmétique », Mémoires de l'Académie de Berlin,‎ , p. 265-312 (Œuvres, III, p. 695-758, [lire en ligne]), établit plus précisément que « les diviseurs impairs des nombres de la forme t2 – 5u2 ou 5u2t2 sont en même temps de chacune de ces deux formes y2 – 5z2, 5z2y2. »
  6. Gauss 1801, § 123 et 121.
  7. Apostol 1976, p. 186-187, Example 1.
  8. Apostol 1976, p. 187, Example 2.
  9. Franz Lemmermeyer, Reciprocity laws : from Euler to Eisenstein, Springer, coll. « Springer Monographs in Mathematics », , xix+487 p. (ISBN 3-540-66957-4, zbMATH 0949.11002) ; recension dans P. Shiu, « Reciprocity laws: from Euler to Eisenstein, by Franz Lemmermeyer », The Mathematical Gazette, vol. 85, no 502,‎ , p. 171-172 (DOI 10.2307/3620530).
  10. a et b (en) Franz Lemmermeyer, « Proofs of the Quadratic Reciprocity Law », sur université de Heidelberg.
  11. (en) Reinhard Laubenbacher et David Pengelley, « Gauß, Eisenstein, and the "third" proof of the Quadratic Reciprocity Theorem: Ein kleines Schauspiel ».
  12. Ce résultat, intéressant par lui même, ne concerne pas seulement les nombres premiers congrus à 1 modulo 4, mais tous les nombres premiers en général, comme démontré par Gauss plus loin dans les Disquisitiones. Néanmoins, seul ce cas est nécessaire pour la démonstration par induction de la loi de réciprocité quadratique.
  13. En fait, le cas p congru à 5 modulo 8 est aisé, comme indiqué par Gauss. Mais c'est le cas p congru à 1 modulo 8 qui demande beaucoup plus d'ingéniosité.
  14. Notons ⌊x⌋ la partie entière d'un nombre réel x. Dans la suite 1, 2,..., n, le nombre des termes divisible par k est ⌊n/k⌋. Dans la suite a, a + 1, … , a + n – 1, c'est ⌊(a + n – 1)/k⌋ - ⌊(a - 1)/k⌋ = ⌊(a + n – 1)/k - ⌊(a – 1)/k⌋⌋ ≥ ⌊(a + n – 1)/k - (a – 1)/k⌋ = ⌊n/k⌋.
  15. (la) Gauss, « Theorematis fandamentalis in doctrina de residuis quadraticis demonstrationes et ampliationes novae », 1818.
  16. André Weil, « La cyclotomie jadis et naguère », Séminaire Bourbaki, vol. 16, no 452,‎ 1973-1974, p. 318-338 (lire en ligne), § 6.
  17. Pour le détail de cette preuve, voir par exemple le lien ci-dessous vers « Loi de réciprocité quadratique » sur Wikiversité.
  18. (de) G. Frobenius, « Über das quadratische Reziprozitätsgesetz II », Sitzungsberichte Berliner Akad.,‎ , p. 484-488 : voir l'exercice corrigé 4-13 de la leçon « Introduction à la théorie des nombres » sur Wikiversité.
  19. T. J. Stieltjes, « Sur le caractère quadratique du nombre 2 », Annales de la Faculté des sciences de Toulouse, 1re série, vol. 11, no 1,‎ , p. 5-8 (lire en ligne).
  20. (en) André Weil, Number Theory : An approach through history from Hammurapi to Legendre [détail des éditions], p. 212 et 85. Gauss 1801, § 116, fait donc erreur lorsqu'il affirme qu'Euler n'en possédait pas encore de démonstration « quand il a écrit la dissertation que renferme le T. 1 des Opuscula analyt., p. 259 », c'est-à-dire E449, p. 108.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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