Lavelua — Wikipédia

À Wallis-et-Futuna, Lavelua est le titre porté par le souverain (en wallisien hau, traduit en français par « roi »[1]) du royaume coutumier d'Uvea. Depuis 2016, le royaume a deux souverains rivaux. Le Lavelua actuel (reconnu par l’État français) est Patalione Takumasiva Aisake ; un autre Lavelua concurrent, Ma’utamakia Vaimu’a Halagahu, a été intronisé en 2016[2]. Les souverains wallisiens existent depuis plusieurs siècles, mais le nom Lavelua ne devient un titre royal qu'à partir du règne de Falakika Seilala (1858-1869).

Histoire[modifier | modifier le code]

Avant la conversion de l'île de Wallis au catholicisme par des missionnaires français dans les années 1840, le Lavelua détenait l'autorité suprême sur Uvea. « Il possédait le droit de vie et de mort sur ses sujets. Sa personne était tapu [sacrée] et on n'avait pas le droit de le toucher ni d'être placé au-dessus de lui »[1].

Naissance du titre[modifier | modifier le code]

La tradition orale relatant la naissance de la chefferie wallisienne a été compilée par un missionnaire, le père Henquel, au début du XXe siècle, dans l'ouvrage Talanoa ki Uvea[Scd 1]. Le royaume d'Uvea a eu de nombreux rois (hau), mais le titre de Lavelua n'apparaît qu'au XIXe siècle : c'est la reine Falakika Seilala (régnant de 1858 à 1869) qui transforme son nom en titre royal[3].

Transformation au contact des missionnaires[modifier | modifier le code]

Lorsque les missionnaires maristes débarquent à Wallis (1837) et convertissent la population (1842), ils cherchent rapidement à encadrer le pouvoir royal. L'objectif est à la fois d'asseoir l'autorité royale qui est leur alliée, mais également de protéger la population des influences extérieures. En 1842, des premiers documents signés par le roi Soane-Patita Vaimua Lavelua Ier demandent un protectorat français et règlent les rapports avec les étrangers ; en 1851, Pierre Bataillon diffuse un premier Code complété par une « Constitution du royaume de Wallis » en 1863[Scd 2]. Le protectorat de Wallis-et-Futuna est établi en 1887 et 1888.

Le Code Wallis (1871)[modifier | modifier le code]

En 1871, la reine Amelia Tokagahahau proclame le Code de Wallis (Tohi fono o Uvea). Rédigé par l'évêque Pierre Bataillon, ce texte législatif écrit en wallisien fixe la composition précise de la chefferie et consacre le rôle du roi comme chef suprême unique ('aliki hau). Ce dernier nomme les différents ministres coutumiers, dont le nombre et les titres sont définis : Kivalu, Mahe, Kulitea, Ulu'imonua, Fotuatamai et Mukoifenua[Scd 3]. Le code prévoit également que le roi nomme les chefs de districts (faipule) ainsi que les chefs de village (pule kolo)[Scd 4]. Sophie Chave-Dartoen explique que « c'est une monarchie de droit divin qui est ainsi mise en place »[Scd 3]. En effet, le roi et la chefferie doivent se soumettre à l'autorité du clergé ; la religion catholique est reconnue comme l'unique religion du pays[Scd 4]. Pour Chave-Dartoen, ce code permet de mettre fin aux rivalités et aux guerres entre les différentes familles royales en organisant la chefferie et le mode de désignation du souverain[Scd 4].

L'existence de ce code se perd rapidement car ni le résident Viala (1905-1909) ni Éric Rau, auteur d'une thèse sur « la vie juridique des indigènes des îles Wallis » en 1935 ne le connaissent[Scd 5]. « L'action missionnaire et ce code ont pourtant favorisé une synthèse durable qui fonde ce qui est aujourd'hui considéré comme la "coutume", la "tradition wallisienne" ('aga'ifenua) »[Scd 5].

Après 1961[modifier | modifier le code]

La loi no 61-814 du , qui transforme Wallis-et-Futuna en territoire d'outre-mer et met fin au protectorat, reconnaît à l'article 3 l'autorité coutumière :

« La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis-et-Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi »

Pour Sophie Chave-Dartoen, la formulation « respect de [...] leurs coutumes » fait référence à l'ensemble de la chefferie et des rois, sans plus de précision. Cela devait laisser place à un transfert progressif des pouvoirs coutumiers vers l'assemblée territoriale et un appareil administratif conséquent. Cependant, la loi de 1961 n'a pas changé et ce transfert de compétences ne s'est pas réalisé[Scd 6]. Tomasi Kulimoetoke II devient le premier souverain wallisien à avoir la nationalité française. Il accompagne ces transformations statutaires durant son long règne du 12 mars 1959 au 7 mai 2007.

Devenir Lavelua[modifier | modifier le code]

Les souverains wallisiens sont choisis au sein des familles royales ('aliki), qui se réunissent au sein d'un conseil (fono faka kau 'aliki). Ce n'est donc pas une succession strictement héréditaire : l'individu choisi doit correspondre aux qualités attendues d'un souverain. Pour l'anthropologue Marshall Sahlins[4], ce mode de désignation s'explique par l'existence de familles royales rivales et permet un certain partage du pouvoir, les familles se transmettant la charge de Lavelua à tour de rôle[1].

Une fois nommé, le souverain est intronisé lors d'une cérémonie du kava royal[1].

Le roi d'Uvea a souvent été un homme, mais quatre femmes ont également eu cette fonction : Toifale (1825-1829), Falakika Seilala (1858-1869), Amelia Tokagahahau (1869-1895) et Aloisia Brial (1953-1958)[3].

Liste des Lavelua[modifier | modifier le code]

Roi coutumier (Lavelua) Début du règne Fin du règne Note
Manuka[5] 1767 1810
Tufele Ier[5] 1810 1818
Kulitea[5] 1818 1819
Lavekava[5] 1819 1819
Hiva[5] 1820 1820
Muliakaaka[5] 1820 1825
'Uhilamoafa[5] 1825 1825
Toifale[5] 1829 1829 C'est la première femme à devenir reine de Wallis[6]. Durant son règne, elle accueille les premiers Européens qui débarquent à Wallis, en 1825[7].
Muliloto[5] 1829 1829
Takala[5] 1829 1830 il profite de l'arrivée d'un marchand hawaïen, George Marina (Siaosi Manini), pour contester l'autorité royale et devenir roi.
Soane-Patita Vaimua Lavelua Ier[6] 1830 1858 Premier souverain baptisé catholique à la suite de la christianisation de la population par les missionnaires maristes en 1937[8]
Falakika Seilala[9] 1858 Seconde femme à devenir Lavelua, elle introduit ce titre coutumier pour désigner le roi ou la reine de Uvea[Scd 7].
Amelia Tokagahahau Aliki[10] Elle a notamment négocié le protectorat de Wallis-et-Futuna et proclamé le Code Bataillon.
Isaake[Rox 1] En rébellion, son règne n’a duré qu’un seul jour, c'est d'ailleurs le Lavelua étant eu le plus petit règne.
Vito Lavelua II[Alp 1] Après sa mort, la succession provoquant une crise politique, avant que sa nomination soit entérinée[Alp 2].
Lusiano Aisake[Alp 3] 7
Sosefo Mautamakia Ier[Alp 4] 1906 Son arrivée au pouvoir marque la fin d'une période entre (1829-1906) durant laquelle « Wallis n’avait connu que cinq rois ou reines, ayant tous régné jusqu’à leur mort »[Alp 4].
Soane-Patita Lavuia[Alp 4] Une crise est organisée à la suite de la mission catholique (père Bazin). Le résident Français ainsi que le roi son contre mais ce n'est pas l'avis des habitants.
Sosefo Mautamakia II[Alp 5] 1916 1918 Il a été destitué par ses ministres coutumiers après deux ans de règne[Alp 6].
Vitolo Kulihaapai[Alp 5] 1918 2
Tomasi Kulimoetoke Ier[5]
Mikaele Tufele II[5] 21 26 Premier règne
Sosefo Maütamakia Ier[5] Pendant son règne, les plantations de cocotiers wallisiennes sont ravagées par le parasite oryctes rhinoceros
Petelo Kahofuna[5] Non reconnu par l'État français.
Mikaele Tufele II[5] Second règne.
Vacant de à
Leone Matekitoga[5] Roi durant la Seconde Guerre mondiale et l'occupation de Wallis par les troupes américaines (1942-1944).
Pelenato Fuluhea[5] Instauration de la répartition équitable des six ministres coutumiers du Lavelua entre les trois districts de Wallis[Scd 8].
Kapeliele Tufele III[11] Un règne marqué notamment par une mauvaise entente avec l'administrateur supérieur de l'île qui tenta de le faire destituer[12].
Soane Toke[13] Nommé en pleine crise de succession, il est forcé à abdiquer juste après son intronisation.
Aloisia Brial[11] Fin du règne par démission à la suite de la mise en minorité au conseil royal. La reine est jugée trop autoritaire.
Tomasi Kulimoetoke II[5] Plus long règne de roi d'Uvea, durant lequel Wallis vit de profondes transformations politiques et sociales comme le passage au statut de territoire d'outre-mer en 1961. Sa succession déclenche la crise coutumière wallisienne en 2005.
Vacant du 8 mai 2007 au 25 juin 2008
Kapeliele Faupala[5] Déroulement des Mini-Jeux du Pacifique pour la première fois à Wallis.
Vacant du 2 septembre 2014 au 14 avril 2016
Tominiko Halagahu[14] En cours Non reconnu par l'État français.
Patalione Kanimoa[15] En cours Reconnu par l'État le à la suite de l'intronisation de deux rois Patalione Kanimoa et Tominiko Halagahu, une première à Wallis.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  • Sophie Chave-Dartoen, Royauté, chefferie et monde socio-cosmique à Wallis ('Uvea) : Dynamiques sociales et pérennité des institutions, pacific-credo Publications, coll. « Monographies », , 318 p. (ISBN 978-2-9563981-7-2, lire en ligne)
  1. Chave-Dartoen 2018, p. 67-68
  2. Chave-Dartoen 2018, p. 123
  3. a et b Chave-Dartoen 2018, p. 121
  4. a b et c Chave-Dartoen 2018, p. 122
  5. a et b Chave-Dartoen 2018, p. 124
  6. Chave-Dartoen 2018, p. 11
  7. Sophie Chave-Dartoen, p. 105-144
  8. Sophie Chave-Dartoen, p. 65
  • Alexandre Poncet, Histoire de l’île Wallis. Tome 2 : Le protectorat français, Société des Océanistes, coll. « Publications de la SdO », (ISBN 978-2-85430-094-9, lire en ligne)
  1. Alexandre Poncet, p. 35-38
  2. Alexandre Poncet, « Chapitre VII. Mort de la reine Amélia et élection du Roi Vito (1895) », dans Histoire de l’île Wallis. Tome 2 : Le protectorat français, Société des Océanistes, coll. « Publications de la SdO », (ISBN 978-2-85430-094-9, lire en ligne), p. 35–38
  3. Alexandre Poncet, p. 49-54
  4. a b et c Alexandre Poncet, p. 55-62
  5. a et b Alexandre Poncet, p. 71-77
  6. Alexandre Poncet, p. 71-77
  1. Roux 1995, p. 121-122

Autres références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d Dominique Pechberty et Epifania Toa, Vivre la coutume à ʻUvea (Wallis), L'Harmattan, (lire en ligne), p. 65-68
  2. « Les cérémonies de la Saint-Joseph marquent la coexistence de deux chefferies à Wallis », sur Wallis et Futuna la 1ère, (consulté le )
  3. a et b Sophie Chave-Dartoen, « Chapitre 2 », dans Royauté, chefferie et monde socio-cosmique à Wallis ('Uvea) : Dynamiques sociales et pérennité des institutions, pacific-credo Publications, coll. « Monographies », (ISBN 978-2-9563981-7-2, lire en ligne), p. 105–144
  4. (en) Marshall Sahlins, « Differentiation by adaptation in Polynesian societies », Journal of the Polynesian Society, vol. 66, no 3,‎ (lire en ligne)
  5. a b c d e f g h i j k l m n o p q r et s Tomasi Tautu'u, « Annexe 3 : Généalogie des rois d’Uvea et de la dynastie Takumasiva », dans Enracinements « polynésiens » d’hier et d’aujourd’hui : Le cas des Wallisiens dans l’archipel de la Nouvelle Calédonie : histoires, mythes et migrations : Entre « Uvea Mamao » et « Uvea Lalo » (mémoire de master "Arts, littérature et patrimoines"), Université de la Nouvelle-Calédonie, (lire en ligne)
  6. a et b Bernard Vienne et Daniel Frimigacci, « Les fondations du royaume de ’Uvea. Une histoire à revisiter », Journal de la Société des Océanistes, nos 122-123,‎ , p. 27–60 (ISSN 0300-953x, DOI 10.4000/jso.529, lire en ligne, consulté le ).
  7. Frédéric Angleviel, Les missions à Wallis et Futuna au XIXe siècle, Presses Univ de Bordeaux, (ISBN 978-2-905081-25-4, lire en ligne), p. 32
  8. Bernard Vienne et Daniel Frimigacci, « Les fondations du royaume de ’Uvea. Une histoire à revisiter », Journal de la Société des Océanistes, nos 122-123,‎ , p. 27–60 (ISSN 0300-953x, DOI 10.4000/jso.529, lire en ligne, consulté le )
  9. « Dominique Pechberty et Epifania Toa, Vivre la coutume à ʻUvea (Wallis), L'Harmattan, 2004 (lire en ligne [archive]), p. 65-68 »
  10. Dominique Pechberty et Epifania Toa, Vivre la coutume à ʻUvea (Wallis), L'Harmattan, (lire en ligne), p. 65-68
  11. a et b Raymond Mayer, « Le classement des archives administratives de Wallis-et-Futuna (1951-2000) de Gildas Pressensé », Journal de la Société des Océanistes, no 129,‎ , p. 305–322 (ISSN 0300-953x, lire en ligne, consulté le ).
  12. Frédéric Angleviel, « Wallis-et-Futuna (1942-1961) ou comment le fait migratoire transforma le protectorat en TOM », Journal de la société des océanistes, nos 122-123,‎ , p. 61–76 (ISSN 0300-953X et 1760-7256, DOI 10.4000/jso.541, lire en ligne, consulté le )
  13. Alexandre Poncet, Histoire de l’île Wallis. Tome 2 : Le protectorat français, Société des Océanistes, (ISBN 978-2-85430-047-5, lire en ligne), p. 216
  14. « Full text of "Journaux Officiels du Territoire des îles Wallis et Futuna" », sur archive.org (consulté le )
  15. « Trois rois français règnent encore officiellement sur leurs terres, au milieu du Pacifique »

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Sophie Chave-Dartoen, Royauté, chefferie et monde socio-cosmique à Wallis ('Uvea) : Dynamiques sociales et pérennité des institutions, pacific-credo Publications, coll. « Monographies », , 318 p. (ISBN 978-2-9563981-7-2, lire en ligne)