Jean Tirole — Wikipédia

Jean Tirole, né le à Troyes[3], dans l'Aube, est un économiste français, ingénieur général des ponts et des eaux et forêts.

Il est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), président de la fondation Jean-Jacques-Laffont - Toulouse School of economics (TSE), directeur scientifique de l’Institut d'économie industrielle (IDEI) de Toulouse, membre fondateur de l’Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST)[4] et professeur invité au Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Il est élu à l'Académie des sciences morales et politiques en 2011.

En 2014, il reçoit le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques, communément nommé « Prix Nobel d'économie », « pour son analyse du pouvoir de marché et de la régulation ».

Jean Tirole est considéré comme l'un des économistes contemporains les plus influents[5].

Formation[modifier | modifier le code]

Jean Tirole étudie en classes préparatoires au lycée Henri-Poincaré de Nancy[6] et intègre l'École polytechnique[7],[1] dans la promotion 1973. Il est titulaire d'un doctorat de 3e cycle en mathématiques de la décision à l'université Paris-Dauphine (1978).

Il est également titulaire d'un Ph.D. en sciences économiques obtenu au Massachusetts Institute of Technology (1981) sous la direction d'Eric Maskin (Prix de la Banque de Suède en sciences économiques 2007)[8].

Recherches[modifier | modifier le code]

Les recherches de Jean Tirole portent sur l'économie industrielle, avec pour champ d'application la régulation des industries de réseau (en collaboration avec Jean-Jacques Laffont) et du système bancaire, la finance d'entreprise, l’économie internationale, ainsi que les mécanisme incitatifs au sein d'une firme. Tirole étudie également les liens entre l’économie et la psychologie. Un des apports majeur de Jean Tirole est l'utilisation des outils de la théorie des jeux et de la théorie de l’information pour analyser le fonctionnement des marchés et les comportements des entreprises.

Il s’est intéressé aux modèles d’affaire des entreprises dites « bifaces », c’est-à-dire qui s’adressent à deux catégories de clientèles distinctes[9]. Il a proposé des mesures de régulation face aux oligopoles et monopoles qui jouissent d’une position dominante sans en apparence en profiter aux dépens de leurs clients[10],[11].

Il plaide pour que les économistes ne se cantonnent pas à leurs propres outils mais adoptent une attitude davantage pluridisciplinaire, en s'appuyant sur les autres sciences sociales, notamment dans le cas de l'économie comportementale[12]. Il a notamment publié de nombreux articles en psychologie comportementale avec Roland Bénabou[13].

Il est par ailleurs à l'initiative de l'Institut d'études avancées de Toulouse (IAST)[14], institution qui vise à « aborder les questions les plus fondamentales à propos de la nature humaine et de la société ». Ce programme scientifique s’organise autour de dix disciplines : l’anthropologie, la biologie, l’économie, l’histoire, le droit, les mathématiques, la philosophie, les sciences politiques, la psychologie et la sociologie[14].

Jean Tirole enseigne aujourd'hui dans de nombreuses structures de l'enseignement supérieur mondial, mais il reste cependant rattaché à Toulouse School of Economics.

Comme le souligne David Encaoua, professeur émérite à l'Université Paris I : « Jean Tirole n’est pas l’exégète d’une économie de marché libre de toute intervention publique ou l’apôtre de la « puissance du marché » comme certains commentaires l’ont laissé entendre en France mais ce qui lui a valu le prix Nobel, ce sont précisément des travaux qui justifient, au nom de l’intérêt général, la nécessité pour les pouvoirs publics de surveiller, contrôler et réglementer les marchés, que ces marchés soient dominés par un petit nombre d’entreprises en situation d’oligopole ou qu’ils soient en situation de monopole naturel. Les travaux de Jean Tirole sont d’autant plus importants qu’ils se situaient en rupture à la doxa dominante au moment de leur émergence »[8].

Reconnaissance[modifier | modifier le code]

L'école d'économie de Toulouse (TSE).

Jean Tirole, ancien président de la Société d'économétrie et de l’European Economic Association, est docteur honoris causa de l’Université libre de Bruxelles (1989), de l'université de Montréal (HEC, 2007), de la London Business School (2007), de l'université de Mannheim (2011), de l’Athens University of Economics and Business (2012), de l'université de Rome « Tor Vergata » (2012), de l'université Hitotsubashi (2013), de l'université de Lausanne (2013). En 1993, il a reçu le prix Yrjö Jahnsson (qui récompense tous les deux ans un économiste de moins de quarante-cinq ans en Europe) et est nommé membre honoraire étranger de l’Académie américaine des arts et des sciences et de l’American Economic Association. Depuis 2011, il est membre de l'Académie des sciences morales et politiques. En 2012, il reçoit le grand prix de l'Académie d'Occitanie. Fait Honorary Fellow de la Royal Society of Edinburgh, 2013.

Récipiendaire de la médaille d'argent du CNRS en 2002[15], il reçoit en 2007 la médaille d'or du CNRS, ce qui en fait le second économiste après Maurice Allais à recevoir cette distinction[3],[16]. Il est le premier lauréat du prix BBVA Foundation Frontiers of Knowledge Awards en économie, finance et management (2008). Il obtient en 2010 le prix Claude Lévi-Strauss[17], qui vise à reconnaître et à valoriser l'excellence de l'œuvre d'un chercheur en sciences humaines ainsi que le prix en finance décerné conjointement par le Mathematical Sciences Research Institute (MSRI) de Berkeley et le Chicago Mercantile Exchange. Il a reçu le Ross Prize 2013 et le prix Erwin Plein Nemmers d'économie 2014[18].

En 2014, il est nommé membre du Conseil stratégique de la recherche[19]. Puis il devient le troisième français, après Gérard Debreu en 1983 et Maurice Allais en 1988, à recevoir le « prix de la banque de Suède en sciences économiques » pour son « analyse du pouvoir de marché et de sa régulation »[20].

Prises de position dans le débat public[modifier | modifier le code]

Jean Tirole est membre du Conseil d’analyse économique depuis 1999. À ce titre, il a rédigé plusieurs rapports sur l’économie industrielle (rapport sur la grande distribution avec Patrick Rey ; rapport sur la propriété intellectuelle, avec Bernard Caillaud et Claude Henri). En 2003, il propose avec Olivier Blanchard une taxe sur les licenciements consistant à moduler les contributions des entreprises à l'assurance chômage en fonction du taux de licenciement, afin de responsabiliser les entreprises. Parallèlement, les auteurs suggèrent de remplacer le CDD et le CDI par un contrat de travail unique avec une augmentation progressive des droits des salariés en fonction de l'ancienneté[21].

Il intervient en 2016 contre le projet de créer une deuxième section d’économie à l’Université faisant une large place aux sciences sociales et politiques (voir Critiques).

En , il fait partie des signataires d'une tribune publiée dans Le Monde dénonçant les risques et les incohérences du programme anti-européen de Marine Le Pen[22].

En , Jean Tirole publie une tribune où il juge que les revendications du mouvement des gilets jaunes sont « pleines de contradictions ». Il estime que : « les gilets jaunes ne formulent aucune proposition concrète en réponse à deux facteurs qui alimentent principalement les inégalités en France : l’éducation et l’accès au marché du travail ». Il affirme que la perception des citoyens de la situation économique du pays n'est pas en phase avec la réalité et qu'on ne peut pas rigoureusement affirmer que la France soit un pays inégalitaire. Il défend le modèle de la démocratie représentative car « les représentants du peuple sont en mesure de consacrer davantage de temps à une réflexion autour des compromis nécessaires aux différents choix de mesures politiques, et ont davantage accès à l’expertise que les citoyens moyens ». Ainsi, il s'oppose à l'idée d'un référendum d'initiative citoyenne parce que « ces consultations pourraient également conduire à toutes sortes de politiques économiques démagogiques »[23].

En juin 2021, avec Olivier Blanchard, il remet un rapport à Emmanuel Macron qui soutient que la taxation de l’héritage en France ne contribue pas suffisamment à la réduction des inégalités. Le rapport est suivi par une proposition de réforme. L'Obs rappelle par ailleurs que cet impôt est déjà le « plus impopulaire de tous les impôts »[24].

Critiques[modifier | modifier le code]

Jean Tirole est régulièrement critiqué par les économistes dits « hétérodoxes », qui l'accusent d'avoir une vision libérale et de vouloir imposer une forme de « pensée unique » en économie.

Lors de l'attribution du prix Nobel à Jean Tirole, les "adversaires du libéralisme économique[25]", tel que la revue mensuelle Alternatives économiques, estimaient que Jean Tirole était favorable à la privatisation du service public, au « capitalisme financier » et opposé au droit du travail. Il est critiqué comme étant représentatif de la ligne néoclassique « orthodoxe »[26].

En 2015, certains chercheurs en sciences sociales, notamment du groupe des "économistes atterrés", souhaitaient la création au sein du Conseil national des universités d'une section « Institutions, économie, territoire et sociétés ». Jean Tirole s'oppose à celle-ci dans une lettre ouverte à la ministre chargée de l'Enseignement supérieur, Najat Vallaud-Belkacem, dans laquelle il considère qu'elle serait "une catastrophe pour la visibilité et l’avenir de la recherche en sciences économiques dans notre pays"[27]. "Il est indispensable que la qualité de la recherche soit évaluée sur la base de publications, forçant chaque chercheur à se confronter au jugement par les pairs. C’est le fondement même des progrès scientifiques dans toutes les disciplines. Chercher à se soustraire à ce jugement promeut le relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme. Les économistes autoproclamés « hétérodoxes » se doivent de respecter ce principe fondamental de la science. La création d’une nouvelle section du CNU vise à les soustraire à cette discipline". La section en question ne sera finalement pas créée.

Conférences internationales[modifier | modifier le code]

Jean Tirole a par ailleurs été invité à participer à plus de soixante-quinze grandes conférences.

Vie privée[modifier | modifier le code]

Il est le fils d'un médecin et d'une enseignante. Il a trois enfants[28].

Publications[modifier | modifier le code]

Jean Tirole a publié près de 200 articles scientifiques dans des revues à comité de lecture qui font l'objet de près de 200 000 citations et son indice h est de 146[29] (un indicateur bibliométrique que le situe parmi les économistes académiques les plus prolifiques dans le monde). Il a notamment publié 21 articles dans l'American Economic Review, 14 articles dans la Review of Economic Studies, 13 articles dans le Journal of Political Economy, 11 articles dans Econometrica et 11 articles dans le Quarterly Journal of Economics[30].

Jean Tirole fait partie du top 10 des économistes les plus cités au monde selon RePEc[31]. Il est aussi l'économiste basé en France le plus cité[32].

Il a également publié une dizaine d'ouvrages, dont The Theory of Industrial Organization, Game Theory (avec Drew Fudenberg), A Theory of Incentives in Procurement and Regulation (avec Jean-Jacques Laffont), The Prudential Regulation of Banks (avec Mathias Dewatripont), Competition in Telecommunications (avec Jean-Jacques Laffont), Financial Crises, Liquidity, and the International Monetary System, The Theory of Corporate Finance ainsi qu'un livre destiné au grand public, Économie du Bien Commun[33],[34].

Livres[modifier | modifier le code]

  • Dynamic Models of Oligopoly (avec D. Fudenberg), 1986.
  • The Theory of Industrial Organization, MIT Press, 1988. Description
  • Dynamic Models of Oligopoly (avec Drew Fudenberg, Harwood Academic Publishers GMbH, 1986.
  • Game Theory (with D. Fudenberg), MIT Press, 1991.
  • A Theory of Incentives in Regulation and Procurement (avec J.-J. Laffont), MIT Press,1993.
  • The Prudential Regulation of Banks (avec M. Dewatripont), MIT Press,1994.
  • Competition in Telecommunications, MIT Press, 1999.
  • Financial Crises, Liquidity and the International Monetary System, Princeton University Press, 2002.
  • The Theory of Corporate Finance, Princeton University Press, 2005. Description.
  • Balancing the Banks (avec Mathias Dewatripont, et Jean-Charles Rochet), Princeton University Press, 2010.
  • Inside and Outside Liquidity (avec Bengt Holmström), MIT Press, 2011.
  • Théorie de l'organisation industrielle, Economica, 2015
  • Économie du bien commun, Presses universitaires de France, 2016

Co-auteur

Prix et distinctions[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Ouvrir la « Page d’accueil », sur polytechnique.edu, Palaiseau, bibliothèque de l’École polytechnique (consulté le ), sélectionner l’onglet « Catalogues » puis cliquer sur « Famille polytechnicienne », effectuer la recherche sur « Jean Tirole », résultat obtenu : « Tirole, Jean Marcel Pierre (X 1973) ».
  2. «
  3. a et b « Jean Tirole, Le quotidien en équations », Le Monde du 21 septembre 2007.
  4. Institut d’études avancées à Toulouse.
  5. « The Nobel prize goes to Jean Tirole », The Economist,‎ (ISSN 0013-0613, lire en ligne, consulté le )
  6. « Un ancien élève du lycée Henri-Poincaré prix Nobel d’économie !! | Lycée Henri-Poincaré », sur h-poincare.fr (consulté le ).
  7. De la promotion X1973, cf. « Fiche de Jean Tirole », sur polytechniciens.com, Paris, Association des anciens élèves et diplômés de l'École polytechnique (l’AX) (consulté le ) ; y est notamment indiqué le grade de Jean Tirole dans la fonction publique : « ingénieur généraal des ponts et chaussées ».
  8. a et b David Encaoua, « Pouvoir de marché, stratégies et régulation : Les contributions de Jean Tirole, Prix Nobel d’Économie 2014: », Revue d'économie politique, vol. Vol. 125, no 1,‎ , p. 1–76 (ISSN 0373-2630, DOI 10.3917/redp.251.0001, lire en ligne, consulté le )
  9. (en) Jean-Charles Rochet et Jean Triole, « Platform Competition in Two Sided Markets », Financial markets group,‎ (lire en ligne).
  10. Pascal Riché, « Pourquoi Google peut s’inquiéter de la nobélisation de Jean Tirole », sur rue89.nouvelobs.com, .
  11. Adrien de Tricornot, « Jean Tirole, un décrypteur des oligopoles », sur lemonde.fr, .
  12. Airy Routier,Pierre-Henri de Menthon, Théories du bordel économique, J.C. Lattès, chapitre 1, en ligne
  13. (en) Roland Bénabou et Jean Tirole, « Self-Confidence and Personal Motivation », The Quarterly Journal of Economics, vol. 117, no 3,‎ , p. 871–915 (ISSN 0033-5533, DOI 10.1162/003355302760193913, lire en ligne, consulté le )
  14. a et b « Comprendre les cultures et les comportements », sur IAST, (consulté le ).
  15. Voir la rubrique « Biographie » sur la page du CNRS consacré à Jean Tirole CNRS Dossier de Presse du 20 septembre 2007
  16. a et b Esther Duflo, « Un monde meilleur, selon Jean Tirole », sur liberation.fr, (consulté le ).
  17. a et b « Le prix Claude Levi-Strauss attribué à l'économiste toulousain Jean Tirole ».
  18. (en) « French economist Jean Tirole recognized for contributions to economic theory », 27 février 2014, université Northwestern
  19. Décret du 3 février 2014 portant nomination au Conseil stratégique de la recherche
  20. (en) « The Sveriges Riksbank Prize in Economic Sciences in Memory of Alfred Nobel 2014 », sur nobelprize.org.
  21. Jean Tirole et Olivier Blanchard, Protection de l’emploi et procédures de licenciement, La Documentation Française, (lire en ligne).
  22. « Le programme anti-européen de Marine Le Pen dénoncé par 25 Nobel d’économie », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  23. Jean Tirole, « Le grand pari de Macron | by Jean Tirole », sur Project Syndicate, (consulté le )
  24. Sophie Fay, Mieux taxer l’héritage : la proposition phare de Tirole et Blanchard pour réduire les inégalités, nouvelobs.com, 23 juin 2021
  25. F. Valéry avec AFP, « “Néolibéral dogmatique“, ”imposteur de l'économie” : le Prix Nobel Jean Tirole cible des critiques surtout à gauche », sur francetvinfo.fr, France 3 Occitanie, (consulté le ).
  26. « La légitime récompense de Jean Tirole », sur alternatives-economiques.fr, (consulté le ).
  27. « Lettre ouverte de Jean Tirole à Najat Vallaud-Belkacem concernant l'ouverture d'une section multidisciplinaire d'économie au CNU (2015) », sur assoeconomiepolitique.org, (consulté le ).
  28. Alexandrine Bouilhet, « Jean Tirole, un Prix Nobel réformateur », sur lefigaro.fr, Le Figaro et vous, .
  29. https://scholar.google.com/citations?user=ZEDUm5UAAAAJ&hl=en
  30. « Jean Tirole : Citation Profile ».
  31. « Top 10% Authors, as of August 2021 ».
  32. « Within Country and State Economics Rankings : France », sur repec.org (consulté le ).
  33. « Économie du bien commun », sur www.puf.com (consulté le )
  34. « Toulouse School of Econcocomis »
  35. [1]
  36. « Le Toulousain Jean Tirole reçoit le prestigieux prix Nemmers en économie », sur touleco.fr, ToulÉco, .
  37. Hilary Hurd Anyaso, « Nemmers Economics Prize Announced : French economist Jean Tirole recognized for contributions to economic theory », sur northwestern.edu, .
  38. « Troyes honore Jean Tirole », lefigaro.fr, 13 mars 2015.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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