Jean-Jacques Liabeuf — Wikipédia

Jean-Jacques Liabeuf
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Jean-Jacques Liabeuf, né le à Saint-Étienne et guillotiné le dans le 14e arrondissement de Paris, est un anarchiste français.

Cordonnier condamné à tort pour proxénétisme, il se vengera de cette injustice en tuant et blessant des policiers. Une « fièvre liabouviste » s’empare alors de la capitale, les anarchistes et une frange du mouvement social voyant dans sa condamnation à mort un crime politique.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jean-Jacques Liabeuf naît à Saint-Étienne de l'union d'André Louis Liabeuf et de Marie Vignal. Son père meurt alors qu'il n'a que 4 ans, sa mère est donc obligée de l'élever seule, avec son frère. Il est placé comme apprenti chez un armurier dès sa quatorzième année, il n'y reste que six mois, puis entame une formation de cordonnier. À Saint-Étienne, il commet quelques chapardages pendant sa jeunesse, ce qui lui vaut plusieurs condamnations : le , il est notamment emprisonné quatre mois pour vol. Le de la même année, pour vol de plomb, il est de nouveau condamné à trois mois et un jour. Une dernière peine l'envoie encore derrière les barreaux tout en lui interdisant le séjour à Saint-Étienne pendant cinq ans. À sa sortie, il est envoyé dans les bataillons d'Afrique.[réf. nécessaire]

Son service militaire terminé, il vient vivre à Paris où il devient ouvrier cordonnier, et rencontre Alexandrine Pigeon dont il tombe amoureux : une prostituée sous la coupe du proxénète Gaston qui est également un indicateur de la police. En compagnie de la fille Pigeon, il est arrêté le par les deux agents de la police des mœurs Maugras et Vors qui le soupçonnent d'exercice de proxénétisme. Le , il est jugé sans que son défenseur ne soit présent (il déjeunait en ville et s'était fait excuser par tube pneumatique[1]) et il est condamné à trois mois de prison, 100 francs d'amende et cinq ans d'interdiction de séjour pour « vagabondage spécial » (proxénétisme)[2]. À l'expiration de sa peine il ne quitte pas Paris, comme cela lui est imposé. Arrêté une nouvelle fois par la police pour non-respect de cette peine, il est condamné le à un mois de prison.

Libération, et nouveau crime[modifier | modifier le code]

Arrestation de Jean-Jacques Liabeuf le 8 janvier 1910.
Le revolver, les tranchets de cordonnier et les brassards hérissés de pointes.

À sa libération, s'estimant victime d'une injustice, Liabeuf décide de se venger sur des agents de police.

Samedi , Liabeuf, revêtu d'une étrange armure (bras et avant-bras garnis de quatre brassards de cuir, hérissés d'une multitude de clous de sa fabrication, armes inspirées par des lectures de faits divers anglais) masquée par sa cape, entame une tournée des bars dans le quartier des Halles de Paris. Il est de plus armé d'un revolver et de deux tranchets de cordonnier[3]. Il est à la recherche de policiers dans le quartier Saint-Merri non loin des Halles. Le , vers 8 h du matin, à la sortie d'un troquet de la rue Aubry-le-Boucher, il est appréhendé par une patrouille de police pour infraction à un arrêté d'interdiction de séjour. Il tue le gardien de la paix Célestin Deray à coups de tranchet et de balles de revolver, et en blesse un autre grièvement à la gorge. Quatre autres gardiens de la paix écopent de blessures superficielles. Lui-même atteint d'un coup de sabre par l'agent Février. Son transfert à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu est difficile, entre les gens qui veulent le lyncher et ceux qui veulent profiter des blessures des agents de la brigade des mœurs pour les frapper[4].

Alors que la presse unanime dénonce cet acte criminel, le socialiste insurrectionnel et antimilitariste Gustave Hervé rompt l'unité et provoque le scandale en prenant sa défense dans le journal La Guerre sociale[Note 1]. Son article « L'exemple de l'apache » fait scandale, notamment pour sa phrase : « je trouve que dans ce siècle d'aveulis et d'avachis [Liabeuf] a donné une belle leçon d'énergie et de courage à la foule des honnêtes gens ; à nous-mêmes, révolutionnaires, il a donné un bel exemple ». Ce texte vaut à son auteur d'être condamné le , au terme d'un procès tumultueux, à 4 ans de prison et 1 000 francs d'amende[5]. Initiée par les socialistes révolutionnaires de la Guerre Sociale, l'agitation provoquée par cet article et le procès de Gustave Hervé gagne toute la gauche et les anarchistes. « Dès lors, dans un climat social très tendu, les journaux entrent en campagne. Les uns, via un discours sécuritaire toujours d'actualité, militent pour régler par la mort le sort de ce vulgaire apache, renforcer les effectifs de police et mettre un terme au laxisme de la Justice. Et dans la foulée, sanctionner les fauteurs de troubles que sont les grévistes et autres esprits en révolte. Pour d'autres feuilles, Liabeuf est avant tout victime d'une injustice[6] ». Ce simple fait divers défraie ainsi la chronique de la Belle Époque et enflamme le monde ouvrier. Un siècle plus tard, en 2011, le journaliste Frédéric Lavignette dénomme cette campagne l'« affaire Dreyfus des ouvriers ».

Condamnation, exécution[modifier | modifier le code]

« On peut virer ton blaze et dégommer ta dèche. Ton casier judiciaire aura toujours en flèche. Liabeuf qui fit risette un matin à Deibler »

— Poème en argot de Robert Desnos paru dans le recueil À la caille (1940)[7]

Cette mobilisation des partisans de Liabeuf (les liabouvistes, comme on les appelle) ne l'empêche pas d'être condamné à mort le . Son exécution, le , boulevard Arago, au pied d'un des murs de la prison de la Santé, fait l'objet d'une énorme manifestation[8]. La demande de grâce auprès du président de la République Armand Fallières, relayée par la presse de gauche et de nombreux intellectuels, est rejetée[9]. Son exécution dans la nuit du au 1er juillet se déroule dans un climat d'insurrection (manifestation de 10 000 personnes, avec des affrontements entre 800 policiers et les défenseurs de Liabeuf, et une armée qui se tient en réserve). Sont présents notamment Jean Jaurès, Pablo Picasso, Lénine. De nombreux émeutiers sont blessés, beaucoup sont interpellés et jugés les jours suivants pour cris séditieux ou atteinte aux forces de l'ordre, tandis qu'un anarchiste tue un inspecteur de la Sûreté en tentant d'enlever le condamné, ce qui provoque les applaudissements de la foule et incite le préfet Lépine à faire charger la Garde républicaine, sabre au clair[9],[4]. Jusque sous le couperet de la guillotine actionnée par le bourreau Anatole Deibler, le condamné ne cesse de clamer qu'il n'a jamais été un souteneur[9], mais il n'a jamais contesté avoir tué un policier et grièvement blessé un autre.

Célestin Deray[modifier | modifier le code]

Né en décembre 1861 à Gouhelans (Doubs)[10], Célestin Deray sert dix ans dans l'armée avant d'être nommé gardien de la paix à la préfecture de police de Paris le et affecté au 4e arrondissement de la capitale.

Il était marié et père de deux enfants[11]. Cité à l'ordre de la Nation, son nom figure sur le monument aux morts de la Cour du 19 Août[11].

Célestin Deray a été inhumé trois jours après sa mort au cimetière du Montparnasse (27e division).

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. On peut retrouver dans cette revue libertaire les chansons du poète Gaston Couté qui consacre à Liabeuf une chanson à succès, Que son sang retombe sur vous !, et l'évoque dans une parodie de La Marseillaise. Cf Jean-Jacques Lefrère, Michel Pierssens, Paris, sa vie, son œuvre, Du Lérot, , p. 138

Références[modifier | modifier le code]

  1. Jean Valmy-Baysse, La Curieuse Aventure des boulevards extérieurs, Albin Michel, 1950, p. 394.
  2. Raymond Clément, Almanach des crimes et catastrophes, éditions du Panthéon, , p. 31
  3. Anne Steiner, Les en-dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la Belle époque, L'Echappée, , p. 87
  4. a et b Elisabeth Hausser, Paris au jour le jour : les événements vus par la presse, 1900-1919, les Éditions de Minuit, , p. 360
  5. Maurice Garçon, La Justice contemporaine: 1870-1932, Bernard Grasset, , p. 282.
  6. « L'affaire Liabeuf : histoires d'une vengeance de Frédéric Lavignette. Présentation de l'éditeur », sur decitre.fr (consulté le )
  7. Jean-Jacques Lefrère, Michel Pierssens, Paris, sa vie, son œuvre, Du Lérot, , p. 135
  8. Stéphane Bou, « L’affaire Liabeuf : un livre retrace cette “affaire Dreyfus des ouvriers” », sur Les Inrockuptibles,
  9. a b et c Anne Steiner, Les en-dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la Belle époque, L'Echappée, , p. 89
  10. Nouvelles du jour - Agents victimes du devoir, Journal des débats politiques et littéraires le 10 janvier 1910
  11. a et b Stéphane Lemercier, Victimes du devoir, éditions du Prévôt, , 336 p., pages 65 et 66

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Armand Flassch, Liabeuf, l’homme aux brassards de fer, Bernardin-Béchet, 1930
  • Dominique Kalifa, L’encre et le sang. Récits de crime et société, Fayard, 1995, p. 181-187
  • Yves Pagès, L'Homme hérissé. Liabeuf, tueur de flics, L'Insomniaque, 2002. Réédition aux éditions La Baleine, 2009
  • Henri Gaudier-Brzeska, Notes sur Liabeuf et sur Tolstoï, présentation de Doïna Lemny, L'Échoppe, 2009
  • Frédéric Lavignette, L'Affaire Liabeuf. Histoires d'une vengeance, Fage Éditions, 2011
  • Anne Steiner, Le Goût de l'émeute. Manifestations et violences de rue dans Paris et sa banlieue à la "Belle Epoque", L'échappée, 2012

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]