Histoire des bourses de valeurs — Wikipédia

L'histoire des bourses de valeurs retrace les étapes de l'émergence d'espaces de valorisation des obligations, qui dominent ainsi jusqu'au milieu du XIXe siècle, puis des actions. Auparavant, le financement des armements navals vénitiens et hollandais sous la forme d'actions reste une exception. Les obligations prennent leur essor dès le XVIIIe siècle sur un marché déjà mondialisé, soutenu par les banques centrales et le Trésor public.

L'émergence de la presse écrite, qui publie des listes de cours, puis du télégraphe, qui les diffuse rapidement, permet au public une meilleure information mais aussi aux entreprises de faire connaître leur activité et ainsi aux actions de prendre le relais vers le milieu du XIXe siècle, d'abord dans quelques secteurs qui s'y prêtent par leur croissance et leurs besoins en capitaux propres, le développement des chemins de fer, de l'extraction de matières premières et précieuses s'ajoutant à celui des banques et des canaux, et la bourse restant encore affaire de territoires et concessions. Jusqu'au XXe siècle, les entreprises industrielles n'y prennent qu'une place minoritaire, avant d'y connaître ensuite un âge d'or, en profitant de leurs économies d'échelle.

D’un financement par emprunt, les entreprises ont ensuite évolué vers l'autofinancement, les Bourses donnant la priorité à la valorisation de l'épargne. La fin du XXe siècle voit apparaître la dématérialisation des titres et la montée des biotechnologies et de l'informatique, affichant des performances élevées, pour qui les actions sont leur seul mode de financement[réf. nécessaire].

XIIIe et XIVe siècles[modifier | modifier le code]

Les moulins du Bazacle, première société par actions[modifier | modifier le code]

La chaussée du Bazacle aujourd'hui.

En 1250, à Toulouse, est née la première société dont les actions pouvaient s'échanger, leur prix variant en fonction de la conjoncture économique. La Société des moulins de Bazacle regroupait 60 moulins flottants, dits à « nef », sur la Garonne, répartis entre trois lieux distincts : « La Daurade », « Le Château narbonnais » et « Bazacle ». La chaussée du Bazacle, faite de pieux de chêne, traversait en biais la Garonne, sur une longueur de 450 mètres. Toulouse, qui comptait entre 30 000 et 60 000 habitants, assurait les débouchés commerciaux de ces moulins flottants.

Chaque associé recevait un papier notarié, en contrepartie de sa participation. En fin d’année, il touchait en nature, c’est-à-dire en farine, sa part des bénéfices. Les rendements pouvaient atteindre entre 10 % et 25 % par an[1]. Les actions étaient échangées sur un marché libre, mais qui ne déboucha pas sur la création d'une vraie bourse[2]. Chaque année, une assemblée générale élisait les administrateurs, le trésorier et le receveur des grains[a]. La Société des moulins de Bazacle est devenue « Société toulousaine d'électricité de Bazacle », reprise par EDF en 1946.

Venise, première place pour l'échange de parts dans des navires[modifier | modifier le code]

Le canal de Porta Nova, entrée de l'arsenal de Venise.

À Venise, le quartier du Rialto était proche d'une vraie bourse des valeurs, selon l’historien Fernand Braudel. Même si les obligations y dominent, les marchands du grand commerce mondial y échangent aussi des participations dans les galères vénitiennes, divisées en « carats », et mises aux enchères. Ce système de l’incanto des galées du marché[3] a permis à Venise d'entreprendre à partir du XIVe siècle des aventures maritimes à très grande échelle. À son apogée, au milieu du XVe siècle, la ville armait une flotte évaluée à environ 600 galères vénitiennes, permettant des convois réguliers pour sillonner la mer Méditerranée. Ce système est créé dès 1283, sous régie d'État. Il faut attendre 1315 pour les premières enchères à but commercial, concernant les lignes menant à l'Angleterre et aux Flandres[3]. L'État vénitien en crée en 1347 une troisième menant à Alexandrie, en 1374 une quatrième vers Beyrouth, en 1402 une cinquième vers Aigues-Mortes, puis en 1436 une reliant les ports de la côte africaine à l'Espagne. La création de cette « Bourse du Rialto » stimule la construction des flottes marchandes, qui nécessite, entre 1303 et 1325, le quadruplement de la superficie de l'arsenal de Venise, premier site industriel du monde, protégé par une enceinte de 25 hectares.

Bruges, première place européenne, relie Baltique et Méditerranée[modifier | modifier le code]

La Grand-Place de Bruges.

Bruges était le grand partenaire commercial de Venise, au moment où la cité italienne a étendu son rayonnement, mais aussi un précieux partenaire financier. La première bourse moderne aurait ainsi été créée au XIIIe siècle à Bruges[b], lorsque les représentants des comptoirs implantés dans la ville prirent l'habitude de se réunir devant l'hôtel de la famille Van der Buerse[4]. Les principaux comptoirs, appelés « nations », se partageaient les maisons sur la place Ter Buerse. Une nation était une association de marchands étrangers, qui louait le plus souvent ses propres bâtiments. Les marchands y échangeaient les monnaies de toute l’Europe et fixaient les prix futurs des marchandises, ce qui nécessitait d'anticiper l'évolution de l'offre et de la demande aux quatre coins du monde connu. « Des Espagnols, des Italiens, des Anglais, des Allemands, des Orientaux s’y rendent, bref, toutes les nations ensemble », racontent les carnets de voyage de Hieronymus Muenzer, un médecin allemand de Nuremberg en 1495. Bruges a joué un rôle majeur dans la naissance du marché des valeurs[5]. Sur fond de déclin des foires de Champagne, elle a facilité aux Italiens l'accès à l’Europe du Nord, au croisement des empires commerciaux italiens et du réseau de villes commerciales de la Hanse.

XVe et XVIe siècles[modifier | modifier le code]

Anvers, première place mondiale, relie l'Inde à l'Amérique[modifier | modifier le code]

Lodovico Guicciardini. Bourse de change d'Anvers

Le port de Bruges s'ensabla et Anvers prit le relais, grâce à sa position à l'embouchure de l'Escaut, alors principale artère fluviale des Flandres et du Hainaut, les deux régions de l'Europe les plus riches. Anvers devient la capitale de l'imprimerie Plantin. En 1508[6], la couronne du Portugal décide d'y installer la Feitoria de Flandres, régie commerciale de ses navires qui reviennent chargés d'épices des Indes, en longeant les côtes africaines. L'arrivée des remises d'or et surtout d’argent d'Amérique (et dans une moindre mesure l'argent des mines autrichiennes du Tyrol) joua un rôle fondamental dans la réalisation des opérations financières d'Anvers[7]. Anvers n'a pas de véritable banque, ni même de flotte de commerce. Il n'y est pas question d'écrire les dettes dans un seul livre de comptes comme à Venise. La place flamande développe alors le principe de la lettre de change, document fiduciaire qui peut être escompté[8]. L'achat à terme se développe : il arrivait « de plus en plus fréquemment » que la date des livraisons soient reportées, l'écart de temps « permettant d'escompter la hausse ou la baisse » du cours des marchandises[9].

Vers le début du XVIe siècle, les transactions se concentrèrent à Anvers, qui devient une place pour les négociants de tous les peuples et toutes les langues. La Bourse d'Anvers est un bâtiment, aujourd'hui disparu, de grande taille où se retrouvent marchands et financiers, espagnols et flamands, allemands et portugais, italiens et suédois. En 1592, apparaît la première liste publiant les cotes des matières premières[10]. Très vite, l'Empire espagnol amène des marchandises de toute l'Amérique latine, en particulier l'argent du Mexique et du Haut-Pérou (Potosí), après 1560 et les convois portugais poussent jusqu'au Japon, nouant les premiers échanges dans la région de Nagasaki.

Lyon, première place des emprunts publics à long terme[modifier | modifier le code]

La rue Mercière et ses voisines réunissaient une centaine d'imprimeurs de Lyon.

Lyon fut en 1540 la première des bourses des valeurs régionales françaises, qui ont d'abord été des bourses de commerce. Toulouse remonte à 1549 et Rouen à 1566. « Création des marchands italiens » comme Laurent Capponi, venu de Florence, la place de Lyon centralise les nouveaux échanges sur les effets de commerce et l'escompte, qui font le succès d'Anvers à la même époque. Spécialiste du commerce de gros, grande organisatrice de foires depuis 1463[11], Lyon est « censée donner la loi à toutes les autres places d'Europe[12]. Vers 1550, c'est une grande ville de soyeux et la capitale de l’imprimerie européenne, avec près de 100 ateliers dans la rue Mercière et ses voisines, même si nombre de marchands français s'établiront ensuite à Anvers, nouvelle rivale[13]. Les banques italiennes de Florence et Lucques, implantées à Lyon, fusionnent : la Banque Gadagne est absorbée par les Capponi[14]. Elles prêtent aux souverains espagnols et français qui se combattent. Le banquier Albisse Del Bene, issu d'une famille d'exilés florentins, est munitionnaire des armées et contrôle la levée des impôts dans toutes les régions de France[15]. Henri II lance à Lyon en 1555 le Grand Parti de Lyon, un emprunt de deux millions d'écus sur 11 ans, à intérêt de 16 %, « taux très supérieur aux précédents », de 12 % en moyenne[16]. Les trois-quarts de l'emprunt sont d'anciens crédits, rassemblés et refondus. Jusque-là, le déficit royal était comblé par des emprunts à trois mois, renouvelés à l'échéance. La plupart des créanciers suisses le boudent, jugeant l'échéance trop longue : ils envoient seulement 29 000 écus à Lyon[17]. La nouvelle créance séduit cependant par sa clarté et sa visibilité. Mais deux ans plus tard, sa valeur chute : la banqueroute espagnole suscite une défiance envers toutes les dettes publiques. Le , peu après la prise de Cadix par des Anglais, Philippe II d'Espagne annonce qu'il cesse de payer les intérêts à ses nombreux créanciers, jusque-là rassurés par les colonies espagnoles du Mexique et du Potosi, hauts lieux de l’histoire des mines d'argent.

« Le bruit se répandit, grâce aux feuilles imprimées », aux « quatre coins de l'Europe[18]. Albisse Del Bene se fait le porte-parole de la communauté bancaire internationale. Il tente, sans succès, de convaincre Philippe II d'Espagne d'aménager sa dette[19]. Après le krach de 1557, la banque Capponi quitte Lyon pour Paris. En 1604, Sully, ministre des Finances d’Henri IV réduit de 40 % les montants du Grand Parti de Lyon et ramène de force le taux d'intérêt à 4 %.

Première nationalisation de dette, par Thomas Gresham[modifier | modifier le code]

Peu avant ce krach de la dette française du « Grand Parti de Lyon », survenu en 1555, l'Angleterre décide en 1543 le Great Debasement, qui ramène la part d'argent dans les pièces de monnaie à 25 % et déclenche la crise monétaire anglaise des années 1550. Pour faire baisser les prix, qui « avaient doublé ou triplé en quelques années »[20], Thomas Gresham propose à la reine Élisabeth Ire d'Angleterre de revenir aux parités antérieures et de créer un marché national[21], centralisé, pour ses emprunts. La reine, satisfaite, le nomme en 1560 ministre des Finances et lui demande de reproduire à Londres le fonctionnement de la Bourse de commerce d'Anvers. Le Royal Exchange est construit en 1565, pour accueillir les échanges qui avaient lieu rue des Lombards, fief des Italiens de Londres depuis le Moyen Âge. Les grands bailleurs de fonds partagent l'édifice avec une foule de petits spéculateurs et courtiers anglais[22], mais on n'y échange pas d'actions. Le lieu sera envahi un siècle plus tard par les négociants venus de Hollande, mal accueillis, qui s'installeront alors dans des cafés.

Ailleurs, les échanges ont lieu au sur un pont : Ponte Vecchio à Florence, Rialto à Venise, Pont au Change, à Paris, alors en bois, où prolifèrent des « courratiers » échangeant les centaines de monnaies émises aux quatre coins du Royaume. Un édit de Charles IX leur fixe des règles en 1572. Ils sont rebaptisés « agent de change » en 1639, même s'ils n'échangent ni actions ni obligations. Leur banc est rompu en cas de problème, d'où le mot « banqueroute ». Un bâtiment leur est édifié en 1613 sur le Pont Neuf.

XVIIe siècle[modifier | modifier le code]

Le siècle d'or néerlandais voit Amsterdam devenir la capitale mondiale de l'imprimerie, de la finance et de la navigation, grâce à l'afflux de réfugiés protestants, qui amènent leur or, et leur savoir-faire. Ils développent un marché financier sophistiqué, avec paiement à terme et options, où brillent deux sociétés très importantes : la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et la Banque d'Amsterdam. Le même phénomène se produira à la fin du siècle à Londres, envahie par une armée hollandaise comptant des milliers de réfugiés protestants français.

Amsterdam : première cotation d'une multinationale[modifier | modifier le code]

Peinture de Hendrick Cornelisz Vroom, vers 1600 : départ de voiliers de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.
Années d'expansion de la Compagnie hollandaise des Indes 1641 1651 1659 1670 1680 1700 1725 1750
Nombre de navires hollandais aux Indes orientales 56 60 83 107 88 66 52 43[23]

La Flandre protestante est soumise en 1576 au Sac d'Anvers par les armées espagnoles. Les habitants fuient à Amsterdam, dont la population quadruple en quelques années. Entre 1598 et 1602, la nouvelle capitale du protestantisme envoie 65 navires en Asie, dispersés en 14 flottes[24], atteignant le Japon, où les mines d'argent contribuent au commerce en Asie de 1638 à 1668[25]. Les immigrés juifs et protestants forment la majorité des 320 actionnaires de la Banque d'Amsterdam, créée en 1609, et jusqu'à 80 % de la population de villes comme Middelbourg ou Leyde, nouvelle capitale européenne de l'imprimerie, qui prend le relais d'Anvers. Parmi les premiers actionnaires de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, fondée en 1602[26], 38 % ont fui les guerres de religion[27]. Elle constitue un capital de 6,5 millions de florins, l'équivalent de 64 tonnes d'or[c], dix fois plus que la Compagnie anglaise des Indes orientales, fondée en 1600[28].

Le bâtiment de la Bourse d'Amsterdam d'Hendrick de Keyser vu par Claes Jansz Visscher.

La valeur des actions s'envole, de 3 000 florins en 1602 à 15 300 florins en 1670, puis 36 000 en 1720. Les dividendes, fluctuant avec les cargaisons ramenées, représentent 7,84 % de la valeur boursière de l'action en 1670 puis 3,33 % en 1720[29]. La compagnie a deux comptabilités, l’une à Amsterdam, l’autre à Batavia. Les précieuses épices servent de monnaie en Occident, inspirant l'expression « payer en espèces ». Les actions sont d'abord échangées dans une rue, le Damrak. Puis la Bourse d'Amsterdam est bâtie en 1611 par l'architecte Hendrick de Keyser pour le conseil municipal. De brique et de pierre de taille, le bâtiment de 69 mètres sur 39 enjambe le canal du Rokin, avec un péristyle de 46 piliers numérotés « pour distinguer les places où se tiennent les marchands ». Ouvert au son d'une cloche, de midi à 14 h, il peut contenir environ 4 600 personnes[30]. Au départ, seules des actions à livraison immédiate étaient négociées, mais très vite options et contrats à terme les rejoignent. La spéculation à terme y fait ses classes[31].

Indice des prix standards des contrats de bulbes de tulipe.

Le marché est animé par les immigrés juifs portugais et leur Gazeta de Amsterdam[32], diffusée deux fois par semaine, entre 1675 et 1702, en espagnol pour toucher la diaspora des Juifs sépharades, implantée aussi à Curaçao, Livourne ou Bayonne, active dans l'histoire de la culture du cacao. C'est le plus ancien périodique de l'histoire juive. On échange aussi l'action de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, qui s'empare d'une partie du Brésil portugais, tandis que la tulipomanie a lieu dans les bars et auberges. Entre et , les prix des contrats d'achat de tulipes sont multipliés par douze, frénésie qui suscite moqueries et réprobation. À partir de , les prix s'effondrent en trois semaines : c'est le « krach des tulipes ».

Rentes constituées et louis d'or, premiers placements refuge[modifier | modifier le code]

Les Compagnies européennes fondées au XVIIe siècle, nombreuses en France dans les années 1660, sont des monopoles, aux actions souvent nominatives, car il faut tempérer le risque militaire et maritime par un peu de sécurité pour leurs actionnaires. Le souci de sécurité des placements guide aussi la création en 1640 par Claude de Bullion, ministre des finances de Louis XIII, du louis d'or, pilier d'un système monétaire qui s'impose même au marché des métaux précieux de Londres et tiendra jusqu'à la Révolution française[33]. L'or est recherché car le poids de l'argent extrait des mines du Potosi et du Mexique dépasse de 60 fois celui de l'or dans les années 1640.

Louis d'or de Louis XIII.

Pour pallier l'absence de banques solides, les rentes constituées se développent aussi, même si Jean-Baptiste Colbert déteste « le rentier : économiquement il le perçoit comme un oisif parasitaire dont les capitaux ne s'investissent ni dans l'industrie ni dans le commerce, et politiquement, il le perçoit comme un danger »[34]. Il veut le forcer à investir dans les manufactures. Mais les quittances de rachat de la seconde moitié du XVIIe siècle, « résultant de la politique de remboursement des rentes engagée par Colbert, laquelle donne lieu à des édits spécifiques pour chaque type d’émission » ont finalement échoué. Les rentes constituées se développent plus que jamais après sa mort, au détriment des manufactures. La fiscalité y contribue : en cas d'échanges d'immeubles contre des rentes constituées, le lods et ventes, ou droit de 8 % (l'ancêtre du droit de mutation), n'était pas exigible[35]. Les rentes constituées subiront plus tard la concurrence de la dette publique, qui rapporte en moyenne 7,5 % en 1788, deux fois plus qu'en Angleterre (3,8 %), pourtant plus endettée de 50 %, pour une population trois fois moindre[33].

Révolution britannique, six fois plus d’entreprises cotées en une décennie[modifier | modifier le code]

La Glorieuse Révolution, menée en 1688 par une partie des britanniques, avec l'aide d'une armée franco-hollandaise dirigée par Frédéric-Armand de Schomberg chasse Jacques II et déclenche la révolution financière britannique : création de la Banque d'Angleterre, des compagnies d'assurances, comme le Lloyd's of London, et boom de la dette publique, pour financer la Royal Navy, via les Navy bills.

De 1688 à 1702, elle passe de 1 à 16,4 millions de livres[36]. De 1702 à 1714, elle triple pour atteindre 48 millions de livres sterling, dont la majeure partie pour la Marine. La Royal Navy compte 272 vaisseaux dès 1702, 77 % de plus que sous Cromwell. Son superviseur entre 1692 et 1699, Edmund Dummer, lui impose des formats standards, visés par le Parlement[37], pour rendre interchangeables les composants, en valorisant les innovations de Thomas Savery.

Savery publie dans la presse en 1702 un croquis de sa pompe inspirée de celle de Denis Papin, qui rend viable bien des mines anglaises, travaux poursuivis par Thomas Newcomen.

Les chantiers navals de cale sèche de Portsmouth et Plymouth se développent, la valeur du premier étant triplée en dix ans[38]. Dès 1741, la flotte anglaise est trois fois celle de la France[39]. Le Board of Ordnance vérifie les contrats d'approvisionnement de la Royal Navy, dans une politique d'aménagement du territoire. Pilotée par la Banque d'Angleterre, la dette publique a un taux d'intérêt faible, grâce à une administration fiscale renforcée[40], collectant la land tax, proportionnelle aux surfaces possédées, qui représente 52 % de l'ensemble des recettes en 1696[41].

La Banque d'Angleterre, pompe d'amorçage de la dette publique, pour financer la Royal Navy.

La Banque d'Angleterre sert aussi à sécuriser les country banks de province, créées par des bonnetiers, tisserands, brasseurs, meuniers ou commerçants en fer. Elles seront une douzaine dès 1750, puis 120 en 1784 et 290 aux environs de 1797[42]. La BLC, fondée en 1746 avec 100 000 livres, prête dès 1764 aux filatures de lin développées depuis 1697 par Louis Crommelin et 70 familles huguenotes à Lisburn, près de Belfast, puis en Écosse, qui en tire 22 % de ses exportations dès 1704. Les publications des 301 associés de la Société agronomique écossaise, créée en 1723[43], aident au triplement de la production écossaise entre 1730 et 1775, à 121 millions de yards, répartie entre Dundee et Glasgow, qui double ses exportations entre 1725 et 1738 grâce à une subvention de 2 750 livres[44]. En 1742, Edward Cave valorise la fileuse à coton de Lewis Paul et lance les premiers entrepreneurs du coton britannique. Pour l'historien Robert Mandrou[45], l'une des principales innovations est « l'essor des sociétés anonymes par action, au détriment des compagnies à chartes détentrices d'un monopole d'État. » La Cité de Londres privilégie les « associations libres, constituées par les marchands, sur des bases financières précises et soumises aux seules règles du marché londonien, par l'intermédiaire de la cotation en bourse. Dans la dernière décennie du XVIIe siècle, ces sociétés se multiplient, à tel point qu'en 1700, il s'en trouve 140 dûment recensées sur la place de Londres. Elles n'étaient que 24 en 1688. Leur prospérité draine les capitaux anglais et étrangers, en particulier hollandais ». Elles capitalisent 4,5 millions de livres selon les travaux de William Robert Scott[46].

Le négoce des actions se concentre autour de City's Change Alley, dans deux cafés : Garraway's et Jonathan's, où le huguenot John Castaing publie en 1692 une première liste d'actions intitulée « Le cours des échanges et autres choses ». Le Jonathan's sera renommé « London Stock Exchange » en 1777, en s'installant dans un bâtiment dédié. Parmi les trois sociétés par actions créées dans les années 1700 dans le charbon de Newcastle, « The Blythe Coal Company ». Son concurrent Charles Montagu (1658-1721) installe des wagons roulant sur six kilomètres de rails en bois et devient dès 1703 le premier producteur, avec 70 000 tonnes. Les premiers entrepreneurs du charbon britannique profitent aussi des aménagements de rivière en Angleterre et du brevet déposé en 1698 par Thomas Savery, qui diffuse dans la presse en 1702 un croquis simplifié de sa pompe à vapeur, améliorée en 1711 par Thomas Newcomen et produite à grande échelle grâce aux premiers entrepreneurs de la fonte britannique, découverte en 1709 par Abraham Darby. Combinée au sulfate de fer de John Roebuck, de l'Université d'Édimbourg et de la Lunar Society, elle permet le placage au fer des boulets de canon pour les grosses commandes de la Royal Navy dès les années 1750. La presse, libérée de la censure, couvre les concours d'inventeurs et les débats du Parlement: de 1688 à 1692, 26 publications sont créées[47], concurrençant la Gazette de Leyde et la Gazette d'Amsterdam de Jean-Alexandre de la Font. The Athenian Mercury commença à paraître en 1691. Un pasteur français, Jean de Fonvive, gagne 600 livres sterling par an[48], avec son Post Man, alimenté par la diaspora des Huguenots[49]. Abel Boyer (1667-1729), arrivé de Castres en 1689, édite le Post Boy: 3 000 exemplaires contre 3 800 pour le Post Man, des chiffres énormes pour l'époque. Un troisième « quasi-quotidien », le Flying Post, sort aussi en 1695. Un autre huguenot, Pierre-Antoine Motteux, fonde dès 1692 le mensuel Gentleman's Journal[50]. En 1701, Norwich Post dispute le rôle de premier quotidien de l'histoire au Daily Courant fondé le par le libraire Edouard Mallet au-dessus du White Hart pub à Fleet Street, et compile des nouvelles de l'étranger.

XVIIIe siècle[modifier | modifier le code]

L'Anglaise des Indes à Bombay en 1732, un placement apprécié des Hollandais.

Au XVIIIe siècle, les obligations règnent sur les bourses de valeurs, qui se sophistiquent : usage courant des options et ventes à découvert (France), restructurations de dette aux États-Unis ou fongibilité de la dette publique autrichienne et anglaise. Celle de l'Angleterre croît tout au long du siècle, les financiers hollandais étant rassurés par la solidité du système fiscal anglais et l'intervention de la Banque d'Angleterre, qui inspire ensuite la France et les États-Unis.

Placements des hollandais en 1782 Angleterre France Colonies Prêts intérieurs Change Or et argent
mlns de florins[51] 380 25 140 425 50 50

Après le siècle d'or néerlandais, Amsterdam recycle ses capitaux dans la finance, arbitrant entre les placements dans les différents pays, puis subissent la concurrence de la place de Genève. La présence des actions est d'abord limitée aux compagnies des Indes françaises et anglaises, dont les krachs affectent Amsterdam, puis à l'engouement, à la toute fin du siècle, pour les assureurs français et les sociétés de canaux anglaises, qui complètent le réseau routier des turnpike trusts et celui des aménagements de rivière en Angleterre.

Genève est l'autre source de capitaux, mais surtout à destination de la France. La longue somnolence du marché financier français, entre 1720 et 1770 s'explique par l'absence d'emprunts émis et cotes au dehors et de titres étrangers cotés à Paris, ce qui n'avait nullement empêché la montée à Paris de banquiers genevois et apparentés se cantonnant dans les affaires en commission, gestion de dépôts et comptes courants de toute une clientèle de rentiers français.

John Law dissout la dette de Louis XIV dans le Mississippi[modifier | modifier le code]

À en juger par les nombreux trous d'aiguille, les derniers billets ont beaucoup circulé.

En 1698, le financier écossais William Paterson crée avec 172 artisans écossais la Compagnie du Darién, au Rendez-vous de l'île d'Or, en s'inspirant des autobiographies des pirates du Panama, Lionel Wafer et William Dampier. C'est la porte panaméenne du commerce vers les « mers du Sud », où l'argent métal venu du Potosi péruvien flambe pour cause de pénurie. Les 2 000 colons écossais sont décimés par la malaria mais le mythe du Pacifique perdure : des armateurs malouins bâtissent d’immenses fortunes sur les côtes du Chili et du Pérou. Le cap-hornier Noël Danycan de l'Epine (1651-1731)[52], fonde lui aussi une Compagnie royale de la mer du Sud dès 1698. En 1711 émerge une compagnie des mers du Sud anglaise, dont Jean de Fonvive a mille actions, au centre de la South Sea Bubble, vaste spéculation qui dure jusqu'au krach de 1720.

Un autre financier écossais, John Law de Lauriston, est appelé par la France après la mort en 1715 de Louis XIV qui laissait derrière lui une dette de 3,5 milliards de livres, soit dix années de recettes fiscales (en 2010, la dette publique française est 3 fois moins élevée, avec 3,5 années de recettes). S’inspirant de la Compagnie des mers du Sud, il crée une nébuleuse de sociétés autour de la Banque générale, au capital de 6 millions de livres, fondée le sur le modèle de la Banque d'Angleterre. Ses 1 200 actions sont échangeables contre les créances sur l’État. Ses billets, convertibles en or, peuvent être reçus comme impôt. Jean Paris de Monmartel investit 300 000 livres[53] dans la Compagnie d'Occident de Joseph Paris Duverney, rachetée par la Compagnie du Mississippi, qui récupère aussi le monopole de la Compagnie de la Louisiane d'Antoine Crozat, première fortune de France. La « Mississippi » rachète aussi, grâce à une augmentation de capital, la Compagnie française des Indes orientales, puis la Banque générale, rebaptisée « Banque Royale » la même année.

Cours de la Compagnie des mers du Sud lors du krach de 1720.

Des publicités attirent en Louisiane des Alsaciens, qui fondent la ville Des Allemands (Louisiane). Dès se déchaînent les agiotages, rue Quincampoix, sous les fenêtres de la Compagnie du Mississippi, où on s'arrache ses actions : toutes les maisons, « morcelées en bureaux, se louèrent à des prix fous ». Un bossu se loua comme pupitre[33]. Une dame Chaumont, mercière à Namur, gagna 60 millions de livres et acheta la seigneurie d'Ivry-sur-Seine et l'hôtel de Pomponne[54]. Puis c'est devant l’Hôtel de Soissons, de l'un des spéculateurs menacés de ruine, Victor-Amédée Ier de Savoie-Carignan, où des baraques sont dressées pour y accueillir les agioteurs, et rue de l'Arbre-Sec. Le , c'est la première baisse. Le , le Régent exige que la Compagnie du Mississippi lui reprenne ses actions à 9 000 livres. John Law invente alors un instrument financier de plus, « les primes » : déposer 1 000 livres, donne le droit d'acheter l'action pour 10 000 livres pendant six mois[55]. Les spéculateurs les préfèrent aux actions, la rumeur espérant que ces dernières montent à 18 000 livres[56]. Vendre à 10 000 livres permettait d’acheter 10 « primes »[57], qui sont devenues l’objectif principal des spéculateurs. En février-, lorsque l'action est encore à 9 000 livres, avec une tendance baissière, les étrangers revendent à terme, avec 30 % de « prime »[58]. Le , la rue Quincampoix est fermée. L'édit du ordonne une baisse des actions à 5 000 livres, en sept étapes jusqu'en décembre. Il est annulé le , car le Parlement de Paris et les souscripteurs se révoltent[58]. Le château de cartes s’écroule le . Dès cinq heures du matin, rue Quincampoix, une émeute oppose des milliers d'actionnaires : 15 personnes y périssent. Même scénario en août à Londres, lors du krach de 1720. L'action Compagnie des mers du Sud avait été multipliée par 9, épisode raconté par Daniel Defoe, Jonathan Swift et le physicien Isaac Newton.

Rue Vivienne, les obligations royales à haut rendement[modifier | modifier le code]

Au XVIIIe siècle, la spéculation à terme, à liquidation mensuelle, est devenue majoritaire[59], à la Bourse de Paris, dominée par les effets de commerce et une dette publique dont le service représente 50 % des 620 millions de livres de dépenses du roi de France en temps de paix[60]. Les textes officiels parlent d'un « jeu de primes », permettant de renoncer à une transaction si le cours n'est pas au niveau espéré. Variant de 4 % en 1754 à 10 % en 1771[61] le rendement obligataire moyen est de 6,5 %, deux fois plus qu'en Angleterre (3 à 4 % en moyenne)[60], pays dont la dette publique est pourtant plus élevée d'environ 50 %[33]. Paris cote une obligation différente pour chaque taxe, alors qu'il n'y a qu'une seule obligation à Londres, qui « publie régulièrement son budget et paie scrupuleusement ses créanciers »[33], tandis que Versailles « fait régulièrement banqueroute et cultive le secret comptable », selon l'ouvrage de Jacques Necker, L'Administration des finances de la France (1784)[62] », premier best-seller politico-financier, avec 12 000 exemplaires vendus en un mois[63].

Le Suisse Jacques Necker vend 12 000 exemplaires de L'Administration des finances de la France (1784).
Année 1720 1758 1787
fiscalité anglaise (livres/habitant) 19 23 34
fiscalité française (livres/habitant) 8 9 12[64].

Dès 1721, il faut nettoyer le système de Law, par l'opération du visa : 185 « agioteurs » frappés d'amende, 187 millions de livres d'obligations confisquées, deux fois plus que sous la Chambre de justice de 1716[65]. Les vingt morts de l'émeute de la rue Quincampoix obligent à déplacer la spéculation vers les jardins de l'Hôtel de Soissons[30], puis la réglementer par l'arrêté du , qui plafonne à 60 le nombre d'agents de change, des « officiers ministériels »[66], cantonnés au rôle d'intermédiaire. Les clients doivent leur remettre l'argent. La séance a lieu tous les jours, sauf les dimanche et fêtes, de dix heures à treize heures[30]. Un bâtiment de 38 toises sur 21 (68 mètres sur 38) lui est réservé, au 6 rue Vivienne, dans le « Jardin de la Compagnie des Indes », aujourd'hui « Jardin Vivienne »[67], en contrebas de la partie de l'Hôtel de Nevers[30] où la Compagnie est installée depuis 1719[68], dans l'ex-« Galerie Mansart » réalisée pour les collections d'art antique du cardinal Mazarin[69], aujourd'hui « Galerie de photographie » de la Bibliothèque nationale de France. Avant le krach de 1720, l'ensemble de l'hôtel de Nevers était occupé par la Banque générale de John Law. L'autre moitié, récupérée par l'abbé Bignon, sera consacrée à la « Bibliothèque royale ». La traverse réservée à la bourse est bordée d'un péristyle, percé d'arcades donnant sur la rue, encadrant un préau sablé et peuplé de bancs.

Tout proche, l'hôtel de l'Administration générale des loteries[70], à l'angle de la rue Vivienne et de la rue neuve des Petits Champs[71], et le Trésor royal. Tous deux remplacent la Compagnie des Indes à sa suspension en 1769. L'arrêté du institue la criée à haute voix et un « parquet » de négociation, surélevé d'un mètre. La Caisse d'escompte est fondée en 1776 au 8 rue Vivienne[72]. Les transactions s'accélèrent dans les années 1780[73].

Amsterdam et Genève, capitales protestantes des obligations[modifier | modifier le code]

La place d'Amsterdam commence à prêter aux suédois, autrichiens et hongrois, trois pays aux ressources monétaires en argent et cuivre, dès le milieu du XVIe siècle[74]. Après 1713 et la fin de la Guerre de succession d'Espagne, elle va commencer à profiter de la neutralité des Pays-Bas, ce qui lui permet de souscrire des emprunts publics pour une moyenne de 5 millions de florins par an entre 1713 et 1764, essentiellement vers l'Angleterre et l'Autriche-Hongrie[74]. Après la guerre de sept ans, la place hollandaise accélère et passe à une moyenne de 20 millions de florins par an en plus entre 1780 et 1794[74].

La banque Hope and co, fondée par une famille qui a quitté en 1734 l'Écosse pour Amsterdam devient peu à peu la principale de la capitale néerlandaise, avec un capital de dix millions de florins en 1780[74]. Cette banque place dix emprunts publics pour la Suède entre 1767 et 1777 et 18 pour la Russie, entre 1788 et 1793. En 1800, près de 70 emprunts publics de 14 pays sont cotés à Amsterdam et les placements hollandais à l'étranger représentent 500 à 600 millions de florins[74], près de deux fois le PIB estimé des Pays-Bas, ratio qui dépasse largement celui de 1,5 fois pour l'Angleterre qui sera observé avant 1914[74].

De son côté, Genève ne se tire par trop mal de l'aventure du système de Law et un grand nombre de familles commerçantes se retrouvent, plus en possession de titres français, tandis qu'au même moment en Angleterre, le Krach de 1720 a causé des ruines, mais semble avoir plutôt profité aux affairistes genevois, selon le résident de France, La Closure[75]. Ces plus values s'ajoutent aux bénéfices : en 1720, on compte déjà sept usines d’indiennes de coton à Genève. Le succès crée une dynamique économique suisse avec la création de banques comme celle de Jacques-Louis de Pourtalès en 1743.

La prohibition de l'importation de cotonnades autres que celles mises en vente par la Compagnie des Indes accélère l'émigration industrielle suisse vers la France, et pousse les grandes maisons de commerce suisses à investir davantage sur le versant maritime des Indiennes de coton[75]. Afin de contourner ce nouveau monopole, elles prennent, sous pavillon neutre ou non français, de gros intérêts dans les armements pour l'Inde: une spéculation très rentable (20 à 40 ou 50 % de bénéfice voire 60 %) qu'avec les Indes occidentales ou les États-Unis[75].

Plantamour & Rilliet, Genève et Lorient, ou Pourtalès & Cie, grands acteurs des ventes de la Compagnie des Indes, deviennent vers (1781-1790) les plus gros actionnaires suisses des entreprises Solier & Cie, armateurs à Marseille. Senn, Bidermann & Cie déplace son siège social à Paris en 1789 pour organiser des expéditions pour les Indes orientales[75].

Dès le milieu du XVIIIe siècle, Genève fonctionne véritablement comme une réserve passive de capitaux. Les guerres obligent à nouveau les États à emprunter massivement. C'est surtout en France et dans la seconde partie du siècle que les investissements genevois prennent de l'ampleur. Avant la Révolution française, l'un des banquiers les plus importants de la place déclare que « les trois quarts ou plutôt les dix-neuf vingtièmes des fortunes de Genève dépendaient des finances de la France »[75]. Après la Révolution, la période d'inflation puis le scandale des assignats, des banqueroutes en chaîne entraînent l'effondrement financier avec la faillite dès 1792 des trois grandes banques genevoises qui avaient placé 3/4 du viager genevois :

  • Lullin Masbou, Aubert & Cie, Bontems ;
  • Mallet frères & Cie ;
  • Passavant, de Candolle Bertrand & Cie[75].

La crise de l'East India en 1772 : du Bengale et l'Écosse à Londres, Amsterdam et Gênes[modifier | modifier le code]

Les comptoirs Européens en Inde.

Entre 1753 et 1795, les financiers hollandais investissent dans 240 obligations sur les plantations des Caraïbes, garanties par les récoltes de sucre[76], mais aussi dans le commerce vers l'Asie. La place d'Amsterdam vit au rythme des guerres et révoltes dans les empires coloniaux français et anglais.

En 1763, la capitulation française à l'issue de la guerre de Sept Ans fragilise La Compagnie française des Indes orientales, monopole royal et seule action cotée à Paris: lors du Traité de Paris (1763), la Banque Girardot doit lui lever 14 millions de livres, fonds de roulement encore insuffisant pour les achats d'indiennes de coton, car les métaux précieux manquent. La Cie des Indes assure à ses créanciers la Rente viagère, imaginée par Necker, puis instaurée par l'Abbé Terray, aux finances du Roi, pour supprimer les dettes perpétuelles. Finalement, Louis XV supprime son monopole et ouvre l'Asie au commerce privé en 1769.

En 1770, l'action de la Compagnie anglaise des Indes orientales chute à Londres et Amsterdam[77]. La famine au Bengale a causé[78] un à dix millions de morts, en raison de taxes excessives, de mauvaises récoltes de riz, et de la guerre entre Anglais et Hindous. Plusieurs actionnaires de la Compagnie anglaise des Indes orientales s'effondrent, comme l'Ayr Bank, fleuron d'un système bancaire écossais poussé trop vite[79], mais qui résiste, grâce à sa chambre de compensation sélective : de nombreuses banques ont évité les emprunts de l'Ayr Bank, dont les 241 actionnaires sont mis à contribution, comme le prévoit le droit écossais. Seules huit banques familiales sont entraînées dans la faillite[80].

Le , la banque Clifford sombre à Amsterdam[81], laissant 5 millions de florins de passif. Enrichie par ses plantations au Suriname, elle s'était diversifiée vers le négoce d'actions et d'obligations russes, danoises, françaises et anglaises. La Banque d'Amsterdam la renfloue de trois millions de florins, sans succès. La Banque d'Angleterre lui supprime tout escompte[82]. Une faillite d'un million et demi de piastres se produit par ricochet à Gênes en février. Trop recentrée sur la rente, la place d'Amsterdam perd alors son statut de capitale financière européenne[83].

Le « Tea Act » de , vient au secours de la Compagnie anglaise des Indes orientales dont est créancier le Trésor britannique, car elle fait défaut sur ses emprunts. Ce nouveau privilège commercial en Amérique du Nord déclenche de la Boston Tea Party et de la Guerre d'indépendance américaine. Autre conséquence, la Fuite de capitaux anglais de 1774, sortie massive de pièces d'or et d'argent. Londres le prend avec flegme car « le haut de la circulation monétaire est déjà occupée (…) par les billets de la banque d'Angleterre et des banques privées », explique l'historien Fernand Braudel[84].

Le renaît une Compagnie des Indes. Le commerce avec l'Inde, porté par la conquête de cinq comptoirs lors du traité de Paris, est passé de 8 à 20 millions de livres.

À Genève, croisement entre variole, mathématiques et rentes viagères[modifier | modifier le code]

Marat, Mirabeau et Cambon ont dénoncé à la Révolution française le recours aux rentes viagères pour financer la dette publique et ceux qui l'ont utilisée pour spéculer sur les progrès dans la vaccination et la démographie.

Quand le Suisse Jacques Necker succède à l'Abbé Terray comme ministre des Finances de Louis XVI, Genève vient d'inventer une rente viagère sur des enfants : plus leur espérance de vie s'allonge, plus la rente se prolonge, prenant de la valeur. L'année précédente, en 1774, Benjamin Jesty a testé un vaccin amélioré contre la variole, qui cause encore le quart des décès[85]. Pour réduire l'aversion au risque des investisseurs, Genève imagine un panier de trente rentes sur la tête de trente fillettes. L'une d'elles est la fille[86] du médecin Louis Odier, qui conseille les banquiers de Genève. Une correspondance avec Anton de Haen lui a permis d'enquêter sur l'efficacité de la vaccination contre la variole à Londres depuis 1661, ville dont il extrapole les tables de mortalité. Louis Odier publie celles[87] pour Genève, en 1777 et 1778[88], s'inspirant du mathématicien Daniel Bernoulli, selon qui vacciner contre la variole augmente de 3 ans l'espérance de vie globale de la population.

Table de mortalité Antoine Deparcieux Théodore Tronchin Pehr Wilhelm Wargentin Thomas Simpson Leonhard Euler Johann Peter Süssmilch Daniel Bernoulli Louis Odier
Année 1746 1748 1749 1752 1760 1761 1763 1780
Nationalité Français Suisse Suédois Anglais Suisse Prussien Suisse Suisse

En 1763, le Parlement de Paris avait interdit d'inoculer la variole, craignant que cela contrecarre la volonté de Dieu[89] ou aggrave l'épidémie[90]. Louis Odier pense qu'il y a plus de variole tout simplement parce qu'il y a plus d'habitants. Il croit aux progrès combinés de la démographie et de l'actuariat. Le terme d'espérance de vie[91] vient d'être popularisé par son ami le mathématicien Nicolas Bernoulli, dont le frère Daniel Bernoulli, est précurseur des théories des Jeux et de l'aversion au risque, par le Paradoxe de Saint-Pétersbourg. Leonhard Euler vient d'inventer celui de démographie mathématique[92]. Parmi ses autres amis mathématiciens, François-Étienne de La Roche et Louis Necker, qui travaille à Marseille pour la Banque Girardot de Jacques Necker. Dès 1779, les progrès dans l'espérance de vie causent la faillite de la caisse des veuves du duché de Calenberg : 723 bénéficiaires pour seulement 3 700 souscripteurs[93].

Appelé aux finances du Royaume, Jacques Necker émet sept rentes viagères en trois ans. En 1777, à 10 % sur une tête puis 8,5 % sur deux. En 1779 sur trois et quatre personnes. Et surtout en 1780, sur trente têtes. Il faut consentir un taux d'intérêt de 10 % en raison d'un gouffre financier : Louis XVI vient de s'engager dans la Guerre d'indépendance américaine. Pour éviter à tout prix d'augmenter les impôts[94] Necker emprunte au total 530 millions de livres en trois ans, dont 386 millions par des rentes viagères[95]. Il utilise aussi le mécanisme de la spéculation à prime, proche des options, pour tenter d'attirer des capitaux de Hollande, Gènes et d'Espagne.

La Révolution française découvre que l'espérance de vie classique d'une rente viagère, vingt ans, sera probablement triplée[96] par les Trente immortelles de Genève. La première meurt le , amputant la créance d'un trentième[95] mais les 29 autres se portent comme un charme. Les rentes viagères, subissent la faillite des deux tiers, en y ayant fortement contribué. « Ruineuses, impolitiques, immorales »[97] elles organisent « la spéculation en ruinant le gouvernement »[98], juge Cambon, rejoint par Mirabeau. En 1790, Marat fait paraître une Dénonciation contre Necker. Le , une violente polémique oppose Cambon à Robespierre sur le coût de ces rentes viagères[99], que Cambon veut liquider, ce qui risque de jeter des « bons citoyens » dans le champ de l'anti-Révolution selon Robespierre, guillotiné le surlendemain.

Les grandes spéculations de la fin du règne de Louis XVI[modifier | modifier le code]

Après cinq ans de guerre d'indépendance américaine, une flotte française, venue en renfort, isole l'armée anglaise dans la baie de Chesapeake. Les dépenses militaires gonflent la dette royale.

Entre 1760 et 1790, Saint-Domingue double sa production de sucre et décuple celle de café. Les profits sont recyclés vers l'immobilier puis vers les emprunts royaux[100] émis pour financer la participation massive de la France à la guerre d’indépendance américaine, via l'expédition Lafayette. Les spéculateurs gagnent leur pari sur la victoire franco-américaine. Grisé par ces succès, Charles Alexandre de Calonne, contrôleur des finances, estime qu'animer la spéculation sur des actions profitera aussi aux emprunts royaux. La Caisse d'escompte est réorganisée. Le cours unitaire de ses 5 000 actions, tombé de 5 000 livres à 3 500 livres, monte à 8 000 livres[101]. Un bruit court : le dividende semestriel passera de 130 à 180 livres. Isaac Panchaud et Étienne Clavière publient des brochures prouvant que c'est illusoire. Les « baissiers » vendent 20 000 à 30 000 actions à terme. Calonne les écoute : l'arrêté du exclut des dividendes les bénéfices provenant de l'escompte à plus d'un semestre. Pour ménager aussi les « haussiers », furieux, un second arrêté interdit huit jours après les transactions à terme de plus deux mois sur cette action[102].

Ces deux décisions déplacent la spéculation vers l'action de la Compagnie des eaux de Paris des frères Périer, exploitant depuis 1782 à Chaillot une pompe centrifuge importée d'Angleterre, et vers celle de la Banque de Saint-Charles de Madrid, qui profite de la pénurie de monnaie métallique. Calonne est embarrassé, car il avait fait racheter à l’abbé d’Espagnac, par le Trésor royal, des actions de cette banque, dont il a été actionnaire[103]. Inquiet du scandale, il lance Mirabeau et ses pamphlets contre la spéculation.

Mirabeau, dont les pamphlets font la pluie et le beau temps à la Bourse.

Résultat, les cours de la Banque de Saint-Charles de Madrid retombent, les spéculateurs se reportant sur la dette publique. Nerveux, Calonne interdit à personne d'autre que les agents de change d'en acheter ou vendre, même hors de la Bourse, dans les cafés[101]. Par l'arrêt du , il interdit les titres étrangers et marché à terme, et crée 60 postes supplémentaires d’agents de change[104].

Entre-temps, une nouvelle Compagnie des Indes orientales et de la Chine émet 20 millions de livres d'actions le , puis 17 millions de livres en 1787, pour armer une quinzaine de bateaux. Son action s'envole. Actionnaire, Étienne Clavière, recycle ses plus-values dans L'Entreprise de l'Yvette, créée par Nicolas Defer de la Nouere grâce à un pamphlet de Mirabeau. Concurrencée, la Compagnie des eaux de Paris voit ses actions s'effondrer dès l'été 1786. Elle réagit en se diversifiant, créant la Chambre d'assurance contre les incendies, au capital de 4 millions de livres. Le quatuor qui spéculait contre elle (Clavière, Brissot, De Batz et Delessert) crée trois mois après une rivale, la Compagnie d'assurances contre l'incendie[105], au capital de 8 millions de livres[106]. Toutes deux proposent des contrats d'assurance-vie. En 1787, Loménie de Brienne remplace Calonne. Il renvoie la spéculation à prime devant les tribunaux, par l'arrêté du , met des bornes strictes à la cotation des emprunts royaux et exclut les compagnies privées de la Bourse, à l’exception de la Caisse d'escompte.

La canalmania des années 1790, première spéculation répartie[modifier | modifier le code]

Première page de la Richesse des nations, d'Adam Smith, dont l'œuvre a précédé la « Canalmania ».

Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, la croissance décolle dans le Nord de l'Angleterre. La Bourse suit le mouvement avec vingt ans de retard, et seulement pour les canaux, juste avant que la croissance soit stoppée par les guerres napoléoniennes. Sans que leurs producteurs soient cotés en Bourse, charbon, acier et coton deviennent moins chers, grâce aux bonds de la productivité. Les entrepreneurs du coton rivalisent d’inventions : Thomas Highs (1764), James Hargreaves (1765, Spinning Jenny), Richard Arkwright (1768, Water frame), Samuel Crompton (1779, Mule-jenny), Edmund Cartwright (1785, tisseuse à vapeur). Le coton représentait 4 % des vêtements[107] contre 78 % en laine et 18 % en lin. Sa production centuple et les proportions sont inversées.

Dès 1778, l’Angleterre recense 300 fileuses de coton, 14 ans après le brevet de Richard Arkwright, qui emploie désormais 800 personnes à Manchester. En 1784, David Dale crée la ville-champignon de New Lanark. Cette région d'Écosse comptera 91 filatures dix ans après. Dès 1787, le coton fait vivre 320 000 Anglais, 44 fois plus qu'en 1768. L'essentiel est à Manchester, relié depuis 1734 à la Mer d'Irlande par le canal Min. John Kennedy (industriel) y est le premier filateur. Il consacre un livre à l’inventeur Samuel Crompton, puis explique dans un autre l'influence d'Adam Smith[108], qui a fréquenté à la Lunar Society les inventeurs imprégnés des Lumières écossaises de l'Université d'Édimbourg, tels que James Keir, Joseph Priestley, Josiah Wedgwood, James Watt, Matthew Boulton, Joseph Black, ou encore John Roebuck, à l'origine de progrès dans la fonte au coke avec Abraham Darby et John Wilkinson.

Évolution de la production de fonte (production totale et production au charbon de bois) dans trois pays d'Europe (Allemagne, France et Grande-Bretagne)

Dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) Adam Smith cite fréquemment le canal du Midi, qu'il a visité[109], et défend la division du travail pour l'innovation technologique[110], à la base de la révolution industrielle anglaise[111]. La productivité est dopée par la machine à vapeur et la baisse des prix du charbon, qui circule sur les canaux pour un coût divisé par deux : un cheval suffit à tirer six barges de 30 tonnes. La spéculation se focalise exclusivement sur les 54 sociétés de canaux émettant des actions entre 1789 et 1792, pour un total six millions de sterling. Les souscriptions sont annoncées dans les journaux régionaux, qui décrivent une canalmania, loin de Londres. Chaque nouveau canal valorise le réseau de transport, constitué aussi des Turnpike Trusts, du cabotage commercial, permis par l'insularité de l'Angleterre, et des nombreux aménagements de rivières, tracés depuis un demi-siècle à grâce à des votes du Parlement permettant de dépasser les conflits de propriété : Aire and Calder Navigation (1703), Weaver Navigation (1721), Mersey and Irwell Navigation (1723), Navigation Douglas (1743), les écluses de la Tamise ou le Canal de Sankey (1757), reliant le charbon du Lancashire aux chaudières à raffiner le sel. Dès le premier quart du XVIIIe siècle, les voies navigables représentaient 1160 miles, plus aucun point n'étant situé à plus de 15 miles d'un transport par eau[112], permettant de bien desservir un marché intérieur anglais qui croît aussi grâce à la vaccination contre la variole.

Le capital des canaux est provincial, souvent très disséminé… et très peu échangé. Le règlement du Canal Manchester Bolton and Bury interdit de détenir plus de 5 actions. Lors de la création du Canal Leeds-Liverpool, 393 des 469 actionnaires n'en ont que 5. La moitié du capital et 71 % des porteurs vient des comtés du Yorkshire et du Lancashire. Six ans après, en 1795, 60 % ont conservé leurs actions. En 1800 c'est encore 46 %[113]. Achevé en 1816, ce sera l'un des plus rentables[114]. Il avait racheté la Navigation Douglas, promue dès 1712, par l'ingénieur Thomas Steers pour désenclaver les mines de Wigan et emporté par le Krach de 1720. Le Grand Junction Canal a lui 20 000 actionnaires, pour une capitalisation d'un million de sterling lorsqu'il est coté en 1793. La spéculation s'est accélérée sur la période 1791-1794. La Trent Navigation organise en 1792 une enchère de son action à 183 sterling contre 50 en 1777. Celle du canal Erewash, achevé dès 1779, monte de 50 à 674 sterling[113] grâce à son gros trafic de charbon.

Les actions de canaux chuteront en 1825, l'année qui voit une vingtaine de compagnies ferroviaires entrer en Bourse de Londres. Dès 1830, un sur deux n'est plus rentable. Mais l'Angleterre est le seul pays d'Europe à bénéficier de 6 000 kilomètres de voies navigables, dont un tiers de rivières aménagées et un tiers de canaux. Adam Smith est désormais éclipsé par l'agent de change David Ricardo, qui a fait fortune lors des spéculations des années 1800. En 1817, il publie Des principes de l'économie politique et de l'impôt, vantant l'avantage comparatif : chaque pays doit se spécialiser là où il dispose de la meilleure productivité.

Philadelphie devance New York et la domine pendant 47 ans[modifier | modifier le code]

Les 24 courtiers sous le platane d'Occident (buttonwood tree) à Wall Street à la fin du XVIIIe siècle.

Les Treize colonies d'Amérique obtiennent leur indépendance en 1784 après une guerre qui les a ruinées : leur dette ne vaut plus rien. Thomas Jefferson, secrétaire d'État et leader républicain, veut son refinancement. Alexander Hamilton, secrétaire du Trésor et leader fédéraliste, obtient en échange que Philadelphie soit capitale fédérale[115]. La Bourse de Philadelphie naît ainsi en 1790, sur Chestnut street[116], pour coter un emprunt fédéral de 8 millions de dollars, qui restructure la dette des ex-Treize colonies[117]. Les ex-créanciers hollandais acceptent alors, en 1794, de continuer à investir en Amérique. Ils financent par des obligations la spéculation sur des millions d'acres de terres vierges, à l'ouest de New York et de Washington[76]. L'État emprunte aussi pour l'US Navy, créée par les Naval Acts de 1794 et 1798, les Anglais ayant confisqué les navires de guerre américains pendant la Guerre d'indépendance. Philadelphie cote aussi dès 1791 l'action de la First Bank of the United States, banque centrale, dont l'État ne détient que 20 %. L'action atteint 195 dollars, un an après avoir été émise à 100 dollars, puis retombe à 108 dollars.

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Le tracé du canal Érié (en bleu), percé de 1817 à 1825, grâce aux obligations de l'État de New York.

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, les obligations continuent à régner : les actions pèsent moins d'un tiers des bourses de valeurs européennes, où l'industrie est absente. Le trio assurances-banques-canaux (financés à 70 % par la puissance publique)[118] vient à peine d'être bousculé par deux nouveaux secteurs : rail et mines. Après l'or sud américain coté à Londres, le charbon belge apporte de nouveaux placements dans les années 1830, puis l'État pilote la formidable expansion du chemin de fer, en tant qu'opérateur en Belgique, propriétaire des terrains en France et régulateur attentif dans les pays anglo-saxons. En Angleterre, le rail représente 95 % de la capitalisation des actions en 1853, après trois décennies de bouleversement.

  • 1816 : Second Bank of the United States, au capital triplé
  • 1825 : railway mania à la Bourse de Londres
  • 1825 : Boston invente le système Suffolk, chambre de compensation pour les billets de banque
  • 1825 : krach des mines d'or latino-américaines
  • 1830 : Mohawk and Hudson Railroad veut relier Albany aux Grands Lacs, entre en Bourse
  • 1830 : révolution belge créant la SGB, qui fait coter les mines de charbon
  • 1833 : loi poussant à créer des banques britanniques bien capitalisées
  • 1833 : les spéculateurs français créent des télégraphies optiques privées
  • 1837 : panique bancaire anglo-américaine
  • 1840 : la capitalisation française a doublé en 5 ans, 37 % pour les 20 compagnies ferroviaires, mais seulement 560 kilomètres
  • 1841 : les actions du rail anglais ont doublé en moyenne
  • 1846 : le télégraphe électrique relie Boston à Washington

Les États-Unis sont le pays où les actions jouent le plus grand rôle, après la Belgique dans les années 1850, les autres pays se rattrapant 35 ans après :

Décennie 1850 et décennie 1875-1885[119] France Angleterre États-Unis Allemagne Belgique
Dette publique ( % des actifs) 4,4 et 7,8 12,8 et 7,2 3,2 et 2,1 2,3 et 4,9 NC
Obligations privées ( % des actifs) 0,9 et 4 3 et 4,5 2,8 et 4,2 0,9 et 1 NC
Actions ( % des actifs) 1 et 2,7 3 et 4 5,5 et 9,2 0,5 et 1 6,5 et 6,5

En Angleterre, la dette publique est détenue par 250 000 porteurs et dépasse 740 millions de livres au milieu du siècle, facilitant l'expansion Victorienne. Ensuite, elle progresse surtout en Allemagne, et en France, tout comme les actions et obligations d'entreprise. Aux États-Unis, les marchés d'actions profitent du dynamisme bancaire de la Nouvelle-Angleterre (années 1820) puis de la très forte croissance démographique, minière et ferroviaire après la Guerre de Sécession, qui permet des valorisations élevées. La part du rail dans les actions américaines passe ainsi de 15 % en 1860 à 39 % en 1900. Elle reviendra à 26 % en 1912[120]. En Europe, la part des actions dans les actifs augmente partout vers 1880, la France étant le seul pays où elle reste inférieure à celles des obligations d'entreprise.

Les bourses belges et anglaises bénéficient très tôt d'une presse économique libre et exigeante envers les entreprises. Rien qu'à Londres, 52 journaux boursiers naissent en un siècle[121], parmi lesquels Le cours des échanges et autres choses[122] de James Vetenhall en 1803, le Financial and Commercial record en 1818 et le Circular to bankers d'Henry Burgess, hebdomadaire économique de huit pages, lu dès 1828 dans les Country banks ou The Economist, né en 1843. La presse anglaise révèle l'affaire de l'Emma Silver Mine, société presque « vide » placée auprès d'investisseurs anglais en 1871, mettant hors-jeu le baron Grant qui pilote de nombreuses introduction en Bourse à Londres[123],[124].

Les publications économiques se multiplient après la révolution belge : L'organe de l’industrie et du commerce et L'Emancipation de Natalis Briavoinne en 1832, L'industrie et le commerce belges en 1858, Le courrier du commerce (quotidien) en 1865 ou La gazette de la Bourse en 1873. L'agent de change Armand Mandel fonde en 1868 La Cote libre de la Bourse de Bruxelles et le Bulletin financier à Paris. Ses révélations sur le financier André Langrand-Dumonceau et sa puissance financière catholique stoppent la Société impériale des chemins de fer de la Turquie d'Europe[125]. La Belgique s'épargne ainsi les affres du krach de l'Union générale de Paul Eugène Bontoux. Armand Mandel fonde ensuite à Paris Le Pour et le Contre, vigoureux ancêtre de La Vie française et dénonce le scandale de Panama, relançant l'histoire de la presse économique et financière en France muselée par la censure du Second Empire, sous lequel naît en 1854 La Semaine financière (Famille Rothschild), concurrencée en 1856 par Le Journal des actionnaires, bonapartiste, de la Caisse générale des actionnaires. Journal des chemins de fer reste alors une référence.

Années 1800 et 1810[modifier | modifier le code]

Révolution française et Empire : premières réglementations[modifier | modifier le code]

La Bourse est installée à la Révolution dans la basilique ND-des-Victoires (IIe arrondissement), future église des Petits-Pères.

À la Révolution française, le législateur déplore que la bourse ne soit « plus qu’un jeu de primes, où chacun vendait ce qu'il n'avait pas, achetait ce qu'il ne voulait pas prendre », où « l'on trouvait partout des commerçants et nulle part du commerce ». En cas de délit, biens confisqués, deux ans de prison, et exposition publique du coupable, avec un écriteau sur la poitrine mentionnant : « agioteur ». La corporation des agents de change est dissoute par la loi Dallarde de 1791[126]. Cette activité devient ouverte à tous, à la seule condition d'en faire son seul métier. La loi du limite la durée des séances boursières à une heure, entre 25 agents de change. Cinq d'entre eux sont chargés de publier les cours dans la presse, ou par affichage. L’arrêté du exige que les transactions soient proclamées à haute voix, avec nom et domicile du vendeur et du dépositaire. Les assignats, gagés sur les biens du clergé, ayant été abandonnés le , le Directoire impose une « rente perpétuelle de 5 % », par la loi du 30 septembre 1797. La dette publique est autoritairement réduite des deux-tiers, partie qui n'est plus remboursable qu'en « bons de Trésorerie ».

Sous Bonaparte, la loi du crée une « Compagnie des agents de change », au nombre de 71, dont 17 exerçaient avant la Révolution française[127],[128]. Responsables sur leur fortune personnelle, ils ont le monopole de la négociation dans chaque bourse régionale : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Paris et Toulouse. Le code du commerce de 1807 renonce à les placer sous la tutelle des marchands : ils sont officiers ministériels. Sur les 115 nommés entre 1801 et 1815, 30 démissionnent, 12 sont destitués, 4 se suicident[129]. La Compagnie créée en 1818 une « caisse commune », après avoir été forcée d'emprunter pour renflouer des membres. En quinze ans, la Bourse de Paris change quatre fois de lieu. Fermée le , elle rouvre sous le Directoire, le au Louvre. Fermée à nouveau le , elle est rétablie le dans l'église des Petits-Pères, devenue bien national, tandis que des échanges informels ont lieu au Palais-Royal, où la bourse s'installe officiellement le . Le , elle déménage dans un hangar sur le terrain de l'ex-couvent des Filles-Saint-Thomas[130], autre bien national, détruit après les exactions des royalistes des Filles-Saint-Thomas, qui en avaient fait leur repaire. Sur ses ruines démarre en 1807 la construction du palais Brongniart, inauguré le , en face du théâtre des Nouveautés, futur théâtre du Vaudeville. Le coût de la construction est couvert par les souscriptions des agents de change, gouvernement et mairie de Paris complétant.

Le krach bancaire de 1819 aux États-Unis[modifier | modifier le code]

Le banquier franco-américain Stephen Girard rachète en 1811 la First Bank of the United States, pour financer la guerre de 1812. La Second Bank of the United States lui succède en 1816 avec un capital triplé, de 35 millions de dollars, détenu par l'État et Stephen Girard. Cette banque centrale plus solide permet au nombre de banques de s'envoler : 232 en 1816, puis 338 en 1818[131]. Mais leur nombre trop élevé entraîne la crise bancaire de 1819, quand les créanciers anglais réclament leur or. Pour y remédier, Boston invente en 1825 le système Suffolk, chambre de compensation pour les billets de banque. Dès 1820 font leur apparition à New York des « curbstone brokers »[132], créant un marché libre hors-côte, le Curb Market.

Années 1820[modifier | modifier le code]

Panneau Histoire de Paris
« La Bourse »

Paris échoue à dupliquer la « canalmania » anglaise[modifier | modifier le code]

Canal de la Sambre à l'Oise, écluse d'Ors.
Année 1848 1850 1861 1869
Nombre total d'actions cotées à Paris[133] 57 61 67 141
chemin de fer 21 21 22 29
canaux 20 18 20 25
banques 16 5 12 21

La Bourse de Paris est longtemps restée cantonnée à trois secteurs, chemin de fer, canaux et banque, qui représenteront la totalité des actions françaises jusqu'en 1848 et encore 53 % de leur nombre en 1868. Lors des guerres napoléoniennes, elle tente, sans succès, de s'inspirer du succès de la canalmania anglaise. Les sociétés de canaux français valent 19 millions de francs, soit 16 % de la capitalisation boursière. Le reste est constitué de l'action Banque de France[134], qui vient d'être créée.

Ensuite, la longueur des canaux français triple entre 1815 et 1848, grâce au plan Becquey du [135]. En 1830[136], la Bourse de Paris cote canaux, dont 5 totalisent 62% des investissements[137] : canal de Bourgogne, canal de Roanne à Digoin, Compagnie des quatre canaux, canal de la Sambre à l'Oise, pour amener le charbon belge du Borinage et canal Rhin-Rhône, achevé seulement en 1833. Les retards pris par le canal Crozat et le canal de Bourgogne au XVIIIe siècle pénalisent le réseau français. Les investisseurs s'en méfient, les levées de fonds sont rares et les échanges anémiques.

Du fait de transactions rares, la volatilité des actions de canaux reste élevée : 23 % en moyenne entre 1822 et 1868, contre 13 % pour les autres actions[138]. Elle atteint même 34% sur les actions de jouissance, seul vrai capital des canaux, le reste étant constitué d'« actions d'emprunt », en fait des obligations[139]. Sur un horizon d'un an, la hausse des cours moyenne ne dépasse pas 3 %.

Chili, Pérou, Bolivie, Mexique, Colombie : l'appel à Londres puis krach de 1825[modifier | modifier le code]

Après 1808, l’Empire espagnol meurt. De nouveaux pays naissent, Argentine, Chili, Pérou, Bolivie, Mexique, Colombie. Après quinze années de guerres de libération, 26 sociétés minières[140] entrent en Bourse de Londres, souvent dirigées par les élites de ces nouvelles républiques[141]. Près de 12 millions de sterling sont levés. Des centaines de techniciens anglais viennent moderniser l'extraction d'argent-métal, dont a besoin l'économie anglaise après la famine monétaire des années 1800.

L'Angleterre exporte en échange le coton de Manchester, faisant aussi la fortune des distributeurs, comme les frères Arnaud, qui ouvrent à Mexico en 1821 leur grand magasin. Au Chili, l'ex-ministre des Relations extérieures Mariano de Egana, ambassadeur en Europe, négocie la reconnaissance officielle par Londres et un grand emprunt. La Compagnie du Pérou, capitalisée de deux millions de sterling, extrait du Cerro de Pasco un tiers de la production d'argent du pays. La partie orientale devient la Bolivie, fidèle à Simón Bolívar, qui nationalise des mines abandonnées, le [142],[143], futur président colombien, et James Paroissien, médecin anglais devenu général bolivariste.

En Colombie, l'ingénieur des mines Jean-Baptiste Boussingault, conseiller de Bolívar, accueille 150 britanniques des mines d'or et d'argent de la Vega de Supia[144], sur un gisement remarqué en 1803 par son ami Alexander von Humboldt et mis en garantie par Bolivar auprès de créanciers anglais pendant les guerres de libération.

En , la CMMGRC, présidée par Lucas Alamán, ex-député de Guanajuato à Madrid et ministre mexicain, quadruple son capital. Deux écoles sont bâties dans la ville. À Real Del Monte, Pedro Romero de Terreros, comte de Regla construit un hôpital pour ses 150 techniciens anglais. La Bourse de Londres ne comptait que 156 sociétés en 1824, capitalisant 48 millions de sterling. Douze mois après, 625 autres ont souhaité lever 372 millions, dont 38 millions pour les mines et 52 millions pour les sociétés d'investissement[145] :

Guanajuato, ville-minière et berceau de l'Indépendance mexicaine.
Société à capitaux anglais Pays capital (sterling) Personnalité Site important
Compagnie anglomexicaine Mexique un million comte Pérès Galvez Valenciana
Compagnie mexicaine des mines de Guanajuato et de Real de Catorce Mexique un million Lucas Alamán Guanajuato
CMRP Mexique un million Pedro Romero de Terreros, comte de Regla Real Del Monte
Compagnie du Pérou Pérou deux millions NC Cerro de Pasco
PLPPMA Bolivie un million Juan Garcia del Rio Potosi
mines d'or et d'argent de la Vega de Supia Colombie un million Jean-Baptiste Boussingault Mine de Marmaro
Compagnie du Chili Chili un million Mariano de Egana NC
Compagnie anglo-chilienne Chili 1,5 million Mariano de Egana NC

Sur 8,5 millions de sterling de minerai extraits en Amérique latine, la moitié l'est au Mexique, où Augustin Ier a accepté de s'exiler sans combattre. L'État de Guanajuato obtient sa constitution en , se réjouit le diplomate anglais Henry George Ward[146]. Fondée en août, la Compagnie anglomexicaine a acheté quatre mines dont la riche Valenciana. L'extraction débute mi-novembre. À partir du , l’action triple en un mois. Mais il reste à pomper les galeries inondées de Zacatecas, louées au comte Pérès Galvez. Le quintuplement espéré de la production prendra quatre ans. Le mercure pour traiter le minerai manque, à la suite d'un effondrement sur le site producteur péruvien de Santa-Barbara. Les infrastructures de l’Empire espagnol ont parfois été détruites par les combats de l'Indépendance. Au Mexique, la production était réduite des 3/4 dès 1821, en Bolivie de moitié[147]. « Les machines à vapeur sont venues d'Angleterre, et avec elles les chariots nécessaires pour les transporter, rien n'était oublié si n'est les routes pour les transporter », raconte un rapport du du consul français à Mexico[148]. « Les mines les plus riches, celle de Guanajuato par exemple, sont à trente lieues des forêts » permettant de les alimenter en combustible. Seul le Chili a des mines de charbon.

La demande pour les actions et les emprunts s'assèche. Le taux d'intérêt remonte. Fin , la Banque de Plymouth fait faillite. Le c'est celle de Peter Pole à Londres[149], lié à 44 country banks. En tout, 59 banques anglaises sont menacées de faillite entre octobre et février[150]. Des épargnants veulent convertir leurs billets de banque en or. Du 12 au , les transactions financières sont paralysées. Le , la Banque d'Angleterre relève son taux d'escompte à 5 %. Le surlendemain, le cours des actions sud-américaines s'effondre, c'est la crise boursière de 1825. Le krach entraîne l'adoption en urgence du Bank Charter Act de 1826, réservant l'émission de billets aux banques ayant plus de six associés.

L'émergence des Bourses en Allemagne et en Suisse[modifier | modifier le code]

Le Palazzo mezzanotte, à Milan.

La Bourse de Francfort est fondée en 1820[151] grâce aux efforts de Johann Jakob Bethmann (1717-1792)[152] et son frère Simon Moritz Bethmann. Première société à y être cotée, la Banque nationale d'Autriche[153], mais elle existait en fait lors des siècles précédents. La Francfort Wertpapier Boerse créée en 1585 par des marchands pour établir un cours unique des monnaies, devenue une bourse aux effets de commerce au XVIIe siècle, centralise depuis la fin du XVIIIe siècle la négociation de la dette publique. La Banque de Bethmann innove: elle fragmente et revend, par appel à l’épargne publique, les prêts à François Ier d'Autriche[154], engrangeant des profits supérieurs à ceux de l’ensemble des autres banques allemandes. Ludwig von Meseritz, chroniqueur de la Diète réunie à Francfort à partir de 1815, passe à la chronique boursière dans Les Affinités électives, journal de Johann Cotta et Goethe[155].

La Bourse de Berlin, créée en 1739 et réformée en 1805, ne prend vraiment son essor qu'en 1823, via des obligations prussiennes émises à Francfort[156]. Elle réalise dans les années 1840 ses premières émissions d’actions ferroviaires. Berlin cote deux sociétés de chemin de fer en 1840 puis vingt-neuf dès 1844, la première étant Berlin-Potsdam, grâce à un programme public de construction des voies ferrées[157]. Francfort se limite aux obligations d’État. La Bourse de Hambourg se montre particulièrement active à la fin des années 1850, après la création de la Darmstädter und Nationalbank (1853) et de la Norddeutscher Lloyd (1857), jouant le rôle d'intermédiaire entre Londres ou Paris. Dès 1856, c'est « la place où se suivaient le plus d'intrigues, où se négociaient le plus d'affaires secrètes d'argent », raconte Jean-Baptiste Capefigue, un contemporain[158]. Céréales et café y sont aussi négociés[159]. Le bâtiment boursier, plus ancien d'Allemagne, construit en 1840 par Wimmet et Forsmann sur l'ex-couvent Maria-Magdalenen est agrandi en 1859, 1880 et 1909. En 1886, l'hôtel de ville fut édifié à l'arrière[159]. Mais le Reichstag, en 1896, prescrit le registre de Bourse en général et les marchés à terme, contribuant au déclin des Bourses de Berlin, Wrocław, Francfort, Hambourg et Munich.

La Suisse reste alors dans l'ombre de son voisin allemand. La plus ancienne bourse suisse naît à Genève en 1850[160], suivie de Bâle (1866), Lausanne et Zurich (1873), Berne (1884), Saint-Gall (1887) et Neuchâtel (1905). Les trois premières relèvent d'abord de législations cantonales.

Années 1830[modifier | modifier le code]

L'Espagne créée une Bourse pour placer sa dette publique, boudée par les Anglais[modifier | modifier le code]

La Bourse de Madrid est fondée le , dans une Espagne où la spéculation boursière est mal vue d'une bonne partie de la population[161], par Luis López Ballesteros, ministre des Finances depuis 1823, très soucieux de faciliter la gestion des emprunts publics espagnols, qui ont mauvaise réputation sur les autres bourses européennes, pour plusieurs raisons, politiques et financières[162].

Les six emprunts dits « des Cortes » effectués à l'étranger par le gouvernement constitutionnel, dont cinq sur la place de Paris mais largement souscrits par des Anglais, sont placés par les banquiers Nicolas Hubbard, d'origine anglaise, et Jacques Ardoin à Londres, Amsterdam et Paris. Les conditions sont déplorables en raison de l'hostilité des monarchies européennes et de l'épuisement du Trésor espagnol. Ensuite, de 1823 à 1834, le Roi d'Espagne, rétabli dans ses pouvoirs, décide de ne pas rembourser ses emprunts. Une partie des titres sont ensuite achetés à bas prix en raison de défaut de l'État espagnol qui fait fuir les investisseurs. La rente espagnole ne pourra ensuite plus être cotée à Londres jusqu'en 1881, les banquiers hollandais y sont également hostiles et les banquiers parisiens vont la rafler dans les années 1870[163]. Les sociétés privées sont absentes ou très peu présentes à la création de la Bourse et jusqu'au début du siècle suivant. Les actions des rares entreprises qui sont présentes, des mines et des compagnies de chemin de fer à partir des années 1850, sont très peu échangées jusqu'en 1890.

Angleterre, des actions pour des billets de banque[modifier | modifier le code]

Après la famine monétaire des années 1800, l'Angleterre suspend la convertibilité de la livre sterling pendant deux décennies, puis s'inspire des États-Unis, où les associés des banques ne sont pas responsables sur leurs biens personnels, facilitant la souscription d'actions. Dès 1825, le capital des banques américaines est 2,5 fois celui des banques anglaises[164]. Plus de la moitié sont en Nouvelle-Angleterre, d'une taille moyenne modeste. Ainsi, dès 1830, les États-Unis ont la même capitalisations boursière que l'Angleterre malgré 54 % moins d'habitants, et plus d'actions cotées, dont 8 sociétés manufacturières, au capital il est vrai très concentré et peu liquide[165], à la Bourse de Boston, contre aucune en Angleterre. Les États-Unis ont 75 banques cotées (dont 18 à Boston, 11 à Baltimore et 20 à New York), d'un capital global de 179 millions de dollars, si on y ajoute les sociétés financées par les États[166] :

Nombre de sociétés par secteur en 1830 Banques Assurances Manufactures Mines Rail Canaux Eau et gaz
États-Unis 75 77 8 5 4 15 5
Angleterre 0 8 0 22 4 72 49

En 1835, 704 banques américaines ont émis pour 203 millions de dollars de papier-monnaie. La « planche à billets »[167], est dénoncée par le président Andrew Jackson, qui déclenche la Panique de 1837, année de la chute de la Régence d’Albany et de ses agréments bancaires, que les amis de Martin Van Buren vendaient contre des pots-de-vin. Le parti Whig décide qu'il suffit désormais d'un dépôt en titres, au Contrôleur de la monnaie pour ouvrir une banque.

La Bourse de Londres accueille à son tour 30 banques entre 1833 et 1835, puis 59 en 1836, grâce au Bank Charter Act de 1833, qui exige un niveau minimum de capitaux propres[168]. Parmi elles, la National Provincial Bank et la Westminster Bank[169], au capital assez solide pour émettre massivement des billets de banque. Lors des consultations précédant l'acte de 1833, Henry Burgess, secrétaire de l’association des Country banks et directeur de l'hebdomadaire Circular to bankers, défend cette politique expansionniste. Il explique qu'en cas de moindre émission monétaire, le montant total des lettres de change se trouverait aussi réduit, en s'appuyant sur une étude auprès de 122 banques[170]. Dès 1844, la monnaie scripturale représente 55 % de la monnaie en Grande-Bretagne contre seulement 10 % en France[171] où l'on utilise quasiment que des pièces de monnaie. Les actionnaires parisiens s'y intéressent pourtant: les deux premières sociétés étrangères cotées à Paris sont la Banca Romana en 1834 et la Banque de Belgique en 1835[172]. Les banques françaises ont moins besoin de capitaux car peu de clients.

Le charbon, grand succès mondial de l'indépendance belge de 1830[modifier | modifier le code]

Mine de Crachet Picquery créée à Frameries par fusion en 1856.

La Belgique devient dans la première moitié du XIXe siècle le 2e producteur mondial de charbon après l'Angleterre, en doublant sa production. Plusieurs centaines de puits belges existaient déjà autour de Liège, souvent sous forme coopérative. La Société générale de Belgique (SGB), fondée à la révolution belge de 1830, investit les cinq années suivant dans une quarantaine d'entreprises, dont 15 aciéries et 7 mines de charbon, et les fait entrer en Bourse de Bruxelles. Parmi elles, la Société des hauts-fourneaux, usines et charbonnages de Marcinelle et Couillet, la Société des Produits de Flénu[173], au capital de 4 millions de francs[174], et la Société du Levant de Flénu. Les cours des deux dernières sont multipliés par 3,5 et 3,4 en vingt ans[175]. Stimulée par leur succès, la petite Compagnie des mines de Douchy française fait encore mieux : ses actions sont multipliées par 105 en un an[176],[177] après la découverte d'une veine de charbon près de Denain. Même s'il faudra attendre deux ans pour qu'elle produise un million de tonnes, les investisseurs prennent conscience que le gisement belge se prolonge vers l'ouest, jusqu'au Pas-de-Calais français. Grâce aux coulissiers, les Mines de charbon de Belgique sont cotées aussi à Paris, où dès 1840 les pigeons de Charles-Louis Havas apportent à midi les cours de l'ouverture à Bruxelles. Malgré le morcellement de leur capital, les mines belges et françaises se concertent pour réguler l'offre mondiale de charbon[178] et tempérer les fluctuations des prix de vente. La cotation en Bourse des multiples concessions minières, dont les frontières étaient souvent disputées, facilite les rationalisations et le partage des infrastructures, comme lorsque la Société générale de Belgique créée en 1856 la Société Crachet-Picquery. Le dynamisme belge profite d'un système télégraphique jugé le plus fiable et le moins cher du monde, à qui la Bourse apporte la moitié de ses revenus[179].

La Panique de 1837 fragilise la Bourse de Philadelphie[modifier | modifier le code]

Dans les années 1830, l'histoire se répète avec la Guerre de la banque centrale, entre Nicholas Biddle, son gouverneur depuis 1822, et le président américain Andrew Jackson. Ce dernier l'emporte en  : l'État n'aura plus aucune dette et les dépôts du Trésor sont transférés aux banques privées. En 70 ans[180], les introductions en Bourse ont totalisé 500 millions de dollars à Philadelphie, dotée d'un nouveau siège en 1832, reliée à New York en par un Pony Express du Journal of Commerce, puis en 1840[181],[182] par un télégraphe optique (miroirs le jour et flash lumineux la nuit) conçu par le courtier William C. Bridges[183]. La Magnetic Telegraph company le remplace en 1844, ses clients sont les courtiers[184]. Philadelphie vit un déclin rapide après la Panique de 1837[184] : ses banques se sont effondrées lorsque la Banque d'Angleterre a cessé de les refinancer en . C'était le pronostic du journaliste Gordon Bennett, qui a lancé le New York Herald, doté des premières pages boursières, ce qui indispose les banquiers. Grâce à des Pony Express[185], le financier Jacob Little gagne des millions lorsque l'action de la Vicksburg Bank passe d'un plus haut de 89 dollars en 1837 à seulement 5 dollars en 1841[186]. Le krach met aussi hors-cours les bourses de Baltimore, Charleston et Saint-Louis (Missouri)[187]. Les Associés de Boston détiennent 40 pour cent des banques de la ville après la crise et à New York, trois-quarts des courtiers du Curb font faillite[187].

Le télégraphe sera l'autre facteur d'ascension[187] de la Bourse de New York, née timidement le , par l'accord de Buttonwood réunissant 24 courtiers sous un platane de Wall Street, pour prohiber toute commission inférieure à 0,25 %[188] sur les emprunts d'État. Six ans plus tard, les 24 courtiers cotent aussi leur première société privée, la Compagnie d'assurance de New York[189] de Charles M. Evers, au capital de 500 000 dollars, réparti en 10 000 actions[190]. Parmi eux, Benjamin Mendes Seixas, Ephraim Hart et Alexander Zuntz, de la Synagogue de Shearith Israel, investissent aussi dans la création de la Bank of Rhode Island. D'abord réunis au Tontine's Coffe House, ils ouvrent en 1817 le New York Stock Exchange, sous la présidence de Nathan Prime[191]. Il ne cote que dix banques et 13 assurances, toutes locales[189]. En 1827, ce sont 12 banques et 19 assurances[192], en plus de 8 emprunts publics. Les sociétés non financières n'apparaissent qu'en 1830, avec la Mohawk and Hudson Railroad. En 1835, 3 opèrent dans l’éclairage au gaz et 8 dans le secteur mine/charbon, qui profite du succès du canal Érié, ouvert en 1825, grâce à sept millions de dollars d'obligations de l'État de New York, placées auprès d'investisseurs anglais[193]. Mais sur les 124 titres cotés, 89 concernent encore la région de New York[194].

Années 1840[modifier | modifier le code]

L'Angleterre vit dès les années 1820 une « Railway mania »: le rail représente 20 des 115 introductions en Bourse en 1825[195]. Wall Street s'ouvre à son tour à la Mohawk and Hudson Railroad en 1830. La France n'accueille qu'en la modeste ligne Paris - Saint-Germain-en-Laye. L'investissement ferroviaire en France est « en retard d'une décennie sur la Grande-Bretagne », selon l'historien Patrick Verley[196]. Un retard cependant moindre que pour les technologies du XVIIIe siècle, fonte au coke (trente ans) et tissage industriel (vingt ans). Entre 1835 et 1840, la capitalisation boursière française double, passant de 0,64 à 1,48 milliard de francs[197], dont 37 % pour les 20 compagnies ferroviaires[137]. Mais le réseau ferré français n'a toujours que 560 kilomètres en 1841. Il est financé surtout par des obligations, dans un pays habitué aux rentes constituées : les actions n'y représentent encore en 1840 que 2,7 % de l'épargne. Le coût des investissements et la concurrence font peur. Les dirigeants des compagnies ferroviaires privilégient une rentabilité financière pure, via la sous-capitalisation (partager les bénéfices entre un moindre nombre d'actions). La « railway mania » française n'émerge vraiment qu'en 1844 et culmine l'année du krach de 1847, mais sur un milliard de francs levé en actions, plus de 60 % vient d'investisseurs anglais[198]. Les capitaux propres dominent au contraire le financement du rail anglais : plus d'un milliard de francs en 1839, contre un demi-milliard d'emprunts. Au même moment, l'investissement total français est quinze fois moins élevé[199]. Résultat, dès 1841 le réseau anglais a 225 kilomètres de rail exploités par million d'habitants, 17 fois plus que la France[200]. Exploité par 200 compagnies différentes, il représente en 1845 la moitié des 9 200 kilomètres de rail en Europe[201], dont seulement un quart contrôlé par les 9 premières compagnies anglaises. En moyenne, leurs actions ont doublé depuis l'émission et leurs bénéfices représentent 5,5 % du capital investi[202].

Locomotive Seguin, 1829, à chaudière tubulaire.
Décennie puis année Années 1830 Années 1840 Années 1850 km du réseau en 1850 km du réseau en 1870
% du rail dans l'investissement privé total (France) 0,8 % 6,7 % 12,7 % 3 000 en France 15 600 en France
% du rail dans l'investissement privé total (Angleterre) 9 % 28 % 15 %[203] 10 000 en Angleterre 24 900 en Angleterre
% du rail dans l'investissement privé total (Allemagne) NC NC NC 600 en Allemagne 20 000 en Allemagne

Les capitaux viennent « des régions minières et manufacturières du nord de l’Angleterre », observe Henry Burgess en 1835 dans le Circular to bankers[204]. La presse de Liverpool décrivent les enchères d'actions dès 1826[145]. Le London Stock Exchange ne s'y implique que lors de l’introduction en Bourse du « Birmingham and London » et du « Grand Junction »[205]. Une Bourse est fondée en 1845 à York par des passionnés de technologie[206], le chemin de fer étant suivi par plus de vingt journaux anglais[207]. Toutes les classes sociales s'y intéressent, note The Economist[145]. Dès , la loi crée la Railway Clearing House, qui mutualise les coûts (billets, contrôles, reversements d'une compagnie à l'autre) et institue des tarifs différenciés. Moins rentables mais plus prometteuses, les petites compagnies complètent les grandes, pour un maillage optimal du territoire. La Banque d'Angleterre soutient les créanciers des petites sociétés[208]. Les énormes quantités d’acier nécessaires à la construction des voies donnent une formidable visibilité à la sidérurgie anglaise, qui investit massivement pour bénéficier d'économies d’échelle. Ce système s'emballe en 1845, quand le parlement anglais autorise 248 sociétés ferroviaires, contre 37 en 1844 et 24 en 1843[209]. Dans les deux années qui suivent, 5 700 kilomètres supplémentaires sont posés en Angleterre et 960 kilomètres en France. La sidérurgie française a moins bien anticipé cette croissance rapide : les prix du rail d'acier grimpent de 25 % en un an, à 400 francs la tonne en 1846[210]. Parmi les causes du krach de 1847, ce coût des investissements, « sous-estimé »[211]. Le krach est plus sévère pour les chemins de fer français, comparativement plus endettés que les anglais car moins solides en capitaux propres : au , leur cours ont perdu 50 % à 75 % en douze mois. La seule ligne à résister est la Paris-Lille de la Compagnie du chemin de fer du Nord. C'est aussi la seule bien capitalisée : 200 millions de francs apportés par 20 000 actionnaires en 1845[203]. La Compagnie du chemin de fer de Paris à Lyon est sous-capitalisée avec seulement 200 millions de francs, pour un parcours deux fois plus long. En faillite dès 1847, elle est nationalisée le , à la demande d'Alphonse de Lamartine[212].

En 1851, beaucoup de lignes sont interrompues en rase campagne, emportées par des remboursements de crédits qui ont mangé leurs capitaux propres. Le réseau français n'a toujours que 3 870 kilomètres[d]. Cinquante ans après, ce sera 25 fois plus[213]. Pour remédier à ce retard, Napoléon III crée le Crédit mobilier en 1852, à partir des Caisses des actions réunies. Entré en Bourse en , avec un capital de seulement 60 millions de francs, il fera faillite en douze ans et déçoit rapidement : inutile d'y voir « une espèce de providence des compagnies de chemins de fer », note en 1862 l'économiste Raoul Boudon, selon qui « la spéculation a fait payer au public trois ou quatre fois le prix » des « quelques centaines de kilomètres » de rail apportés par le Crédit mobilier[214]. À partir de 1852, les compagnies ferroviaires émettent massivement des obligations portant un intérêt de 3 %, pour toucher un public « plus large mais plus timoré » que celui de la Bourse[215]. Ce n'est pas encore assez : Napoléon III doit garantir en 1857 un intérêt de 4,65 %, sur les « obligations nouvelles » de ces sociétés. La forte croissance économique mondiale des années 1850 relance le chemin de fer français, qui pèse 50 % de la capitalisation parisienne à la fin de la décennie, contre seulement 3,5 % pour le charbon et 5 % pour les autres mines. Par des fusions, Napoléon III le regroupe en 1857 en 11 compagnies[216]. La panique de 1857 en emporte plusieurs, dont la « Grand-Central », sous-capitalisée dès sa création en 1853, avec seulement 90 millions de francs.

Pony Express, pigeons, et télégraphe, les premiers liens inter-Bourses[modifier | modifier le code]

Photo d'un pigeon voyageur
Pigeon voyageur.

Les années 1840 voient un essor parallèle du chemin de fer, des Bourses régionales et du télégraphe électrique, qui permet à la presse d'informer sans trop de retard. Auparavant, elle peinait à amortir les coûts de collecte de l'information. Dès 1827, Arthur Tappan et Samuel Morse, du Journal of Commerce, achètent une Goélette pour intercepter les gros navires arrivant d'Europe, se faire lancer les journaux dans un panier, puis transmettre les nouvelles à Wall Street, par le Télégraphe Chappe. C'est aussi à Wall Street que le Pony Express New York - Philadelphie de Gerard Hallock amène dès 1833 les dernières nouvelles du congrès des États-Unis : huit cavaliers se relaient à bride abattue, transportant les décisions du gouvernement[217] américain, alors basé à Philadelphie, qui nationalise ensuite l'entreprise. La connexion entre Bourses profite surtout à New York, où l'Associated Press est créée en 1848 par six quotidiens. Objectif, se procurer les nouvelles européennes avec un jour d'avance, dès l'arrivée des navires de la Cunard à Halifax, en Nouvelle-Écosse, première escale. Les six journaux se partagent les coûts du Pony express de Nouvelle-Écosse, reliant Halifax à Digby (Nouvelle-Écosse), à travers la Nouvelle-Écosse. Une goélette rapide traverse ensuite la petite baie de Fundy jusqu'à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Les nouvelles importantes y sont télégraphiées à Wall Street. À Paris, Charles-Louis Havas utilise à partir de 1840 plusieurs centaines de pigeons voyageurs, apportant les cours d'ouverture de la Bourse de Londres vers 14 heures et ceux de la Bourse de Bruxelles dès midi.

Le télégraphe électrique déploie ses premières lignes en 1845, mais sans les mêmes garanties de confidentialité. Spécialisé dans les nouvelles financières, Paul Julius Reuter en fait son arme, quand il concurrence son ex-employeur Havas en fondant en 1849 l'agence Reuters, d'abord à Aix-la-Chapelle, puis dans les locaux mêmes du London Stock Exchange en 1851, l'année de la pose du premier câble transmanche.

Les Bourses régionales anglaises[modifier | modifier le code]

L'engouement pour le chemin de fer donne naissance dans les années 1840 à une trentaine de Bourses régionales anglaises, abritant en général un télégraphe dans leurs locaux dans la décennie suivante.

Les Bourse des valeurs de Manchester et Liverpool sont créés dès 1836, par l'intérêt pour les actions de chemin de fer de courtiers locaux qui avaient aussi investi dans les actions de canaux. D'autres Bourses régionales anglaises voient le jour dans les dix années qui suivent par le même processus[218]. À Manchester, en 1827 et 1828, William Gibson et Thomas Langston, richissimes assureurs, publient dans la presse des listes d'actions des canaux qu'il achètent et vendent, puis y ajoutent des actions de chemin de fer[218]. La ville compte 23 courtiers en 1836 qui se réunissent près du « Manchester Cotton Exchange », ouvert en 1809 et précédé par un ancêtre créé en 1729. Le est fondée la Bourse des valeurs de Manchester dans une pièce du Manchester Cotton Exchange. Elle accueille 23 société cotées, dont une l'est aussi à Londres et a bientôt son propre bâtiment, qui a coûté 87 000 livres sterling. La Bourse des valeurs de Liverpool ouvre aussi en 1836. Celle de Leicester ouvre le avec des réunions quotidiennes au « Saloon of the theatre » et une cotisation de 30 livres sterling et un nombre de courtiers passés de 4 à 11, les deux premiers en 1820 étant des spécialistes des enchères[218].

À Leeds, J. H. Ridsdale, courtier en canaux et chemin de fer, fait publier dans la presse en 1836 les cours d'une liste de 30 actions ferroviaires, dénotant un fort intérêt local qui rebondit entre 1841, quand le nombre de courtiers passe de 4 à 36[218]. Il est cependant décidé peu après de rembourser leur cotisation aux membres qui ne sont pas courtiers. À Bristol, ville portuaire, il y a deux courtiers en 1836, qui opèrent par des annonces dans la presse et sont rejoints par une nuée de spéculateurs. Puis la fièvre retombe mais reprend en 1845 : en mars a lieu la première réunion pour créer une « Bourse de Bristol »[218].

La Bourse des valeurs de Leceister cote 32 actions de canaux et 19 de chemin de fer en 1844. À Hull, une cinquantaine de courtiers sont apparus en 1845, la plupart de ceux dont la profession est identifiée ont d'abord une activité portuaire. La Bourse des valeurs de Manchester réunit 89 courtiers dès 1846. L'année précédente, une règle a été votée pour interdire les échanges avec les non-membres, ou à n'importe quel moment, où dans les alentours du marché, témoignant du désir d'une centralité des échanges et de la formation des cours. En 1849, une pétition s'indigne que des échanges aient lieu avec des non-membres dans une salle de l'Electric Telegraph Company[218].

Comme pour les canaux, l'étude d'une douzaine de compagnies étudiées sur la période 1835-1845 montre un actionnariat essentiellement local et stable, qui a conservé un quart des actions entre 1826 et 1845, même pour les deux plus grands chemins de fer de province, ceux de Liverpool et Manchester[219]. La Bourse des valeurs de Liverpool cote 255 sociétés en 1847, parmi lesquelles 193 sociétés ferroviaires anglaises, soit trois fois plus que Londres, qui en a seulement 66, dont 45 négociées régulièrement. Liverpool a aussi 40 sociétés de chemin de fer étrangères et 8 banques[220]. Liverpool et Manchester s'intéressent ensuite aux lignes secondaires. De 1843 à 1846, le montant des augmentations de capital du secteur passe de 43 à 126 millions de sterling, avant d'être stoppé par le krach de 1847.

De très local au début, dans les régions industrielles, le marché boursier anglais commence un peu à se nationaliser[220]. La région londonienne reste minoritaire en nombre d'actionnaires à Liverpool et Manchester mais fournit les plus gros[220]. En 1853, les actions ferroviaires à Londres, deuxième secteur le plus actif après la dette publique, sont aussi la 2e capitalisation : 193,7 millions de sterling contre 853,6 millions de sterling. Les titres étrangers pèsent alors déjà 69,7 millions de sterling et les chemins de fer étrangers 31,3 millions de sterling[220].

En 1845, la Bourse des valeurs de Glasgow cote 110 sociétés de chemin de fer, dont un quart, soit 23 sociétés, sont aussi en Bourse de Londres, mais seules un tiers des actions convergent. Pour les deux-tiers restants, l'écart moyen de cours, le jour même, est de 10,6 %[218]. En 1860, ce sera respectivement 46 sociétés de chemin de fercotées, mais désormais 27 (59 %) sont aussi cotées à Londres[218].

Les quinze années suivantes voient le télégraphe permettre des arbitrages réguliers. Une étude montre que pour des valeurs très suivies comme le Canadien Pacifique ou le Caledonian Railway, dès 1860, le cours est 2,6 fois plus souvent identique à Londres et Glasgow qu'en 1846 et l'écart de prix n'est plus que 7 % de ce qu'il était[221], renforçant la confiance. En 1910, quasiment toutes les sociétés de chemin de fer seront cotées sur plusieurs marchés anglais[221].

Années 1850[modifier | modifier le code]

Avec 20 à 30 ans de retard sur le monde anglo-saxon, la Suisse de James Fazy, l'Allemagne de David Hansemann et la France des Saint-simoniens de la deuxième génération se dotent des premières banques correctement capitalisées, qui investissent en capitaux propres dans le rail ou l'industrie, alors que la Panique de 1857 aux États-Unis a rappelé la fragilité des jeux de dominos bancaires.

Genève fait échec au projet de Bourse publique du radical suisse James Fazy[modifier | modifier le code]

Une Bourse de valeurs de Genève, très conservatrice, est fondée en 1850 par la Société des agents de change, née en 1849, alors que la Suisse veut rattraper son retard ferroviaire sur les autres pays, sous l'impulsion de la révolution de 1846 menée par le Premier ministre radical James Fazy. Ses projets d'une Bourse très règlementée, pour protéger épargnants et émetteurs, sont court-circuités par les agents de change, qui imposent la leur.

Depuis plusieurs décennies en Suisse, les radicaux de James Fazy reprochent aux financiers d'investir dans des projets étrangers pharaoniques au détriment de l'économie locale. Fondateur en 1826 du Journal de Genève, James Fazy a publié en 1825 une satire mettant en scène un actionnaire et son banquier qui projettent de construire un pont entre la Terre et la Lune[222].

Pour leurs placements financiers, les Genevois, recourent aux banques privées et se montrent peu intéressés par une bourse de valeurs[223]. Entre 1815 et 1842, le commerce et l'industrie locaux n'ont jamais réclamé sa fondation, même si la ville compte un nombre record de 85 millionnaires[224]. En 1797, la loi a réservé à cinq personnes la profession d'agent de change, avant l'annexion française de 1798. Les courtiers sont 20 en 1807 à Genève, où une bourse de commerce est fondée en 1808, mais peu active[223]. En 1387, le prêt avec intérêt est finalement autorisé par l’évêque Adhémar Fabri, favorisant l’essor bancaire[223] et rendant la Bourse moins nécessaire.

En 1849, l'agent de change Jaques Reverdin, ancien de la Banque Pictet, a proposé la première cote officielle genevoise, en vigueur dans son établissement, publiant les rendements obligataires qu'il propose[223]. Deux ans après le krach de 1847, les projets ferroviaires reviennent après bien des obstacles. Crainte de l'urbanisation, rareté du charbon et souhait d'oublier la centralisation voulue par l'occupant français de 1798 font que l'industrie suisse, jugée « la plus saine et la plus puissante » du continent[225], a jusqu'ici été contournée par les rails qui s'allongent depuis 1840 pour former un réseau européen : la Suisse et ses 400 douanes et péages n'a toujours que 25 kilomètres ferrés en 1850. En 1844, ses premiers rails, de Strasbourg à Bâle, appartiennent au réseau français. En 1847, une seconde ligne doit relier Zurich à Bâle, mais ne dépasse pas Baden. Les capitaux anglais, puis français, des Chemins de fer de l'ouest suisse, fondés en , vont permettre en 1853 l'ouverture du chantier Genève-Yverdon via Morges[226].

Il reprend le rêve du canal d'Entreroches d'Elie Gouret (1586-1656), jamais terminé, malgré la présence de capitaux hollandais, français, bernois et genevois[227], qui voulait relier, à terme, la mer du Nord à la Méditerranée, en passant par les lacs Neuchâtel et Léman[227].

Les administrateurs londoniens décident rapidement d'associer des banquiers genevois. C'est la seule voie ferrée romande prévue par les deux experts britanniques consultés par le Conseil fédéral, Robert Stephenson et Henry Swinburne, qui ont préconisé en 1850 un réseau national en croix, combinant bateau et train. Avec la Compagnie du chemin de fer de Lyon à Genève, créée en 1853, les chemins de fer du central suisse et les Chemins de fer du Nord-Est, ce sont les 4 principales actions suisses cotées à Genève, les autres étant liquidés à Paris et Lyon, note Alphonse Courtois, dans son « Manuel des fonds publics et des sociétés par actions »[228] en 1856, l'année où la Bourse publique instituée à Genève par James Fazy est boycottée par tous les courtiers genevois sauf un[223], obligeant le Premier ministre à rétropédaler par un compromis en forme de retraite[223].

La Constitution de 1848 donnait à la Confédération suisse le pouvoir de décider à qui incombe la construction de chemins de fer mais la loi fondamentale de 1852 l'a accordé aux cantons et au secteur privé, déclenchant une spéculation boursière éclatée et mal répartie. Même si « la passion du jeu, bientôt propagée, gagna les cercles et surtout la bourse » la « fureur de l’agiotage envahissant les hauts quartiers », selon un observateur[229], les financiers genevois préfèrent largement les placements à l'étranger ou ceux jugés comme sûrs, comme les fonds d'État. Après plus de 40 % dans les années 1840, ils résistent, avec 20 % en 1886, selon l'étude de 192 déclarations de grosses successions sur la période[230]. La France représente encore 40 % des placements dans les années 1840, malgré les faillites après la Révolution française[230], mais l'échantillon compte des fonds publics de 37 pays différents, en premier lieu l'Italie, puis la France et les États-Unis, Russie et Suisse n'en recueillant que 5 %.

Un total de 9 millions de francs est placé en chemin de fer américain contre 5,5 millions pour les Suisses, 4 millions pour les Français et 2 millions pour les Anglais[230], tandis que neuf investisseurs ont plus d'un million de francs dans les Chemins de fer du nord de l'Espagne[230]. Fondés à Zurich en 1853, les Chemins de fer du Nord-Est sont absents en 1886 des 192 successions étudiées, en raison du médiocre rendement. L'action chuta de 658 francs en 1868 à 70 francs en 1877[231]. Son promoteur Alfred Escher avait sous-dimensionné les premières levées de fonds. Il créera en 1856 le Crédit Suisse, dont les crédits à court terme permettent de compléter puis suppléer les capitaux étrangers[226]. Partisan d'un financement ferroviaire par des fonds privés, il n'en a pas pour autant encouragé la création d'une Bourse à Bâle et Zurich, ce qui se produit un quart de siècle plus tard qu'à Genève. On lui imputa également les difficultés financières rencontrées par le projet du Gothard[232].

Le rail suisse reste globalement sous-capitalisé : le Chemin de fer de Lyon à Genève doit fusionner le avec la Compagnie du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée. En 1861, les quatre cinquièmes des compagnies suisses font face à des difficultés financières, beaucoup devant se tourner à leur tour vers l'étranger[233]. Au seuil des années 1870, le réseau suisse reste aussi marqué par son éclatement, dû au cantonalisme étriqué, auquel voudra remédier la loi fédérale de 1872, donnant désormais, à la Confédération la compétence du rail[230], tandis qu'un rapport rédigé en 1876 par le Conseil d'État en 1876 observe que « beaucoup d'entreprises n'existent qu'à état de projet ou végètent faute de capitaux »[230].

La Panique de 1857 oppose la « nouvelle finance » de Chicago à la côte Est[modifier | modifier le code]

Au cours de la très forte croissance économique mondiale des années 1850, de 7,48 % en moyenne par an aux États-Unis, la récolte américaine de blé augmente de 60 %, grâce à Chicago, ou elle a sextuplé entre 1854 et 1860, à 30 millions de boisseaux, moitié blé moitié maïs[234], les 3/4 de ce que réalisaient en 1854 l'ensemble des ports danubiens et russes. Le blé double aussi ses superficies cultivées dans la Vallée de l'Ohio, après avoir déjà augmenté de 70 % lors de la décennie précédente. La pénurie de blé russe de la guerre de Crimée a ouvert un boulevard et fait flamber les cours pendant 4 ans

Le maïs monte aussi. Les « jeunes États », Ohio, Indiana et Illinois produisent désormais à eux trois autant que les 9 états du Sud, les nouveaux États du Wisconsin et du Minnesota, créent la future Corn Belt, où un réseau de chemin de fer s'éparpille. L'émergence du contrat à terme permet de nouvelles spéculations et couvertures sur les certificats de grain stocké dans les silos, donnés en garantie à des commissionnaires, qui avancent 3/4 de sa valeur, avant même sa revente. Les négociants peuvent ainsi brasser plus d'affaires. Et acheter ou vendre par des contrats « forward », fixant un prix d'avance, sur le Chicago Board of Trade. En 1855, ce Marché à terme offre fromage et petits gâteaux à qui vient négocier sur son parquet et obtient un grand succès. Par sécurité, il exige des appels de marge, répartis entre vendeur et acheteur. Lors de son assemblée d' le CBOT a noté que les « locaux des banques locales sont très limités ». La ville en compte six. Le crédit bancaire et le télégraphe sont ensuite en forte expansion grâce à de nouvelles banques à Chicago.

En , Walker Bronson & Co, gros négociant de Chicago diffuse une évaluation alarmiste et fantaisiste des futures récoltes, qui déchaîne la presse de la côte est, menée par le New York Herald, contre la « spéculation dans l'ouest » et ses nouvelles techniques financières. Eugène de Sartiges, ambassadeur de France, raconte le  : Chicago « tout entière est livrée à une fièvre d'agiotage qui déborde comme folie ». « Tel terrain, acheté 4 000 dollars il y a trois années, a été revendu 100 000 il y a six mois, et représente à ce moment une valeur de 150 000 dollars », raconte-t-il[235].

Avec les bonnes récoltes européennes de la fin de la Guerre de Crimée, le cours du blé s'effondre, l'offre s'assèche, les nouveaux trains du Midwest roulent à demi-vides. La finance de l'Est vend à découvert les actions du rail et des banques. Le , c'est la rumeur d'un défaut des obligations ferroviaire de William B. Ogden, l'homme le plus riche de la ville. Trois jours après, l'Ohio Life Insurance and Trust Company, banquière du Midwest, ferme réellement ses portes: c'est la Panique de 1857. La perte de confiance dans le papier-monnaie des banques s'aggrave quand le SS Central America, bateau à roue à aubes de 85 mètres sombre le , lors d'un cyclone tropical avec ses 477 passagers et 11 tonnes d'or de Californie. Les déposants retirent leur or. En France, l'encaisse métallique de la Banque de France chute de 27 % entre juin et octobre. Mais le  : « l'or commence à reparaître sur la place de New York », selon l'ambassadeur de France. Les Anglais envoient des métaux précieux pour acheter des cotons du Sud, et des actions de chemins de fer ». L'économie américaine repart, en deux ans, mais d'abord sur la côte est. Entre-temps, les chômeurs américains foncent vers les ruée vers l'or au Colorado et en Colombie-Britannique (1858), puis au Nevada (1859) et au Montana (1862).

De la banque au rail et à l'acier de la Rhur: la vision d'Hanseman et Moltke[modifier | modifier le code]

Le libéral protestant David Hansemann, négociant en laines et promoteur des lignes Cologne-Anvers (le « Rhin de fer ») et Cologne-Dortmund par l'actuelle région de la Ruhr, est nommé aux finances du gouvernement de mars prussien en 1848. Il lève 25 millions de Thalers pour soutenir immédiatement l'économie, secouée par la révolution de 1848, via de nouvelles infrastructures, comme le chemin de fer, dont l'expansion décolle: 600 km de lignes en 1850, 11 000 en 1860 et 20 000 en 1870. Hansemann autorise aussi la banque d'Abraham Schaaffhausen à Cologne, en difficulté, à devenir une Aktiengesellschaft, l'équivalent allemand des sociétés anonymes, une première.

Victime de la purge des fonctionnaires libéraux et démocrates d', il fonde la banque société Disconto, qui se dote en 1856 d’un capital de 30 millions de marks et crée l'activité d'émission et de négoce de titres en 1859, l’année où elle mène les sept banques du consortium prussien[236], chargé d’une « mobilisation générale prussienne » sur le plan financier, au service de la nouvelle doctrine de Moltke, nouveau chef d'état-major prussien, basée sur l'emploi massif du chemin de fer dans la mobilisation des troupes, leur ravitaillement et leur déplacement, qui triomphera à Sadowa, contre l’Autriche en 1866, et à Sedan en 1870.

Le point de départ en avait été la guerre à laquelle la Prusse craignait alors d'être mêlée: celle de l'Autriche contre la Sardaigne, alliée de la France[237]. C'est la première fois qu'un groupe de banques garantit une partie d'un emprunt d'État[238], de 30 millions de thalers, au taux de 5 %. Les partis progressistes viennent de remporter plusieurs élections et cette question militaire va opposer le roi au Parlement.

Les banques françaises émettent à leur tour, timidement, des actions en Bourse[modifier | modifier le code]

Pendant la première partie du siècle, les banques françaises, familiales, ont pour seule concurrence les caisses d'épargne. Il faut attendre la révolution française de 1848 pour la création de 65 « comptoirs d'escompte », ancêtres de la BNP[211]. L'État leur accorde un statut semi-mutualiste, en 1853[239]. Ils sont cependant encore « bousculés par les récessions » car sous-capitalisés. Celui de Paris disparaîtra dans le krach causé par le Corner sur le cuivre de 1887[240]. Le Crédit mobilier et le Crédit foncier sont créés en 1852. Le premier, qui n'a que 60 millions de francs de capital, fait faillite dès 1867. La banque de l'Allemand David Hansemann montre la voie par son appel de fonds de 1856, mais les banques de dépôt françaises arrivent tard : Crédit industriel et commercial (1859), Crédit lyonnais (1863), Société marseillaise de crédit (1864) et Société générale (1864), fondée sous le haut patronage de la Famille Rothschild, qui s'inspire[241] de la Société générale de Belgique, cotée à Paris, par « l'énormité de son capital »[211] : 125 millions de francs, soit autant que le Crédit mobilier après 12 ans d'activité[242]. De 1849 à 1870, les banques françaises émettent 16 fois plus d'actions que sur la période précédente[243]. Elles capitalisent 40 % de la Bourse de Paris lors de spéculation sur les immeubles Haussmann qui débouche sur la crise bancaire de mai 1873. Le krach de l'Union générale de 1882 ramène cette proportion à 25 %. La faillite du comptoir d'escompte[240] en 1889, puis celle de la SDCC en 1891 font peur. Quitte à prendre des risques, l'épargne française se tourne plutôt vers le transport maritime. Quitte à dépendre de l'immobilier, elle préfère les beaux immeubles des 4 « grands magasins » créés à Paris : Le Bon Marché en 1852, Louvre en 1855, Printemps en 1865 et Samaritaine en 1869.

Les années 1860[modifier | modifier le code]

La Guerre de Sécession suscite une demande pour une « Bourse du soir » et patriotique[modifier | modifier le code]

Considérée comme la charnière entre les guerres napoléoniennes et les guerres modernes qui suivirent, la Guerre de sécession américaine (1861-1865) voit un Sud, au départ mieux mobilisé, échouer à rallier ses alliés anglais et français, puis le modèle économique du Nord créer peu à peu la surprise, grâce à la conscription, au large recours à l'Emprunt d'État, qui permet de mobiliser chemin de fer, industrie et troupes, afin de remplacer rapidement les pertes, en hommes et matériels, des premières défaites.

Le Nord décide de gager ses Treasury Bond, dont la quantité enfle, sur l'or dont le cours triple de 1861 à 1863, mettant en difficulté le Trésor américain. Le rendement à dix ans culmine en 1861 à 6,1 %[244], puis diminue grâce à la montée des cours des obligations, la spéculation envisageant peu à peu une victoire du Nord. Pour agir « patriotiquement », le New York Stock Exchange interdit les transactions à terme d'or, bientôt lourdement taxées et prend cette appellation le . Les courtiers en or le fuient. Leurs plus-values sont recyclées dès 1862 dans une spéculation sur les actions minières et pétrolières, en pleine émergence et pas encore cotées au NYSE[245]. Les volumes d'échanges s'envolent, le nombre de spéculateurs aussi, mettant en difficulté le système traditionnel de négociation du NYSE[245], limité au matin, et favorisant peu à peu l'émergence de Bourses concurrentes : le plomb à Saint-Louis, le cuivre à Boston et les métaux précieux à San-Francisco. Dans ces villes, on veut aussi se montrer loyal au Nord, en négociant localement les Treasury Bond qui financent son armée.

À New-York, un « Public Stock Board », concurrent du NYSE, ouvre dès la fin de l'année 1862, au 23 William Street[245], pour deux sessions l'après-midi[245]. Une partie des traders le quittent en pour créer un « Open Board of Stock Brokers »[245] qui le remplace et commence à organiser une « Bourse du Soir »[245], qui permet de réagir aux nombreuses nouvelles militaires reçues par le télégraphe en fin de journée, souvent du front de l'Ouest où le soleil se couche deux heures plus tard, le marché obligataire s'emballant depuis à chaque victoire du Nord[245], tandis que les cours des petites sociétés minières évoluent dans l'autre sens car ces victoires militaires vont raccourcir la durée attendue de la guerre et donc la demande globale de métaux. Les spéculateurs préfèrent un cours reflétant l'actualité immédiate, même s'il est obtenu dans des conditions de marché moins optimales. Le New York Times rapporte des échanges dans un hôtel de la 5e Avenue dès , décrit par le New York Herald comme le « Trou noir de Calcutta ».

Le courtier Robert H. Gallaher loue les caves de l'hôtel et fait payer 25 cents l'entrée d'une criée baptisée Evening Exchange, tous les soirs de 17 heures à minuit, à partir du , selon le Times[245]. Il déménage en mars à Broadway, puis en juin au 164 de la 5e Avenue et revient à Broadway en , avant d'ouvrir son propre bâtiment à l'angle de la 5e Avenue et de la 24e rue[245]. Le New York Gold Exchange de 1864, le NYSE et l'Open Board of Stock Brokers interdisent à leurs membres de fréquenter cet Evening Exchange, en prenant prétexte de la faillite de Ketchum, Son & Co, courtier qui chute dans le sillage des cours de l'or, le [245], à la fin de la Guerre de Sécession. Cette demande pour la « Bourse du soir » amène les courtiers du NYSE à donner des cours plus souvent dans la matinée, des employés se chargeant d'aller les chercher régulièrement sur le parquet pour ensuite les acheminer sur des bouts de papiers dans leurs bureaux, ce qui donne l'idée d’inventer le Stock Ticker télégraphique, permettant de les transmettre automatiquement et à une plus grande distance.

Le « Stock Ticker » marie télégraphe et imprimante, libérés du fixing boursier[modifier | modifier le code]

L'invention du « Stock Ticker », mariage du télégraphe et de l'imprimante, bouleverse la bourse : les cotations en temps réel mettent fin au fixing qui réunissait offre et demande une ou deux fois par jour. Du coup, les courtiers doivent assurer en cours de journée que les cours ne divergeront pas trop. Le télégraphe reste par ailleurs une invention controversée. Le , en pleine Expédition du Mexique[246], le contenu d'un journal texan affiché à la bourse de Boston annonce à tort la prise de Puebla. Lors de la Crise de 1866, Paris apprend la victoire prussienne avec 48 heures de retard[247]. Mais la technologie progresse: quelques semaines plus tard, le est posé le câble télégraphique transatlantique[248].

Entre-temps, la Guerre de sécession américaine (1861-1865) a créé le besoin de cotations plus fréquentes au cours de la journée. Samuel Spahr Laws (1824-1921), est gendre de William Broadwell, futur chef du Cotton Bureau de la Confédération. Exilé en France aux débuts de la Guerre de Sécession, il revient en 1863 aux États-Unis, où il cofonde le New York Gold Exchange, en . Samuel Spahr Laws invente alors un système permettant d'actualiser les cours de l'or en les affichant en grand format aux fenêtres du marché, le « Laws Gold Indicator ». Puis il crée sa propre société pour améliorer le système, début 1866, en diffusant les cours sur une bandelette de papier, imprimées avec trois roues d'impression simplifiée, deux pour les chiffres et une pour après la virgule, reliées à un clavier qui transmet des signaux électriques d'une longueur variable et codée, perfectionnant le morse. Fin 1866, il a déjà 50 clients[249] : c'est la première version du Stock Ticker, au son ressemblant au mot « tick » d'où le nom de « ticker » donné au code des actions, imprimé à distance, sur des bandes de papier de 1,9 centimètre de large, en 2 ou 3 lettres.

Sa « Gold and Stock Telegraph Reporting Company » (GSTRC) décroche un contrat avec le NYSE, puis se fait doubler par la Gold and Stock Telegraph Company (GSTC), fondée par Edward Calahan, un ingénieur qui avait travaillé comme coursier pour des maisons de courtage dans sa jeunesse et quitte pour cela l'American Telegraph Company, filiale de la Western Union en , six mois avant même d'avoir établi et breveté sa technologie. Il devient à son tour le fournisseur exclusif du NYSE : en , la première machine dédiée fait son apparition à la Bourse de New York[250], louée six dollars par semaine. Le Stock Ticker intéresse aussi l'Angleterre, où le journaliste John Jones fondera en 1869 l'agence de presse Comtelburo pour les matières premières. The Exchange Telegraph Company propose au London Stock Exchange (LSE) d'utiliser le Stock Ticker dès 1867 et 1868 mais ce dernier refuse car il craint la création d'autres bourses utilisant ses propres cours[251]. Le ticker ne sera utilisée qu'à partir de 1872[252] à Londres, où le nombre de courtiers autorisés à s'en servir est limité et des obstacles techniques créés délibérement. Entretemps, le Telegraph Act de 1869 a nationalisé les compagnies anglaises et imposé des tarifs moins prohibitifs. Aux États-Unis, le jeune Thomas Edison emménage à Cincinnati en 1865 puis à Boston en 1868, à l'âge de 21 ans, pour le compte de la Western Union. Sans succès, il y dépose en un brevet pour une machine à voter au parlement, puis en pour un télégraphe à imprimante mais se brouille avec ses soutiens. À New-York, la Western Union l'autorise à passer du temps à la GSTRC de Samuel Laws, où il réussit à réparer une machine en panne lors de la spéculation sur l'or de Jay Gould d' et se fait embaucher puis nommer surintendant, payé 300 dollars par mois, au poste de Franklin Pope, qui devient cependant son ami. Il concurrence à son tour, en 1870, la machine de Calahan, en créant pour le compte de Samuel Laws le « Cotton ticker », dont les disques d'impression sont montés sur le même support, pour imprimer plus vite, avant de fonder sa propre société, avec son ami Franklin Pope. Fin 1870, leur grand client Mashall Lefferts, président de la Western Union, les embauche pour créer une nouvelle machine, dotée d'une batterie centralisée. Une autre société, de Henry van Hoveberg créée en 1871[253] invente un ajustement automatique pour le ticker, qui avait tendance à ne pas imprimer le bon chiffre si les roues n'étaient pas remises en place, ce qui résout aussi le problème de l'alignement des noms et des chiffres[250].

En face, la fusion des sociétés de Samuel Spahr Laws et Edward Calahan a lieu dès , trois mois après celle, le , de l'Open Board of Stock Brokers avec le New York Stock Exchange. Puis c'est leur rachat en 1871 par la Western Union, qui crée ainsi un monopole et installe des claviers sur les murs du NYSE, où le prix des sièges s'effondre dans les années 1880, les petits courtiers pouvant concurrencer plus facilement les grands grâce au Stock Ticker. L'idée d'automatiser la réception mais aussi l'envoi des télégrammes facilite l'invention en 1874 du téléscripteur par Émile Baudot, avec cinq touches (une par doigt) et 4 000 mots à l’heure. Au NYSE, la cotation continue a éliminé le problème de surfréquentation du Fixing quotidien mais créé des déséquilibres temporaires entre les nombres d'ordres d'achat et de vente, les courtiers intéressés par une action ne pouvant pas toujours intervenir simultanément. Du coup, les spécialistes (ou « market makers »), apparaissent vers 1872, en un endroit distinct du parquet pour chacune des sociétés cotées ou groupes de sociétés: ils négocient pour leur propre compte aussi bien qu'ils arrangent des affaires entre d'autres courtiers, achetant à l'un pour revendre à l'autre, et se rémunérant par l'écart de cours. Les deux méthodes de cotation ont cependant continué à cohabiter pendant une dizaine d'années à New-York.

En Angleterre aussi, la concurrence entre courtiers a été dopée, au profit des places régionales. Le pic de télégrammes quotidiens du LSE décuple en trente ans, passant de 2 884 à 28 142, tandis que le nombre de liaisons directes avec des Bourses provinciales sextuple. La proportion de sociétés de chemin de fer écossaises cotées à Londres comme à Glasgow passe parallèlement de 22 % à 62 %[252]. L'introduction du téléphone est aussi empêchée dans les 2 années qui suivent son invention en 1878. En 1886, le LSE découvre que le Stock Ticker est utilisé par 80 courtiers qui n'en sont pas membres. En 1904, il est révélé que les courtiers les plus actifs sur les actions minières au LSE ont des lignes téléphoniques directes avec les compagnies minières et qu'en 1909 c'est également le cas pour les sociétés de thé et d'hévéa, avec des lignes vers les opérateurs des marchés du thé et de l'hévéa sur Mincing Lane.

L'engouement pour le pétrole de Pennsylvannie[modifier | modifier le code]

Dès 1859, dans le nord-ouest de la Pennsylvanie, Edwin Drake, ex-contremaître des chemins de fer, fore le premier puits de pétrole moderne américain. Très léger, facile à raffiner, il permet la création de huit raffineries de 1862 et 1868. Deux marchés de rue inorganisés naissent à Pittsburgh pendant la Guerre de Sécession, pour échanger des actions des petites sociétés pétrolières, le premier sur Center Street, devant les bureaux de l'armateur Lockhart, Frew and Company et l'autre devant les bureaux du Télégraphe sur Duquesne Way, le long de l'Allegheny (rivière).

En 1863, la première de Bourse des valeurs de Pittsburgh est fondée dans l'« Apollo Hall », sur Fourth Avenue, qui accueille peu après une deuxième, créée par John D. Bailey dans le « Wilkins Hall »[254]. On y échange des actions de sociétés pétrolières mais aussi de banques et des obligations[254], l'argent gagné par les hommes d'affaires locaux dans le pétrole devant être réinvesti[255], tandis que les habitants de la ville veulent prouver leur civisme en achetant les obligations émises pour financer la Guerre de Sécession[254]. En , la ville a déjà une 3e Bourse des valeurs. Pour limiter l'audience, un droit d'entrée de 25 cents est instituée, permettant des recettes quotidiennes de 75 dollars[254]. Jonathan Watson, propriétaire du terrain où Drake fit son premier forage exploitable, devient le premier millionnaire du pétrole de la ville[254].

Entre-temps, des sociétés pétrolières commencent à être échangées sur le Curb Market de New-York[132]. Le journal Pittsburgh Commercial publie le cours de trois sociétés pétrolière le , nombre qui passe à six le mois suivant et 17 en septembre[254]. En il existe 543 compagnies pétrolières dont 63 à Pittsburgh[254]. Ces dernières ne totalisent qu'une capitalisation de 21 610 dollars, soit une moyenne d'un peu plus de 300 dollars seulement[254] et des sociétés charbonnières sont aussi cotées.

La Pittsburgh Brokers' Association, qui réunit les courtiers, est fondée en 1867[254] et de sa dissolution vont naître plus tard les autres marchés boursiers :

  • le Pittsburgh Oil Exchange (1878-1884) ;
  • le Pittsburgh Petroleum, Stock and Metal Exchange, organisé en [254].
Hausses météorites et premiers ouvriers millionnaires à San Francisco[modifier | modifier le code]
Dès 1862, Mark Twain, 27 ans, couvre les mines d'argent du Nevada pour le Territorial Enterprise, journal de Virginia City.

La Bourse de San Francisco, qui inspire les écrivains Jules Verne et Robert-Louis Stevenson, ouvre en fanfare en 1862 grâce aux centaines de petites compagnies minières qui se partagent le Comstock Lode découvert trois ans plus tôt en plein désert du Nevada à Virginia City, sous les yeux du journaliste Mark Twain, venu de Carson City, qui le décrit dans À la dure (1872)[256] et invente l'expression « une mine est un trou dans la terre… qui appartient à un menteur »[256]. C'est le plus grand gisement d'argent-métal de l'histoire, après le Potosi bolivien. La Bourse de San Francisco finance des nouvelles technologies[257], comme celles de Philip Deidesheimer, qui teste dès 1860 un système de gros « cubes » qui permet aux mineurs expérimentés d'ouvrir des cavités de taille voulue, en profondeur, ou encore le tunnel d'Adolph Heinrich Joseph Sutro, permettant de creuser une mine à 300 mètres sous terre, par une température de 70 °C.

Les augmentations de capital sont massives et fréquentes, les effondrements boursiers aussi. On assiste aux premiers corners, contre la Bank of California, dont le fondateur se suicide dans la Baie de San Francisco. Avec un cours multiplié par 700, et une capitalisation boursière multipliée par 28 000 entre 1870 et 1875, pour atteindre 750 millions de dollars[258], grâce à la découverte du filon du Big Bonanzza, la Consolidated Virginia mining company enrichit ses quatre actionnaires, des ouvriers qui avaient participé à la ruée vers l'or en Californie. Ils fondent la Banque du Nevada, puis couvrent San Francisco de constructions monumentales. Les investisseurs tentent sans succès de rééditer ces performances dans la Vallée de la Mort à Panamint City (Californie), en 1873, ou lors de l'affaire de l'Emma Silver Mine de 1871. D'autres ex-mineurs du Comstock Lode deviendront milliardaires à l'extérieur du Nevada, comme George Hearst, qui découvre Homestake Mining, plus important gisement de l'Histoire des mines d'or, lors de la Ruée vers l'or dans les Black Hills. Parmi eux aussi, Marcus Daly, créateur de l'Anaconda Copper à Butte (Montana), société qui développera après sa mort les gisements d'Andes Copper Mining et Chuquicamata au Chili. Tous deux fondent des empires de presse. Le géologue Hamilton Smith, un ancien du Comstock Lode[259] sera recruté en 1892 par la Banque Rothschild pour l'exploration aurifère en profondeur en Afrique du Sud.

Le plomb du Missouri, exploité en profondeur pour les munitions[modifier | modifier le code]

Avant de partir sur le Comstock Lode du Nevada en 1859, George Hearst apprend l'extraction du plomb auprès de son mentor et créancier, Silas Reed (1807-1886), géologue pendant 22 ans de la « Missouri Smelting and Mineral Land Company »[260]. Les besoins militaires créés par la Guerre de Sécession, pour les munitions, relancent l'intérêt pour les anciennes et très importantes Mines de plomb du sud du Missouri, en déclin au milieu du XIXe siècle, car plus coûteuses que celles de l'Illinois (25 000 tonnes de plomb en 1860). En 1864, la Saint-Joseph Lead Mine Company est fondée pour implanter les méthodes minières modernes dans le Missouri, où jusque-là la plupart des mines étaient peu profondes, et elle utilise dès 1869 le forage au diamant[261]. La teneur en plomb est modeste, mais le potentiel géologique considérable, d'où la spéculation sur de meilleures conditions d'accès et d'affinage du minerai, qui amène les compagnies à surenchérir dans l'achat de terres en Missouri puis ailleurs. En 1869, des Mennonites de Pennsylvanie menés par Jacob W. Stauffer, relancent le plomb des Mines Rambo, à 12 miles au nord de Buffalo (Missouri).

Le réveil boursier des mines du « Pays de cuivre » cotées à Boston[modifier | modifier le code]

La Bourse de San Francisco se développe parallèlement à la Bourse de Boston et ses mines du Pays de cuivre, qui sont 24 dès 1864[262]. Dès 1837, le nouvel État du Michigan confie une revue annuelle du sous-sol[263] au géologue Douglass Houghton, explorateur de la péninsule de Keweenaw. Sa 4e édition déclenche un rush minier. Les terres achetées aux indiens sont revendues à une centaine de compagnies minières[264], dont la plus productive des États-Unis de 1845 à 1854.

C'est en 1858 que sont découverts les gisements « Calumet et Hecla », par Edwin J. Hulbert, qui fonde l'Hulbert Mining Company, avec des investisseurs de Boston. L'expansion est suivie de l'apparition d'une trentaine de compagnies cuprifères à la Bourse de Boston dès le milieu des années 1860. Ce succès amène en 1867 le géologue Alexander Emanuel Agassiz, fils du géologue Louis Agassiz, à rationaliser l'exploitation de la principale, Calumet et Hecla, pour remplacer les larges puits à ciel ouvert, qui s'éboulent.

Les deux sociétés passent de 7 % de la production de cuivre du Michigan à 57 % en trois ans après. D'une capitalisation cumulée de 5 millions de dollars[265], elles versent leur premiers dividendes en 1868 et 1869, puis fusionnent en 1871 pour former la Calumet et Hecla, qui extrait la moitié du métal rouge américain dès 1871 et multiplie par six sa production. Ses voisins estiment que le gisement se prolonge vers l'ouest, en biais, à une profondeur d'au moins 800 mètres, et creusent en 1882 les cinq puits de la Tamarack Mine, à une profondeur moyenne de 1 400 mètres, l'un d'eux dépassant 1 600 mètres, avec d'importants profits dès 1887. En 1885, les 17 mines du secteur produisent 77 millions de livres de cuivre, deux fois plus qu'Anaconda Copper, basée à Butte[266]. La veine fissurée de « Minesota », ouverte en 1847 sous un bloc de cinq tonnes de cuivre natif trouvé par les mineurs amérindiens, débouche sur la découverte d'un autre bloc, cette fois de 478 tonnes et devient « Minesota mining company », future 3M et membre de l'indice Dow Jones.

Les Bourses espagnoles handicapées par le Krach de 1866[modifier | modifier le code]

La crise de 1866 fait des dégâts sur la Bourse des valeurs de Barcelone, encore non officielle. Le Krach casse les tentatives de capitalisation des banques catalanes, ce qui assure « la mainmise française sur le réseau ferroviaire catalan », parti lever ses fonds sur la place de Lyon, avant de tomber entre les mains des groupes Péreire et Rothschild[267]. En raison de ses difficultés en France[268], le groupe Péreire devient quasiment espagnol et fonde un « Crédit mobilier espagnol (es) » qui deviendra en 1903 actionnaire du tiers du Banco Espagnol de Credito (BEC).

En 1868, la Bourses des valeurs de Madrid côte déjà 17 compagnies de chemin de fer et 34 sociétés minières et de services publics mais reste boudée. Les Français ont besoin du zinc espagnol, pour les toits des immeubles parisiens, en pleine expansion à la fin des années 1860, en raison des grands travaux immobiliers du Baron Haussmann à la fin du Second Empire mais s'approvisionnent surtout par les biais des investissements directs[162]. La Compagnie royale asturienne des Mines, fondée le à Bruxelles autofinance son développement des décennies suivantes dans la Guipuscoa, au Pays basque[269].

Entre 1855 et 1870, sur 940 millions de francs investis en Espagne par les étrangers, 90,6 % viennent de France, 7,7 % de Belgique et 1,3 % d'Angleterre. Les investisseurs français ramassent, de plus, la dette publique espagnole à des cours très bas, dans les années 1870[162]. En 1873, le gouvernement espagnol brade les riches gisements de cuivre de Rio Tinto, cette fois à l'industriel anglais Hugh Matheson, qui leur assurait déjà des débouchés commerciaux. Sa réussite déclenche une course à la concession minière en Andalousie, dans laquelle les Anglais prennent l'avantage, tandis que le Groupe Mirabaud, français, construit la Société minière et métallurgique de Peñarroya et ses mines de plomb à Peñarroya-Pueblonuevo, avant de devoir le céder à Rothschild, mieux armés pour en assurer le rayonnement international[268]. Le Procédé Bessemer breveté dès 1855 mais surtout amélioré en 1877 par le Procédé Thomas pousse aussi les Anglais à chercher les minerais de fer à forte teneur du Pays basque, qui s'industrialise mais n'obtient la création de la Bourse des valeurs de Bilbao qu'en 1890.

L'investissement direct étranger dans les mines espagnoles entre 1871 et 1890[268] :

Pays France Angleterre Belgique
Part des investissements 50 % 20 % 19 %

Parallèlement, la concurrence arrive: le code du commerce de 1885 reconnaît le marché libre de Barcelone, tout en maintenant le monopole de Madrid pour le courtage « notarisé ».

Du canal de Suez au coton américain : premiers déboires de l'épargnant français[modifier | modifier le code]

La ruine a touché brutalement les porteurs de l'obligation « coton américain » émise par le baron Émile d'Erlanger en 1865, pour 75 millions de francs à 8 %. Elle prévoyait un remboursement en coton des États-Unis, sous réserve que les États du Sud gagnent la guerre de Sécession[270]. La rétention du coton, qu'ils organisent, multiplie les cours par vingt en quelques mois, jusqu'à un record historique de 1,89 dollar la livre, resté inégalé deux siècles plus tard. Mais les cours s'effondrent avec l'abolition de l'esclavage.

Quelques mois plus tôt vacillait la Compagnie de Suez. Fondée dès 1858, l'année de la conquête de l'Indochine par Napoléon III, elle parie sur la croissance dans toute l'Asie: le canal divisera par deux la distance entre Londres et Bombay. Le Khédive Ismaïl Pacha apporte 44 % du capital, tournant ainsi le dos aux Anglais : « Nous consentons à voir sans la plus légère alarme ces intrigues du prince ignorant qui gouverne au Caire » commente le Times de Londres[271]. L'autre moitié vient de 40 000 actionnaires français, souhaitant « autant faire acte de patriotisme que tenter une bonne, affaire » note le Journal de l’union des deux mers, bimensuel édité par Ferdinand de Lesseps[272], le directeur.

Avec 200 millions de francs, Suez est sous-capitalisé. Les travaux devaient durer six ans… mais prennent du retard. Ferdinand de Lesseps suggère dès qu'une « Compagnie universelle de navigation » du banquier Salomon Oppenheim, cotée à Londres, prenne le relais[273]. Il faudra quatre ans en plus. Pour les finir, on lance en un emprunt obligataire de cent millions de francs sur 50 ans, à 8 %. L’action chute dès l’inauguration de 1868. Elle affiche -60 % sur 13 ans en 1871, lors d'un nouvel emprunt. La compagnie est en faillite le  : Ismaïl Pacha l'a surendettée par ses dépenses, puis a bradé ses actions au gouvernement anglais pour 4 millions de livres, en 1875.

Années 1870[modifier | modifier le code]

1870 : Bismarck affole la « Petite Bourse » et multiplie les rentiers[modifier | modifier le code]

Opéra Le Peletier en 1864, contigu au passage de l'Opéra où se tenait « La petite Bourse », organisée par les coulissiers.

La loi monétaire prussienne du 4 décembre 1871 oblige la France, vaincue de guerre, à verser une indemnité de guerre de cinq milliards de francs, soit 25 % de son Produit intérieur brut, dans une nouvelle monnaie, le mark-or. Pour la payer, la dette publique française doit doubler, par des émissions d'obligations: quatre millions d'inscriptions à son « Grand livre » seront enregistrées en 1880 contre 1,5 million en 1870[274]. Cela ne veut pas dire qu'il y a autant de porteurs d'emprunts publics, mais donne une indication sur la tendance à l'augmentation de leur nombre. Une nouvelle classe de rentiers apparaît, que de nouvelles grandes banques commerciales vont courtiser.

La Bourse de Paris a d'abord spéculé à la baisse sur les prémices de la guerre. Du 1er au , le cours de l'emprunt d'État français à 3 % passe de 72,85 francs à 65,25 francs[275]. En , l'ambassadeur de France approche le roi de Prusse dans le parc d'une station thermale à Ems. Il lui signale que la France exige confirmation du retrait de la candidature de Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen au trône d'Espagne, après l'abdication de la reine Isabelle II, pour ne pas être située géographiquement entre deux couronnes allemandes. Cette insistance, à laquelle le roi de Prusse ne répond pas immédiatement est présentée comme un grave incident diplomatique par la célèbre Dépêche d'Ems: l'agence Havas relaie la version reçue de l'Agence Continentale, que le chancelier allemand Bismarck contrôle. Résultat, les émeutes nationalistes des 13 et 14 juillet 1870, à Berlin puis Paris. Au soir du , Bismarck fait distribuer gratuitement dans les rues de Berlin[276] plusieurs milliers d'exemplaires d'un numéro spécial du Deutsche Allgemeine Zeitung, avec une caricature présentant l'ambassadeur de France humiliant le roi de Prusse[277],[278]. À Paris, dans la soirée, une « agitation extrêmement belliqueuse régnait non seulement parmi la foule compacte amassée à La petite Bourse » du passage de l'Opéra Le Peletier, où règnent les coulissiers, mais aussi « dans tous les cafés depuis la Madeleine jusqu'à la Bastille », rapporte le correspondant du Journal de Bruxelles. Il voit arriver une manifestation de 700 étudiants, avec un drapeau sur lequel est inscrit : « À bas la Prusse, vengeons nous ! »[279]. Le lendemain, Bismarck envoie sa circulaire aux ambassadeurs partout en Europe. Les manifestations de la veille les ont conditionnés. Le quotidien du soir La France donne la réponse française au Deutsche Allgemeine Zeitung, comme il en avait l'habitude depuis mai, chacun des deux puissances dénonçant l'activisme militaire de l'autre[280].

La nouvelle que Bismarck refuse une audience à l'ambassadeur français en Prusse fait chuter la Bourse de Paris, selon la chronique du Figaro : « On s'est laissé aller presque immédiatement au découragement le plus absolu, sous l'influence des bruits qui circulaient de toutes parts. On disait que le roi de Prusse avait refusé de recevoir Vincent Benedetti, et que le gouvernement prussien ne ferait aucune espèce de concession »[281]. Le journal La France affirme le au soir que la France s'apprête à réagir par une déclaration de guerre à l'incident diplomatique, ce qui déclenche de nouvelles manifestations à Paris. La foule s'en prend à l'ambassade de Prusse. Les vitres volent[282]. Le ministre de la Guerre rappelle les réservistes, le soir même.

Le krach de Vienne en 1873, première crise boursière internationale[modifier | modifier le code]

Custer, défié par les Sioux dans le Yellowstone, fait chuter les obligations ferroviaires.

La crise bancaire de mai 1873, appelée « krach de Vienne », a déclenché la Grande dépression (1873-1896). Elle démarre une semaine après l'ouverture à Vienne de l'exposition universelle de 1873, qui réunit 53 000 exposants, cinq fois plus que la moyenne de toutes les expositions universelles. Les 8 et , plusieurs centaines de banques autrichiennes se déclarent en faillite, car l'excès de crédits hypothécaires a entraîné une énorme bulle spéculative immobilière. Leurs actions s'effondrent après s'être envolées. Les banques se méfient les unes des autres. Les prêts interbancaires s'assèchent. Faillites en cascades, déconfitures, suicides : « certains spéculateurs ruinés mais encore astucieux, disparurent à temps de la circulation en abandonnant leur vieux costumes au bord de la rivière »[283]. Avec Vienne, deux autres villes sont très touchées. Paris paie la note faramineuse des spéculations du baron Haussmann. Berlin se réveille aussi de l'intense spéculation immobilière déclenchée par l'indemnité de guerre de 1871, qui avait permis à l'Allemagne de recevoir un stock d'or égal à 25 % du PIB français. Otto Glagau, du journal libéral Berliner Nationalzeitung, dénoncera en 1874, dans une série d'articles antisémites du magazine familial Die Gartenlaube (400 000 exemplaires, 2 millions de lecteurs), les « spéculations financières juives », puis le libéralisme, tout comme le journaliste Joachim Gehlsen et ses contributeurs anonymes[284] révélant des spéculations liées à Bismarck, aux fonds secrets et au ministre des finances Otto von Camphausen.

Aux États-Unis, une émission d'obligations du chemin de fer de la Northern Pacific Railway échoue après le bilan mitigé de l'expédition de la rivière Yellowstone, menée par le colonel George Armstrong Custer, et émaillée de combats contre les Sioux[285], qu'il était censé pacifier. La compagnie y survivra, mais son principal créancier, Jay Cooke, légendaire financier de la guerre de Sécession et premier banquier américain, confesse des problèmes de solvabilité[285] : c'est la Panique du 18 septembre 1873. Wall Street ferme pour dix jours, 89 compagnies de chemin de fer américaines sur 364 cessent d'investir. Le marché était encore étroit : en 1869, New Yorkshire ne cotait que 145 actions et 162 obligations, chiffres multipliés par 3,5 et 6 au cours du demi-siècle suivant[286].

Les banques américaines manquent de monnaie, car l'argent-métal vient d'être démonétisé par le Coinage Act de 1873, pour freiner l'excès d'argent-métal créé au printemps 1871 par la découverte du Crown Point Bonanzza, sur le Comstock Lode du Nevada. La Bourse de San Francisco en avait profité. Mais elle subit en 1875 son propre krach, précipité par les mauvais placements de la Bank of California.

Plomb, argent, cuivre et or, aux nouvelles Bourses minières de Saint-Louis, Denver et New-York[modifier | modifier le code]

La Crise bancaire de mai 1873 affecte chemins de fer et banques, et s'y ajoute des scandales miniers dans l'Utah et le Nevada. De nouveaux marchés boursiers américains spécialisés dans l'échange d'actions minières profitent de ce climat délétère, d'autant que l'or et l'argent, souvent associés à d'autres métaux en particulier dans les gisements de plomb, voire de cuivre, deviennent plus que jamais des placements-refuge. Les New-Yorkais tentent alors d'en devenir le centre, les capitaux anglais s'asséchant et les bourses de l'Ouest paraissant très spéculatives.

Le Coinage Act de 1873[287], premier accroc au bimétallisme américain, favorise l'or par rapport l'argent, devenu abondant depuis le gros filon découvert en 1871 sur le Comstock Lode du Nevada. Les capitaux londoniens sont d'autant plus difficiles à mobiliser, que la presse débat de l'Affaire de l'Emma Silver Mine, gisement de plomb argentifère surévalué. Les intermédiaires transatlantiques deviennent suspects. Dès 1874, la Stock Exchange Review de Londres dénonce 18 compagnies, dont 8 américaines où intervient un même William J. Lavington[288]. En 1876, Samuel Nugget Townsend, un observateur anglais du Colorado constate que le matériel manque, en raison du retrait financier de ses compatriotes[288]. Le quotidien St. Louis Globe-Democrat souligne que l'image des mines américaines a beaucoup souffert[288].

La Bourse des valeurs de Saint-Louis, créée en 1874, vise les gisements d'or et d'argent, auxquelles s'intéressent les professionnels des mines de plomb du Missouri. Le plomb argentifère de l'Idaho, à Woodville[289], est identifié dès 1873[290], à l'époque où l'Utah domine cette production depuis 1871 grâce aux capitaux anglais[290]. Le , la Famille Desloge fonde la « Missouri Lead and Smelting Company », qui ouvre 3 mines de plomb en 1876.

À la même époque est fondé le à Denver, le « Colorado Mining Stock Exchange », qui s'appuie sur les découvertes de plomb argentifère en 1874, sous forme de Cérusite, à Leadville, redécouverte en 1877 par les prospecteurs Horace Tabor et August Meyer. Ce plomb argentifère rapporte 2 millions de dollars, en plus des 10 millions de dollars d'argent-métal dès 1879[290]. Le Boum en argent du Colorado bouscule l'ordre minier, aux dépens de la Bourse de San Francisco, aux coûts de production désormais trop hauts, emportée par la chute, le , de la Bank of California, principal créancier des mines du Comstock Lode (Nevada), qui entraîne le suicide de son fondateur puis ceux du fondateur de la Banque Workman et Temple et d'un responsable d'usine à Panamint City (Californie), où neuf sociétés venaient de lever 42 millions de dollars, en quelques mois, avant d'abandonner.

Le « Colorado Mining Stock Exchange » est cependant très vite concurrencé par les places boursières de l'est, plus solides, qui veulent moins dépendre des chemins de fer et des banques[291]. Aiinsi naît le un « New York Mining Stock Exchange » (NMSE), basé au 60 à Broadway, présidé par John Stanton, fils d'un proche ami de Silas Reed. L'action la plus échangée est celle de la société new-yorkaise Lacrosse Gold Mining, implantée dans le Nevada[291]. Le NMSE côte aussi 4 mines de cuivre de la Bourse de Boston, Calumet et Hecla, Atlantic, Franklin, National, ou encore le conglomérat Allouez Copper[291], qui tire son nom de la découverte de statues de cuivre dès 1660 par le père Claude-Jean Allouez au Pays de Cuivre[292]. Il fusionne en 1877 avec l'« American Mining and Stock Exchange », fondé en , qui a lui-même absorbé peu après le « New-York Open Gold and Stock Exchange ». En 1883, cet ensemble agglomère aussi le « National Petroleum Exchange » pour devenir le « New-York Mining Stock and National Petroleum Exchange », fédérant 479 courtiers et futur Consolidated Stock Exchange, grand rival du NYSE à partir de 1886.

La Bourse des valeurs de Saint-Louis, très spéculative, s'intéresse au plomb argentifère de l'Idaho, depuis le vote du Bland-Allison Act de 1878, obligeant le Trésor américain à acheter chaque mois pour 2 millions de dollars d'argent métal, au nom de la Libre frappe de la monnaie, pour constituer des réserves garantissant la monnaie. Mais elle ne réunit plus que 50 courtiers et 25 courtiers associés en 1888[293]. L'un de ses courtiers, A.G. Edwards, crée en 1889 le « St. Louis and Butte, Montana mining syndicate » pour des concessions minières à Butte (Montana). En 1984 aussi, William Mayger, président de la St. Louis Mining and Milling part à Marysville, près de Helena (Montana) où il s'opposera à la société anglaise Montana Mining en 1893[294], puis obtiendra devant la Cour Suprême en 1911 le tiers du million de dollars qu'il réclame[295].

A.G. Edwards ira ensuite au New York Stock Exchange, pour y faciliter la cotation des banques de Saint-Louis (Missouri). Il sera l'un des rares survivants, dans le Missouri, de la Panique de 1893, qui entraîne la fermeture de la Bourse des valeurs de Saint-Louis, jugée trop fragile. Firmin Vincent Desloge a lui fondé en 1888 la « Desloge Consolidated Lead Company », puis acquis en 1889, la « Bogy Lead Mining Company » et a fusionné ses deux sociétés en la plus grande entreprise de plomb-mines et fonderies de l'époque, qui traite 500 tonnes de plomb par jour et sera cotée à New York dans les années 1920.

La Bourse de Tokyo fondée en 1878, bien avant Hong-Kong[modifier | modifier le code]

En Asie, Tokyo est créée en 1878 par le ministre des Finances pro-occidental Ōkuma Shigenobu, mais avec des employés en kimono[296]. Hong Kong voit le jour en 1891, sous forme d'association de courtiers.

Années 1880[modifier | modifier le code]

Le krach de l'Union générale et l'affaire du Tonkin[modifier | modifier le code]

Dans le dernier quart du XIXe siècle, les investisseurs investissent dans les services (banque, transport, distribution de gaz ou d'eau) et la dette publique, faute de valeurs industrielles. L'expansion rapide de Marseille fait de la Société marseillaise de crédit la seizième capitalisation boursière en 1891 :

Palmarès des capitalisations françaises Banque de France Parisienne de gaz Crédit lyonnais Générale des eaux Générale transatlantique Cie d'éclairage Lebon Société générale Messageries maritimes Omnibus de Paris Mines de la Loire
Millions de francs 1891 810 387 320 177 175 118 117 115 108 105

L'Union générale, fondée en 1875 à Lyon par des banquiers catholiques et monarchistes, sombre après seulement 7 ans d'existence. Luigi Jacobini, secrétaire du pape, y avait investi 335 649 francs. Paul Eugène Bontoux en prend la direction en 1878. Ex-chef de service chez Rothschild, ancien patron des chemins de fer autrichiens, il a perdu sa fortune à la Bourse de Vienne en 1873[297]. Il multiplie les acquisitions en Europe centrale, Afrique du Nord et Égypte, tout en spéculant par le rachat de ses propres actions. La Bourse s'envole mais le doute grandit. Un « match » acrimonieux démarre : les « baissiers », réunis autour de Rothschild contre les « haussiers » menés par le Crédit lyonnais d'Henri Germain[298]. Les premiers l'emportent : début , l'action est divisée par deux en quinze jours, c'est le « krach de l'Union générale », en défaut de paiement, qui disparaît. Condamné à cinq ans de prison, Paul Eugène Bontoux fuit en Espagne. S'ensuit une crise industrielle, avec en 1884 la grande grève des mineurs d'Anzin. Émile Zola s'en inspire pour deux romans : Germinal (1885) et L'Argent (1891)[298]. Le mutualisme bancaire se diffuse au même moment en province : la première Caisse du Crédit mutuel, sur le modèle de Raiffeisen, est fondée en 1882 en Alsace. En 1885, la première Caisse locale du Crédit agricole voit le jour à Salins-les-Bains (Jura). D'autres banques cotées font faillite : le Comptoir national d'escompte de Paris en 1889, après la plus grande spéculation de l'histoire du cuivre. Et en 1891 la Société des dépôts et comptes courants, victime des conséquences du Scandale de Panama. Les banques tentent ensuite de remédier à leur sous-capitalisation : elles émettent la moitié des 3,5 milliards de francs d'augmentation de capital réalisés par les sociétés françaises cotées entre 1890 et 1914. Leur part reviendra ensuite à 17 % dans l'Entre-deux-guerres[299].

Les différents affrontements de la conquête du Tonkin.
Année 1830 1848 1850 1861 1869 1880 1890 1900 1913
Nombre de banques cotées à la Bourse de Paris[133] 3 16 5 12 21 46 53 41 58

Résultat, les banques cotées pèsent le quart de la capitalisation française en 1890 et représentent même 4 des six premières capitalisations en 1901. Elles sont très actives dans la colonisation, dont la marche est scrutée par ce qui reste le marché directeur, celui de la dette publique. En 1885, c'est l'affaire du Tonkin, en Indochine, qui secoue la Bourse: une dépêche Havas confond la modeste retraite de Lang Son de l'armée française avec un abandon général du delta du fleuve Rouge. La fausse nouvelle, donnée « de bonne foi »[300] par le général Louis Brière de l'Isle, fait chuter la Bourse de Paris et le gouvernement de Jules Ferry, « au moment même où arrive une deuxième dépêche minimisant l'importance des combats »[301]. Dès le , la Bourse avait commencé à inquiéter, redoutant une véritable guerre, avec de lourdes dépenses, puis découvrant le que le traité de paix franco-vietnamien n’était pas reconnu par la Chine[302].

Le canal de Panama et les emprunts russes[modifier | modifier le code]

Ferdinand de Lesseps passe en 1880 à la Compagnie de Panama. Son projet coûte 47 % de plus que celui d'Émile-Justin Menier au Nicaragua. Le chantier traîne, victime de la malaria, du relief accidenté, mais aussi de sous-capitalisation : seulement 300 millions de francs sur 400 millions de capital prévus. La Compagnie est liquidée le , neuf ans après son lancement, malgré l'émission d’emprunts en 1888. Les 85 000 actionnaires et obligataires, sont ruinés. En 1892, Édouard Drumont révèle dans La Libre Parole les noms des politiciens et journalistes corrompus pour lever des fonds et obtenir des autorisations[303]. L’un des corrupteurs, le baron de Reinach, se suicide le . L’autre, Cornelius Herz, s'enfuit en Angleterre. Le scandale de Panama vaut cinq ans de prison à l'ex-ministre des Travaux publics Charles Baïhaut. Le canal sera achevé par les États-Unis, qui rachètent la concession en 1903. La presse française de l'époque n'a dénoncé le scandale qu'après-coup.

En 1888, un an avant la faillite de Panama, le premier tronçon du Transsibérien ouvre et quatre emprunts de 500 millions de francs-or sont émis. La conquête de la Sibérie intéresse aussi les Belges, mais ils achètent plutôt des actions russes, dans la métallurgie (27,7 %), la mécanique (17 %) et le charbon (15 %)[304]. L’Angleterre, elle, consacre 92 % de ses placements extérieurs aux États-Unis et au Commonwealth[305]. La Russie doit se passer des capitaux prussiens, revenus vers l’Allemagne unifiée depuis la guerre de 1870, puis alliée en 1882[306] à l’Empire austro-hongrois et au Royaume d’Italie C'est la Triplice, que l'alliance franco-russe de 1892 tente de contrer, ce qui mènera à la Première Guerre mondiale. Dès 1904, la France compte 1,6 million de créanciers du chemin de fer, de l’État et des municipalités russes[307]. L'économiste Arthur Raffalovitch, représentant à Paris du ministère des Finances russe a distribué 6,5 millions de francs de pots-de-vin[308] aux journalistes parisiens, entre 1900 et 1914, pour assurer le succès d'une vague d'emprunt russe : c'est l'Affaire Arthur Raffalovitch. De 1888 à 1913, la France a prêté 12 milliards de francs-or à un empire au bord du gouffre financier[309]. Tous les emprunts russes seront répudiés après la révolution de 1917.

Les Français ont eu plus de réussite avec la Compagnie du Boléo, qui construit un port artificiel et la ville de Santa Rosalia (Basse-Californie du Sud), en plein désert, sur un gisement à très forte teneur en cuivre (15 %), avec la bénédiction du président mexicain Porfirio Diaz. L'action est multipliée par 8 en 25 ans, atteignant 3 827 francs en 1910[310]. Un jeune centralien, Georges de la Bouglise a réalisé l’étude minière qui a décidé la banque Mirabaud et Cie à investir. Il part ensuite à Butte (Montana), puis fonde en 1899 la Société des mines de cuivre de Catemu, pour exploiter El Soldado, première des grandes mines de cuivre du Chili. El Teniente, Chuquicamata et Minera Escondida suivront.

La rivalité entre bourses de la Côte Est américaine[modifier | modifier le code]

Sur le New York Stock Exchange, les échanges moyens sont en 1880-1884 le double de la période 1875-1879[311] et le nombre de sociétés cotées a aussi doublé entre 1875 et 1884. Ce succès va stimuler la concurrence du Consolidated Stock Exchange (CSE), lui-même issu des fusions, entre 1877 et 1884, du « New York Mining Stock Exchange » avec plusieurs Bourses rivales, également spécialisées dans le pétrole et les mines, dont une partie est aussi cotée à la Bourse de Boston. Le CSE recourt à une chambre de compensation où le nombre d'actions de sociétés minières échangées quintuple entre 1885 et 1887, l'année où le CSE se dote d'un imposant bâtiment au croisement des rues de Broadway et d'Exchange Place à Manhattan.

Consolidated Stock and Petroleum Exchange, Broadway and Exchange Pl, Ca 1890

Le CSE réunit 2 403 membres, le nombre le plus élevé du pays après le New York Produce Exchange, parmi lesquels 400 sont aussi membres du New York Stock Exchange (NYSE) qui en a lui deux fois moins. Jusque-là, des Gentlemen's agreement leur donnaient aux accès aux cours du NYSE pour avoir la tendance générale[311] en échange de l'engagement à ne pas coter les mêmes actions. Mais en 1885, les membres du CSE réclament de coter aussi des actions de chemin de fer. Les négociations avec le New York Stock Exchange, pour se répartir les secteurs échouent. Le , le CSE décide de coter tous les secteurs d'activité et d'ouvrir une demi-heure avant le NYSE[311]. Il capte rapidement 11,21 % des échanges et même 74,8 % sur ceux de l'Indice Dow Jones. Ses spécialistes prennent une commission de seulement 1/16e de dollar contre 1/8e pour ceux du NYSE. En utilisant les cotations du NYSE, les courtiers du Consolidated Stock Exchange économisent sur les coûts de créer un mécanisme de découverte des prix. Le NYSE réagit immédiatement : il oblige ses membres à choisir leur camp et interdit les liaisons téléphoniques avec le Consolidated Stock Exchange. En 1890, il rachète les droits sur le Stock Ticker, pour en assurer le monopole à ses membres. Jusqu'aux années 1890, la Bourse de Boston restera plus importante que le New York Stock Exchange pour les sociétés industrielles. En 1898, deux ans après la création de l'indice Dow Jones, il n'y a que 20 sociétés industrielles cotées sur le New York Stock Exchange, contre 48 en 1869 sur la Bourse de Boston[312]. Malgré cela, un troisième marché, le « Curb Market » se développe aussi, sur les trottoirs. En 1908, l'année où il se dote d'une agence officielle les trois bourses newyorkaises rivales représenteront un stock de 424 millions d'actions, dont 53,5 % hors du NYSE. Les échanges sur le NYSE et le CSE entre 1885 et 1909[311] :

Nombres de sociétés 1885 1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898 1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909
Cotées au NYSE 114 117 98 127 130 160 140 146 145 149 144 167 168 195 209 221 229 223 254 255 255 265 277 269 263
Cotées au NYSE avec du volume 55 72 72 78 96 80 59 99 82 78 79 90 77 136 155 151 158 134 121 128 176 161 151 111 149
Du NYSE cotées au CSE avec du volume 18 24 33 39 41 30 21 55 39 25 24 29 20 34 38 40 44 37 49 53 48 49 35 35 61

La concurrence entre le New York Stock Exchange et le Consolidated Stock Exchange après 1886 a poussé le premier à racheter les droits sur le Stock Ticker, permettant de diffuser les cours à moindre coût, pour les fabriquer exclusivement à usage de ses membres fidèles.

Années 1890[modifier | modifier le code]

Charles Dow et Eddie Jones, première idylle entre industrie et Bourse[modifier | modifier le code]

Les États-Unis inventent en 1896, le Dow Jones, premier indice entièrement industriel de l'histoire. Sa composition historique inclut dès le début General Electric, forte des recherches de Thomas Edison. Avant 1896, les sociétés industrielles étaient encore mal représentées sur les Bourses. Les investisseurs découvrent qu'elles peuvent gagner des parts de marché par la technologie, les marques ou l'innovation, pour engranger des économies d'échelle. Les États-Unis deviennent dix ans après leader mondial de l'acier, grâce à une production octuplée de 1880 à 1900, à dix millions de tonnes[313]. La Conquête de l'Ouest assure des débouchés dans le chemin de fer. Quand la demande baisse, comme lors des faillites ferroviaires de 1893 les Américains écoulent en Europe leurs excédents. Le boom de l'immigration profite aussi à l'agroalimentaire ou au fabricant de courroies pour tracteurs US Leather.

La foule à Wall Street pendant la panique d'.

Les journalistes Charles Dow (1851-1902) et Edward Jones avaient quitté en 1882 une agence de presse financière, le Wall Street Financial News Bureau, pour créer la société Dow Jones. Dans une petite pièce au sous-sol du numéro 15 de la rue Wall Street, ils rédigent des bulletins d'information, puis une feuille quotidienne : l’Afternoon News Letter et sa liste de onze valeurs américaines de référence, dont neuf chemins de fer, une compagnie de télégraphe, la Western Union, et la compagnie maritime Pacific Mail. Le , ils fondent le Wall Street Journal : quatre pages, avec statistiques, cours des obligations et matières premières, les actions les plus actives, les bénéfices des sociétés de chemin de fer et des banques. L'abonnement, annuel, coûte 2 cents par jour. Ils créent d’abord en 1884 un indice « DJ Tranport », qui sera renommé « DJ Rail » en 1897[286]. Le , ils publient la première version composée strictement de valeurs industrielles : l'indice Dow Jones. Il n'y a plus aucune compagnies ferroviaires, même si Wall Street en comptait 53[314].

La plupart des « douze industrielles » dépendent pour leur chiffre d'affaires de la grande consommation. Elles constituent un pari sur la croissance démographique des États-Unis et l'augmentation du niveau de vie. L'une d'elles, la Tennessee Coal and Iron[315] contrôlera 60 % de l'acier américain dix ans plus tard. Visionnaire, Charles Dow avait prédit dès 1882 que « le marché des valeurs industrielles deviendrait le grand marché spéculatif des États-Unis ». Grâce aux économies d'échelles, les entreprises industrielles ont des potentiels de bénéfices bien supérieurs aux autres, même si elles sont plus exposées à la concurrence. Sa liste, populaire, leur donne visibilité et perspectives boursières. Les émissions d’actions de sociétés industrielles atteignent 2,24 milliards de dollars en 1899, contre 507 millions pour les chemins de fer. Elles contribuent à doper le volume d’échanges total à New York, qui passe de 57 millions en 1896 à 265 millions en 1901[286]. Et la croissance explosive de l'industrie américaine met fin à la Grande Dépression (1873-1896).

Allemagne et Italie, deux unifications et deux modes de courtage boursier[modifier | modifier le code]

Les Bourses italiennes et allemandes sont en forte croissance entre 1870 et 1873, peu après l'unifications des deux pays. Berlin passe en 1871 devant Francfort et Hambourg, jusque-là dominantes[316], puis profite d'un cadre fiscal et réglementaire contraignant pour les courtiers mais moins risqué pour les épargnants[316], la loi fixant aux entreprises des obligations de transparence financière plus élevée qu'ailleurs. De plus, après la crise de la Banque Barings sur la dette souveraine de l'Argentine et de l'Uruguay en 1890-1893, la loi boursière allemande interdit les opérations à terme en 1896. La fiscalité est encore durcie, décourageant les courtiers de prélever des marges et favorisant les grandes banques capables de réaliser des transactions entre leurs clients, sans passer par la Bourse, même si cet avantage est supprimé en 1908[316].

Une étude sur un millier d'introductions en Bourse de Berlin, de l'Unification allemande des années 1870 à la veille de Seconde Guerre mondiale attire l'attention sur un environnement réglementaire de plus en plus exigeant, du début des années 1880 à 1914[317], qui a apporté une contribution vitale à la probabilité plus élevée de voir des sociétés entrer en bourse[317]. Sur 1897-1913, Berlin accueille 377 des 690 introductions en Bourse, devant la Bourse de Dresde (82), la Bourse de Francfort (58), la Bourse de Munich (28) et la Bourse de Leipzig (28 aussi). Les entreprises dotées d’un capital social élevé ont davantage tendance à demander Berlin, alors que les 23 marchés boursiers régionaux alors en fonctionnement accueillent plus volontiers des petites et moyennes entreprises. Berlin est très largement première par le nombre total de sociétés cotées (992), devant Francfort (270), Dresde (194), Hambourg (127), Leipzig (125) et Munich (96). Les mines et la métallurgie représentent près du quart de ces sociétés cotées à Berlin en 1913, grâce à la très forte croissance allemande dans ce domaine au cours des trois décennies précédentes.

La Bourse des valeurs de Gênes n'a de son côté cédé le leadership qu'après la Panique bancaire américaine de 1907, contemporaine d'un krach sur l'automobile italienne, maintenant tout d'abord sa domination des Bourses italiennes dans les trois décennies suivant l'unification. Gênes représente 3 milliards de lires échangées en 1873 contre 1,5 milliard à Milan, où cependant 25 sociétés sont désormais cotées, dont 15 banques[316], contre 2 sociétés dans les années 1860[316]. Turin, Florence, Rome et Naples ont aussi leurs Bourses, et même les villes plus petites de Cuneo, Chieti et Messine, souvent spécialisées sur un secteur d'activités[316]. Le mécontentement domine les réunions des courtiers officiels milanais, consacrée à l'intermédiation non autorisée[318].

En 1906, il y a toujours environ 1200 courtiers à Gênes[316], qui a contourné régulièrement les tentatives de réglementer leur nombre, la puissante chambre de commerce locale s'y refusant. Ils sont 160 à la Bourse des valeurs de Milan, où la criée est obligatoire depuis 1885 mais ne le sera qu'en 1912 à Gênes[316], où la spéculation est débridée, ouverte à quasiment tous mais concentrée sur peu de titres. Même à Milan, 7 d'entre eux pèsent deux tiers de l'activité en 1888 et 12 n'ont aucun cours disponible. La hiérarchie des deux marchés sera ébranlée en 1889 par la crise du Banca Generale et du Credito Mobiliare. Leurs cours chutent de 80 % entre 1891 et 1894[316]. Comme en Allemagne, le rebond a lieu ensuite en 1894. En 1896 le gouvernement italien relance l'économie par l'emprunt[316], mais les banques ont vendu des participations, pour se refaire, et la Bourse est encore plus concentrée sur un nombre réduit de valeurs[316]. Les entreprises manufacturières italiennes privilégient jusqu'en 1900 autofinancement et prêts bancaires. Seulement 23 sociétés sont cotées à Milan en 1895, dont deux-tiers de banques. Puis c'est 54 en 1900 et 160 en 1913[318]. Entre 1902 et 1905, leur nombre double. Transport, textile, alimentaire et électricité apparaissent puis l'automobile fait l'objet d'un brusque engouement en 1906.

La Bourse des valeurs de Gênes et la Bourse des valeurs de Turin se sont équipées du télégraphe après la crise de 1891-1893, avant Milan, qui s'est ensuite placée au centre du réseau, par le biais d'un immense lobbying[316] : il faut passer par elle pour échanger des télégraphes entre Gênes, Turin et Rome[316]. Milan marque aussi des points par la meilleure résistance de ses courtiers dans la crise, mais ne deviendra première en Italie qu'après la crise suivante, en 1907, au cours de laquelle elle interdit dès les opérations boursières à crédit et peut compter à nouveau sur des courtiers en moyenne plus solides[316].

Les trois Bourses de l'or du Colorado[modifier | modifier le code]

La société John W. Proudfit fonde en 1890 une Bourse informelle, centrée sur les ressources minières de la future ville d'Aspen, qui a rapidement des bureaux à Londres et dans deux villes du Colorado[319]. Le « Crosby-Ehrich Syndicate », association de courtiers, centralise aussi des transactions d'actions de jeunes sociétés minières. La « Colorado Springs Mining Stock Association » naît dans la ville toute proche de Colorado Springs, pour échanger les actions du secteur de Cripple Creek. La valeur de certaines ont décuplé ou centuplé dès 1893. Résultat, trois bourses informelles dès 1894[320]. Winfield Scott Stratton devient le premier millionnaire du secteur en 1894, grâce à la valorisation boursière du gisement d'Independence Lode, près de Victor (Colorado), découvert le .

En 1900, Cripple Creek a deux opéras, 75 saloons, 8 journaux et une production aurifère de près de 21 millions de dollars, surpassant celle des ruées vers l'or en Californie et en Alaska, mais dès 1912 elle retombera à 11 millions de dollars. Une théorie géologique de Winfield Scott Stratton assure que les veines convergent à une grande profondeur. Vers la fin de l'année, il vend 10 millions de dollars son « Independance Mine », qui est introduite en Bourse de Londres, mais le cours de l'action s'effondre, déclenchant un procès, finalement perdu par l'acquéreur, la « Venture Corporation of London ». Le boom minier culmine en 1901-1902 : 500 compagnies à Cripple Creek, 18 000 habitants, et Victor (Colorado), cotées au « Colorado Springs Mining Stock Exchange », bâtiment de grès rouge de 1896. En 1899, avec 34,4 millions de dollars échangés, c'est la bourse la plus active du monde[321]. Le millionnaire Sam Strong, propriétaire de mines, y est tué au révolver par J. Accordez Crumley au saloon de Newport. En 1902, un grand tableau récapitule la liste des cours. Le boom minier est stoppé en 1904 par la baisse de l'or. Les militaires tirent sur des mineurs en grève, causant plusieurs morts[322] et des traces de balles dans les murs du 110 North 4th Street à Victor (Colorado).

Les échanges au Colorado Springs Mining Stock Exchange[321] :

Années 1897 1898 1899
Dollars 7,57 millions 10,25 millions 34,4 millions

Paris et Londres se disputent les profondeurs aurifères d'Afrique du Sud[modifier | modifier le code]

L'Afrique du Sud a quadruplé sa production d'or dans les années 1890[323] grâce à l'exploitation minière en haute profondeur, et produira vingt ans plus tard la moitié de l'or mondial. Son potentiel gonfle la capitalisation à la Bourse de Londres, lorsque The Times publie en le rapport d'Hamilton Smith[324], un ancien des mines d'argent du Comstock Lode, au Nevada[259], recruté par la Banque privée Edmond de Rothschild. La Revue sud-africaine d'Henry Dupont, le traduit en français[325]. Les mines d'or sud-africaines permettent aux coulissiers de réaliser 60 % du total des échanges à Paris dès la fin 1893. Le Figaro du donne les cours d'une quinzaine d'entre elles. L'action Robinson Deep Mine double de valeur au quatrième trimestre 1894 pour atteindre 194 francs[326]. Grâce au baron Jacques de Gunzbourg[327], banquier également implanté à Saint-Pétersbourg[328], un compartiment « mines d'or du Transvaal », hyperactif, est créé à Paris en .

« Il y aura profit à pousser jusqu'à 1 200 mètres la profondeur des puits »[329], rapporte, début 1894, le géologue Karl Schmeisser, envoyé du gouvernement de Prusse. Selon lui, le gisement peut rapporter 349 millions de sterling sur 14 ans, prévision proche des 325 millions estimés par Hamilton Smith[324]. Un autre ingénieur californien, John Hays Hammond, conçoit le barrage de Vierfontein pour alimenter en électricité les profondeurs. Il devient le « prophète de l'industrie minière », lorsque le gisement d'or sera atteint par Robinson Deep Mine à 600 mètres, exactement comme dans ses calculs. Une « université du Witwatersrand » naît en 1896, précédée par la « South African Association of Engineers and Architects » en 1891. Jacques de Gunzbourg crée la CFMAS (Cofrador) et la Banque française d'Afrique du Sud avec Nemours Herbault, ex-syndic de la Compagnie des agents de change, qui fondera trois ans plus tard la CGE. À l'été 1895, les actions de la Coronation Syndicate, dont l'objet consistait seulement à « lancer d'autres sociétés »[330], montent en quelques semaines de 10 livres à 2 000 livres[331]. En septembre, toute introduction en Bourse sur le Marché libre est interdite, pour freiner l'emballement.

L'industriel Cecil Rhodes veut faire de Johannesbourg, ville-champignon de cent mille habitants, un « Gibraltar de la finance »[332]. Mais les Boers refusent aux immigrés anglais le droit de vote et taxent les mines d'or. Cecil Rhodes, John Hays Hammond et Alfred Beit[333] lancent alors le raid Jameson de  : une armée privée échoue à renverser le gouvernement du Transvaal, ce qui déclenche la crise boursière des mines d'or sud-africaines de l'hiver 1895-1896, et affaiblit les coulissiers parisiens. Les agents de change dénoncent leurs origines juives, sur fond d'affaire Dreyfus. Un activisme actionnarial émerge : l'« Union des porteurs français de mines d'or et de valeurs transvaliennes », de Paul Leroy-Beaulieu, rédacteur en chef de L'Économiste français prend le parti des Boers[334], alors que l'échec du Raid Jameson est au contraire regretté par La Revue sud-africaine, qui vante son indépendance.

Blyde River Canyon dans le Transvaal.

Capitalisation et rang à la Bourse de Londres des mines d'or sud-africaines :

Société Rand Gold Fields Crown Robinson Sim Jack East Rand Randfontein
Rang 1898 (23e) (37e) (créée 1909 (49e) (59e) (64e) (88e)
Capi 1898 9,8 7,6 (créée 1909 4,4 4,3 3,8 2,5
Rang 1913 (20e) (56e) (21e) (fusionnée) (fusionnée) (44e) (49e)
Capi 1913 13,5 7,3 12,8 (fusionnée) (fusionnée) 6,26 5,5

Après la crise, l'extraction repart. Elle atteint 14,7 tonnes au cours du seul mois d', son niveau annuel de 1890. Désormais assez abondant pour emplir les caves des banques centrales, l'or sud-africain garantit la confiance dans le papier-monnaie. Quinze ans après, les deep mining sud-africaines ont toutes progressé au palmarès de la Bourse de Londres, sauf Gold Fields qui a revendu des mines. L'Afrique du Sud produit un quart de l'or mondial dès 1899 (110 tonnes sur 461), plus de la moitié dès 1910 (255 tonnes sur 507) et ira jusqu'à 80 % en 1969[335], avec près d'un millier de tonnes. East Rand, pionnier de l'exploitation minière en haute profondeur » dès 1893, ira chercher de l'or jusqu'à 3,5 kilomètres sous terre en 1959.

XXe siècle[modifier | modifier le code]

Plus forte au XXe qu’au XIXe siècle, la croissance économique mondiale se traduit une expansion spectaculaire de l'épargne dans les années 1900, dont Londres et Paris sont les plaques tournantes, puis par un doublement du nombre de société inscrites à la Bourse de Paris dans les années 1920, période qui voit les cours multipliés par 4,4[336] en France et 3,3 aux États-Unis, grâce aux progrès de la TSF, du pétrole, de l'automobile, de l'électricité et plus généralement de l'industrie. Dans les années 1950, le succès des matières premières accroît encore l'aura de la bourse, qui est ensuite aspirée par plusieurs vagues de la révolution informatique, qui profite du développement économique sur tous les continents.

Année 1891 1901 1913 1928 1936
Nombre de sociétés cotées à Paris[337] 182 287 336 602 608
Capitalisation moyenne de ces sociétés (francs de 1913) 33,8 millions 31,4 millions 45,4 millions 32,6 millions 21,5 millions

Au XIXe siècle, le poids de l’industrie dans la capitalisation boursière française ne dépasse pas 4 % et il reste inférieur à 7 % jusqu'aux années 1920, puis grimpe pour culminer en 1961 à plus de 69 %. Parmi les causes, la petite taille des entreprises, jugées trop risquées. En 1912, seules 10 emploient plus de 10 000 personnes contre 23 en Allemagne et 39 en Angleterre[338]. Pour la seule sidérurgie, le « géant » français, Schneider, est bien loin de ses homologues étrangers. En 1907, en termes de capitalisation boursière, Krupp pèse quatre fois plus lourd et US Steel est vingt fois plus important. Dans le secteur de la chimie pourtant bien représenté dans l’industrie française, Rhône–Poulenc fait figure de grosse PME avec 4 000 employés en 1929 contre 110 000 pour IG Farben ou 50 000 pour Imperial Chemical Industries en Grande-Bretagne.

C’est par la chimie et l’électro-chimie que l’industrie s’impose en bourse à partir des années 1930, particulièrement l’aluminium avec Péchiney, Kuhlmann et Ugine[339]. Construction électrique puis automobile prennent le relais. La sidérurgie culmine en 1960 à 16 % de la capitalisation française, le secteur étant politiquement favorisé[338]. Le reste de l'industrie entame sa croissance dans les années 1920 et décroît depuis 1985 sans jamais avoir dépassé les 25 % de l’indice. Finalement, l’industrie n’a représenté plus de 50 % de la capitalisation boursière française qu’entre 1948 et 1978[338].

Au XIXe siècle, en Angleterre, seul marché pour lequel des données détaillées existent avant 1914, la faiblesse de l’industrie est importante aussi[338]. En 1870, la capitalisation boursière anglaise était à 76 % constituée par le chemin de fer, suivis des banques (11 %), gaz, eaux, et assurance, l’industrie n'étant qu'une part du groupe « divers » (7 %). En 1913, ce groupe est à 18 %, la capitalisation restant dominée par les banques (19 %), chemins de fer (16 %), mines (15 %) et assurance (7 %)[338]. En France, le poids du chemin de fer dans la capitalisation boursière est aggravé après 1883 par la Convention Freycinet, qui subventionne les compagnies privées pour construire le réseau secondaire. En 1913, il pèse 32 % de la Bourse française contre 16 % en Angleterre[338]. Aux États-Unis, l'acier puis l'automobile font une entrée fracassante au début du siècle.

La Bourse américaine n'est unifiée qu'après le déploiement d'un réseau téléphonique national vers 1915, alors que premier téléphone était apparu sur le NYSE dès 1878, complété par la création d'une liste nationale de tickers par le NYSE dans les années 1920, puis un statut des valeurs non-cotées en 1936[132].

Nombre de marchés boursiers aux États-Unis[132] :

Fin XIXe siècle 1940 1960 1980
Plus de 100 18 11 7

Créé en 1908, la Curbstone Agency a son propre bâtiment dès 1915, mais seulement 60 000 personnes détiennent des actions sur le NYSE en 1912 et en 1916 seulement un courtier sur sept accepte des ordres de moins de cent actions[132]. Autre facteur d'unification, le ticker, invention de Thomas Edison et d'Edward A. Calahan : la centaine de sociétés commercialisant son invention sont réunies en 1890 dans la « New York Quotation Co », créée de concert par les courtiers pour fiabiliser les données sur les cours et les volumes d'échanges[132]. Près de 6000 machines auront été construites entre 1870 et 1900 avec souvent un clavier de piano, aux touches blanches pour les chiffres et noires pour les lettres[340].

Edison gold & stock ticker
Hughes telegraph (1866-1914), first telegraph printing text on a paper tape. Manufactured by Siemens & Halske, Germany; range: 300-400 km

Années 1900[modifier | modifier le code]

La deuxième révolution industrielle et ses progrès dans l'hydro-électricité et l'automobile vont générer une intense spéculation, en particulier dans les Alpes et faire flamber les cours des métaux, contribuant à l'intensité de la panique bancaire américaine de 1907 lorsque cette spéculation se dégonfle. La puissance des marchés financiers anglais, français et allemands leur permet cependant de résister à la crise américaine.

La Place de Paris, carrefour mondial à la Belle Époque[modifier | modifier le code]

Obligation de 200 roubles à 5% de la vil