Histoire de la culture des céréales — Wikipédia

Différentes céréales.

L'histoire de la culture des céréales est un élément majeur de l'histoire alimentaire mondiale aux conséquences économiques, sociales et politiques très importantes. Fondement de l'alimentation dans la majorité des sociétés, les céréales, leur provenance, la difficulté de leur culture, leur pénurie ou leur abondance sont des enjeux essentiels de l'existence humaine. Des émeutes frumentaires aux réformes agraires, les céréales ont joué un rôle central dans certains grands épisodes de l'histoire.

Comme céréales principales, le riz et le blé ont rivalisé jusqu'en 1938[1], le second se détachant ensuite. Les rendements du blé avaient stagné de la période mérovingienne jusqu'à 1910[2], entretenant la hantise de la pénurie, dans des sociétés où « le plus grand nombre » tirait la « plupart des calories des céréales ». Elles étaient considérées comme source « majeure des revenus », « régulateur de la prospérité » et du « niveau de l'emploi » et, surtout, « grand garant » de la paix sociale[3].

La France passe d'un agriculteur nourrissant 1,7 personne vers 1700 à environ 100 personnes[4] au XXIe siècle.

Jusqu'en 1950, les blés de printemps, adaptés aux zones à hiver rude, donnent un second souffle aux peuplements nés des ruées vers l'or en Russie, Australie et Californie. Dès 1925, les prairies de l'Ouest canadien assurent la moitié du commerce mondial du blé après avoir triplé leur part grâce au soutien de l'État et aux coopératives. Le blé du Midwest américain rivalise économiquement avec le coton du Sud, et les céréales des pampas d'Argentine avec le café du Brésil et du Venezuela.

En 2017, le maïs est la principale céréale (1 135 millions de tonnes) devant le riz et le blé (770 millions de tonnes chacun) sur un total toutes céréales de 2 980 millions de tonnes[5]. La Chine est devenue le leader mondial de la production de céréales.

Préhistoire[modifier | modifier le code]

Origine des blés dans le Croissant fertile[modifier | modifier le code]

Les ancêtres des blés sont l'égilope et l'engrain sauvage (triticum boeoticum), grandes graminées diploïdes à 14 chromosomes. L'engrain ou blé primitif est la première céréale domestiquée, particulièrement rustique mais peu productive. Les blés plus généralement cultivés aujourd'hui sont des plantes tétraploïdes (blé dur et blé khorasan) ou hexaploïdes à 42 chromosomes (blé tendre et grand épeautre)[6], caractéristique génétique qui indique un long travail de sélection.

La culture du blé marque le début du Néolithique, vers - 8500. La « révolution néolithique » s'est produite dans ce qu'on appelle le « Noyau levantin », région qui va de la vallée du Jourdain au cours supérieur de l'Euphrate et au Zagros, formant un large arc de cercle ou « Croissant fertile » (actuels Israël, Liban, Syrie, Sud de la Turquie, Ouest de L'Iran où subsistent à ce jour des blés sauvages)[7].

Le blé a d'abord été récolté à l'état sauvage puis cultivé. L'invention de la poterie (8 000 à 7000 ans av. J.-C) a permis de cuire les grains, sous forme de bouillies et de galettes pas ou peu levées[8]. Les céréales deviennent plus faciles à digérer. Gélifié par la température et moins dense, l'amidon des grains devient facilement attaquable par les enzymes salivaires et intestinales. Cette action libère des glucides, absorbables par le tube digestif[9].

Sorgho en Afrique[modifier | modifier le code]

On a trouvé dans une grotte de la province de Niassa (nord-ouest du Mozambique) des traces de céréales (sorgo sauvage), sur des grattoirs de pierre datant de l'âge de la pierre (-100 000 ans). Il pourrait s'agir des premières traces connues de transformation de grains en farine ou gruau mais pas de céréaliculture dont les débuts datent d'environ - 2500 au Sud du Sahara[10] voire - 2000[11].

Cette farine dont les grains écrasés étaient sans doute consommés avec des fruits ou des tubercules ou peut-être déjà en bouillie fermentée. Cette découverte est discutée car la preuve la plus ancienne d'utilisation de céréales (blé et orge) était datée de seulement 23 000 ans en Palestine[12].

Maïs cultivé il y a 7 000 ans près de Mexico[modifier | modifier le code]

Jusqu'en 1960, on ignorait les origines historiques et géographiques du maïs[13]. Les fouilles archéologiques ont révélé qu’après une phase de cueillette de maïs sauvage, il fut cultivé voici 7 000 ans dans le bassin de Tehuacán, au sud-est de Mexico[13]. Le maïs a constitué le fondement de l’alimentation et de l’économie des grandes civilisations précolombiennes : Incas, Aztèques et Mayas. Doté d’une valeur symbolique, il appartenait à leur mythologie, était présent dans leurs pratiques religieuses et leur art[13].

Millets et riz en Chine[modifier | modifier le code]

Les millets sont la première céréale cultivée en Chine, dans le nord et en Corée[14]. La culture du riz a débuté il y a près de 10 000 ans lors de la révolution néolithique, d'abord en Chine. Il a été proposé que le riz ait été à l'origine une adventice présente dans les champs de taro mais cela ne fait pas consensus[15]. La collecte de riz sauvage (dont la balle se détache spontanément) y est attestée dès 13000 av. J.-C. Le riz cultivé (riz sélectionné pour son rendement et sa balle qui se conserve et n'est emportée par le vent que lors du vannage des grains[16]) apparaît vers 8000 av. J.-C. après avoir subi des hybridations avec l'espèce sauvage pérenne Oryza rufipogon (qui existe depuis moins de 680 000 ans[17]) et l'espèce sauvage annuelle Oryza nivara, ces différents riz coexistent pendant des milliers d'années, ce qui favorise les échanges génétiques[18]. Ce n'est qu'il y a environ 5 000 ans en Chine que le riz domestique est devenu, la seule forme de riz cultivée[19]. Il est signalé dans la province chinoise du Hunan, puis au nord de l’Inde sur les rives du Gange. Le premier écrit sur la riziculture est une ordonnance impériale chinoise qui date de 2800 avant J.C. Sa culture se répand vers le sud de l’Inde et au travers de la Chine, puis en Corée, au Japon, en Indonésie et en Thaïlande[20].

Monde antique[modifier | modifier le code]

Orge des Grecs rustique et millet des zones arides[modifier | modifier le code]

L'orge est une des plus anciennes céréales cultivées. Résistante aux contraintes climatiques (sécheresse, froid, chaud), mais dotée d'un apport calorique plus modeste que le blé, l'orge pousse aussi bien sous les tropiques qu’à 4 500 m d’altitude au Tibet. Bien adaptée au climat méditerranéen du fait de sa rusticité, elle était consommée sous forme de galette ou de bouillie (maza).

L'agriculture en Grèce antique est fondée sur la culture des céréales, marqueur de civilisation : Homère note à propos du cyclope Polyphème que « c'était un monstrueux géant : il ne ressemblait même pas à un homme mangeur de grain (σιτοφάγος / sitophagos) »[21]. Les botanistes grecs comme Théophraste, décrivent l'avoine comme une mauvaise herbe et ignorent le seigle[22] : 90 % des terres céréalières sont consacrées à l'orge, qui constitue l'alimentation de base. Un peu de blé dur (πύρος / pýros), Triticum durum, ou de millet est aussi cultivé mais à titre complémentaire.

L'orge fut également cultivée par les Numides dans la région de Carthage, qui a servi à ravitailler le monde grec[23], puis par les Romains, en alternance avec le blé. L'assolement biennal oblige à laisser reposer la terre une année sur deux, affaiblissant le rendement, même si celui de l'orge est réputé plus élevé que celui du blé. Le millet, considéré par les Grecs comme barbare[24], est cultivé en Thrace, en Bithynie et sur les rives de la mer Noire. Il se distingue par sa capacité à croître rapidement sur des sols encore plus secs que ceux adaptés à l'orge.

Carthage grenier à blé de Rome[modifier | modifier le code]

Chez les Romains, Cérès, fille de Saturne, apprit aux hommes à cultiver la terre, semer, récolter le blé et en faire du pain, ce qui en a fait la déesse de l'agriculture.

Après la destruction de Carthage Rome institue la Province d'Afrique ; le plein développement des champs de blé au service du ravitaillement de Rome, appelé l'annone, attend l'année -47 lorsque Jules César fonde la colonia Julia Carthago. La prospérité céréalière survivra au sac de Rome en 410 voire à la création du Royaume vandale en 429.

L'Afrique fut avec l'Égypte, la Sicile et la Sardaigne, un des greniers à blé de Rome, après avoir exporté aussi sa production vers la Numidie et l'Orient hellénistique. Les routes aboutissaient aux grands ports : Carthage, Utique et pour la Numidie, Hippone. Syracuse, la vallée de la Medjerda et la région de Dougga étaient particulièrement prospères, grâce à une culture mixte : blé et orge, assortis de légumes cultivés sous les oliviers, qui offraient l’avantage de fixer les sols fertiles en pente[25]. La région est riche en vestiges de meules, de petits moulins constitués d'une base conique sur laquelle tournait un tambour (catillus en latin), ainsi que de multiples petites meules à rotation manuelle qui servaient à moudre de petites quantités de grain[23]. De multiples inscriptions, telles que la Lex Hadrianea et celles de Numlili (site voisin de Dougga) et de Teboursouk (Thubursicu Bure)[23] et les grands domaines impériaux attestent de l’active céréaliculture.

La production de céréales de l'Antiquité était pénalisée par l'absence de traction hippique, d'assolement triennal et de charrue lourde à versoir, qui émergeront au Moyen Âge. La technique pour ferrer les chevaux et les atteler manquait[26].

Riz en Asie[modifier | modifier le code]

Le riz devient la principale céréale en Chine et en Asie du Sud-Est puis s'étend vers l’ouest, en Inde et en Perse. On y cultive aussi le blé à partir de -2700. Les Grecs le découvrent lors des expéditions d'Alexandre le Grand en Perse, mais il est connu en Mésopotamie avant ces expéditions[27]. Les Romains ne l'utilisent que pour ses propriétés médicinales, contre les coliques et les dysenteries, mais ne le cultivent pas[27].

Moyen Âge[modifier | modifier le code]

Réchauffement climatique, entamé en 800, culminant en 1215[modifier | modifier le code]

Le climat se réchauffant jusqu'au XIIe siècle, la culture du blé a pu remonter vers le nord, en particulier vers les riches terres fertiles de la Beauce, en région parisienne, ou de l'Ukraine, au détriment de l'Afrique du Nord et du reste du bassin méditerranéen.

La phénologie développée par l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie par l'analyse, année après année, de la date de maturité des fruits et céréales, puis l'étude par une équipe de chercheurs américains d'un glacier du Groenland en 1966, sur une profondeur de 1 390 mètres, ont permis d'affiner la connaissance de l'évolution climatique au cours des siècles.

De 300 av. J.-C. à 400 apr. J.-C., le climat se réchauffa, facilitant la culture des céréales pour les peuples qui maîtrisaient l'irrigation. Ensuite, jusqu'en 800 apr. J.-C., apparaît une période de refroidissement, suivi d'un réchauffement prononcé entre 800 et 1215, correspondant, vers la fin à la première révolution agricole du Moyen Âge. Cette période plus sèche et plus chaude a joué un rôle déterminant dans le retrait des forêts qui couvraient jusque-là une grande partie du continent européen, selon l'historien des techniques Jean Gimpel. Ce radoucissement a permis de défricher, d'utiliser la charrue, et d'augmenter les rendements céréaliers.

Révolution agricole des XIe, XIIe et XIIIe siècles[modifier | modifier le code]

Au cours de la deuxième partie du Moyen Âge, les outils simples ont fait place à du matériel plus perfectionné. La charrue lourde à versoir a remplacé l'araire, à partir du XIe siècle, et a permis de réaliser des semis plus réguliers, en retournant la terre, en particulier les terres riches et grasses de l'Europe du Nord. Elle était connue des Chinois mais pas des Romains et ne rencontra qu'un développement progressif en Europe du Sud, où la terre est plus sèche[28].

Le corps de charrue proprement dit est précédé d'un coutre découpant verticalement le sol. Il comprend un soc soulevant le sol et tranchant les racines, un versoir recourbé qui rejette la terre sur le côté[29]. L'ameublissement du sol est complété par le hersage avant et/ou après le semis alors effectué à la main. La faucille est souvent remplacée par la faux[28] à la fin du Moyen Âge[30].

Tirées par des animaux plus puissants éventuellement ferrés et recevant de l'avoine, les charrues permettent de travailler des terres beaucoup plus lourdes et souvent plus fertiles que dans l'Antiquité[31]. Les travaux de Richard Lefebvre des Noëttes (La Force animale à travers les âges, 1924)[32] sur la médiocrité des attelages antiques par rapport au collier d'épaule ont été largement utilisés pour expliquer l'importance de l'esclavage dans l'Antiquité et justifier le terme de révolution agricole du Moyen Âge. Ces travaux sont aujourd'hui contestés[33].

La traction hippique a permis d'augmenter les rendements agricoles car, même si les deux animaux ont la même force de traction, le cheval peut travailler deux heures de plus et avancer à une vitesse supérieure de 50 %, soit 1,10 mètre par seconde en moyenne contre 0,73 mètre par seconde pour le bœuf[34]. En France, notamment dans le Sud-Est, les bœufs furent utilisés encore longtemps, sans doute parce qu'il est difficile d'obtenir une bonne récolte d'avoine sur les sols secs et légers du midi, a cependant tempéré l'historien Jean Gimpel. Par ailleurs, le recours au cheval aboutit à une augmentation de la taille des exploitations agricoles, plus grandes et plus rentables, sur des exploitations à champs ouverts.

Un peu partout, on constate aussi la culture de formes de blé plus rustiques et moins nutritives, qui vont être régulièrement croisées et améliorées progressivement, comme l'épeautre. Au XIIe siècle, Hildegarde de Bingen consacre un chapitre de son important traité sur la physique à l'épeautre, appelé aussi « blé des Gaulois », qu'elle appelle « le meilleur des grains » et qu'elle trouve plus doux que les autres. Proche du blé, mais avec un grain qui reste couvert de sa balle lors de la récolte, l'épeautre n'offre pas les mêmes rendements.

La Grande-Beauce des abbayes, de 1130 à 1230[modifier | modifier le code]

Les riches terres de la Beauce, issues de l’assèchement d’un grand lac d'àge éocène-miocène qui laissa place à des séries sédimentaires calcaires recouvertes d'un limon fertile (lœss du Würm) peuvent être valorisées grâce à la révolution agricole du Moyen-Âge. À partir du Xe siècle, ces terres fertiles connaissent un défrichement énergique et une forte poussée démographique. Le chapitre de Chartres et les abbayes gèrent d’immenses domaines sur lesquels vient se fixer une population importante[35].

Le capital foncier des abbayes urbaines est redistribué à des établissements dépendants (prieurés) qui s'enrichissent à leur tour. La conquête de la périphérie du plateau entre 1130 et 1230 se fait sous forme de contrats de paréage : un seigneur laïc qui a des terres s'adresse à une abbaye urbaine à laquelle il propose de partager des terres. Elle en recevra la moitié, il gardera l'autre, l'abbaye se chargeant en échange de la mise en valeur du sol[36].

Le seigle permet de cultiver en montagne[modifier | modifier le code]

Le seigle apparaît dans l'histoire des céréales plus tard que le blé, il peut être cultivé dans des régions froides et dans des terres pauvres. Au Moyen Âge, il a été beaucoup plus répandu en Europe qu'aujourd'hui. En Suisse, le seigle est cultivé dans les vallées de montagne à 1 400 m d’altitude, en Valais et dans la vallée de la Reuss. Le seigle résiste au gel jusqu’à −25 °C[37]. Les vallées bien ensoleillées et bien irriguées des Alpes du Sud, en particulier le Queyras et autres vallées du Dauphiné voient des cultures de seigle à plus de 2 000 mètres d'altitude, grâce à des systèmes de canaux dérivant l'eau des torrents, dont les plus anciens remontent au XIIIe siècle.

Cette agriculture de montagne, sur des terrasses ou des pentes assez fortes, est favorisée par une répartition des travaux exigeante, à l'échelle de la commune, qui est organisée sous la surveillance de consuls, ou procureurs, élus tous les ans, en particulier dans la république des Escartons, ensemble de territoires montagnards à cheval sur l'actuelle frontière franco-italienne.

Le seigle a aussi été largement cultivé au Moyen Âge en Europe centrale et orientale et il a été la principale céréale panifiable dans la plupart des régions à l'est de la frontière franco-allemande et au nord de la Hongrie. L'agriculture de montagne, plus diversifiée qu'en plaine vise l'autonomie, parfois même l'autarcie, lors des conflits religieux qui marquent la fin du Moyen Âge et la Renaissance.

Riz au Moyen Âge en Espagne et dans le Milanais[modifier | modifier le code]

Le riz est utilisé et cultivé dans certaines abbayes au Moyen Âge, pour ses propriétés médicinales[27]. Il apparait en 1390 la région de Milan, en Italie[27], puis est mentionné dès 1393 en France, dans le Ménagier de Paris, mais c'est encore un produit d'importation. Ce sont les musulmans qui l'introduisent en al-Andalus (péninsule Ibérique).

Les Arabes le répandent d'abord en Égypte, puis aux alentours du Xe siècle, ils l’étendent sur les côtes orientales de l’Afrique et à Madagascar. Enfin, les Maures introduisent le riz en Afrique du Nord, puis en Espagne vers le XIe siècle; il apparaît en 1468 en Italie. Des rizières y sont remarquées en 1475[27]. L'hydrologie des nombreux affluents du Pô, qui descendent des Alpes est souvent tulmutueuse et il faut un travail de canalisation pour réguler les inondations, défi auquel s'attaque dès 1482, le jeune Léonard de Vinci[27]. De la Lombardie, la culture du riz se diffuse dans certaines régions marécageuses de la plaine du Pô, puis dans la plaine de Salerne, en Calabre et en Sicile[27]. Si l'eau stagne, elle offre un milieu idéal pour la prolifération d'insectes vivant dans les marécages, Il faut la faire circuler lentement pour permettre la riziculture mais aussi jusqu'à quatre coupes de foin par an[27].

En France, d'autres tentatives de cultures seront réalisées beaucoup plus tard, au XVIIe siècle, mais ce n'est que dans la seconde moitié du XXe siècle que cette culture se développe, parallèlement à l'aménagement du delta du Rhône[38].

Portugais diffusant la riziculture en Afrique[modifier | modifier le code]

Les Portugais diffusent la riziculture en Afrique occidentale même si certains littoraux connaissent un autre riz venu du Soudan[27]. La riziculture de Madagascar se développe et au siècle suivant les colons anglais de Caroline et de Virginie mettent en esclavage des Malgaches sachant cultiver le riz [27].

XVIe siècle[modifier | modifier le code]

Diffusion du maïs en Europe[modifier | modifier le code]

Lorsque les Européens découvrirent l’Amérique, le maïs était déjà cultivé des rives du Saint-Laurent (Canada) à celles du Río de la Plata (Argentine). Le maïs a été vu pour la première fois par Christophe Colomb en 1492 à Cuba[39]. Magellan le trouva à Rio de Janeiro en 1520 et Jacques Cartier rapporta en 1535 que Hochelaga, la future Montréal se trouvait au milieu de champs de maïs, qu’il comparait à du « millet du Brésil ».

Les Méso-Amérindiens (Olmèques, Mayas, Aztèques), peuples du centre de l’Amérique, en étaient très dépendants. L'introduction du maïs en Europe est effectuée par Christophe Colomb[40]. Du sud de l’Espagne, il s’est diffusé dans toutes les régions d’Europe méridionale au climat suffisamment chaud et humide, grâce à sa facilité de culture et à son rendement supérieur à celui du blé ou des céréales secondaires, comme le millet (dont il a pris le nom en portugais, milho) et le sorgo : le Portugal (1515), le Pays basque espagnol (1576), la Galice, le Sud-Ouest de la France et la Bresse (1612), la Franche-Comté alors possession espagnole, et où il est nommé « blé d'Espagne », le reste de la France, longtemps réticent à sa culture, la Vénétie (1554), puis la plaine du Pô. Le premier dessin du maïs en Europe est dû au botaniste allemand Fuchs en 1542. En Chine, le premier dessin du maïs est daté de 1637, mais sa culture y était déjà répandue. En Afrique, le maïs fut introduit en Égypte vers 1540, par la Turquie et la Syrie.

Au cours du XVIe puis du XVIIe siècle, le maïs se disperse progressivement dans le Vieux Monde[13]. Les Turcs contribuent largement à son expansion en Bulgarie, Roumanie, Serbie et Hongrie[13]. Les marchands portugais l’introduisent en Afrique au début du XVIe siècle[13], puis dans le golfe de Guinée vers 1550. Vers la même époque, le maïs gagne l’Asie. Il pénètre l’Inde, la Birmanie, la Chine, la Corée et le Japon. Des Balkans par la Roumanie, le maïs s’étendit au XVIIIe siècle à l’Ukraine[13]. Le maïs ne sera cependant jamais cultivé à très grande échelle en Europe. Les États-Unis contrôlaient en 2007 environ 41 % de la production et 61 % des exportations mondiales, contre respectivement 26 % et 9 % pour le blé. Les États-Unis opéraient aussi 43 % des exportations de soja et 82 % des ventes de sorgo[41].

Ordonnance de Villers-Cotterêts[modifier | modifier le code]

La « grande Ordonnance » de Villers-Cotterêts, en août 1539, première charte fondamentale de l'administration française a pour raison primordiale, la mercuriale de Paris, avec la fixation du prix du pain[42]. Cette fixation répondait à des habitudes anciennes. Elles n'ont pas été modifiées par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui prescrit de faire faire chaque semaine, dans tous les sièges de juridictions ordinaires du royaume, un rapport de la valeur et estimation commune de toutes espèces de gros fruits comme bleds (céréales), vins, foins[42].

1590 : assiégé par Henri IV qui s'approvisionne en Beauce, Paris se tourne vers la Brie et l'Oise[modifier | modifier le code]

Les sièges de Paris (1588-1594), les plus terribles de l'histoire parisienne, constitués d'une longue suite d’opérations militaires menées par Henri III et Henri IV pour reconquérir la capitale durant les guerres de religion (France), en occupant la région céréalière de la Beauce, ont quasiment fait quadrupler le prix du pain à Paris[42].

Deux schémas d'approvisionnement Paris se concurrencent à la veille des guerres de Religion[42]. La Brie en 1604-1607 remplace la Beauce en 1561-1563, grâce à une meilleure utilisation de la voie d'eau, en particulier de la Seine[42]. Pour mieux affamer Paris, Henri IV s'empare de Chartres le 19 avril 1591, mais Paris sécurise son approvisionnement au Nord, et surtout à l'Est, car au Nord, les garnisons espagnoles, acquises à l'ennemi, prélèvent déjà les céréales[42]. La paix revenue, le nouvel schéma se maintient : Seine, Marne, Oise. Il est plus rationnel car mieux réparti sur les voies d'eau[42].

Entre-temps, la débandade de l'armée protestante en août 1589, doit peut-être aussi à la médiocre conjoncture frumentaire du Bassin parisien, alors que l'énorme concentration militaire d'avril 1589 avait au contraire été favorisée, vraisemblablement, par deux bonnes années de récolte céréalière, permettant une grande détente du prix des blés (1587-1588 ; 1588-1589)[42]. Le prix des grains dans les marchés de l'espace central du Bassin parisien avait auparavant subi l'impact des opérations de la Ligue[42]. La récolte de 1586 avait été catastrophique entre Somme et Loire, celle de 1587 avait provoqué la détente. La détente s'accentue pendant l'hiver. L'excellence de la récolte de 1588 maintient un climat détendu jusqu'en avril 1589[42].

La récolte de 1589 est vraisemblablement moins bonne et on doit le savoir, entre avril et mai. Le décrochement se place, en effet, à Paris entre le 1er avril et le 3 mai 1589[42]. Dans le même temps, une menace se précise sur le Paris ligueur. Traité formel du 3 avril entre les deux Rois. Concentration des armées devant Plessis-lès-Tours, le 30 avril 1589[42]. De mai à juillet, les armées royales occupent progressivement le Sud-Ouest beauceron, approchant de Paris. La montée des cours des céréales suit les conditions de la nouvelle récolte, mais reflète aussi, à partir du 1er juillet, les événements politiques et militaires[42]. L'assassinat de Henri III, le 1er août 1589, la panique au camp des Rois, le départ massif des hommes du Roi de Navarre, en direction du Sud-Ouest, expliquent, vraisemblablement, le net reflux au-delà du 2 août 1589[42].

XVIIe siècle[modifier | modifier le code]

1er cycle d'expansion du blé ukrainien[modifier | modifier le code]

La vieille ville de Gdansk.

Ce cycle d'expansion du blé ukrainien commence au début du XVIIe siècle. Le blé est exporté par la rive gauche du fleuve le plus navigable, la Vistule, qui parcourt 1 047 km à travers la Pologne avant de se jeter dans la mer Baltique. Le blé est ensuite chargé à Gdańsk. Gdańsk était depuis 1466 une ville libre de taxes, dans la république nobiliaire de Pologne et avait une population en majorité allemande. À partir de 1569, la république des Deux Nations englobe la Lituanie et une grande partie de la Pologne et de l'Ukraine actuelles ; de bonnes récoltes assurent une relative prospérité avant les violences et expropriations cosaques de la période 1648 - 1686, qui stoppent cette progression[43]. Le bassin de la Vistule (60 % de la Pologne) comprend les centres négociants de Cracovie et Varsovie[44]. Le volume de céréales traité chaque année passe de 10 000 à 200 000 tonnes par an entre la fin du XVe siècle et le XVIIIe siècle[45], avec à partir de 1550 une accélération des exportations vers l'Europe de l'Ouest et la Méditerranée, où la météo compromet les récoltes[46]. Pour parer à de graves pénuries alimentaires, en 1592, le Conseil des Dix de Venise envoie d'urgence le secrétaire d'État de la République Marco Ottobon pour acheter du blé polonais[47]. Ce haut magistrat a carte blanche, sans limite de prix, et ceux-ci quadruplent en raison du long voyage en chariots, sur des routes en mauvais état, depuis le sud de la Pologne[47].

Greniers des guildes sur le marché aux céréales de Londres[modifier | modifier le code]

Au Moyen Âge, les principales guildes de la Cité de Londres, appelées « vénérables compagnies », étaient tenues de construire à leurs frais des greniers à céréales et d'y stocker du blé pour parer aux menaces de disettes[48]. En 1631, certaines d'entre elles ayant refusé de s'acquitter de cette obligation virent leurs syndics condamnés à de la prison. Le grand incendie de Londres de 1666 a détruit ces greniers à céréales et les transactions ont ensuite eu lieu sur la Tamise[48].

Crise de l'avènement de 1661-1662[modifier | modifier le code]

La crise de l'avènement affecte la France de 1661 à 1662, au moment de la mort de Mazarin le 9 mars 1661 et de la prise de pouvoir absolue de Louis XIV le 10 mars 1661. Le Val de Loire, le Bassin parisien et la Normandie sont les provinces les plus touchées. Conséquence directe de l'hiver rude de 1660, qui entraîna une mauvaise récolte, cette crise de subsistance est marquée par une forte augmentation du prix du blé, sa production ayant été réduite par un temps très humide. La population doit puiser dans les réserves de céréales dès 1660. Et quand l'hiver rude de 1661 aggrave la crise, la mauvaise récolte et les réserves insuffisantes entraînèrent une crise de subsistance jusqu'en 1662.

Ravitaillement des populations et des armées par les frères Paris[modifier | modifier le code]

Joseph Pâris Duverney est avocat au Parlement du Dauphiné, filière qui permet sous Louis XIV d'accéder aux autorisations pour les fournitures aux armées. Il débute en secondant son père Jean Pâris, marchand de céréales à Moirans, dans les approvisionnements aux armées. En 1687, à 19 ans, il se rend à Lyon et demande aux magistrats de la ville de libérer les blés conservés dans les « magasins d'abondance » pour les envoyer sur Grenoble, en promettant de les rembourser lorsque le dégel permettra à nouveau de s'approvisionner en Bourgogne. Il obtient ainsi six mille sacs de blé. À 33 ans, avec son frère cadet Claude, il réussit en avril 1691 le tour de force de ravitailler les troupes françaises encerclées par les armées du duc de Savoie, dans Pignerol, au Piémont italien, lors de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Avec son autre frère Antoine il dirige en 1692 les fournitures du camp de Sablons, situé en bordure du Rhône, au nord de Valence.

Il va également chercher en 1693 mille mulets et trois mille sacs à l'ouest dans le Vivarais. Ces deux convois lui permettent d'approvisionner l'armée royale lors du siège de Montmélian (Savoie)[49] ou apporter du ravitaillement de secours à Pignerol assiégé (bataille de La Marsaille)[50].

Lors de la grande famine de 1693-1694, Antoine Pâris se voit confier le ravitaillement des populations du Dauphiné. Utilisant une logistique qui a fait ses preuves lors des campagnes militaires de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, il s'attire la sympathie des Maréchaux, du Ministre Louvois et des Administrateurs du Dauphiné. L'État tardant à leur rembourser les frais occasionnés lors des diverses campagnes, Antoine Pâris part s'installer à Paris en 1696 afin de réclamer son dû, puis se lance dans diverses opérations de négoce avec son frère Claude, plus ou moins réussies.

Maïs des riches terres roumaines, remède aux famines[modifier | modifier le code]

L'arrivée du maïs à Timișoara dans le Banat est attestée vers 1692[51]. Dès lors, la mamaliga de millet laisse rapidement place à celle de maïs, plus facile et rapide à préparer, qui devient dès lors un aliment de premier ordre, efficace contre les famines qui sévissaient encore aux XVIIe et XVIIIe siècles[52].

L'historien Nicolae Iorga affirme que les paysans roumanophones cultivèrent le maïs dès le début ou le milieu du XVIIe siècle[51] mais Étienne Ignace Raicevich, un ragusain, consul de l'empire d'Autriche à Bucarest pendant le troisième quart du XVIIIe siècle, écrit que le maïs a été introduit seulement "da poco tempo"[51]. La mamaliga au maïs apparaît en 1873 dans le Larousse : mamaliga s. f. Bouillie de farine de maïs, dans les principautés danubiennes.

En 1681, le canal du Midi et la diversité des blés du Languedoc[modifier | modifier le code]

Le canal du Midi, canal français qui relie Toulouse et l'océan Atlantique à la mer Méditerranée est considéré par ses contemporains comme le plus grand chantier du XVIIe siècle, estimé entre 17 et 18 millions de livres, le deuxième du royaume après celui du château de Versailles. Il révolutionne le transport fluvial et la circulation dans le Midi de la France[53].

Pierre-Paul Riquet, son concepteur, a construit d'autres ouvrages sur le canal, parmi lesquels les moulins à eau situés en dérivation à de nombreuses écluses (par exemple : Naurouze, Gay, Trèbes, Matabiau, Minimes, Castelnaudary, Castanet, Béziers, etc.), utilisés pour actionner des meules à grains. Par la suite, elles se transforment en véritables complexes minotiers au cours du XVIIIe siècle[54].

L'extrême diffusion de la culture des céréales en Languedoc, ex-terre hérétique, s'explique par la peur de ne pouvoir payer les charges fiscales : dans tous les diocèses languedociens, même dans les terres les moins fertiles, on ensemence[55]. On défriche jusqu'aux pentes des Pyrénées, des Cévennes et du Massif Central[55]. Dans le Bas-Albigeois, Lisle-d'Albi donne au froment la moitié de son terroir arable[55]. Moins réputés que ceux de la Beauce, de l'Île-de-France et de la Picardie, les blés du Languedoc sont classés au nombre des bons produits, à côté de ceux du Poitou, de la Limagne ou du Berry[55]. Les cultivateurs vendent leur froment aux provinces voisines et aux pays étrangers, se nourrissant de grains inférieurs.

Les Languedociens placent en première ligne le « Blodut » et la « Bladette du Toulousain », meilleur blé d'Europe pour le rendement en gluten et la blancheur des farines[55]. Le blé « Rousset » est apprécié pour les semences, tout comme la « Saisette », à la coloration moins accentuée. La région cultive les blés rouges, plus riches en gluten, les blés blancs ou bruns, plus riches en amidon, mais aussi le « Trémézou », dont l'épi barbu a une couleur aurore foncée, recherché par munitionnaires, l'« Escourgeon » ou « barbu marzé », semé au printemps, le « Bouchard » à couleur brune et à gros épis et surtout la « Touzelle » recherchée pour la boulangerie, qui convient aux « terroirs de moyenne bonté »[55], avec un rendement plus élevé, au point qu'un héros des Fables de La Fontaine, le fermier trop madré du Diable de Papefiguière s'empresse de couvrir ses champs de « Touzelle »[55].

Les diocèses pyrénéens de Rieux, Comminges, Alet et Mirepoix, où les habitants incendient les bois de hêtres pour semer à la place quelque blé, ne recueillent pas la douzième ou la quinzième nécessaire quatre mois de l'année[55]. Le Gévaudan récolte de si faibles quantités qu'il ne subsisterait pas sans le Languedoc[55]. Le Velay suffit à sa subsistance et vend du froment au Vivarais, où, à l'exception de la zone de Montagne, voisine du Velay et qui présente les mêmes caractères, on mourrait de faim sans les blés qui viennent par bateau du Bas-Languedoc et par mulets des plaines du Haut-Languedoc ou des plateaux Vellaviens[55] transportés par les muletiers du Velay.

Fin du XVIIe siècle, les grandes famines en Écosse et en France[modifier | modifier le code]

L’Écosse connut des famines très sévères au moment de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, en 1695, 1696, 1698 et 1699, selon l'historien Fernand Braudel. L'Écosse augmenta alors sa dépendance envers la pomme de terre, sans échapper un siècle et demi plus tard à la famine de la pomme de terre dans les Highlands, provoquée par le mildiou de la pomme de terre, qui a frappé dans les années 1840, avec un taux de mortalité cependant inférieur à celui de la famine écossaise récurrente des années 1690. La famine de la pomme de terre des Highlands poussera plus de 1,7 million de personnes à quitter l'Écosse entre 1846 et 1852[56], l'Irlande connaissant un phénomène identique.

En France, la grande famine de 1693-1694 est due à un hiver très rigoureux en 1692, suivi en 1693 d'une récolte très médiocre, causée par un printemps et un été trop pluvieux suivis d'une flambée des prix et d'une sous-alimentation qui favorise les épidémies comme le typhus, jusqu'en 1694. La France, qui avait alors 20 millions d’habitants, eut 1 300 000 morts en plus de la mortalité normale, selon Emmanuel Le Roy Ladurie. Il chiffre à 600 000 morts la catastrophe suivante, la grande famine de 1709 causée aussi par un hiver très rigoureux, même s'il est moins humide et une flambée des prix des céréales. L'État décide alors d'interdire en 1692 l'exportation des blés. La famine de 1693-1694 a cependant épargné la région méditerranéenne dont l'agriculture a profité un peu d'une meilleure pluviosité. La France a connu 13 famines générales au XVIe siècle, 11 au XVIIe siècle et 16 au XVIIIe siècle[57].

Lors des mauvaises récoltes, les prix des différentes céréales s'influencent : les habitués au pain de froment se rabattent sur le pain de seigle, dont les plus pauvres ne peuvent se passer. C'est le prix du seigle qui flambe alors[58], flambée que les spéculateurs[réf. nécessaire] propagent d'une région à l'autre. Le poids des ruraux dans la population fait que la crise économique se répercute aux artisans et petits industriels des villes, selon le mécanisme des crises économiques généralisées dites « d'Ancien Régime », analysées par Ernest Labrousse.

Ces famines n'entraînent pourtant qu'un développement assez lent des capacités de transport et de stockage des céréales, techniquement difficile, et des efforts pour les moderniser : on en reste aux poires d’Ardres[59], silos souterrains réalisés sous Charles Quint par Dominique de Cortone.

Le concept de révolution agricole anglaise au XVIIIe siècle est aujourd'hui relativisé par les historiens, car dès la fin du Moyen Âge, les Flandres pratiquaient une agriculture intensive, pour nourrir une population massée sur un petit territoire, des rotations complexes entre grains, herbes, fourrages et cultures industrielles permettant d'éviter la jachère[60]. L'Angleterre a aussi eu accès à ces techniques par la publication en 1645, en pleine guerre civile anglaise, de "Husbandry Used in Brabant and Flanders"[61], de Sir Richard Weston[62].

XVIIIe siècle[modifier | modifier le code]

Le rendement en blé progresse au XVIIIe siècle par une application plus rigoureuse de principes agraires anciens : sur la base des écrits de Vauban du début du siècle, l'historien Jean Meuvret l'évalue à 8,5 hectolitres à l'hectare pour du froment en bonne terre. À l'autre bout du siècle, les calculs de Lavoisier permettent d'imaginer 12,5 hectolitres à l'hectare dans les pays de grandes culture[63].

La demande croît plus vite que l'offre, stimulant les exportations de riz d'Égypte, de blé roumain et de céréales irlandaises, créant aussi les principales crises céréalières, moments de l'intervention maximale de la police dans le ravitaillement[3], et de bénéfices rapides et énormes pour les détenteurs de grains, mais aussi de surveillance, persécution, faillite et justice sommaire populaire[3]. Les quatre périodes de crise :

  • 1709-1710 ;
  • 1725-1726 ;
  • 1738-1742 ;
  • 1765-1775[3].

Selon Pierre Le Pesant de Boisguilbert et son Traité de la nature, culture[64], le petit paysan est plus touché par les crises de sous-production que le gros car il n’a plus rien à vendre. Seul le gros producteur, capable de stocker et vendre plus loin, tire profit de la flambée des cours des céréales[64]. Dans la situation inverse, quand une excellente récolte fait chuter les cours[64], le petit a dégagé un surplus et donc un petit bénéfice malgré les faibles prix. En revanche, le gros y perd nettement car il n'a plus de visibilité pour investir[64].

Dans les deux dernières décennies du siècle, le commerce du blé bascule de la mer Baltique vers la mer Noire, quand les Prussiens ruinent la république des Deux Nations, par d'énormes droits de douane après le premier partage de la Pologne, qui l'isole de la mer Baltique en 1772. Privé de débouchés, le Sud de la Pologne (la future Ukraine) se tourne vers le Dniestr et le Boug méridional, qui s’écoulent vers la mer Noire[65], « sans glace » l'hiver. Catherine II de Russie vient justement de gagner Azov, Kertch, les districts de Kouban et la liberté de navigation sur la mer Noire après la première guerre russo-turque (1768-1774). Elle fonde en juin 1778 Kherson, à l'embouchure de Dniepr sur la mer Noire, futur entrepôt des marchandises russes pour le commerce vers la Méditerranée, pendant méridional de Saint-Pétersbourg[65].

En Chine, l'empereur Kang Xi, vers 1700, passionné d'agriculture, demande à ses agronomes d'isoler les variétés qui mûrissent avant les autres, donnant naissance à celle du « riz impérial », adapté au climat du nord de la Chine[66],[27].

Années 1700[modifier | modifier le code]

Le prix du blé double quasiment au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, déclenchant la grande famine de 1709, alors que le salaire horaire stagne[67] :

Années 1701 1702 1703 1704 1705 1706 1707 1708 1709
Prix observé du quintal de blé (en livres) 19,5 14,5 14,8 14,1 13,2 11,6 10,6 16,5 36,8
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 433 321 330 314 293 259 237 367 818

L'analyse de Jean Fourastié, le prix horaire et le mélange blé-seigle[modifier | modifier le code]

Les progrès du machinisme agricole depuis la fin du XVIIe siècle furent analysés par Jean Fourastié, conseiller de Jean Monnet, puis chef du service économie au commissariat général du Plan, passionné par l'observation des prix réel à long terme, déduits des variations de la monnaie, car ramené au salaire nominal. Vers 1700, un kilogramme de blé coûtait 3 salaires horaires. Au XVIIIe siècle, en moyenne, les salariés les moins rémunérés et les agriculteurs non- salariés doivent travailler deux heures pour produire ou acheter un kilogramme de blé, ce qui explique que leur consommation soit à 80 % de la nourriture, et seulement des sommes insignifiantes consacrées au logement et à l’habillement[4]. Les céréales sont alors consommées sous la forme de méteil, traditionnel mélange de blé et seigle, réservé à l'alimentation humaine.

Les aléas, essentiellement climatiques[4], ont alors une grande influence sur la production du blé : la rareté fait croître le prix. Un agriculteur nourrissait mal 1,7 personne, lui inclus, vers 1700[4], puis les choses s'aggravent : la grande famine de 1709 est causée par un hiver très rigoureux en France[4]. Les récoltes gèlent, la mortalité s'envole[4]. Il faut 817 salaires horaires pour un quintal de blé, soit un à deux kilogrammes de blé pour une longue journée de travail[4]. Depuis, le prix réel du blé baisse régulièrement. Trois siècles plus tard il suffit de travailler environ une heure au SMIC pour avoir assez de blé pour manger pendant cent jours[4].

Semoir de Jethro Tull en 1701 et Coffee House de Lloyd en 1709[modifier | modifier le code]

L'invention en 1701 du semoir, par l'anglais Jethro Tull (agronome), permit d'améliorer considérablement la technique de semailles, en traitant trois rangées à la fois. Résultat, une augmentation du taux de germination, et une récolte accrue, sur un territoire alors en friche à 25 %. En 1731, Tull inventa une machine tractée par un cheval, sujet de son livre New Horse Hoeing Husbandry. L’Angleterre de la première moitié du XVIIIe siècle devint exportatrice de céréales. Sa production passe de 15 millions à 17 millions de Quart (unité) entre 1700 et 1770.

En pleine révolution financière britannique, le « Lloyds Coffee House » d'Edward Lloyd, populaire auprès des marins et marchands, offre des informations fiables sur les expéditions maritimes. On y discute contrats d'assurance et enchères sur les marchandises comme les céréales exotiques et le suif[48], sur le mode inch of candle, chandelle traversée par une épine, libérée à l'expiration des enchères. De cette époque date la tradition londonienne de négocier frets et céréales « exotiques » en un même lieu, futur Baltic Exchange de Londres au XIXe siècle.

Grande famine de 1709, les prix du pain décuplés[modifier | modifier le code]

Lors des hivers 1709 et 1710, d'énormes superficies sont gelées. Les prix des céréales flambent pour atteindre, selon les villes près de 10, 12 ou 13 fois les prix de l’année précédente. La valeur du setier de blé atteint 82 livres contre seulement 7 livres[68]. Cette grande famine de 1709 entraine dès avril des émeutes contre le « complot de famine », à Paris et les villes de la Loire moyenne, Normandie, Provence, Languedoc et Dauphiné, même à Moirans, ville des frères Pâris, richissimes fournisseurs de l'État, selon l'économiste Jean-François Calmette[69], faisant dire au contemporain Nicolas Boileau, « il n'y a pas de jour où la cherté du pain n'excite quelque sédition ». Leur répression est sévère : en 1709, près de 400 faux-sauniers sont condamnés aux galères et près de 300 en 1710, ce qui témoigne de l’explosion de la contrebande.

En avril, une ordonnance oblige les détenteurs de grains à déclarer leurs réserves[70]. Les grains qui circulent entre les provinces du royaume ou qui proviennent de l’étranger sont désormais exemptés de droits d’entrée, d’octroi et de péages. Nicolas Desmarets (contrôleur général des finances) créé en 1710 l'impôt du dixième, frappant tous les revenus et obtient du financier Samuel Bernard un prêt de 6 millions et à réduire le montant des tailles. Pour faire face à la situation, les riches sont taxés et les municipalités contraintes d’organiser des distributions de vivres aux nécessiteux[70].

Années 1710[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en très forte baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, y compris si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1710 1711 1712 1713 1714 1715 1716 1717 1718 1719
Prix observé du quintal de blé (en livres) 26,4 16,2 21,1 26,5 22,8 14,4 11,5 10,2 9,3 10,4
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 587 295 352 442 380 240 192 171 156 174

En 1710, la Bourse au riz japonaise en plein développement[modifier | modifier le code]

La bourse du riz de Dōjima, située à Osaka, est le centre du système japonais des courtiers en riz, qui se développe dans le privé à l'époque d'Edo. Considérée comme précurseur du système bancaire moderne, la bourse est créée en 1697, au terme d'une période au cours de laquelle les courtiers de riz et changeurs rassemblent leurs magasins et entrepôts dans la zone. L'année 1710 marque le début de ce développement, qui apporte également avec lui l'émergence de la notion de contrat à terme. La bourse du riz de Dōjima est parrainée et organisée par le shogunat en 1773, le shogunat créant également son propre entrepôt de riz à ce moment. Elle est réorganisée en 1868, et entièrement dissoute en 1939, lors de son absorption par l'« agence gouvernementale du riz ».

Canal de la Bega percé vers le Danube en 1718[modifier | modifier le code]

De grands travaux sont lancés en 1718 dans l'empire austro-hongrois pour canaliser et prolonger la rivière Bega sur 73 kilomètres, ce qui va durer cinq ans. Le canal de la Bega ainsi percé permet d'assurer une voie navigable sûre entre la grande artère fluviale qu'est le Danube, menant à Pest, future capitale des marchands de grains magyars, et la ville de Timișoara, au cœur de la très fertile région du Banat, connue pour ses rendements céréaliers importants, dans l'actuelle Roumanie.

Liberté de commerce en Russie en 1717[modifier | modifier le code]

L'attiédissement du climat sur une période qui va de 1710 à 1740 stabilise les récoltes céréalières en Europe avec même en 1710-1730 une reprise de la production agricole en Allemagne, en particulier à l’Ouest. À l’est de l’Elbe (fleuve), les grands domaines à corvée (nouveau servage) atteignent leur apogée. En 1717 est proclamée la liberté du commerce du blé en Russie, suivie par la révocation d’un certain nombre de privilèges commerciaux accordés à des marchands étrangers[71].

Les Frères Pâris, experts en réseau d'information sur les céréales[modifier | modifier le code]

Accusés d'avoir accaparé des blés pendant une disette, les frères Antoine Pâris et Joseph Pâris Duverney doivent quitter le Dauphiné pour Paris, où ils sont chargés d'approvisionner les troupes de 1706 à 1709, lors de la grande famine de 1709. Ils procèdent en 1709 à des achats massifs de blé à l'étranger, même dans les pays ennemis, afin de jouer sur les prix de vente. Le ministre de la guerre Chamillart est interrogé sur les magasins de la frontière. Trompé par un de ses agents, il répond qu'il s'y trouve 240 000 sacs de blé. Les frères Pâris prouvent par des pièces irréfutables que les provisions se réduisent en fait à 7 000 sacs, alors qu'il en fallait mille par jour.

Joseph Pâris Duverney s'introduit, déguisé, dans la place ennemie de Mons, pour s'informer sur la situation des magasins, envoyée aux députés des Provinces-Unies et au prince Eugène de Savoie-Carignan. Lors du siège de Douai (1712), les chevaux des vivres sont mis à la disposition des combattants, la moitié périssent, mais les frères Pâris comblent le manque et se font payer en billets d'État, remboursables en 1716. À la mort de Louis XIV, ils passent en cour de justice, comme beaucoup d'autres financiers mais n'ont à payer qu'une taxe de 200 000 livres puis sont exilés.

Années 1720[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en très légère hausse, selon l'économiste Jean Fourastié, et il baisse même, si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1720 1721 1722 1723 1724 1725 1726 1727 1728 1729
Prix observé du quintal de blé (en livres) 10,5 8,4 9,2 11,2 18,7 19,9 15,5 12,2 11,9 12
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 175 120 131 161 267 284 200 163 159 160

Vigne contre vin : les défrichements interdits de la région bordelaise[modifier | modifier le code]

En 1724, la « fureur de planter » de la vigne dans la région bordelaise est dénoncée par l'intendant Nicolas Boucher[53], selon qui la surface consacrée au blé et aux prairies a fortement régressé depuis 1709, la vigne ayant augmenté la sienne des deux-tiers[53]. Résultat, en 1725, le Conseil du roi de France décide d'interdire toute nouvelle plantation de vigne dans la généralité de Guyenne, puis en 1730 dans tout le royaume[53]. Montesquieu, qui a acheté 14 hectares de vignoble dans les Landes, s'oppose à cette décision mais sans succès[53]. D'autres mesures de ce type, prises en Languedoc et en Champagne, ne seront pas efficaces à freiner la vigne[53]

Retour des frères Pâris et les rumeurs de 1725[modifier | modifier le code]

Les frères Pâris, exilés à la mort de Louis XIV reçoivent en décembre 1720, la ferme générale puis la supervision de la liquidation de la dette. Joseph Pâris Duverney, qui "eut toute sa vie l'air d'un grand paysan, sauvage et militaire"[72], contrôle l'opération du visa en 1721, via une commission du visa examinant les demandes de conversion en or des billets achetés par des centaines de milliers d'épargnants. Il établit si leur comportement fut ou non dicté par la spéculation.

En 1725, une partie du peuple parisien mais aussi des avocats, magistrats, ecclésiastiques, croit fermement que la disette est « artificielle », créée par une poignée de scélérats qui manipulent le marché de la denrée pour s'enrichir[3]. On dénonce nommément le premier ministre, le duc de Bourbon ; sa maîtresse, Mme de Prie ; les financiers Samuel Bernard, et la Compagnie des Indes[3]. Au cours de l'été 1725, la rumeur accuse en particulier les Frères Pâris de spéculer sur les blés, d'accumuler des stocks gigantesques dans les îles Anglo-Normandes pour affamer le royaume. Une tentative d'assassinat suivie d'une nouvelle disgrâce, en 1726, poursuit Joseph Pâris Duverney, qui passera 18 mois dans les geôles de la Bastille avant d'être relaxé en 1728. Avec Voltaire, il fait acheter des blés pour son compte en Barbarie, et spécule sur les vivres de l'armée d'Italie.

Les garnisons du sud de la France en concurrence avec Constantinople pour le riz égyptien[modifier | modifier le code]

Lorsque l’Égypte intègre l’Empire ottoman au début du XVIe siècle, un espace s’ouvre à ses exportations de céréales vers Constantinople, pleinement utilisé au XVIIIe siècle, suscitant un contrôle des autorités et des interdictions d’exportation des grains vers les pays européens, notamment la France, qui achetait d’importantes quantités de riz destiné à ses garnisons militaires du sud de la France[73].

Alexandrie abritait deux marchés aux grains, près de la porte de Rosette et place des subsistances, près de Bâb Sidra (Porte du Jujubier), au début des voies terrestres reliant Alexandrie au monde rural de la vallée du Nil, approvisionnant la ville en céréales. La navigabilité du fleuve pose souvent problème en raison d’îles et de bancs de sable. Des brigands attaquent régulièrement les navires. L’administration égyptienne confie la protection de la navigation à certaines tribus[74].

La Caroline développe les grandes plantations de riz proches du littoral[modifier | modifier le code]

La traite des Amérindiens de Caroline, déportés vers les plantations de sucre des Antilles, aurait représenté au total 24 000 à 51 000 Indiens[75]. Les premiers colons arrivés au Cape Fear en 1663 et Ashley River en 1670 viennent de l'île sucrière anglaise de la Barbade et la Restauration anglaise conditionne l'octroi de terres à la pratique esclavagiste[76]. Les tribus indiennes victimes de ce trafic s'allient lors de la guerre des Yamasee, entre 1715 et 1717. L'argent amassé par les colons dans cette traite des Amérindiens de Caroline, qui prend alors fin, est réinvesti dans les plantations de riz, opérées par des esclaves noirs déportés d'Afrique.

La Caroline exporte 5 000 tonnes de riz vers les autres colonies, dès 1725, quinze fois plus qu'au début du siècle[76] :

Année 1700 1726 1730 1740 1763 1764 1770
Tonnes de riz exportées par la Caroline 330 5 000 10 000 25 000 35 000 40 000 42 000

La Caroline compte 40 000 esclaves dès 1726[76]. La riziculture implantée sur place, pour les nourrir, n'y parvient pas tout de suite, il faut dans un premier temps importer du riz de Madagascar[27], ce qui ne suffit pas. Les Africains déportés en Amérique diffusent une manière de cuire le riz, qui assure que chaque grain est séparé des autres. Elle s'impose rapidement sur tout le continent[27]. Les grandes propriétés coloniales de la Caroline du Sud profitent de l'abondance des récoltes et du développement de la production de riz de marécage, en particulier dans les régions proches des côtes de Santee et Asheppo[77]. Les communautés de riziculteurs restent dans la même région[77], ce qui donne aux esclaves évadés et aux autres plus d'occasions de former des liens sur leurs propres plantations, alors qu'en Virginie la production du tabac nécessitait une expansion vers l'Ouest[77]. La production de riz à grande échelle fait que la moitié des esclaves recensés en Caroline du Sud dans les années 1730 sont répartis dans des plantations de 30 esclaves[77] où les révoltes se multiplient, avec l'aide des évadés. Le travail y est épuisant, avec une mortalité très élevée. Convertir 150 000 acres de marécages en plantations représente la même quantité de travail que bâtir la pyramide de Khéops[76]. La récolte de riz progresse d'un cinquième entre 1763 et 1764, à la fin de la guerre de Sept Ans.

Années 1730[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en hausse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, mais moins si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1730 1731 1732 1733 1734 1735 1736 1737 1738 1739
Prix observé du quintal de blé (en livres) 12 12,4 11 10,7 10,9 10,7 12 12,5 13,7 15,1
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 160 166 147 143 137 134 150 156 171 189

Émeutes du riz au Japon[modifier | modifier le code]

Au début des années 1730, le prix du riz chute au Japon, causant des ravages sur une économie encore largement basée sur cette céréale comme moyen d'échange. Les samouraï, dont le revenu est versé en riz, sont pris de panique, tandis que des spéculateurs et divers complots au sein de la communauté des courtiers en profitent pour jouer avec le système, en cachant de vastes réserves de riz dans les entrepôts, ce qui assure ensuite des prix beaucoup plus élevés, pour cause de pénurie temporaire.

En 1733 éclate une série d'émeutes contre les spéculateurs et le système de manipulation et de conspiration dans son ensemble. La famine est généralisée, mais les spéculateurs agissent sans relâche pour contrôler le marché et les prix. C'est la première d'une série d'émeutes appelées uchikowashi (打壊し), qui croissent en fréquence et en importance jusqu'au siècle suivant. En 1735, le shogunat japonais fixe un prix plancher, obligeant les marchands d'Edo à vendre pour pas moins d'un ryō par 1.4 koku et à Osaka pour pas moins de 42 momme par koku. Une amende de 10 momme est appliquée à toute personne reconnue avoir payé moins.

Tokugawa Yoshimune fait tant de tentatives de réformes et de contrôles qu'il en vient à être connu sous le nom Kome Kubō ou Kome Shōgun (« le shogun du riz »). Au cours des quinze années qui suivent, jusqu'à environ 1750, le shogunat intervient à nouveau et à plusieurs reprises pour tenter de stabiliser ou de contrôler l'économie, ainsi fragilisée par les fortes fluctuations du prix du riz.

En 1730, Paris compte près de 1 400 boulangers[modifier | modifier le code]

Vers 1730, Paris compte à peu près 1 400 boulangers : 550 maîtres, 350 privilégiés (presque tous du Faubourg Saint-Antoine), 400 forains, et jusqu'à une centaine de boulangers illicites, « sans qualité »[3]. À peu près deux tiers du pain se vend aux douze marchés où le prix est plus bas qu'aux boutiques et où l'on pouvait plus facilement tenter de marchander. Moins du tiers des boulangers aux marchés étaient des maîtres[3] ;

Durant la guerre de Succession de Pologne (1733-1738), Joseph Pâris Duverney, administrateur général des subsistances, est durement incriminé par les Réflexions politiques sur les finances et le commerce, de l'économiste Nicolas Dutot. Il répond en 1740 par un Examen du livre intitulé réflexions politiques sur les finances et le commerce[78].

Pour réagir aux pénuries de blé, les voies navigables anglaises[modifier | modifier le code]

L'historien Fernand Braudel a souligné les « énormes investissements » dans les aménagements de rivière en Angleterre, qui portent ses voies navigables à 1 160 miles dès le premier quart du XVIIIe siècle, plus aucun lieu n'étant alors situé à plus de 15 miles d'un transport par eau, selon la carte de l’historien anglais Tony Stuart Willan[79]. Ces Aménagements de rivière en Angleterre, sont complétés après 1760 par une multitude de canaux. Ils s’ajoutent à l’intense cabotage permis par le grand nombre d'estuaires anglais, aux dimensions attractives, en largeur comme en longueur et en profondeur. Les céréales circulent mieux, phénomène également constaté sur le littoral du continent. En France, l'effort des modernisations des voies navigables est moins prononcé.

Années 1740[modifier | modifier le code]

Le prix du blé stagne au cours de la décennie en France[67], mais il subit deux pics ponctuels, en 1741 et 1747, au cours d'une décennie qui voit la fondation de trois marchés aux grains dans les trois grands ports anglais : Bristol, puis Londres et Liverpool :

Années 1740 1741 1742 1743 1744 1745 1746 1747 1748 1749
Prix observé du quintal de blé (en livres) 16,2 18,8 14,2 10,4 10 10 12,4 16 18,2 16,5
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 203 235 177 130 126 126 155 200 227 207

En 1740-1741, les saisons glaciales et pluvieuses en Angleterre, Irlande et France[modifier | modifier le code]

De juin 1740 à juin 1741, le prix des céréales flambe en France[80] à cause de l'enchaînement d'un hiver glacial en 1739-1740[80] et de pluies torrentielles à l'été 1740[80], qui se répercutent sur le niveau de la récolte[80]. Dès l'année suivante, la pénurie cause une panique. En France, il y a en plus des inondations en décembre 1740[81]. En Angleterre, l'automne 1740 est l'un des plus froids en deux siècles[81]. Les céréales ont de la difficulté à mûrir, surtout au nord et en altitude[80] quand d'aussi mauvaises conditions se combinent en aussi peu de temps. L'indice des prix est à 102 en janvier[81] puis monte à 125 en mai et 150 en juin[81], quand la mauvaise récolte est déjà anticipée puis finit l'année à 170[81]. La vague de froid touchant toute l'Europe est le dernier épisode marquant la fin du petit âge glaciaire (1400–1800).

En Irlande, les procédés primitifs de stockage des pommes de terres exposent la récolte de 1739 au gel ce qui déclenche une très grande famine dès l'hiver qui suit[80], saison révélatrice des inégalités sociales : la famine irlandaise de 1740-1741 restera dans la mémoire populaire comme « l'année du massacre » (bliain an áir en irlandais), qui fut peut-être de même ampleur que la grande famine en Irlande, plus connue, de 1845-1852[82],[83]. L'historien irlandais, Joe Lee, a estimé sur la base de données contemporaines, et d'informations sur d'autres famines de la même époque, que la mortalité fut similaire, soit un dixième de la population. Du fait de l'absence de recensements au cours du XVIIIe siècle et de registres de l'Église catholique romaine, à cause des lois pénales introduites en Irlande en 1695, il n'existe aucune information disponible sur le nombre de décès.

Nouvelle récoltes très décevantes en 1746-1747[modifier | modifier le code]

Au cours des années 1747-1748, les campagnes connaissent des fortes hausses des prix du blé à la suite de récoltes médiocres qui causent une forte mortalité, particulièrement dans l'Est et le Midi, avec une baisse de la nuptialité et de la natalité[84]. À la fin de la décennie, le rendement des céréales atteint 6,3 quintaux par hectare en Allemagne, en Prusse et en Scandinavie.

Le Corn Exchange de Londres ouvre sur Mark Lane en 1747[modifier | modifier le code]

Au XVIIIe siècle, le marché des céréales de Londres se tenait près de Tamise, à Cornhill, Tower Hill et Thomas Street. En 1746, les fermiers d'Essex, qui le fréquentaient, et plusieurs gros courtiers, souhaitent créer une compagnie pour lui construire un immeuble[48]. Le Corn Exchange, appelé aussi Old Corn Exchange de Londres, ouvre sur Mark Lane en 1749[48], tout près de Beer Lane, où les navires débarquent les céréales arrivées par la Tamise[85]. L’Old Corn Exchange est dessiné par George Dance the Elder dans un style classique, autour d'une cour à ciel ouvert, pour examiner les marchandises à la lumière du jour[86], ceinturée d'entrepôts permettant d'en évaluer la quantité. En 1826, une bourse rivale nommée London Corn Exchange sera créée par des négociants mécontents de ses services[87], également dans Mark Lane, dessinée dans un style grec par George Smith (architecte). Les deux bourses fusionneront un siècle plus tard puis déménageront au Baltic Exchange en 1987.

Londres a été devancée par le Corn Exchange du port de Bristol, construit en 1741–43 par John Wood the Elder, avec des sculptures de Thomas Paty[88]. Des sculptures représentent les 4 parties du monde, Afrique, Amérique, Asie et Europe, avec leurs animaux, des feuilles de tabac, culture des riches colonies américaines de Virginie, symbolisant l'ouverture au monde de Bristol. L'horloge comporte une aiguille pour l'heure de Bristol et l'autre pour celle de Greenwitch. Dehors, dans "Corn Street", 4 tables mobiles de marchands, pour les foires, permettant de négocier sans que les pièces tombent par terre. Le bâtiment abrite des négociations de tous types, y compris pour le commerce en Guinée et aux Antilles mais les transactions se font aussi dans l'atmosphère moins officielle des cafés environnants[89]. Le Liverpool Corn Exchange, également érigé par John Wood the Elder, deviendra une société en 1810.

Les Corn Exchange de Liverpool et Londres ayant respectivement brûlé en 1754 et 1795, Bristol est dernier des années 1740 encore sur pied. Celui de Manchester, sera érigé en 1837 par Richard Lane, avant ceux construits en 1864 à Newbury puis à Leeds en 1864 par Cuthbert Brodrick, répliquant le dôme de la Bourse de commerce de Paris, et en 1874 dans la ville voisine de Bradford. Le Baltic Exchange sera lui fondé, au milieu du XIXe siècle. Ce nom est utilisé pour la première fois en 1744 au café Virginia and Baltick de la rue Threadneedle, qui abrite depuis ses débuts la Banque d'Angleterre. Il sera enregistré comme société privée à responsabilité limitée, en 1900[90]. On y négocie surtout les céréales importées, sans présentation d'échantillon, contrairement à l’Old Corn Exchange, où cette coutume persiste[48] car il est consacré surtout aux céréales anglaises, avec une fréquentation quotidienne qui restera massive dans les années 1930[48] : les jours de marché, deux à trois mille personnes se pressent dans le hall et autour des stands. Les transactions s'y font au comptant et les prix suivent les marchés à terme nord-américains depuis le XIXe siècle, mais la place sert toujours pour établir les contrats juridiques de livraison, faxés aux quatre coins de la planète. L'immeuble de l’Old Corn Exchange a été agrandi en 1827[48] et l'année suivante un bâtiment est érigé à côté pour abriter le marché des semences, appelé "New Corn Exchange"[48].

Années 1750[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé stagne au cours de la décennie de la guerre de Sept Ans[67] : la production céréalière française se porte bien, portée par les achats de l’intendance militaire. Le rendement céréalier britannique, estimé à 7 quintaux par hectare en 1700, serait déjà passé à 10,6 quintaux par hectare. Les économistes et agronomes célèbrent les cultivateurs de céréales.

Années 1750 1751 1752 1753 1754 1755 1756 1757 1758 1759
Prix observé du quintal de blé (en livres) 15,2 15,5 17,6 15,7 14,8 11,3 12,7 15,8 15 15,6
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 191 194 220 197 186 142 159 197 187 196

En France, les céréales empiètent sur la jachère après 1750[modifier | modifier le code]

Carte de l'Alsace avec les régions naturelles.

Alors que les défrichages volontaristes, sur fond de guerre de Sept Ans ont eu une efficacité assez relative, la réduction de la jachère à la décennie précédente contribue à mieux valoriser les plaines les plus fertiles. Le Hainaut et le Cambrésis, dans le Nord, le pays de Caux normand, la région parisienne et le Soissonnais produisent plus et plus de céréales riches, avec moins de jachère à partir de 1750[91].

Dans le Kochersberg et l'Ackerland, régions alsaciennes caractérisée, par leurs terres très fertiles, qui alimentent Strasbourg, le niveau de population de la guerre de Trente Ans n'est retrouvée qu'au milieu du XVIIIe siècle, au cours duquel s'opèrent des reclassements au profit des céréales « riches ». Le blé évince le seigle, et l'orge remplace l'avoine[91]. L'assolement devient plus complexe, associant une grande variété de plantes, parmi lesquelles les légumes, tendance observée aussi dans les villages parisiens. En Flandre, la variété des assolements permet de quasiment supprimer la jachère[91].

Après 1750, en Île-de-France, elle recule du tiers au quart des terres labourables. Les bonnes terres, grassement fumées, produisent parfois deux récoltes par an. Des meules sont installées en plein champ pour gagner du temps. La faux remplace la faucille, complétée par des véhicules à deux roues plus maniables tandis que la charrue est aidée par des herses, rouleaux et extirpateurs. Le chaulage et de nouvelles variétés de blé permettent d'augmenter le rendement de 20 % dans certaines grandes fermes[91]. La Bretagne exporte blé et seigle, aux rendements inférieurs, mais plus rémunérateurs car des taxes frappent les autres. Une Société d'agriculture de Bretagne est fondée en 1757. Son succès amène le gouvernement à demander aux intendants en 1760 d'en créer ailleurs[91].

Céréales au cœur de la pensée économique de Quesnay et Turgot[modifier | modifier le code]

Jusqu'à la première moitié du XVIIIe siècle en France, la réglementation des céréales favorise les consommateurs. À partir de 1750, des théories contraires se répandent. Par son Tableau économique de 1758, François Quesnay, cofondateur de la première école en économie, les Physiocrates, défend les producteurs, jusqu'ici accusés de vouloir affamer les villes. Pour François Quesnay, l'agriculture est la source de toutes les richesses.

En 1755 et 1756, Turgot accompagne Jacques Claude Marie Vincent de Gournay, intendant du commerce, dans ses tournées d’inspection dans les provinces. Par la publication en 1766 des « Réflexions sur la formation et la distribution des richesses »[92], Turgot démontre que la hausse des denrées ne peut qu'entraîner l'augmentation des salaires, accroître la production et faciliter les subsistances. Quesnay et Turgot s'accordent à réclamer la liberté du commerce des grains.

Beaucoup d'auteurs sont préoccupés d'améliorer les voies de communication, estimant qu'un des plus grands obstacles au développement de l'agriculture est le mauvais état des routes et les difficultés des transports par eau. Kersauson publie par exemple en 1748 son « Mémoire sur les canaux de Bretagne » et La Lande et Bouroul en 1750 un « Mémoire pour rendre la rivière d'Orne navigable depuis son embouchure jusqu'à Caen et même jusqu'à Argentan ».

L'agronomie française s'intéresse aux céréales[modifier | modifier le code]

Les caisses ventilées de Duhamel du Monceau sont représentées dans L'encyclopédie (fig 6 et 9). Le ventilateur de Stephen Hales est actionné soit à bras (fig 7) soit à l'aide d'un manège (fig 10)

La « Nouvelle maison rustique » de Louis Liger, publié en 1700 et premier grand ouvrage français sur l'agriculture depuis ceux de l'autodidacte Olivier de Serres, était restée la référence pendant cinq décennies en matière d'agronomie française[91], quand apparaissent des « élites rurales à l'affût de l'innovation »[93].

Les manuels d'agronomie se multiplient après 1750. Celui de Henri Louis Duhamel du Monceau, membre associé de l'Académie royale des Sciences dans la classe de botanique depuis 1730[94] est entièrement consacré à la culture du blé. Il reprend les conseils de l'Anglais Jethro Tull sur le tallage des céréales, pour augmenter les rendements. À l'origine des premiers essais de culture rationnelle réalisés en France[94], il teste à Pithiviers les modalités d’une diminution de la densité de semis, en ligne, de façon à pouvoir désherber l’entre-rang[95]. Pour cela, il met au point semoirs et charrues étroites.

Le Traité de la culture des terres devient une sorte de revue, publiant les essais agricoles adressés par des correspondants à Monceau, qui dans son Traité de la conservation des grains et en particulier du froment de 1753, fait progresser le stockage des céréales par un « grenier de conservation », grande caisse en bois, dont le fond est muni d’un grillage recouvert d’un canevas, qui ne laisse pénétrer que les conduits d'une soufflerie, et son courant d'air à travers la masse du blé.

Monceau développe en 1753 l'utilisation des engrais[94], tout en essayant de faire admettre par le gouvernement la nécessité d'augmenter la production des céréales et de libérer leur commerce, par la libre circulation des grains[94]. L'économiste et agronome anglais Arthur Young, entreprend en 1767 deux voyages l'un dans le Nord et l'autre dans l'Est de l'Angleterre, pour rencontrer de nombreux agriculteurs épris de progrès, puis devient célèbre par son Journal de voyage en France[94], paru en 1792. Il a visité Denainvilliers, près de Pithiviers, et décrit minutieusement les expériences d'agriculture de Monceau.

Erreur de Linné, reprise par Lamarck, Host et Wildenow[modifier | modifier le code]

première page du Species Plantarum
première page du Species Plantarum

En 1753, le Species plantarum de Carl von Linné, publication sans équivalent à l'époque, décrit environ 8 000 végétaux par la nomenclature binominale : chaque espèce reçoit un nom binominal, permettant d'aborder séparément la nomenclature (comment nommer l'espèce) de la taxinomie (comment la classer). De nombreuses éditions l'enrichissent. Celle de 1764 comporte cinq à six espèces de céréales[96].

Carl von Linné a donné par erreur le nom de le Triticum polonicum à une variété ensuite cultivée essentiellement en Afrique du Nord[97], car il a confondu la Galice, région d’Espagne où elle est cultivée aussi, et la Galicie, au sud-est de la Pologne : toutes deux se disent "Galicia" en latin[97]. Avant 1772, une large partie des céréales de l'est de la future Ukraine était collectée par la vaste république des Deux Nations, lithuano-polonaise, d'où le nom assez général de « blé de Pologne » pour les blés d'Ukraine[97] ensuite restée, selon le généticien en céréales Stefan Symko[97]. Beaucoup de variétés de blés anciens réputés, blé Noé en France, blé 'Red Fife' au Canada, ou blé Hard Red Turkey Red aux États-Unis, en proviennent[97].

Sans profiter du travail de Carl von Linné, l'abbé Henri-Alexandre Tessier présente en 1784[96] un répertoire des espèces agricoles qui a nui à la clarté de la nomenclature, obligeant Jean-Baptiste de Lamarck à réconcilier les deux classifications deux ans plus tard, dans son Encyclopédie méthodique, dont une version améliorée sort en 1805[96]. Le botaniste viennois Nicolaus Thomas Host publie, aussi en 1805, sur les graminées d'Autriche, répertoriant 11 espèces de blés dont seulement trois de Carl von Linné[96]. Entre-temps, Carl Ludwig Willdenow, futur directeur du jardin botanique de Berlin, intéressé par l'adaptation des plantes au climat, a livré son propre Species plantarum, ajoutant à celui de Linné le blé Pétanielle[96], d'origine orientale, cultivée longtemps en Italie avant d'être introduit en France.

Londres en avance d'un siècle sur le ravitaillement, encourage l'import/export de blé[modifier | modifier le code]

À Londres, vers le milieu du siècle, le marché du blé est dominé par une quinzaine de sociétés qui n'hésitent pas à stocker à Amsterdam, où le magasinage est moins coûteux, quand les taux d'intérêt baissent. Le blé touche la prime à l'exportation, établie par le gouvernement anglais. En cas de pénurie, son retour est exonéré de droits de douane, observe Fernand Braudel[98], qui reprend les conclusions de N. Gras : « Londres a sur Paris un bon siècle d'avance en matière de ravitaillement »[99].

Années 1760[modifier | modifier le code]

Le prix du blé monte au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, malgré l'apparition de stocks dans des entrepôts publics[67] :

Années 1760 1761 1762 1763 1764 1765 1766 1767 1768 1769
Prix observé du quintal de blé (en livres) 15,6 13,3 13,2 12,6 13,3 14,8 17,6 19 20,6 20,4
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 196 166 155 149 156 175 208 224 242 240

Les « halles au blé » de Paris et Clermont-Ferrand[modifier | modifier le code]

La halle au blé de Clermont-Ferrand a été construite entre 1762 et 1771 par François-Charles Dijon, pour abriter le marché aux céréales, avant d'être surélevée en 1822 par Louis Ledru[100]. Le bâtiment a longtemps été utilisé par la ville pour le stockage des grains. Au même moment, la halle au blé de Paris, qui deviendra en 1885 la Bourse de commerce de Paris, est érigée en 1763 en bord de Seine: deux galeries concentriques, ouvertes sur l'extérieur par vingt-quatre arcades, et surmontées d'un vaste grenier vouté, bâti par la Compagnie des frères Bernard et Charles Oblin, avec l'appui du contrôleur général des finances, Jean Moreau de Séchelles et du prévôt des marchands, Jean-Baptiste de Pontcarré de Viarmes, malgré les objections du Parlement de Paris. Six siècles plus tôt, Philippe II Auguste avait établi les Halles de Paris aux Champeaux : les blés de la plaine de Luzarches y arrivaient par la route, et ceux de la Brie dans des bateaux qui abordaient au port au Blé, au pied de l'hôtel de ville de Paris. Mais le quartier était l'objet d'une cohue permanente qui compliquait l'acheminement des grains. Pour assurer une meilleure efficacité, les terrains de l'ancien hôtel de Soissons furent choisis, car proches de la Seine, où circulaient les bateaux chargés de grains.

Les marchands étaient partagés sur la forme à donner à l'édifice : certains préféraient un « carreau » où la lumière du jour permettait de juger de la qualité des grains, d'autres soulignant les avantages d'un édifice couvert pour les protéger des intempéries. La solution retenue s'inspire de l'"Old Corn Exchange", de Londres, érigé trente ans plus tôt au bord de la Tamise : un bâtiment de plan annulaire, de 122 mètres de circonférence, percé de 25 arcades : la partie centrale reste ainsi à ciel ouvert, mais deux galeries concentriques, ouvertes sur l'extérieur par 24 arcades et couvertes de voûtes supportées par des colonnes d'ordre toscan, forment un abri.

L'arrêt de 1761 veut des défrichements en faveur des céréales[modifier | modifier le code]

Pendant la guerre de Sept Ans, le pouvoir montre qu'il veille à la sécurité alimentaire et l'approvisionnement des armées et flottes. Henri Bertin, contrôleur général des finances de Louis XV est rapporteur de l'arrêt de 1763 sur la circulation des grains[53], avant de devenir ministre d'État chargé de l'agriculture. Il décide le 16 août 1761 de « donner des encouragements à ceux qui défricheront des terres », non cultivées depuis 25 ans, par une exemption du vingtième, dans 18 généralités, pour développer les cultures céréalières[53]. Deux autres arrêts, en 1764 et 1766, vont allonger la période de friche prise en compte[53]. En 1770, l'administration publie des relevés détaillés des défrichements effectués depuis 1766 dans les différentes généralités[53].

La presse physiocratique les publie avec d'autant plus d'enthousiaste que la pénurie de céréales continue[53]. Au 1er octobre 136 000 hectares au total ont été défrichés et le nombre montera à un demi-million d'hectares sur 33 ans[53], mais l'historien Ernest Labrousse estime que cela représente au maximum 2,5 % des surfaces labourables[53]. Les disparités régionales sont fortes. Les défrichements effectués en Bretagne représentent 8 % des terres, contre 5 % dans le Roussillon et 5 % dans le Languedoc où existe une histoire céréalière importante le long du canal du Midi, qui ne s'étend pas plus loin dans les terres[53]. Les défrichements effectués dans le nord de la France sont rares[53].

Les maîtres de poste, plus nombreux après 1760, experts en agriculture[modifier | modifier le code]

Les maîtres de poste sont aussi des cultivateurs instruits, qui suivent les nouveautés en agronomie et les diffusent, comme François Cretté de Palluel[91], médaille d’or 1785 de la Société d’agriculture de Paris. Les avoines et fourrages d’un domaine agricole permettent d’entretenir une cavalerie coûteuse[101] : les excédents étant consommés par les chevaux de Poste[101], lesquels fournissent le fumier nécessaire à l’engraissement des terres[101].

ers Paris et Marseille, les circuits de la crise céréalière de 1767[modifier | modifier le code]

Au cours des années 1760, une tentative de libéralisation coïncide avec de mauvaises récoltes : les prix, désormais libres, s'élèvent. Les plus pauvres ne peuvent plus se nourrir. Le pacte implicite, qui exige du roi de veiller à la sécurité de ses sujets et à leur approvisionnement en denrées, est rompu. Une grande agitation s'ensuit et la tentative avorte : des prix fixés par le roi sont rétablis. L'approvisionnement reste une affaire d'État.

Durant cette crise de subsistance, Roux, négociant à Marseille, fait appel à la compagnie Caulet et Salba pour rassembler des céréales autour de Toulouse, agissant en commissionnaires de Jean Embry, marchand à Agde, selon les recherches de l'historien Steven Kaplan. Caulet et Salba assurent la livraison des grains à deux marchands commissionnaires de Roux : Portlay à Marseille et Legier à Toulon. Cet arrangement complexe montre que les réseaux de commercialisation des céréales des années 1770 sont déjà assez flexibles, pouvant être créés ou transformés en cas de besoin.

À Paris, l'avocat Jean Charles Guillaume Le Prévost de Beaumont invente l'expression de « pacte de famine, en jouant sur les mots « pacte de famille », nom d'une alliance entre la France et l'Espagne sous Louis XV pour dénoncer le profit de spéculateurs selon lui alliés à certains notables, voire au roi lui-même et à ses ministres.

Paris est alors avide de froment, de pain blanc, et refuse les méchants grains et les sombres farines - le seigle, l'épeautre et le méteil. Le Roi mobilise la police : lieutenant général, commissaire et inspecteurs et pense trouver la parade dans le marché, hebdomadaire et obligatoire, lieu physique de la vente et de l'achat transparents. Celui des céréales, dit de « la Grève », est en bord de Seine, place de Grève, dominé par les marchands installés dans le port, connectés à un réseau important de commissionnaires dans les campagnes pour rassembler les céréales, habituellement « bien établis dans la communauté locale » de chaque lieu d'approvisionnement.

Années 1770[modifier | modifier le code]

Le prix du blé évolue baisse de près d'un tiers sur la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, et dans les mêmes proportions si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1770 1771 1772 1773 1774 1775 1776 1777 1778 1779
Prix observé du quintal de blé (en livres) 25 24,2 22,1 21,9 19,3 21,1 17,1 17,7 19,5 18
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 278 269 246 243 215 222 181 187 205 190

La Prusse annexe le riche delta de la Vistule, la Pologne se tourne vers la mer Noire[modifier | modifier le code]

Bassin versant de la Vistule et ses affluents

Il fallut aux cultivateurs de céréales Mennonites hollandais trois générations pour mettre en valeur le delta de la Vistule dans l'immense république des Deux Nations : la première y trouva la mort, la seconde la disette, la troisième y récolta le blé, construisant barrages et moulins à vent, jusqu'aux environs de Toruń[102] et expédiant le blé par gros volumes via Dantzig[103]. Enrichis par les céréales[103], dès 1765, certains ont émigré vers d'autres provinces du royaume de Prusse, surtout vers la Nouvelle Marche (Neumark). Dès 1764, Catherine II de Russie leur offre aide et autonomie, pour qu'ils aillent le long de la Volga, à condition de ne pas convertir les paysans orthodoxes.

En 1772, le premier partage de la Pologne isole le bassin de la Vistule de la mer : Frédéric II de Prusse s'empare de plus de 80 % du commerce extérieur de la république des Deux Nations, exigeant d'énormes droits de douane, ce qui la ruine. Il veut capter les flux d’exportation vers ses propres ports. La Prusse décrète en 1774 que les Mennonites n'ont plus le droit d'acheter des terres, sauf à un autre Mennonite[103] et doivent verser 5000 thalers par an pour rester exemptés de service militaire[103]. Privées de débouchés, les régions céréalières du Sud de la Pologne sont en surproduction[65]. Leurs propriétaires songent à utiliser le Dniestr et le Boug méridional, qui s’écoulent, parallèlement vers la mer Noire[65], mer « sans glace » l'hiver. Le traité de Kutchuk-Kaïnardji vient justement de clore la première guerre russo-turque (1768-1774) : Catherine II de Russie gagne Azov, Kertch, les districts de Kouban et la liberté de navigation sur la mer Noire. Ce possible détournement des flux de céréales éveille l'intérêt du gouvernement français. Il veut s'assurer grains et matériaux de marine à partir de la mer Noire, aux dépens du commerce anglais en Baltique, qui assèche à dessein l'offre russo-polonaise en chanvre et bois de marine[65]. Paris se tourne alors vers Antoine-Ignace Anthoine, parti en 1771, à 22 ans, prendre la direction d'une maison de Constantinople, où il réalisa des bénéfices considérables.

En juin 1778, la fondation de Kherson sur le Dniepr, auparavant simple forteresse, veut en faire l’entrepôt russe pour le commerce en Méditerranée, pendant méridional de Saint-Pétersbourg[65]. Cependant, le gouvernement russe hésite à ouvrir ses ports aux étrangers. Mikhail Faleïev signe un contrat avec Joseph Raimbert, vice-consul à Saint-Pétersbourg de 1765 à 1791, et négociant français le plus en vue, pour la livraison de tabac. Il fonde une Compagnie de la mer Noire pour les échanges avec l’Empire ottoman et la France. Côté polonais, une « Compagnie pour le commerce oriental »[104], société par actions, confiée au chancelier Okęcki, est créée en 1782 par le prince Michel Poniatowski, primat de Pologne et frère du roi Stanislas-Auguste[104]. Une « petite marine marchande polonaise » est chargée de transporter le froment polonais vers Alexandrie, Marseille et Barcelone[104].

La peste de 1781, qui sévit en Podolie, rend les débuts difficiles[104]. Le Prussien Johann Schultz et le Français Jean Luis Massol ayant échoué à fonder à Constantinople une compagnie de commerce avec la Pologne, entrainant dans leur faillite en 1781 de nombreux négociants européens, les milieux polonais du commerce refusent d'abord d'utiliser le nouveau port de Kherson[104]. Mais en mai ou juin 1780, un premier navire russe en part vers Toulon[65].

Au Japon, la Bourse du riz de Dōjima rétablie après les émeutes de la faim en 1773[modifier | modifier le code]

Au Japon, à la suite d'une série d'émeutes causées par des famines en 1773, le shogunat Tokugawa rétablit la bourse du riz de Dōjima, sous l'égide, la réglementation et l'organisation du gouvernement. Il crée également son propre entrepôt de riz. Le gouvernement se rend compte à ce stade de la puissance économique extrême de la bourse du riz pour soutenir l'ensemble de l'économie nationale, la détermination des taux de change et même la création de la monnaie de papier. Une proportion énorme de transactions monétaires de la nation sont traitées par les marchands particuliers et indépendants de la bourse du riz de Dōjima qui stockent le riz pour la plupart des daimyo, riz qu'ils échangent pour du papier monnaie. La bourse du riz de Dōjima assure alors l'équivalent des « comptes bancaires » pour un grand nombre de samouraïs et de daimyo, ce qui permet de gérer des dépôts, des retraits, des prêts et des paiements d'impôt.

La presse régionale suit les céréales après la libéralisation de 1774 et la « guerre des farines »[modifier | modifier le code]

Sur le conseil de son commis Du Pont de Nemours[92], Turgot espère que les régions riches en céréales vont pourvoir les déficitaires grâce à la modernisation du réseau des routes royales et une information plus rapide, avec la création de la Régie des diligences et messageries en 1775 : les turgotines, relient Paris à Marseille en huit jours, contre douze en 1760, avec des chevaux au galop, changés régulièrement [92]. Un édit du 13 septembre 1774, complété par d'autres, créé une liberté du commerce des grains quasi complète à l'intérieur du royaume, assortie d'un projet de l'étendre à l'extérieur du royaume.

Cette première libéralisation du commerce des grains sous l'Ancien Régime est vite discréditée par la mauvaise récolte de l'été 1774. Lors de la soudure du printemps 1775, les réserves de céréales s'épuisent alors que les nouvelles récoltes se font attendre : le prix des grains monte, les plus pauvres ne peuvent plus s'en procurer, ce qui déclenche les émeutes de la guerre des farines, d'avril à mai 1775. L'armée intervient, deux émeutiers (un perruquier de 28 ans et un compagnon gazier de 16 ans) sont condamnés à la pendaison pour l'exemple en place de Grève[105]. Le roi cède aux pressions, renvoie Turgot le 12 mai 1776, après avoir organisé un approvisionnement public et obligé les propriétaires de stocks à vendre à des prix imposés.

Le conseil municipal d'Auriol (Bouches-du-Rhône) décide en 1777 de s’abonner à la Feuille hebdomadaire d’Aix, pour se tenir au courant des prix du blé et du pain aux marchés de la capitale provençale[106]. Le Journal de Provence, édité à partir de 1781 par le journaliste marseillais Ferréol Beaugeard, qui deviendra Le Journal de Marseille en 1792, publie tous les jeudis une « feuille du commerce » avant celle de « Littérature » le samedi[106]. Le début des années 1780 voit, il est vrai, les négociants marseillais comme Antoine-Ignace Anthoine, déjà investi depuis une décennie à Constantinople, s'installer en 1784 dans le petit fort de Kherson, à l'embouchure du Dniestr[104], sur les riches terres céréalières alors négligées. L'année 1784 est marquée par un pic du prix du blé en France (ajusté de l'inflation) et une cinquantaine de navires venant de la mer Noire arrivent à Marseille entre 1784 et 1787, dont la moitié armés par Anthoine, qui est accusé de privilégier la spéculation sur les blés.

L’Irlande nourrit l’Angleterre dans les dernières décennies du siècle[modifier | modifier le code]

Après 1770 et jusqu'en 1840, les rendements céréaliers anglais ne firent plus de progrès. Les prix du blé restent élevés, et même stratosphériques pendant les guerres napoléoniennes[60], stimulant l'arrivée de nouveaux pays producteurs, alors que la population anglaise a entre-temps doublé.

L’accroissement démographique important de la seconde moitié du XVIIIe siècle a rapidement transformé l'Angleterre d’exportatrice en importatrice de blé, en particulier après 1770, quand la hausse des rendements ralentit et devient insuffisante. L'Irlande en profite : « Avec les dernières décennies du siècle, la viande salée d’Irlande est concurrencée par les exportations russes via Arkhangelsk et plus encore par les arrivages des colonies du Nouveau Monde. C’est alors que s’amorce un « cycle du blé » en Irlande, qui succède au « cycle du bœuf salé » et se maintiendra jusqu’au « Corn laws » de 1846 », selon Fernand Braudel[107]. Blé, pêches et lin, qui occupent près d’un Irlandais sur quatre, procurent un solde commercial positif d’un million de livres à l’Irlande, soit 20 % de son revenu, et à peu près le montant annuel qu’elle verse aux propriétaires terriens anglais installés avec le système des plantations en Irlande. Le blé sera ensuite chassé par un « cycle du lin » irlandais[107].

Années 1780[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en très forte hausse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, un peu moins si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1780 1781 1782 1783 1784 1785 1786 1787 1788 1789
Prix observé du quintal de blé (en livres) 16,7 17,9 20,3 20 20,4 19,7 18,7 18,8 21,4 29
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 176 188 214 211 215 197 187 188 214 276

L'irrigation permanente du Nil, face à la double demande ottomane et française[modifier | modifier le code]

En Égypte, la demande de céréales, surtout du riz, par les marchés ottomans et européens, s'accélère au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et impose la modernisation des techniques agricoles. L'Égypte expérimente alors une irrigation permanente, indépendante de la crue du Nil, notamment dans le Delta du grand fleuve africain. Le grand historien André Raymond estime qu’environ 15 % des céréales produites en Égypte arrivaient à Marseille dans la seconde partie du siècle, période pendant laquelle la France en manquait cruellement. L’empire ottoman réservait à sa propre consommation l’ensemble de la production égyptienne et considérait ces envois en Europe comme une forme de contrebande.

Montée des blés russes et hongrois[modifier | modifier le code]

La montée des blés russes et hongrois est spectaculaire dans les années 1780 grâce à la mise en valeur de bonnes terres des rives de la mer Noire, très adaptées à la production céréalière. Dans les années 1780, Versailles prend conscience de l’inversion du rapport de forces entre l’Empire ottoman et la Russie dans cette région. En 1782, la Russie exporte du blé pour la première fois, grâce à une augmentation de la production agricole. La Hongrie connait aussi de bonnes années, qui couronnent trois décennies d'expansion céréalière. En 1782, l’exportation du blé hongrois vers Vienne et l’Allemagne est multipliée par cinq depuis 1748, atteignant 100 000 tonnes[108].

Le 7 septembre 1782, Catherine II autorise les marchandises polonaises sans droits de douane puis le 22 décembre 1784 déclare port franc le petit fort de Kherson, à l'embouchure du Dniestr[104]. Le négociant marseillais Antoine-Ignace Anthoine obtint l'autorisation d'y fonder son propre établissement de négoce la même année. Une cinquantaine de navires arrivent à Marseille venant de la mer Noire entre 1784 et 1787, dont la moitié armés par Anthoine, mais les économies par rapport à la Baltique sont estimées à seulement 12 % par l’intendance de Toulon, alors qu’Anthoine en promettait 37 % mais acquit lui-même en peu de temps une grosse fortune, qu'il expliqua dans son Essai historique sur le commerce et la navigation de la mer Noire, publié à Paris, en 1805. Les français tentent de modifier la structure des exportations polonaises pour les adapter aux besoins du marché français en chanvre et bois de marine[104]. Antoine-Ignace Anthoine en acheta au prince Stanislas Poniatowski, propriétaire de grandes étendues de forêts en Biélorussie et en Ukraine et au prince Joseph Lubomirski, qui fit flotter ses bois le long du Dniepr[104], mais les fournitures navales destinées à la Marine sont de piètre qualité. Le comte de Ségur, ambassadeur de Louis XVI à Saint-Pétersbourg, à partir de 1785, l'accuse de mettre en avant les taxes comme un alibi et d'être plus intéressé par des spéculations lucratives sur le blé pour son propre compte

Autre frein à l’expansion commerciale française, les Turcs refusent le pavillon français en mer Noire, ce qui n'est finalement accordé qu'en 1802, alors que les Autrichiens obtiennent ce privilège dès 1784. La reprise de la guerre russo-turque à la fin de 1787 ruine les espoirs de conciliation. Un des vaisseaux d’Anthoine est saisi à l’embouchure du Dniepr, un autre séquestré à Constantinople, un troisième échoué sur la côte anatolienne. Anthoine abandonne le comptoir de Kherson à la veille de la Révolution française.

Les Mennonites de Dantzig négocient leur implantation en Ukraine[modifier | modifier le code]

Carte de Khortytsia.

Parallèlement, en Pologne prussienne, l'essor démographique des cultivateurs de céréales Mennonites est fulgurant : entre 1783 et 1787, le nombre des ménages passe de 2 240 à 2 894 et leur population totale à 13 000 personnes, sans compter les assimilés, à Dantzig et à Thorn[102]. En 1786, le prince Grigori Potemkine envoie un émissaire, George von Trappe[102], chargé d'inviter les habitants de la région de Dantzig à émigrer vers la Russie. Grigori Potemkine a en effet été informé par Von Trappe de leurs succès agricoles dans la région de Dantzig[103]. Les autorités prussiennes refusent de perdre ces compétences et n'accordent de passeports qu'aux plus pauvres, puis autorisent les propriétaires, à condition qu'ils paient un impôt sur la vente de leurs terres[102]. Les Mennonites prennent deux ans pour négocier leur accord : ils demandent qu'une première délégation de 300 familles, menées par Jakob Hoeppner et Johann Bartsch puissent visiter la Russie lors de l'hiver 1786-87. Ils y trouvent le sol fertile et les routes correctes[103], dans le secteur de la future Kherson[103], où ils demandent à s'installer à Beryslav[103], près du fleuve Dniepr. En avril 1787, ils soumettent aux russes une charte en vingt points, exigeant des avantages fiscaux, et respect de leur religion, langue et exemption de service militaire[103]. À l'automne de 1788, 288 familles, soit 1 333 personnes, se rassemblent à Dubrovna sur le Dniepr, où ils passent l'hiver puis vont jusqu'à la vallée de la Khortytsia. Les autorités prussiennes n'accordent des visas qu'aux plus pauvres, qui partent les premiers[103].

En 1797, 350 autres familles s'établissent dans la région de Khortytsia[102]. L'émigration cesse en 1805 avec les guerres napoleoniennes mais reprend en 1803 et 1809, fondant une colonie plus riche à Taurida, le long de la Molotschna[103], 100 km au sud de Khortytsia.

Flambée des cours du blé en France à partir de 1786[modifier | modifier le code]

Au cours de la seconde moitié des années 1780 en France, le prix du blé double presque, passant de l'indice 70 à l'indice 150[109], mais la crise a surtout lieu en 1788-1789. En utilisant les estimations de Labrousse sur l'évolution des salaires et ses données sur les prix nationaux du blé, les résultats français avant la crise de 1788-1789 n'étaient pas plus mauvais que ceux de ses puissants concurrents d'Europe du Nord et meilleurs que ceux de ses voisins méditerranéens[109], avec une hausse de 47 % par rapport à la moyenne du deuxième quart du siècle (et 23 % à Paris), contre 60 % pour l'Angleterre[109]. Les salaires réels Paris ont globalement surmonté, à moyen terme, le choc terrible de l'inflation des années 1765-1772[109]. La crise a par ailleurs été moins forte à Paris que dans le reste du pays en raison d'une plus lente augmentation du prix du blé[109].

Un échaudage des blés en mai-juin débouche sur une récolte catastrophique. Puis un orage de grêle d'une force exceptionnelle ravage toutes les campagnes céréalières entre Loire et Rhin le 13 juillet. La sécheresse sévit dans les régions méridionales. Certains auteurs estiment que cette météo a pu encourager la Révolution française[110].

Les whiskey américains de seigle et de maïs[modifier | modifier le code]

Les premiers pionniers allemands et hollandais de Nouvelle-Angleterre et du Canada commencent à utiliser du seigle pour distiller du whisky à la fin du XVIIIe siècle[111]. Le whisky de seigle est produit ensuite principalement en Pennsylvanie. La prohibition contribue ensuite à la quasi-disparition de ces distilleries. Plusieurs ryes canadiens sont des anciens ryes américains, tel le Gibson's Finest (en), mais des centaines de petits colons distillaient déjà le maïs de manière artisanale, selon l'historien Henry Crowgey

En 1789, le révérend Elijah Graig (1738-1808), prédicateur baptiste d'origine écossaise, fuit les persécutions religieuses en Virginie, pour la Frontière sauvage, dans le comté de Scott (Kentucky), où il se mit à distiller une variété de whisky à partir du maïs, vanté par une publicité dans le comté de Bourbon (Kentucky) en 1825, où se sont multipliées les distilleries de maïs. Les whiskey de maïs du Kentucky prennent rapidement un « e » pour les distinguer des irlandais, et le nom de la « Bourbon Street » du port de la Nouvelle-Orléans, selon l'historien Michael Veach, par lequel ils sont exportés pour constituer une alternative au cognac de la France, très demandé depuis la seconde partie du XVIIIe siècle. En 1850, les états de la Vallée de l'Ohio consacrent dix millions de boisseaux de maïs au whiskey, autant qu'aux élevages porcins et deux fois plus qu'à l'exportation[112].

Années 1790[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, baisse assez prononcée si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1790 1791 1792 1793 1794 1795 1796 1797 1798 1799
Prix observé du quintal de blé (en livres) 25,8 21,5 28,4 22 22 25 25 25,9 22,7 21,5
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 246 205 271 208 208 209 209 216 189 179

La diaspora juive et les contrats avec l'Amérique et le Levant[modifier | modifier le code]

La diaspora juive du commerce des céréales dans les ports méditerranéens de Livourne, Alexandrie, Marseille, Gênes, Naples et Tunis se charge d'approvisionner la France en céréales après la pénurie de 1789[113] et les troubles révolutionnaires qui vont suivre. Il n'existait plus alors de relations officielles qu'avec les pays neutres, le Levant, la Suisse, le Danemark, la Suède et les États-Unis. Le traité de commerce franco-russe de 1787, signé un an après le traité Eden-Rayneval avec l'Angleterre, permet de faire appel à la population juive d'Odessa.

Face à l'urgence de se procurer des denrées de première nécessité pour l'armée, l'État aussi passe des contrats d'approvisionnement avec des négociants liés à des affairistes français[114], comme l'alliance, domiciliée au 63 de rue de la Réunion, du baron d'Allarde, ex-élu aux états généraux, avec James Swan (en), financier de Boston qui a réussi dans les activités commerciales liées la dette des États-Unis à la France après l'Indépendance américaine de 1784. Il fait miroiter au pouvoir révolutionnaire une corne d'abondance, mais repart dans son pays dès 1794. Revenu en France en 1798, il sera emprisonné à Paris pour dette en 1808.

Une « commission du commerce et des approvisionnements », parmi les douze instituées le 1er avril 1794, succède à celle des subsistances[114], logée à l'hôtel de Brissac, rue de Grenelle et formée d'un secrétariat général et sept agences. Elle lance l'enquêtes statistiques de l'Ancien Régime le 3 décembre 1793 sur les meule à grains, première grande enquête à impact national sur ce thème, alors que des installations récentes comme le moulin à marée de Bordeaux, avec ses 24 paires de meules, peuvent apporter des solutions. L'enquête révèle des disparités régionales importantes, causées par la diversité des grains produits.

Le Comité de salut public sursoit aux lois interdisant l'exportation du numéraire, remplacés par un cours forcé des assignats : les céréales américaines peuvent de nouveau être payées en monnaie[114]. La pénurie des denrées agricoles est bien réelle mais tient plus, hormis lors de la disette de 1794-95, à la paralysie du marché qu'à un véritable défaut de production. Dès le début du Consulat, les subsistances apparaissent comme une des préoccupations majeures du ministre de l’Intérieur Lucien Bonaparte, qui commence par affirmer que la France est « autosuffisante en céréales », malgré « les différences régionales » : « la différence des sols, des climats, de l’exposition, fait que dans tous les temps les départements ont besoin les uns des autres pour s’approvisionner » vu « le peu de succès » de la récolte « dans certaines contrées ordinairement fertiles ». La famine gagne les villes, une crise de fourrages accentuant la disette des autres céréales[115].

Le directoire du district du Puy, après s'être félicité de la suppression de toutes les entraves à la liberté du commerce, y apporte vite quelques restrictions[115]. Le 12 janvier 1795, le maire écrit que « les cultivateurs ont voulu profiter de la pénurie et n'ont pas craint de demander jusqu'à 200 livres le carton de seigle »[115]. Son prix grimpe de 65 % sur l'année[115].

Chameaux livrant le blé dur du plateau syrien[modifier | modifier le code]

Le blé dur du Hauran, « grenier » de la Syrie méridionale, dont les transports se font encore à dos de chameaux, recueille l'intérêt des hauts fonctionnaires français en 1790. Le bulletin consulaire note que « l'exportation des céréales du Hauran donne lieu, pendant cinq mois de l'année, à un départ journalier de 5 000 à 7 000 chameaux portant chacun 910 kilos »[116].

Le plateau du Hauran est depuis l'Antiquité le grand producteur de blé de la Syrie, dans les futurs gouvernorats de Quneitra, As-Suwayda, et Dera. Les sols résultant de la décomposition des basaltes du plateau sont très fertiles et les précipitations suffisantes pour amener cette décomposition, ce qui va permettre le développement normal de la culture du blé et orge par des paysans sédentaires, adonnés à la culture des céréales et agglomérés en villages juchés sur des éminences. Ils échangent leur blé contre les légumes des plaines avoisinantes.

Projets égyptiens de la Révolution française[modifier | modifier le code]

L'expédition d'Égypte (1798-1801) fut étudiée à partir des sources françaises et britanniques, mais les archives ottomanes, conservées en Turquie, en Égypte et en Bulgarie, ont été mobilisées massivement deux siècles plus tard pour écrire « l’autre histoire », vue et vécue par l’Empire ottoman en mettant au centre de la problématique Alexandrie, par Faruk Bilici, professeur des universités à l'Inalco et chercheur au CERLOM, qui a obtenu le prix Jean-Edouard Goby - Institut de France, pour ses travaux sur les rapports entre l'Égypte et l'Empire ottoman

Le plan de Bonaparte d’envahir l’Égypte s'est concrétisé en 1800, mais il a commencé à manifester sérieusement de l’intérêt pour une invasion au cours de l’été 1797[117] après ses succès en Italie, dans une perspective géopolitique passant par l’Adriatique et la Méditerranée. Venise et Dubrovnik étaient alors les principaux partenaires du port égyptien d’Alexandrie[117]. La France révolutionnaire, désormais établie comme puissance italienne, avait plus d’intérêts que jamais au Levant. Les grands marchands français importateurs s’intéressaient donc à Alexandrie[118].

À la fin du siècle, le maïs donne un coup de fouet à l'élevage en France[modifier | modifier le code]

À la fin du XVIIIe siècle, la baisse des prix de vente du maïs en France[13] va permettre le développement de l’élevage de volailles de Bresse nourries de pâtée de maïs et de lait[13]. Sous forme de grains, le maïs nourrissait les poules, mais aussi les pigeons[13]. Sous la forme de farine, il était utilisé plutôt pour l’engraissement des porcs et des bovins[13]. La tige et les feuilles de la plante, étaient distribuées en « dessert » aux vaches laitières[13]. Le maïs donne non seulement un coup de fouet à l'élevage, mais il lui permet d'être déployé de manière plus souple et plus intensive, et moins exposée aux aléas climatiques et à l'espace disponible ce qui donne une plus grande sécurité aux écosystèmes agricoles de nombreuses régions françaises.

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

L'historien Ernest Labrousse, distingue neuf crises alimentaires au XIXe siècle: 1800-1803, 1810-1813, 1815-1818, 1828-1832, 1839-1840, 1846-1847, 1853-1857, 1861-1862, 1866-1868. Au milieu du siècle, l'offre mondiale plus abondante amenuise un peu (49 à 55 shillings par Quart (unité) entre 1845 et 187) le prix du blé, et permet d'augmenter la consommation.

consommation de céréales[119] 1841-1850 1891-1900
quintal par personne 1,76 2,45

La forte croissance économique mondiale des années 1850 crée un marché des céréales, plus vaste et interconnecté par télégraphe et chemin de fer[120], en plus du déficit anglais structurel :

Importations anglaises de blé 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856
millions de Quart (unité) de tonnes[120] : 0,78 0,085 1,90 2,6 1,8 4,45 3,7 3,7 3,3 4,8 3,8 2,7 4
millions de sterling 2 0,01 5,2 9,1 4,6 9,2 7,4 7,2 6,1 12,9 12,2 9,8 13,9

La Russie succède à la France comme premier producteur mondial de blé en 1872, remplacée dès l'année suivante par les États-Unis[121], qui répondent à la pénurie mondiale de 1866-1868[122].

La récolte américaine de 1869 à 1874 :

Céréale Blé Maïs Avoine
Hausse (1869-1874) 250 % 250 % 450 %

Les rendements du blé sont globalement faibles et disparates : 5 à 6 quintaux de blé par hectare en Espagne ou en Russie, durant la première moitié du XIXe siècle, contre plus de 14 quintaux au Benelux[123], 9,6 quintaux aux États-Unis, en 1910 comme en 1800. La mécanisation apparait à la fin du siècle, lente et partielle. C'est surtout la « révolution des transports » des céréales américaines qui leur permet un taux de croissance de 3,4 % par an entre 1860 et 1900, deux fois celui de la production mondiale (1,6 %)[121].

La récolte américaine de blé[124] :

Production de blé des États-Unis 1839 1880 1900
millions de boisseaux 85 500 600

Vers 1870 la plupart des pays européens créent des droits de douane[122],[125].

Les huit premiers producteurs de blé au monde au cours des trente années précédant la Première Guerre mondiale, en moyenne annuelle, en millions de boisseaux[125] :

Production de blé États-Unis Russie Inde France Canada Argentine Australie Iles britanniques
1885-1889 515 357 265 302 38 20 26 76
1889-1894 628 360 247 303 41 47 31 69
1894-1899 686 452 240 326 52 59 27 59
1899-1904 714 545 249 338 76 42 93 58
1904-1909 672 620 301 332 104 158 59 56
1909-1914 694 791 352 317 197 147 90 61

Années 1800[modifier | modifier le code]

La disette anglaise de 1800 à 1801 aboutit à étendre la culture du blé dans les terrains les moins fertiles, introduisant dans la loi anglaise des complications « néfastes aux consommateurs », écrit un lobbyiste céréalier de l'époque, de l'Académie d'agriculture[126].

Le prix constaté du blé évolue en nette baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, et même en forte baisse si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire, en particulier après la fin du blocus continental en 1808[67] :

Années 1800 1801 1802 1803 1804 1805 1806 1807 1808 1809
Prix observé du quintal de blé (en francs) 27 28,8 32,6 29,7 23,8 26,2 26 24,1 21,6 19,7
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 193 199 225 198 154 164 162 146 127 112

La ville nouvelle d'Odessa quadruple rapidement ses exportations de blé[modifier | modifier le code]

Fondée en 1794, par Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu qui a fui la Révolution française, pour servir dans l'Armée impériale russe contre les Ottomans, Odessa compte, dès l'année suivante, 2 000 habitants, une poste et une Bourse, puis 20 000 habitants vingt ans après[127]. Odessa triple ses exportations de céréale dans la période 1804-1813[127], pendant les guerres napoléoniennes. De nombreuses villes sont fondées en Nouvelle Russie, au statut également protégé, sur les rives des vastes steppes peuplées par des tribus nomades de Nogaïs. Nommées d'après d'antiques colonies grecques de la mer Noire : Odessa, Tiraspol, Nikopol, Kherson, Théodosia, Eupatoria, Sébastopol, Simferopol, Melitopol, Stavropol, elles attirent une foule cosmopolite, stimulant le commerce des céréales.

Bonaparte à la recherche de céréales en Méditerranée[modifier | modifier le code]

En 1800, pour faire sa campagne d'Égypte, Napoléon Bonaparte a eu besoin d'énormément de céréales, achetées en Algérie[128], un territoire alors pas encore colonisé. Mais la France n'a pas payé ces livraisons à temps et une partie n'était toujours pas réglée vingt ans plus tard[128], ce qui a suscité la colère du Dey d'Alger et un incident diplomatique. En 1800, Bonaparte a aussi fait appel à ses alliés égyptiens. Une nouvelle organisation financière est mise sur pied le 28 avril 1800 par Kléber[128], qui doit « pressurer » l'Égypte pour financer l'expédition d'Égypte, afin d'assurer rapidement un revenu régulier aux colonisateurs. Mourad Bey, devenu un allié important des Français, envoie de Haute-Égypte le produit de l'impôt dont il est redevable sous forme d'argent et de céréales[128].

Les céréales se sont plutôt raréfiées en mer Méditerranée depuis quelques années, malgré le grand nombre de pays où elles sont cultivées. En témoigneNT les décisions prises par Bonaparte en juin 1798, quand il fait libérer et affranchir quelque 2 000 esclaves présentés comme marocains à Malte[129], alors qu'il rétablira peu après l'esclavage en France. Cette libération tenait moins à un souci humanitaire qu'à une préoccupation pratique: Malte dépendait de l'Afrique du Nord, Maroc inclus, pour ses approvisionnements en céréales et Bonaparte avait besoin de nourrir la population sur place[129]. Une lettre des Affaires étrangères de Paris au consul de France à Tanger, datée du 5 vendémiaire an VII, fait ainsi appel à la fourniture de grains du Maroc[129] « qui doit avoir été sensible à la libération de sujets qui ne tarderont pas à retrouver leur pays »[129]. Même demande faite en juillet 1798. Mais aucune de ces deux demandes n'obtint de réponse du Maroc, qui par ailleurs se montra très réservé ensuite sur l'expédition d'Égypte de 1800, contrairement à ce que la propagande de l'époque veut faire croire[129].

1808 : Méhémet Ali face aux greniers secrets des Mamelouks[modifier | modifier le code]

Les premières ventes importantes de céréales réalisées en 1808 aux forces militaires britanniques donnent à l'Égypte les moyens de développer la culture du blé dans le delta du Nil. Les terres à céréales de Haute Égypte se trouvent encore sous le contrôle des Mamelouks et les négociations avec eux ont échoué. Méhémet Ali, nommé gouverneur de l'Égypte par les Ottomans en 1806, et considéré comme le fondateur de l'Égypte moderne, décida d’employer la force. Les consuls français mentionnent que chaque opération militaire réussie contre eux lui permettait de mettre la main sur de nouveaux entrepôts à grains cachés dans le désert et d’acheminer rapidement ces céréales jusqu’à Alexandrie pour les expédier de là vers Malte ou vers l’Espagne. Ainsi, la tuerie des Mamelouks en 1811, prélude d'une chasse aux Mamelouks organisée dans la plupart des villes de province, consacrant leur élimination définitive s’explique aussi par la volonté de contrôler les circuits des céréales : au même moment, Méhémet Ali mettait en place le monopole sur les grains, imposant aux paysans de vendre leur production exclusivement à lui et interdisant aux négociants étrangers d’acheter du blé ailleurs qu’auprès des entrepôts d’Alexandrie.

Années 1810[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en légère baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, également si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1810 1811 1812 1813 1814 1815 1816 1817 1818 1819
Prix observé du quintal de blé (en francs) 26,3 34,2 42,9 29,6 23 25,4 36,8 47 32 23,9
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 146 190 238 165 128 145 210 268 183 137

L'année 1812 est cependant marquée par un pic, après une hausse de plus de 60 % en deux ans, causée par la grave pénurie agricole de 1812. Ces prix élevés ont pour conséquence l'intervention de l'État, en France pour libérer des stocks et en Égypte pour en reconstituer. La chute des cours qui suit amène les fermiers anglais à exiger des protections douanières qu'ils obtiennent dès 1815, d'autant plus efficaces qu'un désastre météorologique fait doubler les prix de vente les deux années suivantes.

En 1812, l'Égypte réagit à l'ouverture de la mer Noire au commerce[modifier | modifier le code]

L’ouverture de la mer Noire au commerce des blés en 1812 fait prendre à l'Égypte, des mesures rapides face à cette nouvelle concurrence, pour vider les stocks de blé égyptiens et faire baisser les prix, mais aussi réorienter une partie de ses exportations vers l’est méditerranéen : Syrie, Smyrne et Constantinople[118]. Méhémet Ali gouverneur d'Égypte depuis 1806, nommé par l'Empire ottoman, avait ses propres agents, à Malte à partir de 1811, en Espagne et au Portugal en 1812, capables de le renseigner sur l’évolution de la demande de céréales en Europe[118], lui permettant d’adapter son offre et ses prix[118]. Il pariait jusque là sur une demande croissante du marché en blé égyptien mais utilisait la souplesse dans la commercialisation des céréales[118], par la vente à crédit[118] et grâce à des réseaux d'information économique auprès des capitaines et négociants grecs, et de certains négociants syriens, comme le montre la correspondance conservée dans le Diwân al-tidjâra wa-l-mabi’yât (Organisme de commerce et d’achats)[118].

Méhémet Ali acheva son contrôle sur la production par ses décrets de 1813 et 1814 abolissant l’affermage des impôts[118], ce qui eut comme conséquence de restituer la propriété des terres à l’État. Il se procura des navires pour pouvoir atteindre directement les marchés européens et négocia avec Constantinople la possibilité de remettre le tribut dû par sa province sous forme de blé, fève, riz et autres. Son règne se traduisit par une transformation sans précédent du rôle dévolu au Nil, avec le percement de nombreux canaux, au service de l’agriculture, comme le canal Mahmûdiyya, pour permettre le transport des céréales, donnant au fleuve une valeur nouvelle[118].

Grandes crises alimentaires de 1811-1812 et 1816-1817[modifier | modifier le code]

Les crises de subsistances de 1811-1812 et 1816-1817 ont une cause climatique[130], malgré une phase d’expansion des ensemencements en blé, appelée à se poursuivre. Plusieurs causes l'aggravent dans certaines régions : réorganisation des flux commerciaux, trop faible monétarisation, stratégies de rétention des détenteurs de grains[130].

En 1812 comme en 1817, les inégalités d’accès aux ressources céréalières contribuent à la pénurie globale, ce qui fait que les fluctuations des prix du blé n'affectent pas les mêmes zones : le Midi, dans les deux cas, conserve son positionnement, traditionnel depuis le milieu du XVIIIe siècle, dans le quartile supérieur des prix du blé[130], mais avec une augmentation modeste comparée à celles d'autres régions. Les fluctuations atteignent plus de 70 %, entre 1811 et 1812, dans les régions de prix bas de la Loire et de la Bretagne[130]. En 1816-1817, l’Est de la France, encore occupé par les coalisés, subit la hausse la plus violente, déclenchant l'insurrection dans l’Aisne, la Marne, l’Aube, l’Yonne. En Bretagne et en Normandie, la situation sociale est tendue aussi, en raison de tentatives de taxation des grains[130].

Nommé le 1er octobre 1809 ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre de Montalivet fait face à la canicule en Europe de l'été 1811[131], dont un texte préfectoral témoigne : « Un soleil de feu sécha sur pied les céréales : le grain, menu et rare, manquait même presque complètement dans certaines régions »[131]. Conséquence, 76 départements ont des récoltes déficitaires[131] et il manque 10 millions d'hectolitres de grains (sur une consommation annuelle de 93 millions)[131]. La crise s'amplifie dans les premières semaines de 1812. Le prix flambe avec des disparités régionales: hausses de 336 % en Seine-inférieure et de 196 % dans les Bouches-du-Rhône[131]. Le froment, l'orge, le seigle et l'avoine augmentent de 72 %, 115 %, 121 % et 41 %[131]. L'hyper-inflation toucha aussi les légumes[131]. L'émeute de 1812 à Caen, liée à la cherté du blé et à la difficulté à s'en procurer, commence le 2 mars par une bousculade à la halle aux grains[132]. Le maire et le préfet sont pris à partie, un moulin est pillé et dix jours après des Caennais sont condamnés à mort et exécutés. Au cours des procès qui se déroulent le 14 mars, onze personnes seulement sont acquittées[132].

Début mai, les prix avaient déjà grimpé[130] et les préfets qui avaient décidé de taxer à un niveau supérieur aux 33 francs fixés pour Paris virent les grains affluer dans leur département, où ces flux de blé étaient mieux rémunérés. Du coup, des départements disposant habituellement d’excédents de céréales, y compris en période de soudure (mai-août), basculèrent dans la disette[130]. Cette situation suscite un mécontentement : en réponse au questionnaire que Jean-Pierre de Montalivet leur adressa à la fin de l’été 1812, les préfets désavouèrent presque d’une seule voix l’inspiration antilibérale des décrets[130]. Ceux des départements de la vallée du Rhône et du Midi provençal ont ensuite délibérément ignoré la surtaxe, pour éviter de surenchérir sur le taux très élevé de 45 francs qu'avait choisi le préfet du Rhône, afin de garantir au blé un prix de vente suffisamment rémunérateur sur les marchés de Lyon, en manque de blé[130]. Autre motif au boycott de fait de la taxe, ces préfets de la vallée du Rhône et du Midi ne voulaient pas compromettre la descente vers le Sud des blés de la Bourgogne et de la Champagne[130], indispensable car Marseille ne peut plus importer, la Méditerranée étant entièrement sous contrôle anglais[130]. Dès l’automne 1811, les négociants phocéens avaient tenté de prévenir la catastrophe, par des achats massifs dans les terroirs beaucerons et bas-normands[130].

En 1816-1817, le mauvais temps[64] et le faible ensoleillement dus à l’éruption du Tambora en 1815 en Indonésie en avril, avec sa colonne de fumée de 33 km de hauteur, qui dura 33 h, la plus violente depuis l'éruption du Samalas en 1257[133], ont affecté toutes les récoltes en Europe[64]. La France est plus durement touchée par cette année sans été car les troupes alliées l'ont envahie en 1815, après la bataille de Waterloo, avec réquisitions et pillages[64]. La hausse des prix du blé devient dramatique[64] et la famine sévit, marquée par des émeutes de grande ampleur, dans l’Est de la France et le sud du Bassin parisien[130], le gouvernement s’emploie d'abord à nier l’ampleur de la crise, même quand des départements éprouvent la pénurie. Puis ordre est donné aux préfets de rechercher l'égalisation des prix, et le comblement des déficits locaux[130]. Parmi les préfets, un pourcentage significatif (environ 20 %) a suggéré au gouvernement un retour au moins partiel à davantage de dirigisme[130].

En Angleterre, la Corn Law de 1815, à la fin de la guerre de 1812[modifier | modifier le code]

Lord Liverpool, chef du gouvernement créateur de la Corn Law de 1815.

En 1815, la première des Corn Laws interdit toute importation de blé dès que le prix passe sous 80 shillings le quart (66 shillings pour le blé canadien)[134]. L'Angleterre vient de perdre la guerre de 1812 face aux États-Unis et veut soutenir le Canada, où l'aristocratie loyaliste a dû émigrer, peuplant les rives du lac Ontario et du Saint-Laurent[135]. Le blé nourrit les camps de bûcherons[136] et les garnisons[136] lors de la guerre de 1812 mais aussi la Grande-Bretagne[136] et le Bas-Canada.

Pendant les guerres napoléoniennes, le marché anglais du blé avait en effet été restructuré par les négociants anglais de telle manière que le Canada en fournisse les deux-tiers en 1810[137], il s'agit d'encourager les front pionniers de l'Ontario, où le défrichage produit du bois avant de planter du blé. Pendant le blocus continental, le prix du blé avait culminé à 127 shillings en 1812, puis chuté en 1814 à 74 shillings[138]. À ce prix, le blé canadien est sûr de rester autorisé. Le commerce mondial est assuré à 65 % par la Pologne et le nord de l'Allemagne, la Sicile, le Maghreb et les Amériques fournissant le reste[139].

Mais les prix doublent en 1816-1817, lors du mauvais temps causé par l'éruption du Tambora en 1815, qui fait aussi quadrupler les importations anglaises de 1814 à 1818, à 100 millions de francs[139]. Les céréaliculteurs anglais, à qui la corn law de 1815 rappelle agréablement les barrières douanières de 1791 et 1804, prennent rapidement le relais. Du coup la hausse de l'offre et la baisse des prix qui suivent le pic de 1817 sont nettement plus fortes qu'attendu, amenant les prix vers 40 à 60 shillings le quart en 1820, fermant l'accès à l'Angleterre aux céréales du Canada. Les marchands font signer des pétitions contre le protectionnisme, dénonçant les émeutes de la faim de 1817.

La Corn Law de 1815 sera donc profondément amendée :

  • dès 1822, par une loi prévoyant la réouverture des frontières à partir de 80 shillings le quart et leur fermeture en dessous de 70 shillings, soit dix shillings de moins qu'en 1815 : la protection du blé anglais devient beaucoup moins systématique.
  • puis en 1825, pour revenir à la volonté d'encourager le Canada, cette fois plus efficacement : le blé des colonies n'est plus contingenté du tout. Il subit une taxe de 5 à 6 shilling le quart, 4 fois moins que les autres blés importés[137]. Le blé canadien voit ses exportations en Angleterre plafonnées à 125,000 tonnes, lui donnant de la marge : entre 1817 et 1825, l'Ontario avait expédié en moyenne 57 800 tonnes de blé à Montréal[136], pour l'essentiel consommées sur place.
  • en 1828, c'est l'introduction d'une « échelle mobile », négociée en 1827 par William Huskisson, responsable du Board of Trade depuis 1823. Elle vise à protéger encore plus le Canada, en taxant seulement ses rivaux : un shilling par quart de blé importé si les prix du blé sont entre 73 et 79 shillings. S'ils descendent sous 73 shillings, la taxe augmente, progressivement, remplacée par une interdiction sous 52 shilling.

En 1818, l'échec des chroniques « Agricola » en Nouvelle-Écosse[modifier | modifier le code]

L'Angleterre a aussi tenté d'encourager la culture des céréales dans les provinces maritimes de l'est du Canada, au climat plus doux, sur les rives des cours d’eau, par exemple le long du fleuve Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Les nouvelles terres se prêtent bien à la culture céréalière mais, pour des raisons d’ordre culturel, agricole et commercial, les colons préfèrent l’agriculture mixte et se consacrent avant tout à l’élevage du bétail, qui demande moins de main-d’œuvre que la culture des céréales. En 1818, John Young, marchand de Halifax, milite pour l’amélioration des méthodes agricoles en Nouvelle-Écosse. Convaincu du potentiel de progrès de l'agriculture dans la province, il écrit des chroniques signées « Agricola » dans l'hebdomadaire Acadian Recorder, fondé le 16 janvier 1813 par Anthony Henry Holland, futur papetier à Bedford. Une société provinciale d'agriculture se créé en 1818 et il devient secrétaire du bureau central de l'agriculture, parrainé par le gouvernement et installé à Halifax, principal port de Nouvelle-Écosse. Des sociétés agricoles se forment autour de lui mais les efforts de Young sont vains, car, les marchands ne s’intéressent pas à l’agriculture locale, tandis que les agriculteurs sont peu motivés. Jusqu'en 1850, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick resteront ainsi importateurs nets de denrées alimentaires des États-Unis. Seule l’Île-du-Prince-Édouard affiche un excédent agricole, qui grandit dans les années 1920 au point de lui permettre à partir de 1831 d'exporter du blé en Angleterre, où la croissance urbaine a creusé les besoins en céréales étrangères.

Le Portugal choisit l'importation, deux ans avant sa révolution libérale[modifier | modifier le code]

À la fin des guerres napoléoniennes, le Portugal retrouve son intégrité territoriale mais doit payer à la France une indemnité de 2 millions de francs, ce qui amène un fort mécontentement. Le , le Brésil est « promu » au statut de royaume. L'ancienne colonie peut alors commercer directement avec d'autres états européens. Cela accentue les problèmes économiques du Portugal, encore sous l'administration de William Beresford en l'absence de la famille royale, réfugiée depuis 1807 à Rio de Janeiro et refusant de revenir. Entre-temps, en 1818, les importations de blé reprennent. Le blé, acheté par le gouvernement est cédé à bas prix aux industriels de la meunerie qui fournissent à bon marché un pain « politique ». L'opposition accuse le gouvernement de léser les intérêts des producteurs nationaux et d'accroître la dépendance économique du pays. Cette situation créée une vague de protestation qui aboutit à la révolution libérale portugaise de Porto le .

Années 1820[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en hausse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, assez forte si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1820 1821 1822 1823 1824 1825 1826 1827 1828 1829
Prix observé du quintal de blé (en francs) 25,5 23,7 20,7 23,4 21,6 21 21,1 23,3 29,4 30
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 150 140 122 137 131 127 132 155 190 187

La dépression du marché autour de 1825 n'est que temporaire, deux ans après la crise boursière de 1825, l'économie britannique est repartie et elle importe dès 1827 autant de blé de la Russie méridionale que lors de la famine de 1817. Les prix russes ont depuis beaucoup baissé car les moissons de la mer Noire se sont étendues et ils resteront bas, avec la relance de la production canadienne après 1825.

De plus, l'Angleterre réforme profondément la taxation de ses importations en 1825, afin d'épargner aux colonies céréalières canadiennes les conséquences de la crise boursière de 1825 et conserver ainsi une seconde source d'approvisionnement. La pression commerciale est forte car l'année 1825 a vu non seulement l'ouverture aux États-Unis du canal Érié reliant le lac Érié à New-York mais aussi le lancement l'année précédente des travaux du futur canal Welland, pour relier lac Érié et lac Ontario, ce qui risque d'entrainer les cultivateurs de son pourtour sur la voie des exportations vers les États-Unis. Par ailleurs, le premier, et modeste, canal de Lachine, creusé entre les étés 1821 et 1824, permet de contourner les rapides de Lachine, point délicat de la voie maritime du Saint-Laurent : c'est le moment de relancer la filière du blé ontarien.

En France, le « Plan Becquey » vise à désenclaver les cultivateurs de céréales[modifier | modifier le code]

Le canal de Roanne à Digoin à Artaix

À la première Restauration, Louis Becquey directeur général de l'agriculture, du commerce, des arts et des manufactures[140] défend des lois sur l'exportation des laines et des grains, et achète du blé (Hollande, Italie, États-Unis, Crimée) face à la crise frumentaire de 1816-1817 puis fait voter les lois du 5 août 1821 et 14 août 1822 pour le transport des céréales par canaux et réseau fluvial, à une époque où le chemin de fer n'existe pas encore. Le canal de Roanne à Digoin est un des très nombreux canaux inscrits dans ce plan. Il supplée l'insuffisance de la Loire à certaines saisons et contribue à l'alimentation en eau du canal latéral à la Loire. Mais les travaux ne débutent qu'en 1832, et le canal n'est est ouvert qu'en 1838, en même temps que le canal latéral à la Loire[141]. Le canal est financé par la Compagnie Franco-Suisse composée de financiers roannais et genevois et la société fut parmi les premières cotées à la Bourse de Paris.

Le recul de l'influence turco-égyptienne[modifier | modifier le code]

En mer Noire, les conséquences de la guerre d'indépendance grecque[modifier | modifier le code]

La guerre d'indépendance grecque (1821-1829), ou « révolution grecque », conflit grâce auquel les Grecs, finalement soutenus par les grandes puissances, France, Royaume-Uni, Russie, réussirent à obtenir leur indépendance de l'Empire ottoman, allié à l'Égypte, a tout d'abord freiné le commerce céréalier en rendant la navigation de commerce difficiles dans l'est de la Méditerranée.

L'entrée en guerre de la Russie en 1827 lui permet cependant d'exporter plus que jamais, égalant dès 1827, avec 1,6 million de tchetvert, le record de 1817, l'année où la famine générale en Europe avait développé ce commerce[139]. Le prix moyen sur la fin des années 1820 est cependant inférieur de moitié : 12 roubles et 5 kopeks sur 1825-1829 contre 26 roubles et 58 kopeks sur 1814-1818 pour le blé tendre à Odessa[139] :

1814 à 1818 1819 à 1824 1825 à 1829 1830 à 1832
26 roubles et 58 kopeks 20 roubles et 32 kopeks 12 roubles et 5 kopeks 17 roubles et 35 kopeks

En 1827, l'expédition navale de démonstration suggérée lors du traité de Londres voit une flotte conjointe russe, française et britannique détruire la flotte turco-égyptienne lors de la bataille de Navarin déclenchant la guerre russo-turque de 1828-1829, réglée par le traité d'Andrinople. L'influence régionale de la Russie en sort renforcée, mais elle voit émerger de potentielles rivales sur le plan agricole, les principautés danubiennes désormais indépendantes.

La progression du blé tendre de la mer Noire est clairement dans le viseur du seuil choisi au cours de l'année 1827 pour réformer les corn laws : elle n'affranchit le blé de tout impôt que lorsque le prix du tchetvert de froment dépasse 60 roubles environ, une « muraille infranchissable » qui incite le négoce à la contourner durablement, par des entrepôts dans les ports de Gènes, Livourne et Marseille, et même Trieste, en principe plus tournée vers la Hongrie.

Après un plus haut de 45 roubles en 1817, le prix du blé tendre à Odessa connait un minimum de 7 roubles en 1829, soit une division par six[139]. Le polytechnicien français Louis Joseph Gay-Lussac, qui a travaillé sur la sélection des alcools, affirme alors que les blés exportés par Odessa sont supérieurs à tous ceux du reste de l'Europe, mais on leur reproche d'être battus sur des aires non pavées, et ainsi « entremêlés de mottes de terre »[139]. À l'exception des années de guerre, la Russie méridionale n'exportera jamais moins de 0,6 million de tchetverts de blé par an sur la décennie 1823-1833. De 1815 à 1830, ses exportations totalisent 13,23 millions de tchetverts, dont 40 % sur trois années : plus de 2 millions de tchetverts en 1830, et 1,6 million de tchetverts en 1827 comme en 1832[139].

Les liens entre Beyrouth et Alexandrie pour l'écoulement du riz égyptien[modifier | modifier le code]

De Damiette partaient la plupart des cargaisons de céréales, en particulier de riz, destinées aux ports de la côte syrienne : Tripoli, Sayda, Tyr et Saint-Jean-d'Acre[142]. Ce commerce prospérait malgré les tentatives de l’administration ottomane de prohiber ces flux au profit de l’approvisionnement en grains de Constantinople[143]. Les négociants français utilisaient Beyrouth comme étape dans les exportations illégales de riz vers Marseille[142].

Les documents consulaires français relatifs aux villes côtières libanaises font apparaître des changements importants à partir du début du XIXe siècle[142]. Le développement de Beyrouth, à partir des années 1820, détourna à son profit les flux en direction des autres ports tels que Sayda, Tripoli, Tyr, Saint-Jean-d'Acre et Haïfa. Pour Beyrouth, Alexandrie devint alors un partenaire aussi important que Damiette, tant pour les importations que pour les exportations de riz[142].

Fiscalité et immigration : l'Angleterre relance le blé du Canada[modifier | modifier le code]

Les fronts pionniers de l'Ontario relancés au milieu de la décennie[modifier | modifier le code]

La dépendance de l'Ontario à l'égard de la culture du blé devient spectaculaire tout à la fin des années 1810, quand la stricte application de la loi anglaise de 1815 exclut le blé canadien du marché britannique pour cause de chute des prix. La valeur des terres défrichées baisse mais le wheat mining, ou « blé du défrichage » dans les forêts se poursuit, à un rythme seulement plus lent. Car de 1821 à 1840, le bois canadien paie un droit fiscal de seulement 5 pence sur le marché anglais contre 55 pence pour son principal concurrent, le bois de la Baltique, ce qui assure peu à peu un triomphe sur le marché anglais du "Withe pine" canadien jusqu'aux années 1840[137], d'autant que le fret anglais est compétitif, les navires ayant amené le bois repartant vers le Canada avec des immigrants. La Corn Law est profondément assouplie, via loi de 1822, abaissant de dix shillings le prix en dessous duquel le blé canadien ne peut plus être vendue en Angleterre, mais cela ne suffit pas à le relancer avant 1825 car les prix continuent à baisser.

L'Empire colonial anglais prend le relais pour la poursuite de l'émigration et du défrichage des forêts de l'Ontario. Dans les années 1820, l'homme d'affaires Peter Robinson, député du Haut-Canada, organise avec le Parlement britannique, l'arrivée en Ontario d'Irlandais catholiques, particulièrement des environs de Tipperary et Cork. Leur arrivée, fait de Scott's Plains, rebaptisé en son honneur, Peterborough un centre régional ontarien, où l'industrie navale du canot émergera dans les années 1850. En 1823, un 1er groupe de 568 migrants arrive des villages de Ballyhooly, Castletownroche, Liscarrol], et Churchtown, du comté de Cork, pour s'installer, mais se heurtent aux colons protestants locaux en 1824[144]. Une partie s'en va chercher du travail aux États-Unis et reviendra plus tard. En juin 1825, un second groupe de 2 024 passagers, plus familial, embarque de Cork[145] sur neuf navires. Ils recevront 403 lots agricoles dans le district de Newcastle, à Emily, Ennismore, Douro, et Otonabee.

À leur arrivée, les exportations de blé sont proches de zéro, mais la fixation de droits fiscaux préférentiels pour le blé canadien en 1825[146], qui autorise à importer du Canada jusqu'à 500000 quart[146], permet aux prix et aux volumes d'exportation de se redresser immédiatement, avec environ 300000 quart en 1825 contre 400 l'année précédente[146]. La coopérative Farmers' Storehouse est créé près de Toronto en 1825 par d'anciens quakers. D'autres quakers érigent entre 1825 et 1832 plusieurs bâtiments de la communauté The Children of Peace.

Le blé est planté presque partout[147], mais il ne réussira durablement que dans les zones fertiles à l'ouest du Lac Ontario et au nord-ouest de Toronto, dans les régions de Peel et Halton[147]. L'Avoine, semée en mai pour être récoltée en septembre, est aussi prisée[147] car elle permet d'éviter l'hiver et de nourrir les chevaux servant à l'abattage et au transport des arbres en complément des rivières.

La « guerre des terres » des céréaliers de l'Île-du-Prince-Édouard[modifier | modifier le code]
Carte de l'île.

Alors que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick restent importateurs nets de denrées des États-Unis jusqu'en 1850, l'Île-du-Prince-Édouard augmente ses récoltes dans les années 1820, au point d'exporter à partir de 1831 du blé en Angleterre[148], grâce à l'action de William Cooper, qui lance cependant une révolte contre les propriétaires terriens anglais absents. En 1827, le lieutenant-gouverneur de l'île, John Ready, recommande de créer des Sociétés agricoles. Vétéran de la bataille de Trafalgar dans la marine britannique[136], Cooper avait construit l'année précédente un moulin à blé et un navire de 72 tonneaux, puis pasée des baux avec quelque 60 locataires, pour le compte de son propriétaire[136]. En 1829, Cooper fut congédié par le sien, lord Townshend pour des motifs peu clairs[136] et se lance dans l'agitation agraire auprès des cultivateurs Acadiens, présents dans l'île depuis 1720, à Port-LaJoye, qui cultivent le blé depuis 1726 et sont 890 dès 1740, en raison de la difficulté d'obtenir de nouvelles terres en Nouvelle-Écosse, puis 4600 en août 1758, parmi lesquels 3100 furent capturés et déportés en France lors du Grand Dérangement, et leurs terres confisquées, les autres réussissant à se cacher ou à s'enfuir. Les survivants sont rejoints vers 1784 par des colons loyalistes anglais, après la défaite anglaise de la guerre d'indépendance des États-Unis, alors que depuis 1767, presque toutes les terres de l’Île-du-Prince-Édouard sont possédées par des lords anglais absents[136], la population ne revenant à 4 000 habitants qu'en 1798, parmi lesquels des Acadiens de retour.

Lors d'une élection partielle en 1831, William Cooper entre à l'Assemblée de la colonie après une campagne électorale sur le thème de «La liberté de notre pays et les droits de nos fermiers»[136]. Le scrutin fut interrompu par une émeute, et il dût se cacher, en tant que leader du combat contre l'escheat (confiscation des terres)[136], sur fond de colère des céréaliers contre les Corn Laws. Cooper organise de nombreuses réunions publiques au cours desquelles il conseille aux fermiers de retenir le paiement de leur loyer. Lors de celle d'Hay River le 20 décembre 1836[136], plusieurs centaines de fermiers souscrivent unanimement à une requête comprenant 34 clauses demandant au roi l’institution d’une « Cour d’escheat »[136]. Cooper sera arrêté en 1838.

Années 1830[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en légère baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67]. La décennie est cependant marquée par deux mouvements opposés, d'abord une baisse du prix réel des céréales au cours de la première moitié puis une très forte remontée à partir de la fin 1834 :

Années 1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 1839
Prix observé du quintal de blé (en francs) 30 30 28,6 21,8 20,2 23,9 24,6 25,8 28,9
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 177 166 155 112 106 123 129 136 156 149

Les années 1830 voient aussi la croissance des exportations de céréales de la mer Noire, par le port franc d'Odessa, sur fond de forte croissance économique mondiale des années 1830. En manque de céréales pour sa nouvelle population urbaine, l'Angleterre importe 1,5 million de quarts dès 1830[120], après 2 millions sur les deux années précédentes réunies, à des prix très élevés dès 1828[120]. Le prix des céréales monte grâce à l'assouplissement des Corn Laws. L'Angleterre a introduit « l'échelle mobile » en 1828, suivie par autres pays d'Europe entre 1830 et 1835.

Grandes famines de 1830 en Europe du Nord[modifier | modifier le code]

L'hiver 1829-1830 a été l'un des plus froids du XIXe siècle[149]. En Allemagne, les cultures sont perturbées par une température moyenne de -6,6°degrés centigrades, qui descendit jusqu’à – 30e et par 72 jours de gel ininterrompus[150]. La France fut moins touchée que l'Allemagne ou la Belgique mais pénalisée[150]. La situation agricole empira au cours de l’année 1829, alors que 1827 et 1828 furent déjà des années de récoltes médiocres[150], causant une augmentation importante des prix des céréales[150] et un report du pouvoir d’achat sur le pain. L’hiver 1828-1829 fut ainsi marqué par un faible rendement céréalier[150], aggravé par la prolifération d'insectes ravageurs, qui a causé les grandes famines de 1827 à 1830[149] en Angleterre et dont la présence en France dans les champs a fait avorter le grain[150]. En France, les gelées furent très fortes à partir du 16 novembre et se prolongèrent jusqu’au 21 février, pendant près de 4 mois avec près de 100 jours de gelée[150].

À la suite de cet hiver rude, au deuxième trimestre 1829, la quantité d’eau tombée représenta 32,5 % seulement de la pluviosité moyenne attendue[150]. De plus, le sol ayant gelé en hiver à de très grandes profondeurs, atteignant même jusqu’à un mètre, l’eau de la fonte des neiges n’avait pu pénétrer le sol empêchant de renouveler la provision d’eau[150]. Le niveau des nappes phréatiques s’est donc abaissé, entrainant des difficultés d'approvisionnement régulier en eau dans certaines grandes villes[150].

Dans les Ardennes, et sur les bords de la Semois, des torrents de pluies ont putréfié ou emporté les fourrages[150]. La neige recouvre toute l’Europe. En Belgique, il tombe, en certains endroits, plus d’un mètre de neige, qui reste au sol 54 jours en décembre et janvier. En France, la neige préserve les récoltes là où elle reste sur le sol, mais les céréales sont gelées ailleurs. Les oliviers, châtaigniers, mûriers et vignes périssent en grand nombre[150]. Aux Pays-Bas, l’hiver 1829-1830 est, avec celui de 1962-1963, le plus froid enregistré depuis 300 ans[150]. La température moyenne est de −3,1 °C ; décembre fut le mois le plus froid[149].

Crise russe de 1833[modifier | modifier le code]

La croissance des exportations se poursuit malgré la crise de 1833, quand la moitié de la Russie d'Europe voit ses récoltes de céréales anéanties, en particulier dans la « Russie blanche », province polonaise, réunie à l'empire russe depuis 1772. C'est l'une des trois plus graves famines de la Russie au cours du siècle : la production de grains russes a baissé de 32 %, alors que dans la plupart des disettes céréalières du XIXe siècle recensées par les historiens, c'était environ 10 %. Les popes russes promettent un demi-sac de farine par mois à tout habitant qui signerait l'acte d'adhésion à leur église dominante et les pauvres affamés acceptent en masse[151].

Croissance du négoce céréalier grec[modifier | modifier le code]

Les deux principautés à l'Ouest de la mer Noire, Moldavie et Valachie, passent sous influence russe au traité d'Andrinople (1829), elles se trouvent sur les riches terres noires danubiennes[152].

La géostratégie de la mer Noire est bouleversée par l'émergence d'un commerce encore plus tourné vers l'occident après le traité d'Andrinople (1829), entre l'empire ottoman et la Russie, qui met fin à la guerre russo-turque de 1828-1829. L'interdiction des pavillons étrangers en mer Noire est levée, le commerce des céréales s'en trouvant libéré[153]. Une génération d'armateurs grecs s'engouffre dans ce boulevard, d'autant que les insurgés grecs, en partie à l'origine de la guerre russo-ottomane, voient leur indépendance entérinée en juillet 1832. Ils travaillent avec les grands négociants, soucieux de séduire les principautés danubiennes, nées du traité d'Andrinople, comme la principauté de Valachie, qui récupère les ports danubiens de Turnu Măgurele, Giurgiu et Brăila, ou même la Serbie, qui voit son autonomie accrue et reconnue ; mais aussi de contourner les corn laws anglaises.

La Russie méridionale « ne fait que des expéditions peu considérables au-delà du détroit de Gibraltar », observe en 1835 Julius von Hagemeister (de)[154], mais elle exporte 1,4 million de tchetverts par an en moyenne, sur lesquels les ports de la Méditerranée captent en moyenne environ 0,9 million de tchetverts par an[139] :

  • Gènes 0,27
  • Livourne 0,22
  • Marseille 0,2
  • Malte et les autres ports 0,15
  • Trieste 0,075 :

« Le commerce des blés est devenu, pour les riches capitalistes, un objet de spéculation comme les fonds publics »[139], et donne de « l'occupation à la nombreuse marine marchande de la Méditerranée » note Hagemeister. Trieste, Livourne, Gênes et Marseille sont les grands entrepôts[139], où le blé est « apporté de toutes parts », où « se font les grandes opérations » et où « les provisions sont dirigées sur tous les points »[139]. On y confronte diverses mesures selon les destinations :

Essor de nouvelles régions agricoles[modifier | modifier le code]

Les principautés danubiennes prennent le relais de la Russie en 1833[modifier | modifier le code]

La disette de 1833 en Russie a fait découvrir en Valachie des richesses céréalières jusqu'alors insoupçonnées, jusque-là employées à la fabrication de l'eau-de-vie. Ce n'est qu'en 1833 que la Valachie commence à exporter du blé, en raison de son prix très élevé, de la partie éloignée de la mer Noire. Le traité d'Andrinople (1829) lui avait permis de récupérer les ports danubiens de Turnu Măgurele, Giurgiu et Brăila.

L'année 1833 voit aussi pour la première fois en Valachie des achats sur les lieux de production mêmes, par des négociants qui ont cependant beaucoup de difficultés à faire respecter l'inviolabilité des contrats. De plus, « les négociants se plaignent qu'à Galatz » la mesure du poids des céréales est « souvent altérée par la mauvaise foi des autorités »[139].

En Moldavie, l'eau-de-vie n'est faite qu'avec des prunes, celle de grains étant peu goûtée et plus chère que le vin. Les achats de blé se font sur les lieux de production ou les marchés. Des spéculateurs parcourent le pays et font des avances aux propriétaires sur la récolte future[139]. Les prix élevés constatés en 1833 en mer Noire ont provoqué une augmentation de production dans les principautés de Moldavie et de Valachie telle qu'elle pourrait facilement suffire aux besoins de la Turquie et des îles grecques, observe un négociant en 1835, tout en notant que la Grèce pourrait cependant exporter sous peu du blé du golfe de Patras en Grèce[139].

La Valachie et la Moldavie quadruplent leurs exportations de céréales sur la période 1830-1860[153]. Mais ces livraisons restent tournées à 40 % vers l'Empire ottoman et à 14 % vers l'Autriche Hongrie[153], n'atteignant des niveaux importants vers l'Angleterre que lors de la guerre de Crimée[153]. Les armateurs grecs vont bientôt organiser la moitié de ce commerce. La terre, dans les deux principautés, appartient au fisc ou aux boyards, aristocrates des pays orthodoxes non grecs. Les paysans n'ont plus à payer autant de taxes qu'à l'époque ottomane[153] mais près de 100 000 familles fuient entre 1837 et 1850[153], pour échapper au système de servage et gagnent la Bessarabie voisine. En 1864, un tiers des paysans, situés dans les montagnes, sont encore libres en Valachie[153].

Le canal Welland et l'Ohio and Erie Canal profitent aux blés de l'Ontario[modifier | modifier le code]
Marché agricole à York (Toronto)

La fixation de droits préférentiels en faveur du blé canadien en 1825[146] a permis aux prix et aux volumes d'exportation de se redresser, avec environ 300 000 quart en 1825 contre 400 l'année précédente[146], d'autant qu'est achevé en 1829 le canal Welland, pour relier lac Érié et lac Ontario, ce qui ouvre aux cultivateurs de céréales canadiens du pourtour du lac Ontario les exportations, jusqu'à New York, toute l'année et à bon prix, même si celles-ci sont encore interdites.

Lors de crise alimentaire en Europe de 1830, ce sont cependant les exportations américaines de blé qui augmentent :

Exportations américaines[155]: 1828-1829 1829-1830 1830-1831
Millions de boisseaux de blé 0,004 0,045 0,41
Millions de boisseaux de maïs 0,89 0,44 0,57
Millions de barils de farine 0,83 1,22 1,80

En 1832, c'est ouverture du canal Ohio-Érié (Ohio and Erie Canal) reliant la voie maritime du Saint-Laurent à la vallée de l'Ohio. De nouvelles régions agricoles de l'Ontario, plus au sud, en profitent. Depuis 1830, une loi encourage les dons aux sociétés agricoles, qui fleurissent dans les districts de Home, Western, Johnstown, Eastern et Gore, puis de Bathurst en 1832, Prince Edward en 1833 et London en 1836. Les dons à l'Agriculture in Upper Canada (en) ont totalisé depuis le début 1 607 livres sterling en 1841.

La pratique du wheat mining, ou « blé du défrichage », amène cependant les fermiers pauvres à utiliser la moitié de 25 acres pour le blé et à user les sols d'autant plus vite que le gel hivernal fragilise les récoltes. Le rendement peut ainsi chuter de 300 à 25 boisseaux par acre en seulement quelques années. L'Ontario est ainsi très vulnérable lorsque le marché du blé s'effondre à nouveau en 1834-1835[148] lors d'une crise de surproduction amplifiée par la spéculation. La dépression est si profonde que le Bas-Canada ne peut plus être approvisionné et doit importer d'Angleterre en 1837. Aux États-Unis, la panique de 1837 provoque des faillites en cascade et il faut importer massivement des céréales. Le Canada, pourtant tout proche mais encore mal remis de la crise de 1834-1835, n'assure qu'une faible partie de flux.

Importations de blé des États-Unis en 1837[155] Hanse Prusse Hollande Angleterre Colonies anglaises Italie et Malte Trieste
Millions de boisseaux 0,27 1,40 0,45 0,79 0,32 0,23 0,19

Lors des rébellions de 1837, durement réprimée, la rébellion du Haut-Canada suit celle du Bas-Canada, en plus modeste, et dénonce surtout la clique au pouvoir dans la colonie, le Family Compact, lié au lobby commercial anglais.

La reprise progressive de l'essor en 1838 se fait grâce marché américain. La population des districts les plus fertiles de l'Ontario, à l'ouest de Kingston quadruplera entre 1838 et 1851[156] et l'Angleterre doit faire des concessions, dès l'acte d'Union (1840) puis sur le plan des droits de douane en 1842.

Les cultivateurs allemands arrivent dans la vallée de l'Ohio[modifier | modifier le code]

Après 1832, le trafic des céréales aux États-Unis a pu transiter par l'avantageuse voie fluviale sur un énorme périmètre : vers le sud par l'Ohio, jusqu'à Pittsburgh et le bassin fluvial du Mississippi, ou au nord par le canal Ohio-Érié à Cleveland, Buffalo et en fin de compte, via le canal Welland, au lac Ontario et jusqu'à Montréal[157]. L'Evans Ship Canal relie en 1832 le canal Érié et la rivière Buffalo, pour compléter le canal Érié, congestionné. En trois ans, la population de Buffalo augmente de 50 %, atteignant 15 000 habitants. Entre 1835 et 1836, le trafic de blé y passe de quasiment rien à un demi-million de boisseaux[158], puis deux millions en 1841. Depuis son ouverture en 1825, le canal Érié donne également aux immigrants un accès plus facile aux produits manufacturés venant de l'est, encore plus qu'il ne facilite leurs expéditions de grain vers l'Est[157]. Dans les années 1830, près de 43000 d'entre eux ont emprunté les onze bateaux à vapeur permettant d'aller de Buffalo au lac Michigan[159] en 17 à 20 jours.

Des céréaliers s'installent le long des lacs, des Allemands à New Bremen et Toledo dans l'Ohio, et à Fort Wayne dans l'Indiana. Le chemin de fer permettra d'accroître encore ce développement[160]. Mais le Baltimore and Ohio Railroad, construite à partir du 4 juillet 1828 n'arrivera au terminus de Wheeling que le 1er janvier 1853.

L'émigration allemande en Amérique s'est accélérée après le livre de Gottfried Duden (en), Voyage dans les États de l'Ouest de l'Amérique, écrit en 1829 sur le Missouri, qui devient un best-seller en Allemagne[161], tandis que la Gießener Auswanderungsgesellschaft (en) créé en 1833 facilite les démarches[162]. Lors de la décennie qui suit l'agitation révolutionnaire de 1830, les Allemands sont 152 000 à entrer aux États-Unis, quatre fois plus que les Français (46 000), une première étape avant l'envol de ce flux, qui triple à 435 000 immigrants dans les années 1840.

Après Odessa, l'essor en Crimée et Mer d'Azov[modifier | modifier le code]

Malgré la crise agricole de 1833, la Russie méridionale affiche un bilan imposant. En l'espace de 10 années, de 1823 à 1833, il est parti plus de 10 millions de tchetvert[139] des ports russes de la mer Noire et de la mer d'Azov, qui s'ouvre par le détroit de Kertch et baigne les côtes de l'Ukraine et de la Russie, avec ses ports Taganrog et Marioupol[139].

Les exportations de 1823 à 1833[139] :

  • 6,6 millions d'Odessa, le port le plus tourné vers Livourne et l'Angleterre ;
  • 1,86 million de Taganrog ;
  • Marioupol qui n'a acquis de l'importance que depuis 1830, a expédié en 4 ans 0,6 million.

L'exportation des ports d'Ismaïl d'Eupatoria, ville portuaire criméenne sur la mer Noire et de Théodosie, ancienne colonie génoise, et Kefe, peut être estimée, en prenant le terme moyen de 10 ans, à 50000 et 40000 tchetvert pour chacun[139].

Destination des exportations de céréales russes depuis Odessa en 1838[163] :

Livourne Gênes Marseille Trieste
45 % 18 % 10 % 6 %

L'année 1830 est celle ou les expéditions de blé d'Odessa sont les plus fortes : 1,21 million de tchetvert. Jamais, depuis 1815, ce port n'en a exporté moins de 450 000 tchetvert, les années de guerre et celle de 1834 exceptées[139]. Vingt ans plus tard, Odessa sera dépassé par les ports de la future Roumanie.

Crise générale de surproduction 1834[modifier | modifier le code]

Le marché du blé s'effondre à nouveau en 1834-1835[148] lors d'une crise de surproduction amplifiée par la spéculation, après un triple essor des récoltes en Ontario, dans la vallée de l'Ohio et dans les principautés danubiennes. Par ailleurs, des pays d'Europe de l'Ouest ont imité l'Angleterre en instituant un contrôle des importations, pour renforcer leur agriculture après la famine de 1830 : France en 1832, Belgique en 1834, Hollande en 1835. À la Chambre des députés belges, les sujets les plus discutés touchant les milieux ruraux, après l'Indépendance de 1830, furent les problèmes douaniers en matière alimentaire[164]. Au Canada, le boisseau se vend 35 cents à Toronto, sous son coût de production (40 à 50 cents), et trois fois moins que quelques années avant[156]. Le prix de la terre est divisé par quatre. Le Québec, dont la production a aussi baissé, doit s'approvisionner en Europe[156] et l'Ontario exporte alors vers États-Unis quand ses récoltes rebondissent en 1838[156], grâce à la remontée des prix, car la voie maritime du Saint-Laurent est étroite l'été et bloquée par les glaces l'hiver. Cette concurrence américaine amènera l'Angleterre à réduire les taxes sur le blé canadien en 1842[156] et à demander aux Québécois d'élargir le canal de Lachine, zone délicate de la voie maritime du Saint-Laurent. Depuis 1833, une commission gouvernementale le recommande mais les travaux ont lieu entre 1843 et 1848.

À partir de 1837 et 1838, les prix remontent et les négociants anticipent la fin des restrictions dans les pays consommateurs. Le port juif de Livourne, en Toscane, sert à les contourner, et prend le nom de « Livourne l'anglaise », car l'Angleterre est le premier importateur de céréales au monde[163].

En Belgique, la loi de 1834 a provoqué un renchérissement du prix des blés[164], qui deviennent rares alors que la croissance urbaine accélère. Depuis le début du XIXe siècle, le méteil subsiste dans les arrondissements d'Alost et d'Audenaerde[164], mais la pomme de terre a atteint son apogée, en s'octroyant un sixième de la surface occupée par les céréales en Flandre occidentale et un cinquième en Flandre orientale[164].

De nouvelles machines et de nouvelles semences[modifier | modifier le code]

Le « blé de Noé » se taille un franc succès en France[modifier | modifier le code]

Jusqu'en 1830, toutes les céréales cultivées en France sont des variétés locales et traditionnelles plus ou moins homogènes, de couleurs et de tailles très différentes. En 1830 le richissime marquis Louis Pantaléon Jude de Noé, châtelain à L'Isle-de-Noé, près de Mirande, découvre par M. Pérès, un de ses fermiers, le futur blé de Noé, trié dans un lot venant d'Odessa par M. Planté, meunier à Nérac et se révèle très productif. Le marquis de Noé est le richissime héritier de l'empire sucrier de Pantaléon I de Bréda[165], par son père Louis-Pantaléon de Noé, qui a affranchi en 1776 Toussaint Louverture, sur sa plantation de Saint-Domingue[166], bien avant la première abolition de l'esclavage en France.

Le comte introduit cette nouvelle variété dans ses terres de Bréau, en Beauce, d'où elle s'est rapidement répandue dans toute la région[167] et la diffusa aussi en Brie.

Le « blé de Noé » appelé « blé bleu », est certes sensible à la rouille et au froid, mais productif, précoce et résistant à la verse. De plus, son grain est apprécié des meuniers. De ce blé seront tirées différentes variétés par sélection massale : Rouge de Bordeau, japhet, Gros bleu. Il a servi à de nombreux croisements, même si son point faible était l'exposition à la rouille du blé[168]. Cette céréale attire l'attention de Louis de Vilmorin, qui alors réalise ses premiers travaux généalogiques sur le blé pour obtenir des lignées pures, conservant les mêmes caractères d’une génération à l’autre[169]. Louis de Vilmorin met au point la première variété de blé moderne, Dattel, issue du croisement entre deux blés anglais (Chiddam et Prince Albert).

Au même moment des blés anglais, très productifs, résistants à la verse et à la rouille, mais parfois trop tardifs en zone sèches, sont introduits au nord de la France : Chiddam, Goldendrop, Prince Albert, Victoria. Ces blés, issus d'un processus de sélection variétale sur une période d'une dizaine d'années à partir d'un seul épi, constituent les premières lignées pures mises au point en France.

Charrues et moissonneuse, une génération d'inventeurs[modifier | modifier le code]

Jeune forgeron à Grand Detour, dans l'Illinois, John Deere se rend compte que les fermiers locaux n'arrivent pas à travailler le sol lourd des prairies avec leurs charrues, conçues pour le sol sablonneux de l'Est des États-Unis[170]. Il fabrique donc une charrue à versoir en acier finement poli, mise au point en 1837 à partir d'une lame de scie cassée puis effectue une démonstration devant les fermiers de l'Illinois au cours de l'année 1838. Le succès est cependant très lent : il construit 10 charrues en 1839, 75 en 1841 et 100 en 1842[170].

En France, Mathieu de Dombasle, met au point en 1837, une charrue éponyme, après un premier échec dans la betterave à sucre puis la publication des textes à caractère agronomique sur la cristallisation du sucre, la fabrication de l'eau-de-vie de pomme de terre, le fonctionnement de différents types de charrues ou des traductions (Thaër en 1821, sa Description des nouveaux instruments d’agriculture), de Sinclair en 1825, son Agriculture pratique et raisonnée).

La fin des années 1830 voit aussi Cyrus McCormick, né en 1809 en Virginie dans une famille d'inventeurs venus d'Écosse[171], mettre au point un prototype de moissonneuse mécanique. La panique de 1837 cause la faillite de la société familiale, l'un des associés se retirant, mais en 1839 Cyrus McCormick commence à faire des démonstrations en public. Il vend son premier exemplaire en 1840, mais aucun en 1841. Sa machine se vendra un peu mieux avec l'expansion à la fin des années 1840, quand la demande de blé augmente pour exporter en Europe.

Années 1840[modifier | modifier le code]

Le prix constaté du blé évolue en forte baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié[67], mais ils bondissent de 50 % entre 1846 et 1848. L'abolition des Corn Law en Angleterre facilite l'exportation des céréales de la mer Noire vers Londres, et le Lloyds Autrichien s'est lancé cette année-là dans la navigation à vapeur.

Années 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849
Prix observé du quintal de blé (en francs) 28,4 24,9 25,4 27,4 26 26,4 31,7 38,2 21,8 20,2
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 149 138 150 171 140 143 171 207 118 106

En 1847, la mauvaise météo cause une pénurie en France, en Irlande et en Angleterre, générant un courant d'exportations d'Amérique, où l'on suit de près les estimations du journal de référence en Europe, le "London Mark Lane Express". Selon ses calculs, la mer Noire est en Europe le principal centre d'exportations de blé et la Russie domine toujours le marché.

Exportations Russie (mer Noire) Russie (Danube) Russie (Nord) Égypte, Syrie Prusse, Danemark
Millions de boisseaux 16 12 4 4 1,6

Les statistiques du département de l'Agriculture des États-Unis montrent de leur côté que le blé reste marginal dans la production américaine, avec 16 % derrière le maïs (59,6 %) et l'avoine (19,3 %) :

La production de céréales aux États-Unis en 1847[172] :

Céréale Blé Maïs Avoine Orge Seigle Sarrasin Total
Millions de boisseaux 514 139 167 29 5,6 11,6 866,2
Part en % 59,6 % 16 % 19,3 % 3,3 % 0,6 % 1,3 %

Seigle, Méteil, blé et maïs, les équilibres divers qui changent après 1850[modifier | modifier le code]

Champ de seigle.

Le « pain de seigle » est l’aliment de base au milieu du XIXe siècle en Russie, premier producteur mondial, mais avec des rendements faibles, et même inférieurs de 10 % à 15 % à ceux du blé dans d'autres pays d'Europe de l'Est, où le seigle est plus marginal et exploité moins intensivement[123]. Quelques gros producteurs de seigle comme l'Allemagne affichent au contraire des rendements élevés.

En France, l'avoine et le seigle sont autant cultivés que le blé en 1840. Le Méteil de seigle/blé occupe 6 % des surfaces céréalières soit 887 000 ha, au rendement moyen de 11,1 hl/ha, dépassant ceux du froment (10,25 hl/ha) et du seigle (8,5 hl/ha). Il donne une farine inégale et requiert une date de récolte intermédiaire, en fin de période de récolte du seigle et au tout début de la période de celle du blé, mais permet de valoriser les terres moyennes, pas assez riches pour le blé, mais suffisamment pour que l'on hésite à se résoudre à n'y faire pousser que du seigle. Stable jusqu'en 1840, il décline après.

Les céréales en 1840 en France[173] :

1840 en France Blé Avoine Seigle Orge Méteil
Hectares cultivés 5,6 millions 3 millions 2,6 millions 1,2 million 0,91 million
hectolitres récoltés 70 millions 28 millions 16 millions 12 millions

Le blé est la céréale dont les rendements et les surfaces vont le plu