Histoire de la Mésopotamie — Wikipédia

Chronologie de la Mésopotamie

L'histoire de la Mésopotamie débute avec le développement des communautés sédentaires dans le nord de la Mésopotamie au début du Néolithique, et s'achève dans l'Antiquité tardive. Elle est reconstituée grâce à l'analyse des fouilles archéologiques des sites de cette région, et à partir du IVe millénaire av. J.-C. par des textes écrits essentiellement sur des tablettes d'argile, la Mésopotamie étant l'une des premières civilisations à inventer l'écriture, avec l’Égypte antique.

Les premiers villages de Mésopotamie apparaissent dans le Nord au début du néolithique, même si la région est un espace de diffusion de la domestication des plantes et des animaux et non pas un de ses foyers, qui se situent alors surtout dans l'Anatolie du sud-est et au Levant. Cependant dès le VIIe millénaire av. J.-C. elle voit le développement de cultures dynamiques, voyant l'expansion progressive des villages agricoles dans toute la Mésopotamie : la culture de Hassuna (v. 6500-6000 av. J.-C.), la culture de Samarra (v. 6200-5700 av. J.-C.) et la culture de Halaf (v. 6100-5200 av. J.-C.) au Nord et au Centre, et la culture d'Obeïd (v. 6200-3900 av. J.-C.) qui voit l'essor du Sud, et exerce une influence importante sur le Nord.

La période d'Uruk (v. 3900-3000 av. J.-C.) voit l'évolution des sociétés mésopotamiennes se poursuivre vers des communautés plus intégrées politiquement et socialement, et culmine dans sa dernière phase, l'Uruk récent (v. 3400-3000) avec l'apparition de constructions politiques que l'on peut caractériser comme des États, et d'agglomérations qui peuvent être qualifiées de villes, en premier lieu Uruk. Cette époque voit également l'apparition de l'écriture, sans doute sur ce dernier site, et la Basse Mésopotamie, reposant sur une agriculture irriguée très productive, joue un rôle de région motrice, influençant de façon marquée ses voisines, notamment la Haute Mésopotamie.

Le IIIe millénaire av. J.-C. voit la civilisation urbaine du Sud mésopotamien poursuivre son essor. Cette région est alors occupée par deux groupes principaux, ceux parlant le sumérien, une langue sans parenté connue, et ceux parlant l'akkadien, une langue sémitique. Elle est divisée en un ensemble de petites entités politiques que l'on désigne couramment comme des « cités-États » (Uruk, Ur, Lagash, Umma, Kish, etc.), qui sont unifiées à deux reprises à la fin du millénaire par deux « empires » : l'empire d'Akkad (v. 2340-2190 av. J.-C.) et la troisième dynastie d'Ur (v. 2112-2004 av. J.-C.).

Le début du IIe millénaire av. J.-C. est marqué par la création de dynasties dans toute la Mésopotamie (et la Syrie) par des rois amorrites (Isin, Larsa, Eshnunna, Mari, Yamkhad, etc.). Cette période de grande fragmentation politique prend fin avec la brève unification de la région par Babylone au milieu du XVIIIe siècle av. J.-C. Après une période obscure mal documentée au milieu du IIe millénaire av. J.-C., de nouveaux royaumes, plus vastes que les précédents, se partagent la Mésopotamie : au sud les Kassites régnant depuis Babylone, et au Nord le Mittani puis l'Assyrie.

La fin du IIe millénaire av. J.-C. est une nouvelle période de crise au Moyen-Orient, avec l'effondrement des grands royaumes et l'arrivée de nouvelles populations, en premier lieu les Araméens qui investissent aussi bien la Haute que la Basse Mésopotamie au début du Ier millénaire av. J.-C. Les souverains d'Assyrie parviennent néanmoins à les soumettre et à étendre leur domination sur les régions voisines, y compris la Babylonie, constituant le premier empire couvrant une majeure partie du Moyen-Orient. Ils sont néanmoins renversés à la fin du VIIe siècle av. J.-C. par les Mèdes et les Babyloniens, ces derniers constituant un nouvel empire, qui s'effondre rapidement, vaincu et remplacé par celui des Perses achéménides en 539 av. J.-C.

Durant les siècles de l'Antiquité classique et tardive, la Mésopotamie est dominée par des empires fondés par des dynasties étrangères : les Perses achéménides d'abord (539-330 av. J.-C.), puis les Grecs séleucides qui succèdent aux conquêtes d'Alexandre le Grand (330-141 av. J.-C.), ensuite les Parthes arsacides (-) et les Perses sassanides (224-). Si la Basse Mésopotamie reste une région riche dans ces empires, en revanche la fin des royaumes proprement mésopotamiens signe la fin de l'antique culture mésopotamienne qui disparaît durant ces siècles, avec son écriture cunéiforme caractéristique, et est largement effacée des mémoires jusqu'à sa redécouverte au XIXe siècle.

La reconstitution de l'histoire mésopotamienne[modifier | modifier le code]

Sources utilisées[modifier | modifier le code]

Photographie aérienne du quartier sacré d'Ur (site de Tell al-Muqayyar) à la période des fouilles britanniques, 1927.

Les sources permettant de reconstruire l'histoire de la Mésopotamie antique proviennent pour la grande majorité des fouilles des sites archéologiques de cette région, qui ont débuté à partir du milieu du XIXe siècle et se sont prolongées depuis, quoique très difficilement dans les décennies récentes en raison des troubles politiques affectant l'Irak depuis 1991, et la Syrie (dont la partie orientale correspond à la moitié ouest de la Haute Mésopotamie) depuis 2011[1]. Les fouilles des sites mésopotamiens se sont avant tout concentrées sur les phases historiques antiques (du IIIe millénaire av. J.-C. au Ier millénaire av. J.-C.), secondairement les périodes protohistoriques, et beaucoup moins les phases de l'Antiquité récente et tardive. Elles ont avant tout porté sur les secteurs monumentaux des grandes cités antiques (temples et palais) et également à plusieurs reprises sur des espaces résidentiels, tandis que plusieurs prospections archéologiques ont étudié les phases d'occupation antiques de différentes régions de l'ancienne Mésopotamie. En revanche l'étude des secteurs résidentiels et des modes de vie des gens du commun n'a surtout été conduite à partir des années 1970-1980. Il en résulte que, en plus d'être essentielles dans la reconstitution de la chronologie de la Mésopotamie antique, les données archéologiques sont en particulier mobilisées pour analyser les expressions architecturales et artistiques des différentes organisations politiques de cette civilisation, mais aussi dans plusieurs cas la vie quotidienne des anciens Mésopotamiens, surtout dans le milieu des élites urbaines[2].

Tablette cunéiforme : acte de vente d'un esclave et d'une maison à Shuruppak, v. 2600 av. J.-C. musée du Louvre.

L'étude des dizaines de milliers de documents cunéiformes exhumés sur les sites archéologiques par les archéologues (et des fouilleurs clandestins) depuis le début des fouilles en Mésopotamie et le déchiffrement de l'écriture cunéiforme a permis de reconstituer plus précisément l'histoire de cette région, fournissant une matière considérable à étudier pour les assyriologues, historiens spécialistes de la Mésopotamie antique[3]. Les textes cunéiformes se regroupent en diverses catégories, très inégalement réparties en nombre, dont la composition varie également selon les époques[4]. Les plus nombreux, et de loin, sont les documents de la pratique issus des bureaux des institutions (palais ou temples) ou de familles, qui sont le plus souvent des textes administratifs (enregistrement de la circulation de produits, affectation de travailleurs, etc.), et aussi des textes juridiques (contrats de vente, location, prêt, mariage, etc.), et parfois des textes de correspondance privée ou officielle, diplomatique. Les textes de nature « littéraire », « religieuse » ou « scientifique » sont souvent des textes rédigés ou employés par des apprentis scribes dans un contexte scolaire. Néanmoins certains fonds de tablettes des périodes récentes, trouvés au sein d'institutions religieuses ou de maisons de prêtres, peuvent être considérés comme des bibliothèques. Enfin sont connus des textes commémoratifs servant à glorifier et préserver le souvenir des hauts faits du roi, comme les inscriptions rapportant la construction ou la restauration d'un édifice, des batailles victorieuses, ou bien des hymnes à la gloire du roi, ainsi que des chroniques historiques et listes dynastiques qui sont très appréciables pour reconstituer la chronologie événementielle.

La répartition des textes connus dans l'espace et dans le temps est très irrégulière, certaines régions et périodes étant très bien documentées par des textes alors que d'autres le sont très peu[5]. On dispose par exemple de près de 100 000 tablettes administratives datant de la troisième dynastie d'Ur[6] (2100-2000), mais celles-ci ne proviennent guère que de sept sites archéologiques différents, et datent essentiellement de la fin du règne de Shulgi et des règnes de Amar-Sîn et Shu-Sîn, c'est-à-dire réparties sur une quarantaine d'années alors que la dynastie a été au pouvoir pendant un siècle[6]. De même, aucun des textes décrivant l'époque du règne de Hammurabi ne proviennent de Babylone qui était pourtant sa capitale ; en effet le niveau archéologique du site de Babylone remontant à cette époque est aujourd'hui situé sous une nappe phréatique[7]. Les origines du royaume Mittani sont également rendues obscures par l'absence de documentation écrite[8]. Les tablettes d'argile se conservent bien mieux que tout autre support dans le climat de la région, ce qui biaise par exemple la compréhension que l'on a de l'époque hellénistique durant laquelle les documents administratifs étaient rédigés en grec sur parchemin, alors que seuls certains étaient par la suite traduits en akkadien sur des tablettes cunéiformes à des fins d'archivage[9]. De plus de nombreuses tablettes sont issues de fouilles clandestines, ce qui rend leur traçabilité difficile et empêche de connaître le contexte archéologique dans lequel elles se trouvaient[6].

La reconstitution de l'histoire de la Mésopotamie ancienne s'est donc dès le début répartie entre d'un côté les archéologues et historiens de l'art, et de l'autre les philologues/épigraphiques et historiens spécialisés dans l'étude des textes, peu nombreux étant les chercheurs qui ont des formations dans les deux domaines, ou bien ceux qui combinent les deux approches de façon poussée[10]. Néanmoins ce type de démarche s'est développé récemment, notamment parce que les progrès des analyses anthropologiques, sociologiques et environnementales dans l'archéologie mésopotamienne les rendent indispensables pour analyser l'histoire de la région. Ce type d'approche a permis de donner des synthèses de qualité sur la société et l'économie de la Mésopotamie antique[11]. De plus l'analyse du contexte archéologique de découverte des lots de tablettes (qui sont une forme de matériel archéologique) est de plus en plus prise en considération par les assyriologues (quand cela est possible)[12]. Selon D. Charpin « en réalité, il n'y a qu'un domaine, celui de l'histoire, abordé par des documents écrits, ou par des vestiges matériels[13]. »

Périodisations[modifier | modifier le code]

Le découpage de l'histoire mésopotamienne en périodes de plusieurs siècles reprend des classifications propres à cette région, mais aussi d'autres partagées avec le reste du Proche-Orient ancien. La situation est complexifiée par les débats sur la chronologie relative (voir plus bas), l'existence de périodisations concurrentes et divergentes chronologiquement, et le fait que le Nord et le Sud de la Mésopotamie partagent rarement les mêmes destinées et n'ont donc pas une périodisation identique.

Le découpage reposant sur les données archéologiques, découlant de la vieille théorie des « âges » de pierre et de métal est le plus englobant, il est courant et partagé avec les régions voisines : au Paléolithique succède le Néolithique (v. 10000-5000), puis à l'âge du cuivre (ou Chalcolithique) succèdent l'âge du bronze (v. 3400-1200) et l'âge du fer (v. 1200-500). Ce découpage, repris de l'étude de la Préhistoire européenne (où l'écriture n'apparaît que dans le courant de l'âge du fer), vaut surtout en Mésopotamie pour les phases de la Haute Antiquité car l'écriture y apparaît au début de l'âge du bronze et permet donc l'établissement de périodisations « historiques ». La notion d'âge du bronze, avec ses subdivisions en âge du bronze ancien (v. 3400-2000), âge du bronze moyen (v. 2000-1500) et âge du bronze récent (v. 1500-1200), est néanmoins très courante dans les études sur le Proche-Orient ancien, en revanche leurs subdivisions (ex. Bronze ancien I, II, III et IV) le sont moins, en particulier pour la Mésopotamie où la chronologie est affinée en fonction des données écrites. Les découpages archéologiques en fonction des cultures régionales sont employés pour les périodes protohistoriques de l'histoire mésopotamienne ; ils reposent sur un site témoin donnant le nom à la période/culture (Hassuna, Halaf, Samarra, Obeïd, Uruk). Le découpage proprement « historique » peut être employé à partir de la seconde moitié du IIIe millénaire av. J.-C., qui voit le développement des sources textuelles permettant de connaître l'histoire événementielle, autour d'entités politiques dont la terminologie est reprise de l'Antiquité (Akkad, Ur III, Isin-Larsa, Babylone I, etc.), la période des dynasties archaïques (v. 2900-2340) restant définie par des critères archéologiques. Ces dernières périodes sont déterminées à partir de la situation en Basse Mésopotamie, qui est traditionnellement au centre des études sur la Mésopotamie antique, mais elle n'est pas vraiment applicable aux régions du Nord, qui suivent souvent des trajectoires propres. À partir du IIe millénaire av. J.-C. se trouve en revanche une périodisation autour de la division de la Mésopotamie entre Babylone et l'Assyrie (ou plus exactement le Sud et le Nord), reprenant une terminologie linguistique : période paléo-babylonienne (v. 2000-1500), période médio-babylonienne (v. 1500-1000), période néo-babylonienne (v. 1000-539) ; période paléo-assyrienne (rarement étendue au reste du Nord), période médio-assyrienne (v. 1400-911), période néo-assyrienne (911-609). Les phases tardives sont définies en fonction des empires dominants (Perses achéménides, Séleucides, Parthes), ou bien de la notion de « période hellénistique » pour la période de domination grecque[14].

Pour ce qui est du cadre chronologique, l'étude de l'art et de l'archéologie du Proche-Orient ancien débute avec la période dite épipaléolithique (v. 12000-10000) marquant la transition du Paléolithique final vers le Néolithique. L'étude « historique » reposant sur les textes débute avec l'apparition de l'écriture aux alentours de 3400-3200. La « fin » du Proche-Orient ancien et de la Mésopotamie antique ne fait en revanche pas l'objet d'un consensus : l'approche la plus courante[15] est de s'arrêter à la fin de l'empire achéménide en 330, en considérant que la conquête d'Alexandre le Grand et le début de la période hellénistique est un tournant à partir duquel les civilisations du Moyen-Orient sont à étudier dans un autre cadre, suivant l'approche traditionnelle qui laissait l'étude de la période hellénistique aux seuls spécialistes d'histoire grecque, approche désormais contestée ; de ce fait des historiens prolongent l'analyse de la civilisation mésopotamienne jusqu'à la fin de la documentation cunéiforme sous les Parthes[16] et des spécialistes de l'art et de l'archéologie du Proche-Orient ancien poussent jusqu'à la même période, voire jusqu'à l'Antiquité tardive (donc jusqu'à la conquête islamique)[17].

Le tableau suivant présente les grandes phases historiques de la Mésopotamie antique (les dates des « âges » sont approximatives, et la chronologie moyenne est retenue pour les phases historiques anciennes)[18] :

Age du Bronze
(3400 - 1200 av. J.-C.)
Age du Bronze ancien
(3400 - 2000 av. J.-C.)
3400 - 3000 av. J.-C. Période d'Uruk récent (v. 3400 - 3000 av. J.-C.)
3000 - 2700 av. J.-C. Période de Djemdet-Nasr (v. 3000-2900 av. J.-C.) Période des dynasties archaïques I (v. 2900 - 2700 av. J.-C.) (Sud et Diyala) / Ninivite 5 et Early Jezireh I (Nord)
2700 - 2300 av. J.-C. Période des dynasties archaïques II et III (v. 2700 - 2600 et 2600 - 2340 av. J.-C.) (Sud) / Early Jezireh II et III (Nord)
2300 - 2000 av. J.-C. Empire d'Akkad (v. 2340 - 2190 av. J.-C.), Troisième dynastie d'Ur (2112 - 2004 av. J.-C.) (Sud) / Early Jezireh IV (et parfois V) (Nord)
Age du Bronze moyen
(2000 - 1500 av. J.-C.)
2000 - 1800 av. J.-C. Période d'Isin-Larsa (Sud) / Période paléo-assyrienne (Nord)
1800 - 1600 av. J.-C. Première dynastie de Babylone
1600 - 1500 av. J.-C. Première dynastie du Pays de la Mer, Dynastie kassite de Babylone (Sud)
Age du Bronze récent
(1500 - 1200 av. J.-C.)
1500 - 1350 av. J.-C. Dynastie kassite de Babylone (Sud) / Mittani (Nord)
1350 - 1200 av. J.-C. Dynastie kassite de Babylone (Sud) / Royaume médio-assyrien (Nord)
Age du Fer
(1200 - 500 av. J.-C.)
Age du Fer I
(1200 - 900 av. J.-C.)
1200 - 1150 av. J.-C. Dynastie kassite de Babylone (Sud) / Royaume médio-assyrien (Nord)
1150 - 900 av. J.-C. Dynasties post-kassites (Sud) / Royaume médio-assyrien (Nord) / « invasions » araméennes (Nord et Sud)
Age du Fer II
(900 - 700 av. J.-C.)
900 - 700 av. J.-C. Empire néo-assyrien (911 - 609 av. J.-C.)
Age du Fer III
(700 - 500 av. J.-C.)
700 - 500 av. J.-C. Empire néo-babylonien (626 - 539 av. J.-C.)
Périodes tardives
(500 av. J.-C. - 224 ap. J.-C.)
Empire achéménide 539 – 330 av. J.-C.
Période hellénistique 330 - 141 av. J.-C. Alexandre le Grand, Séleucides (311-141)
Empire parthe 141 av. J.-C. - 224 ap. J.-C. Osroène, Adiabène, Characène, Hatra

Datations[modifier | modifier le code]

L'histoire de la Mésopotamie s'étendant sur plus de trois millénaires, la précision des datations des différents événements de son histoire est variable et sujette, pour certaines périodes, à un manque de documentation. Pour dater un fait historique, deux approches sont possibles : la datation absolue qui donne l'année de l'événement par rapport aux calendriers actuels et la datation relative qui ordonne chronologiquement les événements les uns par rapport aux autres sans pouvoir donner la date d'un seul d'entre eux, par exemple via des listes de successions des différents règnes des rois d'une région donnée.

Les historiens disposent d'une chronologie absolue pour les événements postérieurs à l'année 911 grâce à deux corpus de sources se chevauchant : la Liste royale assyrienne donne ainsi une chronologie assurée allant de 911 à 610 tandis que le Canon de Ptolémée couvre la période allant de 626 à 126, date à laquelle l'abondance de sources permet une bonne synchronisation avec toutes les civilisations voisines, avant tout la Grèce. En revanche, la détermination d'une chronologie pour les périodes antérieures est plus problématique, car elles sont marquées par deux phases importantes durant lesquelles il n'y a pas de continuité documentaire, et du reste très peu de documentations, considérées comme des « âges obscurs ». La première phase obscure est la période de « crise » qui affecte le Moyen-Orient entre la fin du IIe millénaire av. J.-C. et le début du Ier millénaire av. J.-C., la transition entre le Bronze récent et les premières phases de l'âge du fer. De ce fait, les événements situés entre 1500 et 1000 av. J.-C. sont datés approximativement, mais néanmoins la datation absolue de cette période ne provoque pas d'importants débats et est considérée comme relativement assurée. En revanche, la période obscure qui couvre en gros les siècles du milieu du IIe millénaire av. J.-C. est bien plus problématique, et pour les phases antérieures les approximations de la chronologie sont plus importantes, même si la durée des événements allant de la fin du dynastique archaïque jusqu'à la fin de la première dynastie de Babylone prête moins à débat, quoi qu'il y ait des discussions sur la durée de la période séparant la chute de l'empire d'Akkad et le début de la troisième dynastie d'Ur. Le principal débat est donc de dater les événements accompagnant la chute de la première dynastie Babylone qui ouvre cette période obscure en déterminant l'écart les séparant de la mise en place des dynasties du Bronze récent (Kassites et Mittani). Un point d'ancrage utilisé consiste en des observations astronomiques effectuées durant le règne d'Ammi-ṣaduqa, une quarantaine d'années avant la chute de Babylone, notamment des occultations de Vénus. Ces observations sont parvenues jusqu'à nous grâce à une recopie effectuée au VIIe siècle av. J.-C., cependant leur interprétation n'est pas univoque et plusieurs chronologies ont été inférées à partir de celles-ci[19] :

Chronologie Troisième dynastie d'Ur Règne de Hammurabi Année 8 d'Ammi-ṣaduqa Chute de Babylone
Ultra-Basse 2018–1911 av. J.-C. 1696–1654 av. J.-C. 1542 av. J.-C. 1499 av. J.-C.
Basse 2048–1940 av. J.-C. 1728–1686 av. J.-C. 1574 av. J.-C. 1531 av. J.-C.
Moyenne 2112–2004 av. J.-C. 1792–1750 av. J.-C. 1638 av. J.-C. 1595 av. J.-C.
Haute 2161–2054 av. J.-C. 1848–1806 av. J.-C. 1694 av. J.-C. 1651 av. J.-C.

La chronologie moyenne est la plus couramment utilisée depuis les années 1950 (et elle est suivie ici). Sa formulation « classique » a été donnée par J. A. Brinkman en 1977[20]. Des études reposant sur la datation absolue au carbone 14 ou la dendrochronologie tendent à favoriser la chronologie moyenne, mais celle-ci ne fait pas consensus. La chronologie basse a longtemps été la principale alternative, et la chronologie ultra-basse a connu une mise en avant à la fin des années 1990, surtout à partir d'analyses archéologiques[21].

Pour ce qui est de la datation des périodes antérieures au milieu du IIIe millénaire av. J.-C., pour lesquelles il n'y a pas de documentation textuelle permettant de proposer une datation précise, les datations sont encore plus approximatives[22]. Certains événements peuvent également être synchronisés à l'histoire d'autres régions du monde, c'est notamment le cas de la destruction d'Ebla, dont on sait qu'elle a lieu durant le règne de Pépi Ier, pharaon de la VIe dynastie[23].

Les datations pour les phases protohistoriques reposent sur la datation absolue au carbone 14 calibrée, secondairement sur la dendrochronologie[24].

Tendances longues et discontinuités[modifier | modifier le code]

Le roi assyrien Teglath-Phalasar III (745-727 av. J.-C.) recevant l'hommage de ses sujets. Bas-relief de Nimroud. Detroit Institute of Arts.

L'approche évolutive (diachronique) de l'histoire de la Mésopotamie antique révèle en particulier les évolutions sur le très long terme des formes d'organisation politique et sociale, de plus en plus intégrantes, depuis les sociétés sans État jusqu'aux empires, et c'est cette approche qui domine les synthèses sur l'histoire de la Mésopotamie et plus largement du Proche-Orient ancien, perçus comme des civilisations des « origines » de l’État, de la ville, de l'administration, de l'impérialisme, de l'écriture[25]. Si la protohistoire voit la mise en place d'entités politiques caractérisées comme des « chefferies », la période d'Uruk voit l'apparition des premiers États, puis la fin du IIIe millénaire av. J.-C. des premiers États territoriaux unifiant la quasi-totalité de la Mésopotamie (les « premiers empires ») et enfin le Ier millénaire av. J.-C. est marqué par les grands empires étendant progressivement leur domination à tout le Moyen-Orient. Quoi qu'il en soit de la recherche des causes de ces différentes évolutions, très discutées, l'étude de l'histoire mésopotamienne est donc largement marquée par l'analyse de ces premières formes d’États et d'empires, les questionnements sur leur nature, leur idéologie et pratiques politiques, notamment leurs entreprises guerrières et pratiques diplomatiques, les rapports entre le centre et les périphéries de ces entités politiques, et plus largement leurs aspects sociaux et économiques[26].

Ruines du site de Tell Halaf, qui a connu plusieurs phases d'occupation et d'abandon entre le néolithique et l'âge du Fer.

En contrepartie, l'histoire du Proche-Orient ancien est aussi caractérisée par la récurrence de discontinuités, des phases de crises profondes et de déclin (voire des « effondrements ») qui affectent plus largement toutes les activités des sociétés. Celles-ci surviennent après l'effondrement d'entités politiques nombreuses et/ou puissantes, notamment à la fin de la période d'Uruk final (v. 3000-2900) et à la fin du Bronze récent (v. 1200-900) pour des phénomènes généralisés à toute la Mésopotamie et au Proche-Orient, ou bien plus spécifiquement en Basse Mésopotamie lors du déclin et après la chute de la première dynastie de Babylone (v. 1700-1500) et en Haute Mésopotamie après la chute de l'empire assyrien (v. 600-400). Ces périodes sont caractérisées par un reflux de l'habitat urbain et l'abandon de nombreux sites, parfois des réorganisations de la distribution de l'habitat, un déclin des institutions et élites urbaines qui se traduit par une très forte diminution ou la disparition de la documentation écrite, et sont de ce fait les périodes les moins documentées de l'histoire mésopotamienne, caractérisées comme des « âges obscurs » (similaires aux « périodes intermédiaires » égyptiennes), temps troublés politiquement, sans doute aussi marqués par des crises économiques. En revanche elles affectent sans doute moins la vie des communautés rurales, sauf s'il s'agit de temps de forte insécurité[27]. Le recul de l'espace habité en permanence pourrait par ailleurs refléter une plus grande importance des populations nomades ou semi-nomades à ces époques, mais celles-ci étant difficilement traçables par l'archéologie ce phénomène est difficile à appréhender, quoique les textes décrivent à plusieurs reprises l'importance de groupes nomades durant ces périodes (Amorrites à la fin du Bronze ancien et Araméens à la fin du Bronze récent). Il peut en résulter, notamment pour l'âge du Bronze ancien, une approche cyclique des organisations politiques[28], connaissant un apogée suivi d'un déclin imputé à des contradictions internes ou des facteurs externes. Les causes invoquées sont là encore diverses et débattues, et on met en avant tantôt un facteur unique ou du moins majeur, tantôt un faisceau de causes : fragilités et blocages de l'organisation institutionnelle et sociale, défaites militaires et destructions, paradigme de l'invasion de peuples barbares venus de l'extérieur, de plus en plus des épisodes climatiques, etc. Si dans le détail chaque effondrement peut avoir ses propres explications, ceux qui prennent en compte l'aspect cyclique de ces dynamiques mettent en avant des traits récurrents, comme le fait que les arrière-pays ruraux ne seraient pas en mesure de supporter le fardeau que représente l'alimentation de grandes agglomérations plus d'un certain laps de temps, à moins d'une intensification agricole permettant d'éloigner le risque de surexploitation[29]. Ces effondrements peuvent alors être vus comme des phénomènes inhérents aux constructions étatiques antiques. Ce sont des contreparties à leurs phases d'expansion qui sont souvent rapides, même s'il ne faut pas pour autant les prendre pour des fatalités inexorables. Ils mettent en évidence leurs fragilités internes, en particulier leurs inégalités sociales, et aussi selon N. Yoffee le fait que ceux qui les administraient le faisaient en ne les comprenant au mieux qu'à moitié, avec une forme de maladresse. D'un autre point de vue, pour les périodes historiques archaïques ce serait donc plutôt la présence d'États et de grandes villes qui serait une anomalie, que leur absence. Et les effondrements sont aussi des temps de réorganisation sociale, avant tout de modification de la structure des élites, et de compétition accrue portant en germe l'apparition de nouvelles opportunités politiques et d'un nouvel ordre socio-économique. Il s'agit en tout cas de périodes cruciales pour comprendre la nature des sociétés de la Mésopotamie antique[30].

Tablette en écriture pictographique linéaire (« précunéiforme »), datée des débuts de l'écriture, époque d'Uruk III, fin du IVe millénaire av. J.-C. Musée du Louvre.

Les évolutions sur le long terme sont également visibles dans le domaine des techniques et savoirs, comme cela a depuis longtemps été mis en évidence par les considérations sur les « âges » des techniques, renvoyant à l'idée de « progrès ». La séquence âge du Bronze-âge du Fer reste structurante pour la périodisation du Proche-Orient ancien, même si dans les faits le travail de ces métaux ne devient que tardivement répandu durant l'âge auquel ils ont donné leur nom. Ces évolutions se déroulent sur une très longue durée mais voient des périodes de changements plus marqués. La « révolution néolithique » qui voit la domestication des plantes et des animaux, donc le début de l'agriculture et de l'élevage, et la sédentarisation avec la construction des premiers villages ; puis dans la phase suivante la céramique apparaît, puis l'irrigation et les premières expériences de métallurgie du cuivre (chalcolithique). La « révolution urbaine » du début de l'âge du Bronze est notamment marquée par l'apparition de la poterie au tour, des alliages métalliques (notamment le bronze), de la roue, de l'araire, de l'écriture, dans un contexte d'intensification du travail (développement de la standardisation dans la production artisanale, exploitation de la force animale). L'époque de la fin de l'âge du Bronze et du début de l'âge du Fer (tournant des IIe millénaire av. J.-C. et Ier millénaire av. J.-C.) voit la diffusion de la métallurgie du fer, de l'artisanat des matières vitreuses (céramiques à glaçure et verre) et de l'alphabet[31].

Les analyses diachroniques sur le long terme sont en revanche moins évidentes dans les domaines de l'histoire démographique, économique, religieuse ou intellectuelle, et l'impression de stagnation peut ressortir des études sur l'histoire mésopotamienne[32]. Cela est largement dû au fait que ces phénomènes sont plus difficiles à étudier sous cet angle. La documentation cunéiforme est très irrégulièrement distribuée dans l'espace et le temps, documentant bien certains lieux et périodes, et uniquement certains aspects de la vie des gens de ceux-ci, tandis que beaucoup d'autres sont laissés dans l'obscurité documentaire, en raison des aléas des trouvailles lors des fouilles, laissant beaucoup de questions sans réponse en raison des possibilités de phénomènes non documentés. Mais dans une certaine mesure les trouvailles de tablettes sont aussi révélatrices d'évolutions historiques : par exemple la masse documentaire considérable datée de la période d'Ur III est due à ses tendances bureaucratiques, et l'essor de la documentation privée à partir du IIe millénaire av. J.-C. est sans doute lié à un phénomène d'affirmation des acteurs privés de l'économie. Du reste beaucoup d'évolutions semblent liées à des facteurs politiques, et sont affectées par les phases de déclin qui induisent un reflux suivi d'une reprise sans empêcher des continuités. Les recherches sur la nature de l'économie mésopotamienne concernent ainsi avant tout des questionnements structurels comme le rôle des institutions et des différents acteurs économiques ou l'importance ou non des mécanismes de marché (débat entre modernistes et substantivistes), plutôt qu'une éventuelle croissance économique, approchée par un nombre limité de chercheurs (surtout des modernistes plaidant en faveur d'une économie plus monétisée et en croissance pour le Ier millénaire av. J.-C.) et jugée peu probable par d'autres[33]. Les prospections archéologiques régionales, en particulier dans le Sud mésopotamien, ont néanmoins donné lieu à des tentatives intéressantes d'analyse diachronique dans le domaine démographique et économique (quoique limitées par les difficultés de ce type d'exercice), mettant en évidence des tendances de long terme, notamment les diverses discontinuités que sont les périodes de reflux d'occupation correspondant sans doute à des crises démographiques, aussi une tendance à la ruralisation de l'habitat au cours du IIe millénaire av. J.-C., et un essor considérable de l'espace occupé durant l'Antiquité récente et tardive[34]. Tracer une histoire religieuse et intellectuelle peut se faire en prenant notamment en compte la distribution de la documentation savante, et il a été tenté de mettre en évidence des évolutions marquantes dans le panthéon et certaines croyances religieuses[35] ou encore la rédaction et l'étude des textes littéraires[36].

Il est donc possible de reconnaître dans l'histoire du Proche-Orient ancien comme le fait M. Liverani des tendances de long terme vers un « élargissement de l'échelle des unités politiques, l'amélioration des technologies de production (et aussi de destruction), l'élargissement des horizons géographiques, et aussi le rôle croissant des individualités » tout en identifiant « une séquence cyclique de croissance et d'effondrement » qui crée des discontinuités[37].

Les premiers villages mésopotamiens[modifier | modifier le code]

Les premières communautés villageoises apparaissent au Proche-Orient ancien au Néolithique, à partir de la fin de la dernière période glaciaire et au début de l'Holocène. Cette longue phase de transition entre des sociétés de chasseurs-cueilleurs vivant par la « prédation » et des sociétés d'agriculteurs-éleveurs subsistant essentiellement par leur production se déroule en plusieurs phases :

  • la période dite de l'Épipaléolithique final, vers 15000-10000 av. J.-C., voit le début de la sédentarisation au Levant (le Natoufien), avec l'apparition des premiers villages permanents, mais la plupart des habitats du Moyen-Orient restent saisonniers ; il n'y a pas de domestication des plantes et des animaux ;
  • les périodes du Néolithique dites pré-céramiques ou acéramiques, vers 10000-7000 av. J.-C., voient le début de l'agriculture et de l'élevage, l'expansion de l'habitat sédentaire et l'apparition d'une architecture communautaire, mais la poterie n'y apparaît pas ;
  • les phases du Néolithique céramique et les premières phases de l'« âge du cuivre » ou Chalcolithique (v. 7000-4500 av. J.-C.) voient une expansion de l'habitat villageois, l'apparition de l'artisanat de la poterie, le développement de l'agriculture avec la mise au point de l'irrigation, puis les premiers développements de la métallurgie, et les sociétés sont peu inégalitaires.

En Mésopotamie, ces périodes sont surtout attestées au Nord et au Centre, car les sites protohistoriques de la Basse Mésopotamie à l'époque sont difficiles à appréhender en raison des évolutions physiques de la région, sous l'effet du dépôt d'alluvions par les fleuves (à son extrême-Sud, il s'agit d'un delta) qui ont pu entraîner une forte sédimentation, tandis que le littoral a également été modifié par la remontée des eaux lors de la transgression postglaciaire qui se produit à cette période. Les sites anciens de la région sont donc enfouis sous le limon ou les eaux maritimes[38].

Les prémices du Néolithique[modifier | modifier le code]

Carte de localisation des principaux sites du Néolithique acéramique de Mésopotamie et du Zagros.

L'Épipaléolithique final (v. 15000-10000) de l'Irak correspond à la culture de Zarzi qui couvre le Kurdistan irakien avec les grottes de Zarzi, Palegawra, Shanidar B2 puis B1 et Zawi Chemi, et aussi le Zagros occidental. Ces sites sont des campements saisonniers généralement sous abri et sans construction pérenne (sauf une énigmatique construction circulaire à Zawi Chemi à la toute fin de la période), occupés par des groupes pratiquant la chasse et la cueillette à large spectre et utilisant un outillage varié, notamment des microlithes de formes géométriques et des haches polies[39].

Le Néolithique débute au Nord du Levant et dans le sud-est de l'Anatolie autour de 10000-9000 av. J.-C. (néolithique précéramique A)[40] ; à l'est, la région du Zagros semble également connaître des évolutions similaires à la même période[41]. En l'état actuel des connaissances, limitées au regard du peu de fouilles archéologiques, en particulier dans la plaine alluviale mésopotamienne où elles sont de toute manière rendues difficiles par les conditions écologiques, les expérimentations du début du Néolithique ne semblent pas concerner l'espace mésopotamien à proprement parler, qui ne serait alors pas un des foyers de néolithisation mais un espace de diffusion de ce processus[42]. Nombre de sites représentatifs des débuts du Néolithique sont situés sur ses franges dans la région du Moyen Euphrate (en particulier Mureybet, Abu Hureyra, Jerf el Ahmar, Dja'de), qui présentent des habitats sédentaires permanents avec des bâtiments communautaires. Ces groupes humains entament sans doute les expérimentations décisives devant conduire à la domestication des plantes et des animaux, évolutions qui sont attestées avec certitude pour la période en Syrie du Nord et sur les piémonts du Taurus, autour de 9000/8500-7000 av. J.-C. (néolithique précéramique B : Çayönü, Cafer Höyük, Mureybet, Abu Hureyra), également dans le Zagros occidental (Ganj Dareh, Chogha Golan, Sheikh-e Abad, Jani).

C'est durant le Xe millénaire av. J.-C. que se produit la transition entre l'Épipaléolithique et le Néolithique, et que datent les premiers villages connus de l'Irak du Nord, situés à la jonction des contreforts du Zagros et de la steppe nord-mésopotamienne : M'lefaat, Qermez Dere, Nemrik, puis Magzalia. Il s'agit de petits établissements dont les habitants s'adonnent à la chasse et à la cueillette, puis adoptent progressivement l'agriculture et l'élevage, présentant des affinités avec les cultures contemporaines du Nord-Levant et du Zagros[43].

L'essor des communautés agricoles[modifier | modifier le code]

Jarre sans décor provenant de Jarmo, v. 5800 av. J.-C.Musée de Souleimaniye.

Les périodes du Néolithique céramique (v. 7000-5000 av. J.-C.) voient les communautés agricoles occuper de plus en plus l'espace mésopotamien. Les premiers sites néolithiques disposant de matériel céramique datent des alentours de 7000-6500 av. J.-C., la phase « proto-Hassuna » (Sekar el-Aheimar, Yarim Tepe, Tell Hassuna). Jarmo, situé dans les hauteurs du Kurdistan irakien, présente aussi un témoignage de l'apparition de la poterie. Son usage se répand très rapidement. Le principal site des débuts du VIIe millénaire av. J.-C. dans les régions basses de la Haute Mésopotamie est Umm Dabaghiyah, village constitué de plusieurs maisons rectangulaires situé dans un espace de steppe, ayant des similitudes avec les sites contemporains de l'Euphrate syrien, notamment Bouqras[44].

La période de Hassuna (v. 6500-6000 av. J.-C.), qui tire son nom d'un site voisin de Mossoul, couvre le Nord mésopotamien depuis le Kurdistan jusqu'à l'Euphrate. Les sites de la période (Hassuna, Yarim Tepe) comprennent les premières constructions en briques, ainsi que des fours de potiers plus importants qu'auparavant, des greniers collectifs[45]. Ils présentent dans leurs phases récentes l'évolution vers la culture de Samarra (v. 6200-5700 av. J.-C.), connue grâce aux sites de Tell es-Sawwan et Choga Mami en Mésopotamie centrale. Elle voit le développement d'une céramique peinte de grande qualité, de la brique moulée, d'une architecture de plan tripartite, et les premières attestations de la pratique de l'irrigation[46].

Le nord mésopotamien est quant à lui dans la mouvance de la culture de Halaf (v. 6100-5200 av. J.-C.), dont le cœur se situe dans la Haute Djézireh (sites de Tell Halaf, Tell Sabi Abyad, Chagar Bazar) et qui s'étend dans l'actuel Irak du Nord (sites de Ninive, Tepe Gawra, Arpachiyah, Yarim Tepe) et également en Syrie du Nord (Yunus Höyük) et dans le sud-est anatolien (Domuztepe). Elle est notamment caractérisée par sa céramique peinte à motifs géométriques qui se retrouve sur un vaste espace allant du Zagros jusqu'à la Méditerranée, ses constructions circulaires en pisé (caractérisées comme des « tholoi » par M. Mallowan), son utilisation de l'obsidienne (importée d'Anatolie orientale), ses figurines féminines en argile, et l'usage courant de sceaux[47],[48].

En Basse Mésopotamie contemporaine, le plus ancien village connu est Tell el-Oueili, documentant les prémices de la culture d'Obeïd (phase Obeïd 0, v. 6200-5900 av. J.-C.). Il dispose de grandes habitations et greniers, ses habitants pratiquaient l'agriculture irriguée ainsi que la pêche[49].

Le développement et la diffusion de la culture d'Obeïd[modifier | modifier le code]

La longue culture d'Obeïd (v. 6500-4000/3900), originaire du Sud mésopotamien, est le premier complexe culturel à englober à peu près toute la Mésopotamie. C'est une période d'abord caractérisée sur son site éponyme, situé à proximité d'Ur, et dont la périodisation repose avant tout sur les fouilles du secteur sacré d'Eridu (Tell Abu Sharein), ainsi que sur les découvertes d'Oueili pour ses débuts. Elle reste une société relativement égalitaire jusqu'aux alentours du début du Ve millénaire av. J.-C., quand commence sa période récente, qui voit une accélération de la complexification politique et sociale, sa période finale (v. 4500-4000) présentant même des traits « proto-urbains » (voir plus bas).

Les phases parfois désignées du nom des sites de Oueili, Eridu et Hajji Muhammad, vers 6500-5300 (ou phases d'Obeïd 0, 1 et 2), sont les plus anciennes pour laquelle une occupation soit connue en Basse Mésopotamie, témoins de la culture présentant des affinités avec celle de Samarra. La plupart des sites de cette période sont vraisemblablement enfouis sous les sédiments charriés par les cours d'eau ayant constitué le delta mésopotamien, et ne sont donc pas visibles en surface, ce qui explique pourquoi ils n'ont en général pas pu être repérés, à quelques exceptions près : Obeïd, Eridu et Oueili, également Hajji Muhammad et Ras al Amiya qui ont été découverts accidentellement lors de chantiers. La documentation sur cette période est donc très limitée. Le climat était alors apparemment plus humide que par la suite, l'extrême-sud étant sans doute une zone marécageuse avec des habitats situés de préférence sur buttes à l'écart des crues et des marées. L'agriculture irriguée est apparemment pratiquée dans cette région, même si elle ne nécessite sans doute pas des aménagements hydrauliques complexes. L'exploitation des ressources des marais et autres zones humides (poissons, roseaux) est un autre facteur majeur du développement des communautés humaines du Sud mésopotamien, qui les singularise par rapport au reste du Moyen-Orient. Sont également posées les bases de l'architecture mésopotamienne future avec l'essor des bâtisses de plan tripartite, organisées autour d'un espace central bordé sur deux côtés par des pièces secondaires. Si l'on trouve des structures collectives déjà présentes précédemment (greniers, sortes de maisons communautaires), une architecture monumentale (sacrée ou profane ?) semble émerger, en particulier durant la période Obeid 3 (v. 5300-4500), avec la séquence de temples mise au jour à Eridu ou encore le Bâtiment A de Tell Abada, site du Djebel Hamrin passé sous influence obéidienne. Les nécropoles de la période ne plaident cependant pas en faveur d'inégalités sociales marquées, quoique cette période semble bien voir une complexification professionnelle accrue, par exemple avec la présence d'espaces de potiers, et des innovations technologiques avec les premières attestations de poterie au tour pour le VIe millénaire av. J.-C.[50]

Dans le Nord, la seconde moitié du VIe millénaire av. J.-C. est marquée par une transition des cultures héritières de Samarra et de Halaf vers un matériel céramique et des bâtisses rectangulaires tripartites similaires à ceux de la culture méridionale d'Obeïd, qui connaît donc une expansion : s'ouvre alors la période l'« Obeïd du Nord » (v. 5200-3900). Les traits culturels obéidiens se retrouvent sur les principaux sites septentrionaux de la période : Arpachiyah et Tepe Gawra situés près de Mossoul, Tell Zeidan sur le Moyen Euphrate et jusqu'à Değirmentepe en Anatolie orientale, qui est par ailleurs un des sites témoins pour l'apparition de la métallurgie du cuivre à cette période. Cette expansion des traits culturels obéidiens a pu être diversement interprétée : l'explication par des migrations est abandonnée, on y voit plutôt la diffusion d'un système idéologique provenant du Sud, ou la preuve d'une plus grande intégration régionale[48]. En tout cas là encore les sociétés semblent peu hiérarchisées, jusqu'à la fin du Ve millénaire av. J.-C.[51]

L'émergence de l’État et des villes[modifier | modifier le code]

La période qui couvre la seconde moitié du Ve millénaire av. J.-C. et le IVe millénaire av. J.-C. voit un changement d'échelle dans les formes d'intégrations sociales et politiques, marquée par l'apparition des premiers États et des premières sociétés urbaines. Cette époque correspond à la période d'Obeïd finale (v. 4400-3900) et à la « période d'Uruk » (v. 3900-3000), tandis que pour le Nord on a pu proposer l'existence d'une « période de Gawra » grossièrement contemporaine (v. 3900-3000). Cette longue époque a une chronologie très discutée, et a été rassemblée dernièrement sous une désignation globale, celle de « chalcolithique tardif » (v. 4400-3100), lui-même subdivisé en cinq sous-périodes[52].

L'approche de la fin de la protohistoire du Proche-Orient ancien et de la Mésopotamie est marquée par la mise en évidence d'importantes évolutions politiques et sociales sur le très long terme. Ces analyses, en particulier celles reprenant les approches néo-évolutionnistes, mettent en avant une « complexification » des sociétés du Proche-Orient ancien qui constituent progressivement des formes d'intégration sociale de plus en plus hiérarchisées (tribu, clan, chefferie, État)[53]. Les sociétés de la fin du néolithique deviennent de plus en plus hiérarchisées socialement et politiquement, jusqu'à la constitution de « chefferies » au chalcolithique, puis l'apparition des premiers États et des premières villes dans la seconde moitié du IVe millénaire av. J.-C., organisés autour d'institutions prenant en charge le culte et les activités économiques les plus importantes (les « grands organismes »), cette phase étant également marquée par l'apparition de l'écriture.

Chefferies et proto-urbanisme[modifier | modifier le code]

Zone de fouilles de bâtiments du Chalcolithique tardif (zone TW) sur le site de Tell Brak.
Le temple du niveau VII d'Eridu, fin du Ve millénaire av. J.-C., édifice monumental de plan tripartite caractéristique du chalcolithique tardif.

Le millénaire correspondant à la période finale de l'Obeïd (4 et 5), couvrant en gros la seconde moitié du Ve millénaire av. J.-C. (le Chalcolithique tardif 1), et le début de la période d'Uruk, couvrant la première moitié du IVe millénaire av. J.-C. (Chalcolithique tardif 2 et 3) est une étape décisive dans la complexification des sociétés, le creusement des inégalités sociales et l'intégration politique.

Ces évolutions sont mal connues dans le Sud. Les prospections archéologiques semblent bien indiquer une croissance de la surface habitée, et notamment l'émergence d'importantes agglomérations (Uruk qui couvrirait plus de 70 hectares, d'autres comme Eridu, Tell Dlehim et Tell al-Hayyad entre 40 et 50), mais les connaissances sur l'architecture de cette période sont limitées aux temples sur plate-forme d'Eridu, poursuivant la séquence entamée à l'époque précédente (niveaux VII et VI) et à des traces de bâtiments semblables dans le secteur de l'Eanna d'Uruk (niveaux XVI à XII)[54]. En revanche elles sont un peu mieux identifiées sur les sites du sud-ouest iranien voisin (Suse et Chogha Mish) qui lui sont manifestement liés.

Pour le Nord mésopotamien, c'est traditionnellement le site de Tepe Gawra, situé près de Ninive, qui constitue la référence pour cette période, avec les monuments de ses niveaux XII à VIII, désormais datés de la période s'étalant d'environ 4500 à 3500 av. J.-C. (alors qu'auparavant « la période de Gawra » pour laquelle il servait de référence était datée d'environ 3900 à 3100 av. J.-C.). Grâce à une série de fouilles la perspective sur cette région a changé : auparavant considérée comme un espace périphérique « suiveur » de la Basse Mésopotamie, elle est désormais tenue pour un acteur à part entière de l'émergence des sociétés complexes. Cela ressort notamment du constat que plusieurs sites de la Haute Mésopotamie de cette période connaissent une forte croissance et peuvent être qualifiés de « proto-urbains » : le vaste Tell Brak (de 55 à 100 hectares), Tell al-Hawa, Hamoukar, Grai Resh, Ninive. Ils sont par ailleurs entourés par de nombreux sites secondaires, qui témoignent d'une importante expansion de l'habitat. Ils disposent sans doute aussi d'une architecture monumentale similaire à celle de Gawra, bien qu'encore mal connue (le premier niveau du « temple aux yeux » de Brak date de cette époque). Les nécropoles de plusieurs sites (Gawra, Grai Resh, Tell Majnuna près de Brak) témoignent par ailleurs de la présence d'individus enterrés avec des objets en or et argent, et sans doute des morts d'accompagnement. Par ailleurs l'usage des sceaux se répand et leur iconographie se diversifie, ce qui indique un développement des outils administratifs et des modes d'expression du pouvoir. Il y a donc pour cette époque des éléments tendant à démontrer le creusement des inégalités sociales au sein des communautés du Nord mésopotamien, qui sont dominées par une élite plus puissante qu'auparavant, dirigeant des entités politiques que l'on peut qualifier de « chefferies »[55].

Les débuts de l’État et les premières villes[modifier | modifier le code]

Plan des constructions du complexe monumental du secteur de l'Eanna à l'Uruk récent (niveau IV).
Localisation des sites principaux identifiés pour la Mésopotamie méridionale durant le IVe millénaire av. J.-C.

Si l'on tend de plus en plus à voir les innovations initiées lors de l'Obeïd final comme le moment décisif, la seconde moitié du IVe millénaire av. J.-C. (période d'Uruk récent / Chalcolithique tardif 4 et 5) est celle pour laquelle se produit un changement d'échelle qui autorise plus assurément à parler de structures étatiques et urbaines. C'est le Sud mésopotamien qui joue le rôle majeur à cette période[56].

Les plus spectaculaires découvertes concernant l'émergence de sociétés plus complexes sont issues du site d'Uruk, alors vaste de peut-être 250 hectares, couramment considéré comme la « première ville » et de loin la plus grande agglomération de la région durant l'Uruk récent. Le secteur de l'Eanna de cette époque (niveaux V, IV et aussi III, qui date de la suivante) est un groupe monumental de près de 9 hectares constitué de plusieurs édifices de fonction indéterminée, qui sont en partie dans la continuité des édifices de l'époque antérieure (plusieurs reprennent le plan tripartite, d'autres témoignent de nouvelles expérimentations) mais d'une taille bien plus importante, et décorés de niches et redans ou de mosaïques de cônes peints, tandis que dans le secteur voisin d'Anu se trouve le « Temple blanc » sur terrasse, le seul édifice de la ville de cette époque qui puisse être qualifié avec une certaine assurance de sanctuaire. Les niveaux IV et III (v. 3300-3000) ont livré les plus anciennes attestations d'une écriture, des signes linéaires pictographiques inscrits sur des tablettes, qui enregistrent des opérations administratives d'institutions dont la nature est inconnue. En dehors d'Uruk, cette période est mal documentée en Basse Mésopotamie, quelques édifices ayant néanmoins été mis au jour à Tell Uqair (le Temple peint), Abu Salabikh (des résidences) et Eridu[57].

En plus du développement de l'écriture et des tablettes administratives, d'autres innovations de la période témoignent du changement dans l'organisation du pouvoir. Les méthodes de scellement sont modifiées avec l'apparition du sceau-cylindre, dont l'image se déroule sur une surface d'argile, qui devient caractéristique de la culture matérielle mésopotamienne. Si la céramique tournée se développe, le type de poterie le plus répandu à cette période, l'écuelle à bords biseautés, est grossièrement moulée à la main, produite en série, comme standardisée, peut-être pour distribuer des rations aux dépendants des institutions. Dans l'art (statues, stèles et glyptique) apparaît par ailleurs un personnage barbu portant un bandeau, représenté en combattant, chasseur ou bâtisseur, ce qui semble en faire une figure de type « proto-royal » (souvent appelé « roi-prêtre », quoique son rôle religieux soit incertain). L'importance du culte officiel dans l'affirmation de l'élite dirigeante (gouvernants et grands prêtres) se voit en particulier dans le « vase d'Uruk » en albâtre représentant les offrandes apportées à une divinité, la grande déesse locale Inanna, dont le nom apparaît sur des tablettes, et qui joue manifestement dès cette époque un rôle crucial dans la légitimation du pouvoir politique[58].

Ces évolutions ont fait l'objet de nombreuses réflexions. Les villes sont souvent vues comme la conséquence du développement de la centralisation politique, administrative et économique autour des institutions les plus importantes qui émergent alors (les « grands organismes ») et organisent la production et la redistribution des ressources (sous la forme de rations distribuées à leurs administrateurs et dépendants et des offrandes faites aux dieux). En particulier sont mis en avant le poids de la production textile, à partir de la laine des moutons des troupeaux attestés par les tablettes administratives, ainsi que la production céréalière de l'agriculture irriguée qui avait permis le développement de cette région autrement aride et défavorable à la mise en culture et lui avait sans doute alors permis d'atteindre des hauts rendements et de soutenir une importante croissance agricole illustrée par l'expansion du nombre de villages. Il faut également prendre en compte dans cette région deltaïque l'importance des ressources des zones humides (surtout les marais) et des axes de communications constitués par les cours d'eau. L'essor de la métallurgie (du cuivre surtout) incite par ailleurs au développement des échanges à longue distance. L'affirmation de la division du travail autour d'activités diverses qui sont alors plus clairement définies comme l'indiquent les listes de métiers de cette période est un autre élément de cette complexité plus importante, dans une société organisée autour de « maisons »/« maisonnées » de différentes tailles et liées par des relations complexes, autant de changements qui peuvent être analysés comme une amélioration bénéficiant à toute la communauté. Mais une autre lecture, insistant sur le poids croissant de la hiérarchie et des inégalités entre les personnes et les maisons qui deviennent une donnée sociale fondamentale, voit plutôt cette période comme caractérisée par une appropriation de plus en plus marquée de la production par les élites et institutions dominantes au détriment des autres acteurs sociaux et économiques[59].

L'influence de la Basse Mésopotamie[modifier | modifier le code]

L'« expansion urukéenne ».

Au Nord, les principaux sites de l'Obeïd final et de l'Uruk ancien voient leur croissance ralentir ou s'arrêter (Tell Brak, Hamoukar, Tell al-Hawa) ou bien connaissent un déclin marqué (Tepe Gawra). Alors que l'urbanisation de la période précédente repose sur des dynamiques locales, la région est de plus en plus intégrée dans les dynamiques initiées par le Sud mésopotamien, comme le sont par ailleurs d'autres régions (en particulier la Susiane). Le phénomène le plus caractéristique de cette « expansion urukéenne » vers le Nord est l'établissement dans la région du Moyen Euphrate de sites caractérisés comme des « colonies » du Sud mésopotamien, des fondations dont la culture matérielle paraît en tout point semblable à celle de la Basse Mésopotamie urukéenne : Habuba Kabira, Djebel Aruda. Mais l'influence de la culture urukéenne se retrouve sur plusieurs autres sites septentrionaux, en général aux côtés d'une culture matérielle de type local, ce qui a laissé penser que sur certains sites il y avait une cohabitation entre des communautés du Nord et des gens venus du Sud (Hacinebi notamment). Plus on s'éloigne en revanche, plus l'influence urukéenne se dissipe quoiqu'elle reste perceptible sur le site anatolien d'Arslantepe. Contrairement à la diffusion de la culture d'Obeïd qui est largement vue comme un phénomène d'influence culturelle, l'expansion urukéenne est plutôt interprétée comme un processus volontaire impliquant des mouvements de personnes (d'où les « colonies ») dans un but d'expansion économique (notamment commercial), reposant sur la supériorité économique de la Basse Mésopotamie, mais pas comme un phénomène politique, peu de chercheurs allant jusqu'à supposer l'existence d'un État territorial expansionniste[60].

L'époque des États archaïques[modifier | modifier le code]

Après le développement des premières formes étatiques dans la seconde moitié du IVe millénaire av. J.-C., la transition entre ce millénaire et le suivant est marquée par un recul de l'influence de la Basse Mésopotamie, et la Mésopotamie et ses régions voisines sont marquées par l'émergence de plusieurs cultures régionales, dont les traditions se prolongent par la suite. Le Sud mésopotamien de la période des dynasties archaïques (v. 2900-2340) reste une région très urbanisée, marquée par la présence de plusieurs micro-États. Le Nord mésopotamien en revanche connaît une phase de reflux de l'urbanisation, qui ne reprend qu'à partir du XXVIIe siècle av. J.-C., et se constituent là aussi un ensemble d’États archaïques. Cette période voit la consolidation du pouvoir de l'institution royale, de l'administration étatique, de l'écriture, la reprise des échanges matériels et culturels à longue distance, avec encore la prééminence du Sud mésopotamien.

Une phase de régionalisation[modifier | modifier le code]

Tablette administration (distribution de rations d'orge), période de Djemdet Nasr. Metropolitan Museum of Art.

Le dernier siècle du IVe millénaire av. J.-C. voit un recul marqué de l'influence urukéenne sur les régions voisines, comme en témoigne l'abandon des « colonies » du Moyen Euphrate. Les causes de ce déclin ne sont pas déterminées. Il en résulte en tout cas l'affirmation de plusieurs cultures régionales au début du IIIe millénaire av. J.-C.[61]

Dans le Sud mésopotamien, cette période correspond à la fin de l'Uruk (niveau III de l'Eanna) et à l'époque dite de Djemdet-Nasr (v. 3000-2900), assez mal définie. Elles sont directement suivies par le début du Dynastique archaïque (DA I, v. 2900-2800 av. J.-C.). La Basse Mésopotamie ne semble pas affectée par une crise, puisque les traits principaux de la période d'Uruk sont préservés : présence de vastes complexes monumentaux avec les bâtiments du niveau III de l'Eanna et de Djemdet-Nasr, utilisation de l'écriture à des fins administratives par des institutions puissantes. Mais le fait que les monuments de l'Eanna III soient érigés après arasement de ceux du niveau IV laisse à penser qu'un changement politique majeur s'est produit. Surtout, l'urbanisation de la région semble atteindre un premier apogée, le site d'Uruk culminant à 400 hectares, de plus en plus de sites dépassant les 50 hectares qui en font des centres régionaux importants (Kish, Zabalam, Umma/Gisha, Bad-Tibira), et dans la zone autour de Nippur 70 % des sites repérés lors de prospections dépassent les 10 hectares, limite à partir de laquelle on considère habituellement être en présence d'un établissement urbain. Des empreintes de sceaux symbolisant plusieurs cités majeures semblent indiquer l'existence d'une forme de ligue les réunissant, même s'il reste à déterminer dans quel but (cultuel ? militaire ?)[62].

Ailleurs, les cultures se détachent de l'héritage urukéen, ne présentant pas le degré de complexité organisationnelle des cités méridionales. Ces cultures sont caractérisées à partir de leur céramique type, qui porte des décors peints ou incisés, se démarquant ainsi des céramiques sans décor de l'Uruk final.

Dans la vallée de la Diyala et sur une partie du Zagros oriental se développe la culture caractérisée par sa « céramique écarlate » (Scarlet Ware) peinte de motifs noirs et rouge vif, la présence de plusieurs établissements fortifiés dans le secteur du Hamrin (Tell Gubba, Tell Maddhur), et les hiérarchies sociales semblent rester marquées (nécropole de Kheit Qasim)[63].

Dans le nord de l'Irak actuel se répand la céramique peinte et incisée dite « Ninive 5 » ou « Ninivite 5 » (v. 3000-2700) d'après le site et le niveau stratigraphique où elle a été identifiée en premier, qui sert à caractériser la culture des premiers siècles du IIIe millénaire av. J.-C. dans la région[64] et se retrouve également dans la partie occidentale de la Djézireh, où les archéologues préfèrent de plus en plus une périodisation locale, le « Djézireh archaïque » I (Early Djezireh). La Haute Mésopotamie de cette période encore mal connue semble marquée par un recul de l'urbanisation et de la « complexité » sociale et politique. Les traces d'une pratique de l'écriture sont inexistantes, celles d'une architecture monumentale sont limitées, et les centres régionaux ne dépassent généralement pas la vingtaine d'hectares, quoique certains sites majeurs restent plus importants (Tell Brak, Tell al-Hawa) et que cette période voie la fondation d'une ville de première importance dans la région sud du Moyen Euphrate, Mari (Tell Hariri)[65].

Sumériens et Sémites[modifier | modifier le code]

Les tablettes cunéiformes du dynastique archaïque sont les premières à comporter clairement des signes phonétiques, qui permettent d'appréhender les langues qu'elles retranscrivent. Cela permet donc pour la première fois d'avoir une idée sur la composition ethnique de l'ancienne Mésopotamie, qui repose essentiellement sur le critère de la langue (langue écrite dans les textes, et aussi la langue formant les noms des personnes), l'analyse de la culture matérielle ne permettant que des suppositions peu assurées sur ce genre de question, car il est rare qu'un type de matériel archéologique coïncide avec une ethnie.

De fait, alors que sa culture matérielle est homogène, les textes indiquent que la Basse Mésopotamie du IIIe millénaire av. J.-C. est une région pluri-ethnique[66]. Elle est principalement composée de personnes parlant une langue isolée, le sumérien, qu'on désigne par extension comme les Sumériens, qui étaient apparemment dominants dans la partie méridionale de la Basse Mésopotamie (le pays de Sumer des textes des périodes postérieures), et de personnes parlant une langue sémitique (rameau oriental), l'akkadien ancien, que l'on désigne comme des « Akkadiens », dominants dans la partie septentrionale (le futur pays d'Akkad)[67]. Cette opposition Sumer/Akkad provient des dénominations de ces langues durant les périodes suivantes de l'histoire mésopotamienne, puisque rien n'indique comme ces langues étaient appelées à cette époque. La question de la période d'arrivée de ces populations dans la région est débattue : les Sumériens étaient sans doute présents au millénaire précédent, puisqu'il est plausible que les créateurs de l'écriture aient été des locuteurs de cette langue. Mais il est impossible de remonter plus haut dans le temps. Le sumérien et l'akkadien présentent des similitudes lexicales et même des emprunts morphologiques qui indiquent qu'ils ont une histoire commune ancienne, ayant constitué une aire linguistique. Par ailleurs la présence de termes qui n'ont ni une origine sumérienne, ni une origine sémitique, indique que le Sud mésopotamien devait comprendre postérieurement des populations ne parlant pas ces langues. En tout cas, au regard de son profil ethnique mixte c'est une civilisation hybride, et il n'est désormais plus admis qu'on puisse imputer au « génie » d'un peuple en particulier, celui des Sumériens, le mérite des principaux accomplissements de la civilisation de Basse Mésopotamie à cette période[68].

Les régions voisines au IIIe millénaire av. J.-C. présentaient également un profil linguistique varié. Le Nord mésopotamien était manifestement peuplé par des populations parlant des langues est-sémitiques, apparentées à l'akkadien ou variantes de cette langue (dont les ancêtres de l'assyrien et du babylonien, distincts de l'akkadien ancien), et peut-être aussi des langues ouest-sémitiques[69]. I. Gelb a proposé de regrouper les populations est-sémitiques de Basse et Haute Mésopotamie et Syrie (Kish, Abu Salabikh, Mari, Ebla) sous la dénomination de « civilisation de Kish », un ensemble culturel dominé par l'influence de Kish (sans domination politique), ou plus modestement une « tradition de Kish » surtout visible dans la formation et les pratiques de scribes. En tout cas il semble bien que ces régions aient une organisation politique et une culture voisine, qui les différencieraient de Sumer[70]. Des populations parlant le hourrite sont également déjà présentes dans le Nord de la Mésopotamie et de la Syrie à cette période, sans doute originaires de Transcaucasie.

Les royaumes de Basse Mésopotamie[modifier | modifier le code]

Les sites principaux de Basse Mésopotamie à la période des dynasties archaïques.

Les siècles situés au cœur du IIIe millénaire av. J.-C., correspondant aux périodes des dynasties archaïques II (DA II, v. 2800-2600) et III (DA III, v. 2600-2340)[71], sont pour la Basse Mésopotamie une période d'importante fragmentation politique, entre de nombreuses « cités-États », des micro-États constitués en général d'une vaste ville-capitale (plusieurs sites dépassent alors les 100 hectares, jusqu'à 400 pour Lagash[72]) entourée de villes de rang secondaire et de plusieurs bourgs ruraux et villages. La croissance de la documentation épigraphique permet de mettre un nom derrière la plupart de ces entités : il s'agit avant tout des royaumes d'Uruk, Ur, Lagash, Umma/Gisha, Adab dans le Sud, Kish qui est la principale (peut-être même la seule) puissance de la partie nord, tandis que la ville de Nippur est un centre religieux, siège du grand dieu Enlil, qui ne constitue apparemment pas une entité politique notable ; encore plus au nord se trouvent d'autres entités politiques, notamment Akshak, et les cités de la Diyala (Khafadje, Tell Asmar, Tell Agrab) dont la nature politique à cette période n'est pas connue mais qui participent du même univers culturel que les cités du Sud. L'histoire événementielle de cette période reste mal connue, quoiqu'elle soit plus claire au fil du temps. Les récits traditionnels postérieurs sur les rois légendaires d'Uruk (Gilgamesh, Lugalbanda, Enmerkar) et de Kish (Enmebaragesi, Agga) pourraient faire référence à des événements ayant eu lieu lors du DA II, mais cela ne peut être confirmé. Les archives du DA III présentent une situation politique marquée par des conflits, notamment ceux qui opposent de manière récurrente les royaumes de Lagash et Umma-Gisha autour de la possession d'un territoire frontalier, ainsi qu'une alliance entre plusieurs cités documentée par les archives de Shuruppak. Certains souverains comme E-anatum de Lagash et Enshakushana d'Uruk parviennent à remporter des conflits contre plusieurs autres cités, et donc peut-être à se placer dans une position hégémonique éphémère. Au-delà de leur espace, les cités mésopotamiennes entrent en contacts pacifiques ou conflictuels avec des entités situées en direction de l'espace syrien (Mari) et du plateau iranien (Élam, Awan, Hamazi, Marhashi)[73].

Stèle des vautours, face, registre supérieur : la « phalange » de l'armée de Lagash triomphant des troupes de la cité rivale, Umma-Gisha. Vers 2450 av. J.-C., musée du Louvre.

Ces États sont dirigés par des souverains portant des titres divers, sans doute parce qu'ils ne désignent pas le même type d'autorité : en et ensí, plus anciens et qui ont un aspect religieux, lugal « grand homme » qui s'impose comme le titre royal par excellence[74]. Ces personnages ont acquis une grande importance, se différenciant de plus en plus de leurs sujets. Les tombes royales d'Ur du début du DA III, avec leur riche mobilier funéraire et leurs occupants accompagnés par des dizaines de serviteurs dans leur trépas, sont cependant un cas sans parallèle pour la région. Des lieux du pouvoir royal (é-gal, « grande maison »/« palais ») ont été dégagés sur plusieurs sites (Eridu, Kish, Tell Asmar). Il existe apparemment dans certains cas des sortes d'assemblées (ukkin) constituées de notables, mais il ne faut probablement pas y voir les émanations ou les reliquats d'une « démocratie primitive », comme cela a pu être proposé, aucune source ne plaidant en faveur d'une telle interprétation. Les temples sont de loin les institutions les mieux documentées, tant architecturalement qu'épigraphiquement. Cette période est notamment marquée par la construction d'un type particulier de temples, les « temples ovales », dans lesquels l'édifice de culte est entouré d'une enceinte ovoïde (Khafadje, Tell el-Obeïd, Lagash)[75]. Les temples sont une institution économique et sociale majeure, d'où provient l'essentiel de la documentation administrative des cités méridionales, avant tout les archives du temple de la déesse Bau à Girsu, ville du royaume de Lagash. Ils disposent d'un important domaine agricole, de vastes troupeaux, d'ateliers, de bateaux, et dirigent les travailleurs pour les exploiter, les rémunérant généralement par le biais de rations d'entretien ; une partie des champs est cependant concédée contre redevance. Ces temples sont des unités importantes, mais manifestement pas autonomes puisque le pouvoir royal semble les diriger : il n'y a donc pas de « cité-temple » et de régime théocratique dans le Sud mésopotamien comme cela a pu être proposé par le passé. Du reste les temples ne sont pas les seules institutions, puisqu'ils coexistent avec d'autres types de « maisons » (é), notamment les palais, et sans doute aussi des domaines privés[76]. L'agriculture de la région fonctionne comme durant l'époque précédente avant tout sur le triptyque champs céréaliers irrigués où pousse surtout l'orge / espaces de steppes où paissent les troupeaux / marais pour la pêche et les roseaux (surtout dans les pays les plus méridionaux, plus humides). Dans le domaine artisanal, les textes indiquent que les activités textiles occupent une grande importance, avant tout grâce à la laine des troupeaux de moutons des institutions, tandis que les accomplissements de l'artisanat de la métallurgie et de l'orfèvrerie sont bien documentés grâce aux découvertes archéologiques, notamment la maîtrise de divers alliages à base de cuivre comme le bronze arsénié et le bronze à l'étain dont l'usage commence alors à se répandre, de même que la métallurgie de l'argent et de l'or[77]. Les tombes royales d'Ur au très riche matériel archéologique indiquent également l'existence de réseaux d'échanges étendus, puisque les élites mésopotamiennes disposent notamment d'objets en lapis-lazuli provenant de l'Afghanistan actuel, et en perles de cornaline venues de l'Indus, en plus des minerais également importés depuis des pays lointains (étain d'Iran, cuivre d'Oman)[78].

L'idéologie politico-religieuse, surtout connue grâce à la documentation épigraphique et artistique de Girsu (notamment la « stèle des vautours »), fait du souverain le représentant terrestre des dieux, qui lui ont confié son rôle. Dans le royaume de Lagash, c'est avant tout le grand dieu local Ningirsu, qui est à la tête d'un véritable panthéon local à l'échelle du royaume, mais les rois invoquent aussi le patronage d'Inanna, la grande déesse d'Uruk, et surtout Enlil, dont le lieu de culte est situé à Nippur, qui est au moins à partir de cette période le dieu majeur du panthéon unifié de la Mésopotamie méridionale qui se dessine dans quelques textes (surtout les listes de divinités d'Abu Salabikh et de Shuruppak) et englobe les panthéons locaux. Le lien entre les dieux et le roi, et plus largement les élites, se manifeste par les nombreux objets votifs inscrits mis au jour dans les temples de cette époque, en particulier des vases en pierre ou métal, des bas-reliefs en pierre perforées en pierre ornées de bas-reliefs, et des statues de personnages en position de prière[79].

Dans le domaine de l'écriture et des lettres, cette période voit en particulier la mise en place définitive de la graphie cunéiforme (en forme de « coin »/« triangle », ou de clou) des signes d'écriture (auparavant linéaires), et une diversification des usages de l'écrit, avec l'apparition d'hymnes, de rituels, de textes sapientiaux à Shuruppak et Abu Salabikh (début du DA III) et de textes historiographiques dans les inscriptions royales de Girsu[80].

La période de la « seconde urbanisation » de la Haute Mésopotamie[modifier | modifier le code]

Les sites principaux de la Syrie et de la Haute Mésopotamie au IIIe millénaire av. J.-C.
Le site de Tell Beydar.

À partir de la fin du Ninivite 5 (v. 2700), la Haute Mésopotamie et la Syrie du Nord connaissent une phase de reprise de l'urbanisation, parfois définie comme une « seconde urbanisation » (Djézireh archaïque II et III). De nombreux anciens sites s'étendent, et ils sont entourés par un nombre important de sites secondaires, ces réseaux urbains très hiérarchisés définissant manifestement des organisations politiques. Parmi les plus importants sites de l'époque se trouvent Ninive, Assur, Yorghan Tepe (Gasur) dans la partie orientale, Tell Leilan, Tell Brak (Nagar), Tell al-Hawa, Tell Khoshi, Tell Taya (en), Tell Mozan (Urkish), Tell Chuera, Tell Hariri (Mari) à l'ouest. Ces sites sont généralement organisés autour d'un centre situé sur une colline, entouré par une ville basse, qui prend dans plusieurs cas une forme circulaire qui fait que ces sites ont été désignés comme des « collines-couronnes » (allemand Kranzhügel)[81].

D'après les archives exhumées sur le site d'Ebla en Syrie centrale, datant du XXIVe siècle av. J.-C., les principales entités politiques de la Djézireh occidentale à cette époque sont Mari sur l'Euphrate moyen, Nagar dans le triangle du Khabur, et Armi(um)/Armanum (peut-être Tell Banat-Bazi) dans le Haut Euphrate[82]. Le site de Mari (période de la « Ville II », v. 2500-2300) a livré plusieurs constructions monumentales de cette époque, surtout des sanctuaires, qui ont livré un important matériel rituel, notamment des statues d'orants. Cette cité est un temps le suzerain d'Ebla, qui s'extraie ensuite de sa domination. Le royaume de Nagar, allié d'Ebla, est également connu par les fouilles d'un des sites en dépendant, Tell Beydar (Nabada), où ont notamment été exhumées les ruines d'un palais et des archives administratives, témoignant de l'existence dans cette région d'institutions similaires à celles des cités de Basse Mésopotamie. La pratique du sumérien et du cunéiforme sur ces sites, ainsi que certains objets d'arts (notamment la statuaire votive) indiquent que la région est une réceptrice de l'influence culturelle du Sud mésopotamien, qui semble jouer un important rôle d'émulation auprès des élites du Nord[83]. L'économie agricole du Nord repose cependant sur des bases différentes de celle du Sud : elle est plus extensive, en dépit d'une intensification qui pourrait accompagner l'essor des institutions[84], avec une céréaliculture recourant peu à l'irrigation car les précipitations sont plus importantes (sauf dans la Basse Djézireh), et un élevage pastoral sans doute contrôlé en partie par des groupes nomades ou semi-nomades.

L'époque des premiers empires[modifier | modifier le code]

Les derniers siècles du IIIe millénaire av. J.-C. sont marqués par l'apparition d'entités politiques dont l'étendue territoriale surpasse largement celles des États de l'époque des dynasties archaïques : les empires d'Akkad (v. 2340-2190) et de la troisième dynastie d'Ur (v. 2112-2004). Séparés par une période de fragmentation politique, ils dominent chacun la Basse Mésopotamie, une partie de la Haute Mésopotamie ainsi que des régions de l'Iran occidental. Au regard de cette extension supra-régionale, il est courant de les considérer comme les « premiers empires », quoique l'emploi de ce terme fasse débat. C'est une entité envisagée au regard de son extension territoriale importante, associant un centre où se trouvent les élites dominantes et des périphéries dominées, reposant sur une expression prononcée de la légitimité politique et idéologique de ses monarques, qui deviennent des figures sans égal, prétendant à la domination universelle et à un statut divin[85]. Bien qu'il s'agisse d'expériences politiques fondatrices ayant eu une influence considérable sur les périodes postérieures de l'histoire mésopotamienne, ces deux premiers « empires » exercent un contrôle fort principalement sur la Basse Mésopotamie et bien moins sur leurs marges, ce sont des structures politiques peu durables, connaissant un déclin aussi fulgurant que leur expansion.

L'empire d'Akkad[modifier | modifier le code]

Étendue approximative de l'empire d'Akkad à son apogée sous le règne de Naram-Sin, et direction des campagnes militaires extérieures.

Au milieu du XXIVe siècle av. J.-C., le pays de Sumer voit un début de concentration politique, avec les conquêtes de Lugal-zagesi (v. 2340-2316), sans doute originaire d'Umma, mais établi à Uruk, qui soumet notamment Lagash. À la même période, dans la sphère du royaume de Kish, un nouveau venu prend le pouvoir, Sargon d'Akkad (v. 2334-2279)[86]. La confrontation entre les deux tourne à l'avantage du second, qui se retrouve maître de toute la Basse Mésopotamie. Dans les années qui suivent, il réalise des conquêtes dans la région du Moyen-Euphrate (Mari), la Djézireh (Nagar), l'Iran du Sud-Ouest (Suse), et sans doute la Syrie (Ebla), peut-être jusqu'à la côte méditerranéenne. Son règne est surtout documenté par des sources tardives, qui l'ont entouré d'une aura légendaire, et il est difficile de bien connaître le déroulement de ces conquêtes, mais elles ont manifestement marqué les esprits par leur ampleur sans précédent. Ses successeurs Rimush et Manishtusu préservent son héritage, le premier réprimant une révolte des cités méridionales, et le consolident par de nouvelles campagnes en direction de l'est. Naram-Sîn (v. 2254-2218) est la seconde grande figure de la dynastie d'Akkad. Il consolide la domination de son royaume en Haute Mésopotamie, dans la région syrienne (prise d'Armanum) et même en Anatolie du sud-est, et conduit d'autres campagnes dans le plateau Iranien, et peut-être jusqu'à Magan (Oman). Mais il fait aussi face à une importante révolte en Basse Mésopotamie, dont les foyers principaux sont à Kish et Uruk, qu'il réprime durement. C'est sans doute cet événement qui lui a valu une réputation sinistre dans la tradition mésopotamienne postérieure. Celle-ci critique notamment sa vanité. Naram-Sîn est le premier souverain mésopotamien à s'être doté d'un statut divin, et à se proclamer « roi des quatre rives (de la terre) », c'est-à-dire à avoir eu une prétention à la domination universelle[87].

Si le royaume d'Akkad est défini comme un empire, c'est notamment pour ses aspects idéologiques, affirmés à partir du règne de Naram-Sîn et ses ambitions universelles. Les rois d'Akkad se présentent en général comme choisis par le grand dieu Enlil, mais mettent aussi en avant la figure d'Ishtar d'Akkad, déesse tutélaire de leur capitale. Dans la pratique, cette construction politique, qui est la première historiquement connue en Mésopotamie à tenter de réunir sous sa coupe plusieurs territoires hétérogènes, semble essentiellement liée à la capacité de la puissante armée d'Akkad à maintenir ses territoires sous sa coupe. La domination des rois d'Akkad sur le cœur de leur empire semble laisser une large marge de manœuvre aux institutions locales, qui sont préservées, les cités-États sumériennes ayant été converties en provinces sans bouleversement de leurs institutions, notamment les temples qui fonctionnent de la même manière que par le passé, la principale différence étant que leurs richesses sont désormais contrôlées et captées par l'élite impériale. Il y a notamment un processus d'accaparement et redistribution de terres au profit des proches du roi, attesté par les donations commémorées par l'obélisque de Manishtusu. Les rois d'Akkad prennent aussi l'habitude d'installer certains membres de la famille royale à la tête de grands sanctuaires, le cas le mieux connu étant celui d'Enheduanna, fille de Sargon, grande prêtresse du dieu Lune Nanna à Ur, et à qui la tradition mésopotamienne a attribué la rédaction de textes littéraires en sumérien. Dans les régions périphériques en Syrie et dans le sud-ouest iranien, la présence akkadienne est plus lâche et repose sur la constitution de postes militaires, à l'image du palais-forteresse daté du règne de Naram-Sîn dégagé à Tell Brak, voisinant des royaumes vassaux ou du moins alliés (comme Tell Mozan/Urkish)[88].

La période d'Akkad est mal connue du point de vue archéologique, notamment parce qu'elle n'est pas bien identifiée sur les sites car il n'y a pas de grands changements dans la culture matérielle par rapport à la fin du dynastique archaïque et de ce fait la limite entre les deux périodes est sans doute impossible à tracer. De plus, la localisation de la capitale, Akkad, n'est pas connue[89]. En revanche dans le domaine artistique les évolutions sont plus marquées, à partir des successeurs de Sargon. Les stèles mettent en avant les scènes de combat et la suprématie de la figure royale, avec la stèle de victoire de Naram-Sîn le mettant en scène lors d'un combat contre les Lullubis dans les montagnes du Zagros. De cette période date une remarquable tête de roi en alliage cuivreux d'un souverain, réalisée à la cire perdue, mise au jour à Ninive. La glyptique est également d'une grande qualité d'exécution[90].

L'empire d'Akkad s'effondre au début du XXIIIe siècle av. J.-C., sous le règne de Shar-kali-sharri, le fils de Naram-Sîn. La tradition mésopotamienne postérieure, notamment le texte historico-mythologique de la Malédiction d'Akkad, attribue cette chute aux Gutis, peuple venu du Zagros qui est présenté comme ayant les traits caractéristiques des envahisseurs « barbares » détruisant tout sur leur passage. Le roi d'Akkad a sans doute aussi fait face à des assauts plus pressants des Élamites à l'est, et des Amorrites, venus de Syrie. Il ne domine sans doute plus qu'un espace limité autour de sa capitale à la fin de son règne, et s'il semble bien avoir eu quelques successeurs, ceux-ci ne sont pas en mesure de rétablir leur royaume, qui disparaît peu après. Parmi les causes avancées pour expliquer la chute du royaume d'Akkad, sont notamment mises en avant ses faiblesses structurelles, avec une intégration politique limitée laissant encore une forte place au cadre de la cité-État dans le Sud, et parfois aussi des causes climatiques, concernant surtout la Haute Mésopotamie (voir plus bas)[91].

Une nouvelle période de division[modifier | modifier le code]

Le XXIIe siècle av. J.-C. est marqué par une fragmentation politique. Cette période succédant à la chute d'Akkad est mal définie sur le plan chronologique ; en particulier on ne sait pas quel laps de temps sépare la fin d'Akkad de l'apparition de la troisième dynastie d'Ur : en général il est considéré que cet intermède dure environ 70 ans, mais il pourrait n'avoir duré qu'une trentaine d'années. Les Gutis, considérés comme les tombeurs des rois d'Akkad par la tradition mésopotamienne, maintiennent un royaume autour de la cité d'Adab, mais d'autres royaumes émergent à partir des cités sumériennes, en particulier à Uruk, et également à Suse où un certain Puzur-Inshushinak a pris le pouvoir, et se pose en rival des Gutis[92].

Cette période voit également l'apparition à Lagash d'une nouvelle série de rois, qui ne semble pas former à proprement parler une « dynastie ». Le principal souverain de cette période est Gudea, qui a laissé une abondante documentation artistique et épigraphique mise au jour à Girsu (Tello). Ses œuvres commémorent ses actions pacifiques, notamment la construction du grand temple du dieu tutélaire de son royaume, Ningirsu. Les statues en diorite représentant Gudea constituent des œuvres majeures de l'art de la Mésopotamie antique[93].

Dans les dernières décennies du XXIIe siècle av. J.-C., le roi Utu-hegal d'Uruk parvient à remporter une victoire contre les Gutis, et proclame son hégémonie sur la Basse Mésopotamie. Néanmoins il est renversé par Ur-Namma (ou Ur-Nammu), peut-être son frère, fondateur de la troisième dynastie d'Ur[94].

L'empire d'Ur III[modifier | modifier le code]

L'extension de l'empire de la troisième dynastie d'Ur sous le règne de Shulgi, et son organisation centre/périphérie.
Localisation des sites principaux de la Mésopotamie méridionale à la période d'Ur III.

Ur-Namma (2112-2095) est l'artisan de la constitution de l'empire de la troisième dynastie d'Ur (ou Ur III)[95] : il domine les cités sumériennes après avoir renversé Utu-hegal, puis chasse les troupes élamites de Puzur-Inshushinak de Mésopotamie centrale, et les attaque jusqu'à Suse, qu'il intègre dans son royaume. Il réaménage les canaux et les routes de Basse Mésopotamie, les grands sanctuaires du pays de Sumer, procède à une standardisation des poids et mesures, promulgue un « code de lois », le plus ancien connu (le Code d'Ur-Namma). Son fils et successeur Shulgi (2093-2047) poursuit cette entreprise de consolidation des bases du royaume, avec notamment la réorganisation de l'administration provinciale dans un sens plus centralisé. Il reprend également les ambitions impérialistes de Naram-Sîn d'Akkad, en se proclamant roi des quatre rives et en se faisant diviniser. Ce n'est cependant que dans la seconde moitié de son règne qu'il entreprend d'étendre son royaume : il soumet plusieurs régions au nord-est, jusqu'à Arbèles et Assur, et mène des campagnes dans le Zagros et en direction des pays élamites, et érige un mur au nord de la Basse Mésopotamie afin de la protéger des menaces extérieures. Shulgi passe plutôt par la voie diplomatique pour s'assurer la paix avec les rois du plateau Iranien, en concluant notamment avec eux des alliances matrimoniales. La seconde partie de son règne est également marquée par la construction d'un nouveau centre administratif servant de résidence royale, Puzrish Dagan (Drehem)[96].

La fin du règne de Shulgi, et ceux de ses successeurs Amar-Sîn (2046-2038) et Shu-Sîn (2037-2029) sont quantitativement les mieux documentés de l'histoire mésopotamienne, concentrant la majorité des plus de 100 000 tablettes connues de la période d'Ur III, avant tout de nature administrative. Cela traduit la volonté de l'administration de cet empire de contrôler plus étroitement les structures économiques du pays de Sumer et d'Akkad, en organisant notamment un système de redistribution de produits agricoles à l'échelle de tout le royaume, géré depuis Puzrish-Dagan, et en plaçant les domaines des temples sous le contrôle étroit des gouverneurs. Ces institutions disposent de vastes domaines agricoles exploités de manière intensive, et aussi d'ateliers employant parfois des milliers d'ouvriers, placés sous un contrôle étroit. Malgré cette « bureaucratisation » poussée, les structures du royaume d'Ur III restent patrimoniales, la maison du roi s'appuyant sur celles des grandes familles provinciales, les grandes cités étant souvent dominées par un même groupe familial[97]. Les souverains d'Ur succédant à Shulgi continuent de se faire diviniser, et après leur mort ils reçoivent un culte. Ils font rédiger des hymnes à leur gloire, comme ceux liés au thème du « mariage sacré », dans lequel le roi, incarnant le dieu Dumuzi, s'unit à la déesse Inanna, qui assure la prospérité de son pays. Plus largement cette période voit un essor de la littérature en sumérien, appuyé par la création de lieux de formation des scribes, élaborant et recopiant des hymnes, prières, recueils de proverbes, épopées, mythes, etc.[98] Cela a incité par le passé à voir cette période comme une « renaissance sumérienne » ou une période « néo-sumérienne », durant laquelle les rois d'Ur se font les promoteurs des traditions de Sumer en réaction à la domination passée d'Akkad ; en fait cette opposition culturelle Sumer-Akkad est comme souvent exagérée. Du reste cette période est sans doute celle durant laquelle le sumérien cesse d'être une langue vernaculaire, pour ne plus être qu'une langue de culture[99].

Du point de vue architectural, les premiers rois d'Ur III ont entrepris d'importants travaux qui allaient façonner pour les siècles à venir l'aspect des principaux lieux de culte de Sumer (Nippur, Ur, Uruk, Eridu en premier lieu), en les réorganisant autour d'imposantes cours murées, dominées par un temple sur terrasses, type d'édifices qui devait par la suite prendre le nom de ziggurat. Cette sorte de standardisation des grands lieux de culte reflète les tendances unificatrices de cet empire et ses capacités à mobiliser d'importantes ressources. Les travaux des rois d'Ur sont surtout connus dans la cité d'origine de la dynastie, où le grand temple du dieu Nanna est voisiné par plusieurs autres édifices importants, dont un servant de résidence à la grande prêtresse du dieu, un mausolée royal et un édifice palatial. Les rois d'Ur III font commémorer leur action de bâtisseurs par des petites statuettes en forme de clou placées sous les fondations des édifices représentant des personnages portant un panier de briques[100].

Amar-Sîn et Shu-Sîn parviennent à préserver l'édifice politique et administratif légué par Shulgi. ils doivent encore entreprendre à plusieurs reprises des campagnes en Iran et dans le Zagros occidental, le second renforçant par ailleurs le mur défensif érigé par Shulgi (à moins qu'il ne s'agisse d'une nouvelle construction). Il semble que cela se fasse face à la pression croissante exercée par les tribus amorrites au nord de l'empire[101]. Ibbi-Sîn (2028-2004) perd dès ses premières années de règne le contrôle de la plupart des provinces de l'empire, où émergent plusieurs dynasties autonomes, notamment à Isin où s'installe Ishbi-Erra, un ancien serviteur du roi d'Ur. La tradition postérieure, notamment le cycle des Lamentations sur la chute de Sumer et des lettres apocryphes attribuées à des personnages éminents de cette époque, décrit la situation d'alors comme dramatique, marquée par des disettes et des affrontements entre les royaumes rivaux, ainsi que les attaques des Amorrites et des Élamites. Ce sont ces derniers qui font tomber Ur en 2004, achevant la dynastie dont le souverain ne dominait alors plus que la ville et ses alentours. Divers arguments ont été avancés pour expliquer la chute si rapide du royaume d'Ur : l'incapacité de son armée à maintenir la sécurité sur ses frontières, la lourdeur de l'appareil administratif et plus largement le fait qu'en dépit de ses tentatives d'intégration politique et économique plus poussée, l'empire d'Ur III n'a manifestement pas éteint les forces centrifuges, qui se libèrent rapidement de son emprise dès les premiers signes d'essoufflement de sa puissance[102]. Lui succèdent des États d'une envergure territoriale bien plus réduite, mais le souvenir des empires d'Akkad et d'Ur reste fort dans les siècles suivants, incarnant un modèle pour les souverains les plus ambitieux, qui envisagent de reprendre à leur compte les prétentions à la domination universelle.

Le Nord à la fin du IIIe millénaire av. J.-C.[modifier | modifier le code]

Les deux derniers siècles du IIIe millénaire av. J.-C. voient un important phénomène d'abandon de sites dans le Nord mésopotamien, ou du moins de diminution sensible de l'espace occupé en particulier dans la Haute Djézireh (notamment Tell Leilan, Tell Chuera, Tell Beydar). Les causes de ce phénomène, dont la temporalité n'est pas claire, sont très discutées. Certains en font la conséquence d'un changement climatique entraînant une plus grande aridité de la région la plus touchée. D'autres mettent en avant les conséquences des conquêtes et destructions entreprises par les rois d'Akkad, ou bien les effets d'une surexploitation du milieu par les centres urbains. En fait, même dans la région la plus touchée, le triangle du Khabur, il n'y a pas d'effondrement à proprement parler, certains centres subissant un déclin moindre, comme Chagar Bazar, et surtout Urkish et Nagar (Tell Mozan et Tell Brak) qui sont unifiées par une dynastie hourrite attestée par quelques objets et inscriptions. Sur l'Euphrate, il n'y a pas de déclin du tout : Mari est dominée par une nouvelle dynastie (v. 2200-1900), dont les monarques, portant le titre de šakkanakku, entreprennent d'importantes constructions, notamment le palais royal et des temples, et se font représenter par des statues de grande qualité ; Tuttul (Tell Bi'a) voit également l'érection d'un édifice palatial[103]. À l'est, pas de trace de crise non plus. Ninive semble rester autonome, en revanche Assur, Arbèles et Arrapha sont dominées un temps par les rois d'Ur III.

L'époque des dynasties amorrites[modifier | modifier le code]

Localisation des principales villes de la Mésopotamie de l'âge du Bronze moyen.

La période de l'âge du Bronze moyen couvre en gros la première moitié du IIe millénaire av. J.-C. Cette période, abondamment documentée tant du point de vue épigraphique qu'archéologique, correspond à la phase historique dite « paléo-babylonienne » dans le Sud, à la phase « paléo-assyrienne » à Assur, et il a été proposé de la désigner, pour la Mésopotamie et la Syrie, comme une « époque amorrite » en raison de l'importance de ce peuple[104]. De fait, même si l'impact culturel des Amorrites est discuté et que par ailleurs cette période soit comme les autres phases de l'histoire mésopotamienne marquée par l'ouverture et la mixité ethnique, les dynasties les plus importantes de la Mésopotamie de cette période ont une origine amorrite.

Après la chute d'Ur, la Mésopotamie connaît une nouvelle période de division politique, en dépit des entreprises de plusieurs dynasties à prétentions hégémoniques (Isin, Larsa, Eshnunna, Mari, Ekallatum, puis Babylone), qui parviennent à dominer plusieurs royaumes voisins et sont partie prenante d'un système de relations diplomatiques hiérarchisé qui englobe également la Syrie (Yamkhad/Alep, Qatna), une partie de l'Anatolie et l'Élam. La phase finale de cette période est marquée par l'unification éphémère d'une majeure partie de la Mésopotamie à la suite des conquêtes du roi Hammurabi de Babylone, puis par l'émergence de nouvelles entités politiques et le début d'une nouvelle « période obscure » très mal documentée.

Les Amorrites[modifier | modifier le code]

Les Amorrites (Martu en sumérien) apparaissent dans les textes de la fin de l'époque d'Akkad, et jouent un rôle important dans la chute de la dynastie d'Ur III, avant de devenir une composante majeure du paysage ethnique du Moyen-Orient à l'âge du Bronze récent. Pour ce qui peut être déduit des sources cunéiformes, essentiellement à partir des noms de personnes et de lieux, ces populations parlent une langue de type nord-ouest sémitique (donc apparentée à l'araméen, aux langues « cananéennes », à l'hébreu), désignée comme l'« amorrite »[105]. Aux yeux des Mésopotamiens, ils viennent bien des régions occidentales, également désignées par le terme Amurru. Leur origine semble prendre place dans l'espace syro-levantin, parmi des groupes pratiquant le nomadisme pastoral qui est une composante importante des communautés humaines de ces régions, aux côtés de leurs villes et leur agriculture. Selon un scénario proposé, les Amorrites auraient émergé lors de la crise des villes de Syrie intérieure et se seraient étendus avec la progression du mode de vie nomade à la suite du déclin urbain, sans que cette expansion ne prenne la forme d'« invasions ». Des Amorrites se retrouvent dans des textes administratifs de la troisième dynastie d'Ur, au service des institutions, notamment en tant que pasteurs ou mercenaires. Cela s'accompagne d'incursions hostiles de tribus amorrites en Basse Mésopotamie, en particulier lors de l'effondrement de l'empire d'Ur. Au début du IIe millénaire av. J.-C., ces tribus se répartissent sur tout l'espace syro-mésopotamien. Surtout, la plupart des dynasties fondées à l'âge du Bronze moyen dans les villes cette région ont une origine amorrite, où elles apportent des pratiques politiques, sociales et religieuses nouvelles, ce qui a fait qu'on a pu désigner cette période comme une « époque amorrite ». Cet aspect est sans doute plus marqué dans le Moyen-Euphrate, la Djézireh et la Syrie centrale qui constituent le cœur de l'espace occupé par les Amorrites, là où ils sont manifestement l'élément le plus important, ou plus largement dans les traditionnelles régions à dominante sémitique (l'espace de l'ancienne « tradition de Kish »)[106].

La période d'Isin-Larsa[modifier | modifier le code]

Après la chute d'Ur, le principal candidat à la succession du royaume défunt est Isin, rendu indépendant par Ishbi-Erra dès avant la fin de la troisième dynastie d'Ur, qui contrôle Ur, Uruk et Nippur, donc les principales villes du pays de Sumer[107]. Néanmoins la Basse Mésopotamie est dès lors divisée entre plusieurs dynasties locales : Larsa au Sud, Eshnunna et sans doute Kish au Nord. L'historiographie a reconnu le fait qu'Isin domine le jeu politique au XXe siècle av. J.-C., puis sa rivale Larsa au XIXe siècle av. J.-C. après les victoires de ses rois Gungunnum (1932-1906) et Sumu-El (1894-1866), les deux villes se disputant notamment à plusieurs reprises la domination de la ville sainte de Nippur, gage de suprématie symbolique, pour désigner cette période comme celle d'« Isin-Larsa ». Mais la tendance est en fait à la division politique, qui s'accélère après 1900, notamment dans le Nord de la Basse Mésopotamie avec l'émergence de dynasties amorrites à, entre autres, Kazallu, Uruk et Babylone. Les vieilles cités d'Umma et de Lagash sont en revanche en déclin. Larsa est la plus grande puissance méridionale dans le Sud dans la seconde moitié du XIXe siècle av. J.-C., sans pour autant parvenir à éliminer ses adversaires, parfois rejoints dans la mêlée par les deux plus grandes puissances voisines de la région, Eshnunna et l'Élam. En 1835 la dynastie de Larsa change avec la prise de pouvoir de Kudur-Mabuk, le chef de la tribu amorrite Emutbal, qui y installe son fils Warad-Sîn (1835-1823), remplacé par son autre fils Rîm-Sîn (1823-1763, le plus long de l'histoire mésopotamienne). Ce dernier réussit à placer fermement Nippur sous sa domination, à infliger plusieurs défaites aux royaumes rivaux, et à annexer Uruk et Isin, unifiant l'extrême-Sud mésopotamien. Mais il ne rencontre pas le même succès contre Babylone qui a progressivement annexé les cités voisines (Kish, Sippar, Dilbat, Damrum, Kazallu et Marad) et constitué un royaume à la mesure du sien, dont hérite Hammurabi quand il monte sur le trône en 1792[108].

Les rois d'Isin et de Larsa reprennent la continuité de l'idéologie royale et des institutions de la troisième dynastie d'Ur : ils commémorent leurs hauts faits dans des inscriptions en sumérien, sont célébrés dans des hymnes dans la même langue, édictent des textes de lois (le Code de Lipit-Ishtar), proclament des édits de rémission des dettes reprenant l'idéal de roi juste, et certains se font diviniser (notamment Rim-Sîn)[109]. Ils restaurent les grands centres religieux dans la continuité des rois d'Ur, en particulier ceux d'Ur et de Nippur, qui ne sont pas des centres politiques mais ont une importance religieuse primordiale, également dans leurs capitales (c'est surtout attesté à Larsa), qui sont alors de grands complexes religieux, avec un grand sanctuaire et sa ziggurat. Cette période voit le développement de l'architecture palatiale, attestée dans le Sud par les palais de Larsa et Uruk, qui ont un plan distinctif avec un secteur d'apparat organisé autour d'une grande cour ouvrant sur deux salles oblongues, la seconde étant la salle du trône (non identifiable dans les édifices palatiaux antérieurs)[110].

Plusieurs zones d'habitations ont été mises au jour à Uruk et Nippur, aussi Larsa (et Sippar pour la seule période de domination babylonienne), ayant livré une documentation épigraphique importante. Les notables de ces périodes évoluent souvent dans l'administration des temples, exerçant des fonctions cultuelles dans le système des prébendes leur permettant de bénéficier de concessions de terres. Si les temples et le palais continuent de jouer un rôle économique majeur et sont la source principale d'enrichissement des notables, cette période voit l'essor de la documentation de nature privée, ce qui traduit manifestement un essor des activités économiques privées. Cela concerne notamment les activités de prêt et l'exploitation de terres. Ur et Larsa ont par ailleurs des communautés de marchands actifs dans les échanges à longue distance sur le Golfe, en direction du pays de Dilmun (Bahreïn) où ils obtiennent du cuivre du pays de Magan (Oman)[111].

Les résidences de Nippur, d'Ur et de Sippar ont également livré une abondante documentation relative à la vie scolaire et intellectuelle, qui est essentiellement le fait des membres du clergé, qui rédigent les textes et dispensent l'enseignement. La période d'Isin-Larsa est encore marquée par la domination de la langue sumérienne, qui n'est plus parlée à cette époque mais a acquis un statut éminent qui assure sa préservation dans le milieu savant, au même titre que le latin dans l'Europe médiévale. C'est de cette période que datent la majorité des tablettes documentant la littérature sumérienne, en général issue d'un contexte scolaire : listes lexicales (très utilisées pour l'apprentissage du cunéiforme), hymnes et prières (servant pour les rituels), mythes et épopées, textes historiographiques comme la Liste royale sumérienne, etc. La littérature en akkadien se développe cependant[112].

Dans le domaine artistique, les sites de cette période ont fourni de nombreuses moulées plaques en terre cuite, représentant souvent des sujets religieux, ce qui fait qu'elles sont interprétées comme des témoignages d'une religion populaire et domestique, autrement très peu documentée. Les sceaux-cylindres représentent également des scènes religieuses, en premier lieu la présentation d'un fidèle à une divinité. La statuaire est très variée, tant par ses supports (sur pierre et sur bronze, qui tend alors à devenir l'alliage le plus commun) que ses thèmes (animaux, divinités, orants)[113].

La Mésopotamie centrale et septentrionale[modifier | modifier le code]

La Haute Mésopotamie de la première moitié du IIe millénaire av. J.-C. est caractérisée sur le plan politique par une extrême division territoriale, étant occupée par une myriade de royaumes de faible importance, dominés par quelques royaumes qui ont un rôle de « suzerain » (selon les époques Mari, Eshnunna, Ekallatum, Yamkhad)[114]. La Syrie et le Djézireh sont occupées majoritairement par des populations parlant les dialectes amorrites, mais on trouve également des populations parlant des variantes de l'akkadien (notamment à Assur, aussi dans le royaume de Mari) et le hourrite (le « subaréen » des textes de Mari), en particulier sur la frange septentrionale et à l'est du Tigre et au-delà (notamment les Turukkéens).

Dans la vallée de la Diyala, située à la charnière du Nord et du Sud, une dynastie s'implante à Eshnunna (Tell Asmar) dès avant la chute de la troisième dynastie d'Ur, documentée par des inscriptions royales. Ses souverains doivent composer avec des tribus amorrites implantées dans la région, puis au début du XIXe siècle av. J.-C. d'autres royaumes émergent dans plusieurs cités voisines : Tutub (Khafadje), Nerebtum (Ishchali), Me-Turan (Tell Haddad) et Shadlash (localisation inconnue). À partir du règne d'Ipiq-Adad II dans la seconde moitié du XIXe siècle av. J.-C., Eshnunna commence à unifier les autres royaumes de la Diyala, puis à étendre son influence vers le Zagros en amont de la Diyala, et surtout vers la Haute Mésopotamie. Son fils Naram-Sîn (début de règne v. 1810) parvient un temps à faire reconnaître son autorité à Mari et à menacer le royaume d'Ekallatum, les deux principales forces de la Haute Mésopotamie de l'époque. L'expansion eshunéenne sur l'Euphrate est attestée par la construction de Harradum (Khirbet ed-Diniye) en aval de Mari. Son successeur Dadusha est un des principaux rivaux de Samsi-Addu d'Ekallatum lorsqu'il constitue son royaume au début du XVIIIe siècle av. J.-C., avec qui il s'entend par la suite pour soumettre et se partager les régions situées à l'est du Tigre autour d'Arbèles (Erbil) et Arrapha (Kirkuk)[115]. Les sites du bassin de la Diyala ont livré une abondante documentation écrite, y ont été dégagées une architecture monumentale (le palais de Shu-iluya à Eshnunna, dont le plan rappelle celui des autres édifices palatiaux amorrites, le temple d'Ishtar à Nerebtum) et domestique (notamment le site de Tell Harmal, l'antique Shaduppum, ville provinciale dépendant d'Eshnunna, une source majeure sur l'urbanisme de la période) et de nombreuses œuvres d'art (plaques en terre cuite, sculptures en bronze), témoignant d'une culture proche de celle de la Basse Mésopotamie[113], qui s'étendait particulièrement loin vers l'est (peut-être jusqu'à Chogha Gavaneh en Iran occidental où des textes contemporains ont été mis au jour[116]).

Jarres de « céramique du Khabur », de Chagar Bazar. British Museum.

La situation politique du Nord au XIXe siècle av. J.-C. est très mal documentée. Du point de vue de l'occupation, cette période (qui correspond du point de vue matériel au développement d'un type de poterie particulier, la « céramique du Khabur », surtout dans la Djézireh) voit une reprise après la chute de la fin du IIIe millénaire av. J.-C., avec en particulier le développement de petites agglomérations dans les zones mieux arrosées de la Haute Djézireh (triangle du Khabur, Balikh), mais sans que la région ne semble pour autant retrouver les niveaux d'urbanisation du milieu du millénaire précédent. Cela pourrait traduire une plus grande part de la population pratiquant le nomadisme pastoral, difficile à repérer lors des prospections archéologiques, mais bien connue grâce aux archives de Mari (voir plus bas)[117]. Cette réoccupation des sites pourrait être liée à l'implantation des groupes et dynasties amorrites dans la Djézireh ; à l'époque des archives de Mari (début XVIIIe siècle av. J.-C.) la toponymie locale est en tout cas fortement marquée par l'amorrite[118], ce qui implique que ses locuteurs soient présents dans la région depuis plusieurs générations.

Pour les XXe – XIXe siècle av. J.-C., la documentation cunéiforme concerne avant tout la ville d'Assur et son commerce lucratif reposant sur un réseau de comptoirs en Anatolie, en premier lieu celui de Kanesh (Kültepe) qui a livré plus de 20 000 tablettes et fragments de tablettes documentant ce réseau d'échanges animé par les marchands assyriens, qui s'approvisionnent en étain d'Iran, revendu avec un fort profit en Anatolie (également avec des étoffes produites à Assur ou bien achetées en Babylonie), avant tout en échange d'argent[119]. Assur dispose d'un roi, mais celui-ci est plus un primus inter pares dirigeant la cité aux côtés d'une assemblée de notables, l'« Hôtel de Ville », tandis que dans les comptoirs l'institution dirigeant le « quai » (kārum) de Kanesh, le quartier marchand, a un rôle important dans le règlement des litiges commerciaux. Le fonctionnement de la cité-État d'Assur à cette période a pu être comparé à celui d'une « république marchande »[120]. Cette organisation n'est pas atypique en Haute Mésopotamie et en Syrie, puisqu'à l'époque des archives de Mari les cités d'Emar, d'où est également originaire une communauté marchande active impliquée dans le commerce de l'étain, et de Tuttul disposent aussi d'assemblées (tahtamum) jouant un rôle important[121].

Extension approximative du Royaume de Haute-Mésopotamie à la mort de Samsi-Addu.

Les très nombreuses (environ 20 000 tablettes et fragments) archives du palais royal de Mari fournissent l'essentiel de la documentation politique sur la Mésopotamie du Nord dans les premières décennies du XVIIIe siècle av. J.-C., aux côtés de celles, bien moins nombreuses, provenant d'autres sites (Tell Rimah, Tell Shemshara). Dans le royaume de Mari, l'ancienne dynastie des šakkanakku a été supplantée par une lignée de rois amorrites, qui dans un premier temps conservent le même titre, avant de l'abandonner, sans doute après un nouveau changement de dynastie[122]. À l'époque du roi Yahdun-Lîm (v. 1810-1793), c'est l'un des plus puissants de la région, rival au tout début du siècle de celui d'Ekallatum dirigé par Samsi-Addu (ou Shamshi-Adad Ier, v. 1815-1775), contre lequel il bénéficie de l'appui d'Eshnunna, aussi opposée à ce royaume. Samsi-Addu, après avoir fait face aux offensives de ce dernier, parvient à établir un puissant royaume à partir de la région du Tigre (il s'empare notamment d'Assur et de Ninive, et est souvent considéré à tort comme un roi assyrien), et à l'étendre en direction de la Djézireh, puis à soumettre Mari. Il crée une organisation politique originale, choisissant de s'établir à Shekhna, rebaptisée Shubat-Enlil (Tell Leilan), et place ses fils Ishme-Dagan et Yasmah-Addu sur les trônes d'Ekallatum et de Mari. Samsi-Addu parvient également à s'entendre avec son principal rival oriental, Eshnunna, comme vu plus haut. Cette construction politique, souvent désignée sous le nom de Royaume de Haute-Mésopotamie, prend fin après sa mort vers 1775[123].

À Mari, Yasmah-Addu est renversé par Zimri-Lim, qui se présente comme un descendant de l'ancienne dynastie locale, et est appuyé par le roi du Yamkhad. C'est de son règne que date la majeure partie de la documentation de Mari[124]. Ces textes sont la principale source pour connaître la situation politique et culturelle de la Mésopotamie et de la Syrie dans les années 1770-1760[125]. Le royaume de Mari s'étend le long de l'Euphrate et du bas Khabur (un noyau comprenant en plus de la capitale les villes de Terqa, Saggarâtum et Qattunan, plus une domination indirecte en amont sur Tuttul et en aval sur le Suhum) et impose son influence dans le triangle du Khabur et autour du Djebel Sinjar, régions morcelées politiquement (royaumes d'Ilan-sura, de Talhayum, d'Ashlakka, d'Andarig, de Kurda, etc.). L'autorité de Zimri-Lim s'exerce sur les populations sédentaires, mais également sur les tribus amorrites semi-nomades, les « Bédouins » (Hanéens dans les textes antiques) puisqu'il est considéré comme le chef de la puissante tribu des Bensimalites. Ce sont les rivaux de l'autre grande tribu de la région, les Benjaminites, que Zimri-Lim doit affronter à plusieurs reprises dans les premières années de son règne, notamment lorsqu'ils s'allient à une armée d'Eshnunna qui menace ses positions dans le triangle du Khabur. Ces tribus ont une organisation reposant sur des assemblées, évoluent en petits groupes semi-nomades, c'est-à-dire pratiquant à la fois un nomadisme pastoral transhumant et une agriculture, irriguée dans cette région peu arrosée par les pluies, mais limitée aux fonds de vallées encaissées en raison du relief constitué de plateaux incisés par les cours d'eau. Loin d'être antagonistes, les modes de vie nomade et sédentaire sont complémentaires dans cette région. D'un autre côté Zimri-Lim dirige son royaume depuis son imposant palais royal, avec une administration palatiale reprenant les habitudes des royaumes antérieurs de la région, avec notamment un vaste domaine agricole à sa disposition. Les documents de Mari nous informent également sur la vie religieuse de cette période. La panthéon est dominé par la figure du dieu de l'Orage, Addu, dont le temple majeur est situé à Alep, et celle du dieu agraire Dagan, dont les grands temples sont à Terqa et Tuttul. Zimri-Lim a dans son entourage des devins pratiquant l'hépatoscopie/extispicine, la lecture des messages divins dans le foie ou les entrailles d'agneaux sacrifiés, afin de l'assister dans ses prises de décisions[126].

Les principaux sites du Nord fouillés disposaient de palais royaux et provinciaux (Mari, Tell Rimah, Tell Leilan, Assur notamment). L'imposant palais royal de Mari, construit dans la continuité de ceux des périodes antérieures, était ainsi organisé autour d'une cour principale et d'une cour d'apparat ouvrant sur la salle du trône et la maison du roi, et présentant la particularité d'abriter un sanctuaire[127]. Des complexes religieux ont également été mis au jour, notamment les grands temples d'Assur et de Tell Rimah, qui sont restaurés et dotés de ziggurats (les premières dans le Nord) à l'époque de Samsi-Addu[128].

La situation politique de la Mésopotamie centrale et méridionale est bouleversée en 1765, quand le souverain élamite Siwepalarhuhpak décide d'attaquer Eshnunna, avec l'appui, ou du moins la complicité, de Mari et de Babylone. Eshnunna tombe, mais les Élamites décident de reprendre les possessions des vaincus, ainsi que leurs prétentions sur la Haute Mésopotamie, et pénètrent jusque dans la Haute Djézireh. Ils font néanmoins face à une coalition menée par Mari et Babylone, qui se sont retournés contre eux et les défont en 1764, et se retirent de Mésopotamie. Cette offensive est un tournant capital de cette période, marquant la fin de la puissance d'Eshnunna, et ouvrant la voie aux ambitions de Hammurabi de Babylone[129].

Le premier essor de Babylone[modifier | modifier le code]

Carte montrant la Mésopotamie à l'époque de Hammurabi.
L'expansion du royaume babylonien sous le règne de Hammurabi et de ses successeurs.

Au début du XVIIIe siècle av. J.-C., Babylone, dirigée par une dynastie d'origine amorrite liée à celle d'Ekallatum, est une puissance secondaire du Nord de la Basse Mésopotamie, dominant quelques villes importantes (Kish, Sippar, Dilbat), et capable de causer des troubles aux rois de Larsa. La première partie du règne de Hammurabi (1792-1750)[130] n'est pas marquée par des entreprises militaires importantes, jusqu'au tournant de l'invasion élamite de 1765-1764. Babylone et Mari sont, après l'avoir soutenue, les deux principaux acteurs de la coalition permettant de repousser l'offensive, mais la première en tire plus de bénéfices politique. D'abord, l'alliance continue, et l'armée de Babylone, avec l'appui de celle de Mari, s'empare de Larsa en 1763. L'année suivante, c'est Eshnunna qui est prise, profitant de son affaiblissement après l'attaque élamite. Sur sa lancée, Hammurabi semble tenter d'étendre son autorité vers la Djézireh orientale. C'est peut-être ce qui déclenche les hostilités avec son allié Zimri-Lim de Mari, qui est vaincu en 1760, la ville étant ensuite détruite. Dans les années qui suivent il soumet les cités du Nord situées le long du Tigre (Ekallatum, Assur, Ninive). En l'espace de six ans, Hammurabi a donc construit un royaume à la mesure de celui de rois d'Akkad et d'Ur III, mais celui-ci ne devait lui survivre qu'une douzaine d'années[131].

Le triomphe de Babylone donne la primauté à un royaume de la partie Nord de la Basse Mésopotamie, de tradition « akkadienne », se démarquant dans une certaine mesure des royaumes du Sumer, notamment par le fait que le souverain n'est pas divinisé[132]. Pour le reste, les institutions babyloniennes suivent celles des autres dynasties amorrites méridionales, largement imprégnées des anciennes traditions de Sumer et d'Akkad, comme le montrent les restaurations des sanctuaires entreprises par les rois babyloniens. Hammurabi gouverne avec un conseil constitué de ses proches, et est très impliqué dans la réorganisation des territoires conquis, comme cela est attesté par ses lettres retrouvées à Larsa. Le règne de Hammurabi est essentiellement connu pour son Code de lois, en fait une longue inscription à sa gloire, commémorant son rôle de « roi de justice », et édictant un ensemble de préceptes à suivre face à des cas précis, fonctionnant donc aussi comme un traité juridique à l'intention des institutions judiciaires[133]. Le site archéologique le mieux connu daté des règnes de Hammurabi et de ses successeurs est la petite bourgade de Harradum (Khirbet ed-Diniye), ville nouvelle (fondée un peu avant la domination babylonienne) établie sur l'Euphrate en aval de Mari, à l'urbanisme orthonormé[134]. En revanche rien n'est connu de la ville de Babylone à cette époque, les niveaux contemporains de Hammurabi étant situés sous la nappe phréatique de l'Euphrate[7].

Du point de vue religieux, la période de domination babylonienne voit la mise en avant des divinités des grandes cités de la région de Babylone : Marduk de Babylone, Nergal de Kutha, Nabû de Borsippa, Shamash de Sippar, même si Enlil garde sa primauté dans le Code de Hammurabi[135]. Dans le domaine de la littérature, l'emploi de l'akkadien se répand au détriment de celui du sumérien. C'est de la période de la première dynastie de Babylone que serait notamment datée la première mouture de l’Épopée de Gilgamesh, et l’Atrahasis, deux textes mythologico-épiques dont l'ampleur dépasse celle des œuvres en sumérien. L'art se situe dans la continuité de la période précédente, néanmoins les statues et stèles babyloniennes représentent à plusieurs reprises la figure royale, peu attestée au début de l'époque amorrite[113].

Crises et fragmentations : la chute de Babylone[modifier | modifier le code]

Lettre datée du règne d'Ammi-ṣaduqa (v. 1632 av. J.-C.) rapportant des troubles dans la région de Sippar.

Après la mort de Hammurabi, son fils Samsu-iluna (1750-1712) hérite d'une construction politique largement dépendante de l’œuvre de son père, qui ne tarde pas à s'effriter en raison de la persistance des velléités d'indépendance des royaumes fraîchement soumis. Dès sa huitième année de règne il fait face à une importante révolte des cités méridionales de son royaume (le pays de Sumer : Larsa, Uruk notamment), matée difficilement. Cette région plonge ensuite dans une crise profonde et ses grandes villes sont progressivement abandonnées, comme l'indique l'archéologie (à Uruk, Ur, Larsa, Nippur, etc.) et des textes postérieurs qui montrent que des gens de ces régions se sont réfugiés dans des villes du Nord. Cette crise a probablement des aspects économiques, peut-être aussi écologiques[136]. Quoi qu'il en soit au pouvoir babylonien succède dans les régions méridionales un nouveau royaume, celui de la première dynastie du Pays de la Mer (ou dynastie d'Uruku(g)), dont les souverains affrontent à plusieurs reprises les successeurs de Samsu-iluna.

Si les Babyloniens réussissent alors à garder pied dans la vallée de la Diyala malgré une révolte, ils perdent le Nord de la Mésopotamie dès le règne de Samsu-iluna, en dépit d'une campagne en 1728 qui voit notamment la destruction de Shekhna (Tell Leilan), où a été exhumée une archive indiquant qu'elle était auparavant passée dans la mouvance du roi du Yamkhad, dont la capitale est Alep, un des plus puissants royaumes amorrites[137]. La Haute Mésopotamie reste en tout cas divisée entre plusieurs entités politiques, mal connues, souvent rivales comme l'indiquent les textes de Tell Leilan, et rencontrant également des troubles internes, comme Assur qui connaît alors plusieurs changements dynastiques[138].

Sous les règnes d'Abi-eshuh (1711-1684) et Ammi-ditana (1683-1647), l'autorité des rois de Babylone s'est donc réduite autour d'un noyau situé au Nord de la Babylonie, et aussi sur la partie méridionale du Moyen-Euphrate, jusqu'à Terqa. Ces régions semblent néanmoins conserver leur prospérité et des centres religieux et intellectuels dynamiques au XVIIe siècle av. J.-C., comme l'attestent les archives de Sippar d'Annunitum. En plus de la rivalité avec le Pays de la Mer qui se poursuit, et motive sans doute la construction à cette époque de la forteresse militaire appelée Dur-Abi-eshuh (« Fort d'Abi-eshuh ») en Babylonie centrale qui a livré des archives, les rois de Babylone font face au Nord à des entités politiques constitués par des chefs de guerre Kassites (notamment Samharu et Bimatu), un peuple venu des régions du Zagros, dont certains des membres sont employés dans l'armée babylonienne. Le Moyen-Euphrate et le Nord de la Babylonie sont perdus sous les règnes d'Ammi-ṣaduqa (1646-1626) et de Samsu-ditana (1625-1595)[139].

Cette même époque voit plusieurs bouleversements dans la géopolitique du Nord mésopotamien, avec notamment l'expansion vers cette région et la Syrie du Nord des Hittites, venus d'Anatolie centrale. Leur roi Hattusili Ier (v. 1625 à 1600 ou 1650 à 1620) conduit ainsi ses troupes vers les régions du Haut Euphrate et du Haut Tigre, où il affronte plusieurs principautés dirigées par des Hourrites. Mais lui et son fils Mursili Ier (1600-1585 ou 1620-1590) concentrent leur effort contre le royaume de Yamkhad, qui est finalement détruit par le second. Dans la foulée, et pour des raisons non identifiées, il lance une offensive en direction de Babylone qui est prise et pillée, la statue de son dieu Marduk emportée. Le règne du dernier souverain de la première dynastie de Babylone, Samsu-ditana, s'achève à ce moment ou peu après[140].

L'affirmation des puissances régionales[modifier | modifier le code]

Localisation des principales villes et des sites fouillés de la Mésopotamie de l'âge du Bronze récent.

La période de l'âge du Bronze récent couvre en gros la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C. Elle prend forme dans la période de l'« âge obscur » succédant à la chute de la première dynastie de Babylone, qui voit la constitution de deux grandes puissances régionales au Nord et au Sud, établies par des populations jusqu'alors peu importantes politiquement : le Mittani formé par une dynastie hourrite à partir de la Djézireh centrale, et la dynastie kassite de Babylone, formé par une lignée d'origine kassite à partir du Nord de la Babylonie. Cette dernière s'installe durablement dans le Sud, tandis que le Mittani est supplanté au XIVe siècle av. J.-C. par l'Assyrie, vieille entité politique qui devient pour la première fois une puissance de premier plan.

Les monarques de ces trois royaumes accèdent chacun au statut de « grand roi », qui consacre dans les relations diplomatiques de l'époque (documentées par les lettres d'Amarna, mises au jour en Égypte à el Amarna, l'antique Akhetaton, capitale du pharaon Amenhotep IV/Akhenaton) la position des plus grands monarques, qui dirigent de grandes armées, dominent de vastes territoires et de nombreux vassaux sans être eux-mêmes soumis par un autre et traitent d'égal-à-égal. Les autres grands rois étant ceux d'Égypte et des Hittites, dans une moindre mesure ceux d'Alashiya (Chypre), les Élamites ayant une puissance comparable mais n'étant apparemment pas partie prenante de ce concert international. En Mésopotamie les royaumes secondaires, vassaux des plus puissants, sont progressivement éliminés au point qu'il ne reste à la fin de la période que l'Assyrie et Babylone, processus de concentration politique qui consacre la division Nord/Sud de la Mésopotamie, qui n'a pas d'équivalent au Levant et en Anatolie qui restent fragmentés politiquement, et aussi un processus de territorialisation des entités politiques, moins attachées à une cité d'origine et plus à un territoire, respectivement l'Assyrie, le « Pays du dieu Assur », et la Babylonie, appelée Karduniaš par les Kassites.

Cette période s'achève par un autre âge obscur, celui de l'« effondrement » des grands royaumes du Moyen-Orient à partir du début du XIIe siècle av. J.-C., bien que ce phénomène concerne surtout à ce moment-là les régions plus occidentales (Levant, Hatti, Égypte) et que la crise de la Mésopotamie se déroule surtout à partir du XIe siècle av. J.-C.

Un temps de recompositions politiques[modifier | modifier le code]

La période qui suit directement la chute de la première dynastie de Babylone est généralement présentée comme un « âge obscur », très peu documenté archéologiquement et épigraphiquement et difficile à interpréter car c'est sur elle que se concentre une bonne partie du débat sur la chronologie absolue de la Mésopotamie antique. Selon la chronologie moyenne, s'écoule une période d'environ un siècle entre la chute de Babylone qui aurait lieu en 1595, et l'expansion du Mittani au Nord (moment de sa première attestation dans un texte égyptien) et des Kassites au Sud (conquête du Pays de la Mer) dans les premières décennies du XVe siècle av. J.-C. Pour la chronologie courte, qui situe la chute de Babylone en 1499, les événements sont donc très rapprochés dans le temps si ce n'est concomitants. C'est en tout cas une période de reconstitution de pouvoirs centralisés au Nord et au Sud à partir de différentes entités en essor depuis les derniers temps de la première dynastie de Babylone, avec le triomphe progressif des Hourrites du Mittani et des Kassites de Babylone au détriment d'autres entités (Pays de la Mer, Hana, Assur)[141].

La documentation écrite de cette période n'est pas inexistante, mais on comprendra qu'elle ne peut pas être située avec assurance dans le temps, et serait à replacer quelque part durant le XVIe siècle av. J.-C. de la chronologie moyenne : les textes des rois hittites succédant à Mursili Ier, qui n'ont pu se maintenir en Syrie, indiquent que les Hourrites sont de plus en plus actifs en Syrie, ce qui semblent renvoyer à l'émergence du Mittani[142] ; des tablettes de Terqa indiquent qu'un royaume appelé Hana existe dans la région du Moyen-Euphrate après la fin du pouvoir babylonien et jusqu'à l'expansion du Mittani[143] ; quelques inscriptions royales documentent l'activité de rois apparemment indépendants d'Assur ayant régné à cette même époque[144] ; des tablettes (administratives mais aussi littéraires) de provenance inconnue et une sorte de palais avec d'autres tablettes administratives dégagés sur le petit site de Tell Khaiber (en) (près d'Ur) indiquent que les rois du Pays de la Mer ont alors établi une administration dans leur région, sans qu'il n'y ait de traces de leur présence dans les grandes villes de l'ancien pays de Sumer, manifestement désertées[145].

Les Hourrites et le Mittani[modifier | modifier le code]

Le royaume du Mittani à son apogée au XVe siècle av. J.-C.
La situation politique au Moyen-Orient au début de la période couverte par les Lettres d'Amarna, v. 1390-1350 av. J.-C.

La formation et la conquête de la Haute Mésopotamie par le royaume du Mittani (souvent aussi appelé Hanigalbat dans les textes antiques) n'est pas documentée, et les sources à notre disposition pour le début du XVe siècle av. J.-C. (règne de Barattarna) indiquent qu'il s'agit déjà d'une puissance hégémonique en Syrie du Nord et dans la Djézireh[146],[147]. Ce royaume est dirigé par des Hourrites et domine des régions dont cette ethnie constitue une part importante de la population[148]. Ce peuple est manifestement arrivé en Haute Mésopotamie depuis le Nord (peut-être les régions au Sud du Caucase) et attesté dans la région depuis la seconde moitié du IIIe millénaire av. J.-C., ayant constitué depuis plusieurs entités politiques d'envergure limitée, avant que des rois hourrites soient à l'origine d'une centralisation politique dans les derniers temps de l'époque des royaumes amorrites. Il n'est pas clair si le Mittani est apparu dès l'époque des premières offensives hittites en Syrie à la fin du XVIIe siècle av. J.-C., ceux-ci rencontrant un « roi des troupes Hourrites » derrière lequel certains veulent voir le Mittani, ou bien si ce royaume émerge après ces guerres, profitant du vide politique laissé par la chute d'Alep et celle de Babylone. Le royaume du Mittani est mal connu dans la mesure où il est essentiellement documenté par des sources extérieures. Il s'agit d'un royaume dominé par une élite hourrite, mais les souverains du Mittani portent un nom de trône indo-aryen, ce qui indiquerait que cette dynastie est liée à ce groupe de population, très peu attesté au Proche-Orient. On sait que son centre était localisé dans le triangle du Khabur (la région appelée Hanigalbat à proprement parler), où se trouvait sa capitale, Wassukanni, mais celle-ci n'a pas été identifiée avec certitude (elle correspond peut-être au site de Tell Fekheriye (en)), et d'une manière générale cette période reste mal connue archéologiquement dans cette région, en dehors de quelques monuments (un vaste palais à Tell al-Hamidiya, sans doute l'antique Taidu, un palais et un temple à Tell Brak, un édifice palatial à Tell Mozan)[149]. Pour ce que laissent voir les sources des sites dominés par le Mittani en dehors de cette région (surtout Alalakh et Qatna en Syrie, et Nuzi dans le nord-est de l'Irak), il s'agissait d'un ensemble constitué de provinces administrées directement par la cour du Mittani, et de royaumes et cités vassales : notamment Alalakh, Ugarit, Qatna, Nuhasse, Qadesh, Karkemish, Kizzuwatna, Ashtata à l'ouest, Terqa, Assur (quoique cela soit discuté) et Arrapha au sud et à l'est. Du point de vue des techniques, cette période semble voir un développement des méthodes de fabrication des matières vitreuses (fritte, verre)[150].

Les rois du Mittani sont engagés dans plusieurs conflits en Syrie contre l’Égypte dans le courant du XVe siècle av. J.-C., notamment face à Thoutmosis III, puis contre les Hittites qui remportent d'importantes victoires à la fin du XVe siècle av. J.-C. Le roi Artatama parvient à conclure une alliance avec Thoutmosis IV, auquel il marie sa fille, scellant ainsi des relations amicales entre les deux cours, qui se poursuivent par la suite comme l'atteste la correspondance entre les deux royaumes retrouvée parmi les lettres d'Amarna datées du milieu du XIVe siècle av. J.-C., documentant notamment le mariage du pharaon Amenhotep III avec la princesse mittanienne Taduhepa, fille du roi Tushratta. Néanmoins la puissance du Mittani commence à vaciller, en raison de troubles à la cour, puis d'une série d'offensives victorieuses des Hittites du roi Suppiluliuma Ier qui parviennent à prendre la capitale hourrite, Wassukanni. S'ensuivent des querelles successorales qui divisent le royaume du Mittani entre deux braches rivales dans la seconde moitié du XIVe siècle av. J.-C. L'une passe sous la coupe des Hittites, l'autre sous celle de l'Assyrie, ancien vassal du Mittani, qui prend finalement le dessus dans le courant du XIIIe siècle av. J.-C. et annexe progressivement le Hanigalbat, cœur du Mittani[151].

La période de domination du Mittani est essentiellement documentée en Haute Mésopotamie par les découvertes archéologiques et épigraphiques (environ 5 000 tablettes) faites à Nuzi (Yorghan Tepe), une ville appartenant alors au royaume d'Arrapha (l'actuelle Kirkuk), vassal du Mittani (fin du XVe siècle av. J.-C.-première moitié du XIVe siècle av. J.-C.). Y ont été dégagés un palais provincial, ainsi que plusieurs temples et des résidences appartenant à l'élite provinciale, dont le prince Silwa-Teshub. Les textes exhumés, écrits dans un akkadien fortement mâtiné de hourrite, indiquent que la société locale est dominée par les « conducteurs de chars » (rākib narkabti), qui correspondent aux maryannu, élite guerrière qui se retrouve dans tous les pays sous domination hourrite ; en fait dans les sources locales ils apparaissent surtout comme de riches propriétaires terriens. Ce site est par ailleurs le premier lieu de trouvaille d'un type de céramique fine dite « de Nuzi », qui est attesté dans toute l'aire de diffusion de l'autorité du Mittani. Nuzi et le royaume d'Arrapha sont détruits vers le milieu du XIVe siècle av. J.-C. lors de la conquête de la région par l'Assyrie[152].

Les rois kassites de Babylone[modifier | modifier le code]

Les Kassites sont un peuple apparemment arrivé en Mésopotamie depuis le Zagros durant l'époque amorrite, dont des chefs de guerre sont parvenus à s'affirmer durant les dernières décennies de la première dynastie de Babylone[153]. L'un d'entre eux (sans doute Agum II), parvient dans des conditions indéterminées à s'imposer, et à placer sa dynastie kassite sur le trône Babylone après sa prise par les Hittites. Cette dynastie est la plus longue à avoir régné sur le trône de Babylone, disposant d'une stabilité remarquable[154]. La première partie de la dynastie kassite est très mal documentée, et peu connue. Les listes royales babyloniennes indiquent des noms de souverains dont l'activité est par ailleurs rarement documentée. Il est juste évident que ces souverains dominent le Nord de la Babylonie, le Sud étant aux mains de la dynastie du Pays de la Mer, jusqu'aux premières décennies du XVe siècle av. J.-C. quand cette dernière est soumise après plusieurs campagnes[155].

La situation politique du Moyen-Orient après la fin de la période couverte par les Lettres d'Amarna, après l'émergence de la puissance assyrienne et la fin du Mittani, au début du XIIIe siècle.

La Babylonie (alors souvent appelée Karduniaš, nom lié aux Kassites) connaît dès lors un nouvel essor. À l'unification de la région succède une période de réoccupation et de reconstruction des principaux centres religieux du Sud mésopotamien, qui avaient été abandonnés durant la dernière partie de la première dynastie de Babylone (Uruk, Ur, Nippur notamment). La région se reconstruit ainsi sur de nouvelles bases, les Kassites n'ayant pas à faire face à des velléités d'autonomies locales dans le Sud, contrairement à leurs prédécesseurs, et se mettent en place les conditions d'une domination plus stable et durable que par le passé. Cette dynamique est surtout marquée sous les règnes de Kara-indash (fin du XVe siècle av. J.-C.) et Kurigalzu Ier (début du XIVe siècle av. J.-C.), ce dernier étant probablement le constructeur d'une nouvelle capitale à Dur-Kurigalzu, dans le Nord de la Babylonie, où il érige un vaste palais royal qui sert apparemment lors des cérémonies de couronnement, et un sanctuaire au grand dieu royal Enlil, avec une ziggurat, symbole du fait que les souverains kassites entendent se placer dans la continuité des souverains mésopotamiens antérieurs. Ces deux souverains font également revenir Babylone dans le concert des grandes puissances du Moyen-Orient, en établissant des relations diplomatiques avec l’Égypte comme cela est rappelé dans les Lettres d'Amarna, datées des règnes de Kadashman-Enlil Ier (1374-1359) et Burna-Buriash II (1359-1333), souverains qui parachèvent l’œuvre de rétablissement de la prospérité et de la puissance de la Babylonie. Le second marie ses filles au pharaon Amenhotep IV/Akhenaton et au roi hittite Suppiluliuma Ier, et épouse une fille du roi assyrien Assur-uballit Ier. L'alliance matrimoniale avec l'Assyrie devait être un déclencheur d'une longue série de conflits avec ce royaume, sur fond de litiges successoraux au sein des deux cours, sans qu'aucune des deux puissances ne prenne le dessus[156],[157].

La situation économique et sociale de la Babylonie kassite est peu documentée[158]. Le royaume apparaît comme dominé par une élite d'origine kassite, exerçant notamment les fonctions militaires et dirigeant d'importants domaines. La principale documentation sur la période provient des nombreuses (plus de 12 000 tablettes selon une estimation) archives de Nippur (v. 1359-1223), dont seule une minorité a été publiée. Elles documentent en particulier les activités des puissants gouverneurs de la ville, qui supervisent la gestion d'importants domaines et d'un grand nombre de dépendants exerçant une vaste gamme d'activités agricoles et artisanales. Les prospections archéologiques indiquent une phase de reprise de l'habitat, mais avec un caractère urbain moins prononcé qu'auparavant, les nouveaux sites étant pour la plupart des bourgs ruraux ou des villages. La Babylonie profite aussi de la reprise des relations internationales, notamment de l'afflux de l'or égyptien, ce métal devenant pour un temps l'étalon des échanges, et des marchands babyloniens sont attestés au Levant, en Égypte et en pays hittite[157]. L'activité des rois kassites est également matérialisée par l'érection de kudurrus, des stèles portant des inscriptions de donations de domaines et d'exemptions fiscales, au profit de membres de la famille royale ou de grands dignitaires du royaume. Ces stèles sont également des documents artistiques de premier intérêt, portant des représentations symboliques des grandes divinités du panthéon mésopotamien, qui sont invoquées en tant que garantes des actes qui y sont inscrits[159]. Dans le domaine religieux et intellectuel, l'influence kassite n'est pas décelable, ce peuple se fondant largement dans le moule culturel babylonien. Cette période voit un début de « standardisation » des œuvres savantes et littéraires (par exemple la mise au point de la « version standard » de l’Épopée de Gilgamesh et des versions stabilisées des principales listes lexicales), un essor de la littérature sapientiale réfléchissant sur les rapports entre hommes et dieux, et a gardé dans la tradition mésopotamienne postérieure une réputation de période durant laquelle ont vécu de grands savants. Par ailleurs la culture babylonienne est alors largement diffusée dans les capitales du Moyen-Orient (notamment à Hattusa, Ugarit, el Amarna), le babylonien étant la langue diplomatique de l'époque et la culture mésopotamienne jouissant manifestement d'un grand prestige[160].

À partir du dernier quart du XIIIe siècle av. J.-C., la dynastie kassite rentre dans une période de troubles importants, marquée par des conflits contre l'Assyrie et l'Élam dont l'issue lui est défavorable, et entraîne des troubles dynastiques. Cette phase débute par la prise de Babylone par l'assyrien Tukulti-Ninurta Ier en 1225, et s'achève par la conquête de la Babylonie par les troupes élamites de Shutruk-Nahhunte et Kutir-Nahhunte III, ce dernier prenant Babylone en 1155 et emportant la statue du dieu Marduk, événement qui marque la fin de la dynastie kassite[161]. C'est aussi lors de ce pillage que sont emportés à Suse en Élam plusieurs objets commémoratifs mésopotamiens, dont le Code de Hammurabi et la stèle de victoire de Naram-Sîn.

Les Élamites sont rapidement évincés de Babylonie par une nouvelle lignée de rois, la seconde dynastie d'Isin. Son principal souverain, Nabuchodonosor Ier (1125-1004) prend finalement la revanche contre le royaume montagnard, et ramène la statue du dieu Marduk à Babylone. C'est sans doute durant cette période que ce dernier devient définitivement le dieu suprême dans la théologie officielle, en lieu et place d'Enlil, évolution amorcée dès l'époque kassite. Il semble qu'il faille dater de cette époque l’Épopée de la Création (Enūma eliš), récit mythologique glorifiant la suprématie de Marduk et de Babylone. Les rois de cette dynastie préservent les institutions héritées des Kassites, jusqu'au milieu du XIe siècle av. J.-C. quand la Babylonie plonge dans une crise profonde et durable[162].

L'essor de l'Assyrie[modifier | modifier le code]

Extension approximative du royaume médio-assyrien entre la fin du XIIIe et le début du XIe siècle.

La vieille cité d'Assur, avec sa population de langue est-sémitique (une variante de l'akkadien), continue à disposer d'une lignée de rois autonomes durant la période de transition entre le Bronze ancien et le Bronze récent, quoique cela soit documenté essentiellement par une liste royale dont la fiabilité est loin d'être totale et des inscriptions royales éparses. Des chroniques postérieures indiquent que plusieurs de ses rois concluent des accords frontaliers avec des rois kassites, et une autre source indique par ailleurs que ce royaume est vaincu par le Mittani à la fin du XVe siècle av. J.-C., ce qui est souvent interprété comme le fait qu'il soit son vassal. En tout cas l'Assyrie est le principal bénéficiaire en Haute Mésopotamie de l'effondrement du Mittani après les victoires hittites : son roi Assur-uballit Ier (1366-1330) consolide la position de son royaume sur la partie orientale de la Haute Mésopotamie (son armée se débarrasse notamment à un moment du royaume d'Arrapha, détruisant au passage Nuzi) et progresse vers la Djézireh où il reprend une partie des possessions du Mittani malgré l'opposition des Hittites qui réussissent à assurer pour un temps la survie du Mittani/Hanigalbat. Ces succès marquent le début du royaume dit « médio-assyrien ». Le nouveau statut de l'Assyrie se voit aussi dans deux lettres d'Amarna envoyées par Assur-uballit au pharaon, afin de se présenter comme un des « grands rois » du Moyen-Orient, en lieu et place du Mittani. Il conclut également une alliance matrimoniale avec le roi de Babylone Burna-Buriash II, qui l'entraîne dans les dernières années de son règne dans un conflit successoral dans ce royaume[163].

Ses successeurs progressent dans la partie orientale de la Mésopotamie, jusqu'à la vallée de la Diyala, croisent le fer à plusieurs reprises avec les Babyloniens, puis annexent définitivement le Hanigalbat, plaçant sous leur contrôle l'intégralité de la Haute Mésopotamie sous les règnes d'Adad-nerari Ier (1308-1275) et Salmanazar Ier (1275-1245). Ils ne semblent pas dépasser à l'ouest les limites de l'Euphrate, qui marque la frontière avec la zone d'influence hittite. Il revient à Tukulti-Ninurta Ier (1244-1208) d'infliger successivement des défaites cinglantes aux Hittites et aux Babyloniens, dont la capitale est prise et pillée, et il se proclame lui-même roi de Babylone, mais son triomphe est de courte durée puisque la Babylonie est rapidement perdue et qu'il meurt assassiné[164]. Après une série de rois aux accomplissements moins notables, le dernier grand souverain de la période médio-assyrienne, Teglath-Phalasar Ier (1116-1077), lance plusieurs expéditions à l'ouest jusqu'en Syrie, où il parvient à la Méditerranée, profitant du vide laissé depuis la chute de l'empire hittite dans le premier quart du XIIe siècle av. J.-C. Il échoue en revanche dans ses entreprises contre la Babylonie. Son règne est également marqué par les premiers affrontements contre les Araméens, amenés à devenir un souci constant pour les souverains assyriens suivants[165].

L'époque médio-assyrienne voit donc la constitution d'un royaume dominant la Haute Mésopotamie depuis sa capitale, Assur, qui fait l'objet de nombreux travaux de construction : restauration et agrandissement des temples et du vieux palais, construction d'un nouveau palais, extension des murailles. Tukulti-Ninurta construit à proximité une nouvelle capitale, Kar-Tukulti-Ninurta (« Port de Tukulti-Ninurta »), d'environ 250 hectares, où il érige un palais royal et un grand temple dédié au dieu national Assur, avec une ziggurat, projet qui ne lui survit pas. Dans l'idéologie politique assyrienne qui se met alors en place, le dieu national (assimilé à Enlil) occupe une place pré-éminente, étant considéré comme le véritable souverain du royaume. Il commande aux rois terrestres, ses « vicaires », d'élargir le royaume, idéologie conquérante qui accompagne l'affirmation de la puissance militaire de l'Assyrie. Les souverains médio-assyriens développent une littérature de propagande politique, avec la rédaction de longs récits à leur gloire, en particulier l'« Épopée de Tukulti-Ninurta » commémorant le triomphe de ce roi sur Babylone. La constitution de la puissance assyrienne s'accompagne de l'émergence d'une élite politique liée au service du pouvoir, recevant des fonctions et des domaines. Dans les provinces de la Djézireh, ils entreprennent une politique de construction de centres provinciaux contrôlés directement, souvent à l'emplacement de villes plus anciennes, où sont installés des Assyriens, avec une politique manifestement plus centralisatrice que celle du Mittani, quoique quelques royaumes vassaux subsistent. Plusieurs de ces sites ont été dégagés et ont livré des archives : Tell Sheikh Hamad (Dur-Katlimmu), Tell Chuera (Harbe), Tell Sabi Abyad, Giricano (Dunnu-sha-Uzibi), etc. Ce sont des centres de provinces ou districts ruraux, administrés depuis des palais aux mains de gouverneurs assyriens et de leur administration, dirigeant des dépendants exerçant essentiellement des activités agricoles[166].

Crises et recompositions[modifier | modifier le code]

La fin de l'âge du Bronze récent est une période d'effondrement des grandes puissances qui dominaient la scène politique du Moyen-Orient, tour-à-tour les Hittites, l'empire égyptien au Levant, puis Babylone et l'Assyrie, ainsi que des royaumes levantins qui sont nombreux à disparaître, notamment sous les coups des « Peuples de la Mer », même s'il faut également prendre en compte des facteurs internes[167]. En fait ce phénomène affecte dès le début du XIIe siècle av. J.-C. l'Anatolie et le Levant, mais ne touche la Mésopotamie qu'au siècle suivant, et sous des modalités différentes, avec notamment l'expansion des Araméens, populations ouest-sémitiques manifestement originaires de l'espace syro-mésopotamien qui réduisent peu à peu le territoire dominé par l'Assyrie, puis aussi la Babylonie, qui a par ailleurs fortement décliné en raison de facteurs internes. Les Araméens fondent des entités politiques plus ou moins complexes sur les territoires qu'ils dominent, notamment un ensemble de royaumes en Syrie et dans la Djézireh et s'imposent comme une donnée essentielle du paysage ethnique du Moyen-Orient pour les siècles suivants.

Si sur le long terme les royaumes mésopotamiens partagent bien le destin de leurs voisins orientaux, les temporalités sont différentes, ce qui induit des explications différentes. Ainsi l'émergence des Araméens se fait largement dans le contexte des bouleversements subis par le Levant qui voit au début de l'âge du Fer l'émergence de nouvelles organisations politiques et sociales sur les bases de celles du Bronze récent (Phéniciens, Néo-hittites, Israélites), ce qui se répercute plutôt par ricochet sur la Haute puis la Basse Mésopotamie. Les intrusions araméennes en Babylonie, conjuguées par la suite à celle d'un autre groupe, les Chaldéens, se font par ailleurs dans un contexte politique déjà difficile, lié à l'instabilité des dynasties succédant aux Kassites. Quoi qu'il en soit il y a bien un déclin marqué des institutions étatiques et urbaines à cette période-là et un recul de l'habitat permanent.

Le recul de l'Assyrie et l'expansion des Araméens au Nord[modifier | modifier le code]

Carte des États néo-hittites et araméens vers 900-800 av. J.-C.

Les Araméens apparaissent dans les sources assyriennes à l'époque de Teglath-Phalasar Ier, dernier temps fort du royaume médio-assyrien. Ils font partie de groupes de populations qu'affrontent à plusieurs reprises les rois assyriens, aux côtés d'autres, notamment les Ahlamû qui disparaissent par la suite (ils se confondent sans doute avec eux). Les Araméens ne sont sans doute pas des nouveaux-venus dans l'espace syro-mésopotamien, puisqu'il s'agit d'un groupe de population parlant une langue du groupe nord-ouest sémitique apparaissant dans la région du Moyen-Euphrate, dont les modalités d'expansion rappellent fortement celles des Amorrites un millénaire plus tôt (sans qu'il ne soit pour autant possible d'établir un lien clair entre ces deux groupes). Lorsque les Assyriens les affrontent au début, ils viennent apparemment souvent des régions situées à l'ouest de l'Euphrate qui ont été affectées par la crise du XIIe siècle av. J.-C. et ont connu d'importants bouleversements politiques et des mouvements de populations qui sont encore mal compris. Les groupes araméens des débuts sont donc souvent présentés comme des tribus nomades ou semi-nomades déjà présentes dans l'espace syrien, ayant profité du vide politique pour s'affirmer, même s'il est manifeste que, sur le long terme au moins, elles intègrent aussi des éléments de la population sédentaire[168]. Ces groupes araméens se heurtent d'abord à des armées assyriennes qui ont le dessus sous Teglath-Phalasar Ier et Assur-bel-kala dans la première moitié du XIe siècle av. J.-C. Mais les groupes araméens consolident progressivement leurs bases et évincent les Assyriens de la majeure partie de la Djézireh à partir de la fin du XIe siècle av. J.-C., et au Xe siècle av. J.-C. ils constituent dans la région un ensemble de royaumes indépendants[169].

L'espace syro-mésopotamien est alors retourné à une situation de forte fragmentation politique, entre des royaumes araméens en Syrie intérieure et méridionale, tandis qu'au nord et à l'ouest se trouvent d'autres entités héritières de l'ancien royaume hittite, désignées comme « néo-hittites » (en fait louvites), quoique l'élément araméen y soit très important. Les plus puissants royaumes araméens sont situés à l'ouest de l'Euphrate (Bit Agusi et Sam'al au Nord, Hama au centre, Aram-Damas), ceux de l'est étant manifestement moins puissants : Bit Bahiani (en) dont la capitale est Til-Barsip (Tell Ahmar) sur l'Euphrate, Bit Adini dans le triangle du Khabur, avec pour capitale Guzana (le site plurimillénaire de Tell Halaf qui connaît alors une nouvelle ère faste), et plus au nord Nisibe et Bit Zamani, tandis qu'au sud Bit Halupe et Laqê sont des constructions politiques moins puissantes[170]. Ces entités ont donc été fondées par des groupes de tribus pastorales, comme l'indique le fait que plusieurs d'entre elles se présentent comme des « Maisons » (Bīt(u)) tirant son nom d'un ancêtre commun comme cela est courant dans les entités d'origine tribale. Mais lors de leur consolidation elles ont constitué de véritables royaumes sur le modèle hérité de la période antérieure, et participé à un renouveau urbain de la région après une période de déclin de l'habitat, réaménageant certains sites anciens pour y ériger de petits centres fortifiés, dont l'exemple le plus représentatif en Haute Mésopotamie est Tell Halaf, citadelle carrée avec un complexe monumental disposant d'un bâtiment palatial daté du règne du roi Kapara (IXe siècle av. J.-C., donc contemporain de l'expansion assyrienne), de type bit-hilani caractéristique de l'architecture syro-hittite, avec une entrée à portique dont les colonnes sont supportées par des statues de sphinx, bâtiment où ont également été mis au jour des bas-reliefs sculptés sur des dalles de pierres (orthostates), sans doute des remplois d'une période antérieure[171]. Cet art et cette architecture présentent de nombreuses similitudes avec ceux de l'Assyrie (notamment à Nimroud, qui date en gros de la même période), témoignant d'importants échanges culturels entre l'ouest et l'est de la Haute Mésopotamie. On doit aussi aux Araméens l'introduction en Mésopotamie de l'écriture alphabétique, avec l'alphabet araméen adapté de celui des Phéniciens.

Quant aux Assyriens, ils subsistent dans le cœur de leur royaume, autour de la capitale Assur, et aussi dans quelques points préservés au voisinage direct de royaumes araméens, au moins dans la Djézireh orientale jusqu'au Khabur où ils préservent des postes frontaliers[172]. L'activité des souverains assyriens aux XIe – Xe siècle av. J.-C. est mal connue, mais il est clair qu'ils préservent une lignée de rois ayant parfois des règnes longs et se succédant apparemment sans heurts, et les bases de leur puissance en conservant leur autorité sur les grandes villes voisines (Ninive, Kalkhu, Arbèles). Dans les dernières décennies du Xe siècle av. J.-C., Assur-dan II (934-912) et Adad-nerari II (911-891) sont en mesure d'entreprendre des campagnes plus ambitieuses contre les Araméens, qui ont donc eu l'ascendant un peu moins d'un siècle.

L'instabilité de la Babylonie post-kassite[modifier | modifier le code]

Les derniers règnes de la seconde dynastie d'Isin sont marqués par les premières incursions de groupes d'Araméens en Babylonie, accompagnés d'un autre peuple auparavant attesté dans la région du Moyen-Euphrate et la Syrie, les Sutéens (qu'avaient notamment eu à affronter les rois amorrites de Mari). Dès le règne d'Adad-apla-iddina (1069-1048), ces incursions sont suffisamment importantes pour entraîner le pillage de plusieurs villes importantes du Nord et du Nord-Ouest de la Babylonie (Dur-Kurigalzu, Sippar, Nippur, Der). Ces raids se poursuivent durant les décennies suivantes, qui sont marquées par une forte instabilité dynastique sur le trône de Babylone, et son mal documentées. Les listes royales et chroniques indiquent en tout cas une succession de dynasties éphémères, à la différence de l'Assyrie où la stabilité dynastique est assurée. Les Araméens et les Sutéens semblent provoquer des nombreux ravages dans cette période-là, et la Babylonie plonge dans le chaos à la fin du XIe siècle av. J.-C. et au Xe siècle av. J.-C., comme en témoigne un texte mythologique postérieur, l’Épopée d'Erra, visant à donner une explication théologique à ces temps troubles, expliquant que la région aurait été livrée aux furies du dieu destructeur Erra, alors que le grand dieu national Marduk avait été éloigné. Cette période n'est quasiment pas documentée par des sources contemporaines. Quand la situation est plus claire au début du IXe siècle av. J.-C., il apparaît que des mouvements de populations importants ont eu lieu. Si les Sutéens n'apparaissent pas comme des éléments majeurs, en revanche les Araméens sont bien implantés dans le Nord-Ouest de la Babylonie, autour du Tigre, où ils sont organisés suivant un mode de vie tribal et pastoral. Une autre ethnie apparaît également, les Chaldéens, dont les origines sont obscures : ils sont en général considérés comme une autre population d'origine ouest-sémitique, mais il pourrait s'agir de populations autochtones des zones humides de l'extrême-sud babylonien. Ils sont implantés surtout dans cette région, mais aussi le Nord-Ouest de la Babylonie, organisés eux aussi suivant un principe tribal (des « Maisons », Bīt(u)), mais sont des populations d'agriculteurs sédentaires, disposant de villages et d'établissements fortifiés servant de capitales à leurs principautés. Les grandes villes babyloniennes ont alors connu un déclin marqué, et les souverains régnant sur Babylone ne dominent sans doute que cette ville et ses voisines autour de l'Euphrate[173].

L'ère des empires mésopotamiens[modifier | modifier le code]

Au sortir de la phase de transition entre l'âge du Bronze et l'âge du Fer, la situation politique de la Mésopotamie est marquée par l'affirmation de l'Assyrie comme seule puissance hégémonique, la Babylonie étant plongé dans une situation de fragmentation politique qui limite l'influence des rois de Babylone. L'Assyrie constitue progressivement un empire couvrant la Haute Mésopotamie, puis s'étendant sur la Syrie, le Levant et la Babylonie, puis les régions voisines. Les souverains assyriens ouvrent donc l'ère des grands empires du Moyen-Orient, formations politiques caractéristiques de cette région pour les millénaires suivants. L'Assyrie est finalement renversée par une coalition de deux de ses anciens vassaux, les Babyloniens et les Mèdes, les premiers prenant la continuité impériale pour moins d'un siècle, avant d'être à leur tour renversés par les Perses.

La nouvelle expansion assyrienne[modifier | modifier le code]