Hippomane mancinella — Wikipédia

Mancenillier

Hippomane mancinella, le mancenillier, aussi appelé médecinier aux Saintes, est une espèce de plantes à fleurs de la famille des Euphorbiaceae. C'est un petit arbre très toxique pousse dans les régions équatoriales d'Amérique, dans des sols secs et sableux.

Étymologie[modifier | modifier le code]

Le terme de « mancenillier » dérive de l'espagnol manzanilla qui signifie « petite pomme », en raison de la forme de son fruit. Les premiers conquistadors qui découvrirent cet arbre et sa toxicité le surnommèrent « arbre de la mort » (árbol de la muerte) et le fruit « petite pomme de la mort » (manzanilla de la muerte).

Description[modifier | modifier le code]

Ce petit arbre[1] de 5 à 10 m de haut (jusqu'à 25 m en situation abritée), possède le port d'un poirier et une écorce grise assez lisse. Blessé, il produit une sève blanchâtre extrêmement toxique.

Pétiole avec glande.

Ses feuilles sont luisantes, ovales à elliptiques, de 3 à 20 cm de long. Leur base est arrondie, tronquée à subcordée. Le pétiole de 5–12 cm porte une grosse glande rouge à l'apex.

C'est un arbre monoïque, portant sur un épi (de 4–15 cm) à la fois des fleurs mâles vers l'apex en groupe de 3–5 et des fleurs femelles globuleuses dans les aisselles des bractées inférieures.

La floraison a lieu en février-mars puis en août-novembre.

Le fruit, la mancenille, est une drupe de 3 cm de diamètre ressemblant à une petite pomme verte. Ce fruit très toxique exhale pourtant une odeur agréable de citron et pomme reinette.

Écologie[modifier | modifier le code]

Port du mancenillier, en Guadeloupe.

Le mancenillier pousse sur le littoral sableux ; on le trouve donc généralement à proximité des plages. Il est présent dans toutes régions sèches et chaudes d'Amérique tropicale : Mexique, Floride, Amérique centrale, Antilles et Nord de l'Amérique du Sud. Dans l'Outre-mer français, on le retrouve communément en Martinique et en Guadeloupe.

Composition chimique[modifier | modifier le code]

Toutes les parties de l'arbre contiennent divers alcaloïdes comme la physostigmine et une sapogénine[2].

Les substances irritantes du latex sont des diterpènes de structure tigliane et daphnane[3],[4] qui deviennent irritantes après estérification. Les structures daphnanes diterpèniques sont l'hippomane A et B. Ce sont les mêmes genres de facteurs irritants que l'on retrouve dans Thymelaea hirsuta ou dans l'huratoxine, extraite de Hura crepitans. De plus, ce sont des substances potentiellement cancérigènes.

Toxicité[modifier | modifier le code]

Mancenillier : aux Antilles, les arbres sont signalés par une marque rouge.
Brûlure occasionnée par un contact direct de la peau avec des feuilles de mancenillier.

Le latex de cette euphorbiacée est très toxique, il déclenche par simple contact avec la peau ou les muqueuses une réaction inflammatoire intense. Toutes les parties sont empoisonnées mais la quantité de latex peut varier suivant les saisons. Même le bois est toxique et les bûcherons qui abattent l'arbre et les menuisiers qui le travaillent doivent prendre de grandes précautions[5].

Le simple contact cutané avec les feuilles, le fruit ou la sève peut provoquer des dermatites bulleuses sévères, parfois purpuriques[6].

En général, les gens qui mordent dans la « pomme » la recrachent aussitôt en raison de son goût très âcre. Mais s'ils avalent la bouchée, les conséquences peuvent être très graves.

Mordre le fruit entraîne des brûlures intenses, un gonflement des lèvres, la tuméfaction de la langue qui se couvre de cloques. Toute la muqueuse de la cavité buccale se détache ensuite par larges plaques. Les œdèmes pharyngés peuvent nécessiter une trachéotomie. L'intoxication s'accompagne d'une chute de la tension artérielle et d'un choc. Les conséquences peuvent être fatales[5].

En cas de pluie, il convient de ne pas s'abriter sous l'arbre, car l'eau ruisselant des feuilles se charge d'éléments toxiques[5]. C'est pourquoi il est conseillé de ne pas faire la sieste sous l'arbre[7],[5].

Enfin, si le pollen emporté par le vent se colle sur la peau, il peut aussi causer de douloureuses dermatites[5].

Des cas de conjonctivite ont été signalés pour des personnes s'étant assises sous l'arbre[5].

Utilisations[modifier | modifier le code]

Il constitue un excellent coupe-vent naturel, ses racines stabilisent le sable et permettent de prévenir l'érosion.

Il a été prétendu[8] que les Caraïbes utilisaient le latex du mancenillier comme poison de flèche. Dans ses mémoires, Voyage aux Isles (1693-1705), le père dominicain Jean-Baptiste Labat affirme ainsi : "Ils font une fente dans l'écorce du mancenillier et y mettent le bout de leurs flèches et les y laissent jusqu'à ce qu'elles soient imbibées du lait épais, visqueux et empoisonné de ce mauvais arbre. Après qu'elles sont sèches, ils les enveloppent dans une feuille de cachibou ou dans une gaine de palmiste".Vigors Earle[5] rejette pour sa part cette allégation.

Dans la fiction[modifier | modifier le code]

Dans son livre Maurras et notre temps (1951), Henri Massis compare André Gide et Marcel Proust à des mancenilliers : « Quant à sa pensée, elle avait grandi à l'ombre de ces hautes colonnes, un Barrès, un Maurras, un Bergson, un Claudel, un Péguy — quand elle ne s'était pas couchée au pied de ces mancenilliers, un André Gide, un Marcel Proust — et sous ce prodigieux afflux, elle avait fini par tout mêler ensemble, par tout confondre et par s'y perdre ! »

Le mancenillier est évoqué dans le film La Forêt interdite de Nicholas Ray (1958) : un homme est mis à mort attaché à l'arbre.

Dans Top Secret (Blake Edwards, 1974) le personnage incarné par Omar Sharif déconseille à la femme qu'il aime de s'attarder sous les branches de l'arbre en cas de pluie à cause de son latex dangereux[9].

Dans le film Cayenne Palace (1987), L’Équateur, personnage joué par Jean Yanne, est tué en étant jeté sur un mancenillier.

Le mancenillier est évoqué dans le roman SAS aux Caraïbes (1967) : un jeune homme est torturé par l'utilisation de la sève acide de l'arbuste.

Dans l'opéra L'Africaine de Giacomo Meyerbeer, Selika, abandonnée par Vasco de Gama, se suicide en inhalant la fleur mortelle d'un mancenillier[10]. L'opéra ne se passe pourtant pas dans un pays où pousse cet arbre[10].

Gustave Flaubert fait écrire à Rodolphe, le premier amant de Madame Bovary, dans sa lettre de rupture, « qu'il se reposait à l'ombre de ce bonheur idéal, comme à celle du mancenillier, sans prévoir les conséquences ». Plus loin, le pharmacien Homais, après l'empoisonnement d'Emma, voulant montrer son érudition, le cite dans une litanie de toxiques.

Julien Gracq y fait allusion dans au moins deux de ses ouvrages : Manuscrits de guerre[11] : « Il y avait des lieux privilégiés, où il était, où il devait être bon de rester et de se tenir, - d'autres dont le nom à peine prononcé jetait de l'ombre, une ombre de mancenillier. » et Un balcon en forêt[12] : « Tous les dix mètres, Grange se retournait, et jetait un coup d’œil soupçonneux dans l'épaisseur des bois vides : cette île de clair-obscur et de calme autour de lui devenait vénéneuse, comme l'ombre du mancenillier. »

Michel Leiris fait mention de « mancenilliers obscurs dont la sève est un dangereux grisou prêt aux plus horribles explosions »[13].

Jeff Lindsay, dans le roman Double Dexter évoque assez longuement la toxicité de l'arbre, ainsi que ces usages par certains peuples indigènes des Caraïbes, lors de supplices. Le personnage de Dexter Morgan est évidemment intéressé par les propriétés morbides de cette plante, qui sont évoquées à de jeunes scouts, lors d'une excursion auquel il participe.

Hervé Guibert dans son ouvrage "Paradis" dont l'intrigue se déroule principalement à la Martinique évoque également la menace du mancenillier qui devient un élément obsédant du livre.

La sève de mancenillier est utilisé comme méthode pour tuer l'une des victimes dans le téléfilm policier Meurtres à Marie-Galante.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Jacques Fournet, Flore illustrée des phanérogames de Guadeloupe et de Martinique, Gondwana éditions, Cirad,
    Tome 1 (ISBN 2-87614-489-1) ; Tome 2 (ISBN 2-87614-492-1).
  2. Sastre C., Breuil A., Plantes, milieux et paysages des Antilles françaises. Écologie, biologie, identification, protection et usages., Biotope, Mèze, .
  3. (en) Lewis S. Nelson, Richard Shih, Michael Balick, Handbook of Poisonous And Injurious Plants, Springer-Verlag, .
  4. (en) W. Adolf, E. Hecker, « On the irritant and carcinogenic principles of Hippomane mancinella », Tetrahedron Letters, vol. 19,‎ , p. 1587-1590.
  5. a b c d e f et g (en) K. Vigors Earle, « Toxic effects of Hippomane mancenella », Transactions of the royal society of tropical medicine and hygiene (en), vol. XXXII, no 3,‎ .
  6. Bruneton, J., Pharmacognosie - Phytochimie, plantes médicinales, 4e éd., revue et augmentée, Paris, Tec & Doc - Éditions médicales internationales, , 1288 p. (ISBN 978-2-7430-1188-8).
  7. On voit cependant des Martiniquais faire du camping sauvage sous les mancenilliers moyennant quelques précautions.
  8. Posada-Arango A., « Le poison des sauvages du Choco », Pabellon medico (es), vol. 16,‎ .
  9. Katia Astafieff, Les plantes font leur cinéma : de "La petite boutique des horreurs" à "Avatar", Malakoff, Dunod, , 224 p. (ISBN 978-2-10-084685-6), p. 137
  10. a et b Francis Trépardoux, « Le Mancenillier sur la scène et en poésie », Revue d'Histoire de la Pharmacie, vol. 80, no 295,‎ , p. 435–438 (lire en ligne, consulté le )
  11. Julien Gracq, Manuscrits de guerre : édition fac-similé, Paris, José Corti, , 246 p. (ISBN 978-2-7143-1058-3), p. 164.
  12. Julien Gracq, Un balcon en forêt, Corti, , 229 p. (ISBN 978-2-7143-0333-2), p. 205.
  13. Michel Leiris, Aurora, Paris, Gallimard, , 193 p., p. 13.

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