Héliogabale — Wikipédia

Héliogabale (ou Elagabal)
Empereur romain
Image illustrative de l’article Héliogabale
Buste d'Héliogabale, musée du Capitole.
Règne
juin 218 (~4 ans)
Période Sévères
Précédé par Macrin et Diaduménien
Suivi de Sévère Alexandre
Biographie
Nom de naissance Varius Avitus Bassianus
Naissance v. 203 ou 204, Émèse, Rome ou Velletri
Décès (à ~19 ans), Rome
Père Sextus Varius Marcellus
Mère Julia Soæmias Bassiana
Épouse (1) Julia Paula (219-220)
(2) Julia Severa (220-221)
(3) Annia Faustina (221)
(2) Julia Severa (221)

Marcus Aurelius Antoninus (né Varius Avitus Bassianus), plus connu sous le sobriquet d'Héliogabale ou Elagabal, né v. 203 ou 204 à Émèse, Rome ou Velletri et mort à Rome le , est un empereur romain issue de la dynastie des Sévères, qui règne de 218 à 222 sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus.

Enfant de Julia Soæmias et de Varius Marcellus, Héliogabale est, par sa mère, le petit-neveu par alliance de Septime Sévère — époux de sa grand-tante Julia Domna en secondes noces — et parent de Caracalla, cousin de sa mère.

Sa famille exerce une influence importante en Syrie où Héliogabale sert, dans son enfance, comme prêtre du dieu Elagabal. Après la mort de Caracalla, Héliogabale est nommé empereur à 14 ans, à la suite d'une restauration des Sévères orchestrée par sa grand-mère Julia Maesa contre Macrin.

L'exercice réel du pouvoir sur l'Empire relève de Julia Maesa mais les excès du jeune empereur génèrent une opposition croissante qui occasionnent son assassinat en 222, alors qu'il est âgé d'à peine de 18 ans. Il est remplacé, à l'instigation de sa grand-mère, par son cousin Sévère Alexandre.

L'historiographie romaine lui est très défavorable et réduit son bref règne à une série de transgressions, d'excès et d'outrances tant sur le plan des institutions que celui des cultes traditionnels ou encore des mœurs, une description réévaluée par la recherche contemporaine.

Biographie[modifier | modifier le code]

Accession au trône[modifier | modifier le code]

Né en 203 ou 204 à Émèse, Rome ou dans le domaine familial de Velletri[1], descendant des Bassianides, une grande famille d'Émèse, Varius Avitus Bassianus est dépositaire dès l'âge de treize ans de la charge de grand-prêtre du dieu Élagabal.

Lorsque Caracalla est assassiné, le , à la tête des armées dans une plaine voisine de l'Euphrate, toutes les femmes de la branche syrienne de la famille impériale, chassées de Rome, se replient dans leur fief d'Émèse. Julia Mæsa, sa grand-mère, Julia Soæmias, sa mère, et Julia Mamæa, sa tante et mère du futur empereur Sévère Alexandre, parviennent à convaincre l'armée de proclamer Varius empereur, en raison de sa ressemblance physique avec Caracalla, sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus, nom déjà abusivement porté par Caracalla : « [il] s’était arrogé le nom d’Antonin, soit comme une preuve qu’il était issu de cette famille, soit parce qu’il savait que ce nom était tellement cher aux peuples[2]. »

L'empereur Macrin, resté à Antioche, est alors pris de court. Piteux stratège, et ayant dressé l'armée contre lui, il est défait et finalement assassiné en juin 218 à Immae : le jeune Varius se retrouve à quatorze ans le seul maître de tout l'Empire romain.

Un empereur faible plutôt que sanguinaire[modifier | modifier le code]

Si l'on examine soigneusement les récits rapportés par les historiens antiques, on conclut qu'il est, en réalité, plus dépensier que cruel et plus extravagant que méchant. Ses biographes, partiaux, ont en effet fortement exagéré ses vices. Ces écrivains antiques, en racontant sa vie, se montrent plus moralistes qu'historiens. Par des descriptions violemment contrastées, ils opposent un empereur qu'ils décrivent comme totalement pervers à son cousin et successeur, Alexandre Sévère, présenté, avec tout autant d'exagération, comme le parangon de toutes les vertus.

Aureus d'Héliogabale, au revers, Sanctus DEO SOLI : le bétyle d'Élagabal en procession vers Rome sur un char, frappé à Antioche, vers 218-219.

Héliogabale laisse les rênes du gouvernement à sa grand-mère, Julia Mæsa, et à sa mère, Julia Soæmias : « Il fut tellement dévoué à Semiamira sa mère, qu’il ne fit rien dans la république sans la consulter[2]. » C'est cette emprise féminine, plus que la superstition de l'empereur, ses caprices puérils, ses dépenses inconsidérées, qui horripilent les « vieux Romains » et précipitent sa chute. L’ambition de sa mère semble si dévorante qu’elle manque de prudence face aux lois romaines qui relèguent les femmes à l'arrière-plan. Elle impose même sa présence au Sénat. Ce détail, par-dessus tout, choque les contemporains : « Lors de la première assemblée du sénat, il fit demander sa mère. À son arrivée, elle fut appelée à prendre place à côté des consuls. Elle prit part à la signature, c’est-à-dire qu’elle fut témoin de la rédaction du sénatus consulte. De tous les empereurs il est le seul sous le règne duquel une femme, avec le titre de clarissime, eut accès au sénat pour tenir la place d’un homme[2]. »

Héliogabale prend la route de Rome avec une procession qui transporte une pierre noire tombée du ciel sur un char d'or tiré par des chevaux blancs, qu'il conduit à reculons jusqu'au Palatin atteint durant l'été 219[3]. « Il fit construire et consacra à Héliogabale un temple sur le mont Palatin auprès du palais impérial. Il y fit transporter tous les objets de la vénération des Romains : la statue de Junon, le feu de Vesta, le Palladium et les boucliers sacrés. […] Il disait en outre que les religions des Juifs et des Samaritains, ainsi que le culte du Christ, seraient transportés en ce lieu, afin que les mystères de toutes les croyances fussent réunis dans le sacerdoce d’Héliogabale[2]. » Les religions nouvelles d'Isis, de Sérapis, ou de Cybèle, de Mithra ou des chrétiens comptent leurs fidèles à Rome, sans menacer pour autant le vieux panthéon romain. Mais, Héliogabale semble vouloir imposer son dieu comme unique, au-delà de son assimilation à Jupiter. Les Romains sont scandalisés lorsqu'il enlève la grande Vestale Aquilia Severa pour l'épouser, en désir de syncrétisme symbolique, « pour que naissent des enfants divins », dit-il au Sénat. Mais, peu porté sur la gent féminine, Héliogabale ne consomme pas le mariage et se sépare rapidement de sa femme[4]. Ensuite, ses « mariages » homosexuels, notamment avec deux « colosses » grecs prénommés Hiéroclès et Zotikos, choquent les historiens romains[5]. La fin de son règne est rythmée par des orgies homosexuelles avec des prostitués mâles (exolètes) recrutés pour l'occasion, à en croire l'Histoire Auguste[6] et Aurélius Victor[7]. Il portait des vêtements de femme et demandait à être désigné par le pronom « elle ». D'après les historiens Dion Cassius et Jean Zonaras, il souhaitait accéder à une « double nature sexuelle » grâce à une incision « à l'avant du corps »[8]. Ces faits rapportés en font une personnalité de l'histoire de la transidentité, souvent citée comme exemple de modification de son identité de genre[9].

Prodigue et démagogue, il offre des fêtes au cirque et des combats d'animaux, il jette au peuple des objets précieux. Il reçoit, au milieu des histrions et des gitons, des convives à qui il offre des raffinements de table dignes de Cléopâtre, parfois agrémentés de surprises redoutables, quand les convives se réveillent de l'orgie dans une cage avec des lions ou des ours apprivoisés.

Chute[modifier | modifier le code]

Statue de Julia Aquilia Severa (musée archéologique d'Athènes) vraisemblablement victime de la damnatio memoriæ de son mari.

Après trois années de règne, Héliogabale bénéficie encore du soutien de l'armée. Il le perd par maladresse. En juin 221, sa grand-mère, Julia Mæsa, pressentant que les vices de son petit-fils finiraient par les perdre lui et sa famille, le convainc d'adopter son cousin Alexianus Bassianus, sous le nom de Sévère Alexandre, et de l'associer au pouvoir avec le titre de « césar »[10]. Ce jeune homme est l’antithèse d'Héliogabale : sévère, avisé, vertueux, patient et sage. Il parvient à se rendre populaire auprès de la seule force qui compte réellement dans l'Empire, l'armée.

Aussi, quand les soldats apprennent qu'Héliogabale cherche à se débarrasser de son cousin et associé, ils commencent à lui être hostiles. Héliogabale veut alors faire arrêter les meneurs mais une foule furieuse envahit le palais impérial et massacre l'empereur. Son corps est traîné à travers les rues de Rome, puis la populace tente de jeter le cadavre aux égouts, mais, comme les conduits sont trop étroits, le cadavre de l'empereur est finalement jeté dans le Tibre depuis le pont Æmilius ()[11].

Son cousin, Sévère Alexandre, devient empereur, et la pierre noire retourne à Émèse.

Transidentité[modifier | modifier le code]

Héliogabale portait des vêtements de femme et demandait à être désignée par le pronom « elle ». D'après les historiens Dion Cassius et Jean Zonaras, l'empereur souhaitait accéder à une « double nature sexuelle » grâce à une incision « à l'avant du corps »[12]. Au cours de son règne, Héliogabale se qualifie de Dame et refuse qu'on l'appelle au masculin ; il s'agit d'un des premiers cas dont les archives sont parvenues à notre ère de transidentité. Les historiens utilisent le plus souvent le masculin à son sujet, suivant en cela les sources de l'époque[13], bien que les sources plus récentes tendent à favoriser le féminin[14].

Certains commentateurs estiment que ces propos rapportés pourraient l'être seulement dans le but de donner mauvaise réputation à Héliogabale et être donc inventés[14].

Politique religieuse[modifier | modifier le code]

Par son souci de promouvoir un culte unique — en l'occurrence le culte solaire — à un moment où il était nécessaire de restaurer l'unité de l'empire, la politique religieuse d'Héliogabale peut se rapprocher du « césaropapisme », qui est ensuite celle des empereurs païens puis chrétiens du Bas-Empire. D'ailleurs, cinquante ans après, l'empereur Aurélien vise à peu près le même objectif en instituant Sol Invictus comme divinité de l'Empire.

L'empereur Héliogabale laissa les chrétiens en paix. Il est en effet fort vraisemblable qu'il ait entendu parler de la religion chrétienne dont les disciples étaient nombreux en Syrie ; Anicet, pape de 155 à 166, était comme lui originaire d'Émèse.

On peut noter qu'à l'époque de l'assassinat d'Héliogabale, une émeute populaire antichrétienne est rapportée à Rome, au cours de laquelle l'évêque de Rome Calixte aurait perdu la vie. Selon la tradition : écharpé par la foule, il aurait été défenestré, jeté dans un puits puis lapidé[15].

Noms et titres[modifier | modifier le code]

Noms successifs[modifier | modifier le code]

  • 205 : naissance de Varius Avitus Bassianus.
  • 218 : accession à l'Empire : Imperator Cæsar Divi Antonini Magni Filius Divi Severi Pii Nepos Marcus Aurelius Antoninus Pius Felix Augustus.
  • 220 : ajout du surnom « grand-prêtre du dieu Soleil invincible Elagabal » : Imperator Cæsar Divi Antonini Magni Filius Divi Severi Pii Nepos Marcus Aurelius Antoninus Pius Felix Augustus Sacerdos Amplissimus Dei Invicti Solis Elagabali.
  • 222 : titulature à sa mort : Imperator Cæsar Divi Antonini Magni Filius Divi Severi Pii Nepos Marcus Aurelius Antoninus Pius Felix Augustus, Sacerdos Amplissimus Dei Invicti Solis Elagabali, Pontifex Maximus, Tribuniciæ Potestatis V, Consul IV, Pater Patriæ.

Titres et magistratures[modifier | modifier le code]

Sources[modifier | modifier le code]

La damnatio memoriae dont Héliogabale fit l'objet rend important d'identifier les sources dont nous disposons à son égard.

Dion Cassius[modifier | modifier le code]

L'historien Dion Cassius, qui vécut de la seconde moitié du IIe siècle jusqu'après 229, écrit un récit contemporain d'Héliogabale. Né dans une famille sénatoriale, Dion a passé la plus grande partie de sa vie dans la fonction publique. Il fut sénateur sous l'empereur Commode et gouverneur de Smyrne après la mort de Septime Sévère, puis il servit comme consul suffect vers 205, et comme proconsul en Afrique et en Pannonie[16].

L'histoire romaine de Dion Cassius s'étend sur près d'un millénaire, depuis l'arrivée d'Énée en Italie jusqu'en 229. Son récit, contemporain du règne d'Héliogabale, est généralement considéré comme plus fiable que l'est l'Histoire Auguste ou d'autres récits pour cette période générale[17],[18] bien que, de son propre aveu, Dion ait passé la plus grande partie de la période pertinente en dehors de Rome et ait dû s'appuyer sur des informations de seconde main[16].

De plus, le climat politique au lendemain du règne d'Héliogabale, ainsi que la position de Dion au sein du gouvernement de Sévère Alexandre, qui le tenait en haute estime et le nomma à nouveau consul, ont probablement influencé la vérité de cette partie de son histoire pour le pire. Dion se réfère régulièrement à Héliogabale comme Sardanapale, en partie pour le distinguer de son homonyme divin[19], mais surtout pour contribuer au maintien de la damnatio memoriae et pour l'associer à un autre autocrate connu pour sa vie dissolue[20].

L'historienne Clare Rowan qualifie le récit de Dion de mélange d'informations fiables et d'« exagération littéraire », notant que les mariages d'Héliogabale et son mandat de consul sont confirmés par des documents numismatiques et épigraphiques[21]. Dans d'autres cas, le récit de Dion est inexact, comme lorsqu'il dit qu'Héliogabale a nommé des fonctionnaires totalement non qualifiés et que Comazon n'avait aucune expérience militaire avant d'être nommé à la tête de la Garde prétorienne[22], alors qu'en fait Comazon avait commandé la Troisième Légion[23],[24]. Dion donne également différents récits à différents endroits sur le moment et par qui Diaduménien (dont Héliogabale a combattu les forces) a reçu des noms et des titres impériaux.

Hérodien[modifier | modifier le code]

Un autre contemporain d'Héliogabale était Hérodien, un petit fonctionnaire romain qui vécut de 170 à 240. Son ouvrage, Histoire de l'Empire romain depuis Marc Aurèle, communément abrégé en Histoire romaine, est un témoignage oculaire du règne de Commode jusqu'au début du règne de Gordien III. Son travail recoupe largement l'Histoire romaine de Dion, et les textes, écrits indépendamment les uns des autres, s'accordent le plus souvent sur Héliogabale et son règne court mais mouvementé[25].

Arrizabalaga écrit qu'Hérodien est à bien des égards « moins détaillé et pointilleux que Dion »[26], et il est jugé moins fiable par de nombreux érudits modernes, bien que Rowan considère son récit du règne d'Héliogabale plus fiable que celui de Dion[21] et son manque de prétentions littéraires et savantes le rendent moins partial que les historiens sénatoriaux[27]. Il est considéré comme une source importante pour les réformes religieuses qui ont eu lieu sous le règne d'Héliogabale[28], qui ont été confirmées par des preuves numismatiques[29],[30] et archéologiques [31].

Histoire Auguste[modifier | modifier le code]

La Vie d'Héliogabale dans l'Histoire Auguste, source de nombreuses histoires sur la dépravation d'Héliogabale, est un ouvrage pseudo-historique fictivement dédiée à l'empereur Constantin Ier et comprend de nombreuses affirmations controversées. Il est généralement entendu qu'il a en fait été écrit vers la fin du IVe siècle, sous le règne de l'empereur Théodose Ier[32]. Elle est riche en détails négatifs attribués à Héliogabale, qui sont autant d'allusions de propagande anti-Constantin, compréhensibles pour un lecteur du IVe siècle : basse origine de sa mère, goût du luxe et des bijoux, volonté d'imposer son monothéisme au détriment des autres cultes romains, monothéisme qui lui aurait donné la victoire sur son adversaire, refus de monter au Capitole pour célébrer son triomphe, etc.[33]. Les sections 13 à 17, relatives à la chute d'Héliogabale, sont moins controversées parmi les historiens[34]. L'auteur des récits les plus scandaleux de l'Histoire augustéenne concède lui-même que « ces deux choses et quelques autres qui passent la croyance ont été, je pense, inventées par des gens qui voulaient déprécier Héliogabale pour gagner les faveurs d'Alexandre »[35].

Historiens modernes[modifier | modifier le code]

Pour les lecteurs de l’ère moderne, Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain d’Edward Gibbon (1737-1794) a encore renforcé la réputation scandaleuse d’Héliogabale. Gibbon non seulement accepta et exprima son indignation face aux allégations des historiens anciens, mais il aurait pu ajouter quelques détails qui lui étaient propres ; par exemple, il est le premier historien connu à affirmer que Gannys était un eunuque[36]. Ainsi, Gibbon a écrit :

« Confondre l'ordre des saisons et du climat, se jouer des passions et des préjugés de ses sujets, renverser toutes les lois de la nature et de la décence, étaient au nombre de ses amusements les plus délicieux. Une longue suite de concubines et une succession rapide d'épouses, parmi lesquelles se trouvait une vestale enlevée de force à son asile sacré, ne suffisaient pas à satisfaire l'impuissance de ses passions. Le maître du monde romain affectait de copier les manières et les vêtements du sexe féminin, préférant la quenouille au sceptre, et déshonorait les principales dignités de l'empire en les distribuant à ses nombreux amants ; dont l'un était publiquement investi du titre et de l'autorité de l'empereur, ou, comme il s'appelait plus correctement, de l'époux de l'impératrice. Cela peut paraître probable, les vices et les folies d'Héliogabale ont été ornés par la fantaisie et noircis par les préjugés. Cependant, en nous limitant aux scènes publiques présentées au peuple romain et attestées par des historiens graves et contemporains, leur infamie inexprimable surpasse celle de toute autre époque ou de tout autre pays[37]. »

L'anthropologue du XXe siècle James George Frazer (auteur de Le Rameau d'or) a pris au sérieux les aspirations monothéistes de l'empereur, mais l'a également ridiculisé : « Le délicat prêtre du Soleil [était] le réprouvé le plus abandonné qui ait jamais été assis sur un trône... C'était l'intention de ce despote éminemment religieux mais fou de remplacer le culte de tous les dieux, non seulement à Rome mais dans le monde entier, par le culte unique d'Héliogabale ou du Soleil »[38]. La première biographie longue fut The Amazing Emperor Heliogabalus[39] (1911) de J. Stuart Hay, « une étude sérieuse et systématique »[40] plus sympathique que celle des historiens précédents, qui soulignaient néanmoins l'exotisme d'Héliogabale, qualifiant son règne de de « richesse immense et de prodigalité excessive, de luxe et d'esthétisme poussés à leur extrême extrême, et de sensualité dans tous les raffinements de son habitude orientale »[41].

Certains historiens récents dressent un tableau plus favorable du règne de l’empereur. Martijn Icks, dans Images of Elagabalus (2008 ; réédité sous le titre The Crimes of Elagabalus en 2011 et 2012), doute de la fiabilité des sources anciennes et soutient que ce sont les politiques religieuses peu orthodoxes de l'empereur qui ont aliéné l'élite du pouvoir de Rome, au point que sa grand-mère a jugé bon de l'éliminer et de le remplacer par son cousin. Il a décrit les histoires anciennes concernant l'empereur comme « faisant partie d'une longue tradition d'« assassinat de personnalité » dans l'historiographie et la biographie anciennes »[42].

Leonardo de Arrizabalaga y Prado, dans The Emperor Elagabalus: Fact or Fiction? (2008), critique également les historiens de l’Antiquité et émet l’hypothèse que ni la religion ni la sexualité n’ont joué un rôle dans la chute du jeune empereur. Prado suggère plutôt qu'Héliogabale était le perdant dans une lutte de pouvoir au sein de la famille impériale, que la loyauté des gardes prétoriens était à vendre et que Julia Maesa avait les ressources nécessaires pour déjouer et corrompre son petit-fils. Dans cette version des événements, une fois qu'Héliogabale, sa mère et son entourage immédiat ont été assassinés, une campagne de diffamation a commencé, aboutissant à une caricature grotesque qui a persisté jusqu'à nos jours[43]. D'autres historiens, dont Icks, ont critiqué Prado pour être trop sceptique à l'égard des sources primaires[44].

Warwick Ball, dans son livre Rome in the East, écrit un récit d'excuse de l'empereur, arguant que les descriptions de ses rites religieux étaient exagérées et devraient être rejetées comme de la propagande, de la même manière que les descriptions païennes des rites chrétiens ont depuis été rejetées. Ball décrit les processions rituelles de l'empereur comme une action politique et religieuse saine, arguant que le syncrétisme des divinités orientales et occidentales mérite des éloges plutôt que du ridicule. En fin de compte, il peint Héliogabale comme un enfant forcé de devenir empereur qui, comme on l'attend du grand prêtre d'un culte, a continué ses rituels même après être devenu empereur. Ball a justifié les exécutions par Héliogabale de personnalités romaines éminentes qui critiquaient de la même manière ses activités religieuses. Enfin, Ball affirme la victoire éventuelle d'Héliogabale dans le sens où sa divinité serait accueillie par Rome sous sa forme Sol Invictus 50 ans plus tard. Ball prétend que Sol Invictus en est venu à influencer les croyances chrétiennes monothéistes de Constantin, affirmant que cette influence demeure dans le christianisme à ce jour[45].

Des musées modernes changent la biographie d'Héliogabale pour correspondre à l'identité de femme trans, supposée être la plus correcte dans les interprétations modernes[14].

Représentations antiques[modifier | modifier le code]

Auitus Varius Antoninus Heliogabalus, gravure en médaillon 1710

Bien que subissant la damnatio memoriae, Héliogabale dont les statues ont été renversées et les dédicaces martelées, est connu par un ensemble de représentations ou de dédicaces qui ont échappé à cette entreprise d'effacement de la mémoire :

À Lugdunum[modifier | modifier le code]

Bien que court, son règne est marqué par la dédicace que les habitants de Lugdunum (aujourd'hui Lyon) lui accordent dans le Sanctuaire fédéral des Trois Gaules. Un bloc de pierre, retrouvé lors de la destruction du pont de la Guillotière à Lyon, mesurant 57 cm × 180 cm × 55 cm, donne une inscription restituée par les archéologues Amable Audin et Pierre Wuilleumier :

«  [I]mp(eratori) Cæs(ari), div[i] / Antonioni Magn[i / fi]l(io), divi Sever(i) n[ep(oti), / [M(arco)] Aurel(io) Anton[i/no] / Pio Felici, Aug(usto), / [pont]if(ici) max(imo), trib(unicia) p[ot(estate) / I[II, co(n)s(uli) III; proco(n)s(uli), pa/tri patriæ, / [c] ives RomaniinTri/[b]us Provinci(is)Galli(i)s / [c] onsistentes public(e) / posuerunt, curantib(us / allectis isdemq(ue) sum/[m]is curatoribus Iulio / [S]aturnino prov(inciæ) Lugud(unensis) / […]ilio Sabino provinc(iæ) / [Belgic]æ, Aventinio Veris/ [simo pr]ovinci(iæ) Aquitanic(æ)[46]. »

« À l'empereur César Marc Aurèle Antonin, fils d'Antonin le Grand divinisé, petit-fils du divin Sévère, pieux, heureux, auguste, grand pontife, revêtu de la 3e puissance tribunitienne, consul pour la 3e fois, proconsul, père de la patrie, les citoyens romains résidant dans les trois provinces de Gaule, ont élevé (cette statue) officiellement, par les soins des allecti et à la fois summi curatores, Julius Saturnius de la province de Lyonnaise, … ilius Sabinus, de la province de Belgique, Aventinius Verissimus, de la province d'Aquitaine[47]. »

Probablement datée des années 220-221, la dédicace mentionne l'existence d'un organisme fédéral qui participe au culte impérial du sanctuaire des Trois Gaules. Les fonds de cette association sont gérés par les allecti, également summi curatores. Les provinces sont énumérées dans leur ordre hiérarchique : Lyonnaise, Belgique, Aquitaine[48].

Un camée[modifier | modifier le code]

Camée antique : Héliogabale sur un char tiré par des femmes.

Le cabinet des médailles de Paris possède un camée représentant Héliogabale nu, se présentant dans de « triomphantes dispositions intimes », sur un char tiré par deux femmes nues et à quatre pattes[49]. L'Histoire Auguste mentionne ce fait, que les historiens croyaient grandement exagéré. Ce camée donne foi aux rites naturistes et orgiaques qui se déroulaient au cours du culte du Dieu solaire instauré par l'empereur, où les ébats sexuels semblent avoir tenu une grande place[50].

Représentations de Héliogabale dans des œuvres modernes[modifier | modifier le code]

La vie de Héliogabale a notamment inspiré les artistes du mouvement décadent de la fin du XIXe siècle. L'idée que l'on a pu se faire de sa personnalité a pu servir de support aux œuvres suivantes :

Littérature[modifier | modifier le code]

  • Elagabalus, illustration de A.Leroux pour le roman L'agonie de Jean Lombard (1902).
    L'Agonie (1889), un roman de l'écrivain français Jean Lombard.
  • Algabal (1892), un recueil de poèmes de Stefan George centré sur la figure d'Héliogabale.
  • De berg van licht (1905-1906), roman en trois volumes de l'écrivain néerlandais Louis Couperus.
  • Gabriel Matzneff, Le carnet arabe, 1971. Récit d'un voyage en Orient. Lors de la visite d'Émèse, Matzneff s'attarde beaucoup sur l'empereur. L'ensemble du livre est marqué par la figure du jeune empereur ; en dédicace, on peut lire : « À la mémoire tant ternie d'Héliogabale, grand prêtre d'un autre Soleil, adolescent couronné d'Émèse qui enfiévra l'Empire et qui vécut comme la plupart des hommes n'osent pas rêver. »
  • Le scandaleux Héliogabale, empereur, prêtre et pornocrate. (2006), un roman d'Emma Locatelli.
  • Le divin Héliogabale, César et prêtre de Baal, essai historique de Roland Villeneuve, éd. Guy Trédaniel, Paris, 1984.
  • Les roses d'Héliogabale, Lawrence Alma-Tadema, 1888.
    La dernière prophétie, une série de bande dessinée de Gilles Chaillet dans les tomes 2 (Les dames d'Émèse, 2003) et 3 (Sous le signe de Ba'al, 2004).
  • Alain Burosse, Heliogabale Imperatrix Forever, 2016.

Peinture[modifier | modifier le code]

Cinéma[modifier | modifier le code]

Musique[modifier | modifier le code]

Arbre généalogique des Sévères[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Pierre Forni, Les Sévères, Paris, Ellipses, , 347 p. (ISBN 978-2-340-07587-0, lire en ligne), Pt95
  2. a b c et d Ælius Lampridius, Histoire Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale.
  3. Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique, les armes et les mots, éditions Hachette Littératures, 2008, p. 401-402 et Matthieu Gounelle, Les Météorites, éd. PUF, coll. « Que Sais-je », Paris, 2009 (ISBN 978-2-13-057428-6).
  4. Robert Turcan, Héliogabale et le sacre du Soleil, Albin Michel, 1985.
  5. Dion Cassius, Histoire, LXXIX, 15-1 ; Hérodien, Histoire romaine, V et suiv.
  6. Vie d'Héliogabale, V, 1-3.
  7. De Cæsaribus, XXIII, 2.
  8. « Quand les historiens documentent la vie des personnes transgenres », National Geographic,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. (en) Kit Heyam, Before We Were Trans : a new history of gender., Basic Books, , 320 p. (ISBN 1-5293-7775-7, 978-1-5293-7775-0 et 1-5293-7774-9, OCLC 1295807327, lire en ligne), p. 8
  10. Chastagnol, André, « Rencontres entre l'Histoire Auguste et Cicéron (à propos d'Alex. Sev., 6, 2) », Mélanges de l'école française de Rome, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, vol. 99, no 2,‎ , p. 905–919 (DOI 10.3406/mefr.1987.1572, lire en ligne, consulté le ).
  11. Christian Bonnet et Bertrand Lançon, L'Empire romain de 192 à 325 : du Haut-Empire à l'Antiquité tardive, éd. 1997, p. 96 [lire en ligne].
  12. « Quand les historiens documentent la vie des personnes transgenres », National Geographic,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  13. « LGBTQIA+ History Month – Elagabalus, The Trans Emperor of Rome? – Ollie Burns – History @ Bham », sur blog.bham.ac.uk (consulté le )
  14. a b et c Flavio Sillitti, « Ce musée a rectifié les pronoms d’Héliogabale, “empereur romain” reconnue comme femme transgenre », sur Konbini, (consulté le )
  15. Michel-Yves Perrin dans Yves-Marie Hilaire (dir.), Histoire de la papauté, 2 000 ans de mission et de tribulation, éd. Tallandier/Seuil, 2003, p. 47.
  16. a et b Dio, Book 80.18.
  17. Maggie L. Popkin, The Architecture of the Roman Triumph (2016), p. 170: "[de] Cassius Dio, Herodian, et l'Histoire Auguste[,] Dion est généralement considéré comme notre source la plus fiable pour cette période [l'ère Sévère]"
  18. Martin M. Winkler, The Fall of the Roman Empire: Film and History (2012), p. 63: "Dion, un proche contemporain [d'Aurèle] et généralement considéré comme la source la plus fiable de son époque"
  19. Dio, Book 80.11–12.
  20. Syme 1971, p. 145–146.
  21. a et b Rowan 2012, p. 169.
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  23. Southern 2003, p. 301.
  24. Icks 2011, p. 20.
  25. Herodian.
  26. Leonardo de Arrizabalaga y Prado, Varian Studies Volume One: Varius (2017), p. 131
  27. Modèle:Harvtxt: "Modern scholars have regarded Herodian as unreliable. However, [...] his lack of literary and scholarly pretensions make him less biased than the senatorial historians."
  28. Sorek 2012, p. 202.
  29. Henry Cohen, Description Historiques des Monnaies Frappées sous l'Empire Romain, Paris, 1880–1892, p. 40
  30. Ernest Charles François Babelon, Monnaies Consulaires II, Bologne, Forni, 1885–1886, 63–69 p.
  31. Corpus Inscriptionum Latinarum, CIL 02, 1409, CIL 02, 1410, CIL 02, 1413, and CIL III: 564–589.
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  44. Bill Leadbetter, « An eccentic book on Elagabalus (or Varius) – Leonardo de Arrizabalaga y Prado (2020), The Emperor Elagabalus: Fact or Fiction? » (book review), Journal of Roman Archaeology, vol. 27,‎ , p. 677–680 (DOI 10.1017/S1047759414001731, S2CID 220616205, lire en ligne)
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  50. Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique, les armes et les mots, éditions Hachette Littératures, 2008, p. 403.
  51. Le site officiel.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Sources antiques[modifier | modifier le code]

Ouvrages modernes[modifier | modifier le code]

Biographie romancée, écrite en « style artiste » mais bien documentée.
Ouvrage rassemblant beaucoup d'informations disponibles jusqu'à 1985 sur cet Empereur comme sur le culte de Sol Invictus Elagabal.
  • Robert Turcan, « Héliogabale précurseur de Constantin ? », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, no 1,‎ , p. 38-52 (lire en ligne).
  • Paul Veyne, L'Empire gréco-romain, Seuil, 2005.

Liens externes[modifier | modifier le code]