Gens de couleur libres — Wikipédia

Agostino Brunias - Gens de couleur, Femmes, libres.

Les Gens de couleur libres, dans les colonies françaises des Amériques, sous l'Empire colonial français, étaient des gens de couleur noirs et métis non esclaves.

Terminologie[modifier | modifier le code]

Les « gens de couleur »[modifier | modifier le code]

Femmes de couleur libres avec leurs enfants et leurs serviteurs.

Les « gens de couleur » (ainsi que les « sang-mêlés » ou « mulâtres ») sont des individus nés européens, africains et amérindiens. Ces catégories de la population étaient enregistrées et dénommées scrupuleusement dans les colonies françaises, et plus généralement dans les Antilles[1].

La notion de « gens de couleur », qui s'est répandue surtout au XVIIIe siècle, a suscité des débats aux premiers temps de la Révolution française. Pour l’abbé Grégoire, « Les dénominations gens de couleur, sang-mêlés, sont insignifiantes, puisqu’elles peuvent également s’appliquer aux Blancs libres, aux Nègres esclaves, etc. ; mais dans nos isles, l’usage a restreint l’acception de ces mots à la classe intermédiaire, dont les individus Blancs et Noirs sont les souches »[2].

Aux Antilles, la systématisation et la radicalisation de l’emploi des nuances de métissage dans les registres paroissiaux arrivent après la guerre de Sept Ans (1756-1763). Les termes suivants étaient utilisés dans les registres paroissiaux puis dans les actes d'état-civil en fonction des différents degrés de métissage[3],[4],[5]:

Proportion d'ancêtres noirs Saint-Domingue Guadeloupe/Martinique
7/8 Sacatra -
3/4 Griffe Capre
5/8 Marabou -
1/2 Mulâtre Mulâtre
1/4 Quarteron Métis
1/8 Métis Quarteron
1/16 Mamelouk Mamelouk
1/32 Quarteronné -
1/64 Sang-mêlé -

« Libres de couleur »[modifier | modifier le code]

L'expression « libres de couleur » désigne une des classes juridiques instituées dans les colonies françaises avant l'abolition de l'esclavage. Elle apparaît dans les ordonnances locales et royales promulguées dans les années 1720 à Saint-Domingue pour marquer la distinction avec les « nègres affranchis ». Cet usage se démarque alors des articles du Code noir de 1685 qui ne faisait pas de différence entre l’ensemble des gens libres[6].

Cette discrimination se traduisit, à partir de 1724, par une politique de ségrégation sociale : bien que libres, les gens de couleur libres ne pouvaient pas accéder aux postes à responsabilité (fonctions judiciaires, exercice de la médecine, commandement militaire) ni obtenir des privilèges ou des offices royaux, en vertu du « préjugé de couleur ». Dans les actes notariés, quatre degrés de couleur furent introduits : nègre, mulâtre, quarteron et blanc. C'est à cette époque que les libres de couleur furent appelés parfois péjorativement les « sang-mêlés »[7]. La notion de "libres de couleur" permet d'intégrer aussi bien les mulâtres, propriétaires d'esclaves que la "classe intermédiaire" des noirs affranchis. Un premier décret voté par l'assemblée constituante le 15 mai 1791 intègre les mulâtres mais sur demande de Jean-François Rewbell, dans un but d'apaisement des lobbies blancs, exclut les affranchis ; ce malgré les protestations de Maximilien Robespierre, contre cet ostracisme[8] avant d'être révoqué le 24 septembre, sur pression d'Antoine Barnave et des Lameth, proches de ces lobbies. L'égalité juridique des gens de couleur libres avec les Blancs ne sera définitivement reconnue (du moins jusqu'en 1802) que les 24 mars et 4 avril 1792 à l'Assemblée législative ; et cette fois-ci sans discrimination à l'encontre de la classe intermédiaire[9] après une série de débats opposant leurs défenseurs, tels que Jacques-Pierre Brissot, Nicolas de Condorcet, Pierre Vergniaud, Armand Gensonné, Elie Guadet, Jean-François Ducos, Jean-Philippe Garran de Coulon, François Chabot, Claude Basire, Merlin de Thionville et le ministre jacobin, Etienne Clavière, avec les représentants des colons blancs[10].

Libres et affranchis[modifier | modifier le code]

Le général Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie, mulâtre à réméré haïtien devenu général de la Révolution française, et père du célèbre écrivain Alexandre Dumas.
Le chevalier de Saint-George, militaire, fleurtiste devenu maître d'armes, musicien, très connu à la cour du duc d'Orléans.
Toussaint Louverture en 1802

Les termes « affranchis/anciens libres » et « gens de couleur/mulâtres » ont des significations qui sont différentes, mais qui recouvrent la même idée générale. Affranchis, un terme qui a signifié ex-esclave, a été largement répandu par des blancs pour se rapporter à toutes les personnes libres de couleur à Saint-Domingue. Après que l'esclavage a été aboli dans la colonie, le terme « anciens libres » fut largement répandu pour se rapporter à ces gens qui étaient libres avant l'émancipation générale de 1793. « Gens de couleur » était un autre terme appliqué aux personnes libres de couleur, mais spécifiquement aux gens d'origine métissée, par opposition aux noirs libres. Ce terme n'a jamais été employé pour les personnes asservies. Le terme « mulâtres » fait référence de ceux d'origine française et africaine mélangée, et aux personnes libres habituellement visées parce que des mulâtres ont été fréquemment placés libres par leurs pères blancs, à cause des degrés variables de culpabilité ou de souci de la part des pères. Néanmoins, il y avait un certain nombre de mulâtres qui restait en esclavage.

Les autres affranchis, environ 12 000, étaient des esclaves noirs ayant acheté ou reçu de leur maître leur liberté.

Indépendamment de leur couleur, les affranchis ont pu posséder des plantations, et ils ont souvent possédé un grand nombre d'esclaves eux-mêmes. Les esclaves n'étaient généralement pas amicaux avec les affranchis, qui se sont parfois dépeints comme un rempart contre les soulèvements esclaves. Comme propriétaires eux-mêmes, les affranchis ont cherché à poser des lignes très distinctes entre leur propre classe et celle des esclaves. Souvent travaillant à leur propre compte comme artisans, commerçants ou propriétaires fonciers, les gens de couleur sont fréquemment devenus tout à fait prospères, et beaucoup se sont glorifiés de leur culture européenne. Ils parlaient souvent la langue française, à la différence du créole haïtien qu'ils dédaignaient, parlée par des esclaves. La plupart de gens de couleur étaient catholiques, et beaucoup ont dénoncé la religion vaudou provenant d'Haïti.

Néanmoins, sous l'Ancien Régime, les gens de couleur libres ont été rigoureusement limités dans leurs libertés ; ils ne possédaient pas les mêmes droits que les Français blancs. Tandis que la plupart des gens de couleur ont soutenu l'esclavage, au moins jusqu'à la période de la Révolution française. La reconnaissance de l'égalité des droits pour les gens de couleur libres fut l'un des premiers "problèmes" qu'eut à affronter la révolution haïtienne, puis la Révolution française elle-même.

Quelques exemples d'affranchis influents dans l'histoire : Toussaint Louverture (un ancien libre noir), le chevalier de Saint-George, le général Thomas Alexandre Dumas, le député Jean-Baptiste Belley.

Pendant la révolution haïtienne, beaucoup de gens de couleurs riches sont partis comme réfugiés en France, à Cuba, à Porto Rico, en Louisiane ou ailleurs. Des autres, cependant, sont restés pour jouer un rôle influent dans la politique haïtienne.

Discrimination à Saint-Domingue[modifier | modifier le code]

En 1773, à la suite du Règlement des Administrateurs concernant les Gens de couleur libres, il fut interdit aux personnes nées d'un père blanc d'adopter un patronyme d'une famille blanche de la colonie. Les colons français blancs exigeaient aux mères non blanches de donner à leurs enfants des noms de famille tirées de noms d'animaux, de plantes, de langues africaines, etc.[11]

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

L'idée républicaine n'est pas morte. Elle va s'inviter dans l'actualité en  : un roi sera renversé et la situation des « libres de couleur » aux Antilles « resurgit ». Les soulèvements d’esclaves se multipliant, leurs droits seront reconnus après l’arrivée de Louis-Philippe Ier sur le trône[12].

Les gens de couleurs pourront alors porter des noms de blancs, pourront se vêtir à leur gré, et ne seront plus discriminés. Règles appliquées en Martinique dès 1831 par le gouverneur Jean Dupotet qui s'attirent les foudres et la haine des békés[12].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Auguste Lebeau, De la condition des gens de couleur libres sous l'Ancien Régime : d'après des documents des Archives coloniales, Paris, Guillaumin & cie, , 133 p. (lire en ligne)
  • Gabriel Entiope, Nègres, Danse et Résistance, la Caraïbe du XVIIe siècle au XIXe siècle, Paris, L'Harmattan, 1996
  • Revue française d'histoire d'outre-mer Affranchis et gens de couleur libres à la Guyane à la fin du XVIIIe siècle, pp 80-116, Centre national du livre, 2000
  • Yvan Debbasch, Couleur et liberté. Le jeu du critère ethnique dans un ordre juridique esclavagiste, Paris, Dalloz, 1967
  • Dominique Rogers et Boris Lesueur (dir.), Sortir de l'esclavage. Europe du Sud et Amériques (XIVe siècle-XIXe siècle), Karthala/Ciresc, « Esclavages », 2018, 278 p.
  • Frédéric Régent, La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (1620-1848), Arthème Fayard, Pluriel, 2010, (ISBN 978-2-8185-0279-2) (première édition : Grasset & Fasquelle, 2007).
  • Jean-Daniel Piquet, L'émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795), Paris, Karthala, 2002.
  • Frédéric Régent, Libres de couleur : Les affranchis et leurs descendants en terre d'esclavage XIVème-XIXème siècle, Tallandier, , 496 p. (EAN 9791021047495)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Carminella Biondi, « Le problème des gens de couleur aux colonies et en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Cromohs, 8, 2003, 1-12, Version en ligne.
  2. Henri Grégoire, Mémoire en faveur des gens de couleur ou sang-mêlés de St.-Domingue, Paris, Belin, 1789, réédité dans Œuvres de l’Abbé Grégoire, Paris, Editions d’Histoire sociale, 1977
  3. Frédéric Regent, Esclavage, métissage et liberté, Grasset, 2004, p. 14
  4. Gérard Etienne, François Soeler, La femme noire dans le discours littéraire haïtien: éléments d'anthroposémiologie, Balzac-Le Griot, 1998, p. 27
  5. Regent Frédéric, « Structures familiales et stratégies matrimoniales des libres de couleur en Guadeloupe au XVIIIe siècle », Annales de démographie historique 2/2011 (no 122) , p. 69-98
  6. Florence Gauthier, De la Révolution de Saint-Domingue à l’Indépendance d’Haïti. Comment sortir de l’esclavage ? 1789-1804, (version en ligne)
  7. L'expression fut employée par certains de leurs défenseurs tels que l'abbé Grégoire dans ses brochures de décembre 1789, octobre 1790 et juin 1791.
  8. Jean-Daniel Piquet, L'émancipation des Noirs dans la révolution française 1789-1795, Paris, Karthala, 2002.
  9. Le 24 mars le décret est promulgué par l'assemblée ; le 4 avril il est sanctionné par le roi, Louis XVI, comme l'exige la constitution de 1791.
  10. Trois de ces personnalités, Brissot, Condorcet et Clavière furent de février 1788 à juillet 1791 des militants actifs de la Société des Amis des Noirs déterminée à obtenir cette égalité des droits ainsi que la suppression de la traite des esclaves.
  11. Pompée Valentin Vastey, Le système colonial dévoilé, (lire en ligne), p. 74-75.
  12. a et b La 1ère / "Les gens de couleur libres", esclavagistes devenus abolitionnistes

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]