Front yougoslave de la Seconde Guerre mondiale — Wikipédia

Front yougoslave
Description de cette image, également commentée ci-après
Dans le sens des aiguilles d'une montre à partir du haut à gauche : Ante Pavelić rencontre Adolf Hitler au Berghof ; exécution de Stjepan Filipović ; Draža Mihailović et ses troupes ; un groupe de Tchetniks avec des soldats allemands dans un village serbe ; Tito en compagnie d'officiers partisans en 1944.
Informations générales
Date -
(4 ans, 1 mois et 9 jours)
Lieu Yougoslavie,
frontières albanaise et italienne, mer Adriatique.
Casus belli Invasion de la Yougoslavie.
Issue

Victoire des résistants communistes.
Prise du pouvoir par Tito.

La Yougoslavie devient en la république fédérative populaire de Yougoslavie.
Changements territoriaux La Yougoslavie, démembrée en 1941, est reconstituée en 1945.

Traité de Paris de 1947 : annexion par la Yougoslavie de l'essentiel de l'Istrie, d'une partie de la Vénétie julienne et de la région de Zara ; contentieux territorial avec l'Italie jusqu'en 1954.
Belligérants
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Partisans[N 1]
Drapeau de l'URSS Union soviétique (1944)
Drapeau du Royaume de Bulgarie Royaume de Bulgarie (1944-1945)
Drapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni (1943-1945)
Drapeau des États-Unis États-Unis (1943-1945)
MLN albanais
Drapeau de l'Allemagne nazie Reich allemand
Drapeau de la Croatie État indépendant de Croatie
Drapeau du Royaume d'Italie Royaume d'Italie (1941-1943) Royaume de Hongrie (1941-1944)
Drapeau du Royaume de Bulgarie Royaume de Bulgarie (1941-1944)
Gouvernement de salut national serbe (1941-1944)
Drapeau de l'Albanie Royaume albanais (1943-1944)
Garde nationale slovène (1943-1945)
Drapeau des Tchetniks Tchetniks (1942-1945)
Drapeau du royaume de Yougoslavie Royaume de Yougoslavie (1941)

Drapeau des Tchetniks Tchetniks
Soutenus par :
Drapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni (1941-1943)
Commandants
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Josip Broz Tito
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Koča Popović
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Aleksandar Ranković
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Peko Dapčević
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Svetozar Vukmanović
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Arso Jovanović
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Boris Kidrič
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie Franc Rozman
Drapeau de l'URSS Fiodor Tolboukhine
Drapeau du Royaume-Uni Henry Maitland Wilson
Enver Hoxha
Drapeau de l'Allemagne Maximilian von Weichs
Drapeau de l'Allemagne Alexander Löhr
Drapeau de l'Allemagne Lothar Rendulic
Drapeau de l'Allemagne Paul Bader
Drapeau de l'Italie Mario Roatta
Drapeau de l'Italie Alessandro Pirzio Biroli
Drapeau de l'Italie Mario Robotti
Drapeau de la Croatie Ante Pavelić
Drapeau de la Croatie Slavko Kvaternik
Drapeau de la Serbie Milan Nedić
Drapeau de l'Albanie Xhem Hasa
Leon Rupnik
Drapeau du royaume de Yougoslavie Dušan Simović
Drapeau du royaume de Yougoslavie Danilo Kalafatović
Draža Mihailović
Pavle Đurišić
Momčilo Đujić
Dobroslav Jevđević
Bajo Stanišić
Ilija Trifunović-Birčanin
Zaharije Ostojić
Petar Baćović
Forces en présence
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie :
env. 100 000 (1943)
env. 800 000 (1945, après transformation en armée régulière)
Drapeau de l'URSS :
env. 300 000
Drapeau du Royaume-Uni Drapeau des États-Unis :
bombardements aériens, équipes du SOE, livraisons d'armes et de matériel
Drapeau de l'Allemagne :
300 000 (1943)
Drapeau de l'Italie :
321 000 (1943)
Drapeau de la Croatie :
env. 150 000 (1945)
Drapeau de la Bulgarie :
env. 70 000
Drapeau de la Hongrie :
env. 80 000
Drapeau de la Serbie :
env. 36 000
 :
env. 12 000
Drapeau du royaume de Yougoslavie :
env. 700 000 (1941)
 :
env. 90 000 (1943)
Drapeau du Royaume-Uni :
équipes du SOE, livraisons d'armes et de matériel
Pertes
Drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie :
env. 237 000
Drapeau de l'URSS :
env. 19 000
Drapeau de l'Allemagne :
24 267 morts
12 060 disparus
Drapeau de l'Italie :
9 065 morts
6 306 disparus
Drapeau de la Croatie :
env. 100 000
Drapeau du royaume de Yougoslavie :
plusieurs milliers de morts
env. 300 000 prisonniers
 :
plusieurs dizaines de milliers de morts

Plus de 500 000 victimes civiles.

Théâtre européen de la Seconde Guerre mondiale

Batailles

Batailles et opérations des campagnes d'Afrique, du Moyen-Orient et de Méditerranée


Front d'Europe de l'Ouest


Front d'Europe de l'Est


Bataille de l'Atlantique


Guerre du Pacifique


Guerre sino-japonaise


Théâtre américain

Le Front yougoslave englobe l'ensemble des opérations militaires conduites en Yougoslavie pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce pays des Balkans devient un théâtre d'opérations du conflit mondial au printemps 1941. Le gouvernement yougoslave s'allie en effet à l'Allemagne nazie fin mars, mais il est renversé par un coup d'État deux jours plus tard. En réaction, les forces de l'Axe envahissent le royaume le . La Yougoslavie est ensuite démembrée, et son territoire annexé ou occupé par l'Allemagne, l'Italie, la Hongrie et la Bulgarie. Deux parties du pays deviennent des États « indépendants » : la Croatie, où le mouvement fasciste des Oustachis est mis au pouvoir et installe une dictature particulièrement meurtrière, et la Serbie, où est proclamé un gouvernement collaborateur.

Les conditions d'occupation, et notamment les atrocités commises par les Oustachis, suscitent deux mouvements de résistance qui se trouvent cependant très vite en conflit l'un avec l'autre : les Tchetniks nationalistes et monarchistes commandés par Draža Mihailović, et les Partisans communistes commandés par Tito. Les Alliés apportent d'abord leur soutien aux Tchetniks, mais ceux-ci en arrivent à privilégier le combat contre les Partisans, et à nouer pour des raisons tactiques des alliances avec les occupants dans l'attente d'un débarquement des Britanniques. Jusqu'en , la guerre mondiale se double donc en Yougoslavie d'une guerre civile extrêmement violente, théâtre de nombreux massacres, de nettoyages ethniques et de crimes de guerre de toutes sortes.

Les Tchetniks sont un mouvement essentiellement serbe, associé à l'ancien régime. À l'opposé, les communistes parviennent à gagner à leur cause une partie de la population en proposant de reconstruire la Yougoslavie sur une base fédérale qui, au contraire de la monarchie serbe d'avant-guerre, mettrait ses différentes nationalités sur un pied d'égalité. Fin 1943, jugeant les Tchetniks trop compromis dans la collaboration et les Partisans plus efficaces contre les Allemands, les Britanniques reportent leur soutien sur les forces de Tito. En outre, l'idée d'une intervention anglo-américaine dans les Balkans est abandonnée pour ne pas disperser les troupes au moment du débarquement en France, laissant le territoire yougoslave en proie à l'affrontement des diverses factions locales.

Après s'être emparé fin 1944 du territoire serbe avec l'aide des Soviétiques, Tito prend le contrôle du reste du pays en triomphant de l'ensemble de ses adversaires, puis s'assure très rapidement le monopole du pouvoir. La monarchie est officiellement abolie en , pour laisser place à un régime communiste qui dure ensuite jusqu'en 1992. Sous la Yougoslavie de Tito, la lutte des Partisans pendant le conflit mondial, appelée « guerre de libération nationale », fait office de « mythe fondateur » du régime. Les souvenirs des haines ethniques et des atrocités de la guerre ne s'éteignent cependant pas, alimentant les ressentiments et les nationalismes qui conduisent, dans les années 1990, à l'éclatement définitif du pays.

Contexte[modifier | modifier le code]

Un pays à l'identité incertaine[modifier | modifier le code]

Formation de la Yougoslavie[modifier | modifier le code]

Le mot « Yougoslave » apparaît au milieu du XIXe siècle dans les milieux des patriotes croates et slovènes en lutte contre la domination autrichienne ; il remplace à l'origine celui d'« Illyrien » dont les Autrichiens avaient interdit l'usage[1]. Il donne ensuite son nom à l'« idée yougoslave », c'est-à-dire au projet, mûri dans les milieux de l'opposition à l'Autriche, d'une union des Slaves du Sud (Serbes, Croates, Slovènes…) au-delà des barrières linguistiques et religieuses[2].

C'est au lendemain de la Première Guerre mondiale que la Yougoslavie (littéralement, « pays des Slaves du Sud ») est créée, sur un territoire qui forme aujourd'hui celui de sept États européens différents : la Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Macédoine du Nord et le Kosovo. Le royaume de Serbie, qui se trouve dans le camp des Alliés victorieux, a l'occasion de réunir sous son autorité non seulement l'ensemble du peuple serbe — dont une partie se trouvait encore hors de sa souveraineté — mais également d'autres populations slaves vivant en Autriche-Hongrie. Fin 1918, il fusionne avec le royaume du Monténégro puis avec l'État des Slovènes, Croates et Serbes, une éphémère entité au sein de laquelle s'étaient réunis divers anciens territoires austro-hongrois peuplés de Slaves. Cette union donne naissance au royaume des Serbes, Croates et Slovènes — premier nom officiel de la monarchie yougoslave — qui regroupe désormais l'ensemble des Slaves du Sud-Est de l'Europe — à l'exception des habitants de la Bulgarie — ainsi que diverses minorités non slaves (Albanais, Allemands, Hongrois, Italiens, Turcs…). Ce nouvel État résulte donc de l'union de terres historiquement disputées, où s'enchevêtrent de nombreuses nationalités et communautés religieuses (orthodoxes, catholiques, musulmans, juifs…) ; les territoires austro-hongrois annexés après la fin de la guerre viennent en effet s'ajouter à ceux conquis avant le conflit mondial par la Serbie et le Monténégro aux dépens des Ottomans et des Bulgares, pendant les guerres balkaniques de 1912-1913. Sur le plan religieux, les Serbes et les Monténégrins sont pour l'essentiel orthodoxes, tandis que les Slovènes et les Croates sont majoritairement catholiques ; à cette division s'ajoute la présence d'une importante minorité de Slaves musulmans, héritée de la domination ottomane. Sur le plan politique, le nouveau pays est pour l'essentiel une continuation de la monarchie serbe, sur laquelle règne toujours la dynastie Karađorđević : s'il est officiellement la concrétisation de l'« idée yougoslave », il est, dans les faits, dominé politiquement par les Serbes. En 1921, une constitution centraliste est adoptée, au détriment de la solution fédérale réclamée par le Parti paysan croate (HSS)[2].

Le premier souverain yougoslave est le roi Pierre Ier de Serbie, alors gravement malade ; son fils Alexandre Ier, déjà régent depuis plusieurs années, lui succède en 1921, quelques mois après l'adoption de la première constitution. Le nouveau pays a comme priorité de construire une identité nationale et une véritable administration étatique, alors que le pouvoir central connaît de grandes difficultés à imposer son autorité sur des territoires dont les différentes économies doivent être intégrées dans un ensemble plus vaste. Les seuls partis politiques cherchant à s'adresser non pas à une nationalité donnée, mais à tous les sujets du royaume, sont les Démocrates, qui forment alors le premier parti en nombre de voix ; l'Union agrarienne, qui décline rapidement ; et le Parti communiste de Yougoslavie (KPJ, ou PCY). Fondé en 1919, le KPJ obtient plusieurs dizaines de députés lors de l'élection de l'Assemblée constituante de novembre 1920. Mais, un mois plus tard, un décret limite sévèrement les activités publiques du parti, et interdit sa presse et ses syndicats affiliés. En août 1921, après que des communistes ont tenté de tuer le régent Alexandre puis assassiné un ancien ministre, le KPJ est interdit[3],[4],[5].

Tensions intérieures et menaces extérieures[modifier | modifier le code]

La Yougoslavie est, dans ses premières années d'existence, un pays à l'économie arriérée, qui connaît de fortes inégalités sociales : certaines régions, comme la Macédoine, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine, accusent un important retard de développement[6]. D'emblée, l'un des principaux facteurs de tensions politiques est la prédominance, au sein du nouvel État, des élites de l'ancien royaume de Serbie. Cela se traduit par une hégémonie des Serbes (qui représentent, en comptant les Monténégrins dont beaucoup se considèrent comme Serbes, 39 % de la population du pays) sur l'appareil administratif et notamment sur l'armée[4], au point que la Yougoslavie fait figure de « Grande Serbie » élargie[7]. En outre, alors que la Serbie a chèrement payé sa présence dans le camp des vainqueurs de la guerre, certains membres des cercles dirigeants de Belgrade tendent à considérer que les Serbes se trouvent en pays conquis dans le reste de la Yougoslavie et qu'une grande partie des autres peuples du royaume, anciennement austro-hongrois, appartiennent au camp des ennemis vaincus. La conséquence en est une hostilité grandissante envers le régime monarchique chez de nombreux Croates — ceux-ci constituent, après les Serbes, la nationalité la plus importante du royaume —, mais aussi dans les autres communautés comme les Bosniaques (mot pouvant à l'époque désigner l'ensemble des habitants de la Bosnie-Herzégovine, mais se confondant en grande partie avec les Musulmans de la région, en tant que communauté ethnique et religieuse) ou les Slovènes[4]. Les tensions entre nationalités sont très vives, notamment entre Croates et Serbes, les premiers étant les principaux opposants à la domination des seconds : en 1928, Stjepan Radić, fondateur du Parti paysan croate, est mortellement blessé par un député monténégrin dans l'enceinte du Parlement[7]. Dans les anciennes possessions de l'Empire ottoman, de nombreux propriétaires terriens musulmans sont lésés par une réforme agraire qui favorise les paysans serbes. C'est dans les terres arrachées aux Ottomans lors de la première guerre balkanique que la situation est la plus tendue : au Kosovo, les Albanais n'ont aucun droit et leurs révoltes sont brutalement réprimées ; les Macédoniens ne sont pas reconnus en tant que peuple et sont officiellement considérés comme des Serbes[2],[3].

Si la Yougoslavie bénéficie de la protection du Royaume-Uni et de la France, pays puissants mais lointains, ses relations avec ses voisins immédiats sont difficiles, voire franchement mauvaises : elle connaît avec eux une série de contentieux plus ou moins graves pour des questions de territoires, de frontières ou de populations. Immédiatement après la Première Guerre mondiale, un litige éclate avec l'Italie qui prend possession — en Istrie, en Vénétie julienne et en Dalmatie — d'anciens territoires austro-hongrois peuplés non seulement d'Italiens, mais aussi de Slovènes et de Croates. Les Italiens revendiquent en outre Fiume et sa région. Le traité de Rapallo de 1920 fixant la frontière entre les deux pays, puis le partage en 1924 du territoire de Fiume, ne mettent pas fin aux tensions italo-yougoslaves. Le régime de Benito Mussolini a en effet des vues sur la Dalmatie, où vit une minorité italienne et où l'Italie possède déjà une exclave, la province de Zara[8]. L'Italie fasciste se livre en parallèle à une « italianisation » brutale des populations slovènes de Vénétie julienne ; elle s'emploie par ailleurs, pour mieux encercler les Yougoslaves, à satelliser l'Albanie[7]. La Yougoslavie a également des contentieux territoriaux avec la Bulgarie et la Grèce à propos de la Macédoine, avec la Hongrie au sujet de la minorité hongroise présente notamment en Voïvodine, ainsi qu'avec l'Albanie sur les régions peuplées d'Albanais — principalement le Kosovo — et avec l'Autriche au sujet de la zone frontalière[8].

Carte des provinces de la Yougoslavie de 1929 à 1939
Les banovines du royaume de Yougoslavie avant 1939.

En 1929, devant l'incapacité du système parlementaire à résoudre les problèmes entre nationalités, le roi Alexandre Ier abroge la constitution et s'octroie des pouvoirs dictatoriaux. Le pays prend pour l'occasion le nom officiel de royaume de Yougoslavie. Le souverain présente en effet sa politique comme la voie vers le « yougoslavisme », c'est-à-dire l'unité nationale. Il s'efforce, par un ensemble de réformes autoritaires, de centraliser le royaume, mais ne parvient pas à résoudre la question du statut des différentes communautés, notamment les Croates et les Musulmans[9],[10]. Le pays est divisé en neuf provinces ou « banovines » (banovinas), abolissant les anciennes régions historiques et les départements sans tenir aucun compte des héritages historiques et des traditions culturelles. Les territoires actuels de la Macédoine et du Monténégro sont incorporés respectivement à la banovine du Vardar et à celle de la Zeta, tandis que la banovine de la Drave est composée de la majeure partie de l'actuelle Slovénie. Finalement, cette réforme ne satisfait personne : les Croates voient le nom même de « Croatie » disparaître officiellement, tandis que les Serbes voient leurs territoires historiques — dont la Serbie centrale, ainsi que la Voïvodine et le Kosovo — divisés entre quatre banovines[7].

Une partie des nationalistes serbes participe par ailleurs au mouvement paramilitaire tchetnik (Četnik, pluriel Četnici[N 2]) — du nom qui désignait les bandes de résistants à la domination ottomane — composé à l'origine d'anciens combattants des guerres balkaniques et de la Première Guerre mondiale, puis plus largement de militants nationalistes. Si Alexandre Ier interdit en 1929 les formations tchetniks de Serbie et de Croatie, il leur permet ensuite d'exister officieusement. Les Tchetniks, dont les principaux dirigeants sont Ilija Trifunović-Birčanin puis Kosta Pećanac, comptent avant-guerre environ un demi-million de membres et de sympathisants[11],[12].

Si le Parti paysan croate est le principal mouvement d'opposition au pouvoir central, la faction croate la plus radicale est celle des Oustachis (Ustaše, c'est-à-dire « Insurgés »), indépendantistes fascisants dirigés par Ante Pavelić et soutenus par l'Italie mussolinienne et la Hongrie de Miklós Horthy. D'autres mouvements séparatistes ou autonomistes plus ou moins virulents existent, comme les « Verts » monténégrins ou l'Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (VMRO), soutenue un temps par la Bulgarie et l'Italie. En octobre 1934, Alexandre Ier est assassiné lors d'une visite en France par un membre de la VMRO qui agissait en lien avec les Oustachis[9],[10].

Le nouveau roi, Pierre II, étant encore un enfant, un conseil de régence est mis en place. Le pouvoir est détenu au sein du conseil par un cousin d'Alexandre Ier, le prince Paul Karađorđević[13]. Dans les années qui suivent, la Yougoslavie s'efforce de parvenir à une stabilité interne et de préserver sa neutralité dans un contexte de tensions internationales grandissantes. Le gouvernement yougoslave développe ses échanges économiques avec l'Allemagne nazie, dont il espère se garantir les bonnes grâces, tout en s'efforçant de conserver de bonnes relations avec la France et le Royaume-Uni. L'hostilité traditionnelle envers l'Allemagne dans cette région d'Europe limite cependant l'attrait du nazisme en Yougoslavie. L'ancien ministre Dimitrije Ljotić crée en 1935 le ZBOR, un parti — principalement serbe — nationaliste et antisémite de type fasciste, mais ce mouvement n'obtient guère de succès aux élections[10],[14].

Tout en s'employant à préserver la neutralité internationale du pays, le régent Paul tente de résoudre ses problèmes internes, en trouvant une solution à la « question croate »[13]. Un accord est conclu en 1939 avec Vladko Maček, chef du Parti paysan croate, permettant la création d'une banovine de Croatie[10], dont Ivan Šubašić devient le gouverneur (ban). Un quart du territoire et un tiers de la population yougoslaves se trouvent dès lors sous juridiction croate[13]. Maček devient vice-Premier ministre. Cet accord (sporazum) ne permet cependant pas de résoudre les tensions entre communautés. Les concessions faites aux Croates, si elles satisfont la majorité de ces derniers, provoquent le mécontentement d'autres nationalités, notamment des Serbes dont le sentiment national est exacerbé par cet abandon du « yougoslavisme » intégral. Diverses organisations serbes s'interrogent sur la place du peuple serbe en Yougoslavie : certaines réclament la création d'une banovine des territoires serbes, qui engloberait tout le reste du pays[10]. Le Club culturel serbe, créé en 1937 par l'universitaire Slobodan Jovanović, prône ainsi la réorganisation du royaume sous forme d'une fédération tripartite qui respecterait les principales nationalités[13]. L'Organisation musulmane yougoslave réclame de son côté la création d'une province de Bosnie-Herzégovine[10]. Les organisations d'extrême droite s'opposent quant à elles à l'accord, aussi bien les Oustachis — qui le trouvent insuffisant et réclament le rattachement de la Bosnie-Herzégovine à la Croatie — que les fascistes du ZBOR[15]. Mais l'accord avec les Croates est avant tout une mesure d'urgence, destinée à renforcer l'unité nationale yougoslave alors que la guerre semble imminente en Europe. Il est de toute manières à la fois insuffisant et trop tardif pour avoir l'effet escompté. Quelques jours seulement après son entrée en vigueur, la Seconde Guerre mondiale éclate, alors que la Yougoslavie demeure, du fait de ses faiblesses internes, très mal préparée à affronter une telle situation[16].

La situation des communistes avant 1941[modifier | modifier le code]

Le Parti communiste est très affaibli au début des années 1930. Son interdiction le rend dépendant de l'Internationale communiste (Komintern), alors que celle-ci s'est initialement prononcée contre l'existence même de la Yougoslavie et s'intéresse plutôt aux alliances avec des séparatistes. Entre 1932 et 1935, le parti clandestin prône non seulement le renversement de la monarchie, mais également la séparation de la Yougoslavie en plusieurs républiques communistes. Ses effectifs se limitent alors à quelques centaines de membres. Mais à la fin de la décennie, le KPJ entreprend de reconstituer ses forces ; Josip Broz, alias « Tito », qui a mené pendant l'entre-deux-guerres de nombreuses missions à travers toute l'Europe pour le compte de l'Internationale communiste, affirme son autorité sur le parti, dont il devient officiellement Secrétaire général en 1939. Il s'efforce d'aplanir les relations complexes entre les différentes factions communistes yougoslaves, qui se sont constituées sur des bases nationales, et parvient à convaincre le Komintern de conserver le KPJ qu'il avait été un temps question de dissoudre[15],[10],[17],[18].

Le KPJ milite désormais pour le maintien des frontières du pays, ce qui lui permet de gagner de nouvelles recrues, notamment dans la population étudiante ; toujours clandestin, il compte environ 6 000 membres fin 1939, puis 8 000 début 1941. L'accord avec les Croates contribue néanmoins à son isolement en le privant de toute possibilité d'alliance avec le Parti paysan croate ou l'opposition serbe. En 1940, l'ouverture de relations diplomatiques avec l'URSS profite aux communistes ; alors que le pacte germano-soviétique est toujours en vigueur, l'URSS ordonne aux communistes yougoslaves d'organiser un « front uni » clandestin en prévision d'un éventuel conflit. En octobre de la même année, Tito réunit près de Zagreb une conférence du parti. Le KPJ compte désormais des cadres issus des diverses nationalités du pays, pour lesquelles il s'emploie à proposer des solutions. Il prône notamment l'unification de la Bosnie-Herzégovine, ainsi que le droit à l'autodétermination de la Macédoine et du Monténégro[15],[10].

L'engrenage de la guerre[modifier | modifier le code]

Une neutralité impossible[modifier | modifier le code]

Entre 1935 et 1939, la Yougoslavie tente de préserver sa neutralité en cultivant à la fois ses liens avec le Royaume-Uni — qui s'intéresse de plus en plus à l'Europe méditerranéenne — et avec l'Allemagne, au détriment de la France dont l'influence décline. Milan Stojadinović, nommé Premier ministre en 1935, s'emploie à améliorer les relations avec l'Italie, ce qui, combiné aux bons rapports avec l'Allemagne, contribue à faire pencher la Yougoslavie en direction de l'Axe Rome-Berlin. En 1937, un traité d'amitié est signé avec l'Italie : celle-ci s'engage à respecter l'intégrité territoriale yougoslave, et voit en retour sa position dominante en Albanie reconnue. Les Italiens mettent en détention Ante Pavelić et les autres chefs oustachis, qu'ils accueillaient jusque-là sur leur sol[13].

En 1939, le régent Paul écarte Stojadinović, dont la politique trop pro-allemande inquiète à la fois l'armée et les milieux serbes francophiles[13]. Alors que les tensions s'aggravent en Europe, la Yougoslavie fait tout pour rester à l'écart des conflits. Les accords de Munich, l'invasion italienne de l'Albanie voisine, l'anschluss et l'invasion germano-soviétique de la Pologne contribuent néanmoins à l'inquiétude et au sentiment d'isolement du pays, qui constate en outre la défaillance de ses alliés français et britannique. Avec la transformation de l'Albanie en protectorat italien et l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne (qui a donc désormais une frontière commune avec la région slovène), la Yougoslavie se trouve prise en tenaille par les deux pays de l'Axe[19],[16].

L'Italie et l'Allemagne n'ont pas, avant 1941, de ligne commune vis-à-vis de la Yougoslavie. Mussolini, désireux de poursuivre l'irrédentisme, souhaite un démantèlement pur et simple du pays afin de concrétiser les ambitions territoriales de l'Italie dans la zone Adriatique. Les milieux dirigeants nazis sont, quant à eux, partagés : Alfred Rosenberg et son entourage sont de chauds partisans de l'indépendance de la Croatie, tandis que Hermann Göring penche pour la préservation de la Yougoslavie qui présente à ses yeux un intérêt stratégique[20]. En juin 1939, Adolf Hitler renforce les liens germano-yougoslaves en recevant le prince Paul à Berlin[19].

Le prince Paul serre la main de Madame Göring, sous le regard de l'époux de celle-ci.
Le prince Paul, régent de Yougoslavie, rencontrant Hermann Göring et son épouse Emmy lors de sa visite en Allemagne en 1939.

Au début du conflit mondial, les Yougoslaves cherchent avant tout à se prémunir contre la probable entrée en guerre de l'Italie, qui représente à leurs yeux la principale menace. Ils cultivent dès lors une neutralité double, entretenant d'un côté leurs bonnes relations avec l'Allemagne pour que celle-ci retienne son allié italien, et de l'autre leur alliance avec les démocraties occidentales pour se protéger en cas de besoin. En 1939, les Français envisagent une stratégie de revers : débarquer à Salonique pour ouvrir dans les Balkans un second front auquel ils associeraient la Yougoslavie, la Grèce et la Turquie. Le gouvernement yougoslave, pour lequel Salonique présente un grand intérêt stratégique, est séduit par cette idée, mais le projet de corps expéditionnaire allié dans les Balkans bute sur la mauvaise volonté des Britanniques : ceux-ci ne veulent en effet pas provoquer l'Italie, qui n'a pas encore rejoint le conflit. L'abandon du projet de Salonique contraint le régent à un délicat exercice d'équilibre pour maintenir sa neutralité. Face à l'apparente dérobade de ses alliés français et britanniques, la Yougoslavie cherche un soutien du côté de l'URSS — toujours liée à l'Allemagne par le pacte germano-soviétique — avec laquelle elle ouvre des relations diplomatiques en [21].

Dès 1940, Mussolini envisage d'attaquer la Yougoslavie[19]. En début d'année, il renoue son alliance avec les Oustachis qu'il avait fait arrêter trois ans plus tôt. Le ministre italien des Affaires étrangères Galeazzo Ciano reçoit Ante Pavelić ; il envisage avec lui un plan de démembrement de la Yougoslavie et la mise en place d'un régime croate ami de l'Italie fasciste, qui prendrait la forme d'une monarchie dont la couronne reviendrait à un prince de la maison de Savoie. Ciano demeure cependant prudent, se contentant d'évoquer des possibilités[22]. Au printemps 1940, Hitler dissuade son allié italien d'attaquer dans les Balkans. Le Führer se satisfait en effet pour le moment des accords économiques qui rendent la Yougoslavie de plus en plus dépendante du Reich. En outre, il ne souhaite pas encore provoquer les Soviétiques en déclenchant une nouvelle offensive à l'Est[19].

Les évènements de l'été 1940 bouleversent la donne. La défaite inattendue de la France — alliée traditionnelle de la monarchie serbe — fait apparaître la suprématie allemande et pousse les Yougoslaves à douter de leur politique. Lors de l'offensive italienne contre les Français, Mussolini assure encore de son intention de n'attaquer ni la Yougoslavie ni la Grèce. Cependant, les difficultés de son armée dans les Alpes le poussent à envisager d'ouvrir un second front pour affirmer la puissance de l'Italie, indépendamment des intérêts allemands. Il hésite néanmoins entre une offensive contre la Yougoslavie ou contre la Grèce ; c'est finalement sur ce dernier pays que se porte son choix[22]. En , l'Italie attaque la Grèce, renforçant encore l'inquiétude de la Yougoslavie voisine[19]. Bien que le pays soit officiellement neutre, son ministre de la Guerre, le général Milan Nedić, envisage un débarquement à Salonique pour s'en emparer avec l'aide de l'Allemagne, afin de priver l'Italie de ce point stratégique. La position germanophile de Nedić, ainsi que ses liens avec le ZBOR, conduisent finalement le régent à le remplacer en , après un bombardement italien sur Bitola (dont l'Italie affirme qu'il a été effectué par erreur)[22].

Alors que Churchill espère une alliance du Royaume-Uni avec les pays balkaniques, le régent Paul prend acte du fait que les Britanniques sont trop éloignés pour apporter une aide directe à la Yougoslavie. Il choisit alors de composer avec l'Axe et envoie des émissaires à Rome et à Berlin, en vue d'obtenir des assurances sur la non-belligérance yougoslave, voire sur une éventuelle annexion de Salonique[22]. Les milieux anti-nazis en Yougoslavie réagissent entretemps contre cette évolution. Milan Gavrilović, leader gauchisant du Parti agrarien serbe, nommé représentant de son pays auprès de l'URSS lors de l'ouverture des relations diplomatiques, tente dès son arrivée à Moscou d'obtenir un appui des Soviétiques, dans l'espoir de détacher le prince Paul de l'Allemagne. Les Soviétiques, soucieux d'éviter toute provocation, font traîner leurs discussions avec Gavrilović, mais ce dernier finit par les convaincre de l'intérêt de prendre contact avec les milieux militaires yougoslaves hostiles à l'Allemagne[23].

Le Premier ministre Dragiša Cvetković signe le pacte tripartite à la demande du régent.

De son côté, Hitler est conduit par la situation régionale à tenter de faire sortir le gouvernement yougoslave de sa neutralité. Dès cette époque, en effet, il commence à préparer l'invasion de l'URSS, ce qui lui impose de contrôler auparavant la situation dans les Balkans. Cela implique d'abord d'aider Mussolini qui est en difficulté face aux Grecs, puis de nouer des alliances avec l'ensemble des pays de la région. S'allier avec la Yougoslavie présente de surcroît une importance particulière pour les Allemands dans le cadre de l'offensive qu'ils prévoient de mener en Grèce pour porter secours aux Italiens. Hitler veut en effet éviter que ses troupes puissent être exposées sur leur flanc droit[22]. La Yougoslavie occupe en outre un emplacement stratégique en vue de la future attaque contre l'URSS[23]. Le régent yougoslave s'efforce de gagner du temps et d'améliorer ses relations avec ses voisins : un traité d'amitié est signé en décembre avec la Hongrie. Mais, dans le même temps, l'Allemagne nazie étend rapidement son influence dans les Balkans. En novembre, la Roumanie et la Hongrie s'allient avec l'Allemagne en signant le pacte tripartite ; le régime nazi cherche ensuite à obtenir la signature de la Bulgarie, puis celle des Yougoslaves. En février 1941, Hitler reçoit le Premier ministre yougoslave Dragiša Cvetković et son ministre des Affaires étrangères, auxquels il demande d'adhérer au pacte[19],[24],[22]. Il les décourage en outre de chercher l'appui de l'URSS en leur révélant que Molotov, lors de son passage à Berlin, a envisagé des modifications territoriales au bénéfice de la Bulgarie et aux dépens de la Yougoslavie[25].

De leur côté, les Britanniques, qui sont en train de repousser les Italiens en Afrique du Nord et de l'Est, préparent une intervention contre eux dans les Balkans. Pour cela, ils cherchent à s'allier non seulement à la Grèce, mais aussi à la Turquie et à la Yougoslavie. Les contacts avec les Turcs n'ayant rien donné, les Britanniques décident de faire pression sur les Yougoslaves. Le 5 mars, alors que le Royaume-Uni se prépare à faire débarquer en Grèce des troupes envoyées du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, le régent de Yougoslavie reçoit une lettre du chef de la diplomatie britannique Anthony Eden, qui lui demande de soutenir militairement les Grecs. Le lendemain, l'envoi de troupes britanniques en Grèce commence. Les Yougoslaves se trouvent alors pris entre deux feux, entre les Britanniques qui ne peuvent guère les aider concrètement après la chute de la France, et les Allemands dont les exigences se font pressantes puis menaçantes ; ils s'informent également sur la position des Soviétiques, mais ceux-ci cherchent avant tout à se tenir à l'écart du conflit[19],[24]. Joseph Staline, peu convaincu par les propositions d'alliance de Gavrilović, tente néanmoins de profiter de la situation et demande à ses réseaux en Yougoslavie d'exploiter le sentiment anti-allemand : Tito reçoit l'ordre de mobiliser le Parti communiste de Yougoslavie « contre la capitulation face aux Allemands ». Le but de Staline semble cependant avoir été avant tout de profiter du contexte yougoslave pour faire pression sur Hitler, en vue d'obtenir de ce dernier une véritable alliance militaire, plus avantageuse pour l'URSS que le simple traité de non-agression que constitue le pacte germano-soviétique[26].

Au début de mars, la Bulgarie ayant signé le pacte tripartite et autorisé les troupes allemandes à transiter sur son sol, la Yougoslavie se trouve littéralement encerclée par l'Allemagne et ses alliés. Les Allemands présentent en outre un ultimatum aux Yougoslaves, dont ils exigent qu'ils apportent d'ici au 23 mars une réponse quant à leur adhésion au pacte. La Yougoslavie, après avoir longuement tergiversé face aux demandes du régime nazi, a désormais de sérieuses raisons de craindre des représailles militaires en cas de refus[27]. Le régent Paul et ses conseillers décident finalement d'accéder à la demande d'Hitler, malgré l'hostilité d'une partie du gouvernement. Le 25 mars, Cvetković signe à Vienne le pacte tripartite. Le gouvernement yougoslave, pour ménager son opinion publique, obtient que le pacte comporte des clauses qui lui épargnent un engagement militaire et un transit des troupes allemandes sur son sol ; il n'en reconnaît pas moins le rôle dirigeant de l'Allemagne et de l'Italie dans le « nouvel ordre européen » en construction. Le lendemain, Churchill demande aux représentants britanniques à Belgrade de continuer malgré tout à faire pression sur les milieux dirigeants yougoslaves, dans l'espoir d'obtenir un revirement de leur part[19],[24].

Le coup d'État de 1941[modifier | modifier le code]

Trois jeunes hommes sur un side-car, brandissant un drapeau ; un attroupement en arrière-plan.
Manifestants à Belgrade au moment du coup d'État du 27 mars.

Cet abandon de la neutralité et cette soumission aux desiderata des Allemands provoquent une réaction immédiate dans les milieux nationalistes serbes[28]. Des manifestations hostiles à l'alliance avec Hitler, qui regroupent principalement des jeunes Serbes, éclatent dans plusieurs villes[29]. Le 27 mars, alors que le prince Paul est parti se reposer en Slovénie, un groupe d'officiers de l'État-Major général renverse le gouvernement Cvetković ; ils proclament avec six mois d'avance la majorité du roi Pierre II et l'accession de ce dernier au pouvoir, ainsi que la déposition du régent[28].

Le rôle exact joué par les Britanniques dans ce coup d'État a fait l'objet d'une controverse : des historiens prêtent au Royaume-Uni un rôle moteur, et certains lui reprochent d'avoir précipité la Yougoslavie dans la guerre[29]. Les agents du SOE (le service secret britannique) à Belgrade semblent en effet avoir influé sur les événements, en encourageant les conspirateurs à agir rapidement[24] et en leur fournissant des armes[29]. Pour l'historien britannique d'origine serbe Stevan K. Pavlowitch, le Royaume-Uni, en jouant de son influence auprès de mouvements nationalistes ou pro-occidentaux comme la frange serbe de l'Union agrarienne, n'a cependant fait qu'« enfoncer une porte ouverte » en exploitant le mécontentement, déjà considérable, envers la politique du prince Paul. Les Britanniques ont bel et bien accéléré les choses en encourageant les conspirateurs qui ont alors cru qu'ils recevraient une aide militaire extérieure ; mais le coup d'État, action spontanée plus que véritable conjuration, est avant tout une réaction de milieux « patriotes » serbes contre un gouvernement jugé faible et incapable, afin de « sauver l'honneur » de la Serbie et, plus largement, celui de la Yougoslavie[28].

L'un des responsables du coup d'État, le général Dušan Simović, prend la tête d'un gouvernement de coalition. Le régent se résigne à la situation et part pour la Grèce, tandis que Vladko Maček conserve son poste de vice-premier ministre. Les nouveaux dirigeants yougoslaves espèrent recevoir une aide des Britanniques, voire un soutien diplomatique de la part de l'URSS ; ils tentent, en attendant, de se prémunir d'une réaction allemande en assurant que le coup d'État est une affaire purement interne qui ne remet pas en cause l'adhésion au pacte tripartite[28]. De peur de provoquer les Allemands, le nouveau gouvernement yougoslave s'abstient de toute forme d'accord officiel avec les Britanniques, et refuse même de recevoir Eden alors en Grèce. Eden contourne la difficulté en envoyant le chef de l'État-Major général, John Dill, rencontrer Simović : les Britanniques promettent une assistance militaire au gouvernement de Belgrade, mais ils sont trop éloignés d'un potentiel front yougoslave pour que leur aide soit d'un secours immédiat. La Yougoslavie tente par ailleurs de renouer de bonnes relations avec l'Italie, mais Simović, médiocre diplomate, en arrive à menacer l'émissaire italien de représailles militaires[29],[30].

Les Soviétiques, également approchés par les Yougoslaves, ne proposent qu'un traité d'amitié et de non-agression[30]. Staline, surpris par le coup d'État, cherche avant tout à exploiter la situation pour dissuader Hitler d'étendre la guerre, et pense que cette manifestation de solidarité incitera le Führer à renoncer à attaquer la Yougoslavie[31]. Mais les discussions de l'URSS avec les Yougoslaves suscitent des tensions avec l'Allemagne, ce qui conduit les Soviétiques à modifier unilatéralement les termes de l'accord, mettant l'ambassadeur Milan Gavrilović devant le fait accompli ; le traité d'amitié est quasiment réduit à un énoncé de neutralité, ce qui réduit de beaucoup sa portée[32]. Gavrilović, accablé, souhaite refuser cette version du traité, mais le Premier ministre Simović lui ordonne de signer tel quel le texte proposé par les Soviétiques. Prévue pour le 5 avril, la signature du texte prend du retard. Elle a finalement lieu le 6 avril à trois heures du matin, alors que les Soviétiques ont déjà été informés des manœuvres allemandes en vue de l'invasion de la Yougoslavie : Staline demande que le traité soit daté du 5 afin de ne pas provoquer les Allemands[33].

La décision d'Hitler est de toutes manières irrévocable dès les premiers jours[31]. Furieux de ce retournement de situation — dans lequel il voit la main des Britanniques, et plus largement celle des Juifs anglo-saxons en cheville avec le judéo-bolchevisme[34] — le dirigeant nazi considère que la Yougoslavie doit désormais être traitée en ennemie : il ordonne la « destruction » de ce pays coupable d'avoir perturbé ses plans dans les Balkans. Les précautions des Yougoslaves n'affectent en rien sa décision ; une violente campagne de propagande est aussitôt déclenchée en Allemagne, accusant la Grèce et la Yougoslavie de s'être vendues au Royaume-Uni. Le , sans ultimatum ni déclaration de guerre, l'Allemagne attaque le territoire yougoslave[28] ; le même jour, elle envahit la Grèce pour mettre un terme simultané à tous ses problèmes dans les Balkans[34].

Invasion de la Yougoslavie[modifier | modifier le code]

Des véhicules militaires sur une route.
Schwerer Panzerspähwagens de la Leibstandarte SS Adolf Hitler en Yougoslavie, en 1941.

L'armée yougoslave, sous-équipée[34] et peu entraînée, n'a le temps ni de se préparer ni de mobiliser tous les hommes disponibles. À l'aube du , les Allemands déclenchent l'opération Châtiment, un bombardement intensif de Belgrade qui dure trois jours et ravage la moitié des immeubles d'habitation de la capitale. De multiples raids aériens détruisent le gros de l'aviation yougoslave et les infrastructures du pays, facilitant l'invasion au sol[35].

Le gros des forces allemandes, placées sous le commandement du général Maximilian von Weichs, arrive depuis la Bulgarie, tandis que les Italiens, aidés de troupes auxiliaires locales, attaquent depuis leur protectorat albanais. Les Yougoslaves parviennent dans un premier temps à contre-attaquer efficacement sur le front albanais, mais se trouvent à nouveau contraints à la défensive le [35]. En outre, les troupes serbes se montrent nettement plus combatives que les unités croates et macédoniennes, dont beaucoup capitulent à la première occasion[34]. En Croatie, les Allemands avancent rapidement, aidés par des sabotages commis par les nationalistes locaux, notamment les Oustachis ; ils entrent dans Zagreb le [35]. La banovine de la Drave est envahie conjointement par les Allemands, qui arrivent depuis l'Autriche, et par les Italiens ; Ljubljana est prise le 10[36]. Au Kosovo, les Allemands sont accueillis en libérateurs par la population albanaise : une délégation de chefs locaux conclut immédiatement un accord de collaboration avec les envahisseurs[37]. Le , alors que la résistance des Yougoslaves s'est effondrée au Nord, la Hongrie — au mépris du traité d'amitié signé quelques mois plus tôt — envahit elle aussi le territoire serbe, officiellement pour protéger les populations hongroises locales[35]. Le Royaume-Uni proclame, dès le début de l'invasion, son soutien à la Yougoslavie ; les dirigeants de l'URSS, tout en exprimant en privé leur sympathie pour les Yougoslaves, s'abstiennent de toute déclaration publique si l'on excepte leur désapprobation de l'attaque hongroise[30].

Un adolescent en uniforme, entouré de deux hommes de quarante-cinquante ans.
Le Premier ministre Dušan Simović, le roi Pierre II et le ministre Radoje Knežević, après l'arrivée à Londres du gouvernement yougoslave en exil.

Le , les Allemands entrent dans Belgrade. Le même jour, avant d'être évacué avec le roi vers la Grèce où ils doivent rejoindre l'armée britannique, Simović réunit une dernière fois ses ministres et transfère ses fonctions de chef d'État-Major au général Danilo Kalafatović, qu'il charge de conclure un cessez-le-feu. Mais les Allemands et les Italiens répondent aux émissaires venus négocier avec eux qu'ils exigent la capitulation pure et simple de la Yougoslavie. Le , alors que Kalafatović a été fait prisonnier, des représentants du commandement suprême signent l'acte de capitulation de l'armée yougoslave. La Bulgarie, qui n'a pas participé à l'attaque initiale[35], pénètre deux jours plus tard dans la banovine du Vardar, quasiment sans coup férir. Ses troupes y sont accueillies en libératrices par une partie de la population. Avec l'occupation de la Macédoine grecque, les Bulgares complètent leur annexion de fait de la région macédonienne[38].

L'armée yougoslave s'étant effondrée bien plus rapidement que ne le prévoyaient les Britanniques et les Grecs, l'invasion est, en termes humains, une opération très peu coûteuse pour les troupes de l'Axe : les Allemands ne perdent que 151 hommes dans les combats[34]. Quelques troupes yougoslaves fuient à travers la Grèce, qu'elles évacuent en même temps que les armées grecque et britannique, dans une atmosphère de chaos[39]. Entre 200 000 et 300 000 prisonniers de guerre, dont 12 000 officiers et 200 généraux (Serbes pour la plupart) sont envoyés dans des camps en Allemagne et en Italie[35].

Simović, le roi et leurs ministres ne restent que quelques jours en Grèce, que les Britanniques évacuent également. Transportés à Alexandrie en Égypte, puis à Jérusalem en Palestine sous mandat britannique, ils annoncent depuis le Proche-Orient que la Yougoslavie continue le combat contre l'Allemagne et l'Italie, et déclarent la guerre à la Hongrie et à la Bulgarie[40]. Deux mois plus tard, le nouveau gouvernement yougoslave en exil, toujours dirigé par Dušan Simović, s'installe à Londres, où il est officiellement reconnu par le Royaume-Uni le . Le ministre de la guerre yougoslave et son cabinet militaire restent quant à eux en Égypte, au quartier général britannique du Caire[38]. La capitale égyptienne, où se trouvent non seulement le ministre yougoslave mais également le dernier responsable du SOE à Belgrade, devient ensuite la plaque tournante des opérations de renseignement britannique en direction de la Yougoslavie[17]. Le gouvernement de Simović n'a plus sous ses ordres que des forces armées très modestes : les troupes yougoslaves en exil, sur le théâtre d'opérations moyen-oriental et nord-africain, se limitent à quelques centaines d'officiers et de soldats, un petit nombre de bateaux et une dizaine d'avions[41]. L'URSS prend acte de la situation et, pour ne pas provoquer les Allemands, retire son statut diplomatique à la légation yougoslave à Moscou. Ce n'est qu'une fois attaqués par les Allemands deux mois plus tard que les Soviétiques renouent des relations avec le gouvernement yougoslave en exil[42].

Par la suite, vers la fin de la guerre, Hitler voit dans la campagne des Balkans la cause du retard pris par l'invasion de l'URSS. Les historiens ont débattu de cette question, mais tendent aujourd'hui à estimer que l'attaque contre la Grèce et la Yougoslavie n'a joué qu'un rôle mineur dans l'échec de l'opération Barbarossa, qui a été retardée par d'autres facteurs logistiques. Par contre, l'invasion des Balkans conduit Staline à relâcher sa vigilance, en lui faisant croire qu'Hitler concentre désormais ses efforts sur la Méditerranée et non plus sur l'Europe de l'Est[34]. Le dirigeant soviétique a en outre échoué sur toute la ligne dans sa tentative de peser sur la situation dans les Balkans pour être en position de force vis-à-vis des Allemands qui sont alors toujours ses partenaires[43].

Démembrement du pays[modifier | modifier le code]

Territoires occupés et annexés[modifier | modifier le code]

Partage territorial[modifier | modifier le code]

Partition de la Yougoslavie en 1941.
Un groupe de soldats en uniforme, devisant sur une route.
Soldats de la Wehrmacht et Bersaglieri italiens en Yougoslavie.

Après l'invasion, Hitler préconise la disparition pure et simple de l'État yougoslave, qui n'est à ses yeux qu'une création artificielle issue du traité de Versailles[44]. Dans son optique, les Serbes — qu'il hait tout particulièrement[45] car il les juge responsables de la Première Guerre mondiale[34] — doivent être châtiés, les Croates ralliés à l'Axe et les Slovènes germanisés ou dispersés. L'Allemagne, qui a déjà acquis avant-guerre une position économique dominante en Yougoslavie, se taille la part du lion en s'emparant des lignes de communication et des principaux gisements de minerais[N 3], tandis qu'elle se charge de satisfaire les revendications territoriales de ses alliés. Les Italiens, désireux d'accroître leur « espace vital », doivent cependant en rabattre et accepter le partage tel qu'il a été décidé par les Allemands. Outre les annexions et occupations des diverses parties du pays, deux États sont autorisés à exister sur le territoire de la Yougoslavie démembrée : la Croatie, dont le gouvernement est confié aux Oustachis et qui annexe l'intégralité de la Bosnie-Herzégovine, et la Serbie — ramenée, peu ou prou, à ses frontières d'avant les guerres balkaniques de 1912-1913 — où est formé un gouvernement collaborateur[44].

Du fait des préparatifs de l'attaque contre l'URSS, la plupart des meilleures unités de la Wehrmacht sont retirées du théâtre d'opérations balkanique au bout de quelques semaines et sont remplacées par des divisions d'occupation[46].

La Serbie « indépendante » est occupée pour l'essentiel par l'Allemagne et, au Sud-Est, par la Bulgarie. Une partie de son territoire est partagée entre les envahisseurs, en fonction des populations qui s'y trouvent. En Voïvodine, l'Allemagne confère au Banat un statut de zone occupée à statut particulier, dont l'administration est confiée aux Volksdeutsche (Allemands) locaux ; dans la même région, la Hongrie annexe la Bačka. En Croatie, l'Italie annexe la Dalmatie centrale, mais doit négocier avec le nouveau gouvernement croate les frontières de son gouvernorat de Dalmatie. Elle occupe le Monténégro, dont elle annexe la région des bouches de Kotor et dont elle projette de faire un troisième État « indépendant »[44],[20],[47],[48]. Par ailleurs, la Hongrie annexe également une partie de la Slavonie[49].

Les territoires peuplés majoritairement d'Albanais — l'essentiel du Kosovo, l'Ouest de la Macédoine et certaines régions du Monténégro — sont intégrés par les Italiens à leur protectorat d'Albanie[49]. À la demande d'Hitler, une partie du Kosovo est laissée à l'État serbe « résiduel », ce qui permet aux occupants allemands de garder la main sur les régions minières[50]. Dans la partie du Kosovo occupée par l'Italie, les Serbes et les Monténégrins installés pendant l'entre-deux-guerres sont attaqués par des bandes albanaises qui les chassent de leurs terres : environ 20 000 d'entre eux sont forcés de se réfugier en Serbie. Une dizaine de milliers de Serbes périssent au Kosovo pendant le conflit, dont la majorité lors des expulsions de 1941[51].

Les zones d'occupations de la Slovénie — carte basée sur son territoire actuel — durant la Seconde Guerre mondiale. En vert clair : la province de Ljubljana (zone italienne) ; en brun : la zone allemande ; en jaune : la zone hongroise. En vert foncé : zone déjà annexée par l'Italie avant la guerre, par le traité de Rapallo de 1920.

La Slovénie est partagée entre l'Allemagne, l'Italie et la Hongrie. Les Allemands occupent le Nord, en s'emparant de l'essentiel de la Basse-Styrie et de la Haute-Carniole, soit d'un territoire bien plus important que ne l'escomptaient les Italiens. Ces derniers reçoivent quant à eux la Basse-Carniole et la ville de Ljubljana : leur territoire devient la province de Ljubljana. Les Hongrois annexent la région de Prekmurje. L'occupation italienne de la Slovénie est, au moins dans les premiers temps, relativement souple[49] ; les Italiens ne s'en prennent pas aux institutions culturelles slovènes et, du fait de l'importance primordiale des milieux catholiques, entretiennent de bonnes relations avec le clergé local. L'évêque de Ljubljana, Gregorij Rožman, fait partie de leurs principaux interlocuteurs. Une « Consulta » (conseil consultatif), dirigée par l'ancien ban de la Drave Marko Natlačen et réunissant quatorze notables pro-italiens, est formée[52],[53]. Mais le gouverneur italien Emilio Grazioli, déjà responsable de l'« italianisation » brutale de la minorité slovène en Vénétie julienne, importe bientôt les méthodes fascistes dans la province de Ljubljana : la Consulta est rapidement négligée[52]. Les Hongrois, quant à eux, pratiquent d'emblée dans leur zone une politique de « magyarisation » à marche forcée et imposent l'apprentissage de la langue hongroise. Les Allemands s'emploient eux aussi à « germaniser » leur zone annexée, interdisant l'usage de la langue slovène en public et déplaçant des populations slovènes pour permettre l'installation de colons d'ethnie germanique, venus notamment de la Carniole ou du Sud-Tyrol[44],[47],[54],[49]. Heinrich Himmler prévoit d'expulser de leur propre pays environ 245 000 Slovènes, et de germaniser les autres. Mais les réactions de la population devant cette politique, qui alimente la résistance locale, conduisent les Allemands à revoir leurs plans à la baisse. À peine plus d'un millier de colons Volksdeutsche est installé en Slovénie pendant la guerre ; plus de 80 000 Slovènes sont cependant déplacés, et expulsés vers la Serbie ou la Croatie[54].

Un territoire disjoint en bord de mer.
Le gouvernorat italien de Dalmatie.

Dès le lendemain de l'invasion, Allemands et Italiens appliquent, pour maintenir l'ordre et réprimer les soulèvements, une série de mesures très brutales qui conduisent à l'exécution ou à l'internement de nombreux civils. La Wehrmacht laisse ainsi carte blanche aux commandants d'armées : le , le général von Weichs ordonne que 100 civils soient exécutés en Serbie pour chaque soldat allemand tué ; tout « soldat serbe » surpris avec des armes devra également être mis à mort[55],[56]. L'Armée royale italienne, pour sa part, s'appuie sur un décret royal de 1938 qui fait de toute personne prenant les armes un belligérant. Devant la multiplication des insurrections durant l'année 1941, le général Vittorio Ambrosio, commandant de la IIe armée italienne, ordonne en octobre de fusiller sur-le-champ les rebelles capturés, de ne pas prendre de prisonniers et de brûler les maisons si nécessaire. Le général Mario Roatta, qui succède à Ambrosio début 1942 et a autorité sur l'ensemble des zones d'occupation italiennes, publie en mars la circulaire 3C sur les opérations de maintien de l'ordre. Ce texte prévoit d'interner à titre préventif et répressif des familles et des « catégories d'individus » dans les villages — voire la population entière des villages concernés —, de multiplier les arrestations d'otages civils et de considérer les populations locales comme responsables des sabotages commis dans leur région. Des camps de concentration sont créés dans les zones italiennes : ils accueillent progressivement, dans des conditions effroyables, des dizaines de milliers de personnes — suspects, otages, ou bien populations de Slovénie et de Dalmatie chassées de chez elles et déportées pour laisser la place à des colons italiens[55].

La Macédoine orientale est occupée par la Bulgarie qui ne l'annexe cependant pas officiellement, la question du statut exact de ce territoire étant renvoyée à l'après-guerre[44]. La Bulgarie n'en considère pas moins sa zone d'occupation comme un territoire bulgare « libéré », et la plupart de ses habitants — à l'exception des Serbes — comme des Bulgares. Les agriculteurs serbes qui s'étaient installés dans la banovine du Vardar à la faveur de la réforme agraire de l'entre-deux-guerres sont expulsés vers la Serbie. À la fin de 1941, environ 62 000 personnes doivent quitter la Macédoine, malgré les protestations des autorités allemandes en Serbie qui ont du mal à gérer l'afflux de réfugiés. Dans l'ensemble, l'occupation bulgare est d'abord plutôt bien accueillie par la population, qui la ressent comme une revanche après des années de « serbisation » imposée. Mais la situation se dégrade au bout de quelques mois : la « serbisation » d'avant-guerre est remplacée par une politique de « bulgarisation », tandis que les réquisitions des occupants et la conscription obligatoire alimentent le mécontentement[57]. La Hongrie applique une politique similaire dans les territoires qu'elle a annexés, et dont elle expulse les colons yougoslaves — principalement serbes — installés dans l'entre-deux-guerres. Durant les deux premières semaines de l'occupation hongroise, 10 000 personnes sont expulsées vers la Serbie, la Croatie ou le Monténégro. Les Hongrois envisagent de chasser 150 000 Serbes supplémentaires, mais doivent y renoncer du fait de l'opposition des Allemands. Ils parviennent cependant à en expulser 35 000 de manière officieuse ; 12 000 autres sont enfermés dans des camps, puis progressivement transférés en Serbie[58].

Situation des Juifs selon les zones[modifier | modifier le code]

Une sculpture abstraite, dans un parc public.
Monument à la Shoah, à Chtip (Macédoine).

Les Juifs de Yougoslavie — pour la plupart Séfarades et dont la population, estimée à environ 78 000 personnes, se trouve principalement en Serbie autour de Belgrade, en Bosnie-Herzégovine autour de Sarajevo, et en Macédoine — sont immédiatement victimes de mesures discriminatoires, qui laissent bientôt place, dans les zones allemandes, à une politique d'extermination[57],[59].

En Serbie, dès l'automne 1941, les hommes juifs sont, avec les Tziganes, raflés et exécutés en priorité lors des représailles contre les insurgés. À la même époque, après avoir abandonné l'idée de créer un ghetto à Belgrade, les Allemands commencent à envisager la déportation non plus uniquement des hommes, mais également des femmes et des enfants[57],[59]. Dans la zone d'occupation allemande en Croatie, les Oustachis se montrent des complices zélés des nazis. Les Juifs croates, déchus de leur citoyenneté dès le mois d'avril, sont rapidement la cible de massacres. Ante Pavelić — dont l'épouse a des origines juives — se montre cependant peu cohérent en matière d'antisémitisme : il s'octroie le droit de décréter qui est juif ou pas et crée un statut d'« Aryen d'honneur » qui permet à diverses personnes ayant des relations au sein du nouveau régime d'échapper aux persécutions[60].

Les Hongrois appliquent, dans les territoires qu'ils occupent, leur propre législation antisémite. Plus de 1 000 Juifs de la région serbe de la Bačka sont arrêtés durant le conflit par les Hongrois, qui les livrent ensuite aux Allemands en échange de minerais. Dans la région de Macédoine occupée par les Bulgares, les Juifs originaires de Serbie sont tenus de se déclarer. Ceux qui obtempèrent sont livrés aux Allemands. Ce n'est cependant qu'à partir de 1943 que les Bulgares, à la suite d'un accord en ce sens avec les Allemands, entreprennent de déporter vers les camps nazis toutes les populations juives de leurs zones d'occupation. Environ 7 000 Juifs sont déportés par les Bulgares depuis la Macédoine yougoslave[57],[59],[61].

Les zones d'occupation italiennes constituent une exception : Mussolini et ses généraux refusent en effet, malgré les pressions allemandes, de livrer les Juifs qui s'y trouvent[62].

Conséquences économiques[modifier | modifier le code]

Dans l'ensemble des territoires yougoslaves — bien que de manière inégale, en fonction du degré de violence qui y règne entre 1941 et 1945 — l'occupation a des conséquences économiques désastreuses, qui s'aggravent à mesure que le conflit avance. Aux coûts de l'entretien des troupes d'occupation s'ajoute l'accaparement des ressources et des matières premières par les pays de l'Axe[63]. Le partage économique entre les occupants est inégal en fonction des zones : si les Allemands se réservent le plus gros des ressources de la Croatie — aux dépens des Italiens — et de la Serbie, ils coopèrent en Macédoine avec les Bulgares pour organiser l'exploitation des gisements de minerais[64]. Un accord germano-italien est conclu pour exploiter les ressources minières du Monténégro, en fonction des besoins allemands[65].

La Serbie comme la Croatie, ainsi que les autres zones occupées, connaissent une très importante inflation. Celle-ci atteint des niveaux vertigineux en Croatie, pays particulièrement concerné par les insurrections. Elle est plus contrôlée en Serbie, où règne une relative accalmie entre l'hiver 1941 et le printemps 1944 et où les autorités allemandes prennent une série de mesures qui stabilisent les prix et les niveaux de salaires. La situation économique serbe n'en demeure pas moins préoccupante, en raison des dépenses liées à l'occupation qui entraînent une forte augmentation des taxes[63], mais aussi des « contributions » imposées par le Reich : en plus des sommes considérables qui lui incombent pour l'entretien des troupes occupantes, la Serbie est en effet contrainte de verser à l'Allemagne l'équivalent d'environ 200 millions de reichsmarks par an[66]. Dans toute la Yougoslavie occupée, le marché noir se développe et, au fil des ans, les habitants sont de plus en plus nombreux à avoir recours à une économie de troc[63].

Au sein des différentes zones, les monnaies des occupants — le reichsmark, la lire italienne, le pengő hongrois, le lev bulgare, le franc albanais — sont introduites, remplaçant ou côtoyant les dinars d'avant-guerre ; le régime croate des Oustachis possède sa propre monnaie, la kuna. Cette mise en circulation massive de devises pose de nouveaux problèmes après 1945, lorsqu'elles doivent être reconverties en dinars yougoslaves[63].

La Croatie des Oustachis[modifier | modifier le code]

Un régime à vocation totalitaire[modifier | modifier le code]

Adolf Hitler serrant la main d'Ante Pavelić.
Ante Pavelić reçu au Berghof par Adolf Hitler, en juin 1941.
Un blason formé d'une bombe et d'un U stylisés, aux couleurs de la Croatie.
Emblème des Oustachis.

Lors de l'offensive contre la Yougoslavie, les envahisseurs prévoient de laisser principalement aux Italiens la responsabilité de la Croatie, les Allemands étant surtout intéressés par les aspects économiques et par le statut des Volksdeutsche locaux. Le , Mussolini reçoit Ante Pavelić, le chef des Oustachis qui se trouve alors encore en exil en Italie : reprenant les idées déjà avancées l'année précédente par Ciano, il lui propose, en échange d'un accord sur la Dalmatie, de le mettre à la tête d'une Croatie indépendante. Les Allemands, quant à eux, envisagent dans un premier temps de confier le pouvoir en Croatie à Vladko Maček, ou de faire gérer le pays par la Hongrie. Maček refusant cette offre et les Hongrois n'étant pas intéressés, l'Allemagne accepte le projet italien d'un régime dirigé par les Oustachis[67].

Le 10 avril, alors que Zagreb vient d'être prise, Slavko Kvaternik, l'un des chefs du mouvement, proclame l'État indépendant de Croatie. Pavelić arrive à Zagreb le 15 avril et s'autoproclame « Poglavnik » (chef) du nouvel État. Maček signe une déclaration appelant ses partisans à reconnaître les autorités oustachies. Le clergé catholique croate, notamment l'archevêque de Zagreb Mgr Alojzije Stepinac[67],[68], salue initialement le nouveau régime. Dans les tout premiers temps, une partie de l'opinion croate se réjouit de la fin d'un État « oppresseur » et de ce qui semble être une libération du peuple croate[69].

Les Oustachis, qui ne comptaient avant la guerre que quelques milliers de membres actifs, n'ont pas dans l'immédiat les moyens d'administrer le territoire : eux-mêmes estiment en 1941 n'avoir pas plus de 40 000 sympathisants. En attendant que la Croatie indépendante puisse consolider ses forces armées, l'Allemagne et l'Italie partagent le pays en deux zones d'occupation[67],[68]. Malgré une « indépendance » revendiquée jusque dans son nom officiel, la Croatie des Oustachis fait donc figure de « protectorat », à la fois de l'Allemagne et de l'Italie. La frontière germano-croate est fixée par un décret publié le 7 juin ; les Allemands s'assurent le contrôle des lignes de communication entre l'Autriche et la Grèce, et occupent environ la moitié du territoire, dont sa partie la plus riche et la plus industrialisée[70]. Ils administrent par ailleurs, à l'intérieur de leur zone, un territoire à statut spécial peuplé en majorité par des Volksdeutsche de Croatie[71].

Les relations avec l'Italie sont plus complexes et plus difficiles. Le 18 mai, un traité italo-croate définit les frontières du nouveau pays, ainsi que les zones d'influence italiennes[70]. Pavelić cède à l'Italie la Dalmatie centrale, mais reçoit en compensation toute la Bosnie-Herzégovine — dont il est lui-même originaire — une partie de la Slavonie, ainsi que la Syrmie et le Sud-Ouest de la Voïvodine[72]. Outre l'annexion de la Dalmatie qui constitue leur première zone, les Italiens divisent le reste de leur sphère d'influence en Croatie en définissant une deuxième zone « démilitarisée » — où ne peuvent stationner que des garnisons italiennes — et une troisième zone allant jusqu'à la ligne de démarcation des zones italienne et allemande. Après la signature du traité, les Italiens retirent la majorité de leurs troupes des deuxième et troisième zones, confiant une grande partie des tâches de maintien de l'ordre à leurs alliés croates[67],[70]. En échange du soutien italien, Pavelić accepte que la couronne croate revienne à un cousin du roi d'Italie Victor-Emmanuel III, le prince Aymon de Savoie-Aoste[72]. Ce dernier est proclamé roi sous le nom de « Tomislav II », en référence au souverain médiéval Tomislav Ier. Bien que le texte du traité avec l'Italie utilise l'appellation « Royaume de Croatie », l'État indépendant de Croatie demeure une « monarchie » purement virtuelle : le « roi » italien — nommé contre son gré monarque d'un pays dont il ignore tout — s'abstient même de le visiter pendant toute la durée de son « règne », sa sécurité ne pouvant être garantie. L'influence des Italiens sur le régime oustachi est en outre assez inégale, du fait de la domination des Allemands qui soutiennent à bout de bras le gouvernement de Zagreb sur le plan militaire tout en se taillant la part du lion sur le plan économique, mais également en raison de la mauvaise volonté de Pavelić. Le chef des Oustachis est en effet mécontent d'avoir dû faire à l'Italie des concessions territoriales qui ont miné d'emblée la crédibilité de son régime auprès des Croates[70],[71].

Pavelić met immédiatement en place un régime dictatorial, inspiré à la fois par le nationalisme croate le plus radical, le fascisme italien, le national-socialisme allemand, le cléricalisme catholique et les idées agrariennes du Parti paysan croate. Le mouvement Oustacha devient parti unique et l'État est organisé selon une logique totalitaire. D'emblée, le gouvernement publie une série de lois et de décrets qui n'ont d'autre cohérence que la volonté d'assurer la mainmise des Oustachis sur le pays : dès le 17 avril est adoptée une loi sur la « protection du peuple et de l'État », rédigée de telle manière qu'elle permet dans les faits de tuer sur-le-champ toute personne s'opposant, ou soupçonnée de vouloir s'opposer, aux Oustachis. Le régime oustachi combine en effet une idéologie extrémiste avec une faiblesse politique et militaire qui le rend totalement dépendant des occupants : la conjonction de ces deux facteurs le pousse à user de la plus grande violence pour asseoir son autorité. L'État indépendant de Croatie met rapidement en place un appareil répressif, en s'appuyant notamment sur une milice oustachie — à laquelle s'ajoutent des formations irrégulières — et en créant une armée régulière, la Garde nationale croate (Hrvatsko domobranstvo, ou Domobran). Un ensemble de camps de concentration est mis sur pied en Croatie pour y enfermer les opposants ou les populations visées par le régime[71],[73].

Génocides des Serbes, des Juifs et des Tziganes[modifier | modifier le code]

Des mesures sont prises d'emblée contre les Juifs, les Serbes et les Tziganes. La population juive — entre 36 000 et 40 000 personnes — est immédiatement visée par des lois raciales imitées de la législation nazie ; les massacres de Juifs commencent dès le mois de mai lors du « nettoyage » de villes et de villages. En juin, les Oustachis commencent à déporter les Juifs vers des camps, situés en Allemagne ou sur le territoire croate. Environ 4 500 Juifs de Croatie et de Bosnie parviennent à se réfugier dans les zones d'occupation italiennes[71],[73], mais 26 000 périssent entre 1941 et 1945. Les Oustachis imitent également les nazis en massacrant les Tziganes, dont 16 000 environ sont tués pendant la guerre[74].

Un groupe de prisonniers, le cheveu coupé ras.
Détenus serbes au camp d'extermination de Jasenovac.

Les cibles privilégiées des Oustachis sont cependant les Serbes, qui vivent sur 60 à 70 % du territoire de l'État indépendant de Croatie dont ils forment environ 30 % de la population totale (1,9 million de personnes)[71], et que le nouveau régime entreprend de persécuter de sa propre initiative. Des mesures sont prises pour éradiquer toute trace de la culture serbe : l'alphabet cyrillique est interdit, de même que le culte orthodoxe. Les Serbes se voient interdire l'accès à l'armée, à la vie politique et à de nombreuses professions. Dans certaines localités, ils doivent, comme les Juifs, porter un brassard distinctif[75].

Des prisonniers marchant à travers champ.
Une colonne de prisonniers serbes, conduits par les Allemands et les Oustachis vers le camp d'internement de Šabac durant une opération contre la résistance.

Les miliciens oustachis, qui opèrent dans l'arbitraire le plus total, s'emploient immédiatement à ratisser les populations serbes afin de les enfermer dans des camps pour les expulser ensuite vers la Serbie voisine ; les récalcitrants sont tués sur-le-champ. La population serbe vivant dans le territoire sous autorité oustachie est d'emblée victime de massacres, dont l'ampleur ne fait que croître au fil des mois : c'est notamment le cas en Bosnie-Herzégovine, où la situation tourne au bain de sang. Dès juillet, les autorités allemandes répertorient plus de 140 000 Serbes réfugiés en Serbie occupée. Devant cet afflux de population, les Allemands interdisent à l'automne leur entrée sur le territoire serbe : cela ne fait que renforcer le caractère meurtrier de la politique des Oustachis qui, ne pouvant plus expulser les Serbes, sont d'autant plus portés à les tuer[71],[73].

Pratiquant volontiers les tueries à l'arme blanche et les égorgements, les Oustachis se distinguent par leur cruauté, mutilant leurs victimes dont ils arrachent le foie ou le cœur, ou tuant des enfants en bas âge dont ils obligent les parents à les enterrer avant de les exécuter eux aussi ; ils brûlent les cadavres de Serbes dans des fours crématoires — où des enfants sont parfois jetés vivants — ou les lancent dans un affluent du Danube pour qu'ils dérivent jusqu'à Belgrade, porteurs de « mots de compliment » pour les Serbes de la capitale[76]. Le clergé orthodoxe est également victime de massacres par les Oustachis[77].

Aucun consensus n'existe quant au nombre exact de victimes serbes, qui est par ailleurs minoré par certains auteurs nationalistes croates : diverses estimations tournent cependant autour de 300 000 Serbes victimes des Oustachis pendant le conflit mondial, qu'ils aient été tués dans la destruction de leurs villages, lors de rafles ou dans des camps[71],[73],[74].

A contrario, les Oustachis s'efforcent de gagner l'allégeance des Musulmans, qui forment une importante minorité sur leur territoire. Ils obtiennent la collaboration de divers notables — le gouvernement de l'État indépendant de Croatie compte notamment deux ministres musulmans — ainsi que de milices musulmanes qui participent aux massacres et aux opérations de répression[71],[73]. Par exemple, en Herzégovine, où les Croates sont très minoritaires, les exactions contre les Serbes sont principalement le fait de recrues musulmanes des Oustachis[78]. Cependant, la majorité de la population musulmane de Bosnie demeure méfiante, voire hostile, face à la politique du régime[71]. Des dignitaires musulmans vont jusqu'à signer un appel protestant contre les massacres[79] et à qualifier les miliciens issus de leur communauté de « lie de la société ». Les Oustachis bénéficient par ailleurs de la collaboration active de membres du clergé catholique, dont certains vont jusqu'à devenir des exécutants des crimes du régime[71]. En Bosnie, la plupart des religieux catholiques ralliés aux Oustachis sont des franciscains qui estiment avoir des comptes à régler avec les « schismatiques » orthodoxes[80]. Cependant, la majorité des évêques croates, après avoir dans un premier temps salué l'indépendance de la Croatie et la fin de la domination orthodoxe, proteste contre la politique de Pavelić dont la brutalité nuit à l'image du catholicisme. Mgr Stepinac, s'il ne condamne pas publiquement le régime, s'efforce de garantir la sécurité des populations menacées, contribuant à sauver plusieurs milliers de vies. Certains Serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine parviennent à échapper à la mort en se convertissant au catholicisme : cela leur permet d'obtenir la protection d'une partie des autorités catholiques qui ferment les yeux sur le caractère forcé de ces « conversions ». Par ailleurs, l'État indépendant de Croatie, bien qu'exaltant son identité catholique, ne parvient pas à se faire reconnaître par le Vatican. Les Oustachis tentent également d'obtenir la collaboration des cadres du Parti paysan croate, mais un tiers de ces derniers refusent de siéger dans les institutions où ils ont été nommés ; Vladko Maček est maintenu en résidence surveillée pour avoir rejeté les propositions d'alliance des Oustachis[71],[73].

Ante Pavelić suit les conseils d'Hitler qui lui avait recommandé de consolider la Croatie par une politique d'« intolérance raciale », mais la brutalité des Oustachis, qui engendre un véritable chaos dans le pays, en arrive à gêner leurs alliés allemands et italiens. Le général Edmund Glaise-Horstenau, représentant du Reich à Zagreb, juge que la politique oustachie relève de la démence ; les Italiens vont jusqu'à s'opposer activement par endroits à leurs « alliés » croates, dont ils désarment certaines milices et contre lesquels ils protègent des populations civiles. Si la proclamation de l'État indépendant de Croatie avait, en avril, suscité l'adhésion de nombreux Croates, le régime de Pavelić a perdu une grande partie de son crédit auprès de la population dès la fin de 1941[81].

La Serbie occupée[modifier | modifier le code]

Premiers mois d'occupation[modifier | modifier le code]

Alors qu'une partie des Croates a réagi favorablement à la proclamation d'indépendance, le démantèlement de la Yougoslavie et l'occupation sont, à l'inverse, ressentis comme une profonde humiliation en Serbie, où l'opinion publique se sent trahie aussi bien par l'État yougoslave et par les Britanniques que par les Croates. Les Allemands s'emparent des ressources du pays et appliquent d'emblée des mesures de terreur[11]. Le droit pénal du Reich est imposé dans les zones d'occupation allemandes ; tout acte de sabotage est puni de mort. La vie économique est placée sous le contrôle étroit des autorités allemandes[82].

Des maires serbes acceptent de collaborer, mais les Allemands s'appuient principalement sur une force de police volksdeutsche recrutée à la hâte en Voïvodine[46]. Alors que l'ouverture du front de l'Est est en préparation, l'Allemagne tente en effet d'occuper la Serbie avec un minimum de troupes, en s'appuyant autant que possible sur des volontaires SS serbes d'ethnie allemande, sur des auxiliaires locaux, sur les troupes bulgares, et enfin sur un gouvernement collaborateur. Le , l'administration militaire allemande de la Serbie nomme un cabinet de « commissaires » serbes, formé de dix hommes politiques de second plan, dont le rôle se limite à servir de relais aux demandes des occupants. Milan Aćimović, ancien chef de la police de Belgrade et éphémère ministre avant-guerre, prend la tête de ce gouvernement, avec le titre de commissaire chargé du ministère de l'Intérieur[46].

À peine Belgrade est-elle occupée qu'un ensemble de mesures est pris à l'encontre des 15 000 Juifs de Serbie[83], tenus de déclarer leur présence aux autorités, et dont certains sont tués immédiatement[11]. À partir du 30 mai, l'ensemble des dispositions des lois raciales nazies relatives aux Juifs et aux Tziganes est appliqué en Serbie[83].

Le régime de Nedić[modifier | modifier le code]

À partir de l'été 1941, les Allemands sont confrontés en Serbie à un double mouvement de résistance, avec les Tchetniks de Mihailović et les Partisans de Tito. Ne pouvant obtenir de renforts militaires alors que l'invasion de l'URSS a commencé, ils s'efforcent de mieux organiser leurs alliés locaux, en commençant par mettre sur pied un régime serbe plus crédible. Afin de préparer le terrain, le gouvernement des commissaires publie un « appel au peuple serbe » signé par 307 personnalités — des hommes politiques pro-allemands, mais aussi des intellectuels et des ecclésiastiques, qui ont pour la plupart signé sous la contrainte — et réclamant la restauration de l'ordre. Enfin, les Allemands obtiennent en Serbie le ralliement d'une personnalité politique importante — qui leur a fait défaut en Croatie lors du refus de Maček — lorsque le général Milan Nedić, ancien ministre et chef du groupe d'armées sud au moment de l'invasion, prend le 29 août la tête d'un gouvernement « de salut national ». Le régime de Nedić n'hésite pas à se réclamer du roi : plusieurs généraux de l'ancienne armée royale y participent, de même qu'Aćimović qui reste ministre de l'Intérieur, ainsi que des membres du parti d'extrême droite ZBOR[84]. Nedić, qui n'adhère pas particulièrement aux idées fascistes et semble avoir voulu en premier lieu protéger les Serbes de l'anéantissement physique, adopte une posture que le spécialiste des Balkans Paul Garde compare à celle de Pétain en France. La première tâche de son gouvernement est de s'occuper des centaines de milliers de réfugiés serbes, arrivés de Croatie et des différentes régions annexées par les occupants[85].

Pour pouvoir participer activement à la lutte contre les insurgés, Nedić est autorisé à créer une force armée, la Garde nationale serbe. Si les troupes de Nedić, en manque d'officiers, s'avèrent peu fiables, les Allemands trouvent des supplétifs nettement plus actifs dans les rangs du ZBOR. Le chef de ce parti, Dimitrije Ljotić, s'abstient de participer au gouvernement de Nedić, préférant exercer une influence parallèle : il met sur pied des détachements de volontaires, qui apportent un appui direct aux Allemands dans la lutte contre les résistants et se trouvent en situation de rivalité avec la Garde nationale. Les occupants obtiennent également la collaboration, dès le mois d'août, de Kosta Pećanac, l'un des principaux chefs tchetniks de l'entre-deux-guerres. Plusieurs milliers de Russes blancs émigrés en Yougoslavie sont par ailleurs recrutés pour former un « Corps de sécurité russe » chargé d'épauler les Allemands contre les communistes[84],[85],[11].

Déportations et exterminations en Serbie[modifier | modifier le code]

Des hommes marchant dans la rue, sous la surveillance d'un soldat en armes.
Arrestation de Tziganes en Serbie.

Les arrestations massives de Juifs commencent au moment des premiers soulèvements en Serbie ; leurs biens sont confisqués et vendus à vil prix, généralement à des Volksdeutsche. Plusieurs camps de concentration, sous l'autorité de la Gestapo, sont installés dans d'anciens terrains militaires et industriels en banlieue de Belgrade, pour y détenir des Juifs et d'autres otages. En , le plénipotentiaire allemand ordonne l'arrestation immédiate de tous les Juifs et Tziganes de sexe masculin ; les femmes et les enfants sont arrêtés par la suite. Le gouvernement Nedić, et plus encore le ZBOR, prêtent assistance aux Allemands ; ces derniers se chargent cependant de l'essentiel du travail en matière d'arrestations et de déportations, tandis que certains éléments de la police serbe opposent une résistance passive[83].

Le camp de Sajmište, ouvert en non loin de Belgrade, se trouve techniquement sur le territoire de l'État indépendant de Croatie mais relève des autorités d'occupation allemandes en Serbie : il accueille rapidement près de 7 000 Juifs et Tziganes, principalement des femmes et des enfants. La plupart périssent entre l'hiver 1941 et le printemps 1942[83] : plusieurs milliers sont tués à l'aide d'un camion à gaz qui les transporte depuis le camp jusqu'à une fosse commune creusée tout près de Belgrade. Le chef local de la Police de sûreté allemande se félicite à l'époque de ce que la Serbie soit désormais judenfrei (« libérée des Juifs »[86]). Parmi les Juifs de Serbie, certains prisonniers de guerre parviennent à se faire transférer dans des zones d'occupation italiennes, puis survivent dans la clandestinité, souvent à l'aide de faux certificats de baptême[83].

Des Juifs de la zone d'occupation hongroise en Serbie sont par ailleurs expulsés vers les régions sous occupation allemande, où ils sont internés puis tués dans le camp de Banjica[87].

Apparition des mouvements de résistance[modifier | modifier le code]

Les Tchetniks[modifier | modifier le code]

Un homme d'une quarantaine d'années, portant des lunettes, barbu et coiffé d'une toque de fourrure.
Draža Mihailović.
Un crâne et des os blancs sur fond noir, avec des inscriptions en alphabet cyrillique.
L'étendard des Tchetniks, portant les inscriptions Pour le roi et la patrie ; La liberté ou la mort.

Le colonel Dragoljub, dit « Draža », Mihailović, un officier serbe, chef d'état-major de la seconde armée en Bosnie au moment de l'invasion, a échappé à la capture : après la capitulation, il rejoint le territoire serbe avec un petit nombre d'hommes. Ayant constaté que les troupes d'occupation allemandes ne disposent que d'effectifs insuffisants, il prend contact avec d'autres officiers qui, comme lui, sont demeurés en liberté et refusent la capitulation. Le 12 mai, Mihailović et ses hommes s'installent dans la zone, montagneuse et difficile d'accès, de la Ravna gora. Mihailović ne semble pas avoir envisagé de se lancer d'emblée dans une résistance active contre les occupants : dans les semaines qui suivent, il s'emploie à constituer un réseau avec des officiers d'active et de réserve, et à prendre contact avec les Britanniques et le gouvernement de Londres dans le but de mener des opérations en liaison avec l'extérieur. Partisan des méthodes des combattants irréguliers « tchetniks » historiques, il baptise son mouvement « Commandement des détachements tchetniks de l'Armée yougoslave » (Komanda četničkih odreda jugoslavenske vojske)[88]. L'organisation de Mihailović — qui ne se confond pas avec le mouvement tchetnik de l'entre-deux-guerres, bien qu'elle utilise le même nom et ait des membres en commun avec lui — prend progressivement forme, et attire environ 10 000 hommes à l'Ouest de la Serbie[11].

Le 19 juin, un messager tchetnik rejoint Istanbul et prend contact avec des royalistes yougoslaves qui, à leur tour, transmettent aux Britanniques la demande d'aide et de reconnaissance officielle de Mihailović[89].

En août, les Tchetniks créent un Comité central national, avec les quelques civils qui ont rejoint le mouvement de Mihailović. Ceux-ci sont principalement des intellectuels nationalistes serbes issus du Club culturel serbe, dont les plus influents sont Dragiša Vasić et Stevan Moljević[89],[88]. Dès le mois de juin, Moljević, qui s'affirme comme l'un des principaux idéologues du mouvement, rédige un mémorandum prévoyant, dans la perspective de la reconstruction de la Yougoslavie, la constitution d'une « Serbie homogène » qui dominerait le pays et dont la fondation s'accompagnerait de l'expulsion d'environ 1 000 000 de non-Serbes. Ce programme de Grande Serbie ne semble pas correspondre à un plan préconçu par Mihailović, dont les idées politiques sont peu précises en dehors de la nécessité de restaurer la monarchie ; le Comité central national des Tchetniks ne joue initialement qu'un rôle secondaire[11],[88].

Mihailović, qui dispose d'un équipement radio rudimentaire, établit des échanges directs avec les Britanniques début septembre ; le 13, il peut envoyer son premier message au gouvernement royal en exil, auquel il annonce qu'il a rassemblé les restes de l'armée yougoslave dans les montagnes de Serbie pour continuer le combat[89]. Le gouvernement britannique, une fois informé des activités de Mihailović, fonde rapidement de grands espoirs sur ses Tchetniks, ignorant que Mihailović vise davantage à consolider ses forces qu'à lancer d'emblée une insurrection[11]. En effet, si les Tchetniks sont le premier mouvement de résistance à s'être officiellement constitué, ils n'ont initialement que des accrochages défensifs avec les Allemands. Mihailović souhaite éviter autant que possible les affrontements directs avec les forces d'occupation, afin de ne pas entraîner de représailles, à la fois pour ses hommes[90], pour la population civile serbe, et pour les centaines de milliers de prisonniers de guerre yougoslaves[91] ; il a pour objectif immédiat de créer une force militaire clandestine, dans l'attente d'un débarquement britannique dans les Balkans, afin de pouvoir le moment venu contribuer à la défaite des occupants[92]. À moyen terme, cependant, cette stratégie entraîne des défections dans les rangs du mouvement de Mihailović, que certains de ses subordonnés, désireux de combattre immédiatement les Allemands, quittent pour rejoindre les Partisans[91].

En outre, les Tchetniks sont un mouvement composé pour l'essentiel de Serbes — ainsi que de Monténégrins se considérant comme Serbes — et qui se réclame de l'ancien régime dominé par les Serbes, ce qui limite d'emblée leur capacité à attirer des membres issus d'autres nationalités. L'unité du mouvement est par ailleurs très relative : en effet, si de multiples groupes tchetniks apparaissent dans la Yougoslavie occupée, Mihailović n'exerce sur eux qu'une autorité théorique, à l'exception des hommes qui se trouvent sous ses ordres directs[91].

Les Partisans[modifier | modifier le code]

Le drapeau bleu-blanc-rouge yougoslave, avec une étoile rouge en son centre.
L'étendard des Partisans, devenu après 1945 le drapeau national yougoslave.
Un homme glabre d'une quarantaine d'années, en uniforme, regardant vers la gauche.
Josip Broz Tito.

Au moment de l'attaque allemande, Tito, chef du Parti communiste de Yougoslavie, se trouve à Zagreb ; il rejoint Belgrade par le train et s'emploie à y réorganiser le comité central du KPJ. Différentes sources ayant informé les communistes d'une prochaine attaque allemande contre l'URSS, Tito et ses hommes se préparent à entrer en résistance[93].

Entre avril et juin, c'est-à-dire entre le démantèlement de l'État yougoslave et le début des hostilités germano-soviétiques, les communistes s'abstiennent d'utiliser le mot « Yougoslavie » : Tito ne s'en efforce pas moins de maintenir la cohésion du Parti sur le plan national, alors que diverses factions ont réapparu à la faveur de la destruction du pays. Le KPJ reconstitue ses réseaux, se procure des armes et recrute des hommes parmi les adversaires du régime d'avant-guerre[94]. Selon le témoignage de Milovan Djilas, les communistes identifient immédiatement Mihailović et les officiers qui l'entourent comme des adversaires potentiels[38].

Le 22 juin, l'opération Barbarossa est déclenchée : le Komintern envoie alors à tous les partis communistes l'ordre de venir en aide à l'URSS, avec comme priorité de mener non pas une « révolution socialiste », mais une lutte pour libérer leurs pays respectifs de l'« oppression fasciste »[93]. Le 27 juin, le Comité central nomme Tito au poste de commandant en chef des forces de libération nationale[93]. Tito peut dès lors à nouveau utiliser des slogans patriotiques pour en appeler au combat contre les occupants[94].

Le 4 juillet — date présentée par la suite par le régime communiste yougoslave comme celle du début de la guerre de résistance — le Comité central se réunit à nouveau à Belgrade et décide d'appeler ses militants à prendre les armes. Le Parti compte alors dans ses rangs environ 10 000 combattants potentiels, dont certains sont des vétérans de la guerre d'Espagne. Les résistants communistes, bientôt surnommés Partisans (Partizan, au pluriel Partizani, un mot importé du russe), commencent à s'organiser, principalement en Serbie, en Croatie et au Monténégro. Ils reçoivent le renfort de nouvelles recrues, qui prennent le maquis après les récoltes et se joignent à la première organisation de résistance qu'ils trouvent. Tito compte, dans un premier temps, sur une victoire rapide des Soviétiques à l'Est, pour pouvoir ensuite mener la révolution en Yougoslavie avec l'aide de l'Armée rouge[93],[94]. Le chef communiste lance un mot d'ordre de « résistance antifasciste », censé s'adresser à l'ensemble des peuples de la Yougoslavie[95].

Les communistes ont, par rapport au mouvement de Mihailović, l'avantage initial d'une organisation déjà rompue à la clandestinité[94]. Si Tito appartient à la même génération que Mihailović, les cadres de son mouvement sont en moyenne plus jeunes que les officiers tchetniks : leurs années d'action clandestine — voire de guerre, pour ceux qui se sont battus en Espagne — sont un atout de plus par rapport aux Tchetniks dont les chefs, militaires de carrière ou de réserve, n'ont pour la plupart (à quelques exceptions près comme Mihailović lui-même) pas d'expérience du combat. Bien que la résistance communiste compte dans ses rangs, dans les premiers temps, 90 % de Serbes et de Monténégrins[96], les hommes de Tito — qui est lui-même de père croate et de mère slovène — ont comme autre avantage de s'adresser, contrairement aux Tchetniks, non pas aux seuls Serbes mais à l'ensemble des nationalités yougoslaves : cela leur permet, sur le long terme, d'attirer des recrues de diverses origines[91]. Les communistes ont comme atout supplémentaire de ne pas partager les scrupules de Mihailović quant à la répression que les actions de résistance risquent de provoquer à l'encontre des populations civiles : Tito et son entourage comptent au contraire sur la brutalité des occupants pour pousser les Yougoslaves à se soulever et à soutenir les Partisans[97],[98].

Premières insurrections (1941-1942)[modifier | modifier le code]

Croatie et Bosnie-Herzégovine[modifier | modifier le code]

Carte de l'État indépendant de Croatie (en bleu clair), comprenant les territoires actuels de la Croatie proprement dite (sauf les zones côtières en vert, annexées par l'Italie) et de la Bosnie-Herzégovine. La frontière entre les zones d'occupation italienne et allemande est marquée par une ligne mauve.

Le premier soulèvement contre le régime oustachi en Croatie est l'œuvre des populations serbes en danger d'extermination, qui se révoltent dès le mois de juin, en Dalmatie, en Bosnie-Herzégovine et dans la Krajina : il s'agit là d'une insurrection spontanée, sans commandement centralisé[99]. Les combats débutent le 3 juin à l'Est de l'Herzégovine, lorsque la population serbe, persécutée et massacrée par les Oustachis locaux (musulmans pour la plupart), entre en résistance. Les représailles des Oustachis, qui brûlent plusieurs villages et commettent des exécutions en masse, ne font qu'alimenter la révolte[78].

Les insurgés reçoivent l'aide d'officiers de l'armée yougoslave arrivés de Serbie pour aider les Serbes de Croatie, et de bandes armées formées notamment par des réfugiés de Bosnie. En juillet, l'insurrection s'étend de l'Ouest de la Bosnie jusqu'à l'Est de la Croatie proprement dite. Les communistes locaux, après l'invasion de l'URSS, commencent eux aussi à former des cellules de résistance à Sarajevo et Tuzla[99]. Tito envoie Svetozar Vukmanović, dit « Tempo », organiser les Partisans de Bosnie-Herzégovine[100].

Les résistants non communistes se présentent comme des Tchetniks, mais ils ne sont pas alors subordonnés à Mihailović. Les chefs de l'insurrection sont pour la plupart d'anciens membres du Parti agrarien, ou des organisations tchetniks de l'entre-deux-guerres, ou les deux. Rapidement, ils prennent le contrôle de la rive bosnienne de la rivière Drina et de voies de communication vers la Serbie ; ils bénéficient parfois de la complicité d'officiers Domobrans hostiles à la politique meurtrière des Oustachis. Certains insurgés serbes d'Herzégovine, s'ils attaquent les autorités oustachies, s'en prennent cependant aussi à des populations civiles, et notamment à des villages musulmans (qualifiés de « turcs »)[99],[101]. Les recrues serbes des Partisans tendent également à commettre des pillages et des attaques contre les civils musulmans et croates[102] ; les communistes ont néanmoins davantage de capacité que les Tchetniks à recruter des Musulmans, ce qui leur permet d'augmenter rapidement leurs effectifs. À l'Ouest de la Croatie, l'insurrection commence à la frontière dalmate et libère la zone entre Drvar et Knin : le soulèvement, essentiellement rural, est d'emblée marqué par des rivalités entre factions de résistance. Les communistes prennent le contrôle de plaines en Syrmie et en Slavonie : leurs chefs, pour la plupart des cadres croates venus des villes, doivent commander des paysans serbes souvent illettrés, et contenir l'hostilité de ces derniers à l'égard des Croates et des Musulmans[99],[101]. Pris pour cibles par les Tchetniks en Bosnie orientale et en Herzégovine, certains Bosniaques musulmans sont amenés, pour se défendre, à rejoindre des unités militaires oustachies ; d'autres, au contraire, forment leurs unités tchetniks[103]. Mihailović envoie en Bosnie divers officiers, dont en août le major Jezdimir Dangić, avec pour mission d'organiser les Tchetniks locaux[90].

Monument aux morts à Šolta, en Croatie.

Rapidement, le régime de Pavelić est contraint de demander l'aide de ses protecteurs italiens auxquels les Allemands, trop occupés par l'invasion de l'URSS, ont délégué les opérations en Croatie. Les Italiens interviennent et s'emploient à pacifier la zone d'insurrection en risquant le moins de vies possibles. Entretemps, les Oustachis ont dès le mois d'août perdu le contrôle de l'essentiel des régions de Lika et Kordun, et de pans entiers de la Bosnie-Herzégovine[99].

Dépassés par la situation et par une insurrection qu'ils n'avaient pas prévue, souvent révoltés par les atrocités des Oustachis, les Italiens ont recours à des arrestations arbitraires et créent des tribunaux d'exception, qui prononcent 23 condamnations à mort en 1941 ; certains militaires italiens prennent cependant l'initiative de protéger des populations civiles[99]. En juillet, les groupes rebelles serbes à la frontière entre la Dalmatie, la Bosnie et la Croatie prennent contact avec les Italiens, à qui ils font savoir qu'ils n'éprouvent aucune hostilité envers eux, et qu'ils arrêteront le combat en échange de leur protection[81].

Les Italiens décident alors en août de réoccuper les zones qu'ils avaient évacuées après le traité du 18 mai[70]. Ils étendent leur zone d'occupation à toute la région côtière, ainsi qu'à l'intégralité de la zone démilitarisée : la plupart des unités oustachies sont évacuées, seules quelques troupes de la Garde nationale croate étant autorisées à rester sur place sous commandement italien[81]. Les occupants lancent une campagne de propagande assurant qu'ils sont venus pour protéger les populations, et appellent à la fin de l'insurrection, sans toujours demander aux rebelles de rendre leurs armes. Certains groupes insurgés, qui souhaitaient avant tout se défendre contre les Oustachis, abandonnent alors le combat ; les communistes sont pour leur part confrontés à un manque de motivation de leurs recrues[99].

Le 7 septembre, le général Ambrosio diffuse une proclamation annonçant qu'il exercera le pouvoir civil et militaire en accord avec le gouvernement de l'État indépendant de Croatie. Il promet la protection de l'armée italienne à la population, qui est invitée à retourner dans ses villages. Outre la Zone 1 de Croatie (la Dalmatie annexée), les Italiens sont désormais chargés de l'administration civile et militaire de la Zone 2 (la « zone démilitarisée » prévue dans le traité) et l'administration militaire de la Zone 3 (qui va jusqu'à la zone d'occupation allemande) dont les Croates ne conservent que l'administration civile[70],[81]. Si le régime de Zagreb salue officiellement ce « renforcement » de l'alliance avec l'Italie, il vit en réalité le retour des troupes italiennes comme un affront, sa crédibilité étant très durement atteinte[70].

Des représentants partisans et tchetniks se rencontrent début octobre pour définir les modalités d'une alliance : ils mènent conjointement plusieurs opérations pendant une brève période, avant la rupture définitive entre les deux mouvements. Cependant, leurs relations sont d'emblée compliquées par la tendance des Tchetniks à privilégier les raids contre les populations musulmanes. Fin octobre, les Partisans et les Tchetniks prennent ensemble la ville de Rogatica. Les hommes de Dangić se livrent alors à des pillages et des tueries ; les Partisans locaux — serbes pour la plupart — reçoivent l'ordre de s'interposer entre les Tchetniks et les civils musulmans, mais refusent d'obtempérer car ils ne veulent pas défendre les « Turcs »[104]. La volonté des Partisans de lancer une insurrection yougoslave unitaire est l'une des raisons premières de la fin de leur alliance en Bosnie avec les Tchetniks. Ces derniers souhaitent au contraire mener un soulèvement purement serbe et se montrent hostiles au recrutement de Croates, de Musulmans ou de Juifs[105]. De leur côté, les Partisans, afin de conserver la loyauté de leur recrues serbes, laissent leur liberté d'action à des éléments incontrôlables qui se livrent à des exactions envers des civils croates et musulmans. Les populations locales en arrivent à redouter les communistes et à se retourner contre eux[106].

Lors du retour des occupants italiens, divers chefs rebelles nationalistes serbes s'accordent pour coopérer avec ces derniers contre les communistes, qui perdent en soutien populaire à mesure que le danger oustachi se fait moins présent. En octobre, avec l'aide des armées allemande et croate et le soutien des Tchetniks, les Italiens pénètrent dans Drvar. Des communautés croates et musulmanes tentent par ailleurs d'obtenir la protection des Italiens pour se prémunir contre les représailles serbes. Plusieurs chefs tchetniks s'imposent en Croatie pendant l'automne 1941 : le journaliste Radmilo Grdjić, l'ancien député nationaliste Dobroslav Jevđević, et le pope Momčilo Đujić[81]. Jevđević et Đujić s'autoproclament « voïvodes » de leurs troupes respectives[107]. Afin de s'organiser, Jevđević et Grdjić prennent contact avec le leader tchetnik d'avant-guerre Ilija Trifunović-Birčanin, qui s'est réfugié à Split après l'invasion de la Yougoslavie[81].

À la fin de 1941, l'État indépendant de Croatie est dans une situation difficile : son économie, en mauvais état, est incapable de répondre aux demandes des Allemands et des Italiens. Le régime maintient cependant son autorité à Zagreb, principalement parce que le commandement allemand s'y trouve ; la capitale croate accueille par ailleurs de nombreux Musulmans ayant fui les raids des Tchetniks[81].

L'« aryanisation » et la « croatisation » des biens serbes et juifs se poursuivent, mais ne sont souvent que des prétextes pour se livrer à des actes de pillage. La Croatie continue entretemps d'être le théâtre d'affrontements ethniques sanglants, alors que des groupes tchetniks serbes répondent à la terreur oustachie en s'en prenant aux Croates et aux musulmans[81]. L'utilisation par les Italiens des auxiliaires tchetniks entraîne des tensions supplémentaires avec les Oustachis, qui sont d'autant plus portés à privilégier leur alliance avec les Allemands[70].

Monténégro[modifier | modifier le code]

Les Italiens prévoient de faire du Monténégro un État-satellite, mais n'ont pas de plan précis quant à son gouvernement ou même ses frontières exactes. Leur projet de restaurer le Royaume du Monténégro — auquel la famille royale italienne est attachée, la reine Hélène en étant originaire — se heurte à un premier obstacle lorsque le prince Michel, héritier de la couronne monténégrine, refuse catégoriquement de reprendre le trône dans ces conditions. Entretemps, durant les premières semaines d'occupation du Monténégro, les Italiens font preuve de bonne volonté, libèrent des prisonniers de guerre, et conservent l'administration d'avant 1941. Ils ne réalisent cependant pas que les séparatistes « Verts » monténégrins, sur lesquels ils pensent s'appuyer pour diriger le pays, ne bénéficient d'aucun soutien populaire, et que des insurrections sont en pleine préparation. De nombreux militaires monténégrins, après avoir combattu sur le front albanais durant l'invasion, sont en effet revenus avec leurs armes. Les communistes préparent eux aussi leur propre soulèvement : Milovan Djilas et Arso Jovanović, des natifs du Monténégro, sont envoyés sur place par Tito pour organiser les Partisans locaux[108],[109].

Le Monténégro occupé : le gouvernorat italien en orange ; les régions annexées par le royaume d'Italie en vert-de-gris. Le protectorat albanais, auquel sont rattachées des régions monténégrines, figure en vert clair.

Le 12 juillet, une assemblée, composée de 75 délégués réunis à grand-peine et présidée par le leader séparatiste Sekula Drljević, proclame la restauration de la monarchie monténégrine et demande au roi d'Italie Victor-Emmanuel III de nommer un régent. Mais cette proclamation est immédiatement suivie d'une insurrection générale, menée à la fois par les communistes et par des militaires nationalistes dont les principaux chefs sont le colonel Bajo Stanišić, le major Đorđe Lašić et le capitaine Pavle Đurišić. Dès le 15 juillet, le général italien Alessandro Pirzio Biroli reçoit les pleins pouvoirs pour mater la rébellion. Avec l'aide de troupes irrégulières formées d'Albanais et de Musulmans du Sandžak, les Italiens mènent une contre-insurrection vigoureuse, brûlant des villages, exécutant plusieurs centaines d'habitants et arrêtant entre 10 000 et 20 000 personnes : les irréguliers musulmans sont autorisés à se livrer à des pillages[108]. Face à la répression, l'insurrection se délite, faute d'unité et de moyens militaires suffisants : les groupes nationalistes ne sont en effet pas coordonnés entre eux, seul Đurišić semblant avoir eu des contacts avec le mouvement de Mihailović[109]. Les communistes, quant à eux, tentent de former une alliance avec les nationalistes ; Djilas propose sans succès à Stanišić la direction de l'ensemble des opérations militaires[108].

Le 12 août, Pirzio Biroli envoie un rapport sur la situation, dans lequel il recommande d'abandonner l'idée d'un État monténégrin indépendant. En octobre, Mussolini se range à ses arguments et décide d'en rester à une administration purement militaire du gouvernorat du Monténégro. Une fois le projet d'indépendance enterré, une partie des groupes insurgés ne souhaite pas poursuivre le combat contre les Italiens, et veut uniquement en découdre avec les bandes musulmanes qui menacent les populations locales. Les communistes monténégrins se montrent, de manière générale, très radicaux. Ils sont cependant divisés entre ceux qui, comme Djilas, prônent des alliances tactiques avec les nationalistes, et les plus extrémistes qui préconisent de tuer aussi bien les Italiens que les opposants de toutes sortes, les communistes « fractionnistes », les Partisans déserteurs, les « koulaks » et les « espions », notamment musulmans[108],[109].

La ligne radicale l'emporte, et les communistes monténégrins se livrent à des campagnes de terreur pour éliminer toute concurrence potentielle. Leur insurrection décline en fin d'année quand Tito rappelle une partie de ses hommes en Serbie pour y soutenir les Partisans locaux qui sont en difficulté face aux Allemands. Djilas, dont Tito juge qu'il a mal géré la situation, est rappelé en Serbie en novembre : il est remplacé par Ivan Milutinović, un tenant de la ligne la plus dure. Les Partisans qui se retirent du Monténégro se livrent au passage à de nombreuses exécutions sommaires[108],[109],[110].

Pavle Đurišić, désireux de poursuivre le combat contre les Albanais et les Musulmans, tente en décembre d'entrer en contact direct avec Mihailović. Il ne parvient à rencontrer que l'un des émissaires de ce dernier, le capitaine Rudolf Perhinek, que Mihailović a chargé oralement de nommer Lašić commandant du Monténégro et Đurišić commandant du Sandžak. Đurišić reçoit, accompagné de directives peu précises, un document signé par Perhinek qui le nomme à son poste de commandement. Afin de renforcer son autorité, le chef monténégrin falsifie le document pour le transformer en un ordre signé par Mihailović[108]. Đurišić ramène également avec lui une instruction portant la signature de Mihailović et qui prévoit la création, au sein de la Yougoslavie reconstituée, d'une Grande Serbie ethniquement pure. Ce document interdit toute coopération avec les communistes, et préconise de « nettoyer » les populations musulmanes du Sandžak, de même que les populations croates de Bosnie-Herzégovine, ainsi que les autres minorités « non nationales »[111]. Il est possible que cette instruction ait été un autre faux commis par Đurišić[108].

Les Partisans conservent un contrôle précaire de la région nord-ouest qui relie le Monténégro à l'Est de la Bosnie, ainsi que de la frontière est du Monténégro[112] : ils opèrent une contre-attaque et regagnent du terrain après la répression italienne. Mais leur retour est marqué par des représailles sanglantes contre leurs adversaires réels ou supposés — censés être des agents de la « cinquième colonne » — et plus généralement contre les « ennemis de classe »[110]. Brûlant des fermes et multipliant à nouveau les exécutions, les communistes tiennent durant un mois et demi, en janvier-février 1942, la ville de Kolašin, dont ils tuent 300 habitants[112],[110]. Cette politique — qualifiée plus tard de « déviation gauchiste » sous le régime de Tito — retourne la population locale contre eux et vaut aux Tchetniks un grand nombre de nouvelles recrues[110]. Stanišić proclame la « révolte » contre les communistes[112]. Du fait des agissements problématiques de Milutinović, Tito renvoie au Monténégro Djilas[110], qui retrouve en mars un pays ravagé par la violence, où les campagnes de terreur des communistes ont favorisé non seulement les Tchetniks, mais également les occupants[112].

Le gouverneur Pirzio Biroli décide de jouer des dissensions entre groupes rebelles. En mars, les Italiens parviennent à un accord avec Stanišić qui accepte, en échange de nourriture et de matériel pour ses hommes, de ne plus attaquer les occupants et de se concentrer sur la lutte contre les communistes. Đurišić semble avoir conclu un accord similaire. Le général Blažo Đukanović, ancien ban de la Zeta, est reconnu en mars par Stanišić et Đurišić comme porte-parole des « nationalistes » locaux. Outre leur alliance avec les Tchetniks, les Italiens s'appuient au Monténégro sur des rivaux de ces derniers, la milice des « Verts » séparatistes dirigée par Krsto Popović[112].

Serbie[modifier | modifier le code]

Un double soulèvement[modifier | modifier le code]

L'insurrection en Serbie n'est pas, chronologiquement, la première, mais elle est plus structurée que celles de Croatie et du Monténégro : surtout, elle marque le véritable début de la guerre intra-yougoslave qui oppose les deux mouvements de résistance. Contrairement aux Tchetniks de Mihailović, les Partisans de Tito passent immédiatement à l'action, se livrant notamment à de nombreux sabotages des voies de communication dans l'espoir de soulager le front russe[92]. Dès le mois de juillet, les actions des communistes se multiplient en Serbie[93]. L'ampleur même du soulèvement pose des difficultés aux Partisans, qui n'avaient pas prévu un tel afflux de recrues : Tito doit commander une masse de paysans serbes, rétifs à l'endoctrinement idéologique, et qui ne souhaitent pas s'éloigner de leurs villages[113].

Un paysage boisé et montagneux.
La région de la montagne Ravna Gora, territoire originel des Tchetniks de Mihailović.
Une montagne, avec une ville en arrière-plan.
Vue contemporaine de la ville d'Užice, première place forte des Partisans de Tito.

Alors que les Partisans ont déjà engagé le combat contre les forces d'occupation, Mihailović demeure réticent à faire de même : il se conforme à la directive du gouvernement royal en exil qui, le 22 juillet, appelle les Yougoslaves, via un message diffusé par la BBC, à éviter les actions de résistance ouverte et à attendre un débarquement des Alliés. Il ordonne cependant à contre-cœur de mener des actions de sabotage, afin de ne pas laisser aux communistes l'exclusivité de la lutte armée. Les Tchetniks de Mihailović demeurent cependant nettement moins actifs que les Partisans[92] : leur premier véritable fait d'armes a lieu le 31 août, quand un groupe de Tchetniks, théoriquement subordonné à Mihailović, prend aux Allemands la ville de Loznica. Dès cette époque, les officiers qui reconnaissent Mihailović comme leur chef sont divisés : certains considèrent d'emblée que s'opposer aux communistes est une priorité plus urgente que de combattre les occupants[114] ; d'autres sont impatients d'affronter les Allemands, d'autres enfin craignent d'exposer la population serbe aux représailles. Les communistes envoient des émissaires à Mihailović, qui accepte de coopérer avec eux : à partir de fin août, Partisans et Tchetniks mènent des actions conjointes contre les forces d'occupation en Serbie[90]. Entretemps, dans le Kosovo que les Italiens ont rattaché à l'Albanie, les Tchetniks n'opposent qu'une résistance limitée aux Albanais qui s'en prennent aux populations serbes, tandis que celle des communistes locaux est quasiment nulle[51].

Des prisonniers, encadrés par des hommes en armes, marchant à travers un village.
En 1941, des Partisans et des Tchetniks escortent des prisonniers allemands.

Le déclenchement de l'insurrection pousse les Allemands à prendre des mesures radicales en Serbie, tout en essayant dans le même temps de faire participer les populations locales à la lutte contre les insurgés : la nomination du général Nedić à la tête du gouvernement serbe fait partie de leurs efforts en ce sens[93]. Devant la multiplication des actes de résistance, les Allemands déclarent la Serbie « zone de guerre », et des troupes sont envoyées en renfort depuis la Grèce, la Roumanie et la Croatie. Ne pouvant se permettre de dégarnir trop longtemps leurs effectifs dans les pays voisins, les occupants usent de méthodes de terreur pour mater rapidement les rebelles. Les premières exécutions d'otages serbes ont lieu fin juillet ; des villages entiers sont brûlés[56]. Après avoir dégarni leurs troupes en Yougoslavie pour les besoins de l'opération Barbarossa, les Allemands sont contraints d'y envoyer des renforts, amenés de Grèce, de France et du front russe[115].

Le 16 septembre, Hitler ordonne au Haut commandement de la Wehrmacht de faire de l'instruction émise en avril par von Weichs — selon laquelle cent civils doivent être exécutés en Serbie pour chaque soldat allemand tué — la norme pour tous les territoires occupés ; cinquante personnes devront en outre être abattues pour chaque soldat blessé, et toute attaque contre les forces d'occupation devra être considérée comme d'origine « communiste ». Le général Franz Böhme, envoyé de Grèce avec les pleins pouvoirs pour écraser la rébellion, ordonne que l'instruction soit appliquée sans faire aucune exception : elle est en outre étendue aux attaques visant toute personne d'ethnie allemande, puis à celles qui viseraient les Bulgares ou les collaborateurs serbes. Fin octobre, les voies de communication en Serbie sont paralysées : plusieurs petites villes sont entre les mains des insurgés, qui commencent à faire le siège de localités plus importantes. Les hommes de Mihailović tiennent Požega, tandis que Tito a établi son quartier-général à Užice : dans cette dernière ville, surnommée la « république d’Užice », les Partisans mettent en place un embryon de régime communiste et exécutent des militants coupables de « déviations politiques »[56],[116].

Le 19 septembre, Mihailović rencontre Tito, à l'initiative de ce dernier. Les deux chefs de la résistance ne parviennent pas à définir de ligne commune, en raison de leur méfiance mutuelle, mais surtout de divergences stratégiques fondamentales : alors que Tito souhaite unir leurs forces en vue d'un soulèvement général, Mihailović veut mettre fin à une insurrection qu'il juge prématurée et dont il pense qu'elle ne pourra que mettre les populations civiles en danger[56],[116]. Pour Tito, au contraire, la répression allemande aura l'avantage de gagner les populations à la cause de la résistance[97]. Mihailović, comme d'ailleurs les Allemands, ignore alors la véritable identité de Tito : lui et ses subordonnés prennent initialement le chef communiste — qui, ayant grandi en parlant le slovène et le dialecte kaïkavien, s'exprime en serbo-croate avec un accent — pour un agent russe qui aurait été parachuté par les Soviétiques[117],[118].

Après être parvenu à un modus vivendi incertain avec Mihailović, Tito assiste à la fin du mois à une réunion des chefs du Parti communiste, au cours de laquelle il est décidé de provoquer des soulèvements dans toute la Yougoslavie pour s'emparer de territoires, tout en évitant le combat direct avec les troupes d'occupation. Un Commandement suprême des Détachements de Partisans est créé, sous la direction de Tito[56].

Sur les conseils de Hugh Dalton, responsable du SOE, Winston Churchill ordonne en septembre l'envoi d'une mission d'information auprès de la résistance yougoslave : l'équipe est composée de deux officiers yougoslaves, les majors Zaharije Ostojić et Mirko Lalatović, et d'un Britannique, le capitaine Duane T. Hudson, ancien agent du SOE en Serbie. Les envoyés débarquent le 20 septembre sur les côtes monténégrines et se dirigent ensuite vers la Serbie. Ostojić et Lalatović prévoient de rejoindre directement Mihailović — dont ils deviennent par la suite des subordonnés — mais Hudson, qui a pour mission de s'informer sur la situation globale, prend d'abord contact avec les Partisans. Favorablement impressionné par l'activité de ces derniers, il en informe sa hiérarchie. Des communistes escortent ensuite Hudson et Ostojić jusqu'à Užice, où Hudson rencontre Tito fin octobre. Le chef des Partisans lui assure alors que, contrairement à ce que croient les Britanniques, ses hommes sont les seuls à combattre les occupants[119].

Des cadavres étendus dans un champ.
Cadavres d'otages abattus à Kragujevac.

Entre le 18 et le 21 octobre, pour faire un exemple après une attaque conjointe des Partisans et des Tchetniks, les troupes allemandes, aidées d'unités Volksdeutsche, de Volontaires serbes et de soldats de la Garde nationale serbe, effectuent des arrestations massives à Kragujevac et Kraljevo, en vue d'exécuter tous les hommes prisonniers (massacre de Kragujevac et massacre de Kraljevo). Les 20 et 21, plus de 2 000 personnes, dont des enfants, sont massacrés à Kragujevac[116],[97],[113]. Cette tuerie confirme les craintes de Mihailović quant au caractère prématuré du soulèvement et aux risques de représailles allemandes, et conforte le chef des Tchetniks dans sa stratégie[97].

Une sculpture abstraite.
Monument au parc mémoriel de Šumarice, établi sur le site du massacre de Kragujevac.

Quelques jours plus tard, le capitaine Hudson rejoint le quartier-général tchetnik de la Ravna Gora : Mihailović, qui a été informé par Ostojić de ses contacts avec les Partisans, le reçoit froidement[119], mais cette arrivée lui fait espérer une aide concrète de la part des Britanniques. En attendant, Tito ayant proposé de partager des armes, Mihailović évite le conflit ouvert avec les communistes. Des accrochages entre Partisans et Tchetniks ont cependant lieu dès le mois d'octobre[97].

Fin octobre, les Britanniques, qui jugent le soulèvement serbe héroïque bien que prématuré, décident, en accord avec le gouvernement yougoslave en exil, de venir directement en aide à Mihailović. Le Middle East Command du Caire reçoit l'ordre de ravitailler les Tchetniks par air et par mer[119]. Le 15 novembre, la BBC annonce qu'un décret royal a nommé Mihailović à la tête du Commandement suprême de l'« Armée yougoslave dans la patrie » (Jugoslovenska vojska u otadžbini ou JVO, nouveau nom officiel des Tchetniks)[113].

Début du conflit entre Partisans et Tchetniks[modifier | modifier le code]

Entretemps, le 27 octobre, Tito et Mihailović se rencontrent pour la seconde et dernière fois. Tito propose que Hudson, qui vient d'arriver chez les Tchetniks, participe aux discussions, mais Mihailović, qui préfère éviter de montrer ses différends avec les Partisans devant un agent britannique, refuse. Un accord de portée limitée est trouvé, qui prévoit notamment que les deux mouvements partagent les armes qu'ils auront récupérées[116]. Mihailović conclut cependant, dès cette époque, que ses adversaires prioritaires ne sont pas les forces de l'Axe mais les Partisans[120] et décide de passer à l'attaque contre ces derniers, repoussant l'opération uniquement parce qu'il ne dispose pas d'un armement suffisant[116],[121]. Il informe le capitaine Hudson de sa position, en insistant sur le fait qu'il s'agit d'une affaire interne yougoslave[122].

Carte de l'opération Užice, première offensive allemande contre les Partisans.

Quelques jours après cette deuxième rencontre, les hostilités commencent entre Partisans et Tchetniks : dans la nuit du 1er au 2 novembre, les Tchetniks attaquent le bastion des Partisans à Užice, mais sont repoussés. Les affrontements entre les deux factions se multiplient, les populations civiles se trouvant prises entre deux feux. Mihailović demande au gouvernement yougoslave de Londres d'accélérer l'envoi de l'aide britannique, sur laquelle il compte désormais pour combattre les communistes. Hudson, de son côté, informe Le Caire que l'aide des Alliés risque d'alimenter une guerre civile[116], et conseille de faire pression sur Mihailović pour obtenir l'unification de toutes les forces « antifascistes » yougoslaves[122]. Après avoir reçu une première livraison d'armes par avion le 9 novembre, les Tchetniks attendent en vain la seconde. Les Allemands, entretemps, poursuivent leur offensive, commencée fin septembre, contre les « bandes communistes » (appellation désignant conjointement les hommes de Tito et de Mihailović) et se rapprochent des quartiers-généraux des Partisans et des Tchetniks[116].

Un jeune homme en uniforme, sur le point d'être pendu, lève les deux bras en signe de défi.
Pendaison en mai 1942 à Valjevo de l'officier partisan Stjepan Filipović.

Le gouvernement de Milan Nedić tente de son côté de régler la situation : bien qu'opposé aux deux mouvements de résistance, Nedić juge possible de discuter avec Mihailović, qui a été son subordonné dans l'armée royale yougoslave[113]. Milan Aćimović, ministre de l'intérieur de Nedić, garde lui aussi le contact avec Mihailović[123]. Malgré l'opposition de Böhme, Nedić fait passer fin octobre à Mihailović des messages lui proposant de « légaliser » ses Tchetniks, c'est-à-dire de leur fournir des armes contre les communistes en échange d'une fin de l'insurrection. Le 28 octobre, deux officiers tchetniks présents à Belgrade prennent contact avec le capitaine Josef Matl, responsable local de l'Abwehr — le service de renseignements de l'armée allemande — et lui proposent une alliance contre les communistes. L'Abwehr, informée du conflit entre les deux factions de résistance, décide d'exploiter cette faille pour neutraliser au moins l'un des deux groupes ; Matl propose une rencontre avec Mihailović en personne. Bien que bénéficiant, auprès de la population serbe, d'une popularité supérieure à celle des Partisans, Mihailović se trouve à ce moment dans une situation quasi désespérée : ses hommes sont mis en échec par les Partisans et menacés par l'avancée des troupes allemandes, tandis que l'aide britannique ne semble plus devoir arriver. Le 11 novembre, il rencontre à Divci le capitaine Matl et un supérieur hiérarchique de ce dernier, le lieutenant-colonel Rudolf Kogard. Espérant obtenir de la part des Allemands des armes et des munitions pour combattre les communistes, il accepte le principe d'une trêve avec les occupants, mais souhaite conserver le contrôle des territoires pris par ses troupes. Kogard, qui n'est pas venu dans un esprit de négociation, exige au contraire que les Tchetniks déposent immédiatement les armes, ce que Mihailović refuse. N'ayant pu trouver un terrain d'entente avec Mihailović, les Allemands lancent ensuite une opération pour appréhender ce dernier, qui leur échappe de justesse[116],[113],[121],[122]. C'est peut-être un avertissement envoyé par Aćimović qui a permis à Mihailović d'éviter la capture[123]. Le chef tchetnik dissimule à Hudson sa rencontre avec les représentants allemands, et n'en informe pas non plus le gouvernement en exil[116].

Tito ayant proposé une troisième rencontre pour tenter de mettre un terme au conflit entre les factions yougoslaves, des représentants partisans (Aleksandar Ranković, Ivo Lola Ribar et Petar Stambolić) et tchetniks (Mirko Lalatović et Radoslav Đurić) parlementent fin novembre. Ils parviennent à un accord précaire sur les actions à mener en commun contre les occupants, mais d'importantes dissensions demeurent et l'accord n'est finalement pas appliqué. Dans le même temps, en effet, les Allemands passent à la dernière phase de leur offensive contre la résistance serbe. Tito et Mihailović se parlent une dernière fois au téléphone le 28 novembre : Tito annonce qu'il va défendre ses positions, et Mihailović qu'il va disperser ses hommes. Finalement, les Partisans quittent Užice le lendemain : avec une troupe de 10 000 hommes et femmes, Tito évacue la Serbie centrale en direction du Sandžak monténégrin[113],[116].

Les Tchetniks se retirent vers leur bastion de la Ravna Gora, mais sont ensuite attaqués par les Allemands courant décembre. Mihailović, après avoir une nouvelle fois évité de peu la capture, gagne les monts Rudnik avec une petite escorte. Les Allemands mettent sa tête à prix le 10 décembre. Le chef des Tchetniks ordonne à la majorité de ses détachements de se disperser, mais autorise entre 2 000 et 3 000 de ses hommes à être « légalisés », devenant ainsi des auxiliaires du régime de Nedić. Cette idée n'est apparemment pas venue de Mihailović, qui semble cependant l'avoir approuvée. En effet, si Mihailović ne passe pas à la collaboration ouverte comme Kosta Pećanac, cet arrangement permet à une partie de ses hommes de bénéficier d'un salaire et de recevoir le matériel nécessaire pour continuer le combat contre les communistes, tout en évitant d'être attaqués par les Allemands. Outre ces troupes légalisées, certains Tchetniks passent en Bosnie pour combattre les Oustachis ; la majorité abandonne cependant la lutte[113],[116].

Mihailović est en fuite, sans troupes sous son commandement direct et sans contact radio avec l'extérieur. La propagande britannique, dans le même temps, le présente comme le chef d'un vaste mouvement de résistance nationale. Fin 1941-début 1942, alors que Tito et les Partisans sont encore inconnus du grand public hors de la Yougoslavie, la presse alliée — britannique, mais aussi américaine — exagère démesurément les exploits des Tchetniks en décrivant ces derniers comme les héros d'un « second front » parallèle au théâtre d'opérations africain. Le 7 décembre, Mihailović est promu général[113],[116].

En janvier 1942, Slobodan Jovanović succède à Simović en tant que Premier ministre du gouvernement en exil : Mihailović est alors nommé ministre de la guerre[124]. Après s'être caché plusieurs mois dans la région des monts Rudnik, Mihailović ne reprend des contacts radio réguliers avec l'extérieur qu'au mois de mars[125]. Le gouvernement Nedić retrouve sa trace à la même époque : une rencontre clandestine a alors lieu entre Mihailović et Milan Aćimović, avec l'accord des Allemands. Ces derniers sont ensuite informés que Mihailović est prêt à s'allier avec le régime de Nedić contre les communistes, mais le plénipotentiaire allemand Paul Bader oppose son veto à cette idée[126]. Mihailović quitte mi-mai la Serbie pour le Monténégro, afin de se rapprocher des chefs tchetniks monténégrins comme Đurišić, qui ont des territoires sous leur contrôle[125].

Slovénie[modifier | modifier le code]

Un groupe de militaires à cheval, sur la place d'une ville.
Troupes italiennes dans la province de Ljubljana, en Slovénie occupée.
Un homme en uniforme noir, en compagnie de trois ecclésiastiques en habit.
Le gouverneur italien Emilio Grazioli (deuxième en partant de la gauche) en compagnie de l'évêque de Ljubljana Gregorij Rožman (troisième).

En Slovénie, les politiques d'italianisation, de germanisation et de magyarisation, et plus encore les déplacements de populations imposés par les Allemands, alimentent le ressentiment contre les occupants. La zone allemande au Nord présentant trop de difficultés, c'est dans la zone italienne au Sud que les communistes locaux, dirigés notamment par Edvard Kardelj et Boris Kidrič, commencent à mettre sur pied leur organisation, avec le renfort de nombreux réfugiés venus des zones allemande et hongroise. Ils forment avec des chrétiens-sociaux et des libéraux de gauche une coalition, le Front de libération (Osvobodilna fronta ou OF)[52], qui affiche des idées politiques modérées sur une base « patriotique »[127] et présente la Slovénie comme une entité politique distincte[128].

Durant l'été 1941, le Front de libération multiplie les sabotages et les coups de main contre les occupants ; les Italiens réagissent alors avec une grande brutalité[127]. En septembre, le gouverneur Grazioli crée un tribunal extraordinaire qui condamne à des peines de prison toute personne trouvée en possession de « littérature subversive », et à mort toute personne ayant attaqué les troupes italiennes[129].

Le général Mario Robotti, commandant du XIe corps d'armée et responsable militaire de la zone, se montre partisan de la manière forte, entrant d'ailleurs en conflit avec Grazioli qu'il ne trouve pas assez ferme. En janvier 1942, il obtient de Mussolini de pouvoir décréter zone d'opérations militaires toute la province de Ljubljana. Il fait couper du reste du territoire la ville de Ljubljana[127], qui est entourée d'un réseau de fil de fer barbelé ; les postes militaires se multiplient, et des camps de concentration sont ouverts, notamment sur l'île de Rab[130]. Robotti applique également, avec beaucoup de zèle, la circulaire 3C émise par Roatta sur les opérations de contre-insurrection[127].

Entre 1941 et 1943, la répression fait 9 000 morts en Slovénie : environ 35 000 personnes sont envoyées dans des camps[131]. Les Italiens ne parviennent cependant ni à pacifier le territoire, ni à établir avec les Slovènes une politique de collaboration sincère et efficace : dès , Marko Natlačen, déçu de voir les Slovènes passés d'une domination serbe à une domination italienne, démissionne de la Consulta[132].

Les actions du Front de libération suscitent rapidement l'hostilité des élites traditionnelles slovènes, qui les jugent trop risquées : à la demande de Natlačen, Mgr Rožman dénonce publiquement les menées des communistes. Des émissaires de Mihailović — ce dernier cherche alors à créer ses réseaux en Slovénie, ce qui constitue l'une de ses rares tentatives pour rallier des non-Serbes à sa cause — prennent contact avec les organisations de droite, mais aussi avec certains membres non communistes de l'OF. À la fin de 1941, les communistes, qui tendent à prendre le contrôle total du Front de libération, commencent à assassiner les « traîtres » qui dénoncent les Partisans locaux, ou bien qui recrutent pour les groupes concurrents du Front. Leurs actions contribuent à pousser certains non-communistes vers la collaboration avec les occupants[52].

Macédoine[modifier | modifier le code]

Monument à la résistance à Gostivar (Macédoine).

La Macédoine, dont l'Est est occupé par la Bulgarie et l'Ouest par l'Italie, représente un cas particulier, du fait notamment de son identité nationale incertaine. Certains Macédoniens se considèrent en effet comme des Bulgares et le responsable local du Parti communiste de Yougoslavie, Metodi Shatorov, a transféré après l'invasion son allégeance au Parti communiste bulgare, avec l'essentiel de la direction macédonienne[38],[57].

Après l'attaque contre l'URSS, les Soviétiques donnent satisfaction à Tito en reconnaissant les frontières macédoniennes d'avant-guerre, et donc la légitimité du PC yougoslave — au détriment de son homologue bulgare — pour gérer les opérations en Macédoine. Tito envoie alors Lazar Koliševski pour remplacer Shatorov et reprendre en main l'appareil local du KPJ[57]. À partir d', des groupes de Partisans mènent des attaques contre les occupants en Macédoine. La résistance macédonienne a cependant de grandes difficultés à se développer avant la mi-1942[133] : les militants communistes sont rares en Macédoine et la plupart sont davantage favorables à une fédération balkanique entre États qu'à une restauration pure et simple de la Yougoslavie. Koliševski est arrêté par les Bulgares dès [57].

En avril 1942, les Partisans macédoniens fomentent une insurrection dans la région du Vardar, mais leur tentative de soulèvement est brutalement réprimée par les Bulgares[134]. En raison de la distance géographique, d'un terrain difficilement praticable, de l'absence de Macédoniens au sein de la direction des Partisans, mais aussi de conditions d'occupation que la population juge initialement moins dures que la domination des Serbes, la Macédoine demeure jusqu'au début de 1943 un terrain d'opérations marginal du conflit yougoslave[135].

Ce n'est qu'à partir de l'été 1942 que la détérioration des conditions de vie, la conscription dans l'armée bulgare et la politique de « bulgarisation » imposée par les occupants commencent à indisposer suffisamment la population macédonienne pour permettre aux groupes insurgés d'augmenter leurs effectifs. Les communistes choisissent de jouer sur le nationalisme anti-serbe des Macédoniens, mais c'est justement un Serbe, Svetozar Vukmanović, que Tito charge de réorganiser les Partisans locaux ; le nouveau chef n'arrive d'ailleurs sur place que début 1943. Radoslav Đurić devient en chef des Tchetniks dans la région. Il s'emploie à contrer les Bulgares et les communistes mais n'obtient guère de résultats, tandis que la police bulgare effectue de nombreuses arrestations parmi ses hommes[136].

Conséquences sur l'Albanie voisine[modifier | modifier le code]

L'insurrection communiste en Yougoslavie déborde sur le protectorat italien d'Albanie, auquel ont été annexés plusieurs territoires yougoslaves et où Tito envoie des agents organiser la résistance locale. C'est avec le soutien des Yougoslaves qu'Enver Hoxha devient le chef du nouveau Parti communiste d'Albanie, fondé en novembre 1941. Avec l'aide des hommes de Tito, les Albanais créent leur organisation de résistance, le Mouvement de libération nationale (Lëvizje nacionalçlirimtare ou LNÇ). Mehmet Shehu, ancien des Brigades internationales, en devient le chef militaire. À partir du printemps 1942, des petits groupes de Partisans albanais lancent des attaques sporadiques contre les Italiens et les collaborateurs locaux[137],[138].

Une guerre civile dans la guerre mondiale[modifier | modifier le code]

De l'invasion de 1941 aux derniers jours du conflit mondial en Europe — et même au-delà — la Yougoslavie est le théâtre d'affrontements très meurtriers et d'exactions commises tant par les occupants que par les diverses factions yougoslaves. Au combat qui oppose les résistants et les forces de l'Axe s'ajoutent la guerre entre groupes insurgés, les épurations politiques et les nettoyages ethniques commis par l'ensemble des belligérants, aussi bien les collaborateurs — notamment les atrocités des Oustachis envers les Serbes[76] — que les factions de résistance. Les Tchetniks se livrent à des raids sanglants dans les villages, où ils traquent et tuent les sympathisants des Partisans et leurs familles, et s'en prennent également aux hommes de Nedić et de Ljotić comme aux séparatistes monténégrins[139]. Mais, outre ces tueries motivées par des raisons idéologiques, ils commettent également de nombreux massacres de populations civiles pour des raisons purement ethniques, leur but étant non seulement de libérer le pays des forces de l'Axe, mais également de créer une « Grande Serbie » homogène en se débarrassant des populations non serbes[140]. Usant fréquemment de l'arme blanche comme les Oustachis, ils se livrent contre les Croates, et plus encore contre les Musulmans, à des actes de barbarie qui sont en partie, mais pas uniquement, des réactions aux exactions du régime de Pavelić[141]. Les Tchetniks brûlent des villages entiers : ils y exterminent parfois tous les hommes de plus de 15 ans[142], mais, dans d'autres cas, s'en prennent aussi aux femmes et aux enfants[143]. Ces campagnes de terreur ont également une dimension religieuse : les Tchetniks tuent des imams, des hafiz et des prêtres catholiques[77] qu'ils vont parfois jusqu'à écorcher vifs[142]. Une controverse demeure quant au rôle de Draža Mihailović[11] : s'il semble avoir condamné ces actions à titre personnel et s'en être plaint à son entourage, le chef des Tchetniks ne prend aucune mesure concrète pour arrêter les massacres. Dépendant des différents chefs locaux dont il ne peut ni approuver publiquement ni condamner les actions, il cherche avant tout à maintenir la cohésion du mouvement tchetnik dans l'attente de l'arrivée des Alliés[144]. Pour l'historien Stevan K. Pavlowitch, soit Mihailović était dans l'incapacité de mettre un terme aux exactions des Tchetniks, soit il ne souhaitait pas le faire[145]. Si les violences contre les civils musulmans de Bosnie sont principalement le fait des Tchetniks, qui en tuent plusieurs dizaines de milliers[146], les Oustachis s'en prennent également à eux de manière croissante[96].

Les Partisans se livrent eux aussi à des exactions — notamment contre leurs opposants politiques, y compris d'anciens militants communistes qualifiés de « trotskistes » —, détruisent des villages ou des habitations — entre autres pour terroriser la population locale et la dissuader de se joindre aux Tchetniks — et procèdent à des exécutions en masse[147]. Cependant, s'ils s'en prennent à des populations civiles[106],[146], ils le font à un degré moindre, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, que les Oustachis, les Tchetniks et les occupants[68]. Des massacres ethniques sont commis par des Partisans, mais ces actions sont l'œuvre d'éléments incontrôlés et ne viennent pas d'instructions données par les chefs communistes, qui n'y ont aucun intérêt car ils cherchent au contraire à rallier à leur cause toutes les nationalités[106]. Des atrocités sont par ailleurs commises contre les troupes d'occupation : lors de l'insurrection de l'été 1941 au Monténégro, des soldats italiens capturés sont suppliciés par les communistes, qui arrachent leurs viscères pour les donner à manger à des porcs ou fracassent leurs crânes à coups de marteau[148] ; en Serbie, les Partisans attaquent un train allemand qu'ils laissent ensuite arriver à destination avec à l'intérieur les cadavres des soldats dont l'un, cuit vivant à la broche, est mis en évidence[149].

Des maisons explosant ou en train de brûler.
Destruction d'un village lors d'une opération de police allemande en 1943.

Les Partisans comme les Tchetniks souhaitent la victoire des Alliés et la défaite de l'Axe ; le combat qui oppose les deux mouvements insurgés tend cependant à prendre le pas sur leur lutte pour la libération du pays, leurs conceptions de l'avenir de la Yougoslavie étant radicalement antagonistes. La priorité de Tito est avant tout d'imposer après-guerre un nouvel ordre politique, tandis que celle de Mihailović est de contrecarrer les plans de Tito[150]. Si l'idéologie « grand-serbe » des Tchetniks leur vaut un soutien populaire non négligeable en Serbie et au Monténégro, ils sont cependant loin de gagner l'adhésion de tous les Serbes : les Partisans s'avèrent en effet plus efficaces pour protéger les villages serbes contre les Oustachis, ce qui leur vaut d'être soutenus par de nombreux Serbes vivant dans l'État croate[151]. Par ailleurs, les Serbes qui n'adhèrent pas aux actions des Tchetniks sont eux aussi visés par les campagnes de terreur de ces derniers[140].

Les Musulmans sont très divisés. En Bosnie, certains tentent de collaborer avec les Italiens et les Allemands en court-circuitant le gouvernement de Pavelić, tandis que d'autres forment de multiples groupes d'auto-défense, sur lesquels les Oustachis n'ont aucune prise : le plus important est la Légion des volontaires musulmans, une milice constituée d'anciens Partisans et d'anciens membres des forces de défense locales, créée en et commandée par Husein (dit « Huska ») Miljković[152]. Ce dernier, d'abord allié aux Oustachis, demande initialement à Pavelić l'autorisation de former une unité musulmane pour combattre les rebelles. Devant le refus du Poglavnik, Miljković passe outre et crée tout de même sa légion, envisageant désormais une révolte autonomiste musulmane contre le régime oustachi[153].

La Slovénie est moins concernée que les autres parties du pays par les problèmes de mélanges de populations. Dans cette région, le conflit entre Yougoslaves n'a pas la même dimension ethnique et se résume pour l'essentiel à un affrontement de nature politique, entre communistes et anticommunistes[154].

Les clergés yougoslaves sont tout aussi divisés que les nationalités. De nombreux prêtres catholiques collaborent à des degrés divers avec les Oustachis en Croatie, ainsi qu'avec les Italiens et les Allemands en Slovénie, mais un petit nombre d'entre eux rejoint les Partisans. Les religieux catholiques sont cependant beaucoup moins présents au sein des forces de Tito que les membres du clergé orthodoxe, que l'on retrouve chez les Partisans comme chez les Tchetniks. Certains prêtres orthodoxes, sympathisants de Ljotić, collaborent au contraire avec les Allemands. On trouve également des résistants comme des collaborateurs parmi les religieux musulmans : le mufti de Zagreb est ainsi un proche allié des Oustachis. Après la première phase de massacres de prêtres orthodoxes par les Oustachis en 1941, des membres de tous les clergés yougoslaves — catholique, orthodoxe et dans une moindre mesure musulman — sont par ailleurs victimes d'assassinats, d'exécutions et de tueries de la part de l'un ou de l'autre camp au cours du conflit[77].

La cruauté de la guerre en Yougoslavie est encore accentuée par le caractère à la fois éclaté, imprévisible et très mouvant du front, où se multiplient les opérations de guérilla et les embuscades contre les troupes d'occupation[155]. Confrontés à des insurrections dont ils n'avaient prévu ni l'ampleur ni la violence, les occupants tentent de rétablir l'ordre en prenant les mesures les plus brutales — qu'il s'agisse des rafles et exécutions d'otages, ou de la création des camps allemands et italiens — et se livrent à de nombreuses atrocités contre les populations civiles et les résistants[147]. La violence de l'occupation va croissant à mesure que les troupes de l'Axe lancent une offensive après l'autre contre la résistance : des Partisans capturés par les Allemands sont ainsi écrasés vivants à l'aide de tanks[86]. En juin 1942, Mussolini ordonne à ses commandants militaires d'intensifier les opérations de répression : en quelques jours, 67 000 personnes sont raflées dans les zones d'occupation italiennes et internées dans des camps de prisonniers, situés notamment sur des îles de la côte dalmate[155].

Dans l'État indépendant de Croatie, les campagnes de répression contre les communistes réels ou supposés s'intensifient en 1942 et 1943, entraînant de nombreuses exécutions et contribuant à pousser les populations croate et musulmane à la révolte[142] ; en juin 1943, un massacre de Musulmans commis à Srebrenica par les Oustachis entraîne la défection de divers membres musulmans du mouvement[156]. Au cours des opérations contre les Partisans, destructions, exécutions et pendaisons sont monnaie courante. Outre les exactions des Allemands et des Italiens, des tueries sont également commises par les Hongrois — notamment en 1942 dans la région de Novi Sad — et les Bulgares[147].

Opérations de 1941 à 1943[modifier | modifier le code]

Alliance entre Tchetniks et Italiens au Monténégro[modifier | modifier le code]

Un homme barbu, coiffé d'une toque de fourrure, prononçant un discours. Un homme en uniforme se tient en arrière-plan.
Le chef tchetnik Pavle Đurišić en compagnie du gouverneur italien Alessandro Pirzio Biroli.

Dans le gouvernorat italien du Monténégro, les exactions des communistes ont eu pour effet de gonfler les rangs des Tchetniks locaux[109]. Alors que Stanišić vient, le , de s'allier avec les Italiens contre les communistes, Tito envoie, le 10, une directive aux Partisans monténégrins auxquels il ordonne de concentrer leurs attaques sur les Tchetniks, quitte à éviter le combat contre les Italiens. Les Partisans regagnent du terrain au Monténégro mais dès la fin du mois de mars, les occupants mènent — parallèlement à l'opération Trio qui se déroule en Bosnie — une offensive contre les communistes avec le soutien des Tchetniks : pratiquement tous les Partisans restants sont chassés du Monténégro[157].

Le territoire étant désormais pacifié, les Italiens partagent dans les faits le pouvoir avec les Tchetniks et les séparatistes « Verts ». Stanišić a la haute main sur les régions centrales, tandis que Đurišić, qui a établi son quartier-général à Kolašin, domine le Nord du pays. Les Tchetniks doivent cependant se résigner à ce que Krsto Popović, chef de la milice des Verts, ait la responsabilité officielle des régions de Cetinje et de Bar. Le , un accord avec les Italiens reconnaît Đukanović comme chef officiel des « forces armées nationalistes du Monténégro » : cette appellation recouvre théoriquement les Tchetniks et les Verts, les deux mouvements demeurant pourtant opposés. Đukanović est placé à la tête d'un « comité national » dont les fonctions semblent avoir été essentiellement symboliques. Stanišić et Đurišić restent en effet les véritables chefs militaires des Tchetniks monténégrins, tandis que Đukanović, qui réside à Cetinje, n'a pas de troupes sous ses ordres. Les Tchetniks et les Verts participent, chacun de leur côté, à des opérations de maintien de l'ordre aux côtés des Italiens[158].

Mihailović et son escorte arrivent en juin au Monténégro. Lors de son procès en 1946, Mihailović affirme avoir dû à l'époque accepter les arrangements avec les Italiens, ayant trouvé la situation en l'état. Il n'a en outre pas de troupes sous ses ordres directs, au contraire de Đurišić et Stanišić qui le reconnaissent comme chef théorique en vertu de son autorité « morale » mais agissent en toute indépendance. Mihailović, dont l'entourage ne s'entend guère avec les chefs monténégrins, s'installe dans le village de Gornje Lipovo ; les Italiens prennent le parti d'ignorer sa présence. Acceptant la nomination de Đukanović, il tente de profiter de la situation en exploitant les armes et le matériel fournis par les Italiens, et en préparant les Tchetniks locaux au futur débarquement des Alliés dans les Balkans[158].

La branche monténégrine des Tchetniks, très attachée à son identité serbe, se signale en outre par son idéologie radicale. L'anticommunisme y est aussi extrême que les actions des communistes monténégrins ont été violentes, et l'hostilité envers les Musulmans y est profonde. Leurs contacts avec la Dalmatie et l'Herzégovine ont par ailleurs convaincu une partie des Tchetniks de la nécessité de se séparer des Croates, même au prix de l'unité yougoslave. Le , afin de préparer un programme politique en vue de l'après-guerre, Đurišić organise un congrès tchetnik à Šahovići, dans les bouches de Kotor : celui-ci se déroule en présence de représentants de la société civile serbe, mais en l'absence de Mihailović et Đukanović qui y ont cependant envoyé des représentants. Le congrès, dominé par Đurišić et son entourage, est surtout l'occasion d'exprimer des positions extrémistes et intolérantes : les participants concluent à la nécessité de restaurer la monarchie yougoslave en établissant après la guerre une « dictature tchetnik » temporaire, tout en séparant les populations serbes, croates et slovènes[158].

Sur le plan militaire, Đurišić s'emploie essentiellement à venger les persécutions subies par les Serbes. Il mène au Monténégro et à la frontière bosnienne des raids de représailles qui visent théoriquement les milices musulmanes mais, dans les faits, frappent souvent des populations civiles[109] : il détruit ainsi de nombreux villages musulmans, ce dont il se vante volontiers auprès de Mihailović[144].

Opérations en Bosnie-Herzégovine et en Croatie[modifier | modifier le code]

Conflit entre Partisans et Tchetniks en Bosnie-Herzégovine[modifier | modifier le code]

Un homme moustachu en uniforme.
Koča Popović, commandant de la « 1re brigade prolétarienne » des Partisans.
Deux hommes en uniforme, d'une quarantaine et d'une cinquantaine d'années.
Tito et le cadre communiste serbe Moša Pijade, à Foča.

Fin 1941, les Partisans, chassés de Serbie, perdent également l'essentiel de leurs positions au Monténégro. Tito décide alors d'éviter le territoire monténégrin et de s'établir en Bosnie, pour y créer un lien entre les zones d'opérations bosnienne et monténégrine. Après avoir, le , échappé de peu à la capture par les Italiens, il rejoint Svetozar Vukmanović qui est parvenu à prendre le contrôle d'importants territoires à l'Est de la Bosnie. Tito et ses hommes s'installent à Foča, une ville qui a changé plusieurs fois de main et dont la population a fait l'objet de massacres de la part des différentes factions : les Oustachis y ont d'abord visé les Serbes, puis les Tchetniks s'en sont pris aux Croates et aux Musulmans. Les communistes ne rencontrent que peu de résistance de la part des Tchetniks locaux, qui ne souhaitent pas affronter d'autres Serbes. Les Partisans mènent eux aussi des campagnes de terreur, en visant les Tchetniks, les communistes jugés trop modérés, les paysans riches ou les gendarmes, mais aussi en pillant des villages croates et musulmans. Depuis la Bosnie, ils commencent à réorganiser leurs formations militaires. Le , la « 1re brigade prolétarienne » est créée, sous le commandement de Koča Popović : elle constitue le modèle des autres brigades partisanes, formations de base qui servent par la suite aux Partisans à se transformer en « Armée de libération nationale »[100],[159].

Dans un premier temps, les Partisans se concentrent sur le combat contre les Tchetniks de Bosnie, au détriment de la lutte contre les occupants. Le major Boško Todorović, l'un des représentants de Mihailović, était parvenu à unifier les groupes locaux, à leur conseiller la prudence dans leur alliance avec les Italiens et à leur faire combattre principalement les Oustachis tout en laissant les occupants se charger des communistes : il est tué par les Partisans en février 1942. Les attaques des communistes conduisent les nationalistes locaux à s'allier d'autant plus avec les Italiens[159]. En outre, en s'efforçant de transformer ce qui était jusque-là une insurrection essentiellement serbe en une révolution des Croates, Musulmans et Serbes contre la « bourgeoisie réactionnaire », les communistes adoptent des positions extrémistes qui contribuent à les affaiblir[160].

Chacun des camps contribue, par ses excès, à alimenter ses adversaires. Les campagnes de terreur des Partisans — que les communistes eux-mêmes attribuent par la suite aux erreurs de la « déviation gauchiste », comme au Monténégro — les amènent à s'en prendre à des villages entiers soupçonnés de soutenir les Tchetniks ; elles ont pour conséquence de renforcer ces derniers en Herzégovine[109]. Dans le même temps, les massacres commis par les Tchetniks permettent aux Oustachis d'attirer de nouvelles recrues : la « Légion noire », une milice oustachie formée en Bosnie-Herzégovine pour combattre les insurgés, compte ainsi dans ses rangs une forte proportion de Musulmans ayant fui les Tchetniks[161].

Une fois à Foča, Tito reprend le contact radio avec le Komintern. Les Soviétiques sont alors forcés de lui avouer que l'Armée rouge est dans l'impossibilité de porter secours aux communistes yougoslaves. Faute de pouvoir apporter une aide matérielle à Tito, ils encouragent ce dernier à continuer de s'en prendre aux pro-britanniques et aux collaborateurs ; ils lui conseillent en outre de ne plus afficher l'idéologie communiste de son mouvement, allant jusqu'à lui reprocher d'utiliser des appellations comme « brigade prolétarienne ». Dès lors, en conformité avec les instructions de Moscou, le mot d'ordre des Partisans devient le ralliement de tous les « antifascistes » sous la bannière d'une coalition baptisée « Mouvement de libération nationale » (Narodnooslobodilački pokret ou NOP)[159].

Inquiets de la forte concentration des organisations de résistance à l'Est de la Bosnie, les Allemands pensent d'abord demander aux Italiens d'occuper tout le territoire de l'État indépendant de Croatie, mais Hitler oppose son veto à cette idée. Paul Bader, plénipotentiaire allemand en Serbie, est alors chargé au début de 1942 de mener une série d'opérations (appelée sous le régime de Tito la « seconde offensive » anti-Partisans) pour tenter de pacifier la zone, avec des troupes venues de Serbie et de Sarajevo et l'aide de l'armée croate. Jezdimir Dangić, représentant local de Mihailović, est contacté par les Allemands qui cherchent à obtenir une trêve avec les nationalistes. Dangić se rend à Belgrade en janvier pour négocier avec Bader et Milan Nedić, avec qui il parvient à un accord détaillé prévoyant une coopération entre ses hommes et les occupants. Cette initiative se heurte cependant au veto du général Walter Kuntze, commandant de la Wehrmacht pour l'Europe du Sud-Est : les Allemands ne sont en effet pas aussi libres que les Italiens d'exploiter les divisions entre les insurgés. Les Partisans, de leur côté, concluent des trêves locales avec les Oustachis afin d'avoir les mains libres pour affronter les Tchetniks[159],[162].

En janvier 1942, les Allemands commencent à préparer avec les Italiens et les Croates l'opération Trio, une nouvelle offensive contre les mouvements de résistance. L'organisation de cette « troisième offensive », menée à l'Est de la Bosnie, prend d'abord du retard à cause des Oustachis, qui craignent de perdre le contrôle d'une partie de leurs territoires et gênent délibérément les opérations de leurs alliés. L'attaque est finalement lancée en avril contre tous les groupes insurgés entre Sarajevo et la Drina. Les Tchetniks et les Partisans, pris entre deux feux, n'en continuent pas moins, dans le même temps, de s'attaquer mutuellement. Les Tchetniks laissent passer les troupes allemandes pour leur permettre d'attaquer les Partisans, tandis que les Partisans s'en prennent à l'arrière-garde des Tchetniks alors que ceux-ci sont attaqués par les Oustachis. A contrario, certains groupes tchetniks et partisans fusionnent les uns avec les autres. Dangić est arrêté en avril sur ordre de Kuntze, alors qu'il transite à nouveau par la Serbie. Il est déporté en Pologne, tandis qu'une partie de ses hommes est arrêtée et envoyée dans des camps[163],[162].

Alliance entre Italiens et Tchetniks[modifier | modifier le code]

Un groupe de soldats, avec au premier plan deux hommes barbus en uniforme, encadrant un militaire italien.
Un officier de l'armée italienne en compagnie de deux Tchetniks.
Deux hommes en uniforme - celui de gauche barbu et coiffé d'une toque de fourrure, celui de droite glabre - posant devant une automobile.
Le pope Momčilo Đujić (à gauche), commandant tchetnik de Dalmatie, en compagnie d'un officier italien.

En Herzégovine, au contraire, le général Mario Roatta, commandant de la IIe armée italienne, exploite le conflit entre Partisans et Tchetniks en s'appuyant sur ces derniers ; il profite également du manque d'autorité réelle de Mihailović sur une partie des chefs tchetniks locaux, notamment Dobroslav Jevđević. Le 19 juin, Roatta conclut avec Pavelić un accord qui donne aux Oustachis la responsabilité de la zone centrale du pays : dans le même temps, il est décidé de créer une Milice volontaire anticommuniste (MVAC), destinée à appuyer les troupes italiennes[164]. Théoriquement distincts des Tchetniks, ces combattants sont souvent dans les faits des Tchetniks légalisés. Ces derniers se confondent en outre avec les membres d'autres bandes tchetniks que les Italiens continuent de considérer comme des combattants irréguliers : les mêmes personnes passent volontiers d'un groupe à l'autre[165].

Les troupes tchetniks locales — qui comptent, en février 1943, 20 514 hommes regroupés en 56 détachements — sont réparties dans les zones 2 et 3 de la sphère d'influence italienne. Selon les termes de l'accord italo-croate qui met en place la MVAC, les Tchetniks reconnaissent le gouvernement de l'État indépendant de Croatie et sont censés utiliser leurs armes exclusivement pour combattre les Partisans, sans s'en prendre aux intérêts du régime de Zagreb ni aux populations croates[166]. Des groupes de Tchetniks de Bosnie vont jusqu'à conclure directement des accords avec le régime oustachi, avec l'accord des Allemands[167]. Mais, sur le terrain, de nombreux chefs tchetniks ne respectent pas les termes de l'accord pris avec les Italiens et continuent de s'attaquer aux autorités comme aux civils croates, en présentant leurs actions comme une revanche sur la terreur oustachie[166]. C'est également le cas des détachements censés collaborer avec le gouvernement de Zagreb ; les divers groupes tchetniks, légalisés ou pas, continuent de se livrer occasionnellement à des sabotages et à des actions visant les Oustachis, ou les Allemands dans la zone d'occupation de ces derniers[167]. Les exactions des Tchetniks sont une source permanente de tensions entre les autorités d'occupation italiennes et le régime de Pavelić, qui leur adresse régulièrement des protestations. Roatta ne dévie cependant pas de sa ligne, considérant que cette alliance a neutralisé les rebelles nationalistes serbes et s'avère très utile pour combattre les communistes : ce n'est qu'une fois ces derniers vaincus qu'il entend régler le problème tchetnik. En octobre, après de nouveaux massacres, des groupes de la MVAC présents dans la Zone 2 sont déplacés vers l'Herzégovine ou la Dalmatie, voire parfois désarmés. Roatta promet de mettre un terme aux excès de ses alliés tchetniks, mais il continue de s'appuyer sur eux, contredisant ses assurances au gouvernement de Zagreb. Le commandant italien rejette en outre une partie des reproches des Oustachis, en attribuant certains crimes commis par les Tchetniks à des éléments incontrôlés ou à des communistes[166].

Parallèlement, les Tchetniks présents sur le territoire de l'État indépendant de Croatie reconnaissent Mihailović comme leur chef officiel, profitant ainsi du prestige que ce dernier a acquis en Serbie. En mars 1942, Ilija Trifunović-Birčanin contacte Mihailović : ce dernier lui envoie alors un courrier qui le nomme commandant des Tchetniks en Bosnie, en Herzégovine, dans la Lika et en Dalmatie, tout en le laissant libre d'agir localement à sa guise. Mihailović n'a que des contacts espacés avec les divers dirigeants tchetniks, qui ne sont ses subordonnés qu'en théorie : il doit souvent, pour leur transmettre ses instructions, compter sur des messagers qui traversent le pays à pieds. L'autorité de Trifunović-Birčanin — sexagénaire à la santé déclinante, qui passe la majeure partie de son temps à Split, loin des zones de combat — est en outre loin d'être absolue. Jevđević vise en effet à le supplanter comme chef des Tchetniks sur le territoire de l'État indépendant de Croatie : collaborant de plus en plus ouvertement avec les Italiens, il présente sa politique comme un acte de « patriotisme » qui permet aux autres chefs tchetniks de sauver la face[165]. Momčilo Đujić, qui collabore lui aussi avec les Italiens, tient l'arrière-pays dalmate[168].

Le 22 juillet, une rencontre est organisée près d'Avtovac entre Mihailović, Trifunović-Birčanin, Jevđević et le major Petar Baćović, que Mihailović vient de nommer commandant pour l'Herzégovine et la Bosnie centrale et orientale. Mihailović explique à nouveau à ses subordonnés qu'il leur laisse toute latitude dans les territoires sous leur contrôle ; il leur annonce en outre qu'au vu des pertes subies par les Serbes, il attendra l'approche des troupes britanniques et russes pour lancer une lutte armée de grande ampleur contre les occupants. Ayant été informé de cette rencontre, Roatta convoque Trifunović-Birčanin et Jevđević, exigeant de ces derniers qu'ils s'expliquent sur leurs rapports avec Mihailović et sur leurs positions : les deux chefs tchetniks répondent que Mihailović n'exerce qu'une direction « morale » sur leur mouvement et qu'ils n'ont pas l'intention d'attaquer les Italiens. Roatta demeure cependant très méfiant vis-à-vis de ses alliés. Les Italiens n'en continuent pas moins de s'appuyer sur la MVAC formée de Tchetniks locaux[165] ; en outre, s'ils contribuent à protéger des populations serbes contre les Oustachis, ils se trouvent dans le même temps alliés avec des chefs locaux comme Đujić, dont les troupes se livrent à des massacres de Croates[169].

Les Tchetniks profitent de leur alliance avec les Italiens pour contrôler une partie de l'État indépendant de Croatie, au détriment du gouvernement oustachi dont l'autorité sur ces territoires cesse pratiquement d'exister[142]. Ils tentent par la suite de recruter des Musulmans hostiles au régime oustachi[145] ; mais le major Fehim Musakadić, que Mihailović avait chargé de former des unités musulmanes, est capturé et exécuté par les Partisans, ce qui met pratiquement un terme à ce projet[170]. En octobre, les Tchetniks participent pour le compte des Italiens à plusieurs opérations de répression. Au sud de la Dalmatie, ils tuent une centaine de personnes dans un village de la région de Split où des routes avaient été détruites. Dans le même temps, les troupes de Baćović et de Jevđević participent à l'opération Alfa, menée par les Italiens contre les Partisans[171]. Au cours de cette offensive, qui se déroule dans la région de Prozor-Rama en Herzégovine, les Tchetniks brûlent plusieurs villages où ils massacrent environ 500 Croates et Musulmans, avant d'être contraints par les Italiens de retirer leurs forces à la suite d'une demande du gouvernement de Pavelić[143].

Marche des Partisans à travers la Bosnie[modifier | modifier le code]

Au printemps 1942, les insurgés communistes sont la cible de l'opération Trio que mènent les occupants à l'Est de la Bosnie. Les Partisans connaissent alors l'une de leurs crises les plus graves : leurs campagnes de terreur contre les déserteurs et les familles de ces derniers — et plus généralement contre toute personne jugée « politiquement dangereuse » — qui sont tous accusés de collaborer avec l'ennemi, contribuent à leur aliéner les populations[172]. Si les communistes rééditent en Bosnie-Herzégovine la politique de « déviation gauchiste » qui s'était déjà retournée contre eux au Monténégro, leurs recrues serbes commettent en outre des massacres de Croates et de Musulmans que leur direction s'avère incapable d'empêcher ou de punir[173]. Dans diverses unités partisanes, les commissaires politiques sont assassinés et les sympathisants des Tchetniks prennent alors le contrôle[174].

Subissant de lourdes pertes, confrontés à la démoralisation de leurs troupes, les Partisans sont contraints d'évacuer une partie des territoires qu'ils avaient conquis[172]. Fin juin, Tito décide d'abandonner Foča et de se diriger vers l'Ouest, où les Partisans contrôlent un territoire plus étendu. Ses subordonnés sont réticents à abandonner un territoire jugé stratégique, mais Tito réussit à imposer sa décision, en revendiquant le soutien du Komintern et en soulignant que l'Ouest de la Bosnie constituera la route la plus rapide pour reprendre plus tard la Serbie. À la tête d'une colonne d'environ 4 000 Partisans, Tito entame une traversée sur 300 km du « no man's land » bosnien, comparée plus tard, sous le régime communiste yougoslave, à la Longue Marche chinoise. Foča est entretemps livrée aux représailles des Oustachis qui l'ont reprise : les Tchetniks de Jevđević, appelés à l'aide par la population serbe locale et soutenus par les Italiens, reprennent à leur tour la ville avec l'aide de renforts arrivés du Monténégro, puis commettent ensuite eux aussi des pillages et des massacres[165],[175].

La traversée de la Bosnie par les Partisans, durant l'été et l'automne 1942, leur permet de retourner la situation à leur avantage : en se concentrant sur le combat contre les occupants — fût-ce simplement en leur échappant — et non plus sur celui contre les Tchetniks, ils gagnent la faveur des populations[176]. Évitant autant que possible le contact avec les Allemands et les garnisons italiennes dans les territoires qu'ils traversent, ils sont accueillis en libérateurs par les Serbes de Bosnie, dont beaucoup les rejoignent. Bien que toujours majoritairement serbes, les chefs des Partisans sont désormais attentifs à ce que leurs troupes — dont une partie, en Bosnie, sont d'anciens Tchetniks ayant fait défection — ne s'en prennent pas aux Croates et aux Musulmans, ce qui favorise le recrutement au sein de ces communautés[150],[177],[131].

Des hommes en arme sur une place de la ville, avec des bâtiments en arrière-plan.
Des Partisans dans la « république de Bihać » en 1942.

Dans les territoires non serbes, les Partisans, précédés par leur réputation grandissante, chassent les troupes ennemies et attirent de nombreux Croates et Musulmans, notamment chez les jeunes qui souhaitent échapper à la conscription dans l'armée oustachie. Après avoir initialement attiré en Bosnie des Serbes qui luttaient pour leur survie physique, les troupes de Tito voient affluer des recrues de toutes origines, désireuses de se battre. La situation économique désastreuse de l'État indépendant de Croatie, aggravée par l'incompétence et la corruption de l'administration oustachie, contribue à pousser une partie de sa population à la révolte. Sortis de leurs milieux d'origine, les jeunes Yougoslaves qui rejoignent les Partisans se retrouvent impliqués, non plus uniquement dans la défense de leur communauté ou de leur village, mais dans une lutte de « libération nationale ». Les Partisans bénéficient, pour s'imposer, du vide politique laissé en Bosnie et en Croatie par la disparition ou la démission des anciennes élites, exterminées dans le cas des Serbes ou réfugiées dans la neutralité dans le cas du Parti paysan croate. Fin 1942, leurs effectifs ont été, d'après les estimations allemandes, multipliés par dix depuis leur départ de Bosnie orientale. Les Partisans, de mieux en mieux organisés sur le plan militaire, sont désormais à mi-chemin entre la force de guérilla et l'armée de métier : leurs cinq « brigades prolétariennes », qui comptaient à l'origine environ 1 000 hommes chacune, revendiquent désormais un effectif global, probablement exagéré, de 150 000 combattants[177],[150],[131].

Un bâtiment au mur clair ; au premier plan, un canon.
Musée de l'AVNOJ, à Bihać.

En octobre, les Partisans sont parvenus à s'assurer le contrôle d'un vaste corridor à travers la Bosnie-Herzégovine. Tito décide alors de prendre la ville de Bihać, qui sépare les territoires partisans à l'est et à l'ouest de la rivière Una : il ordonne de s'en emparer avant le , afin de pouvoir y fêter l'anniversaire de la révolution d'Octobre. Les Partisans réussissent à défaire les troupes oustachies présentes dans Bihać et prennent la ville à la date prévue par Tito. Les résistants communistes disposent désormais d'une nouvelle « capitale », surnommée la « république de Bihać » : presque entièrement chassés de Serbie, du Monténégro et de l'Est de la Bosnie, ils dominent, au cœur de l'État indépendant de Croatie, un territoire presque aussi grand que la Suisse[177].

Une fois installé à Bihać, Tito fait part au Komintern de son intention de créer « une sorte de gouvernement ». Staline approuve l'idée d'un organe de direction pan-yougoslave destiné à attirer tous les « antifascistes » ; il déconseille cependant la création d'un gouvernement, qui se trouverait forcément en concurrence avec celui de Londres et mettrait ainsi l'URSS en porte-à-faux vis-à-vis du Royaume-Uni et des États-Unis. Les 26 et , Tito organise à Bihać la première réunion du Conseil antifasciste de libération nationale de Yougoslavie (Antifašističko Vijeće Narodnog Oslobođenja Jugoslavije, ou AVNOJ), une assemblée de 54 délégués communistes ou sympathisants. Ivan Ribar, ancien vice-président du Parti démocrate, rallié aux Partisans — que ses deux fils ont rejoints — mais non encore membre du Parti communiste, est élu à la présidence de l'AVNOJ. Outre la participation de ce notable d'avant-guerre, l'assemblée met également en avant la présence de plusieurs délégués de l'Organisation musulmane et du Parti paysan croate, ainsi que de prêtres orthodoxes. L'accent est mis sur l'idée de libération nationale et non sur celle de révolution communiste : Tito prononce un discours dans lequel il exalte la lutte commune de toutes les nationalités yougoslaves contre les envahisseurs, et une résolution fait de l'AVNOJ la représentation du mouvement de libération nationale qui rassemble les « vrais patriotes ». L'assemblée convient ensuite de la nécessité de reconstruire la Yougoslavie sur la base de l'égalité entre les diverses nationalités. Les Partisans sont rebaptisés « Armée de libération nationale » (Narodnooslobodilačka vojska ou NOV), Tito étant toujours leur commandant suprême. L'AVNOJ crée également un « comité exécutif », qui n'est pas censé être un gouvernement mais fonctionne néanmoins comme tel[178],[150].

À la fin de 1942, le contexte yougoslave et les positions des mouvements insurgés ont nettement évolué. Tito, d'abord simple chef rebelle communiste, se trouve désormais — alors qu'un « culte » commence à se développer autour de lui[178] — à la tête d'un mouvement de libération nationale qui propose à la Yougoslavie un projet politique ayant l'avantage de la nouveauté. À l'opposé, Mihailović, initialement reconnu comme le représentant des Alliés en Yougoslavie et dont les troupes profitent de leur collaboration tactique avec les Italiens, a désormais pour priorité de s'opposer à la concrétisation du projet des Partisans[150].

Nouvelles offensives des occupants en Bosnie et au Monténégro[modifier | modifier le code]

Opération Weiss[modifier | modifier le code]

Fin 1942, confrontés à la dégradation de leur situation militaire en Afrique du Nord, les Allemands se préoccupent d'un éventuel débarquement des Alliés dans les Balkans : ils décident en conséquence de préparer avec les Italiens une offensive contre les mouvements de résistance yougoslaves. Contrairement à leurs alliés italiens, les Allemands visent à détruire aussi bien les Partisans que les Tchetniks. Le général Alexander Löhr, nommé chef du Groupe d'armées E, est chargé de mener l'opération Weiss (dite « quatrième offensive ») en trois phases : Weiss 1 visera à encercler et détruire les Partisans à l'Ouest de la Bosnie et dans la Lika, Weiss 2 devra repousser les Partisans survivants vers le Sud pour les attirer dans un piège et les anéantir, enfin Weiss 3 consistera à faire désarmer par les Italiens les 20 000 Tchetniks présents au Monténégro et en Herzégovine[179],[180],[181].

Fin décembre 1942, une conférence entre responsables allemands et italiens se tient à la Wolfsschanze, le quartier-général de Hitler : le Führer insiste pour que tous les mouvements de résistance soient détruits tandis que Ribbentrop rejette l'idée, proposée par les Italiens, d'une coopération avec les Tchetniks. Cependant, le , Dobroslav Jevđević participe — sans avertir Mihailović — à la conférence qui se tient à Rome pour préparer l'offensive contre les Partisans, en présence de Löhr, de Roatta et du chef d'état-major italien Ugo Cavallero. Devant la persistance des Italiens à s'appuyer sur les Tchetniks, un échange de lettres a lieu en février et mars entre Hitler et Mussolini, pour faire le point sur la situation en cours dans les Balkans. Hitler demande de manière pressante à Mussolini de mettre un terme à la coopération de l'armée italienne avec les Tchetniks ; il souligne la nécessité, non seulement de cesser de fournir des armes à ces derniers, mais également de les désarmer dès la destruction des Partisans achevée[182].

La première phase de l'opération Weiss, à laquelle participent des troupes allemandes, italiennes et croates, est lancée courant janvier : alors que les Partisans envisageaient de revenir au Monténégro et en Serbie, pour en finir avec les Tchetniks avant toute intervention extérieure des Alliés et pour se rapprocher de l'Armée rouge, l'offensive des occupants les force à se déplacer plus vite que prévu. Les Allemands reprennent l'essentiel du territoire conquis par les Partisans, faisant au passage de nombreuses victimes civiles. En toute hâte et en plein hiver, Tito et les Partisans quittent Bihać, qui est reprise par les Allemands le  : profitant de la mauvaise coordination entre les troupes ennemies et de leurs informateurs au sein de l'administration croate, les troupes de Tito réussissent leur évacuation, emmenant avec eux leurs blessés ainsi qu'une partie de la population locale pour lui éviter des représailles. La direction militaire des Partisans de Croatie reste sur place pour continuer de combattre les Tchetniks et les Oustachis. Weiss 1 s'achève le , en ayant réussi à mettre en fuite et à disperser les Partisans, mais pas à les détruire[183],[184].

Une rivière coulant entre deux massifs montagneux et boisés.
Vue de la Neretva, en Bosnie-Herzégovine.

Au moment même où se déroule Weiss 1, d'importants changements ont lieu dans la chaîne de commandement italien : Cavallero est remplacé par Ambrosio et Roatta par le général Mario Robotti, tandis que Ciano cède le ministère des affaires étrangères à Mussolini (Giuseppe Bastianini, gouverneur de Dalmatie, devient sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères). Par ces changements, Mussolini entend à la fois reprendre la main et écarter les responsables jugés insuffisamment pro-allemands[184].

Un pont à demi abattu, dans un paysage boisé.
Le pont construit par les Partisans pour traverser la Neretva à Jablanica, détruit durant la bataille et conservé en l'état sous forme de mémorial, dans l'Ensemble commémoratif de la bataille de la Neretva.

Mihailović, de son côté, prévoyait de lancer en une vaste offensive contre les Partisans, dont la direction, pour l'Est de la Bosnie, devait être confiée à Zaharije Ostojić[183]. L'opération Weiss le force cependant à revoir ses plans et l'amène à coordonner son action non seulement avec celle des Italiens, mais aussi avec celle des Allemands[185], sans avoir pour autant de contacts directs avec ces derniers[182].

Les Partisans, qui connaissent de lourdes pertes, se dirigent vers la rivière Neretva, qu'ils doivent traverser pour échapper aux occupants. Alors que Tito approche à la tête d'environ 20 000 hommes, risquant de pénétrer en territoire tchetnik, Mihailović lance un ordre de mobilisation en sa qualité de ministre de la guerre : entre 12 000 et 15 000 Tchetniks[186] se massent en Herzégovine entre Mostar et Kalinovik, sur les hauteurs au-dessus de la Neretva, pour barrer la route aux troupes de Tito[185],[182]. Le , les Allemands déclenchent Weiss 2, la deuxième phase de l'offensive, pour détruire les unités partisanes rassemblées autour de la Neretva[184].

Entre le et le , des combats sanglants opposent les Tchetniks aux Partisans qui tentent de forcer le passage. Mal organisés, handicapés par le refus des Italiens de leur fournir des armes supplémentaires, les Tchetniks sont finalement mis en déroute : les Partisans parviennent à enfoncer les rangs de leurs adversaires et à traverser la rivière à deux reprises[184],[187]. Les Italiens, de leur côté, cherchent avant tout à empêcher les Partisans de s'emparer des régions côtières, quitte à les laisser envahir le territoire tchetnik. En mars, Mihailović se déplace pour prendre personnellement le commandement. Il ne parvient cependant pas à sauver la situation au cours des combats qui se déroulent dans la vallée durant tout le mois[185],[182]. Les hommes de Tito bénéficient du manque de coordination de leurs adversaires : les Italiens refusent en effet de laisser les troupes de Löhr dépasser la ville de Mostar, ce qui laisse une porte de sortie aux communistes ; en outre, les Allemands lancent une attaque contre les Tchetniks au moment même où ceux-ci combattent les Partisans[184].

Courant mars, alors que se déroulent les combats, les Partisans prennent contact avec les Allemands pour tenter de négocier une trêve et obtenir d'éventuels échanges de prisonniers, ainsi que la reconnaissance d'un statut de combattants réguliers pour leurs troupes ; plusieurs rencontres ont lieu entre des représentants allemands et des émissaires des Partisans, parmi lesquels Koča Popović et Milovan Djilas. Tito vise également à obtenir le temps d'en finir avec les Tchetniks : les hostilités entre Allemands et Partisans sont suspendues, ce qui lui permet de concentrer tous ses efforts sur les Tchetniks d'Herzégovine et du Monténégro qui barrent la route à ses troupes. Les négociations entre Partisans et Allemands tournent court fin avril, à la suite des vétos de Hitler et Ribbentrop[188],[189],[185],[184]. En mai, les services de renseignement allemands essaient à nouveau d'exploiter les divisions entre factions yougoslaves et tentent cette fois d'entrer en contact avec Mihailović. Ils rencontrent un émissaire tchetnik, mais cette initiative se heurte elle aussi au véto d'Hitler[190].

Tito perd plusieurs dizaines de milliers d'hommes pendant l'ensemble de l'opération Weiss, mais il peut ensuite réorganiser ses troupes en Herzégovine, puis marcher en direction de la Drina et du Monténégro. Les Partisans enfoncent les lignes italiennes et tchetniks, traversent la Drina et reprennent pied au Monténégro[184], en plein territoire tchetnik : devant leur avance, Mihailović doit quitter son quartier-général pour un campement dans les collines, à une vingtaine de kilomètres de Berane. La défaite qu'infligent les Partisans aux Tchetniks lors de la « bataille de la Neretva » porte à ces derniers un coup dont ils ne se relèvent pas, militairement parlant. Les deux premières phases de Weiss n'ayant pas donné les résultats escomptés, la troisième phase de l'opération, au cours de laquelle les Allemands prévoyaient le désarmement des Tchetniks, est annulée[185],[182],[188].

Opération Schwarz[modifier | modifier le code]

Carte de l'opération Schwarz.

Après l'échec de l'opération Weiss, les Allemands enchaînent immédiatement avec une nouvelle offensive, baptisée Schwarz (et par la suite, en Yougoslavie, « cinquième offensive » anti-Partisans)[191]. Craignant toujours un débarquement allié dans les Balkans, et doutant désormais de la fiabilité de l'Italie, l'Allemagne vise à stabiliser la situation dans la région en anéantissant le gros des forces de résistance[192].

Un paysage montagneux et boisé.
Le massif de la Zelengora, théâtre de l'une des phases de l'offensive.

Dès le début de 1943, la pression allemande s'accentue sur Mussolini pour obtenir la fin de l'alliance entre Italiens et Tchetniks. Le , malgré les objections d'Ambrosio qui souhaite d'abord en finir avec les Partisans, Mussolini cède et ordonne à l'armée italienne de désarmer les Tchetniks ; confronté à l'immobilisme des commandants militaires italiens, il revient sur sa décision cinq jours plus tard. Hitler, de son côté, juge que, du fait du risque d'un débarquement allié, il est plus urgent d'anéantir les Tchetniks — alors toujours proches des Britanniques — que les Partisans. Le , les troupes allemandes passent à l'offensive au Monténégro, avec l'appui des armées croate et bulgare : leur but est d'éliminer à la fois Mihailović et les Partisans. Les Italiens, qui n'ont pas été tenus au courant des préparatifs, doivent s'incliner et accepter la présence allemande au Sandžak et à l'Est du Monténégro. L'armée italienne participe avec une grande réticence à l'offensive Schwarz, qui représente une atteinte importante à son prestige[192],[191].

Pavle Đurišić semble — sans qu'aucune certitude existe sur ce point — avoir été dès cette époque approché par les Allemands, qui lui auraient proposé d'être « légalisé » pour combattre à leurs côtés contre les communistes et les Tchetniks « illégaux ». Lors d'une rencontre entre les commandants tchetniks monténégrins et Mihailović, Đurišić propose apparemment à ce dernier de s'allier temporairement avec les Allemands, mais essuie un refus. Le , les Allemands pénètrent dans Kolašin et arrêtent Đurišić avec 2 000 de ses hommes ; malgré les protestations des Italiens dont il était jusque-là l'allié, le chef tchetnik monténégrin est emmené en Allemagne. Mihailović parvient à fuir : accompagné de son état-major et de ses officiers de liaison britanniques, il rejoint l'Ouest de la Serbie le [192],[191].

Mussolini, après avoir une nouvelle fois tergiversé et tenté de faire une distinction entre les Tchetniks monténégrins et les hommes de Mihailović, finit par céder à nouveau face aux exigences allemandes et demande à Ambrosio de désarmer l'ensemble des Tchetniks[192]. Entretemps, de nombreux Tchetniks monténégrins, privés de la plupart de leurs chefs, font défection et rejoignent les Partisans. Dans les Alpes dinariques, les Italiens obtiennent des Allemands que le désarmement des hommes de Momčilo Đujić, qui leur sont très utiles contre les Partisans, soit retardé. Ils diminuent cependant leurs livraisons de rations de nourriture aux Tchetniks, ce qui conduit une partie des troupes de Đujić à changer de camp