Fête des Fous — Wikipédia

Charivari du Roman de Fauvel, miniature du XIVe siècle.
Fou avec sa marotte, vers 1540.
Bouffon avec sa marotte, son costume traditionnel bicolore (rouge et vert) garni de grelots, son bonnet surmonté d'oreilles d'âne, sa grande collerette dentelée et ses chaussures pointues[1].

La fête des Fous, ou fête des Innocents, était une mascarade, organisée en principe les 26, 27 et , à laquelle les ecclésiastiques participaient activement. Organisée par le clergé en Europe et attestée dans beaucoup de villes du Nord de la France dès le XIIe siècle, cette pratique s'est étendue du clergé dans la rue, favorisant la création de troupes d'écoliers dans les collèges et de basochiens dans les milieux juridiques, et perdure jusqu'au XVIIe siècle. Dérivées des Saturnales romaines, ces fêtes paillardes sont reliées aux traditions populaires rurales par les folkloristes à la fin du XIXe siècle, et les historiens voient dans ces parodies liturgiques une des origines médiévales du théâtre[2].

Introduction[modifier | modifier le code]

On l'appelait aussi : fête de l'âne, des Sous-Diacres, des Diacres-Saouls, des Cornards, des Libertés de décembre, etc. Les personnes qui y participaient se voyaient affubler des noms de pape des fous, évêque-fou ou abbé des fous.

Elle avait pour objet d'honorer l'âne qui porta Jésus lors de son entrée à Jérusalem, était répandue dans toute la France au Moyen Âge et se célébrait le jour de la Circoncision de Jésus en janvier. On chantait un office et on dansait.

Fête des fous[modifier | modifier le code]

Étude historique sur la fête des fous, parue en 1751.
Fête des fous, gravure de Pieter Van der Heyden, en 1559, d'après Brueghel.

Ces divertissements avaient ordinairement l'église pour théâtre et les ecclésiastiques pour acteurs. Dans certaines églises, pendant les 3 jours de Saint Étienne, de Saint Jean et des Innocents (26, 27 et ), un jeune clerc décoré du titre d’évêque des fous, Episcopus stultorum, occupait le siège épiscopal revêtu des ornements pontificaux à l'exception de la mitre, qui était remplacée par une sorte de bourrelet. À la fin de l'office, il recevait les mêmes honneurs que le prélat véritable, et son aumônier prononçait une bénédiction, dans laquelle il demandait pour les assistants le mal de foie, une banne de pardons, vingt bannes de maux de dents, et deux doigts de teigne sous le menton[3].

La fête des Fous, dit Aubin Louis Millin de Grandmaison, donnait lieu à des cérémonies extrêmement bizarres. On élisait un évêque, et même dans quelques églises un pape des fous. Les prêtres, barbouillés de lie, masqués et travestis de la manière la plus folle, dansaient en entrant dans le chœur et y chantaient des chansons obscènes, les diacres et les sous-diacres mangeaient des boudins et des saucisses sur l'autel, devant le célébrant, jouaient sous ses yeux aux cartes et aux dés, et brûlaient dans les encensoirs de vieilles savates. Ensuite, on les charriait tous par les rues, dans des tombereaux pleins d'ordures, où ils prenaient des poses lascives et faisaient des gestes impudiques.

Ce n'étaient pas seulement dans les cathédrales et dans les collégiales que ces joyeusetés se célébraient : elles étaient aussi pratiquées dans les monastères des deux sexes.

Les jeunes personnes qu'on pouvait surprendre au lit le jour des Innocents, 28 décembre, recevaient sur le derrière quelques claques, et quelquefois un peu plus, quand le sujet en valait la peine[N 1]. La coutume de donner les innocents n'est pas un de ces usages isolés qui ne puisse être comparé à aucun autre. Dans diverses villes, les chanoines, les ecclésiastiques, et quelquefois, les séculiers étaient, à certains jours de l'année, pris le matin, dans leur lit et dans un état complet de nudité, conduits par les rues, dans les églises jusque sur l'autel, où on les arrosait d'eau[N 2]. Des indécences du même genre avaient aussi trouvé leur place parmi les folies que les ecclésiastiques se permettaient le jour des Innocents. Ils allaient jusqu'à promener par la ville et exposer sur des théâtres des hommes entièrement nus[N 3].

Des mesures furent prises pour mettre fin à ces désordres. La toute première condamnation fut proclamée vers 1198[4] à la demande d'Odon de Sully. La suivante émane du Concile de Bâle en 1431[5], lors duquel un ban fut publié le [N 4].

Mais si le personnage a disparu des comptes de la ville, le subside habituel y est continué au vicaire de l'église Saint-Pierre et à ses suppôts. Le prélat des fols réapparaît encore en 1525 et 1526. La dernière mention en est faite au compte de 1526 : Aux vicaires et suppos du prélat des folz de Saint Pierre en support de spris par eulx donnés à ceulx qui, en decorant la procession, ont joué plusieurs belles et honourables histoires rommaines, XII livres. Le ban d'interdiction fut alors renouvelé[N 5]. La fête fut progressivement interdite par les instances religieuses et civiles (Richelieu)

On peut notamment retenir les villes de Dijon avec l'Infanterie dijonnaise, de Ham qui avait un prince des fous, de Sens.

Victor Hugo[modifier | modifier le code]

Un jeune évêque des fous, gravure du XIXe siècle.
Fête des fous dans une cathédrale, gravure de 1752.
Quasimodo, le Roi des fous, gravure de 1878.

En ouvrant son roman « Notre-Dame de Paris » sur la Fête des Fous, Victor Hugo plonge immédiatement son lecteur dans une atmosphère de liesse populaire, laissant transparaître ses opinions sociales[N 6]. La tradition française de la Fête des Fous commença comme un événement ecclésiastique dans des villes abritant des cathédrales comme Paris et Autun. Le bas clergé réservait le charivari général le , aussi appelé Jour des Rois, parce que les Rois Mages arrivèrent à Bethléem cette même date. Ce jour-là, pendant vingt-quatre heures, ils s'arrogeaient les privilèges réservés d'habitude à leurs supérieurs au sein de la très puissante Église catholique romaine.

Au XVe siècle, époque où se déroule le roman de Hugo, la coutume s'était étendue du clergé à la rue ; devenue un événement public attendu par tous, elle était l'occasion de réjouissances populaires ; on y buvait, y dansait, on y donnait des spectacles de mime, de magie, des tours, des momeries de théâtre, on y faisait des farces. Les dés roulaient dans les églises ; les prêtres marchaient de côté le long des ruelles, déguisés ; des jongleurs, des acrobates, des voyous de tout poil prenaient possession de la rue. Victor Hugo précise dans Notre-Dame de Paris, qu'au programme du  : « Il devait y avoir feu de joie à la Grève, plantation de mai à la chapelle de Braque et mystère au Palais de Justice. Le cri en avait été fait la veille au son de trompettes dans les carrefours, par les gens de Monsieur le prévôt, en beaux hoquetons de camelot violet, avec de grandes croix blanches sur la poitrine ».

Au point culminant de la fête, les farceurs élisaient le Pape des Fous, la plupart du temps un diacre, souvent même un profane ou un étudiant, qui conduisait ensuite à travers les rues de la ville une procession débridée où les bagarres n'étaient pas rares, constituée de membres du clergé et d'hommes du peuple, qui se mêlaient aux noceurs.

Paillarde, exubérante, bruyante, subversive, cette fête dérivait d'une ancienne fête romaine dédiée à Saturne, le dieu de l'agriculture. Pendant les saturnales, trois jours de fête durant l'hiver, les tribunaux et les écoles étaient fermés et les esclaves étaient les égaux de leurs maîtres.

Au milieu du XVIe siècle, environ trois cents ans avant l'époque de Victor Hugo, la fête avait effectivement pratiquement disparu. Elle est partiellement remplacée par le Carnaval de Paris.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Clément Marot adressait, croit-on, à Marguerite de Navarre elle-même, l'épigramme suivante :
    Très chère sœur, si je savais où couche
    Votre personne, au jour des Innocens
    De bon matin, j'irai à votre couche
    Voir ce corps gent, que j'aime entre cinq cents.
    Adonc, ma main, vu l'ardeur que je suis,
    Ne se pourrait bonnement contenter,
    Sans vous toucher, tenir, tâter, tenter.
    Et si quelqu'un survenait d'aventure,
    Semblant ferais de vous innocenter :
    Serait-ce pas honnête couverture ?
  2. Cela avait lieu aux XIVe et XVe siècles, au Puy-en-Velay, à Nevers, à Mantes, à Angers.
  3. C'est là un détail nouveau ajouté par Louis de Melun, archevêque de Sens, dans ses statuts de l'année 1445, aux turpitudes reprochées au clergé.
  4. « DE NON FAIRE EVESQUES DES FOLS ». On fait deffense, de par eschevins et de par le conseil de la ville, aux manants et aux habitans de ladite ville et taille d'icelle de eulx ingerer et annunchier doresenavent, faire ne assister à faire evesque des folz, ne le accompaignier en quelque maniere que ce soit, ne aussi juer dépossuit du dit evesque. En, pareillement, que nul ne se ingere de venir en ladite ville et taille accompagnier lesdites evesques, a peril si comme : les gens lays de estre pugnis à la discretion desdits esclaves et eschevins et les gens d'église de estre constituez prisonniiers pour estre renvoyez à leur ordinaire. Publiez à la bretesque le darrain jour de décembre XVe et XIXe siècles.
  5. Pour ce que les eschevins et conseil de la dite ville sont informez que nonobstant les deffenses dessus dites et en oirreverence et vilipendence d'icelle aucuns se sont ingerez et advauchiez de fair eou avoir fait ung evesque ou prelat des fols en ladite ville, je fais le ban de deffense de par l'empereur notre sire par lesdits eschevins et conseil deladite ville que nuls de quelques estat ou condition quilz soient ne se ingerent ou advauchent en contrevenant auxdites deffenses ne favourissez par assemblée ne aultre maniere quelconque le tout sur paine estre banny criminellement,… , etc.. Archives de la ville de Lille
  6. Mélange de Mardi Gras et de Premier Avril, ce festival de rues haut en couleur était la fête favorite des déshérités et des exclus. Pendant une journée dans l'année, les conventions sociales étaient chamboulées, la folie était de mise, le peuple agissait à la manière des rois et les fous prenaient la place des sages. L'aspect satirique de la chose était évidemment très développé.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Jean-Claude Guillebaud, Philippe Baudorre, Caroline Casseville, Jean-Claude Ragot, Jean Touzot, Le rire, Confluences, , p. 15
  2. Bertrand Dominique, Le Théâtre, Èditions Bréal, , p. 86
  3. Mémoires de l'Académie des Inscriptions, etc., t. VII, p. 254).
  4. Voir Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, édition Jean Frédéric Bernard, Amsterdam, 1743.
  5. Selon Harvey Cox dans son ouvrage La Fête des Fous, essai théologique sur les notions de fête et de fantaisie, éd. Seuil, Paris, 1971, p. 13.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jacques-Xavier Carré de Busserolle, Notice sur les fêtes des ânes et des fous…', Éditeur imprimerie de D. Brière, Rouen, sans date Lire en ligne
  • F. Vernet, Une bulle de Clément VI sur la fête des fous à Vienne (), Bulletin d’histoire ecclésiastique des diocèses de Valence, Gap, Grenoble et Viviers (janvier – mars). 1901
  • Michel Foucault, La folie et la fête, France culture, 1963. https://www.youtube.com/watch?v=_TC8f9zuIgw
  • John Grand-Carteret, L'Histoire, la vie, les mœurs et la curiosité par l'Image, le Pamphlet et le document (1450-1900), Librairie de la curiosité et des beaux-arts, [détail des éditions]
  • Harvey Cox (trad. Luce Giard), La fête des fous : essai théologique sur les notions de fête et de fantaisie [« The Feast of Fools: A Theological Essay on Festivity and Fantas »], Paris, Éditions du Seuil, coll. « Religion », , 237 p. (ISBN 978-2020031806)
  • Jacques Heers, Fêtes des fous et carnavals, Éditions Arthème Fayard, Paris, 1983 (ISBN 9782012793866).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]