Espérance (vertu) — Wikipédia

L'Espérance, statue de Jacques Du Brœucq, vers 1541-1545, collégiale Sainte-Waudru de Mons, Belgique.

L'espérance est une vertu chrétienne qui trouve son origine dans le judaïsme, par laquelle les croyants attendent de Dieu, avec confiance, sa grâce en ce monde et une vie éternelle après la mort.

Il est d'usage de confondre l'espérance avec l'espoir, qui est un sentiment plus profane et peut être considéré comme sa reprise séculière.

Judaïsme[modifier | modifier le code]

L'idée d'éternité remonte aux origines mêmes de l'humanité, elle s'exprime de façon explicite, entre autres, dans l'Égypte pharaonique. Plus tard, le zoroastrisme prédit l’avènement d'un sauveur suprême.

Mais c'est en Palestine, au VIe siècle av. J.-C., quand est rédigé le Livre de Daniel, que se répand l'idée de la résurrection et de la vie éternelle pour chaque membre de la communauté juive[1]. Raison pour laquelle la tradition chrétienne (tant du côté catholique que du côté orthodoxe) rangera ensuite Daniel parmi les quatre grands prophètes, avec Isaïe, Jérémie et Ézéchiel.

L'espérance est alors vécue comme "ce qui s'oppose à l'épreuve" et "permet de la surmonter".

Christianisme[modifier | modifier le code]

Pour l'apôtre Paul (Ier siècle), l’espérance chrétienne trouve son origine et son modèle chez les Hébreux, dans l’attitude d’Abraham dès lors qu'il se sent purifié par l’épreuve du sacrifice : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d’une multitude de peuples » (Rm 4, 18). Elle est décrite dès le début de la prédication de Jésus dans l’annonce des Béatitudes. [réf. nécessaire]

L'Espérance, peinture allégorique de Giotto à Padoue.

Traditionnellement, l’espérance est considérée — avec la foi et la charité — comme l'une des trois vertus théologales du christianisme et qui prennent source dans la Première épître aux Corinthiens (1 Co 13, 13).

Au Moyen Âge, l'Église complète les trois vertus théologales par les quatre vertus cardinales qui, elles, apparaissent chez Platon, dans La République, puis se développent dans le judaïsme hellénistique : la prudence, la tempérance, la force d'âme (ou courage) et la justice.

L'ensemble de ces sept caractéristiques forment les vertus catholiques, que l'art chrétien représente fréquemment, de façon allégorique, sous la forme de figures féminines.

Selon le Catéchisme de l'Église catholique[2], la vertu d’espérance répond à l’aspiration au bonheur placée par Dieu dans le cœur de tout homme. Elle assume les espoirs qui inspirent les activités des hommes et les purifie pour les ordonner au Royaume des cieux.

L’espérance est « l’ancre de l’âme », sûre et ferme, « qui pénètre ... là où est entré pour nous, en précurseur, Jésus » (He 6,19-20). Elle est aussi une arme qui protège dans le combat du salut : « Revêtons la cuirasse de la foi et de la charité, avec le casque de l’espérance du salut » (1 Th 5,8). Elle procure la joie, y compris dans l’épreuve même : « avec la joie de l’espérance, constants dans la tribulation » (Rm 12,12).

Georges Bernanos oppose l'espérance à l'espoir et la relie au contraire au désespoir.

Georges Bernanos fait partie des intellectuels catholiques qui s'efforcent de distinguer l'espérance de l'espoir :

« L'espérance est une vertu héroïque. On croit qu'il est facile d'espérer. Mais n'espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu'ils prenaient faussement pour de l'espérance[3] »

En 2007, dans sa deuxième encyclique intitulée Spe salvi (« Sauvés dans l'espérance »), le pape Benoît XVI écrit ces mots :

« La vraie, la grande espérance de l'homme, qui résiste malgré toutes les désillusions, ce peut être seulement Dieu. (...) Nous avons besoin des espérances — des plus petites ou des plus grandes — qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul, qui embrasse l'univers et qui peut nous proposer et nous donner ce que, seuls, nous ne pouvons atteindre. »

Tout en étant fondée sur le salut par la grâce, la théologie protestante traditionnelle concernant l'espérance diffère assez peu de la conception catholique exposée ci-dessus, témoin ce commentaire sur Romains 5/1-5[4] publié par l'Église protestante unie de France :

« La Réforme a redécouvert que, par lui-même, l’être humain est incapable d’établir une relation de confiance avec Dieu et que c’est Dieu qui a rétabli cette relation saine et harmonieuse, que c’est Dieu qui a réconcilié l’être humain avec lui-même. C’est cela qu’on a appelé le salut par grâce. C’est le cœur du message évangélique. L’apôtre Paul expose ici les fondements de la foi chrétienne et il tire toutes les conséquences de cette réconciliation de Dieu avec l’homme : la justice nous conduit à la paix, la paix à l’espérance, l’espérance à la gloire de Dieu. Mais que dire lorsque les épreuves et les difficultés viennent obscurcir la vie du croyant ? L’apôtre indique une autre série de conséquences en chaîne : la détresse nous conduit à la persévérance, la persévérance à la fidélité éprouvée, et la fidélité éprouvée à l’espérance. Cette espérance ne se fonde pas sur des illusions qui viendraient de l’imagination humaine, mais sur la réalité concrète. Et l’apôtre Paul sait de quoi il parle. Il en a connu, des épreuves et des difficultés. L’espérance est donc le passage obligé de tout chrétien, comme un aboutissement obligé. Pour l’apôtre, Dieu fait triompher l’espérance dans toutes les situations, même les plus désespérées. »[5]

Publiée en 1964, la Théologie de l'espérance de Jürgen Moltmann est influencée par l’orientation eschatologique du philosophe marxiste Ernst Bloch. Le désir de Moltmann d'axer sa théologie sur les évolutions du monde moderne, consécutivement au "progrès technique", est parfois comparée à la théologie de la libération, qui se développe à la même époque : « Tant que l’espérance ne s’empare pas, pour les transformer, de la pensée et de l’action des hommes, elle reste à rebours du bon sens et inefficace[6]. ». Mais Moltmann se défend vigoureusement d'être marxiste et estime que l'espérance de Bloch n'est qu'une reprise séculière de l'espérance chrétienne.

En 1972, dans son livre L'Espérance oubliée, Jacques Ellul estime que dans la société actuelle, le concept d'espérance n'a plus aucun sens[7]. Selon lui, l'époque est celle de la déréliction : Dieu s'est "absenté", il ne parle plus aux hommes. Non pas parce qu'il les abandonne mais au contraire parce que, respectant leur volonté d'être libres de leurs choix, il tient à les laisser seuls responsables de leurs actes et de leurs croyances, y compris l'athéisme. Il ne leur parle plus, du fait qu'ils ne veulent pas l'entendre ni même entendre parler de lui. Certes, il ne se ferme pas à ceux qui, individuellement, croient en lui, mais il n'intervient plus dans leur histoire collective ni même dans celle de l'Église, du fait qu'elle-même se conforme aux exigences du "monde moderne". « Si le Saint-Esprit agissait, ça se verrait »[8].

Jacques Ellul

Bien qu'amer, le désespoir qui accompagne ce constat est, selon Ellul, salutaire dès lors qu'il repose sur la lucidité concernant l'idée de modernité. Alors que tous les idéaux vantés par les philosophies humanistes — à commencer par celui du progrès — se sont révélés illusoires, estime t-il, les humains sont devenus les serviteurs des machines, et plus généralement de la technique, qui étaient censées les servir. Or, poursuit-il, il faut distinguer et même opposer les mots "espoir" et "espérance" : « c'est seulement lorsqu'il n'y a plus d'espoir que peut poindre l'espérance ». Ellul identifie en effet l'espoir à l'illusion que tout peut s'arranger sans la présence de Dieu. Or, selon lui, l'espérance n'a de place que quand tout est jugé désespéré : « L'espoir est la malédiction de l'homme. Car l'homme ne fait rien tant qu'il croit qu'il peut y avoir une issue qui lui sera donnée. Tant que, dans une situation terrible, il s'imagine qu'il y a une porte de sortie, il ne fait rien pour changer la situation[9]. »

À l'inverse, conclut Ellul, cultiver l'espérance, c'est, contre toute raison, croire en la promesse donnée par Dieu. Dans son commentaire sur le Livre de l'Apocalypse[10], il avance qu'il « y a affirmation de l'espérance quand Dieu se tait ou détourne sa face, quand la Parole de Dieu se fait rare, quand elle nous semble morte. Tant que la Parole de Dieu est vivante, dite, crue, entendue, reçue, l'espérance n'a aucune raison d'être : nous sommes ici dans le domaine de la foi (...) L'espérance c'est précisément dans ce désert, dans ce silence de Dieu qu'elle continue à affirmer que la promesse c'est déjà l'accomplissement »[11].

Pour Ellul, l'espérance ne peut advenir chez les chrétiens eux-mêmes que s'ils ressentent le silence de Dieu non pas passivement mais au contraire de façon assumée[12] : « L'espérance est la réponse de l'homme au silence de Dieu[13] » (...)« L'espérance n'est pas la résignation, l'acceptation passive que Dieu se tait, se cache, abandonne ; elle est l'exigence devant Dieu qu'il se révèle pour qui il a dit qu'il était »[14]. Elle repose sur un refus radical d'amalgamer le Royaume de Dieu et tout système politico-social. Ces deux domaines sont incompatibles, inassimilables. Servir l'un, c'est trahir l'autre[15]. L'espérance, c'est la libération de toutes les idéologies[16].

En tout cela, Ellul prolonge la réflexion de Kierkegaard, pour qui la chrétienté était « la déchéance du christianisme »[17] et l'espérance « l'attente de l'impossible »[18].

Représentations allégoriques[modifier | modifier le code]

L'espérance est fréquemment représentée sous forme allégorique dans les arts, soit seule, soit associée aux deux autres vertus théologales.

Selon Cesare Ripa, l'espérance est représentée sous la forme d'une femme jeune, habillée de vert, portant une couronne de fleurs et tenant dans ses bras un Amour à qui elle donne le sein : les fleurs font espérer les fruits et l'allaitement fait vivre le petit enfant. La jeune femme peut aussi être habillée d'une robe jaune parsemée de fleurs en marchant sur la pointe des pieds, car l'espérance n'est pas ferme[19].

L'espérance est également associée à l'ancre marine, symbole chrétien qui remonte au Nouveau Testament[20],[21].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Claude Bouchot, A propos de l’espérance au temps de l’Ancien Testament, Bouquet philosophique
  2. Catéchisme de l'Église catholique, Paris : Cerf/Centurion/Fleurius, 1998, n° 1817-1821 (lire en ligne.
  3. Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire?, Paris, Gallimard, « Idées », 1953, p. 107.
  4. "Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, à qui nous devons d'avoir eu par la foi accès à cette grâce, dans laquelle nous demeurons fermes, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu. Bien plus, nous nous glorifions même des afflictions, sachant que l'affliction produit la persévérance, la persévérance la victoire dans l'épreuve, et cette victoire l'espérance. Or, l'espérance ne trompe point, parce que l'amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous a été donné." Traduction Louis Segond.
  5. Bernard Mourou, « L'Espérance, commentaire sur Romains 5/1-5 », sur le site de l'Église protestante unie de France (consulté le ), texte légèrement condensé.
  6. Jürgen Moltmann Théologie de l'espérance, p. 30
  7. Jacques Ellul, L'Espérance oubliée, 1972 ; réed. La Table Ronde, 2004, p. 13-75
  8. Ibid. p. 189
  9. Ibid., p. 132
  10. Jacques Ellul, L'Apocalypse, architecture en mouvement, 1975 ; rééd. Labor et Fides, 2008
  11. Jacques Ellul, L'Espérance oubliée, La Table ronde, 2004, p. 72
  12. Jacques Ellul, Le foi au prix du doute, 1980. Réed. La Table Ronde, 2015
  13. Ibid., p. 172.
  14. Ibid. p. 72-73
  15. Jacques Ellul, L'illusion politique, 1965 ; réed. La Table Ronde, 2018
  16. Jacques Ellul, L'idéologie marxiste chrétienne, 1979 ; rééd. La Table Ronde, 2006
  17. Sören Kierkegaard, Vingt et un articles de Faedrelandet, Œuvres complètes XIX, Éditions de l'Orante, 1982
  18. Sören Kierkegaard, Crainte et tremblement, Œuvres complètes V, Éditions de l'Orante, 1972
  19. Cesare Ripa (trad. Jean Baudoin), « Espérance », dans Iconologie, (lire sur Wikisource).
  20. « Paul Lemoyne, L'Espérance », sur Louvre, base Atlas.
  21. « Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide » (Paul de Tarse (trad. Louis Segond), « Hébreux 6, 19 », dans Nouveau Testament (lire sur Wikisource)).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Claude-Henri Rocquet, Les racines de l'espérance, 2013

  • Jacques Briend, Avant Jésus, l'espérance, Desclée-Mame, 2007
  • Joan Chittister, De l'épreuve à l'espérance, EFIDES, 2004
  • Olivier Clément, Mémoires d'espérance. Entretiens avec Jean-Claude Noyer, Desclée de Brouwer, 2003
  • Jürgen Moltmann, Théologie de l'espérance, Cerf, 1970. Réed. 1983 (édition originale : 1964)
  • Gustave Desbuquois, L'Espérance, Beauchesne, 2016
  • Jacques Ellul, L'Espérance oubliée, 1972. réed. La Table ronde, 2004
  • France Quéré, Dénuement de l'espérance, Seuil, 1972
  • André Bieler, Une politique de l'espérance, Labor et Fides, 1970
  • Alphonse Maillot, L'épître aux Romains, l'épître de l'espérance, Tournon, Cahiers de Réveil, 1968
  • Edmond Fleg, Nous de l'espérance, Angers, Masque d'or, 1949
  • Jean-Hervé Nicolas, article « Espérance » in Dictionnaire de spiritualité, tome IV, Paris, Beauchesne, 1961, p. 1208
  • Bernard Schumacher, article « Espérance » in Dictionnaire d’Éthique et de Morale, Paris, PUF, 1996, p. 525.
  • Paul Schütz, Parusia. Hoffnung und Prophetie, Heidelberg 1960, Sonderausgabe, Hambourg, 1963

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]