Conférence de Zimmerwald — Wikipédia

La conférence de Zimmerwald est une réunion de militants socialistes qui s'est tenue dans le village suisse de Zimmerwald (canton de Berne) du au , au cours de la Première Guerre mondiale[1],[2].

L'objectif de la conférence était de rassembler les socialistes fidèles à l'internationalisme et de lutter contre la guerre et contre le triomphe du chauvinisme et du militarisme dans la social-démocratie : les participants condamnaient la participation à des gouvernements d'Union sacrée dans les pays belligérants, participation qu'ils assimilaient au nationalisme.

La Deuxième Internationale[modifier | modifier le code]

La Deuxième Internationale se désagrégea dès le début de la guerre. Dans l'Empire allemand, la fraction du SPD au Reichstag accepta l'entrée en guerre et vota les crédits de guerre et l'union civique (Burgfrieden) dès le , contrairement à leur programme et à leurs engagements internationaux. En France, les socialistes soutinrent l'entrée en guerre. Jean Jaurès s'opposa alors aux autres socialistes et mit en avant ses positions pacifistes[3]. Il fut assassiné peu de temps avant l'entrée en guerre par un nationaliste et son parti se rallia à l'Union sacrée.

Les rares opposants à la guerre au sein du SPD se regroupèrent le au sein du Gruppe Internationale, duquel naquit la Ligue spartakiste en 1915, et puis le KPD (Parti communiste allemand) en 1918. Ils aspiraient à une révolution socialiste qui devait également éviter les guerres futures. En décembre 1914, Karl Liebknecht refusa de voter les crédits de guerre, Otto Rühle fit de même en . Quelques mois plus tard, les socialistes qui ne se reconnaissent plus dans l'action de leur parti se réunissent à Zimmerwald.

La conférence[modifier | modifier le code]

La conférence de Zimmerwald, organisée par le socialiste suisse Robert Grimm, réunit trente-huit délégués de différents pays d'Europe[4]. Organisée en secret, elle était aux yeux des autorités de l’époque une réunion d’ornithologues[5]. Les délégués représentaient des partis socialistes ou des groupes socialistes en opposition avec les partis officiels, qui soutiennent — comme le SPD ou la SFIO — l'entrée en guerre de leurs pays respectifs. Dans le manifeste rédigé par Christian Rakovski, Giuseppe Emanuele Modigliani (it) et Léon Trotsky[réf. nécessaire], on peut d'ailleurs lire concernant le SPD : « Étant donné son attitude à l'égard de la guerre, le Parti officiel n'a pas été invité » ; et pour la SFIO : « Ici également on a dû s'abstenir d'inviter le Parti officiel qui est engagé dans la voie de la politique gouvernementale »[6]. La conférence réunit des représentants allemands, français, russes, italiens, britanniques, suisses, suédois, norvégiens, néerlandais, polonais, roumains, bulgares ainsi que du Bund, l'organisation socialiste des travailleurs juifs en Europe de l'Est.

Les délégués dénoncèrent la guerre dans un manifeste en plusieurs parties dont la Déclaration franco-allemande commune aux socialistes et syndicalistes français et allemands. La déclaration franco-allemande proclame : « Après un an de massacre, le caractère nettement impérialiste de la guerre s'est de plus en plus affirmé ; c'est la preuve qu'elle a ses causes dans la politique impérialiste et coloniale de tous les gouvernements, qui resteront responsables du déchaînement de ce carnage[7] ». La guerre est un produit de l'impérialisme[8], du chauvinisme et du militarisme. Ce manifeste appelle également à l'union des travailleurs de tous les pays dans la lutte contre la guerre : « Il faut entreprendre cette lutte pour la paix, pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre. Mais une telle paix n'est possible qu'à condition de condamner toute pensée de violation des droits et des libertés des peuples »[9]. Les socialistes vont se rassembler par la suite à Kiental du 24 au , leur rassemblement prenant une tournure plus révolutionnaire[10].

La conférence publia un manifeste, rédigé entre autres par Léon Trotsky, dénonçant la guerre comme barbarie directement produite par le capitalisme, ainsi que le chauvinisme et le militarisme : « Quels que soient les responsables immédiats du déchaînement de cette guerre, une chose est certaine : la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l'impérialisme. Elle est issue de la volonté des classes capitalistes de chaque nation de vivre de l'exploitation du travail humain et des richesses naturelles de l'univers »[11]. Ce manifeste appelait également à l'union des travailleurs de tous les pays dans la lutte contre la guerre, et dénonçait les dirigeants socialistes ayant abandonné leurs idées.

La « gauche de Zimmerwald »[modifier | modifier le code]

La conférence comprenait en réalité deux tendances distinctes, le manifeste publié reprenant leurs idées communes. La majorité pacifiste des délégués souhaitait que la conférence serve uniquement à affirmer la volonté de défendre l'idéal internationaliste et de l'opposition à la « guerre impérialiste ». Cependant, une minorité appelée la « gauche de Zimmerwald », ou « gauche zimmerwaldienne », et menée en particulier par Lénine, jugeait que la capitulation des dirigeants socialistes de la IIe Internationale devant le nationalisme et la guerre constituait une trahison extrêmement grave. La IIe Internationale s'étant donné comme priorité la lutte contre la guerre, cela signifiait la faillite de celle-ci. Pour Lénine, cet échec tragique rendait indispensable la fondation d'une nouvelle internationale, et la rupture totale avec les sociaux-démocrates ayant participé à l'Union sacrée. Le slogan de lutte pour la paix est totalement rejeté par la gauche de Zimmerwald, qui adopte le mot d'ordre de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile contre la bourgeoisie, c'est-à-dire en révolution anticapitaliste.

Toutefois, cette minorité voyait dans les résultats de la conférence, c'est-à-dire la réaffirmation de l'internationalisme, un « premier pas » pour la reconstruction du mouvement socialiste après la guerre sur des bases nouvelles.

Participants[modifier | modifier le code]

38 délégués sont présents :

Pays neutres[modifier | modifier le code]

Pays de l'Entente[modifier | modifier le code]

Empires centraux[modifier | modifier le code]

Le Français Pierre Monatte, les Russes Inès Armand et Nadejda Kroupskaïa, les Allemands Karl Kautsky, Karl Liebknecht et Willi Münzenberg, bien que favorables au principe de la conférence, ne peuvent y participer pour différentes raisons ; les sociaux-démocrates austro-hongrois renoncent à venir pour ne pas exacerber les divisions au sein de leur mouvement.

Suites de la conférence[modifier | modifier le code]

Les socialistes « zimmerwaldiens » se rencontrent encore à deux reprises pendant la guerre, à la conférence de Kiental en Suisse (24-) et à celle de Stockholm (5-).

Les partis socialistes de l'Entente partisans de l'Union sacrée tiennent une série de conférences interalliées (en), de février 1915 à septembre 1918, pour s'opposer au programme de Zimmerwald.

Le chant de Zimmerwald[modifier | modifier le code]

Zimmerwald est le titre d'un chant communiste faisant référence à cette conférence. Il a été écrit en 1936 par des militants trotskystes français affirmant leur fidélité aux idées internationalistes.

En voici les paroles :

« Pionniers rouges, marchons en colonnes,
Nos pas martèlent le sol.
Drapeaux rouges éclatant au soleil du couchant,
Émergeant de la houle des blés ;
Nos pas sur le sol semblent dire en cadence :
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Là-bas, émergeant de la plaine,
Paysan reprend haleine ;
À la guerre a souffert bien qu'il n'ait pas de terres,
Aujourd'hui, c'est toujours la misère.
On entend sa faux qui chante dans les blés :
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Sortant éreinté de la mine,
Regagnant son noir coron,
Le mineur que l'on croise et qui lève le poing,
Dit : le monde va changer de base !
Le pic sur le sol, qui creuse le charbon,
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Voici un régiment qui passe.
Bétail marchant vers la guerre.
Dans les rangs des yeux clairs fixent notre drapeau
Mais l’officier oblige à se taire.
Au reflet des fusils le soleil a écrit :
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Partout la parole de Lénine,
De Liebknecht et de Rosa
Retentit dans les champs, les casernes, les usines,
L’ennemi est dans notre pays ;
Si la guerre éclate, le bourgeois à abattre
Sera écrasé par Zimmerwald. »

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Zimmerwald, mouvement de », sur hls-dhs-dss.ch (consulté le )
  2. « Zimmerwald », sur hls-dhs-dss.ch (consulté le )
  3. Jean-Baptiste Duroselle, La Grande guerre des Français, 1914-1918 : l'incompréhensible, Paris, Éditions Perrin, coll. « Tempus » (no 27), (ISBN 978-2-262-01896-2, OCLC 917177128), p. 54.
  4. Michel Dreyfus, L'Europe des socialistes, 1889-1989, Complexe, 1991, p. 68.
  5. Nadia Capone, « Zimmerwald, berceau de la révolution russe », sur swissinfo.ch, (consulté le ).
  6. Manifeste cité dans : Alexandre Zévaès, Histoire des partis socialistes en France. Le parti socialiste de 1904 à 1923, Paris, 1923, p. 163.
  7. Manifeste cité dans : Nicolas Faucier, Pacifisme et antimilitarisme dans l'entre-deux-guerres, 1919-1939, Paris, Éditions Spartacus, 1983, p. 35.
  8. Olivier Wieviorka/Christophe Prochasson, La France du XXe siècle : Documents d'histoire, Paris, 1994, p. 222.
  9. Manifeste cité dans : Alexandre Zévaès, op. cit., p. 166.
  10. Projet de manifeste pour la conférence de Kienthal.
  11. Manifeste cité dans : Olivier Wieviorka/Christophe Prochasson, La France du XXe siècle : Documents d'histoire, Paris, 1994, p. 222.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Ducange, Zimmerwald : l'internationalisme contre la Première Guerre mondiale, Paris, Demopolis, , 154 p. (ISBN 978-2-35457-084-2).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]