Conférence de Berlin (31 mars 1917) — Wikipédia

Conférence de Berlin ()
La chancellerie du Reich en 1910.
La chancellerie du Reich en 1910.

Type Réunion stratégique
Pays Reich impérial
Localisation Berlin
Date
Participant(s) Theobald von Bethmann Hollweg
Arthur Zimmermann
Paul von Hindenburg
Erich Ludendorff
Max Hoffmann

La conférence de Berlin du est une rencontre gouvernementale allemande destinée à définir une nouvelle orientation des buts de guerre du Reich impérial[a] dans l'Est de l'Europe. Convoquée à l'initiative du Chancelier du Reich, cette rencontre entre membres du gouvernement civils et responsables de l'Oberste Heeresleitung a pour objectif de définir, quelques jours après la chute définitive de la monarchie en Russie, les principes qui doivent sous-tendre la politique du Reich, principal animateur de la quadruplice[b], face aux changements politiques en cours en Russie. En effet, la Révolution russe en cours ouvre pour le Reich la perspective d'imposer à la Russie des conditions de paix draconiennes, autorisant les projets les plus démesurés.

Contexte[modifier | modifier le code]

Le Reich face à la révolution russe[modifier | modifier le code]

arrestations d'officiers
En 1917, l'armée russe est durablement affaiblie, notamment par les arrestations d'officiers (peinture d'Ivan Vladimirov).

La révolution de Février met provisoirement un terme aux opérations militaires sur le front de l'Est ; cependant, le choix du gouvernement provisoire russe de rester fidèle aux alliances conclues par le régime impérial oblige le Reich et ses alliés à maintenir sur place un nombre important de divisions pour faire face aux troupes russes. Au cours du mois de mars, Arthur Zimmermann, le ministre allemand des affaires étrangères est informé par bribes de l'évolution de la situation politique en Russie, notamment du renversement de la monarchie ; ainsi, rapidement le chancelier du Reich, Theobald von Bethmann Hollweg, et les Dioscures, Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff[c], se persuadent que des négociations de paix avec le gouvernement provisoire russe vont rapidement s'ouvrir et garantir au Reich et à ses alliés une « paix satisfaisante » ; dès le , cependant, le gouvernement provisoire, par la voix de son président Gueorgui Lvov, annonce sa volonté de poursuivre la guerre aux côtés des Alliés[1].

Toutefois, le souhait du gouvernement russe de rester fidèle à la Triple-Entente ne se traduit pas par une volonté de mener des opérations militaires ambitieuses : en effet, la révolution et les troubles qui en découlent ont fait disparaître pour un temps les capacités opérationnelles de l'armée russe[2].

Conscients de cette réalité, les planificateurs militaires de la quadruplice redéploient rapidement en Italie, dans les Balkans et à l'Ouest une partie de leurs armées alors engagées sur le front de l'Est[3].

Refouler la Russie[modifier | modifier le code]

portrait d'homme
Le chancelier du Reich, Theobald von Bethmann Hollweg, ici en 1917, souhaite voir le Reich contrôler les marges occidentales de la Russie.

Depuis la constitution de l'empire allemand, les responsables du Reich sont confrontés au dilemme stratégique de la guerre sur deux fronts, face à la France et face à la Russie.

Pour limiter les effets de cette double confrontation simultanée, les diplomates allemands imaginent de donner au Reich une profondeur stratégique en encourageant sur les marges non russes de l'empire des Tsars la constitution d'États tampons constituant pour le Reich et ses alliés une protection face à la Russie[4],[5].

Ainsi, dès les premiers jours du conflit, le chancelier du Reich Theobald von Bethmann Hollweg se montre partisan de voir le Reich contrôler l'ensemble des territoires allogènes de la partie européenne de l'empire russe, masqué derrière le paravent de l'émancipation, afin, notamment d'« éloigner la Russie le plus possible de la frontière allemande ». Durant le mois de , le chancelier et ses ministres définissent les régions à contrôler aux dépens de la Russie : la Finlande, les pays baltes, la Pologne, l'Ukraine jusqu'à Rostov-sur-le-Don[6].

Participants[modifier | modifier le code]

hommes en uniforme
Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff, ici en , assistent à la conférence.

Le chancelier du Reich Theobald von Bethmann Hollweg ouvre et clôt la conférence, mais n'assiste pas aux travaux[7]. Il est représenté par Arthur Zimmermann, secrétaire d'État aux affaires étrangères, assisté de ses principaux collaborateurs[8].

Lors de cette conférence, le commandement militaire est représenté par ses deux principaux animateurs, les Dioscures, Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff, ainsi que leur adjoint Max Hoffmann[7], l'homme « incontournable de l'Est », principal organisateur du front de l'Est[d],[9].

Discussions[modifier | modifier le code]

Divergences entre civils et militaires[modifier | modifier le code]

Rapidement, en dépit du souhait de neutraliser rapidement la Russie, les participants échouent à se mettre d'accord sur l'opportunité d'envoyer en Russie plus d'agitateurs pacifistes. Le , plusieurs trains transportant des leaders bolcheviks et mencheviks, notamment Lénine et Julius Martov, étaient déjà partis de Suisse vers la Russie, avec l'accord du Reich[10],[11],[12].

Ainsi, deux camps, existants depuis le début du conflit se cristallisent lors de cette rencontre, d'un côté les partisans de la déstabilisation durable de la Russie, de l'autre, les tenants de son simple affaiblissement, garanti par un traité de paix. Les militaires, appuyés par les nationalistes et les pangermanistes, aspirent à fermer définitivement le front de l'Est à n'importe quel prix ; le chancelier du Reich, appuyé sur la majorité des partis représentés au Reichstag, tente d'ouvrir des négociations avec le nouveau pouvoir russe pour garantir les conquêtes en Pologne et dans les pays baltes[13].

Des divergences indépassables[modifier | modifier le code]

Dans un contexte exacerbé par le conflit, ces divergences masquent en réalité les divisions profondes entre les pangermanistes et les nationalistes, d'une part, et les tenants d'un certain réalisme, d'autre part.

Dans ce cadre, les militaires, appuyés sur les milieux pangermanistes, affichent clairement leurs ambitions, souhaitant la réalisation d'un programme expansionniste maximal, obligeant le Reich et ses alliés à poursuivre la guerre jusqu'à la victoire totale contre ses adversaires, précisément à un moment où une telle victoire apparaît de plus en plus illusoire[14].

Face à eux, Bethmann-Hollweg, ses conseillers et la majorité sur laquelle il s'appuie au Reichstag depuis le déclenchement des hostilités souhaitent fixer des buts limités au conflit, de façon à permettre une sortie négociée, sans pour autant remporter une victoire totale sur la coalition adverse[8].

Décisions[modifier | modifier le code]

Neutraliser la Russie[modifier | modifier le code]

Portrait de Max Liebermann
Le diplomate Ulrich von Brockdorff-Rantzau, artisan du retour des Bolcheviks en Russie (portrait de Max Liebermann).

À Berlin, le gouvernement du Reich, les Dioscures et leurs principaux collaborateurs clarifient leur volonté de faire sortir la Russie du conflit.

Ainsi, sur les conseils d'Ulrich von Brockdorff-Rantzau, alors en poste au Danemark, Arthur Zimmermann obtient du chancelier non seulement l'autorisation d'encourager la propagande pacifiste en Russie, mais aussi de faciliter le retour des Bolcheviks, afin d'« aggraver les dissensions entre modérés et extrémistes »[e]. Dans ce cadre, les représentants allemands en Suisse négocient avec Lénine les conditions de son retour garantissant à la fois son indépendance politique à l'égard du gouvernement du Reich et des subsides pour développer son action pacifiste[15],[16].

Parallèlement à cette action subversive, les diplomates parviennent à convaincre les militaires de ne plus lancer d'action d'envergure sur le front russe, afin d'éviter une réaction de la part de l'armée ; selon ces diplomates, l'armée allemande doit multiplier les opérations de faible envergure : ils espèrent ainsi non seulement épuiser progressivement l'armée russe sans susciter de sursaut nationaliste en Russie, mais aussi renforcer les partisans d'une paix négociée parmi les membres du nouveau gouvernement en place à Petrograd[17],[18].

Projets coloniaux[modifier | modifier le code]

Lors de cette réunion, sont précisément examinées les cartes des pays baltes ; à cette occasion doivent être définis une ébauche de planification territoriale pour la colonisation allemande de la Lituanie et de la Courlande[7].

Deux types de projets sont alors élaborés, le premier mettant en œuvre de vastes programmes d'expulsion des populations baltes pour installer à leur place des Allemands du Reich, le second privilégiant une « germanisation douce », visant à intégrer progressivement les Baltes au sein de la population allemande. Ainsi, les civils se placent explicitement dans la tradition bismarckienne, visant à assimiler les Polonais et les Baltes de ces régions au sein du Reich, tandis que Ludendorff aspire à un projet raciste et colonialiste visant à établir des communautés agraires germaniques dans ces régions[19].

À ce stade du conflit, ces projets demeurent peu élaborés, mais suscitent des débats intenses entre les civils, partisans de l'assimilation des populations baltes, et les militaires, essentiellement Erich Ludendorff, partisans de vastes expulsions, préalable à la mise en œuvre d'une colonisation de peuplement allemand dans les pays baltes[20].

Épuration ethnique[f][modifier | modifier le code]

carte administrative
Ludendorff souhaite mener une épuration ethnique sur les territoires de l'Ober Ost.

Pour la première fois, les responsables allemands présents, fortement influencés par les aspirations expansionnistes d'Erich Ludendorff, envisagent l'expulsion en grand nombre des populations slaves et baltes, préalable à la colonisation des régions baltiques déjà contrôlées par les armées du Reich ; Ludendorff souhaite également voir mis en place un calendrier des expulsions[7].

Les participants aspirent à germaniser les régions baltes, souhaitant expulser les populations baltes et slaves des anciens gouvernements d'Estonie, de Livonie, ainsi que de l'Ober Ost, une fois la guerre finie[10].

Cependant, cet horizon déplaît aux militaires. En effet, Ludendorff, dont l'entourage compte de nombreux Allemands de la Baltique, se montre partisan de commencer la réalisation de cet ambitieux programme colonial le plus rapidement possible : il planifie des expulsions massives des populations baltes et slaves, réalisant une véritable « épuration ethnique »[g], comme un préalable à la germanisation[21]. Le premier quartier-maître général[h] souhaite également voir mis en place un calendrier pour ces vastes transferts de populations[7],[21].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Entre la proclamation de l'Empire allemand, en 1871, et sa dissolution, en 1945, le nom officiel de l'État allemand est Deutsches Reich, désigné par la suite par le terme légal de Reich.
  2. À partir du mois d', le Reich et ses trois alliés sont regroupés au sein d'une alliance, la quadruplice.
  3. Inséparables l'un de l'autre aux yeux de l'opinion publique allemande, ces deux militaires sont assimilés aux Dioscures de la mythologie par la propagande de guerre.
  4. Max Hoffmann est par la suite le principal négociateur allemand des traités de paix avec la Russie et l'Ukraine, signés un an plus tard.
  5. Selon les termes du courrier adressé par Ulrich von Brockdorff-Rantzau à son ministre.
  6. Selon le mot de Fritz Ficher.
  7. En 1970, date de la publication de la traduction française de l'ouvrage de Fritz Fischer, l'expression « épuration ethnique » n'a pas le même sens qu'en 2019.
  8. Depuis le , Erich Ludendorff porte le titre de premier quartier-maître général de l'Armée allemande.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Fischer 1970, p. 374.
  2. Lacroix-Riz 1996, p. 28.
  3. Renouvin 1934, p. 431.
  4. Renouvin 1934, p. 199.
  5. Baechler 2012, p. 53.
  6. Fischer 1970, p. 123.
  7. a b c d et e Lopez et Otkhmezuri 2019, p. 32.
  8. a et b Fischer 1970, p. 355.
  9. Laparra et Hesse 2011, p. 336.
  10. a et b Fischer 1970, p. 350.
  11. Carrère d'Encausse 1998, p. 254-256.
  12. Service 2000, p. 253-262.
  13. Fischer 1970, p. 345.
  14. Fischer 1970, p. 349.
  15. Fischer 1970, p. 375.
  16. Fischer 1970, p. 377.
  17. Fischer 1970, p. 376.
  18. Renouvin 1934, p. 421.
  19. Fischer 1970, p. 353.
  20. Fischer 1970, p. 356.
  21. a et b Fischer 1970, p. 352.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]