Compagnie internationale pour l'informatique — Wikipédia

Compagnie internationale pour l'informatique
logo de Compagnie internationale pour l'informatique

Création 1966
Disparition 1975 (fusion avec Honeywell-Bull)
Siège social Drapeau de la France France
Activité Informatique

La Compagnie internationale pour l'informatique (CII, sigle prononcé « cé deux z'i ») est une société privée française créée en décembre 1966, dans le cadre du plan Calcul, lancé par le gouvernement du général de Gaulle. Absorbée par Honeywell-Bull en 1975, elle devint partie de CII Honeywell-Bull, rebaptisé Bull en 1982.

Histoire de la CII[modifier | modifier le code]

Le contexte à la création[modifier | modifier le code]

Contexte commercial[modifier | modifier le code]

La CII a une double mission : l'informatique scientifique et l'informatique de gestion, deux domaines parfois très divergents, alors tous deux dominés par deux grands constructeurs d'ordinateurs :

  • Le géant mondial de l'informatique IBM qui se désintéresse cependant des supercalculateurs. Il préfère accroître encore son emprise sur l'informatique de gestion. Son grand système IBM 360 accroît sa part du marché mondial à partir de 1966. Le prédécesseur, l'IBM 1401, a déjà préparé le terrain. En France, par exemple, il a dominé l'ordinateur Gamma 60 de Bull, pénalisé par des retards dans le développement du système d'exploitation[4], c'est l'Affaire Bull[5]. Ployant sous une dette multipliée par six au début des années 1960[6], Bull affiche 205,7 millions de francs de pertes en deux ans[7] en 1964 et alignera au total six années de pertes[6]. Le premier constructeur français et européen, exsangue, n'a plus les moyens d'investir.

Face à IBM, à Bull-GE et à Control Data, l'État français cherche à développer une capacité technologique française. En complément, il crée l'INRIA et le Comité de recherche en informatique, qui ont pour vocation, entre autres, d'aider la CII sur le plan de la recherche.

Contexte militaire et nucléaire[modifier | modifier le code]

Dans le domaine militaire, la CII doit livrer des calculateurs pour le char Pluton[8], qui sera livré en 1974, et le sous-marin nucléaire français, Le Redoutable, qui sera livré en 1971[8]. L'État fixe à la CII un calendrier de livraison de deux ordinateurs militaires. En 1969, lorsque la France quitte le commandement militaire de l'OTAN, celui-ci cède à la CII ses bâtiments de Louveciennes, dans les Yvelines.

Le gouvernement souhaite aussi accélérer le programme nucléaire français : six réacteurs EDF sont mis en service de 1966 à 1971, date à laquelle le nucléaire fournira 5 % de l'électricité en France[8]. Comme ils produisent en continu, nuit et jour, indépendamment des variations dans la demande d'électricité, ces nouveaux réacteurs bouleversent les équilibres du Réseau de transport d'électricité, ce qui nécessite des calculs décentralisés et centralisés à la fois, en temps-réel, dans tout le réseau électrique. La CII y trouvera son marché le plus stimulant[évasif], dans le domaine de l'informatique distribuée, avec le Mitra 15 et ses fonctionnalités réseau. Les banques, la SNCF, Air France, la SITA, sont aussi en phase d'équipement. Les PTT choisissent des ordinateurs de marques diverses[9].

En décembre 1964, le quotidien Washington Post révèle que le gouvernement américain a, dès le printemps 1963, et à la demande du Pentagone, écarté une commande de Control Data 6600 par le Commissariat à l'énergie atomique français, jugée non-conforme aux clauses du Traité de Moscou contre la dissémination des armes nucléaires dans le monde.

Le CEA a des gros ordinateurs IBM, mais moins intéressants et rapides que les machines de Control Data. Les scientifiques s'attendent à de nouveaux progrès importants dans la conception des supercalculateurs.

Contexte actionnarial et financier[modifier | modifier le code]

La CII, société privée, a pour actionnaire des industriels privés. En échange de ses subventions, l'État exige qu'ils fusionnent leurs filiales, des petites sociétés françaises, aux produits parfois concurrents, qui ont pour client l'État:

  • la Compagnie européenne d'automatisme électronique (CAE), filiale commune de la CGE et de CSF, qui a une licence SDS. Elle s'était alliée en 1960 avec Intertechnique et TRW pour fonder la CAE, et passa en 1964 un accord avec la CGE et Intertechnique pour créer la CITEC (Compagnie pour l'Informatique et les Techniques Électroniques de Contrôle), holding qui chapeaute diverses filiales impliquées dans les automatismes[10]. Dès 1963, le gouvernement, désireux de constituer un pôle français de l'informatique, fit appel à la CSF, finalement amenée à se désengager au profit de l'américain General Electric[10] et la CSF sortira ternie de l'affaire;

Les grands actionnaires de ces petites sociétés sont réticents au projet CII :

  • Thomson-CSF, l'une des vingt premières entreprises françaises, souhaite imposer à la CII les composants, pas toujours adaptés, de sa filiale Sescosem, créée en 1969 par fusion de SESCO (filiale de CSF, déficitaire) et COSEM (filiale de Thomson, positionnée sur le bas de gamme). La CSF a annoncé de lourdes pertes en avril 1967 et fusionné quatre mois après avec Thomson.

Contexte technologique[modifier | modifier le code]

La CII a été créée au moment d'un bond technologique, celui du recours aux circuits intégrés. Mais elle aura souvent du mal à se fournir aux prix et qualités espérés, faute de fournisseurs français assez disponibles. Ses premiers ordinateurs comportent 90 % de circuits intégrés américains, en particulier ceux de Texas Instruments. En 1972, un « plan électronique professionnelle » vise à moderniser les usines françaises de semi-conducteurs. Trop tardif, il met du temps à porter ses fruits : taux de couverture des besoins nationaux de 117,6 % seulement en 1979 contre 98,5 % en 1970"[11].

Les débuts de la CII[modifier | modifier le code]

Entre 1962 et 1967, le quasi-monopole d'IBM s'est érodé : sa part de marché mondiale passant de 80% à 50%. Trois nouveaux acteurs plus innovant dans l'informatique de calcul en ont 27,5% en 1967: Rand, NCR, et surtout Control Data de l'Américain Seymour Cray, qui a révolutionné la puissance de calcul[12].

Elaboré très vite en 1966, le Plan Calcul voit la création d'un Institut national de recherche en informatique et en automatique (IRIA), futur Inria et trois sociétés, l'une pour les périphériques, l'autre pour les composants électroniques, par fusion des filiales de Thomson et de CSF[13] et la troisièmé, la CII, par la fusion imposée par l'État à trois de ses fournisseurs privés[13]. En plus des conflits résultant de cette fusion, la CII ne peut compter sur des sociétés de service capables d'écrire un logiciel de système, qui n'existent pas encore, ni sur les universités, qui ne forment presque pas encore d'informaticiens. Des certificats de programmation sont mis en place dans les écoles d'ingénieurs.

La CII récupère les ordinateurs utilisés par ses actionnaires, développés en Californie par l'américain Scientific Data Systems (SDS), encore à technologie DTL dépassée, que la CII remplace par le TTL dans les nouvelles versions de l'Iris 80 à l'occasion d'un contrat spécial du CNET, avec le CS 40, une version TTL de l'Iris 80, mais non compatible à cause de contraintes édictées par les PTT.

Un premier gros ordinateur, appelé « l'Iris 50 en bois », avait été présenté dès le salon de l’informatique Sicob de septembre 1968. C'est encore une maquette d’exposition, équipée de périphériques d’origine américaine[13]. D'abord en partenariat avec le californien SDS puis seule, la CII développe ensuite les premiers ordinateurs commerciaux en circuits intégrés d’Europe[13](séries Iris, Mitra et Unidata).

Pour financer la croissance très rapide des ventes et des effectifs dans l'informatique de calcul, il faut rechercher plus de clients privés dans l'informatique de gestion, moins ambitieuse mais qui rapporte immédiatement, voire les favoriser outrancièrement, au prix de la réputation de l'entreprise. En 1969 par exemple, la CII est venue à l'IRIA, son voisin à Roquencourt, enlever un bloc mémoire de l'Iris 50, afin de le donner à un client privé en difficulté[14].

Conçu par la CII en 1971 par une équipe dirigée par Alice Recoque[15],[16], pour la commande de procédés industriels, le Mitra 15 fut ainsi également utilisé comme nœud de Cyclades (réseau), et comme "frontal" dialoguant avec l’ordinateur central Iris 80 [17], en combinant sa puissance de calcul, inspirée par l'américain Seymour Cray et sa société Control Data, à une décentralisation des ressources.

Deux modèles (Mitra 15-20 et Mitra 15-30) furent livrés à partir de 1972, suivis du Mitra 15 et du Mitra 125, avec des capacités d’adressage étendues.

Les ordinateurs Mitra 15 furent fabriqués à partir de 1971 par la Division petits ordinateurs et applications spécialisées (DPOAS)[17], qui n'existait pas au début du Plan Calcul[17], dirigée par Michel Chaussedoux, qui réfère à Pierre Guichet, directeur général adjoint de CI, dans le cadre d'une filialisation[18]. Le volume de production est important pour l'époque, un millier d'exemplaires, dans l'usine de Toulouse de la CII[17]. Le succès de ce mini-ordinateur encourage les machines encore plus petites : le T1600, qui comme le Mitra 15 est installé dans 29 lycées lors du premier plan d'informatisation. Destiné lui aussi à l'automatisation d'expériences scientifiques, microprogrammé à mémoire à tores de ferrite, il a un volume de 3 m3. La Télémécanique le remplace par le SOLAR 16, conçu en 1973 par l'équipe franco-américaine de Jesse T. Quatse[19], vedette du SICOB de septembre 1975. Avec une centaine de millions de francs sur les calculateurs industriels[19], il atteint le 2e rang mondial en mini-ordinateurs, faisant même jeu égal en Europe avec les PDP-11[19] de Digital Equipment (DEC).

Parallèlement, l'Institut national de la recherche agronomique commande le premier micro-ordinateur de l'histoire, en , au bureau d'études français R2E, dirigé par André Truong [20] pour un système de mesure et de calcul de l'évapotranspiration des sols. Axé sur le microprocesseur Intel 8008, présenté en avril 1972 par Intel mais sans pouvoir le livrer au Datapoint 2200, le Micral est lui livré en janvier 1973, beaucoup plus léger et moins cher que le mini-ordinateur PDP-8[21], de Digital Equipment, entré en Bourse en août 1966.

L'usine de Toulouse de la CII sera cédée en 1975-1976 à la SEMS[17], filiale de Thomson, qui l'obtient, en compensation de la perte de son droit de contrôle de la CII-HB[22], laissée à la CGE, lors de sa fusion avec Honeywell, "organisée dans un amoncellement hétéroclite"[22]. Thomson s'associe au même moment à la Télémécanique et son Solar[22].

Les deux produits coexisteront à la SEMS, la fabrication des Mitra 15 étant transférée à Crolles, où est produit aussi le Solar (ordinateur). Son prédécesseur le T1600 était produit tout près, à Echirolles, ses cartes à Carros (Alpes maritimes) et l'assemblage effectué à Crolles (Isère)[23].

Cette gamme se retrouve en compétition avec le Level-6, rebaptisé Mini 6, fabriqué sous licence Honeywell par CII-HB[17], à Brighton et à Angers pour les circuits, tandis que l'assemblage sera transféré en 1981 à Joué-lès-Tours.

Pour assurer une continuité technologique au Mitra 15 et au Solar, la SEMS maintient des équipes d'ingénieurs à Louveciennes[17], à deux pas celles de l'IRIA et de la CII à Roquencourt.

L'actionnaire américain de la CII est critiqué pour avoir soutenu son Level-6 contre le Mitra 15 et le Solar 16, qui perce sur le marché mondial. Devenu "parent pauvre"[22], le Mitra manque alors de crédit et son développement s'asphyxie[22]. Au total 8 000 exemplaires du Mitra 15 seront fabriqués[19] contre 16 000 pour le Solar 16 (ordinateur)[19], arrivé plus tard sur le marché, dans une période de plus forte croissance, et dopé par le marché de la réalisation du réseau de contrôle aérien Chinois[19]. En 1978, CII Honeywell-Bull finalise l'achat du Micral[24].

La fusion des équipes de Télémécanique avec celles de Thomson modifie les orientations stratégiques, d'autant que la visibilité sur la concurrence avec les mini-ordinateurs de CCI HB est assombrie. Elle provoque le départ de nombreux ingénieurs qui avaient développé le Solar dans les deux usines de Grenoble, et seront à l'origine de créations d'entreprises contribuant au démarrage de la ZIRST.

Parallèlement, le réseau commercial du nouveau groupe issue de la fusion (CCI HB) limita les ventes des Mitra à la continuation des affaires entamées avant la fusion, le marché de "process control" n'ayant guère été pénétré en France par le DPS-6.

Une stratégie basée sur les partenariats internationaux et l'innovation[modifier | modifier le code]

À sa création, la CII doit se distinguer sur des marchés où IBM et Control Data l'attendent de pied ferme. Elle joue de la crainte que le monopole d'IBM inspire dans les pays socialistes et en voie de développement, pour y profiter de la vague d'investissements des années 1960. Et elle passe très tôt avec Control Data des accords de partenariats.

La stratégie d'innovation[modifier | modifier le code]

Créée en 1966 de toutes pièces à partir de petites sociétés, la CII investissait encore, six ans après sa création, 20 % de ses ventes en études, contre 6 % à 7 % pour la concurrente Bull[25], qui avait toutefois des revenus trois à quatre fois supérieurs. L'État ne subventionne qu'une partie de cet effort. Il faut donc trouver très tôt des recettes[26].

La CII commença par fabriquer, comme la CAE dont elle hérite, des ordinateurs américains sous licence: le Sigma 7, de SDS, qui deviendra le CII 10070, et son petit frère Sigma 2, rebaptisé CII 10020. La CII est subventionnée pour développer de toutes pièces un informatique de calcul, sans pouvoir se reposer, comme IBM, sur les bénéfices de l'informatique de gestion. Afin de s'assurer au moins quelques revenus commerciaux, elle doit commercialiser des versions des Iris 50 et Iris 80 correspondant au milieu de la gamme 360 d'IBM, qui a alors un quasi-monopole. Le système d'exploitation du CII 10070 est ainsi utilisé, mais remanié, pour l'adapter aux applications de gestion, en y ajoutant une structure favorisant les transferts d’information entre la mémoire principale et l’environnement extérieur, afin, éviter l’étranglement du débit des informations au niveau des accès en mémoire[27]. Faute de percer dans l'informatique de gestion, ce système d'exploitation Siris 7, sera vendu le 30 octobre 1970 à Scientific Data Systems[27], qui n'en fera rien, la CII préférant investir dans une architecture nouvelle, avec le travail de l'équipe de Jean Ichbiah et Claude Boulle, en incluant des fonctions de routage, par la couche logicielle Transiris : il devient Siris 8, utilisé avec un processeur (1971), puis deux (1974).

Dès 1971, la CII a ainsi développé ses propres modèles, conçus pour les nouveaux besoins scientifiques : Mitra 15 (plus tard en versions 115 et 215), Iris 50 (plus tard en Iris 45 et Iris 60) et Iris 80.

La CII a développé des langages innovants (ADA et projet SFER) et investi très tôt dans les réseaux informatiques à distance. Une première démonstration, en 1968, relie le Sicob de La Défense à son siège. Elle a contribué, par ses mini-ordinateurs et sa coopération technique à la réalisation du réseau Cyclades, basé sur la technologie du datagramme, hébergé à l'IRIA. En novembre 1973[28], la première démonstration du réseau Cyclades relie trois ordinateurs en réseau, deux Mitra 15 de la CII en région parisienne et un IBM 360 à l'IMAG de Grenoble. En 1975, ce réseau connecte 25 ordinateurs des principaux centres de recherche français partenaires mais aussi de Rome et Londres[28]. La CII a participé à l'expansion du réseau Cyclades et développé sa propre Distributed System Architecture qui aura ensuite pour concurrentes Decnet, de DEC, et de la SNA d'IBM.

Plus technicienne que marchande, la CII n'a cependant pas atteint une rentabilité suffisante, ni un parc d'utilisateurs assez ancien, qui lui auraient permis plus d'autonomie de décision vis-à-vis de ses maisons-mères, Thomson et CGE.

La stratégie internationale[modifier | modifier le code]

En 1968 et 1969, deux jeunes ingénieurs de la CII, Gérard Deloche et Michel Elie, reçoivent des bourses du Comité de recherche en informatique pour étudier à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), où ils sont les deux seuls européens membres du Network Working Group, créé en 1968 pour concevoir les premiers protocoles de l'Arpanet.

Michel Elie, qui a participé à la première liaison Arpanet en 1969, est chargé de développer à la CII la New Network Architecture, créée en 1970. Elle deviendra la Distributed System Architecture, appelée aussi "DSA-ISO", car reconnue en 1978 par les instances internationales pour constituer le nouveau Modèle OSI, l'un des ancêtres d'Internet, avec Arpanet.

Dans les pays de l'Est, la CII a réalisé « une percée estimée à un milliard de francs »[29] en 1974. L'Iris 50 a été construit sous licence en Roumanie, à partir de 1968[30], en tant que Felix C256, et livré à Cuba, la Chine et la Corée du Nord. Des coopérations importantes ont été signées avec la Russie[30], l'Algérie et le Chili de Salvador Allende.

Dès 1970, la CII a un développement suffisant pour se rapprocher d'autres constructeurs européens : l'anglais ICL, né en 1968 de la fusion de plusieurs constructeurs, dont International Computers and Tabulators (ICT) est sollicité. En novembre 1970, un accord est trouvé, qui associe aussi Control Data : c'est le consortium "Multinational Data", basé à Bruxelles[31], qui renonce cependant à aller trop loin, Control Data craignant qu'IBM ne s'en serve contre lui dans le cadre de leur conflit juridique.

Entre 1969 et 1973, Siemens et Philips déposent un grand nombre de brevets dans le domaine des semiconducteurs[32] et se rapprochent de la CII. En janvier 1972, c'est Siemens qui a sollicité la CII, suivi par Philips. Tous trois forment le consortium Unidata, créé pour mieux concurrencer IBM en Europe. Siemens exigeant la compatibilité IBM pour les nouveaux développements, CII sacrifie ses systèmes d'exploitation. Unidata souhaite alors devenir un « Airbus de l'informatique. »

En 1975, le gouvernement de Valéry Giscard d'Estaing, confronté au premier choc pétrolier et à la pression d'un des deux actionnaires de la CII, Ambroise Roux, pdg de la Compagnie générale d'électricité, se retira d'Unidata.

En 1973, la CII a 8 000 employés et une production honorable en qualité et quantité, mais insuffisante pour la rentabiliser. Les actionnaires refusent toute augmentation de capital, pourtant trop faible par rapport à ses actifs industriels.

En 1973, Siemens abandonne à la CII ses agences commerciales en France, CII fait de même en Allemagne et chacun commence à étudier sa machine de milieu de gamme pour la CII. L'accord prévoit de définir en commun une gamme de machines micro-programmées, compatibles avec les IRIS de la CII, les 4004 de Siemens et les machines IBM, et de partager les frais d'études.

Philips, le constructeur hollandais, offre de prendre sa part au capital d'Unidata et d'apporter un modèle bas de gamme. La proposition est difficile à refuser car le gouvernement français se veut sincèrement européen. L'inconvénient est qu'il faut rallonger les microprogrammes d'une quatrième variante, compatible avec la famille Philips P1000.

Philips prépare sans attendre la construction en Belgique de sa future version d'Unidata, avec des circuits Philips et un logiciel Siemens, puis commence à commercialiser ses petites machines de bureau, incompatibles, avec une étiquette Unidata, jugée tout à fait abusive.

La création d'Unidata prévoit une augmentation de capital, via la CII, que l'un de ses deux principaux actionnaires, la CGE, refuse, car Siemens et Philips lui semble un adversaire dans l'activité qui l'intéresse le plus, le téléphone.

« Dès son élection en 1974, Valéry Giscard d'Estaing supprime la Délégation à l'informatique qui soutenait Cyclades », et la remplace par une administration « défendant clairement les machines d'Honeywell Bull contre celles de CII qui équipaient Cyclades »[33] . Les conseillers de Valéry Giscard d'Estaing poussaient à ce qu'Unidata soit cassé, sous la pression de lobbies effectuant du marchandage de projets[33], du marchandage de crédits[33], ce qui met en colère les Allemands de Siemens qui avaient même fermé leurs filiales informatiques[34]. Entre-temps, l'intervention d'un troisième participant, Philips, plus désireux de profiter du sigle que de respecter des spécifications, a affaibli Unidata.

Puis Louis Pouzin reçoint une lettre d’André Danzin, son supérieur; directeur de l’IRIA, qui me disait "qu’il ne fallait plus que je m’occupe de réseaux", car il "avait ordre d’écrire cela de la part du ministère de l’Industrie[34]. Louis Pouzin a cependant continué à faire fonctionner Cyclades sans aucun support, ni budget, jusque vers 1978, avec des bénévoles et différentes équipes de recherche qui se servaient du réseau[34].

La même année, il fit absorber la CII par Bull-Honeywell, constituant CII Honeywell-Bull, contre l'avis du PDG de la CII Michel Barré et de l'un des actionnaires, Thomson, qui se rallie ensuite au choix imposé. Les développements Unidata sont stoppés, alors que le consortium a 13,2 %[35] des ventes d'ordinateurs européens en 1973, et 9,8 % du parc européen.

L'évolution des ventes, des bénéfices, des subventions et des effectifs[modifier | modifier le code]

Année Salariés Chiffre d'affaires
1967 3 200 264 millions
1968 4 000 285 millions
1969 4 500 367 millions
1970 5 000 509 millions
1971 5 500 655 millions
1972 7 500 800 millions
1976 18 651[36],[note 1] NC
1977 18 043[36],[note 2] 3,7898 milliards[36]
1978 18 262 4,45 milliards[36]

La croissance de la CII est très rapide pendant ses trois premières années d'existence. En cinq ans, les effectifs sont multipliés par 2,5 et les ventes par 3,5.

En 1976, après la fusion avec Honeywell, ce dernier obtient du gouvernement un relèvement important de la subvention annuelle versée à la CII-HB, qui emploie alors plus de 18 000 personnes, dont 13 770 en France. De 1977 à 1980, les subventions totalisent 812 millions de francs, pour des bénéfices cumulés de 724 millions.

Ensuite, les ventes décollant, chaque année, le gouvernement divise par deux la subvention et l'efface presque en 1980, l'année qui voit un nouvel actionnaire, Saint-Gobain, demander un relèvement du dividende, la part du résultat net distribuée montant à 40 % puis à 50 %, « affaiblissant sérieusement la trésorerie de la société. » La forte croissance bute sur un os, en 1980, lorsque l'entreprise ne parvient plus à faire face à la demande du Mini 6. Au moment où elle investit 50 % de plus que l'année précédente, l'apport net de ses bailleurs de fonds (état et actionnaires) est devenu négatif[37]. L'effectif dépasse 20 000 personnes, en hausse de seulement 12 % en cinq ans alors que le chiffre d'affaires a doublé et les parts de marché augmenté[38], avec une croissance moyenne de 19 % par an contre 15 % pour le marché et 12 % pour IBM[39].

Cependant, manquant de fonds propres, la société est « prise à la gorge par le financement »[40]. Ne parvenant pas à faire face à la demande de Mini 6, car l'usine d'Angers est sous-dimensionnée[41], la CII-HB est contrainte de passer une provision d'un demi-milliard de francs, avec la révision de tous les DPS 7[42], ainsi que d'autres, pour risques et pour restructurations, de 400 millions de francs. Ces provisions se traduisent par une perte nette de 1,44 milliard de francs et, l'année suivante une dotation au capital du même montant.

Année 1977 1978 1979 1980 1982
Salariés 18 043 18 262 19 054 20 267 21 864
Chiffre d'affaires 3,78 milliards 4,46 milliards 5,13 milliards 6,10 milliards 7,35 milliards[26]
Cash flow[37] 660 millions 791 millions 780 millions 812 millions NC
Investissements 750 millions 921 millions 968 millions 1,399 milliard NC
Subvention 460 millions 212 millions 110 millions 20 millions Non versée
Résultat net 144 millions 190,4 millions 210 millions 180 millions –1,44 milliard[note 3]
Résultat net moins subvention (en % des ventes) –8,3 % –0,71 % 1,9 % 2,62 % –19 %
Dividendes[37] 54 millions 40 millions 58 millions 63 millions Aucun
Apport des actionnaires[37] 104 millions 100 millions 101 millions Aucun NC
Apport des actionnaires (moins dividendes) 60 millions 60 millions 43 millions –63 millions NC

PDG successifs[modifier | modifier le code]

Dates clefs[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. dont 14 304 en France (incluant Honeywell).
  2. dont 13 776 en France.
  3. Dont 1 milliard de provisions comptables.

Références[modifier | modifier le code]

  1. "Seymour Cray – A Man Whose Vision Changed the World" [1]
  2. Jacques Jublin, Jean-Michel Quatrepoint et Danielle Arnaud, French ordinateurs : de l'affaire Bull à l'assassinat du plan Calcul, éditions Alain Moreau, 1976
  3. (en) Robert Sobel, The Big Board: A History of the New York Stock Market (lire en ligne), p. 361
  4. Brulé 1993, p. 91
  5. Georges Vieillard, L'Affaire Bull, 1969
  6. a et b Brulé 1993, p. 365
  7. "Le « plan Calcul » par François-Henri Raymond [2]
  8. a b et c Du CAE 130 à IRIS 65M : six ans de la division militaire de CAE-CII par Philippe Denoyelle [3]
  9. Réminiscences, blog de Pierre Imbert
  10. a et b Fagot, op. cit., p. 558-559.
  11. "Ruptures ou continuités dans la politique industrielle française en électronique ?" par Jean-Louis Perrault, et Sidy Modibo Diop dans la Revue d'économie industrielle 1983 [4]
  12. "Histoire de l'Informatique par la Fédération des Équipes Bull [5].
  13. a b c et d "50e anniversaire du Plan Calcul", par Pierre Mounier-Kuhn, CNRS & Université Paris-Sorbonne, dans Le Monde du 1 2 avril 2017[6].
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  15. « 50e anniversaire du Plan Calcul », sur binaire (consulté le ).
  16. « Elles ont marqué l'histoire de la technologie : Alice Recoque, le génie informatique à la française », sur FIGARO, (consulté le ).
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  18. Numéro 21 de la revue d’information interne CII Informations, été 1973 [8],
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  20. « Le saviez-vous : le premier micro-ordinateur de l'histoire est né de la rencontre entre l'agronomie et l'informatique - Agrisalon », sur www.agrisalon.com (consulté le ).
  21. Un PDP-8 4K coûte en 1972 près de 45 000 FF soit 43 026 euros en 2011, calcul effectué via le site France Inflation.
  22. a b c d et e "Mémoires volées", par Jean-Hervé Lorenzi et Eric Le Boucher, page 116, aux Éditions Ramsay, 1979.
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  25. Jublin, Quatrepoint et Arnaud 1976, p. 130
  26. a et b Histoire de la CII, par Bruno Dallemagne : tome 1 (1966-1972), tome 2 (1973-1976), tome 3 (dossiers spécifiques), sur le Site de la Fédération des équipes de Bull [10]
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  28. a et b "Entretien avec Louis Pouzin", par Isabelle Bellin, le 19/03/2007
  29. Jublin, Quatrepoint et Arnaud 1976, p. 127
  30. a et b Jublin, Quatrepoint et Arnaud 1976, p. 126
  31. Jublin, Quatrepoint et Arnaud 1976, p. 77
  32. "The Semiconductor Business: The Economics of Rapid Growth and Decline" par Franco Malerba
  33. a b et c Jean-Pierre Hourdeau, « Histoire de l’Internet : les origines françaises de l’Internet », entretien de Louis Pouzin
  34. a b et c "Entretien avec Louis Pouzin", réalisé par Claudia Marinica et Marc Shapiro, dans le Bulletin de la société informatique de France – numéro 6, juillet 2015 informatique-de-france.fr/wp- content/uploads/2015/07/1024- no6-pouzin.pdf
  35. Jublin, Quatrepoint et Arnaud 1976, p. 133
  36. a b c et d Histoire de la CII (3) Période 1972-1975, par Bruno Dallemagne, sur le site de la Fédération des équipes de Bull [11]
  37. a b c et d Brulé 1993, p. 372
  38. Brulé 1993, p. 171
  39. Brulé 1993, p. 221
  40. Brulé 1993, p. 222
  41. Les Nouvelles Technologies de l'information rapport d'information (1997-1998) de René Trégouët, Sénat
  42. Brulé 1993, p. 238
  43. a b c et d Histoire d'un pionnier de l'informatique : 40 ans de recherche à l'Inria, par Alain Beltran, Pascal Griset, page 129 [12]
  44. Quarante ans après : mais qui donc créa l’internet ? par Michel Elie, sur le site de l'association VCAM [13]
  45. La France en réseaux (1960-1980), par Valérie Schafer (tome 1, page 71), extraits repris sur le site de Laurent Bloch [14]
  46. La France en réseaux (1960-1980), par Valérie Schafer (tome 1, page 72), extraits repris sur le site de Laurent Bloch [15]
  47. LE RÉSEAU CYCLADES ET INTERNET : QUELLES OPPORTUNITÉS POUR LA FRANCE DES ANNÉES 1970 ?, par Valérie Schafer. Professeur agrégée, doctorante à l'université de Paris IV-Sorbonne, Comité d'histoire du ministère des Finances, Séminaire Haute Technologie du 14 mars 2007, page 2 [16]
  48. Entretien avec Louis Pouzin, par Isabelle Bellin, sur Interstices [17]