Communisme — Wikipédia

Karl Marx, théoricien du communisme.
Vladimir Ilitch Lénine, fondateur de l'URSS.
Mao Zedong et Joseph Staline, deux des principaux dirigeants d'États communistes du XXe siècle.
Che Guevara, révolutionnaire marxiste argentin, une figure de la révolution cubaine.
Manifestation du Parti de la refondation communiste italien en 2007.

Le communisme (du latin communis – commun, universel) est initialement un ensemble de doctrines politiques, issues du socialisme et, pour la plupart, du marxisme, s'opposant au capitalisme et visant à l'instauration d'une société sans classes sociales, sans salariat, et la mise en place d'une totale socialisation économique et démocratique des moyens de production.

Dans son sens d'origine, le communisme est une forme d'organisation sociale sans classe, sans État et sans monnaie, où les biens matériels seraient partagés. Au XIXe siècle, le mot « communisme » entre dans le vocabulaire du socialisme. Il se rattache en particulier à l'œuvre de Karl Marx et Friedrich Engels — qui le reprennent à leur compte en 1848 dans le Manifeste du parti communiste — et, plus largement, à l'école de pensée marxiste, qui prône la fin du capitalisme via la collectivisation des moyens de production. En 1917, les bolcheviks, dirigés par Vladimir Ilitch Lénine, prennent le pouvoir en Russie lors de la révolution d'Octobre. Cet évènement change radicalement le sens du mot communisme : il désigne désormais un mouvement politique international, né d'une scission du socialisme, et qui se reconnaît dans le courant révolutionnaire incarné par les bolcheviks ainsi que dans l'interprétation du marxisme par Lénine. Le communisme se présente désormais comme la véritable expression politique du mouvement ouvrier, au détriment de la social-démocratie dont il est issu. Selon cette acception, le communisme constitue l'un des phénomènes les plus importants du XXe siècle[1], qui a pu être qualifié de « siècle du communisme » tant cette idéologie y a tenu un rôle moteur[2].

Lénine et ses partisans créent en 1919 l'Internationale communiste (dite Troisième Internationale, ou Komintern) afin de regrouper à l'échelle internationale les partisans de la Russie soviétique. L'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), fondée en 1922 pour fédérer les territoires de l'ex-Empire russe, dirige via le Komintern les activités des partis communistes du monde entier : elle domine ainsi la mouvance communiste, malgré l'existence de courants dissidents, et de critiques la qualifiant de capitalisme d'État. Après le reflux de la vague révolutionnaire internationale de 1917-1923 et la mort de Lénine en 1924, Joseph Staline s'impose comme le dirigeant de l'URSS face à Léon Trotski, et oppose à l'internationalisme de la révolution permanente sa doctrine du « socialisme dans un seul pays ».

En 1941, durant la Seconde Guerre mondiale, l'URSS est attaquée par l'Allemagne nazie, avec laquelle elle avait conclu un pacte deux ans plus tôt. Les troupes soviétiques jouent alors un rôle déterminant dans la défaite du nazisme, notamment lors de la bataille de Stalingrad. Après-guerre, l'URSS accède au rang de superpuissance : elle occupe militairement l'essentiel de l'Europe de l'Est, dont les pays deviennent des États communistes, formant le bloc de l'Est. La Chine bascule également dans le camp communiste en 1949. Le rideau de fer qui sépare l'Europe et la progression spectaculaire du communisme amènent le monde à se diviser en « blocs » rivaux : la guerre froide oppose ainsi durant plusieurs décennies les pays communistes au « monde libre », au sein duquel les États-Unis constituent la superpuissance rivale de l'URSS. La Chine de Mao Zedong occupe quant à elle une place à part après la rupture sino-soviétique. À l'apogée de l'influence du communisme dans le monde, un tiers de l'humanité vit dans des pays communistes[3].

Dans les années 1980, l'URSS tente de remédier à ses difficultés économiques et politiques en lançant un mouvement de réformes, la perestroïka : mais ce processus de libéralisation aboutit à l'effondrement général des régimes communistes européens entre 1989 et 1991. Par la suite, bien qu'en net déclin[4], le communisme ne disparaît pas : si des partis anciennement communistes ont adopté d'autres identités, d'autres ont conservé leur nom et sont associés au pouvoir dans certains pays. À Cuba, au Viêt Nam, au Laos et en Corée du Nord, des pays se réclamant du communisme existent encore, sans se conformer à un mode de gouvernement unique. La Chine, pays le plus peuplé de la planète, est toujours dirigée formellement par un Parti communiste ; convertie à l'économie de marché, elle est aujourd'hui l'une des principales puissances mondiales.

En tant que dictatures à parti unique, les régimes se réclamant du communisme se sont tous rendus coupables de violations des droits de l'homme ; certains, comme l'URSS sous Joseph Staline et la Chine sous Mao Zedong, ont commis des crimes de masse, le nombre de leurs victimes s'élevant à plusieurs millions de morts. Le bilan historique du communisme, qui englobe un ensemble de réalités très différentes les unes des autres, demeure cependant, du fait même de sa complexité, contrasté et polémique. Le communisme a fait l'objet de diverses approches historiographiques concurrentes, longtemps handicapées par la difficulté d'accès aux documents et par les contextes politiques nationaux et internationaux. La fin de la guerre froide et l'ouverture des archives du bloc de l'Est ont depuis bouleversé le champ des études sur le communisme, sans mettre fin à toutes les controverses autour du sujet.

Définitions et concepts associés[modifier | modifier le code]

Le vocable de communisme est polysémique et, par son histoire, associé à un vaste ensemble de notions. Le mot désigne à l'origine une forme théorique de société égalitaire, ainsi que les courants d'idées qui se réclament de ce concept. Ensuite, par extension, il désigne un grand nombre de réalités concrètes, qui englobent un ensemble de pratiques politiques, de formations partageant les mêmes références idéologiques, d'organisations sociales et économiques, de régimes politiques et de phénomènes culturels. Ainsi, selon les contextes, le mot « communisme » peut désigner une idéologie, un engagement au sein d'un parti politique, un mouvement révolutionnaire, un régime politique, ou une organisation sociale[1].

Le Larousse donne les définitions suivantes du mot communisme : « Théorie visant à mettre en commun les biens matériels. Formation économique et sociale caractérisée par la mise en commun des moyens de production et d'échange, par la répartition des biens produits suivant les besoins de chacun, par la suppression des classes sociales et l'extinction de l'État qui devient l'administration des choses. Politique, doctrine des partis communistes ; forme d'organisation des pays où ces partis sont au pouvoir. Ensemble des partis communistes, des communistes »[5]. Le Grand Dictionnaire Encyclopédique de la langue française, publié aux éditions de la Connaissance, indique quant à lui : « Organisation d'un groupe social dans lequel les biens sont possédés en commun (vieilli) : le communisme d'un monastère. Doctrine d'inspiration religieuse ou utopiste prônant l'abolition de la propriété individuelle : le communisme de Thomas More. Pratique politique, définie par Karl Marx et Friedrich Engels, fondée sur une analyse de la société capitaliste et caractérisée notamment par la socialisation des moyens de production, l'État étant dirigé par le parti prolétarien et appelé à disparaitre au profit d'une société sans classes. Régime politique, économique et social mis en œuvre dans les États se réclamant du marxisme : le communisme chinois »[6].

Le communisme des XIXe et XXe siècles a souvent été rattaché par l'historiographie à des idées plus anciennes, remontant jusqu'à l'Antiquité. Ces dernières n'ont cependant pas de filiation politique directe avec le communisme récent, et ne constituent pas une famille de pensée cohérente avant l'époque contemporaine[2]. Depuis le début du XXe siècle, le mot est, pour l'essentiel, rattaché à une scission du socialisme et plus particulièrement à sa version léniniste. L'historien français Romain Ducoulombier souligne à ce titre l'importance de la rupture survenue après 1917 quant à la définition du communisme au sens contemporain du terme : pour lui, la « filiation pluriséculaire » du communisme, qui le fait remonter aux écrits d'auteurs comme Thomas More, est « complètement imaginaire » ; le « communisme de Lénine », qui correspond à la définition actuelle du mot, ne s'inscrit pas dans la lignée d'auteurs anciens, mais dans le prolongement des controverses politiques et théoriques du socialisme à la fin du XIXe siècle. L'adoption du nom de « communistes » par Lénine et ses partisans avait pour but de souligner leur volonté de se démarquer des réformistes, dans le contexte d'une scission de la famille socialiste et d'une révolution alors en cours en Russie[7].

Définition première et évolution du sens[modifier | modifier le code]

Sens d'origine[modifier | modifier le code]

À Utopia, la cité idéale imaginée au XVIe siècle par Thomas More dans son œuvre fondatrice, le libre consentement des citoyens (et pas seulement des prolétaires) relève du courant de pensée utopiste, différent du communisme moderne qui, pour sa part, admet la coercition comme moyen de faire évoluer les sociétés.

Dans son sens d'origine et d'un point de vue philosophique, le mot désigne une forme d'organisation sociale marquée par la mise en commun des biens. Il peut désigner au sens large « toute organisation économique et sociale dont la base est la propriété commune par opposition à la propriété individuelle » ; pris dans ce sens, le concept présente certains points communs avec la cité idéale telle que la définissait Platon dans La République[8],[9]. Il y écrit notamment : « Aucun d'eux ne possédera rien en propre, hors les objets de première nécessité »[10]. Cette notion est reprise par les stoïciens, dont notamment Sénèque lorsqu'il posa les bases de l'évergétisme romain : « Le bien commun est le fait du sage »[11] ou « L'homme est un animal social né pour le bien commun »[12].

Cette définition d'une société communiste s'est notamment développée dans la pensée utopiste dont Thomas More est, au XVIe siècle, le précurseur ; ce dernier n'envisage pas de moyens coercitifs pour y parvenir.

Au XVIIIe siècle, la philosophie des Lumières met en évidence l'idée d'un bien commun, à la suite du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Jean-Jacques Rousseau situe l'origine des inégalités dans la propriété. Il déclare que l'idée de bien commun est à l'origine d'une société bien constituée. « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la Terre n'est à personne »[13].

C'est dans Du contrat social, que Rousseau évoque plus clairement sa pensée à ce sujet : « la propriété n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant »[14], et ajoute que « le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit, et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe »[14]. Il comprend que l'origine de la propriété n'est qu'à rechercher dans la force. Dans le même ouvrage, il déclare les raisons de l'iniquité des lois, « les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n'ont rien »[14]. Sa pensée annonce l'avènement de la pensée communiste au XIXe siècle, et même dans un certain sens l'anarchisme, lorsqu'il dit : « quoi qu’il en soit, à l’instant qu’un Peuple se donne des Représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus »[14]. Sa théorie du contrat social relève d'une société sans État, dont les individus assemblés en Peuple seraient capables de se donner des droits (ayant un substrat commun) et de les respecter. « L'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté »[14].

Le passage à une telle société est conçu soit comme une application des principes égalitaires du christianisme — idée présente notamment chez des auteurs comme Étienne Cabet — soit comme un retour au communisme primitif dont certains postulent qu'il aurait été l'état originel des sociétés humaines[2],[15],[16],[17]. En 1869, le philosophe Ludwig Büchner décrit le communisme comme « un état social où, sans péril pour le but même de la société ou pour l'individualité de chacun, le travail dégagé de toute contrainte et purement volontaire, aurait uniquement pour but le bien de la communauté »[18].

Évolutions[modifier | modifier le code]

Garde d'honneur de jeunes pionniers devant un monument à la mémoire de Vladimir Ilitch Lénine, en URSS.

Durant la première moitié du XIXe siècle, on retrouve des idées communistes dans divers courants de pensée se réclamant de Gracchus Babeuf. L'aspiration au communisme est présente aussi bien chez des révolutionnaires radicaux comme Auguste Blanqui que chez des chrétiens comme Cabet et Wilhelm Weitling. Le mot communisme devient un élément des vocabulaires du socialisme - dont il désigne au sens plus large des formes radicales - et de l'anarchisme. Karl Marx et Friedrich Engels le reprennent à leur compte dans leur Manifeste du parti communiste (1848) ; il est par la suite associé plus nettement au marxisme, qui devient progressivement l'idéologie dominante du courant socialiste et social-démocrate européen. Pour Marx et ses continuateurs, le communisme est la forme que prendra la société future, à l'issue d'un processus historique sous-tendu par la lutte des classes et qui débouchera sur le renversement du capitalisme. Le terme communisme ne désigne pas, alors, un courant politique distinct du socialisme et de la social-démocratie. En 1890, dans la préface à une réédition du Manifeste, Engels explique que Marx et lui ont choisi en 1848 de se revendiquer comme communistes car le mot désignait alors, au sein du mouvement ouvrier, ceux qui exigeaient « que la société fût réorganisée de fond en comble »[15],[17]. À la fin du XIXe siècle, la notion de communisme est essentiellement rattachée à celle de collectivisme économique, qui désigne plus précisément les doctrines prônant la mise en commun des moyens de production[19] et plus particulièrement l'abolition de la propriété privée.

À la suite de la révolution d'Octobre, le mot communisme est rattaché, de manière prépondérante, à la tendance léniniste du marxisme. Vladimir Ilitch Lénine s'approprie dans ses écrits le terme « communisme » pour distinguer son parti et ses idées des autres familles politiques de gauche[20]. Dans L'État et la Révolution, rédigé avant la révolution d'Octobre, il souligne que « dans la mesure où les moyens de production deviennent propriété commune, le mot « communisme » peut s'appliquer également [dans la phase socialiste de l'« État prolétarien »] à condition de ne pas oublier que ce n'est pas le communisme intégral »[21].

Après leur prise de pouvoir et la naissance de la Russie soviétique, les bolcheviks se rebaptisent Parti communiste, afin de souligner leur caractère révolutionnaire et de se différencier désormais des sociaux-démocrates : Lénine souligne en 1919 que l'utilisation du mot « communisme » est « incomparablement plus forte » du point de vue du mouvement ouvrier, et qu'il permet de se distinguer de la IIe internationale agonisante. Pour lui, cependant, l'utilisation du terme communiste ne doit pas signifier que le « régime communiste », au sens de phase supérieure du socialisme, est réalisé[22].

À la suite des bouleversements que constituent la révolution en Russie et la création de l'Internationale communiste, le mot « communisme » désigne, de manière prépondérante, les partisans des bolcheviks et de l'URSS[15] : pris dans ce sens, le communisme est une scission du socialisme, qui reprend l'internationalisme de principe de sa mouvance d'origine et vise à propager la révolution à l'échelle mondiale. Les communistes ambitionnent de supplanter les socialistes comme porte-drapeaux du mouvement ouvrier ; ils reprennent par ailleurs à leur compte l'usage d'un certain nombre de symboles historiques et signes distinctifs du socialisme, comme l'usage du drapeau rouge et de la couleur rouge en général, ou le chant L'Internationale. Le mot désigne non plus uniquement la société sans classes et sans État censée représenter le dernier stade de l'évolution socialiste, mais l'ensemble des pratiques politiques et gouvernementales mises en œuvre par des régimes politiques se réclamant du marxisme-léninisme, et dans lesquels le Parti communiste local exerce le monopole du pouvoir. Il désigne également de manière plus large, l'ensemble des actions et des théories des partisans de cette idéologie. Les communistes continuent par ailleurs de se réclamer du socialisme, ce qui a occasionné de nombreuses confusions entre les mouvances socialistes et communistes et a permis à leurs adversaires de réaliser des amalgames entre elles[23].

Sur le plan économique, le marxisme prône la destruction du capitalisme et s'oppose par conséquent au libéralisme et à l'économie de marché : la propriété collective des moyens de production se traduit historiquement, dans les régimes communistes, par une économie étatisée, dirigiste et planifiée, où le secteur privé, pour autant qu'il soit autorisé, ne doit théoriquement jouer qu'un rôle limité. Les pays ayant connu une révolution communiste ont non seulement étatisé l'économie, mais également, du fait du caractère souvent peu développé de leurs économies, mis en œuvre des politiques d'industrialisation destinées à renforcer la productivité et à moderniser leurs sociétés[24].

Les anarchistes, au sein desquels le communisme libertaire (ou anarcho-communisme) demeure un courant important, continuent quant à eux de se réclamer de leurs propres conceptions du communisme[25], qu'ils présentent volontiers comme le seul communisme authentique, en opposition totale avec les conceptions léninistes[26].

Le concept de société communiste[modifier | modifier le code]

Visions chrétienne et anarchiste[modifier | modifier le code]

Pierre Kropotkine, théoricien anarcho-communiste.

Avant puis en parallèle à son utilisation par la théorie marxiste, la notion de société communiste a connu diverses définitions, principalement durant la première moitié du XIXe siècle. Du point de vue du communisme chrétien, notamment chez des intellectuels comme Étienne Cabet ou Wilhelm Weitling, il s'agit d'un retour à l'idéal égalitaire du christianisme, via le partage des biens matériels et l'égalité sociale absolue[27].

Aux yeux de Cabet, la société communiste sera instaurée sans violence et par le prosélytisme, aboutissant à un monde où chacun recevra une rémunération selon ses besoins, ce qui permettra de détruire tous les vices de la civilisation, tandis que le progrès de l'industrie permettra l'abondance : il s'agirait là de revenir aux conceptions de Jésus-Christ, « pionnier d'une organisation sociale appelée royaume de Dieu » qui préfigurait le communisme[28]. Pour définir les principes de sa cité idéale d'Icarie, Cabet utilise la formule « De chacun suivant ses forces, à chacun suivant ses besoins », qui connait alors, sous différentes variantes, une importante fortune dans les pensées socialiste et anarchiste[29].

Diverses communautés religieuses fondées sur le partage des biens matériels, comme celle des Shakers en Amérique du Nord, ont par ailleurs été assimilées, dès le XIXe siècle, à l'idée communiste : Engels, faisant abstraction de leur dimension religieuse, voyait en elles la preuve que la communauté des biens pouvait être réalisée de manière concrète[30].

Dans une optique anarchiste, Pierre Kropotkine voit pour sa part la société communiste libertaire comme un système fondé sur l'entraide, où les communautés humaines fonctionneraient à la manière de groupes d'égaux ignorant toute notion de frontière. Les lois deviendraient inutiles car la protection de la propriété perdrait son sens ; la répartition des biens serait, après expropriation des richesses et mise en commun des moyens de production, assurée par un usage rationnel de la prise au tas (ou « prise sur le tas ») dans un contexte d'abondance, et du rationnement pour les biens plus rares[31].

Les anarchistes se distinguent de la vision marxiste d'une société communiste en rejetant l'idée d'une dictature qui serait exercée après la révolution par un pouvoir temporaire : à leurs yeux, un tel système ne pourrait en effet déboucher que sur la tyrannie. Privilégiant la destruction de l'État, ils sont au contraire partisans d'un passage direct, ou du moins aussi rapide que possible, à une société « communiste libertaire » ; celle-ci se réaliserait par le biais de ce que Bakounine appelait l'« organisation spontanée du travail et de la propriété collective des associations productrices librement organisées et fédéralisées dans les communes »[32]. La formule De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins se retrouve également notamment sous la plume de Kropotkine parmi les principes anarchistes[33].

Visions marxistes[modifier | modifier le code]

Statues de Karl Marx et Friedrich Engels à Berlin.

Marx ne définit pas clairement la manière dont sera organisée la « société communiste » après la révolution qu'il envisage, les travailleurs devant organiser la nouvelle société par eux-mêmes pour eux-mêmes[34]. Il indique néanmoins que l'être humain, libéré de l'aliénation, pourra pleinement réaliser son potentiel individuel et que la propriété privée capitaliste sera remplacée par la coopération entre des travailleurs libres, qui disposeront en commun des moyens de production et des ressources de la nature[35]. Dans ses notes pour La Sainte Famille, il définit le communisme, « abolition positive de la propriété privée considérée comme une séparation de l'homme de lui-même », comme « l'appropriation réelle de l'essence humaine par l'homme et pour l'homme, donc comme retour de l'homme à lui-même en tant qu'homme social, c'est-à-dire l'homme humain, retour complet, conscient et avec maintien de toute la richesse du développement antérieur. Ce communisme étant un naturalisme achevé coïncide avec l'humanisme ; il est la véritable fin de la querelle avec la nature et entre l'homme et l'homme, entre l'objectif et l'affirmation de soi, entre la liberté et la nécessité, entre l'individu et l'espèce. Il résout le mystère de l'histoire et il sait qu'il le résout ». L'homme communiste est donc, dans l'optique de la théorie marxiste, un « homme total », libéré de l'aliénation : la société communiste est vue comme l'apparition de la vraie liberté, qui ne peut véritablement exister que dès lors que l'État disparaît, via un processus de dépérissement envisagé comme naturel[36]. Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels définissent le communisme comme « une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »[37]. Dans Critique du programme de Gotha (1875), Marx en parle comme d'« une société coopérative fondée sur la possession commune des moyens de production »[15] : il reprend dans ce même ouvrage, pour définir la société communiste, l'adage utilisé par divers auteurs comme Cabet ou le théoricien socialiste Louis Blanc, « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins »[38]. Certains[Qui ?] défendent que le marxisme n'est pas une doctrine communiste, mais une doctrine comme une autre[39].

En 1876, défendant l'idée communiste face aux critiques d'auteurs comme l'anarcho-individualiste Max Stirner, Jules Guesde écrit : « Pas de spoliation, mais au contraire, maintien de la propriété réellement personnelle existante, ou création pour les sans-propriété d'aujourd'hui, de la copropriété de demain. Nous sommes aujourd'hui le seul parti plus que défenseurs, créateur de la propriété pour tous. »[39].

Dans son acception par la théorie marxiste, que Lénine reprend à son compte, le communisme est considéré comme le dernier stade — dit « phase supérieure » — d'un processus historique sous-tendu par la lutte des classes, et qui se terminera par l'abolition du capitalisme et des classes sociales. Une première phase, nécessairement révolutionnaire et probablement violente, aboutira à la mise en place d'une dictature du prolétariat — expression forgée par Auguste Blanqui — que Karl Marx conçoit comme une phase transitoire de dictature révolutionnaire destinée à mettre à bas le pouvoir de la bourgeoisie fondé sur le capitalisme. Sur le plan économique, la dictature du prolétariat se traduira par la suppression de la propriété privée des moyens de production. Cette première phase, dite également « phase inférieure », d'instauration du socialisme — dit également socialisme d'État — et du collectivisme économique, correspondra à un processus de socialisation des biens[38]. Dans leurs écrits, Marx et Engels utilisent alternativement les mots « communisme » et « socialisme » pour désigner la société qui verra le jour après la révolution[15].

Bien que cela soit inéluctable[40],[41], Marx lui-même n'indique pas précisément quelles sont les conditions de développement social et économique nécessaires pour le passage au socialisme : ce point entraîne de nombreux débats parmi ses continuateurs. Concernant l'usage de la violence, sa pensée connaît des évolutions : s'il souligne dans un premier temps la nécessité d'une révolution violente pour abattre le capitalisme, il en arrive ensuite à considérer que, dans les pays suffisamment développés, il sera possible de passer au socialisme par des moyens pacifiques, en gagnant les esprits par la propagande[35],[38].

Marx emploie, dans un seul texte, l'expression d'« État ouvrier » pour qualifier le gouvernement qui s'opposerait à l'« État bourgeois », mais ne définit pas le type de régime politique par lequel se traduirait la dictature du prolétariat[42]. Lénine, s'appuyant sur les textes d'Engels, considère que l'État sera alors devenu un « État prolétarien » (expression utilisée alternativement à « État ouvrier »)[43]. Le prolétariat s'empare en effet du pouvoir d'État et transforme dans un premier temps les moyens de production en propriété d'État : il s'agit là d'un processus de « suppression », par la révolution prolétarienne, de l'État bourgeois qui sera alors remplacé par l'État prolétarien[43]. Durant cette phase, où l'État continue d'exister et dirige l'économie[38], Lénine juge que l'exercice de la dictature du prolétariat, qu'il définit comme « l'organisation de l'avant-garde des opprimés en classe dominante pour mater les oppresseurs », nécessitera une répression politique, qui sera exercée « contre une minorité d'exploiteurs par une majorité d'exploités »[44]. La dictature, dans l'optique léniniste, est censée être « temporaire » et nécessaire pour briser la résistance des ennemis de la révolution[45]. Boukharine, écrivant en 1919 dans le contexte de la guerre civile russe, juge indispensable l'usage de la violence pour mener à bien la révolution, considérant qu'« une révolution sans guerre civile est aussi chimérique qu'une révolution « pacifique ». […] [Marx et les autres théoriciens socialistes] comprenaient que le prolétariat ne peut convaincre la bourgeoisie et doit imposer sa volonté par la guerre civile menée, à l'aide des baïonnettes, de fusils et de canons, jusqu'à la victoire »[46]. Le progrès technique, dont le capitalisme fait un instrument d'exploitation par le biais du machinisme, doit être utilisé dans la phase du socialisme comme un outil d'émancipation de la classe ouvrière, libéré des aspects avilissants du travail : ce phénomène est notamment illustré par la boutade de Lénine : « le communisme, c'est les Soviets plus l'électricité »[47].

Durant cette période de dictature « temporaire », la théorie léniniste considère que, « pour que le prolétariat puisse vaincre », il doit être uni et organisé, et disposer dans ce but d'un parti communiste, qui tient un rôle d'avant-garde dirigeante[48]. La technique assure ensuite le progrès social dans un cadre collectiviste : après la phase de liquidation du capitalisme et des classes possédantes, la société passe ensuite à la phase, dite « supérieure », du communisme intégral, soit celui du dépérissement de l'État, appelé à disparaître tout à fait (cette disparition étant conçue comme un processus naturel, en opposition à la conception anarchiste qui préconise la fin de l'État comme effet d'une décision volontaire). La société vit alors dans des conditions de discipline commune librement consentie, aboutissant à la création d'un « homme nouveau » : l'économie, planifiée, fonctionne selon une logique de production coopérative. La phase supérieure de la société communiste devra aboutir à la fin de la division du travail et au fonctionnement de la société selon la formule popularisée par Marx, de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins[38]. Pour Lénine, la phase supérieure est atteinte dès lors que « les hommes se seront si bien habitués à respecter les règles fondamentales de la vie en société, et que leur travail sera devenu si productif, qu'ils travailleront volontairement selon leurs capacités » : l'État, devenu inutile, s'éteint alors de lui-même[49]. Boukharine souligne qu'en « régime communiste », la production de biens ne se fait plus en fonction du marché, mais en fonction des besoins : « chacun ne travaille pas pour soi, c'est toute la communauté géante qui travaille pour tous ». L'administration étatique, disparue car obsolète, est remplacée par une « direction centrale » qui « incombera à divers bureaux de comptabilité et offices de statistiques ». Dans un délai que Boukharine évalue à « deux ou trois générations », les survivances de l'ancien régime capitaliste disparaissent : l'État ouvrier n'est alors plus nécessaire et le pouvoir politique du prolétariat disparaît également, le prolétariat se fondant avec toutes les autres couches sociales qui, selon Boukharine, auront alors pris « petit à petit, l'habitude du travail en commun et, dans 20 ou 30 ans, il y aura un autre monde, d'autres hommes et d'autres mœurs »[50].

Courants marxistes et notions annexes[modifier | modifier le code]

Concepts, familles idéologiques et synonymes[modifier | modifier le code]

Principales notions du marxisme[modifier | modifier le code]
Le Manifeste du parti communiste, publié par Karl Marx et Friedrich Engels en 1848.
Une édition des trois volumes du Capital.

Par-delà sa signification première, le communisme est principalement rattaché à l'école de pensée marxiste issue des travaux de Karl Marx et Friedrich Engels. Il englobe donc, par extension, un ensemble de courants, de notions et de réalités politiques associés au marxisme et s'en réclamant. Marx postule l'aliénation de l'ouvrier du fait que ce dernier ne possède pas les moyens de production ; l'aliénation concerne par ailleurs l'ensemble des acteurs économiques, du fait de leur soumission au marché. Parallèlement à l'idée d'aliénation économique intervient la notion de classe sociale, et notamment celle de prolétariat. Dans l'optique de Marx, le prolétariat, en tant que classe subissant une forme extrême d'aliénation et d'exploitation, aura pour mission et vocation de créer une nouvelle société, car il n'a pas d'intérêt au maintien de la société capitaliste. Pour le marxisme, la lutte des classes est le moteur de l'Histoire de l'humanité, dès lors que les classes sociales sont nées de la division du travail après l'abandon de l'état originel du communisme primitif : les contradictions internes du système capitaliste doivent conduire à son auto-destruction, et par conséquent à une révolution conduite par le prolétariat, qui aboutira à la propriété collective des moyens de production[51].

Marx, et après lui les auteurs marxistes, visent à démontrer que la réalisation d'une nouvelle société via la révolution prolétarienne et le renversement du capitalisme est non seulement du domaine du possible, mais relève d'une nécessité historique. Dans Le Capital, son principal traité d'économie politique, Marx s'attache, en utilisant une méthode à visées scientifiques et en s'appuyant notamment sur des concepts comme la plus-value et la théorie de la valeur, à prouver l'injustice du système capitaliste. Les deuxième et troisième volumes du Capital, achevés par Engels après la mort de Marx, visent à démontrer l'instabilité essentielle du capitalisme et sa tendance à l'auto-destruction, du fait de la baisse tendancielle du taux de profit[40],[41]. Outre ces analyses économiques, la pensée marxiste s'appuie sur une conception matérialiste de l'Histoire (dite matérialisme historique). Marx et Engels considèrent que l'Histoire résulte du fait que l'homme a commencé à transformer la nature par le biais du travail, ce qui a entraîné la division de l'humanité en classes sociales : la lutte des classes qui en résulte, et qui constitue le moteur de l'Histoire, est l'occasion d'une série de crises où les forces productives, à mesure qu'elles se développent, entrent en contradiction avec les structures sociales. Les crises fondamentales de la société capitaliste, en débouchant sur la révolution puis sur une période de dictature du prolétariat, permettront à l'arrivée d'aboutir à une société sans classes, qui équivaudra au communisme primitif des origines, mais à un niveau très supérieur[52],[53].

Le matérialisme historique, qui prend en compte l'ensemble des facteurs sociaux et économiques pour analyser l'histoire des sociétés humaines, tend à être vu par les continuateurs de Marx et Engels comme un pur économisme : ces interprétations, qu'Engels lui-même jugeait excessives, font de l'économie le principal moteur de l'Histoire[54]. La méthode d'analyse marxiste, qui s'attache à dégager des lois de transformation sociale selon une logique de science exacte, est baptisée au XIXe siècle « socialisme scientifique », afin de la distinguer du « socialisme utopique » des premiers temps[55]. Par la suite, Lénine considère lui aussi le marxisme comme une pensée d'essence scientifique, jugeant que le matérialisme ne peut qu'être confirmé par les sciences[56]. École de pensée essentiellement athée, le marxisme s'oppose en principe à la religion, considérée comme un facteur d'aliénation et d'oppression, et qualifiée par Marx d'« opium du peuple »[57].

Le marxisme est parfois également décrit comme une philosophie qui serait à la fois matérialiste et dialectique : la théorie qui formule à la fois les lois de la pensée et celles de la réalité, appelée matérialisme dialectique, est une méthode d'analyse du réel reposant sur l'existence de contradictions, et sur le fait que ces contradictions se résolvent à un niveau supérieur. La triade thèse-antithèse-synthèse, dérivée de la pensée de Hegel, est utilisée pour parvenir à une vision dialectique de l'Histoire, où le passage du capitalisme au socialisme surviendra selon un processus logique, le socialisme étant la négation du capitalisme ou plutôt une manière de surmonter les contradictions internes de celui-ci. La notion selon laquelle le socialisme remplacera nécessairement le capitalisme introduit une équivoque au sein du marxisme, entre d'une part les tenants d'un schéma historique simple selon lequel le capitalisme s'autodétruira naturellement pour laisser la place au socialisme, et d'autre part ceux qui jugent que cette révolution doit être provoquée. Cette dernière vision — à tendance « millénariste » — du marxisme, se traduit dès la fin du XIXe siècle par une controverse entre les socialistes qui, dans l'attente de la révolution, sont devenus en pratique des réformistes, et ceux qui demeurent partisans d'un renversement actif du capitalisme. C'est cette dernière tendance qui va, après 1917, donner naissance à ce qui constitue le communisme au sens moderne du mot[58].

Communisme et léninisme[modifier | modifier le code]
Léninisme[modifier | modifier le code]
La faucille et le marteau, l'un des symboles les plus familiers du communisme, représente l'union entre les travailleurs agricoles et industriels par la jonction entre le marteau du prolétariat ouvrier et la faucille des paysans.

La tendance du socialisme qui prendra par la suite le nom de communisme se distingue par son mode de fonctionnement interne et par la méthode de prise du pouvoir qu'elle met au point dans le contexte particulier de la Russie impériale. Pour contrer l'appareil répressif tsariste, Lénine, chef des bolcheviks, préconise la formation d'un parti strictement hiérarchisé, formé de « révolutionnaires professionnels ». Lénine se heurte en effet, en Russie, à un double problème : outre le caractère absolutiste du régime en place, le pays est dépourvu d'un capitalisme comme d'une bourgeoisie suffisamment développés, ce qui rend très éloignée la perspective de la révolution socialiste (censée survenir, selon le schéma marxiste, après une révolution bourgeoise qui aura été suivie du développement puis de l'auto-destruction du capitalisme). Lénine en conclut qu'il revient aux révolutionnaires de se substituer à la bourgeoisie pour tenir un rôle d'accélérateur de l'Histoire, provoquant ainsi la révolution au lieu d'attendre son déclenchement naturel. Il théorise pour le parti un rôle central, considérant que c'est à lui non seulement de susciter la lutte des classes là où elle ne s'est pas encore développée du fait d'un contexte local, mais aussi d'assumer un rôle d'« avant-garde » du mouvement ouvrier à qui il devra apporter le savoir et la conscience révolutionnaire[59],[60].

Lénine - dont la pensée sera, après sa mort, synthétisée au sein d'un corpus appelé léninisme - prône le fonctionnement du parti selon la logique du centralisme démocratique, c'est-à-dire d'un strict respect, par la base, des décisions qui auront été prises par les organes de direction[61],[59]. Il théorise également, bien avant sa prise du pouvoir, l'usage de la « terreur de masse » pour combattre les contre-révolutionnaires[62].

Après la mort de Lénine, le léninisme est codifié par Staline sous la forme d'une doctrine imposée à l'ensemble de l'Internationale communiste, et dont les analyses, initialement conçues en fonction du contexte russe, sont censées s'appliquer de manière obligatoire à l'ensemble des pays[63].

Le fondement économique du léninisme est le développement plus rapide de la production des moyens de production[64] par rapport à la production des articles de consommation.Ce mode de production est différent du communisme de Karl Marx qui suppose, contrairement au léninisme, le développement plus rapide des articles de consommation par rapport à la production des moyens de production[65].

Marxisme-léninisme et stalinisme[modifier | modifier le code]
Portraits de Marx, Engels, Lénine et Staline lors d'un défilé en République démocratique allemande, en 1953.

Avec le temps, l'idéologie des partis affiliés au Komintern — puis de l'ensemble des régimes communistes — prend le nom de marxisme-léninisme, soit la lecture léniniste du marxisme, elle-même réinterprétée par les successeurs de Lénine à la tête du régime soviétique. L'interprétation par Staline de la théorie marxiste aboutit à une présentation rigide de celle-ci, l'Histoire étant considérée comme soumise à une succession d'automatismes dans lesquels le Parti communiste joue le rôle de l'avant-garde ; le matérialisme dialectique est élevé au rang de doctrine à laquelle toutes les sciences doivent être subordonnées[66]. Sur la base de l'expérience de la révolution russe, le marxisme-léninisme considère qu'il n'est pas nécessaire d'attendre la maturation du capitalisme pour accomplir la révolution ; celle-ci dépend de l'action du parti communiste, lequel est censé être le représentant du prolétariat[67]. Staline introduit également la notion de socialisme dans un seul pays, qui postule qu'il n'est pas nécessaire d'accomplir en premier lieu la révolution mondiale pour construire le socialisme ; il estime en outre que la lutte des classes se poursuit et s'intensifie sous le socialisme, ce qui permet de justifier sur le plan théorique des mesures de terreur[68].

Le concept de stalinisme a par ailleurs été forgé pour qualifier aussi bien l'idéologie marxiste-léniniste codifiée par Staline que la pratique politique de ce dernier et, par extension, les régimes dictatoriaux se réclamant du communisme, analysés sous l'angle de la notion de totalitarisme. Utilisé le plus souvent dans un sens critique et péjoratif, ce terme n'a été que rarement revendiqué par les acteurs du communisme étatique ou par les partisans de celui-ci, bien que certains aient pu occasionnellement se présenter comme « staliniens » ou « stalinistes »[69].

Après la déstalinisation, le marxisme-léninisme est demeuré l'idéologie officielle de l'URSS et des régimes qui lui étaient affiliés, sans que ne soit opérée de révision théorique majeure. Les courants marxistes-léninistes qui refusaient, à l'image du maoïsme, de condamner les conceptions et la pratique staliniennes, se sont présentés comme « anti-révisionnistes »[70],[71].

Trotskisme[modifier | modifier le code]
Congrès trotskiste en Argentine, en 2006.

Le trotskisme (ou trotskysme) – du nom de Léon Trotski – est une tendance se réclamant du léninisme, mais opposée au stalinisme. Avant 1917, Trotski élabore la théorie de la révolution permanente qui implique, dans le contexte russe, la poursuite continue de la lutte révolutionnaire après la révolution bourgeoise, afin de transformer celle-ci en révolution socialiste et de parvenir à la dictature du prolétariat ; à l'échelle internationale, elle se traduit par la révolution permanente, soit l'extension mondiale de la révolution. Après 1924, l'idéologie trotskiste se distingue surtout par son opposition à la vision stalinienne du communisme en contestant le règne de la bureaucratie (nom donné par Trotski à la nomenklatura) et en prônant la démocratie et la liberté de débat au sein du Parti communiste. Déjà divisé du vivant de Trotski, le trotskisme éclate en multiples tendances (pablisme, lambertisme, Union communiste, posadisme, morenisme…) après la Seconde Guerre mondiale[72],[73].

Maoïsme[modifier | modifier le code]
Statue de Mao Zedong.

Le maoïsme – du nom de Mao Zedong – naît d'une adaptation du marxisme-léninisme aux réalités chinoises : Mao ajoute de nouveaux concepts, comme la Nouvelle Démocratie et la guerre populaire, et juge que la principale contradiction se situe entre les campagnes et les villes ce qui, à l'échelle mondiale, se traduit par l'opposition entre pays sous-développés et États capitalistes. Il vise également à remodeler totalement la société et les mentalités, par une politique volontariste de modernisation économique[74].

Après la rupture sino-soviétique, Mao se présente comme le champion de l'« anti-révisionnisme », c'est-à-dire de la stricte orthodoxie marxiste-léniniste. Le maoïsme adopte en outre une ligne plus clairement tiers-mondiste avec la théorie des trois mondes, qui postule que les pays, dans le contexte la guerre froide, sont divisés non pas en deux camps — communistes et « réactionnaires » — mais en trois camps, avec respectivement les deux superpuissances, les pays développés, et enfin les pays en voie de développement, dont fait partie la Chine. Les thèses de Mao ont influencé, outre divers groupuscules occidentaux, des mouvements insurgés du tiers monde qui se sont inspirés de son discours « anti-impérialiste »[75].

Autres courants léninistes et anti-léninistes[modifier | modifier le code]

D'autres courants communistes d'importance inégale existent, certains étant essentiellement à usage d'une région du monde, voire d'un pays. On a appelé titisme – du nom de Tito, qui utilisait pour sa part le terme « yougoslavisme » – la pratique politique en vigueur en Yougoslavie après la rupture de ce pays avec l'URSS. Tito prônait l'unité de son pays selon un principe d'équilibre entre les nationalités, et l'économie yougoslave fonctionnait officiellement selon les principes de l'autogestion des entreprises par les travailleurs. Dans les faits, l'autogestion yougoslave est demeurée superficielle et subordonnée au contrôle par l'État et le Parti[76],[77]. L'opéraïsme est une tendance née en Italie dans les années 1960, qui prône les grèves sauvages, l'illégalisme ainsi que le refus radical de l'organisation capitaliste du travail, et qui a influencé une partie de l'extrême gauche italienne pendant les années de plomb[78],[79]. On a parfois appelé « hoxhaïsme » le marxisme-léninisme « anti-révisionniste » et stalinien, professé en Albanie par Enver Hoxha[80]. L'idéologie maoïste radicale du Sentier lumineux, au Pérou, est appelée « Pensée Gonzalo » du nom du fondateur de l'organisation, Abimael Guzmán alias « Président Gonzalo ». Le Juche est l'idéologie en vigueur en Corée du Nord : élaborée par Kim Il-Sung avec l'aide de divers cadres de son régime, cette doctrine s'est d'abord revendiquée du marxisme-léninisme, avant de se présenter comme une doctrine originale ayant transcendé le marxisme lui-même. Le Juche se traduit surtout par un discours nationaliste prônant un socialisme autosuffisant, et par des pratiques autarciques[81].

Un autre des symboles utilisés par le communisme, l'étoile rouge, représente les cinq continents et la révolution prolétarienne.

Le mot gramscisme désigne la pensée d'Antonio Gramsci, auteur d'une œuvre théorique marxiste hétérodoxe et découverte après la mort de son auteur. Publiée de manière souvent tronquée en fonction des intérêts du Parti communiste italien, la pensée de Gramsci a fait l'objet d'interprétations divergentes. Gramsci prend ses distances par rapport à l'économisme marxiste, en jugeant que l'Histoire n'est pas déterminée par la structure économique mais par l'interprétation que l'on donne de cette structure et des lois qui la régissent, et en adoptant une démarche qui relève de l'historicisme. Le rattachement du gramscisme au léninisme fait l'objet de débats, et semble surtout obéir à une interprétation opportuniste de la part des dirigeants communistes italiens. Gramsci se distingue également en insistant sur le rôle de la culture et des intellectuels, et sur le fait que les révolutionnaires doivent viser l'hégémonie culturelle. Cette conception implique d'agir non seulement sur les terrains politique et économique, mais également sur ceux de la culture et des arts, car ceux-ci touchent la conscience collective[82],[83].

On appelle castrisme - du nom de Fidel Castro - un ensemble de thèses portant sur la spécificité de la révolution cubaine, mais aussi le régime marxiste-léniniste cubain lui-même et, par extension, les courants qui s'en réclament. Le castrisme ne constitue pas une idéologie distincte à proprement parler, mais un discours analysant le monde sous l'angle de l'anti-impérialisme et du tiers-mondisme, et assimilant la lutte contre le capitalisme - incarné en l'occurrence par l'impérialisme américain - à celle contre une forme de néocolonialisme[84].

On a par ailleurs baptisé du nom de Gauche communiste un ensemble de courants de pensée « gauchistes » (d'extrême gauche ou d'ultra gauche), apparus dès l'entre-deux-guerres, et dont certains s'opposent au léninisme. Le luxemburgisme - nom donné au courant qui se réclame de Rosa Luxemburg - s'oppose aux conceptions de Lénine sur le rôle dirigeant du parti et juge que le prolétariat doit prendre lui-même son destin en main, en utilisant notamment la grève de masse spontanée ; cette école de pensée trouve son prolongement dans le communisme de conseils (ou « conseillisme ») qui prône un gouvernement par les conseils ouvriers[85],[86]. Le terme d'« ultra gauche » est parfois employé comme synonyme de l'extrême gauche elle-même, mais peut désigner, de manière plus précise, cet ensemble de courants communistes anti-léninistes[87]. Le bordiguisme - du nom d'Amadeo Bordiga - est pour sa part une tendance « gauchiste » du léninisme, qui se réclame des conceptions de Lénine mais voit dans l'URSS un « État capitaliste »[88].

On a appelé eurocommunisme un courant porté dans les années 1970 par plusieurs partis communistes, pour la plupart européens, et qui consistait - sans pour autant rompre avec l'URSS - à remettre en cause l'orthodoxie idéologique, en renonçant à diverses notions comme la dictature du prolétariat ou le marxisme-léninisme, et en prônant une évolution démocratique vers le socialisme[89].

Synonymes[modifier | modifier le code]

Issu du socialisme, le communisme a continué de s'en réclamer. L'URSS et les régimes nés après elle se sont ainsi présentés comme des « pays socialistes », expression qui a été employée comme synonyme de « pays communistes »[90], l'URSS étant elle-même qualifiée de « patrie du socialisme ». Le terme socialisme scientifique a été également utilisé par les régimes communistes et leurs partisans pour qualifier la forme de socialisme pratiquée dans leurs pays[91]. Le mot marxisme est parfois utilisé comme un synonyme de « communisme » (éventuellement en utilisant l'adjectif marxiste comme synonyme de communiste), bien que le marxisme, pris au sens large, ne se résume pas à son interprétation léniniste[92].

Les régimes communistes ont par ailleurs désigné leur propre pratique gouvernementale sous le nom de « socialisme réel » (ou « socialisme réellement existant »), destiné à présenter leurs formes de gouvernement et de société comme une phase de transition continue vers le communisme intégral, la frontière entre le stade du socialisme réel et celui du communisme proprement dit n'étant plus clairement définie. Si Nikita Khrouchtchev a proclamé en 1961 que l'objectif du communisme serait atteint à brève échéance, cette affirmation est ensuite abandonnée au profit des objectifs plus modestes de la « société socialiste développée »[93].

Le communisme, au sens contemporain du terme, a été tout d'abord associé pour l'essentiel aux bolcheviks. En conséquence, le mot « bolchevisme » a été employé - parfois de manière péjorative - pour désigner la mouvance communiste dans son ensemble. Il n'est tombé que progressivement en désuétude, surtout après la Seconde Guerre mondiale : le mot « bolchevik » a continué jusqu'en 1952 de figurer entre parenthèses à la fin du nom officiel du Parti communiste de l'Union soviétique[94].

La notion d'État communiste[modifier | modifier le code]

Les régimes communistes en 1979.
Le Grand Palais du Kremlin, siège, à l'époque de l'URSS, du Soviet suprême de l'Union soviétique.

Le mot communisme désignait, étymologiquement, une société sans État. Du fait de l'évolution de son usage, il désigne également, par extension, une forme de régime politique dominé par le parti communiste local, et caractérisé par un État fort. Ni Marx ni Engels ne décrivent avec précision à quoi ressemblera l'« État ouvrier » durant la période de la dictature du prolétariat[95] : dans la pratique, la prise du pouvoir par les communistes a débouché sur la mise en place de régimes où le PC local – qu'il soit parti unique de manière officielle ou de facto – détient le monopole du pouvoir, excluant toute alternance et toute forme de véritable pluralisme politique[96], dans des pays se présentant comme « démocratiques », « populaires » et « socialistes ». L'historien Jean-François Soulet dégage un ensemble de traits communs permettant de distinguer l'URSS et les régimes communistes fondés après elle : tout d'abord, la toute-puissance du parti communiste local, dont la direction – sur le modèle du Politburo du PCUS en URSS ou du Politburo du PCC en Chine – est le principal organe de décision ; dans la majorité des cas, le véritable dirigeant de l'État est le chef du Parti (qui peut, sans que cela soit systématique, cumuler son poste avec celui de chef du gouvernement ou de chef de l'État). Ensuite, le poids d'autres groupes de pression influents comme l'armée et la police ; l'existence d'une classe dirigeante privilégiée – la nomenklatura – liée à l'appareil du régime et du Parti (les cadres du Parti étant également surnommés apparatchiks) ; enfin, une économie étatisée[97].

L'historien Archie Brown définit un ensemble de critères permettant d'identifier un système politique communiste : pour lui, le terme de « communisme » est le plus adapté pour désigner ce type de régime. L'usage du terme « socialiste », que les régimes communistes utilisaient pour se désigner eux-mêmes, est en effet inadéquat en ce que le concept de socialisme recouvre un ensemble politique bien plus vaste : « étant donné que les partis communistes au pouvoir qualifiaient leurs systèmes politiques de « socialistes », il est raisonnable de se demander en quoi il est justifié de les appeler « communistes ». De nombreux politiciens ex-communistes ont contesté l'usage de ce terme car, nous rappellent-ils, le « communisme » était censé être le dernier stade du socialisme, qu'ils n'ont jamais prétendu avoir atteint. Cependant, les membres de ces partis au pouvoir se définissaient eux-mêmes comme des communistes et les chercheurs occidentaux, en rangeant les systèmes dans la catégorie « communiste », n'envisageaient pas une seconde qu'ils parlaient de ce que Marx et Lénine décrivaient par le terme « communisme » — cette société auto-gouvernée, sans État, et coopérative, qui n'a jamais existé nulle part »[90].

Défilé de l'Armée rouge en 1946.

Pour Brown, la première caractéristique d'un système communiste est le monopole du pouvoir exercé par le Parti communiste local, selon une logique de parti unique de fait ou de droit. Cette méthode de gouvernement est assimilée après 1945 à la dictature du prolétariat : ce concept se traduit dans les faits par le règne du Parti, celui-ci étant présenté comme l'expression exclusive de la volonté et des intérêts du prolétariat. Durant la période post-stalinienne, le terme le plus couramment utilisé sur le plan officiel était celui de « rôle dirigeant » du Parti. Un système de gouvernement communiste se distingue également par la pratique du centralisme démocratique et, sur le plan économique, par une économie planifiée, pouvant éventuellement coexister dans certains cas avec une forme d'économie de marché dans certains secteurs d'activité[90]. La forme de contrôle de l'économie par l'État est parfois qualifiée de capitalisme d'État[98], terme utilisé dès 1918 par Lénine lui-même (mais notamment employé, par la suite, par les adversaires « gauchistes » et conseillistes du communisme soviétique[99]) : le développement du marché sous contrôle de l'État est à l'origine conçu, dans une société largement non industrialisée comme celle de la Russie, comme une étape vers la construction du socialisme[100].

Troupes de la Nationale Volksarmee, l'armée de la RDA, en 1974.

Enfin, Archie Brown cite comme dernier critère l'existence d'une forme d'organisation internationale communiste et l'appartenance du régime politique concerné à celle-ci[90].

Le style de gouvernement pratiqué par les régimes communistes peut par ailleurs varier : de nombreux régimes se distinguent, malgré l'internationalisme de principe de la mouvance communiste, en mariant la rhétorique communiste à une propagande nationaliste, soit par principe, soit en fonction des besoins politiques du moment. Cuba, la Corée du Nord, la Roumanie, l'Albanie et le Nord Viêt Nam (puis le Viêt Nam réunifié) ont pu ainsi, dans des registres et des contextes très différents, pratiquer une forme de « national-communisme »[101].

L'expression démocratie populaire a été utilisée après la Seconde Guerre mondiale pour désigner les régimes communistes, notamment les pays européens du bloc de l'Est : dans la phraséologie communiste, ce terme désigne une forme de gouvernement censément différente de celle de l'URSS, car située à un stade moins avancé de l'évolution socialiste, et dans laquelle le Parti communiste aurait comme rôle de diriger l'ensemble des forces politiques « antifascistes ». Cela a pu se traduire par un système non pas de parti unique officiel, mais de coalition, où sont autorisés, non seulement le parti communiste local, mais également un certain nombre de partis-satellites, réunis au sein d'un front unique : le parti communiste détient cependant la réalité du pouvoir. Ce type d'organisation politique était notamment en vigueur dans une partie des régimes d'Europe de l'Est ; la RDA était ainsi gouvernée par le Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED), mais quatre autres partis, inféodés au SED, étaient autorisés à exister au sein du Front national de la République démocratique allemande. D'autres régimes communistes n'autorisent que le parti communiste et les organisations de masse qui lui sont affiliées. Dans la pratique, la définition de ce qu'est une « démocratie populaire » n'est pas forcément très précise, et le terme a été souvent utilisé comme un simple synonyme d'État communiste[102],[96].

Histoire[modifier | modifier le code]

Origines[modifier | modifier le code]

Ancêtres du socialisme et du communisme[modifier | modifier le code]

Médaillon à l'effigie de Thomas More, auteur de L'Utopie.
Gracchus Babeuf, révolutionnaire français.

Le concept de communisme désigne tout d'abord l'idée de mise en commun des biens matériels, puis par extension une organisation sociale où la propriété privée serait absente. On trouve des ancêtres lointains et indirects du communisme et du socialisme dans la pensée antique, notamment chez Platon qui imagine dans La République une cité idéale, divisée en trois classes, et dont les dirigeants mettraient leurs biens en commun. Il ne s'agit nullement d'une société égalitaire, seule l'élite de la cité étant concernée. Sparte qui, selon Plutarque aurait mis en place un régime de communauté de biens au sein de sa classe dirigeante, est un autre exemple de cette forme de « communisme » antique[103]. Le concept de partage des biens est également présent dans la pensée chrétienne[104], et tout particulièrement, sous la Renaissance, dans des hérésies issues notamment de l'anabaptisme. Au XVIe siècle, durant la guerre des Paysans allemands, l'idéologue millénariste Thomas Münzer prône la constitution de « communautés de saints », où tout serait partagé[105]. Par la suite, des anabaptistes, inspirés par les idées de Münzer, animent à Münster en 1534-1536 un régime théocratique fondé sur la communauté des biens[106].

Durant les siècles suivants, l'idée d'une société égalitariste basée sur le partage des biens constitue un élément essentiel du courant de pensée utopiste. Le philosophe et théologien Thomas More signe en 1516 le livre L'Utopie qui constitue le modèle de la littérature utopiste : il y décrit un pays idéal où règne l'harmonie et la vertu. En 1602, le moine Tommaso Campanella publie La Cité du Soleil, autre ouvrage fondateur du courant. More comme Campanella s'inspirent nettement de La République de Platon[107],[108],[109]. L'imaginaire utopique continue de nourrir la critique sociale radicale, avec comme point commun le fait de considérer la propriété privée comme une source d'injustice : on retrouve cette idée chez des auteurs des Lumières comme le curé Meslier, Morelly, Dom Deschamps ou Godwin[110],[111].

En France, sous le Directoire, Gracchus Babeuf mène en 1796 la conjuration des Égaux[112]. Très proche, sur le plan des idées, du communisme au sens contemporain du terme, Babeuf préconise une société égalitaire, fondée sur l'abolition de la propriété particulière. Il prône par ailleurs la prise du pouvoir via un coup de force organisé par un état-major secret incarnant l'avant-garde révolutionnaire. Pour l'historien Michel Winock, la méthode de Babeuf annonce celles de Blanqui et de Lénine ; plus largement, Winock voit dans la Révolution française la prémisse de divers éléments du socialisme et du communisme, sur les plans des idées et de la pratique[113],[114],[115]. Philippe Buonarroti, camarade de Babeuf, s'emploie par la suite à diffuser les idées « babouvistes »[116]. Restif de la Bretonne, à la même époque, contribue à donner son sens contemporain au mot communisme, qu'il rattache à la pensée de Babeuf[117].

Le communisme au sein du mouvement socialiste[modifier | modifier le code]

Le drapeau rouge, utilisé comme symbole du mouvement ouvrier à partir du XIXe siècle.
Étienne Cabet.

Durant les premières décennies du XIXe siècle, l'idée communiste se rattache au courant socialiste, qui se développe alors dans le contexte de la révolution industrielle et des bouleversements sociaux et économiques qui l'accompagnent. Le socialisme naît sous la forme d'une école de pensée anticapitaliste, qui vise à résoudre la question sociale en améliorant le sort de la classe ouvrière : il devient une expression politique du mouvement ouvrier. L'idée d'une société fondée sur le partage des biens matériels est très présente dans le courant pré-marxiste du « socialisme utopique » : le Britannique Robert Owen, inspirateur du courant dit « oweniste », prône l'auto-suffisance des ouvriers au sein de communautés coopératives et tente de mettre ses idées en pratique dans des expériences comme celle de New Harmony aux États-Unis[118],[119].

Karl Marx et Friedrich Engels.

Au sein du mouvement socialiste, le terme communistes tend à désigner, dans les années 1840, un ensemble de tendances radicales, principalement celles qui insistent sur notion de lutte des classes et qui ne comptent pas sur la bonne volonté des classes dominantes pour changer la société. Babeuf demeure une « figure mythique » et une référence commune pour les tout premiers « communistes », bien que certains se démarquent de son œuvre et de son action[2]. Auguste Blanqui, notamment, envisage une révolution violente, qui se traduirait par une dictature du prolétariat avant le passage à une société communiste[27],[120],[2].

L'échec de la tentative d'insurrection de Blanqui, en 1839, sonne le glas d'une certaine mythologie révolutionnaire. Il amène les intellectuels socialistes à considérer que la réalisation d'une nouvelle société ne peut plus dépendre d'une action purement « militaire ». En France, on voit alors se développer un ensemble de courants cherchant à analyser la société de manière « scientifique », ou s'orientant vers des formes de mysticisme[2]. Le mot « communisme » lui-même est popularisé par des écrivains comme le Français Étienne Cabet. Ce dernier, auteur du livre Voyage en Icarie dans la tradition de More et de Campanella, rejette l'idée de lutte des classes et se réclame d'une forme de communisme chrétien. Il attire autour de lui de nombreux disciples avec qui il se lance, aux États-Unis, dans une expérience de vie communautaire sur le modèle de l'Icarie, qui tourne cependant au désastre[27],[2].

En Allemagne, le socialisme se diffuse d'abord dans les milieux intellectuels, sous l'influence des Français. En 1836, à Paris, des socialistes allemands en exil fondent, à l'initiative de Wilhelm Weitling, la Ligue des justes, qui prône un communisme empreint de mysticisme chrétien, comparable à celui des anabaptistes. Cette idéologie de type religieux, apparentée à l'« icarisme » de Cabet, est empreinte de principes non-violents[121]. En juin 1847, la Ligue des justes prend le nom de Ligue des communistes sous l'impulsion de Karl Marx et de Friedrich Engels. D'abord liée à la Société des saisons blanquiste, elle se veut internationaliste et adopte comme devise le mot d'ordre « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». En février 1848, Marx et Engels publient la « profession de foi » du mouvement, intitulée Manifeste du parti communiste. Les auteurs posent les bases d'une conception à visée scientifique du socialisme ; ils affirment en outre une orientation nettement révolutionnaire et rejettent tant le « socialisme utopique » que les conceptions chrétiennes du communisme. L'idée communiste, telle que la conçoivent Marx et Engels, est désormais associée à l'athéisme[122],[123].

Le Capital, principal ouvrage d'économie politique de Karl Marx.

Les idées socialistes apparaissent au premier plan de la politique européenne lors du Printemps des peuples. L'échec des insurrections de 1848 ne donne qu'un coup d'arrêt provisoire à la diffusion du socialisme, qui continue de se développer en Europe parallèlement au syndicalisme. En 1864, plusieurs organisations socialistes se réunissent au sein de l'Association internationale des travailleurs (ou Première Internationale), dont Marx rédige les statuts provisoires. L'Internationale se défait avec le temps, du fait notamment des divisions entre les partisans de Marx et ceux de l'anarchiste Mikhaïl Bakounine, mais les idées socialistes continuent de progresser[124],[125]. L'épisode de la Commune de Paris de 1871 contribue à entretenir une mythologie révolutionnaire dans l'imaginaire socialiste et, plus tard, communiste[126].

Le marxisme, courant de pensée dérivant des œuvres de Marx et Engels et qui se présente comme un « socialisme scientifique », acquiert durant le dernier quart du XIXe siècle une position dominante au sein du socialisme européen, bien que son degré d'influence soit inégal selon les pays. Si le terme communisme continue de faire partie du vocabulaire socialiste et d'être revendiqué par d'autres tendances politiques, comme l'anarcho-communisme, il ne désigne pas alors un courant de pensée distinct, et connaît une certaine désuétude[127],[128]. En France, le marxisme est surtout présent chez les guesdistes. Au Royaume-Uni, il a peu de poids chez les travaillistes. Les idées marxistes sont au contraire dominantes chez les sociaux-démocrates allemands, autrichiens et russes[128].

À la fin du XIXe siècle, dans la majorité des pays européens, le socialisme évolue sensiblement vers le réformisme. Le conflit entre réformistes et révolutionnaires se déclare notamment en Allemagne. Eduard Bernstein, l'un des principaux idéologues du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), ayant constaté que les prédictions de Marx sur l'effondrement du capitalisme ne se réalisaient pas, préconise en effet un dépassement du marxisme. Il juge que les socialistes doivent cesser de se voir comme le parti du prolétariat et devenir un vaste parti démocratique, qui représenterait également les classes moyennes, et que la social-démocratie doit renoncer à la révolution pour aspirer simplement à une plus grande justice sociale. La « querelle réformiste » (Reformismusstreit) tourne au désavantage des thèses de Bernstein, qui sont condamnées en 1899 lors du congrès du SPD. Mais malgré cette défaite apparente des thèses « révisionnistes », le socialisme européen n'en continue pas moins de se recentrer, avec comme conséquence un décalage croissant entre un discours toujours officiellement révolutionnaire et une pratique de plus en plus réformiste[128]. Il conserve néanmoins une aile d'extrême gauche, qui compte en Allemagne Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht parmi ses représentants. Rosa Luxemburg se distingue notamment en prônant une révolution prise en main par le prolétariat lui-même, partis et syndicats devant se contenter d'« éclairer » les ouvriers sans prétendre les diriger[129].

Lénine, vers 1900.

L'Empire russe, qui est toujours, à la fin du XIXe siècle, une monarchie absolue, connaît contexte particulier. Les militants socialistes y sont réprimés, et le courant révolutionnaire est particulièrement fort. Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), formé en 1898 lors d'un congrès clandestin qui ne réunit que neuf participants, est contraint de s'organiser dans l'illégalité et l'exil. De nombreux révolutionnaires russes sont dispersés à travers l'Europe et, jusqu'en 1905, le mouvement socialiste russe demeure illégal[130],[131],[132]. C'est dans ce contexte qu'en 1902, Vladimir Oulianov, dit « Lénine », publie le traité politique Que faire ?, dans lequel il prône notamment l'organisation de la révolution par un parti clandestin, hiérarchisé et discipliné, qui constituerait l'avant-garde du prolétariat[133],[134]. Léon Bronstein, dit « Trotski », rejoint à la même époque les milieux socialistes exilés[135]. Le mouvement socialiste russe connaît, dans les premières années du XXe siècle, de profondes divisions et conflits incessants : dès le second congrès du POSDR, en 1903, les partisans de Martov s'opposent à ceux de Lénine. Les premiers reçoivent le nom de mencheviks (« minoritaires »), et les seconds de bolcheviks (« majoritaires »)[136],[137].

La révolution russe de 1905 éclate en janvier ; à partir du mois de mai, des travailleurs et soldats russes s'organisent en conseils (en russe : Soviets)[138]. Les émigrés politiques, parmi lesquels Trotski et Lénine, rentrent progressivement en Russie pour tenter de profiter de cette révolte spontanée. Une tentative d'insurrection est écrasée à Moscou et le mouvement révolutionnaire décline ensuite dans l'ensemble de la Russie[139],[140]. Si les principaux chefs révolutionnaires sont à nouveau contraints à l'exil, les partis socialistes sont cependant légalisés : bolcheviks et mencheviks ont désormais des députés à la Douma. Des militants bolcheviks demeurés en Russie - parmi lesquels Joseph Djougachvili, connu sous les pseudonymes de « Koba » puis de « Staline » - contribuent à financer le mouvement par des activités illégales[141],[142]. Le parti socialiste russe demeure en outre irrémédiablement divisé entre bolcheviks et mencheviks[143].

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, l'Internationale ouvrière apparait impuissante et discréditée. La majorité des partis socialistes européens soutiennent en effet la politique belliciste de leurs pays respectifs[144]. Lénine espère pour sa part sur une défaite de la Russie, car cela pourrait y faciliter la révolution[145]. Mais sa ligne demeure minoritaire en Europe, y compris chez les socialistes opposés à la guerre. Les bolcheviks — dont beaucoup de militants et l'ensemble des députés sont alors arrêtés en Russie — semblent éloignés, à l'époque, de toute perspective d'accès au pouvoir[146],[147].

Naissance du régime bolchevik et de l'URSS[modifier | modifier le code]

Révolution en Russie[modifier | modifier le code]

Durant le conflit mondial, l'Empire russe souffre durement des combats sur le Front de l'Est. L'économie du pays s'effondre, portant le coup de grâce au régime tsariste, déjà politiquement discrédité. En 1917, au début du mois de mars (fin février selon le calendrier julien) éclate la révolution de Février, premier acte de la révolution russe. Des députés de la Douma créent un comité destiné à servir de gouvernement provisoire ; dans le même temps est formé le Soviet des députés ouvriers et des délégués des soldats de Petrograd, sur le modèle des conseils de la révolution de 1905. Le tsar Nicolas II abdique. Si certains mencheviks et socialistes révolutionnaires ont participé à cette révolution spontanée, les bolcheviks n'y ont jusqu'ici tenu aucun rôle[148]. Alors que la Russie est toujours en guerre, le gouvernement provisoire, dirigé par Gueorgui Lvov puis par Aleksandr Kerenski, préfère attendre la convocation d'une assemblée constituante pour mener les réformes comme la redistribution des terres. En outre, le Soviet de Petrograd lui dispute la réalité du pouvoir[149],[150].

Timbre soviétique commémorant la révolution d'Octobre.

Avec l'aide du commandement allemand qui souhaite contribuer à déstabiliser la Russie en y faisant entrer des fauteurs de trouble potentiels, Lénine et d'autres révolutionnaires exilés retournent sur le sol russe. En chemin, Lénine rédige un document connu ensuite sous le nom de Thèses d'avril, qu'il présente dès son arrivée à la réunion des bolcheviks[151],[150] : il y préconise le remplacement du gouvernement provisoire par un cabinet socialiste, ainsi que la redistribution des terres aux paysans, l'arrêt de la guerre, l'auto-détermination des peuples et la transformation des Soviets de travailleurs en organes de gouvernement[152] ; il prône également « la création d'une Internationale révolutionnaire (…) contre les social-chauvins et contre le « centre » », et le contrôle des Soviets par le Parti. Les bolcheviks, qui entretiennent l'agitation[153], prennent le contrôle des détachements armés des Soviets, bientôt baptisés gardes rouges[154]. Mais l'insurrection des journées de juillet est un échec total[155] ; Lénine doit se réfugier en Finlande. En son absence, les bolcheviks continuent de profiter du chaos politique et gagnent des élus aux Soviets, aux comités d'usine et dans les syndicats. En août, la contre-offensive sur le front de l'Est, décidée par Kerenski, est un désastre qui discrédite le gouvernement provisoire[156]. En septembre, Trotski, désormais allié aux bolcheviks, est élu président du Soviet de Petrograd[157].

Portrait de Vladimir Ilitch Lénine par Isaak Brodsky.

Durant son séjour en Finlande, Lénine rédige L'État et la Révolution, ouvrage dans lequel il théorise le passage du stade d'un État bourgeois à celui d'un « État prolétarien », qui, après une phase de dictature du prolétariat provisoire, s'éteindra ensuite de lui-même pour aboutir à la phase du communisme ; il n'y aborde que furtivement la question de l'usage de la violence, considérant qu'il ne faudra réprimer qu'une « minorité d'exploiteurs »[158],[159]. Il envisage par ailleurs le remplacement du nom « bolcheviks » par celui de Parti communiste[160].

Au début du mois d'octobre, Lénine revient clandestinement en Russie. Il plaide auprès de son parti pour une prise du pouvoir par la force, avant que le deuxième congrès panrusse des Soviets puisse se réunir et former un gouvernement de coalition qui priverait les bolcheviks du monopole du pouvoir[161]. L'insurrection est décidée : Trotski se charge de créer un Comité militaire révolutionnaire du Soviet de Petrograd[162]. Dans la nuit du 24 au 25 octobre (7 novembre du calendrier grégorien), les troupes du Soviet s'emparent des bâtiments stratégiques de la capitale et Kerenski prend la fuite. Au matin du 25 octobre, Lénine proclame le renversement du gouvernement provisoire[163],[164]. Quelques heures plus tard, le deuxième congrès des Soviets s'ouvre : les mencheviks, les SR et le Bund s'en retirent pour protester contre le coup de force des bolcheviks. Ils laissent ainsi les mains libres à Trotski, qui fait adopter un texte condamnant les SR et les mencheviks. Peu après, le congrès adopte un texte rédigé par Lénine, qui attribue « tout le pouvoir aux Soviets » : le pouvoir est cependant dans les faits détenu par les bolcheviks, à qui le retrait des autres partis permet de s'attribuer la légitimité populaire. Le lendemain, Lénine prend la tête d'un gouvernement composé de bolcheviks, le Conseil des commissaires du peuple (Sovnarkom). D'emblée, les bolcheviks prennent des mesures autoritaires en interdisant des journaux d'opposition[165].

Fin novembre, lors de l'élection de l'assemblée constituante, les socialistes-révolutionnaires remportent la majorité, devançant largement les bolcheviks[166] ; en janvier 1918, la constituante est déclarée dissoute par le Sovnarkom dès le lendemain de sa première session. Le Congrès des Soviets et l'ensemble des Soviets sont mis sous contrôle du gouvernement bolchevik. Un décret sur la terre, qui légitime les confiscations des terres de grands propriétaires survenues depuis 1917, permet aux bolcheviks d'obtenir, pendant un temps, le soutien d'une grande partie de la paysannerie[165].

Survie du pouvoir soviétique[modifier | modifier le code]

Le régime des bolcheviks est encore très instable : la Russie reste en guerre contre les Empires centraux, et le nouveau gouvernement est incapable de se défendre malgré la transformation de la Garde rouge en Armée rouge. Pour éviter l'effondrement, Lénine décide en mars de signer une paix séparée avec les Empires centraux : le traité de Brest-Litovsk sauve le nouveau régime, au prix de la perte de la Biélorussie, de l'Ukraine et des pays baltes. En interne, Lénine doit composer avec l'opposition de personnalités comme Trotski, Nikolaï Boukharine et Karl Radek, qui souhaitaient une « guerre révolutionnaire » que le nouveau régime n'a pas les moyens de mener. À la même période, lors du septième congrès des bolcheviks, le Parti est rebaptisé Parti communiste de Russie (bolchevik), afin de souligner son aspect révolutionnaire et de se distinguer des autres socialistes[167]. Après la paix coûteuse avec les Empires centraux, les bolcheviks doivent encore se battre sur plusieurs fronts, des conflits sociaux éclatent sous l'impulsion de plusieurs groupes, amenant à la guerre civile russe. Pour survivre, le gouvernement bolchevik improvise une organisation militaire, et un mode de fonctionnement économique appelé « communisme de guerre ». Trotski professionnalise et réorganise l'Armée rouge au prix d'une discipline impitoyable, et fait encadrer les troupes par des Commissaires politiques garants de la ligne idéologique. Les partis d'opposition sont interdits, et un vaste programme de nationalisations permet d'étatiser et de mobiliser l'économie. Des réquisitions agricoles sont pratiquées pour assurer le ravitaillement, provoquant des insurrections dans la paysannerie : Lénine, qui les attribue aux seuls paysans riches (« koulaks »), ordonne de les réprimer avec la plus grande violence[168],[169].

Les institutions autonomes nées de la révolution (Soviets, comités d'usine, syndicats) sont subordonnées au Parti : le régime s'emploie ensuite à dominer l'ensemble de la société civile, via une bureaucratie grandissante dont les membres reçoivent le nom d'apparatchiks. Le monde du travail est mis sous contrôle : les ouvriers, censés être au pouvoir par l'entremise du Parti, se voient refuser le droit de grève. Le régime s'appuie également sur une police politique, la Tchéka, dirigée par Félix Dzerjinski : la peine de mort, abolie quelques mois plus tôt, est rétablie. La famille du tsar est massacrée, et les opposants réprimés. La répression à grande échelle ne débute vraiment qu'après que Lénine réchappe, le , à une tentative d'assassinat par la SR Fanny Kaplan[169]. Le 5 septembre, le Conseil des commissaires du peuple décrète une politique de Terreur rouge visant les contre-révolutionnaires et les « ennemis de classe »[170] : la Tchéka et l'Armée rouge mènent une campagne de répression d'une violence et d'un arbitraire extrêmes, qui se déroule en parallèle aux massacres commis par les Blancs[171]. À partir de 1921, le clergé russe est victime de massacres[172]. Un système de camps est mis en place pour y détenir prisonniers, déserteurs, « otages issus de la haute bourgeoisie », fonctionnaires de l'ancien régime, etc., arrêtés à titre préventif et enfermés sans jugement[173]. La forte présence de Juifs parmi les chefs bolcheviks donne par ailleurs naissance à la thèse antisémite du « judéo-bolchevisme », qui assimile les communistes aux Juifs. De nombreux pogroms sont commis pendant la guerre civile, notamment lors de la terreur blanche[174].

Contre-offensive de l'Armée rouge contre l'Armée blanche de Koltchak, à l'hiver 1919.

En 1919-1920, les bolcheviks parviennent à triompher du gros des armées blanches, auxquelles les Alliés, tout juste sortis de la guerre mondiale, n'ont apporté qu'une aide limitée. Ils doivent cependant toujours affronter les divers gouvernements indépendantistes - notamment en Ukraine - les anarchistes de Nestor Makhno, mais aussi, jusqu'en 1923, les « armées vertes » des paysans révoltés[175],[176]. Les bolcheviks reprennent le contrôle d'une majorité des anciens territoires impériaux, où sont proclamées des Républiques socialistes soviétiques. Les pays baltes, la Finlande et la Pologne orientale leur échappent cependant : la défaite contre les Polonais lors de la guerre de 1919-1921 marque notamment un reflux pour la Russie soviétique, qui avait un temps espéré y étendre la révolution. Né dans des circonstances très précaires, le premier État communiste de l'Histoire survit in fine au chaos politique et à la guerre civile[174].

L'économie de la Russie soviétique est, à la fin de la guerre civile, dans un état désastreux, du fait notamment de l'application improvisée du communisme de guerre. Les insurrections paysannes, dont la révolte de Tambov est l'une des plus importantes, redoublent d'intensité. Une terrible famine sévit dans plusieurs régions. Le Parti communiste connaît outre de vifs débat internes : l'Opposition ouvrière réclame que la gestion de l'industrie soit confiée aux syndicats, une position que Lénine dénonce comme de l'« anarcho-syndicalisme »[177]. Trotski, lui, souhaite la fusion des syndicats avec l'appareil d'État et une gestion militarisée de l'économie[178].

Premier blason de l'URSS.

En mars 1921, le gouvernement bolchevik doit affronter la révolte de Kronstadt. Sur ordre de Trotski, l'insurrection est écrasée ; la répression fait plusieurs milliers de victimes et de condamnations à mort ou à la déportation[178]. Cet épisode achève de sonner le glas de l'anarchisme en Russie où les libertaires, initialement ralliés au régime bolchevik, ont été réprimés dès 1918[179]. Les bolcheviks se consacrent ensuite à la chasse aux opposants socialistes-révolutionnaires et mencheviks, et à la lutte contre les grèves et le « laisser-aller » ouvrier, au combat contre les insurrections paysannes, et à la répression contre l'église[180].

C'est dans ce contexte que le Xe congrès du Parti communiste entreprend de réorganiser le fonctionnement du régime et de l'économie du pays. Les factions au sein du Parti sont interdites, tandis qu'une résolution, adoptée sous l'impulsion de Lénine, élève le rôle dirigeant du parti unique au rang de composante du marxisme. Les révoltes, dont celle de Kronstadt, ayant montré l'urgence de procéder à des réformes et d'améliorer les conditions de vie de la population, Lénine parvient à faire adopter par le Parti son projet de Nouvelle politique économique (NEP), qui met fin au communisme de guerre. Le commerce extérieur est libéralisé et la création de petites entreprises privées autorisée. Lénine entend ainsi assurer une transition vers le socialisme[181],[178]. Le XIe congrès, en 1922, poursuit la réorganisation du Parti : Joseph Staline devient Secrétaire général, fonction apparemment technique mais qui lui permet de contrôler les nominations de cadres et de constituer un réseau. Le , l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) naît d'un traité qui réunit au sein d'une fédération la république socialiste fédérative soviétique de Russie et les autres Républiques socialistes soviétiques issues de l'ex-Empire russe[182].

Le nouvel État normalise progressivement ses relations internationales : dès 1922, le traité de Rapallo établit des relations diplomatiques et commerciales avec l'Allemagne de Weimar. L'ensemble des pays occidentaux noue ensuite des contacts avec l'URSS. À partir de 1924, Staline s'oppose à la ligne de Trotski ; ce dernier prône une « révolution permanente », soit l'exportation à court terme du modèle soviétique par le biais d'une révolution internationale, condition indispensable à ses yeux pour bâtir le « socialisme ». Staline impose au contraire la politique du « socialisme dans un seul pays », qui vise à consolider en priorité le « socialisme » dans la seule URSS afin de se donner les moyens de réaliser plus tard la révolution mondiale[183].

Essor international et premiers revers[modifier | modifier le code]

De la naissance du Komintern au reflux de la vague révolutionnaire[modifier | modifier le code]

Publication de l'Internationale communiste.
Plaque commémorative à l'effigie de Rosa Luxemburg.

Dans l'ensemble de l'Europe, les partis socialistes et sociaux-démocrates sont divisés entre partisans et adversaires de la révolution d'Octobre. En Finlande, tout juste indépendante, une guerre civile oppose, de janvier à mai 1918, les « Rouges » - la faction radicale du Parti social-démocrate de Finlande - soutenus par les bolcheviks et les « Blancs » soutenus par l'Empire allemand : les révolutionnaires sont vaincus et, réfugiés en Russie, y constituent le Parti communiste de Finlande. En Allemagne, la chute de l'Empire est accompagnée par une vive opposition entre les sociaux-démocrates réformistes et les révolutionnaires spartakistes. Le chef du gouvernement provisoire Friedrich Ebert s'en tient à une ligne légaliste, tandis que les dirigeants spartakistes Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg s'opposent à la démocratie parlementaire et prônent une « République des Conseils », soit un régime dirigé par les conseils ouvriers. Le , les spartakistes fondent le Parti communiste d'Allemagne (KPD). Le lendemain, une manifestation ouvrière provoque des affrontements à Berlin : Liebknecht, emporté par le mouvement, appelle à renverser le gouvernement. Le soulèvement berlinois de janvier 1919 est vite écrasé par le gouvernement social-démocrate appuyé par les Corps francs. La répression est sanglante ; Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont eux-mêmes assassinés par des militaires[184].

Proclamation de la République des conseils de Hongrie.

D'autres mouvements favorables à la révolution russe apparaissent en Europe, qu'ils prennent d'emblée ou non le nom de « communistes ». Le Parti socialiste italien, dont les « maximalistes » ont pris le contrôle, passe dans les rangs révolutionnaires. L'Italie entre dans la période d'agitation politique et de grèves sauvages appelée le biennio rosso (« deux années rouges »)[185].

Le se tient à Moscou le congrès fondateur de l'Internationale communiste (ou Komintern, ou « Troisième Internationale »), qui ambitionne de supplanter la « Deuxième internationale » discréditée par les soutiens des socialistes à la guerre. D'emblée contrôlée par les Russes, elle a pour tâche de coordonner et d'impulser des mouvements révolutionnaires dont on pense alors qu'ils vont s'étendre et soutenir la Russie soviétique[186],[187]. Plusieurs partis communistes apparaissent alors en Europe, comme en Bulgarie[188] ou en Pologne[189]. Dès le , le Parti socialiste italien rejoint l'Internationale communiste[190].

Le Parti des communistes de Hongrie est fondé en Russie par des prisonniers de guerre Hongrois convertis au communisme. Son chef Béla Kun, une fois revenu dans son pays tout juste indépendant, profite du chaos politique qui y règne : le , les communistes, alliés aux sociaux-démocrates, prennent le pouvoir et proclament la République des conseils de Hongrie. Le régime se rend vite impopulaire par ses nationalisations autoritaires et ses campagnes de répression baptisées, comme en Russie, « terreur rouge ». Les communistes hongrois tentent en outre de récupérer les territoires perdus par le pays à la fin de la guerre : ils entrent en conflit avec la Roumanie, ce qui provoque leur chute au bout de trois mois. Béla Kun fuit à l'étranger et les communistes hongrois sont brutalement réprimés[191],[192]. En Allemagne, une République des conseils de Bavière est proclamée le 7 avril, mais écrasée par les Corps francs dès les premiers jours de mai[193]. En juin de la même année, le Parti communiste d'Autriche échoue dans sa tentative d'insurrection à Vienne[194].

La forte présence de Juifs, non seulement en Russie au sein de la direction des bolcheviks et de l'appareil de la Tchéka, mais aussi dans les gouvernements hongrois et bavarois, contribue à alimenter la thèse antisémite du judéo-bolchevisme : l'idée voulant que le communisme soit issu d'un complot juif est largement diffusée, en Europe comme sur le continent américain, durant tout l'entre-deux-guerres[195],[196].

Premier drapeau de la République populaire mongole.

En Italie, le PSI arrive en tête aux élections, mais refuse de participer au gouvernement : l'un de ses principaux animateurs, Amadeo Bordiga, prône l'abstention et la préparation de l'insurrection. Au début des années 1920, Lénine critique vivement les stratégies « gauchistes » au sein du mouvement communiste, qu'il juge stériles et inaptes à accéder au pouvoir : il expose ses vues sur la « Gauche communiste » — représentée notamment par Bordiga en Italie, ou par Anton Pannekoek aux Pays-Bas — dans le livre La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), publié en mai 1920[185].

Au-delà des désaccords stratégiques, les communistes s'interrogent sur la meilleure manière pour exporter la révolution. Quand la Pologne tente d'annexer l'ouest du territoire ukrainien, Lénine y voit l'occasion de passer à la « guerre révolutionnaire » préconisée dès 1918 par les « communistes de gauche ». L'Armée rouge parvient en effet à repousser les troupes polonaises : le second congrès de l'Internationale communiste a lieu le durant l'offensive soviétique en direction de Varsovie, alors que les conditions d'une révolution mondiale semblent être réunies[197]. Ce congrès définit également 21 conditions d'admission pour les partis souhaitant rejoindre le Komintern, stipulant notamment que les PC doivent être organisés et hiérarchisés selon les principes du centralisme démocratique et viser la révolution en combinant les actions légales et illégales, avec l'aide de structures clandestines cohabitant avec le parti officiel[198]. Plusieurs Asiatiques participent à ce second congrès sous l'impulsion de Lénine afin de miner les arrières des puissances coloniales qui lui sont hostiles[199]. Le mois suivant se tient à Bakou le « Congrès des peuples de l'Orient », qui établit des liens avec des mouvements nationalistes asiatiques[200].

Les espoirs d'extension de la révolution en Europe sont cependant éphémères : dès le mois d'août 1920, la contre-attaque des troupes polonaises arrête l'Armée rouge devant Varsovie. La Russie soviétique doit ensuite reconnaître sa défaite[201]. Quelques mois plus tôt, en Allemagne, le soulèvement de la Ruhr, lancé en réaction à une tentative de putsch nationaliste, est mis en échec par l'armée. En mars 1921, une nouvelle tentative d'insurrection allemande débouche sur un échec complet[202].

Lors de son troisième congrès en 1921, l'Internationale communiste reconnaît que la phase révolutionnaire née en 1917 est terminée[203]. Si la progression du communisme connaît un coup d'arrêt en Europe, la Russie se trouve un nouvel allié en Asie : en Mongolie-extérieure, les communistes locaux profitent du chaos provoqué par l'extension de la guerre civile russe pour prendre le pouvoir en juillet 1921. Trois ans plus tard, le pays devient la République populaire mongole, État satellite de l'URSS[204].

Échecs et divisions du mouvement communiste[modifier | modifier le code]

Musée du premier congrès du Parti communiste chinois, à Shanghai.

Au cours des années 1920 et 1930, des partis communistes continuent d'apparaître sur tous les continents, en Europe, en Asie, sur le continent américain et jusqu'en Océanie. En France, lors du congrès de Tours de 1920, la SFIO connaît une scission entre les partisans de la Russie soviétique et les modérés conduits par Léon Blum. La Section française de l'Internationale communiste, regroupant les premiers qui sont alors majoritaires, prend ensuite le nom de Parti communiste français[205]. Dès l'année suivante, cependant, les socialistes reprennent l'ascendant sur les communistes, dont les effectifs s'effondrent alors que la vague révolutionnaire s'essouffle en Europe[206]. En Italie, les partisans d'Antonio Gramsci et Amadeo Bordiga quittent en 1921 le Parti socialiste italien et fondent le Parti communiste d'Italie. La gauche italienne se divise au pire moment, alors que le fascisme est en pleine ascension[207],[208],[209]. Les dimensions des PC sont très inégales selon les pays : certains ont de nombreux militants, d'autres ne sont que des groupuscules[210]. La direction de l'Internationale communiste est assurée jusqu'en 1934 par des Soviétiques (Grigori Zinoviev, Nikolaï Boukharine, Viatcheslav Molotov puis Dmitri Manouïlski) mais les cadres communistes exilés de leur propre pays occupent une place importante dans sa hiérarchie, à l'image de l'Italien Palmiro Togliatti, du Finlandais Otto Wille Kuusinen, des Hongrois Mátyás Rákosi et Béla Kun ou du Bulgare Georgi Dimitrov[211].

Aux Indes orientales néerlandaises, le Parti communiste indonésien, indépendantiste, attire de nombreux militants. C'est cependant en Chine que le communisme connaît son développement le plus lourd de conséquences pour l'avenir de l'Asie. Alors que la république de Chine est en plein chaos depuis 1916, des groupes marxistes apparaissent dans la mouvance du nationalisme chinois[212]. La Russie soviétique et le Kuomintang, parti de Sun Yat-sen, nouent une alliance : le Komintern s'emploie dès lors à favoriser la naissance en Chine d'un parti communiste qui épaulerait les nationalistes. Différents groupes, issus notamment du mouvement du 4-Mai et encadrés par le Komintern, s'unissent pour former en juillet 1921 le Parti communiste chinois (PCC), qui s'allie au Kuomintang au sein d'un Front uni[213],[214]. En Asie du Sud-Est, un agent du Komintern, le Vietnamien Nguyên Ai Quôc (futur Hô Chi Minh), est chargé d'encadrer les organisations locales. Il fonde en 1930 le Parti communiste indochinois, qui vise l'indépendance des pays de l'Indochine française[215].

À l'échelle internationale, la mouvance communiste est parcourue de divisions. La tendance dite de la Gauche communiste s'oppose à l'autoritarisme des conceptions léninistes : des militants et intellectuels se réclament en effet du luxemburgisme et prônent la prise en main du prolétariat par lui-même, via notamment des conseils ouvriers, plutôt que par des partis politiques. Les principales figures du communisme de conseils, comme les Néerlandais Anton Pannekoek et Herman Gorter, sont rapidement exclues du Komintern et le courant conseilliste est marginalisé dès 1921[216],[99]. Paul Levi tente de préserver l'héritage politique de Rosa Luxemburg au sein du KPD, mais y est finalement exclu[202].

Au cours des années 1920, l'Internationale communiste envoie des émissaires chargés de surveiller la conformité idéologique des partis et d'homogénéiser leur fonctionnement sur le modèle bolchevik. En 1924 commence la phase dite de « bolchevisation » des partis communistes, afin de les réorganiser après l'échec des révolutions européennes[217]. Des organisations de masse (l'Internationale syndicale rouge, l'Internationale paysanne rouge, la Ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale...) animées par des cadres spécialistes de l'agitprop comme l'allemand Willi Münzenberg, sont fondées pour concurrencer celles de la social-démocratie. Le syndicalisme communiste progresse surtout en France, grâce au contrôle de la CGTU[218],[219].

Au cours des années 1920 et 1930, le Komintern ne parvient guère à concrétiser ses ambitions : aucun soulèvement communiste ne réussit et les PC échouent à endiguer la montée des mouvements fascistes et assimilés, à qui la peur du communisme permet au contraire de se renforcer[220]. En Allemagne, après l'échec du coup de force de mars 1921[202], une nouvelle tentative d'insurrection tourne au fiasco en octobre 1923[221]. Divers PC, en Europe ou ailleurs, sont réduits à la clandestinité ou à l'exil, que ce soit en Yougoslavie, en Hongrie, en Finlande, au Portugal, en Espagne ou au Japon[222],[223]. L'insurrection de 1923 du Parti communiste bulgare échoue totalement[224]. Le Parti communiste d'Italie est interdit en 1926 par le gouvernement de Benito Mussolini. Gramsci, chef du parti, est arrêté[225] : pendant son emprisonnement, il se consacre à l'écriture d'une œuvre théorique qui fait par la suite de lui, post mortem, un penseur marxiste très influent[226]. En Amérique latine, des soulèvements au Salvador et au Brésil sont écrasés durant les années 1930 : celui du Salvador, notamment, est réprimé de manière sanglante[227],[228]. Aux Indes orientales néerlandaises et en Indochine française, les communistes tentent de soulever la population mais sont réprimés par les autorités coloniales. L'Internationale communiste subit un revers particulièrement cuisant en Chine, pays sur lequel elle fondait d'importants espoirs. Le Parti communiste chinois, qui infiltre les rangs de son allié le Kuomintang, s'est beaucoup renforcé ; mais, en avril 1927, Tchang Kaï-chek, chef militaire du Kuomintang, rompt avec les communistes lors du massacre de Shanghai. Les communistes chinois - dont émergent des cadres comme Zhou Enlai et Mao Zedong - ne désarment cependant pas et lancent une série d'insurrections qui marquent le début de la guerre civile chinoise[213].

Le régime de Staline en URSS[modifier | modifier le code]

De la mort de Lénine à l'ascension de Staline[modifier | modifier le code]

Portait de Joseph Staline par Isaak Brodsky.

Alors que le mouvement communiste se développe dans le monde, le pouvoir change de mains en URSS du fait de la maladie de Lénine. Victime d'une attaque en mai 1922, le chef du gouvernement soviétique ne peut reprendre ses fonctions qu'à l'automne. Dans l'intervalle, il s'inquiète du comportement de Staline, nommé peu de temps auparavant secrétaire général du Parti communiste. Jugeant que Staline, qu'il trouve trop « brutal », détient désormais un pouvoir excessif dont il risque d'abuser, Lénine envisage de le faire remplacer par une personnalité plus consensuelle. Mais, le , une nouvelle attaque le met définitivement hors jeu[229]. Trotski, rival de Staline, attend l'automne 1923 pour s'attaquer de front à ce dernier : en octobre, les partisans et alliés de Trotski (que l'on tend dès cette époque à appeler « trotskistes »), regroupés au sein de l'opposition de gauche[230], dénoncent dans une lettre ouverte la « dictature de l'appareil » et la bureaucratisation du Parti communiste. Au sein du Politburo, Staline est soutenu notamment par Zinoviev et Kamenev, qui s'inquiètent des ambitions de Trotski : en janvier 1924, le secrétaire général et ses alliés font condamner par le Parti le « révisionnisme anti-bolchevique » et la « déviation anti-léniniste » de l'opposition de gauche[231],[232].

Lénine meurt le . Son corps est embaumé et exposé au sein d'un mausolée construit à cet effet : sa personnalité et ses écrits sont désormais présentés dans des termes quasiment religieux, tandis que le léninisme, codifié par Zinoviev et Staline, est proclamé « idéologie légale exclusive de l'État soviétique ». Le terme marxisme-léninisme apparaît ensuite pour désigner la lecture léniniste du marxisme, mise en orthodoxie par Staline[233],[234],[68].

Après la défaite de l'opposition de gauche et le départ de Trotski du gouvernement en 1925, l'alliance entre Staline, Kamenev et Zinoviev se délite. Zinoviev critique notamment la conception de la NEP par Staline et Boukharine ; Kamenev dénonce quant à lui la « gestion dictatoriale » de Staline. Ce dernier entreprend alors de réduire le pouvoir de ses opposants : Zinoviev, chef du Parti à Leningrad, est démis de son poste et remplacé par Kirov. Zinoviev et Kamenev s'allient alors à Trotski et à d'autres adversaires du secrétaire général, comme Radek, Antonov-Ovseïenko et divers représentants de l'opposition ouvrière. Staline parvient cependant à réorganiser le Politburo à son avantage et fait surveiller ses opposants par le Guépéou, la police secrète qui a succédé à la Tchéka. Fin 1926, il fait exclure Trotski et Kamenev du Politburo. En décembre, Zinoviev est remplacé par Boukharine à la tête de l'Internationale communiste. L'année suivante, Trotski et Zinoviev sont exclus du Parti, et Kamenev du Comité central. En janvier 1928, Trotski et d'autres opposants sont exilés à Alma-Ata[235]. Staline devient donc le chef incontesté de l'URSS en 1928.

Famines et répressions en URSS[modifier | modifier le code]

Manifestation organisée contre les « koulaks ».
Le jour de la constitution : tableau d'Isaak Brodsky, dans un style réaliste socialiste.

À l'hiver 1927-1928, confronté à un effondrement des livraisons de produits agricoles, Joseph Staline a recours à des réquisitions d'urgence. Jugeant la paysannerie responsable de la crise, il décide de mettre un terme à la NEP et de réorganiser le monde rural sous la forme d'exploitations collectives censées être des « forteresses du socialisme », les kolkhozes (coopératives agricoles) et les sovkhozes (fermes d'État). Au sein du Comité central, Nikolaï Boukharine critique ce retour à une politique de réquisitions : Staline fait alors condamner la « déviation droitière » par le Politburo et le CC. Il achève ensuite d'évincer ses rivaux. En janvier 1929, il fait expulser Trotski d'URSS[236],[237],[238] ; il élimine ensuite l'« opposition de droite » de Boukharine, Rykov et Tomski, qui sont démis de leurs fonctions. Boukharine — bientôt exclu du Politburo — et ses partisans sont soumis à une violente campagne de presse, qui fustige leur collusion avec les « capitalistes » et les « trotskistes ». Staline nomme ses fidèles aux postes-clés du Parti[239] et fait adopter un plan quinquennal prévoyant la collectivisation de 20 % des foyers paysans et une industrialisation accrue. Un culte de la personnalité se développe autour de lui ; toute liberté de critique disparaît au sein du Parti[240].

Staline, ayant désormais les mains libres, se lance dans une politique de collectivisation intensive, au plan irréaliste, censée débarrasser l'URSS des « capitalistes ruraux »[241]. Face aux résistances paysannes, le dirigeant soviétique préconise la « liquidation des koulaks en tant que classe »[242]. Les paysans sont « dékoulakisés », c'est-à-dire massivement arrêtés et déportés : entre la fin de 1929 et le début de 1932, près de deux millions de personnes sont envoyées dans des régions inhospitalières ou sur des grands chantiers[243],[244]. Le système concentrationnaire soviétique, désormais baptisé Goulag, devient un véritable « État dans l'État »[245]. Les réquisitions massives dans l'agriculture ont des conséquences catastrophiques : une terrible famine ravage plusieurs régions du pays et fait environ 6 millions de victimes[246]. En Ukraine - où la période est appelée par la suite l'Holodomor - la famine est particulièrement meurtrière, causant la mort d'environ 30 % du groupe ethnique ukrainien[247].

Apogée des campagnes de terreur[modifier | modifier le code]

Au milieu des années 1930, Staline affermit encore son contrôle sur le Parti ; le culte de la personnalité dont il s'entoure est de plus en plus marqué. Lors du XVIIe congrès du PC, en 1934, il est qualifié de « chef des classes ouvrières du monde entier », d'« incomparable génie de notre époque » et de « plus grand homme de tous les temps et de tous les peuples »[248]. Le 1er décembre de la même année, l'assassinat de Sergueï Kirov, chef du Parti à Leningrad, donne à Staline l'occasion de lancer une vaste campagne de terreur, pour purger l'appareil du PC et la société soviétique en vue d'éliminer définitivement toute forme d'opposition réelle ou potentielle. Staline vise à débarrasser la société soviétique de ses éléments présumés hostiles, mais aussi à finir d'épurer le Parti et le régime au profit de ses fidèles. Zinoviev et Kamenev sont arrêtés pour « complicité idéologique » avec les assassins de Kirov[249],[250]. Le NKVD, police politique qui a pris la succession du Guépéou, lance ensuite une vaste campagne d'arrestations de cadres du Parti, censés être des « trotskistes » ou des « zinoviévistes ». Des dizaines de milliers de personnes « peu sûres » ou présumées « antisoviétiques » sont déportées, notamment sur des critères ethniques[251]. En 1935-1936, Staline achève de renforcer sa position en nommant à des postes clés des fidèles comme Anastase Mikoyan ou Nikolaï Iejov. Il s'emploie à réécrire à sa gloire l'histoire du bolchevisme. La propagande s'exerce tant dans le monde du travail, avec la campagne en faveur du « stakhanovisme »[249], que dans les arts, avec le « réalisme socialiste »[252], ou dans les sciences, avec le soutien au pseudo-biologiste Trofim Lyssenko qui fait régner la terreur dans les milieux scientifiques[253].

La période 1936-1938 marque l'apogée de la terreur stalinienne. En août 1936 s'ouvre une parodie de procès - le premier des « procès de Moscou » - qui permet de liquider seize vétérans bolcheviks, parmi lesquels Lev Kamenev, Grigori Zinoviev et Mikhaïl Tomski. Mis en accusation par le procureur Andreï Vychinski, les accusés sont contraints à des « aveux » humiliants[254],[255], reconnaissant avoir comploté contre Staline en liaison avec Trotski et participé à l'assassinat de Kirov ; ils sont tous condamnés à mort. En septembre 1936, Nikolaï Iejov est nommé à la tête du NKVD avec pour mission d'achever de démasquer le « bloc trotskiste-zinoviéviste ». En janvier, un second procès de Moscou aboutit à la condamnation de 17 accusés, parmi lesquels Gueorgui Piatakov et Karl Radek, pour participation à un « centre trotskiste antisoviétique » en liaison avec l'Allemagne nazie et l'empire du Japon. Entre février 1937 et mars 1938, la purge du Parti atteint son apogée : des dizaines, voire des centaines de milliers de responsables sont destitués ou arrêtés. Ils sont remplacés par une nouvelle génération de cadres (celle de Léonid Brejnev, Alexis Kossyguine ou Andreï Gromyko). L'état-major de l'Armée rouge est décimé[256].

Le NKVD, sous la direction de Iejov, se livre à une campagne sans précédent de terreur, d'arrestations et de déportations visant les « ennemis » et les éléments « socialement dangereux » au sein de la population. Les militaires, les scientifiques, l'intelligentsia, le clergé, les « koulaks » ou supposés tels, ainsi que diverses minorités ethniques, sont ciblés à une grande échelle. Les « Grandes Purges » de Staline, également appelées « Grande Terreur », se soldent par des centaines de milliers d'exécutions[257], passées ensuite sous silence durant des décennies[258].

Lors du troisième procès de Moscou, 21 personnalités, parmi lesquelles Nikolaï Boukharine et Alexeï Rykov (mais également Guenrikh Iagoda qui dirigeait le NKVD au moment du premier procès), sont condamnées pour un ensemble de complots. Un grand nombre de communistes étrangers présents en URSS et de cadres du Komintern, sont arrêtés et exécutés, à l'image de Béla Kun[257],[259],[260]. La situation devenant chaotique, Staline met fin aux purges de l'appareil à la fin de 1938. Iejov, blâmé pour les « excès » de la terreur, est remplacé[257],[261].

L'historien Robert Conquest, en cumulant les exécutions et les personnes mortes en prison ou en déportation, évalue le bilan humain de la période stalinienne des années 1930 à environ 20 millions de victimes[262].

Le communisme international, de la stalinisation à l'approche de la guerre[modifier | modifier le code]

De la ligne « classe contre classe » aux fronts populaires[modifier | modifier le code]

Le contrôle sur l'Internationale communiste est également renforcé, et les partis communistes nationaux soumis à une stricte surveillance de la part des envoyés de Moscou[263] : l'appareil du Komintern est repris en main par des fidèles de Staline comme Dmitri Manouïlski et Viatcheslav Molotov[264]. La « bolchevisation » des PC nationaux, entamée dès 1924, s'accompagne de l'épuration de l'appareil dirigeant de nombreux PC[265]. Les personnalités jugées trop indépendantes ou ne suivant pas d'assez près la ligne dominante sont évincées : c'est le cas de Boris Souvarine, exclu du Komintern pour avoir pris la défense de Trotski[266]. Le Parti communiste français est réorganisé au profit d'un nouveau secrétariat, composé de Maurice Thorez, Jacques Duclos et Benoît Frachon[267]. La ligne du Komintern, donc de l'URSS et plus précisément de Staline, prime désormais largement sur les intérêts des partis nationaux[268].

Couverture d'une brochure antiraciste éditée en 1931 par le Parti communiste USA.

Des communistes opposés à Staline créent de nouvelles organisations dissidentes, qui tentent de rivaliser avec les partis du Komintern. En 1929, des exclus du Parti communiste d'Allemagne forment le Parti communiste d'Allemagne - opposition ; en Espagne, différents groupes opposés au Parti communiste d'Espagne fusionnent en 1935 au sein du Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM). Mais malgré les tentatives de constituer une internationale rivale du Komintern, les dissidences demeurent très minoritaires et le communisme reste dominé par le parti soviétique[269].

Dans les pays occidentaux, la dimension électorale des PC est très inégale au tournant de la décennie 1930. Le Parti communiste d'Allemagne est alors le plus puissant d'Europe de l'Ouest[270] ; le Parti communiste français[271] et le Parti communiste tchécoslovaque disposent d'une réelle assise électorale. D'autres, comme le Parti communiste de Grande-Bretagne, le Parti communiste USA ou le Parti communiste du Canada, demeurent très minoritaires[272],[273],[274]. Les PC fonctionnent souvent comme des « contre-sociétés », à la profonde ferveur militante[275].

Statue de Georgi Dimitrov, secrétaire général du Komintern à partir de 1934 (sculpture exposée à Memento Park, Budapest).

À compter de 1929, l'Internationale communiste, se conformant aux instructions de l'URSS, prévoit l'effondrement rapide du capitalisme, ce que la Grande Dépression paraît dans un premier temps confirmer. Les PC sont tenus d'adopter une ligne « classe contre classe », qui consiste à s'opposer radicalement aux partis de gauche modérés. Les socialistes sont désormais accusés de « social-fascisme » ou qualifiés de « sociaux-traîtres », tandis que les communistes considèrent comme secondaires les périls posés par le fascisme et, en Allemagne, par le nazisme[270],[276],[277]. Le résultat de cet aveuglement est catastrophique : après l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler en Allemagne, le KPD est interdit, et des milliers de communistes déportés ou tués, dans le pays qui aurait théoriquement du être le fer de lance de la révolution européenne[270],[278],[279],[280].

En 1934, des cadres du Komintern comme Dimitrov et Togliatti réussissent à convaincre Staline d'adopter une nouvelle ligne. L'URSS envisage désormais une alliance avec la France et le Royaume-Uni contre l'Allemagne nazie, et le Komintern préconise la formation de « fronts populaires » contre le danger « fasciste ». Dimitrov, principal avocat de cette stratégie, devient le chef de l'IC[281]. L'Allemagne nazie conclut quant à elle avec l'empire du Japon un traité d'alliance anticommuniste, le pacte anti-Komintern — auquel adhèrent ensuite l'Italie, la Hongrie, puis l'Espagne franquiste. L'antifascisme - le « fascisme », pris au sens large, étant présenté comme une forme tardive du capitalisme - devient un élément clé de la propagande communiste : on le retrouve plus tard, après 1945, dans le discours officiel des pays du bloc de l'Est[282].

Les partis communistes — désormais alliés aux sociaux-démocrates, aux libéraux et même à certains milieux religieux — gagnent, grâce à la cause antifasciste, de nombreux sympathisants[283]. En outre, la méconnaissance des réalités soviétiques permet alors à l'économie planifiée soviétique d'apparaître à beaucoup comme une alternative souhaitable aux incertitudes de l'économie de marché dont le monde a souffert à la suite du krach de 1929[284]. Le communisme séduit tout particulièrement les milieux artistiques et intellectuels occidentaux[285],[286],[287],[288],[289].

Le Parti communiste français, dirigé par Maurice Thorez, profite pleinement de la nouvelle stratégie du Komintern : un Front populaire est formé avec les anciens ennemis socialistes et radicaux. Le PCF parvient en outre à accroître considérablement son influence syndicale grâce à la réunification de la CGTU avec la CGT, qui entre dans l'orbite communiste. Le Front populaire remporte les législatives de mai 1936. Le PCF, transformé en mouvement de masse, devient le deuxième parti de France derrière la SFIO ; il soutient, sans y participer, le gouvernement de Léon Blum et s'associe aux acquis du Front populaire (accords Matignon, congés payés), sans avoir à se soumettre aux risques de l'exercice du pouvoir[290].

Le Parti communiste d'Espagne (PCE) forme lui aussi un Front populaire avec le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et divers partis de gauche comme le Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM, PC anti-stalinien)[291]. En février 1936, le Front populaire espagnol remporte les élections générales mais doit, quelques mois plus tard, affronter un soulèvement militaire qui marque le début de la guerre d'Espagne[292].

En Amérique latine, la nouvelle politique du Komintern porte aussi ses fruits : au Chili, le Front populaire formé par le Parti communiste du Chili, le Parti socialiste du Chili et le Parti radical, accède au pouvoir en 1938. L'entente entre socialistes et communistes chiliens ne résiste cependant pas au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et à la polémique sur la politique suivie par l'URSS[293]. Toujours en Amérique latine, le parti communiste de Cuba s'allie avec l'homme fort du pays, Fulgencio Batista[294]. La stratégie des fronts populaires est également appliquée en Asie : le Parti communiste d'Inde, qui militait jusque-là pour une révolution immédiate contre les Britanniques, modère son discours et s'allie avec les nationalistes du Congrès dans la lutte pour l'indépendance. Cette nouvelle ligne permet aux communistes indiens de gagner en influence, notamment dans les syndicats[295].

Conflits armés de l'entre-deux-guerres[modifier | modifier le code]

En Chine[modifier | modifier le code]
Monument à la Longue Marche devant le mausolée de Mao Zedong.

En Chine, la situation est particulière, le pays étant depuis 1927 le théâtre d'une guerre civile entre communistes et nationalistes. Le , le Parti communiste chinois, fédérant l'ensemble discontinu de territoires qu'il contrôle, proclame la République soviétique chinoise, avec Mao Zedong comme président. Dès 1930, le chef nationaliste Tchang Kaï-chek lance de nouvelles campagnes contre les « bandits communistes » et tente, d'abord sans succès, d'anéantir leurs bases[296].

Le Komintern, trouvant Mao trop indépendant, entreprend de favoriser à ses dépens le groupe des « 28 bolcheviks » formés à Moscou[297], mais à la fin 1934, les troupes nationalistes parviennent à prendre la principale base communiste, dans le Jiangxi : Mao Zedong et plusieurs dizaines de milliers de communistes doivent entamer la Longue Marche, qui les mène un an plus tard dans la base du Shaanxi. Mao établit alors son nouveau quartier général à Yan'an et bénéficie d'un leadership renforcé sur le Parti communiste, grâce notamment au prestige personnel retiré de la Longue Marche[298],[299]. Parallèlement, l'empire du Japon poursuit ses visées expansionnistes en Chine. En 1936, le camp nationaliste et le Komintern font respectivement pression sur Tchang Kaï-chek et Mao Zedong pour qu'ils unissent leurs forces contre les Japonais : l'accord de Xi'an aboutit à la formation d'un deuxième front uni entre le Kuomintang et le PC chinois, ce qui constitue l'application en Chine de la stratégie des fronts populaires[300].

Bénéficiant de cette trêve, Mao met au point une version « sinisée » du marxisme, qu'il mêle à la philosophie chinoise et adapte aux réalités locales. Il en résulte une doctrine connue en Occident sous le nom de maoïsme et en Chine sous celui de « pensée Mao Zedong »[301] : pour conquérir le pouvoir, Mao mise sur la mobilisation permanente de la population et les tactiques de guérilla[302],[301]. En 1937, l'empire du Japon envahit la république de Chine, déclenchant la seconde guerre sino-japonaise. Les troupes communistes participent aux combats contre les Japonais aux côtés des nationalistes, mais privilégient la consolidation de leurs propres forces afin de pouvoir vaincre plus tard leurs alliés du moment[303]. La résistance anti-japonaise permet aux communistes d'affermir leur influence dans les campagnes où vit la majorité de la population chinoise[304]. Commencée avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la guerre sino-japonaise devient ensuite un théâtre d'opérations de ce nouveau conflit. Entre-temps, Mao consolide son autorité sur le PCC, aux dépens notamment de Wang Ming que le Komintern avait envoyé à Yan'an pour superviser le parti chinois. Le PCC est soumis à partir de 1942 à une purge interne, baptisée « campagne de rectification », qui permet à Mao d'achever d'en prendre le contrôle. En 1943, Mao devient Président du Parti communiste chinois ; il s'affirme ensuite comme le chef absolu du Parti, dont sa pensée devient la doctrine officielle[305],[306].

En Espagne[modifier | modifier le code]

En Espagne, la guerre civile voit l'alliance antifasciste préconisée par le Komintern affronter de manière directe les « fascistes » et assimilés. Durant les premiers mois du conflit, plusieurs régions espagnoles connaissent une « révolution sociale » : les milices « prolétariennes », anarchistes, socialistes, communistes et « poumistes » prennent le contrôle de nombreuses localités, notamment en Catalogne et en Aragon. Des terres agricoles sont expropriées et l'économie « socialisée » de manière spontanée, plus ou moins contre le gré des directions des organisations ouvrières[307].

Parallèlement à cette période d'euphorie révolutionnaire, les zones républicaines sont le théâtre d'une « terreur rouge », commise à la fois par les communistes et les anarchistes contre les catégories sociales suspectées de « fascisme » (clergé, monarchistes, personnes « de droite »…). Le gouvernement républicain est dépassé et la terreur rouge - qui se déroule en parallèle à la terreur nationaliste exercée par les troupes de Franco - choque l'opinion internationale, poussant la France et le Royaume-Uni à choisir la non-intervention[308],[309]. Les nationalistes sont de leur côté soutenus par Hitler et Mussolini ; l'URSS, officiellement neutre, envoie en renfort des républicains des « volontaires » (pilotes de guerre, mais aussi agents du NKVD et du GRU). Des groupes de combattants venus de divers pays, les Brigades internationales, sont recrutés et encadrés par des agents du Komintern[310],[311]. Le gouvernement espagnol, entretemps, rétablit l'ordre et revient sur le décret de collectivisation des terres confisquées, avec l'appui des communistes qui en profitent pour régler leurs comptes avec leurs adversaires d'extrême-gauche. La guerre d'Espagne connaît alors au sein du camp républicain une « guerre civile dans la guerre civile », lors des purges sanglantes lancées par les communistes contre les anarchistes et le POUM. Le conflit s'achève en 1939 par la victoire des franquistes. Les communistes espagnols sont réduits à la clandestinité ou à l'exil[312],[311],[313].

La dissidence trotskiste[modifier | modifier le code]

Léon Trotski en exil au Mexique, entouré de militants trotskistes américains.

Exilé d'URSS et établi dans divers pays successifs - il s'installe finalement au Mexique à partir de janvier 1937 - Léon Trotski tente de définir une stratégie contre la politique stalinienne, dont il conteste d'ailleurs souvent moins les principes que la pratique[314]. Il correspond avec un réseau de sympathisants, dont la Ligue communiste française est l'un des principaux foyers[315]. Des groupes trotskistes apparaissent également très tôt en Amérique latine[316].

D'abord réticent à créer une nouvelle internationale, Trotski prend acte de l'absence de réel sursaut anti-stalinien au sein de la IIIe Internationale et entreprend de réorganiser les groupes trotskistes. Dans le cadre d'une alliance antifasciste, il préconise par ailleurs l'« entrisme » au sein des partis sociaux-démocrates. Une première réunion destinée à préparer la création d'une Quatrième Internationale se tient en février 1934 à Bruxelles, en présence de quatorze délégués[317].

Le trotskisme entreprend dès cette époque de se positionner comme un « autre communisme », qui s'oppose à la version en vigueur en URSS tout en revendiquant l'héritage léniniste. La formation de la IVe Internationale est cependant lente et laborieuse, tandis que les trotskistes font l'objet de campagnes de dénigrement et de persécutions politiques en URSS : Staline, dénonce à l'époque Trotski comme le maître d'un complot anti-soviétique[318]. La famille de Trotski, restée en URSS, est décimée ; son fils Lev Sedov, qui contribuait à coordonner les groupes trotskistes à travers le monde, meurt à Paris en février 1938 dans des circonstances obscures, à la suite d'une opération[319]. La Quatrième Internationale est finalement fondée en septembre 1938 en région parisienne, en présence de 21 délégués venus de 11 pays, dont un agent infiltré du NKVD[318].

À l'approche de la Seconde Guerre mondiale, les trotskistes demeurent divisés, notamment au sujet du soutien qu'il conviendrait d'apporter ou non à l'URSS. Le , Trotski lui-même est assassiné dans son exil mexicain par un agent du NKVD[320].

Le communisme durant la Seconde Guerre mondiale[modifier | modifier le code]

Du pacte germano-soviétique à la guerre contre l'Axe[modifier | modifier le code]

Signature du pacte germano-soviétique.

Face à l'expansionnisme de Hitler en Europe, préoccupée par la signature du Pacte antikomintern et n'ayant plus confiance en la politique de sécurité collective à la suite des accords de Munich, l'URSS cherche à éviter d'être prise en tenaille entre l'Allemagne et le Japon. En 1938 et 1939, plusieurs incidents opposent l'Armée rouge à l'Armée impériale japonaise à la frontière mongole ; ce conflit aboutit à une trêve, mais Staline est, à l'été 1939, plus décidé que jamais à éviter l'encerclement. Ne comptant plus sur une alliance avec les Britanniques et les Français, il prend, avec Viatcheslav Molotov, la décision de conclure un pacte de non-agression avec l'Allemagne nazie. Le , Molotov et le ministre allemand Joachim von Ribbentrop signent le pacte germano-soviétique, créant la stupeur dans le monde entier. Une clause secrète délimite les zones d'influence allemande et soviétique en Europe de l'Est, prévoyant entre autres le partage de la Pologne[321]. Plusieurs centaines de communistes allemands réfugiés en URSS sont livrés aux nazis[322],[283].

L'Internationale communiste donne l'ordre aux PC de rester neutres en cas de guerre en Europe de l'Ouest, qui devra être considérée comme un conflit « impérialiste ». Le pacte provoque un choc profond au sein du mouvement communiste mondial ; de nombreux PC connaissent une hémorragie de militants. En France, un mois après la signature du pacte, le gouvernement dissout le PCF[323],[324].

Le 1er septembre, l'Allemagne envahit la Pologne, déclenchant la Seconde Guerre mondiale. Le 17, l'Armée rouge pénètre à son tour en Pologne. Plus de 30 000 prisonniers polonais, en majorité des officiers, fonctionnaires et policiers, sont tués par les Soviétiques au printemps 1940 : le massacre de Katyń, dans lequel périssent plus de 20 000 militaires polonais, reste par la suite emblématique de cette vague d'assassinats dont l'URSS ne reconnaît la responsabilité que plusieurs décennies plus tard. En application du protocole secret, l'URSS impose peu après des « traités d'assistance mutuelle » aux pays baltes. La Finlande ayant repoussé les exigences soviétiques, l'URSS l'attaque le 29 novembre, déclenchant la « guerre d'Hiver » : cela lui vaut d'être exclue de la SDN. Sur les territoires qu'ils occupent, les Soviétiques créent une « République démocratique finlandaise », mais les Finlandais opposent une résistance inattendue. En mars 1940, par le traité de Moscou, la Finlande cède finalement à l'URSS Vyborg et l'isthme de Carélie, mais le conflit a été, pour les Soviétiques, une opération bien plus difficile que prévu. Coûteux en hommes, il révèle en outre l'impréparation de l'Armée rouge. Pendant l'été, l'URSS envahit et annexe l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie[325].

Joseph Staline, Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill à la conférence de Téhéran.

Dès l'été 1940, les relations germano-soviétiques se dégradent. L'URSS joue l'apaisement en proposant d'adhérer au pacte tripartite ; en avril 1941, elle se prémunit contre une invasion sur son flanc asiatique en signant un pacte de neutralité avec le Japon. Staline, s'il pense la guerre avec le Reich inévitable à terme, refuse cependant de croire à l'imminence de l'attaque allemande et se montre sourd aux avertissements. Le , l'Allemagne déclenche l'opération Barbarossa, invasion à grande échelle du territoire de l'URSS, prenant les Soviétiques de court[326],[327],[328].

Carte de l'opération Barbarossa, qui marque le début de la « Grande Guerre patriotique ».

L'Armée rouge subit des pertes terribles durant les premiers mois du conflit. Mais l'URSS, moins isolée que ne l'escomptait Hitler, bénéficie rapidement du soutien matériel et financier du Royaume-Uni, ainsi que de celui des États-Unis dans le cadre du programme Lend-Lease. La résistance des troupes soviétiques parvient à ralentir l'avance des Allemands et de leurs alliés européens de l'Axe. Les Soviétiques sont en outre aidés par les méthodes nazies : accueillis de manière relativement favorable en Ukraine ou en Biélorussie, voire parfois comme des libérateurs dans les pays baltes, les occupants se livrent bientôt à des exactions atroces qui retournent les populations contre eux. Le conflit est d'une rare violence : l'Armée rouge perd environ neuf millions d'hommes au cours de la guerre, qui entraîne également la mort de quinze à dix-huit millions de civils soviétiques[329],[330].

Pour galvaniser la population soviétique, Staline fait appel dans sa propagande non plus uniquement à l'idéologie communiste, mais aussi à la fibre patriotique et nationaliste : il s'emploie à susciter un consensus social dans la « Grande Guerre patriotique », et multiplie les mesures de libéralisation. L'URSS contribue plus que tout autre pays à la défaite allemande en Europe[331],[330]. Désormais fêté pour sa résistance par la propagande alliée, Staline entreprend de rassurer Britanniques et Américains en dissociant l'URSS de la révolution mondiale : en mai 1943, l'Internationale communiste est dissoute, ce qui permet de supprimer en apparence la subordination des PC envers l'URSS. Dans les faits, les fonctions du Komintern sont transférées au Département international du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique, dirigé par Dimitrov, ancien chef de l'Internationale[332].

À partir de l'invasion de l'URSS en juin 1941, les communistes européens entrent en résistance dans tous les pays occupés. Ils prennent, dans certains pays, une part essentielle au combat anti-nazi : la libération nationale est présentée comme liée au sort de l'URSS, dans le cadre d'une lutte antifasciste mondiale. Dans les pays occupés par l'Allemagne, les communistes sont réprimés et déportés[333]. En France, où plusieurs cadres du PCF avaient envisagé, au début de l'occupation allemande, de faire légaliser le parti, les communistes entament la lutte contre les occupants après Barbarossa. La politique des Allemands et de Vichy provoque à partir de 1942 un afflux de volontaires dans les rangs des Francs-tireurs et partisans (FTP). Les communistes, devenus un pilier de la résistance intérieure française, se rapprochent de la France libre : à la mi-1943, le Front national, l'organisation créée pour chapeauter les actions du PCF, participe au Conseil national de la Résistance et au commandement des Forces françaises de l'intérieur[334]. La résistance italienne se développe après la chute de Mussolini et l'invasion allemande : les communistes tiennent un rôle de premier plan dans la lutte contre les Allemands et la République sociale italienne. Palmiro Togliatti, revenu d'exil, prêche la modération et convainc les partisans que la révolution ne sera pas à l'ordre du jour après-guerre[335].

Des membres de la direction des Partisans yougoslaves en 1944 ; Tito se trouve à droite.

Dans les Balkans occupés, les factions communistes et non communistes de la résistance en arrivent à s'affronter[336]. Le Parti communiste de Grèce forme le Front de libération nationale (EAM) dont l'Armée populaire de libération nationale grecque (ELAS) est la branche armée : l'EAM-ELAS, de loin le mouvement le plus puissant de la résistance grecque, s'attaque aussi bien aux résistants anticommunistes qu'aux occupants[337]. Josip Broz alias Tito, chef du Parti communiste de Yougoslavie clandestin, met sur pied les Partisans et entame le conflit contre les occupants, dans l'espoir de l'arrivée de l'Armée rouge. Les communistes yougoslaves se trouvent bientôt en conflit avec les Tchetniks, résistants nationalistes serbes. La guerre de résistance en Yougoslavie se double bientôt d'une véritable guerre civile : divers chefs tchetniks s'allient aux Italiens, puis aux Allemands, en privilégiant le combat contre les communistes. Fin 1943, Churchill décide de soutenir les Partisans, considérés comme plus fiables dans la lutte contre les nazis, au détriment des Tchetniks. L'organe de direction des Partisans, le Conseil antifasciste de libération nationale de Yougoslavie (AVNOJ), se proclame alors gouvernement légitime du pays[336],[338],[339]. Dans l'Albanie annexée par l'Italie, Enver Hoxha organise une force de résistance et crée, en novembre 1941, le Parti communiste d'Albanie[340].

En Asie également, que ce soit en Chine, en Malaisie ou aux Philippines, des communistes participent au combat contre les Japonais. Le poids décisif de l'URSS dans le conflit mondial, ainsi que la contribution des communistes aux mouvements de résistance nationaux, permettent au régime soviétique et aux PC de bénéficier, dans le monde entier, d'une vague de sympathie. Des partis dont l'image avait souffert du pacte germano-soviétique peuvent ainsi revenir sur le devant de la scène, et bénéficier d'un afflux de militants[336],[341].

Le communisme dans le camp des vainqueurs[modifier | modifier le code]

Offensive sur Berlin en 1945.

En 1943-1944, les Soviétiques prennent face aux Allemands un avantage militaire décisif : ils remportent les batailles de Stalingrad et de Koursk, mettent fin au siège de Leningrad et réalisent une grande offensive vers l'Ouest, atteignant la Pologne à l'été 44. Lors du soulèvement de Varsovie mené pour l'essentiel par la résistance polonaise non communiste, l'Armée rouge arrête son avance sur la capitale, laissant l'Armia Krajowa, favorable au gouvernement polonais de Londres, se faire écraser par les Allemands. L'Armia Ludowa (Armée du Peuple) et le Comité polonais de Libération nationale (dit « Comité de Lublin ») des communistes polonais peuvent alors occuper le terrain, avec le soutien des Soviétiques. L'Armée rouge envahit également la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie, pays alliés du Reich : des gouvernements de coalition, dominés par les communistes locaux ou incluant ceux-ci, sont formés dans tous ces pays. En Yougoslavie, l'Armée rouge effectue une incursion qui permet à Tito de prendre Belgrade[342],[343]. Les pays baltes, reconquis par l'URSS, redeviennent des républiques soviétiques[344]. En Albanie, le Mouvement de libération nationale d'Enver Hoxha prend le pouvoir à la faveur du retrait allemand[345]. En octobre 1944, les Allemands évacuent la Grèce tandis que les Britanniques débarquent. La situation politique grecque se dégrade très vite : les ministres communistes démissionnent dès décembre du gouvernement d'union nationale, et l'ELAS combat les Britanniques durant plusieurs semaines avant de déposer les armes[337]. En Yougoslavie, Tito prend en mars 1945 la tête d'un gouvernement provisoire[336].

En octobre 1944, alors qu'une partie de l'Est de l'Europe est déjà occupée par l'URSS, Churchill propose à Staline un plan de partage des zones d'influence : la Roumanie serait à 90 % sous influence soviétique et 10 % sous influence britannique, la Grèce à 90 % sous influence britannique, la Bulgarie à 75 % réservée aux Soviétiques, la Hongrie et la Yougoslavie étant partagées à 50/50 %[343]. La conférence de Yalta, en février 1945, règle à l'avantage des Soviétiques plusieurs points fondamentaux de la situation européenne, dont le tracé des frontières polonaises. L'URSS s'engage également à déclarer la guerre au Japon en échange de l'annexion du sud de Sakhaline et des îles Kouriles. En avril et mai, les Soviétiques entrent dans Berlin, puis dans Prague. À la fin de la guerre en Europe, l'Est de l'Allemagne et l'essentiel de l'Europe orientale sont occupés par l'Armée rouge[346]. Dans le reste de l'Europe, malgré un contexte fort différent qui ne permet pas aux PC locaux d'espérer prendre le pouvoir, l'influence des communistes est également renforcée. Au sortir de la guerre, de nombreux partis communistes français participent à des gouvernements de coalition[334],[335].

Après la fin de la guerre en Europe, et entre les deux bombardements atomiques américains, l'URSS envahit la Mandchourie, les îles Kouriles, la Mongolie-Intérieure, Sakhaline et la Corée, accélérant la reddition du Japon et la fin du conflit mondial. Les communistes chinois ne bénéficient pas d'une aide très active de la part des Soviétiques, mais gagnent de précieuses bases d'opération en Mandchourie et s'emparent des armes des Japonais[347]. Le Nord de la Corée est occupé par les Soviétiques, tandis que les Américains occupent le Sud[348]. En Indochine française où l'Armée impériale japonaise stationnait à sa guise, Nguyễn Ái Quốc alias Hô Chi Minh, chef du Parti communiste indochinois revenu au pays après trente ans d'exil et de missions pour le compte du Komintern, a créé en mai 1941 le Việt Minh, qui se veut un large « front national » indépendantiste et bénéficie durant la guerre de l'aide des Américains. Les Japonais anéantissent l'administration française en Indochine en mars 1945 ; en août, le Việt Minh profite du vide politique qui suit leur reddition, et prend le pouvoir dans le Nord du territoire vietnamien. Le 2 septembre, Hô Chi Minh proclame l'indépendance de la « république démocratique du Viêt Nam »[349],[350].

Le communisme durant la guerre froide[modifier | modifier le code]

Statue de Lénine.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale les troupes soviétiques occupent la majeure partie de l'Europe de l'Est : Winston Churchill déclare dès mars 1946 qu'« un rideau de fer s'est abattu à travers le continent »[351]. Les relations entre l'URSS et ses anciens alliés, le Royaume-Uni et les États-Unis, se dégradent très rapidement alors que l'URSS et les États-Unis, qui apparaissent comme les deux superpuissances majeures de l'après-guerre, entreprennent tous deux de consolider et d'étendre leur influence internationale. Le président américain Harry Truman est convaincu de la nécessité de mettre en place une politique de « containment » (endiguement) de l'expansion communiste, sa position prenant le nom de doctrine Truman[352],[353]. De son côté, Staline est convaincu par le plan Marshall que la confrontation entre pays communistes et non communistes est inévitable : en 1947, l'URSS met en place un nouvel organisme, le Kominform, pour assurer la liaison entre les partis communistes européens. Lors de la première réunion du Kominform, le délégué soviétique Andreï Jdanov présente le monde comme divisé entre un camp « anti-démocratique et impérialiste » et un autre « anti-impérialiste et démocratique » ; cette conception prend le nom de doctrine Jdanov[354]. La « guerre froide », ainsi nommée car elle n'impliqua jamais de conflit militaire direct entre les deux principales puissances, l'URSS et les États-Unis, oppose désormais les pays communistes dans leur ensemble au « monde libre », entendu comme l'ensemble des pays non communistes. Dès ses premières années, la guerre froide donne cependant lieu à des conflits militaires ouverts comme la guerre civile grecque en Europe et, en Asie, la guerre d'Indochine et surtout la guerre de Corée[355].

La période 1949-1950 marque le point culminant de la première phase de la guerre froide, avec la fin du blocus de Berlin, la création de deux États allemands distincts, la formation de l'OTAN que l'URSS interprète comme une menace directe. En août 1949, l'URSS fait exploser sa première bombe A : Staline réussit ainsi dans son projet de rattraper le retard militaire sur les États-Unis, en faisant de son pays une puissance nucléaire. Enfin, la Chine communiste naît en octobre 1949, et la guerre de Corée est déclenchée l'année suivante[356],[357].

Extension du communisme en Europe et en Asie[modifier | modifier le code]

Division de l'Europe par le Rideau de fer[modifier | modifier le code]
Division de l'Europe au temps du Rideau de fer.

En URSS, le caractère autoritaire du régime est réaffirmé de manière souvent brutale, décevant les espoirs de réformes nourris pendant la guerre par une partie de la population. Plus de 40 % des prisonniers de guerre soviétiques rapatriés sont renvoyés à l'armée, voire au goulag. Dans les territoires conquis en 1939-1940 puis réintégrés à l'URSS à la fin de la guerre - soit l'Ukraine occidentale, les pays baltes et la Moldavie - les résistances à l'annexion et à la collectivisation doivent être écrasées. Des centaines de milliers de récalcitrants, de collaborateurs réels ou supposés et plus généralement d'éléments de « classes hostiles » sont déportés. Le système concentrationnaire atteint son apogée[358]. Le régime stalinien entreprend en outre à partir de 1946 de reprendre le contrôle de la vie intellectuelle, qui s'était quelque peu relâché durant la guerre, notamment avec l'aide de Andreï Jdanov dans le domaine culturel et de Lyssenko dans le domaine biologique[359].

Entre 1945 et 1949, des régimes communistes sont mis en place dans l'ensemble des pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale : ces nouveaux « pays frères » de l'URSS constituent l'ensemble connu sous le nom de bloc de l'Est. Dans tous les pays de l'Est, les seuls partis politiques autorisés sont désormais soit le PC local en tant que parti unique officiel, soit la coalition formée par le PC et les partis qui lui sont subordonnés. Les régimes ainsi constitués se présentent comme des « démocraties populaires », terme emprunté par Staline à la propagande des Partisans yougoslaves pendant la guerre et imposé ensuite aux dirigeants communistes est-européens. Dans les démocraties libérales d'Europe occidentale, la plupart des partis communistes sont marginalisés dès le début de la guerre froide : certains d'entre eux conservent cependant un électorat important, notamment en Italie et en France[360],[361]. Le seul pays d'Europe de l'Ouest à avoir - de 1945 à 1957 - un gouvernement à majorité communiste est le micro-État de Saint-Marin, enclavé en Italie et très influencé par la vie politique italienne[362].

Formation du Bloc de l'Est[modifier | modifier le code]

Dans l'ensemble des pays d'Europe de l'Est, occupés pour la plupart par l'Armée rouge, des régimes aux structures calquées sur celles de l'URSS apparaissent. Aidés par des conseillers soviétiques, les communistes locaux s'arrogent - immédiatement ou progressivement - le monopole du pouvoir et mettent en place des États policiers ; l'Europe de l'Est est placée sous l'étroite influence du gouvernement de Moscou, dont les nouveaux régimes apparaissent comme des dépendances directes[363]. Dans plusieurs pays, des maquis de résistance anticommuniste mènent la lutte durant plusieurs années, notamment en Pologne[364], en Bulgarie[365] et en Roumanie[366], mais aussi dans certains territoires reannexés par l'URSS comme les pays baltes, la Biélorussie et l'Ukraine[367].

En Yougoslavie, dès la victoire des Partisans en 1945, le Parti communiste de Yougoslavie dirigé par Tito détient le monopole du pouvoir et mène des purges sanglantes contre les opposants et les collaborateurs. Des élections législatives sont organisées dans des conditions si irrégulières que l'opposition boycotte le scrutin, laissant les communistes seuls en lice. La monarchie est officiellement abolie en novembre, laissant place à la république fédérative populaire de Yougoslavie, avec le PCY comme parti unique. Le pays devient un État fédéral, avec six républiques théoriquement placées sur un pied d'égalité : les nationalités yougoslaves voient leurs spécificités reconnues. Dans l'Albanie voisine, le Parti communiste d'Albanie dirigé par Enver Hoxha, sous couvert d'un « Front démocratique », détient tous les pouvoirs dès l'automne 1944 et remporte officiellement 93 % des suffrages aux élections. La république populaire d'Albanie est proclamée en janvier 1946[368],[369],[370].

Portrait du « Petit père des peuples » Joseph Staline, affiché à l'occasion du 70e anniversaire de ce dernier, sur la façade du siège du SED à Berlin-Est.

En Pologne, la coalition dirigée par le Parti ouvrier polonais obtient officiellement plus de 80 % des voix lors d'élections truquées. Les opposants sont réduits au silence ou à l'exil. Le Parti socialiste polonais est absorbé par le Parti ouvrier, qui devient le Parti ouvrier unifié polonais[371],[372].

En Roumanie, sous la pression des occupants soviétiques, le PC roumain entre au gouvernement. Les communistes épurent l'administration et, en novembre 1946, sont déclarés vainqueurs d'élections législatives qu'ils ont en réalité perdues. Ils s'emparent ensuite du pouvoir, en s'appuyant notamment sur leur police politique, la Securitate. En décembre 1947, le roi Michel Ier est contraint à l'abdication : la République populaire roumaine est proclamée[373],[374].

Portraits de Joseph Staline et du président tchécoslovaque Klement Gottwald.

En Bulgarie, Georgi Dimitrov, revenu au pays, reprend la tête du Parti communiste bulgare. Des purges, menées dès septembre 1944 lors de l'invasion du pays par l'Armée rouge, permettent de neutraliser l'opposition. Au sein de la coalition du Front patriotique, les communistes marginalisent leurs alliés agrariens et sociaux-démocrates. La monarchie est abolie en septembre 1946 ; Dimitrov devient chef du gouvernement de la république populaire de Bulgarie, tandis que les communistes déclenchent une campagne de terreur contre leurs adversaires. Le dernier député d'opposition est arrêté en juin 1948[375],[376],[377].

En Tchécoslovaquie — pays qui n'est alors pas occupé par l'Armée rouge — le Parti communiste tchécoslovaque arrive au pouvoir par ses propres moyens. En 1945, le PCT, dirigé par Klement Gottwald, Antonín Zápotocký et Rudolf Slánský, participe au gouvernement de coalition mis en place par le président Edvard Beneš. Bénéficiant d'un vrai soutien dans la population grâce à leur opposition aux accords de Munich et à leur participation à la résistance[378], les communistes consolident leur influence, en profitant notamment de la maladie de Beneš. En février 1948, lors du coup de Prague, ils prennent le contrôle du pays : un nouveau gouvernement est formé, composé pour moitié de ministres PCT. Beneš est remplacé par Gottwald. Les partis et l'administration sont épurés et une nouvelle constitution est adoptée, achevant d'instaurer le régime communiste en Tchécoslovaquie[379],[380].

Walter Ulbricht, secrétaire général du Parti socialiste unifié d'Allemagne et dirigeant de la République démocratique allemande.

En Hongrie, le Parti communiste hongrois, dirigé par Mátyás Rákosi — membre en 1919 du gouvernement de la République des conseilsErnő Gerő et Imre Nagy détient des ministères clés dans le gouvernement de coalition : mais, dépourvu de réel soutien populaire, il est battu lors des élections de novembre 1945. Rákosi emploie alors une stratégie progressive, la « tactique du salami », pour s'emparer des leviers du pouvoir et forcer les autres partis à se scinder ou à fusionner avec le Parti communiste. László Rajk, ministre communiste de l'intérieur, met sur pied une police secrète, l'AVH, et liquide l'opposition par la terreur. Une nouvelle constitution est adoptée en 1949 et la Hongrie prend le nom de république populaire de Hongrie ; le Parti des travailleurs - nouveau nom du PC - devient parti unique[381],[382].

Dans la zone d'occupation soviétique en Allemagne, le Parti communiste d'Allemagne est, dès juin 1945, le premier parti à se reconstituer après la défaite du régime nazi : ses cadres prennent le contrôle des administrations avec le soutien des Soviétiques. En avril 1946, les parties des appareils du KPD et du Parti social-démocrate d'Allemagne présentes dans la zone soviétique fusionnent au sein du Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED). En juin 1948, réagissant à la création par les Alliés occidentaux d'une nouvelle monnaie dans leur Trizone, Staline ordonne le blocus de Berlin-Ouest. Durant près d'un an, l'aviation occidentale ravitaille l'ouest de la ville via un pont aérien ; Staline finit par renoncer au blocus. Le 7 octobre 1949, le camp communiste réagit à la proclamation de la République fédérale d'Allemagne (RFA, dite Allemagne de l'Ouest) quelques mois plus tôt, en proclamant la République démocratique allemande (RDA, dite Allemagne de l'Est). L'Allemagne est désormais divisée en deux entités opposées : en RDA, les seuls partis autorisés sont le SED et ceux qui lui sont subordonnés au sein du Front national[383],[384].

Les dirigeants est-européens sont dans leur majorité directement subordonnés à Staline ; des milliers de conseillers militaires et économiques soviétiques sont envoyés pour seconder les États du Bloc. En janvier 1949 est créé le Conseil d'assistance économique mutuelle, structure liant l'URSS et les différents « pays frères »[385]. Les régimes du bloc de l'Est, très dépendants politiquement et économiquement de l'URSS, s'inspirent étroitement du modèle soviétique. L'armée et les services de police - notamment les polices politiques comme la Securitate roumaine ou la Stasi est-allemande - sont des piliers des nouveaux régime. Des économies planifiées sont mises en place, et les populations embrigadées[386],[387]. Bien que d'importantes inégalités demeurent, notamment du fait de l'existence de la nomenklatura, des mesures destinées à favoriser le progrès social sont prises. Les régimes communistes s'emploient à garantir le droit à l'éducation gratuite pour tous, l'accès à la culture, aux frais médicaux et à la retraite, et à réduire les écarts de salaire[388].

Le bloc de l'Est subit son premier remous important dès 1948 au moment de la rupture entre l'URSS et la Yougoslavie : bien que Tito se montre un stalinien loyal, Staline s'agace de l'indépendance des Yougoslaves[389],[369]. La crise éclate en mars 1948 : quelques mois plus tard, le Parti communiste de Yougoslavie est exclu du Kominform. Staline espère que Tito sera rapidement renversé par la tendance pro-soviétique du PCY, mais le dirigeant yougoslave tient au contraire bon et purge son parti des cadres pro-soviétiques. Dès 1949, les États-Unis aident financièrement la Yougoslavie. Le pays demeure un État à parti unique, mais Tito favorise une certaine détente : il fait le choix d'une recherche de l'efficacité économique et d'un nouveau modèle officiellement basé sur l'autogestion, accordant également aux Yougoslaves davantage de libertés - notamment de voyage - que les habitants des autres pays de l'Est[390],[391],[392].

La Yougoslavie est soumise à une violente campagne de propagande de la part de tous les PC staliniens[393]. L'accusation de « titisme » devient un prétexte pour purger les appareils des PC est-européens, qui sont repris en main dans les mois suivant la rupture soviéto-yougoslave. Dès 1948-1949 et jusqu'au début des années 1950, de nombreux dirigeants et cadres communistes du bloc, considérés comme trop nationalistes ou simplement trop indépendants, ou bien perçus comme des rivaux potentiels par d'autres dirigeants, sont démis de leurs fonctions et arrêtés, voire exécutés, souvent sous l'accusation de collusion avec Tito. Ce prétexte sert ainsi à évincer Władysław Gomułka en Pologne, Traïcho Kostov en Bulgarie, László Rajk en Hongrie ou Koçi Xoxe en Albanie. En Tchécoslovaquie, divers cadres dirigeants, dont le secrétaire général du Parti Rudolf Slánský, sont jugés en novembre 1952 pour trahison et espionnage. La mascarade judiciaire qui s'ensuit, connue sous le nom de procès de Prague, est accompagnée d'une campagne de propagande aux accents antisémites : la plupart des accusés étant juifs, ils sont dénoncés comme « sionistes » et donc forcément portés à trahir. Cette campagne contre le « cosmopolitisme » et le « sionisme » est commune aux autres pays du bloc : c'est dans ce contexte qu'est évincée en Roumanie la ministre des affaires étrangères Ana Pauker qui était jusque-là l'un des principaux cadres du régime[394],[395].

Dans les autres pays européens[modifier | modifier le code]
Emblème du Parti communiste italien.

En Europe de l'Ouest et en Europe du Nord, les PC déclinent rapidement au début de la guerre froide : ils ne demeurent des forces de premier plan que dans trois des principaux pays européens, la France, l'Italie et la Finlande[396].

Le Parti communiste français réalise une percée historique lors des élections de 1945 et atteint son apogée avec celles de novembre 1946, avec 28,3 % des suffrages. Le PCF devient le premier parti de France en nombre de voix : il s'implante très fortement en milieux ouvrier et rural, mais aussi dans le monde intellectuel où les communistes gagnent de nombreux « compagnons de route » prestigieux[397]. Le PCF participe au gouvernement de coalition mais la situation intérieure française se tend, notamment du fait du contexte international et en particulier de la guerre d'Indochine : en octobre 1947, les communistes sont exclus du gouvernement Ramadier. Tout en restant très implanté sur le plan électoral, le PCF se trouve désormais dans l'opposition pour plusieurs décennies. Les communistes français usent par ailleurs de l'argument pacifiste en lançant en 1950 le Mouvement de la paix : l'« appel de Stockholm », pétition lancée par le Conseil mondial de la paix pour réclamer l'interdiction de l'arme atomique, leur permet de s'approprier en partie, en France et ailleurs, la thématique pacifiste[398]. Le culte de la personnalité de Maurice Thorez atteint son apogée à la fin des années 1940, tandis que le PCF connaît plusieurs purges de son appareil. En 1952, alors que Thorez, malade, est soigné à Moscou, son entourage évince de la direction du PCF ses rivaux André Marty et Charles Tillon[399],[396].

Le Parti communiste italien, dirigé par Palmiro Togliatti, tire un grand prestige de sa participation à la résistance contre l'occupant allemand et les fascistes. En 1946, le nombre de ses adhérents dépasse deux millions, en comptant les Jeunesses communistes. Le PCI participe jusqu'en mai 1947 au gouvernement de coalition d'après-guerre, mais en est ensuite évincé sous la pression des États-Unis[400]. Le Front démocratique populaire, coalition du PCI et du PSI, remporte plus de 30 % des voix lors des élections de 1948, mais est nettement battu par la Démocratie chrétienne. Rejeté dans l'opposition sur le plan national, le PCI conserve néanmoins une position dominante au sein de la gauche italienne et reste implanté dans tout le pays[401].

Le Parti communiste de Finlande participe au gouvernement de coalition jusqu'en 1948. Battu aux élections législatives et relégué dans l'opposition, il entretient une culture politique ouvriériste qui lui permet de conserver de nombreux électeurs : en 1958, la coalition qu'il dirige, la Ligue démocratique du peuple finlandais, remporte 23,3 % des suffrages aux élections législatives et constitue le groupe parlementaire le plus important à la Diète nationale[396].

La Grèce représente en Europe un cas particulier : la situation politique, déjà explosive à la fin de la guerre mondiale, débouche en 1946 sur une guerre civile qui dure jusqu'en 1949. Staline, qui juge que l'insurrection en Grèce n'a aucune chance de réussir et souhaite éviter un conflit direct avec les pays occidentaux, n'accorde pas d'aide aux insurgés grecs, s'irritant même du soutien logistique que leur apporte la Yougoslavie jusqu'à la rupture de 1948[402],[403]. Les communistes grecs, qui réalisent en leur propre sein des épurations sanglantes, sont finalement défaits par l'armée régulière : entre 80 000 et 100 000 d'entre eux doivent se réfugier dans les pays du bloc de l'Est, où une partie sont ensuite victimes des purges mises en œuvre soit par les pays qui les accueillent, soit par l'appareil du Parti communiste de Grèce exilé[404].

L'anticommunisme aux États-Unis[modifier | modifier le code]

Aux États-Unis, le début de la guerre froide suscite une vaste campagne anticommuniste, nouvel avatar de la « peur rouge » qui avait suivi la révolution d'Octobre. Le parti communiste américain est presque réduit à néant : ses dirigeants sont arrêtés en 1948 et condamnés à des peines de prison pour « conspiration » contre le gouvernement. À la même époque, le sénateur Joseph McCarthy dénonce avec outrance les infiltrations communistes au sein du gouvernement, des médias et des milieux culturels : de nombreuses personnalités sont interrogées à ce titre par le Comité des activités anti-américaines de la Chambre des représentants. La période dite du maccarthysme s'accompagne de certaines affaires retentissantes comme la condamnation à mort des époux Rosenberg pour espionnage au profit de l'URSS. McCarthy lui-même est finalement discrédité du fait de ses abus de pouvoir, mais sa campagne contribue à marginaliser totalement les idées communistes aux États-Unis[405],[406].

Le cas du trotskisme[modifier | modifier le code]

En dehors du camp stalinien, le trotskisme, privé de son chef assassiné en 1940, est très affaibli au sortir de la guerre mondiale[407]. Le courant continue néanmoins d'exister, tout en ayant de grandes difficultés à rester uni. Le militant d'origine grecque Michel Pablo entreprend de rassembler la majorité des trotskistes français au sein du Parti communiste internationaliste[408]. En 1946, une conférence se tient à Paris pour reconstituer la Quatrième Internationale dispersée durant la guerre. L'Internationale trotskiste connaît avec le temps de très nombreux départs et dissensions, dus aux querelles d'idéologie et de personnes comme aux désillusions des militants. En 1952, le trotskisme se scinde entre le courant « pabliste » (du nom de Pablo) qui prône la fin de l'opposition systématique envers l'URSS, et le courant lambertiste (du nom de Pierre Boussel alias « Lambert ») : les groupes du monde entier se divisent ou scissionnent. Malgré une aura parfois mythique, due en partie à l'idéalisation de la figure de Trotski mais aussi au culte du secret pratiqué par beaucoup de ses organisations, le trotskisme reste divisé et marginal[409],[410],[411],[412]. Ce n'est qu'en 1963, après plus de dix ans de déchirements, qu'est fondé le Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale, sans que le courant trotskiste ne soit durablement réunifié[413].

Progrès du communisme en Extrême-Orient[modifier | modifier le code]
La naissance de la Chine communiste[modifier | modifier le code]
Portrait de Mao Zedong, fondateur de la république populaire de Chine.

Hors d'Europe, le communisme connaît notamment une progression spectaculaire en Extrême-Orient, ce qui donne par la suite naissance à l'expression « rideau de bambou », équivalent asiatique du rideau de fer. Au sortir de la guerre mondiale, la tension entre les nationalistes du Kuomintang et le Parti communiste chinois est à nouveau à son maximum : les États-Unis tentent en vain une médiation. Le régime de Tchang Kaï-chek gère l'économie du pays - ruinée par le conflit - de manière désastreuse, ce qui profite aux communistes. Dès 1946, la guerre civile chinoise reprend. En promettant une réforme agraire, les communistes obtiennent l'appui crucial des campagnes. En janvier 1949, l'Armée populaire de libération des communistes encercle Pékin[414]. Le 1er octobre 1949, Mao Zedong proclame la république populaire de Chine, dont il est le président[415].

Les Soviétiques sont circonspects face à ce nouvel allié ; ce n'est que le que le pacte sino-soviétique est signé[416]. Mao, qui apprécie peu l'attitude de Staline à l'égard de son pays, a néanmoins besoin de l'appui des Soviétiques pour rebâtir la Chine. Par ailleurs, dès octobre 1950, le Tibet, qui échappait au contrôle chinois depuis 1912, est envahi par l'armée de Mao : en mai 1951, le 14e dalaï-lama doit signer l'accord en 17 points sur la libération pacifique du Tibet qui reconnaît la souveraineté chinoise. La Chine populaire s'emploie à purger les cadres et partisans du Kuomintang, puis met en œuvre une réforme agraire qui détruit les élites villageoises : des millions d'« ennemis du peuple » sont envoyés dans des camps. Après avoir, par des campagnes répressives, réussi à restaurer l'ordre et à rendre à l'économie un cours normal, le régime de Mao s'emploie à « soviétiser » la Chine en renforçant le pouvoir du Parti, en collectivisant l'agriculture et en développant l'industrialisation[417].

La naissance de la république populaire de Chine a de profondes répercussions : en faisant basculer le pays le plus peuplé du monde dans le camp communiste, elle bouleverse les équilibres géopolitiques et influe sur d'autres conflits en cours en Asie, que ce soit en Indochine française ou en Corée[418],[419].

La guerre de Corée[modifier | modifier le code]
Offensive des communistes durant la guerre de Corée, au printemps 1951.

Dans le nord de la Corée libérée des Japonais, les occupants soviétiques soutiennent en février 1946 la formation d'un gouvernement provisoire dirigé par le jeune chef communiste Kim Il-sung - tout juste revenu de son exil en URSS - qui crée le Parti du travail de Corée[420]. En 1948, Kim Il-sung proclame la république populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) qui dispute aussitôt la souveraineté à la république de Corée (Corée du Sud). Kim parvient à convaincre Staline de l'opportunité d'une attaque contre le Sud, afin de réunifier toute la Corée sous sa bannière[421] : en juin 1950, l'attaque du Nord contre le Sud déclenche la guerre de Corée. L'ONU autorise alors l'intervention d'une force militaire - principalement américaine - pour défendre le Sud[356]. L'avancée des troupes nord-coréennes est arrêtée net par les Américains, qui les repoussent vers le Nord. Staline convainc alors Mao d'intervenir en Corée : trois millions de soldats chinois viennent soutenir Kim Il-sung. L'URSS n'intervient pas officiellement, mais équipe les troupes chinoises et nord-coréennes[421].

La Chine paie un lourd tribut au conflit — plus de 800 000 soldats tués, dont le fils de Mao — mais elle modernise son armée tandis que le Parti communiste chinois renforce son unité dans la lutte contre l'« ennemi numéro un du peuple chinois ». La Chine y gagne également le maintien d'un régime ami à sa frontière. Après une contre-attaque américaine en 1951, le front se stabilise. L'armistice de Panmunjeom, en juillet 1953, met un terme au conflit, scellant la division de la Coréen, séparée par une zone coréenne démilitarisée[422]. Ce conflit marque un tournant dans la guerre froide, le président américain Harry S. Truman ayant refusé de recourir à l'arme nucléaire, dont l'emploi lui semblait trop risqué et qui aurait pu conduire à une Troisième Guerre mondiale. Elle renforce également la cohésion du monde occidental et de l'atlantisme[423],[424].

La guerre d'Indochine[modifier | modifier le code]
Image de la bataille de Diên Biên Phu.