Manifestations antifrançaises en Syrie en 1945 — Wikipédia

Manifestations syriennes contre le mandat français en 1940

Les manifestations antifrançaises en Syrie en 1945 sont menées dans plusieurs villes contre le mandat français en Syrie. La politique française de répression de la résistance nationaliste syrienne entraîne notamment le bombardement de Damas le 29 mai[1] ; elle provoque un ultimatum britannique ; les troupes françaises doivent évacuer courant 1946 la Syrie, qui gagne son indépendance[2].

Contexte : Mandat français en Syrie dès 1920[modifier | modifier le code]

Dès 1916, Français et Britanniques projettent le dépeçage du Moyen-Orient dans le cadre des accords Sykes-Picot ; les Français s'attribuent alors le territoire syrien[3]. La défaite des Empires centraux lors de la Première Guerre mondiale entraîne la Partition de l'Empire ottoman lors du traité de Sèvres le 10 août 1920. Les actuels États de Syrie et du Liban se retrouvent sous mandat français par l'autorité de la société des Nations, et l'Irak et la Palestine passent sous mandat britannique. La région contrôlée par la France est désignée par l'État du Levant. Cette partition du Moyen-Orient avait été négociée par les accords secrets Sykes-Picot, signés dès le 16 mai 1916.

Carte du partage de l'Empire ottoman au Proche-orient, Traité de Sèvres de 1920 : la zone attribuée à la France est en bleu.

Cependant, Youssef al-Azmeh, un militaire nationaliste syrien, s'oppose au mandat français, se rebelle et monte une armée de volontaires. Il meurt au combat lors de la Bataille de Khan Mayssaloun face à l'armée française du Levant le 24 juillet 1920. Le général Mariano Goybet remporte une victoire française décisive, qui permet aux troupes françaises d'entrer à Damas le lendemain. Le roi Fayçal Ier est chassé du pouvoir le 27 juillet, et l'éphémère royaume arabe de Syrie disparaît. Les Britanniques, pour garder une stabilité et maintenir leur influence dans le mandat britannique de Mésopotamie, lui propose le trône d'Irak, et il est couronné le 23 août 1921 et devient premier roi d'Irak[4].

Campagne de Syrie (13 juin 1941)

Le 9 septembre 1936, les accords Viénot sont signés entre la France et la Syrie, à Paris, pour prévoir une indépendance syrienne. Toutefois, la Seconde Guerre mondiale commence en 1939, et la France est envahie 10 mai 1940 par l'Allemagne nazie et signe l'armistice du 22 juin 1940. Le maréchal Philippe Pétain dirige désormais le régime de Vichy et, par extension, le Levant. Rapidement, les alliés et les Forces françaises libres reprennent toutefois le territoire lors de la campagne de Syrie du 8 juin au 14 juillet 1941, sous le commandement en chef de Henry Maitland Wilson avec une participation importante du Royaume-Uni et de ses anciens Dominions (l'Australie et l'Inde britannique)

Le général Henri Dentz, haut-commissaire de France au Levant luttant sans renforts, demande l'armistice, qui est signé le 14 juillet 1941 à Saint-Jean-d'Acre par Henry Maitland Wilson (pour le Royaume-Uni), Georges Catroux (pour les FFL) et Joseph de Verdilhac (pour l'État français). Les Syriens continuent de réclamer le départ des troupes françaises en manifestant. Le général Catroux est nommé délégué général de la France libre au Levant de 1941 à 1943 par Charles de Gaulle et reconnaît dès lors l'indépendance de la Syrie et du Liban. Jean Helleu lui succède en 1943 lorsque ce dernier part pour l'Algérie, et Paul Beynet obtient enfin le poste en 1944.

Crise en mai 1945[modifier | modifier le code]

Manifestations et émeutes syriennes[modifier | modifier le code]

Les manifestations en Syrie sont organisées en soutien au gouvernement syrien qui refuse de négocier des traités accordant à la France une position avantageuse dans le pays[5]. Le général De Gaulle souhaitait avant tout garantir les intérêts économiques, culturels et stratégiques de la France[6]. La Syrie et le Liban s'inquiètent d'une tutelle française toujours importante ; les tensions montent. Pour préserver ses intérêts, le général Beynet s'entretient à Beyrouth avec le ministre des Affaires étrangères libanais Henri Pharaon et le premier ministre syrien Jamil Mardam Bey au début du mois de mai[7],[8]. Il est chargé de retarder l'accès a l'indépendance des pays et a une vision négative du Proche-Orient, qu'il considère comme soumis[9]. mais est concurrencé par son homologue britannique, Edward Spears, qui tente de chasser les Français de la zone.

La crise commence le 19 mai 1945, des manifestations à Damas donnant lieu à des échauffourées près de l'Hôpital français de Damas, avec pour bilan une douzaine de blessés.

Le lendemain, des émeutes se déclenchent à Alep où des soldats français sont blessés. Le général Fernand Olive ordonne à la troupe d'ouvrir le feu. En quelques jours, les troubles gagnent Hama et Homs[10]. A Hama, quatre-vingts morts sont dénombrés[11].

Bombardement de Damas[modifier | modifier le code]

Manifestation à Beyrouth en solidarité avec les Syriens massacrés le 29 mai 1945

Le 29 mai, les troupes françaises de l'Armée du Levant pénètrent dans le Parlement syrien pour en arrêter le président Choukri al-Kouatli et le président de la Chambre des députés Saadallah al-Djabiri, qui s'enfuient.

L'armée française coupe l'électricité du bâtiment puis le fait bombarder. Le même jour, elle ferme la frontière avec la Jordanie, l'Irak et le Liban. En moins de trois jours, 400 Syriens sont tués[12],[13]. Damas est en partie détruite par les bombardements français[3].

Intervention britannique[modifier | modifier le code]

Un char britannique dans les rues de Damas.

Choukri al-Kouatli, qui s'est échappé, envoie une requête au premier ministre Winston Churchill pour lui demander d'intervenir en sa faveur. Churchill lui répond qu'il y est disposé mais il souhaite en même temps préserver sa relation avec de Gaulle.

Les forces britanniques dans la région sont alors constituées de la 9e armée (Royaume-Uni) stationnée en Transjordanie sous le commandement du général Bernard Paget.

Le premier-ministre Syrien, Farès al-Khoury, alors à la Conférence de San Francisco, lance un appel au calme.

Le 31 mai, Churchill autorise le général Bernard Paget à pénétrer en territoire sous contrôle français, ce que celui-ci fait le lendemain, notamment avec la 31e division blindée. Le 2 juin, le général de Gaulle ordonne aux troupes françaises de cesser les affrontements avec les manifestants syriens et démet le général Olive.

Le général Paul Beynet, délégué général de la France libre au Levant, compare l'intervention britannique pour rétablir l'ordre à un « coup de poignard dans le dos », et le général de Gaulle y voit la manifestation des intérêts pétroliers britanniques au prix d'une trahison des intérêts français[14].

Le ministre des affaires étrangères Georges Bidault convoque l'ambassadeur du Royaume-Uni en France, Duff Cooper, proteste contre l'intervention britannique, et la presse française accuse les Britanniques d'avoir armé les manifestants syriens.

Choukri al-Kouwatli proclame l'indépendance de la Syrie, 1946

Indépendance de la Syrie et du Liban[modifier | modifier le code]

En octobre 1945, la communauté internationale reconnaît l'indépendance de la Syrie et du Liban, qui rejoignent alors l'Organisation des Nations unies.

Le 19 décembre 1945, un accord franco-britannique est signé, et les troupes françaises et britanniques se retirent du Liban au début 1946, les dernières troupes partant respectivement en avril et en juillet. Le 17 avril 1946, la Syrie devient un état indépendant.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Stéphane Valter, La construction nationale syrienne, (lire en ligne), p. 342.
  2. Éditions Larousse, « Syrie : histoire - LAROUSSE », sur www.larousse.fr (consulté le )
  3. a et b François-Guillaume Lorrain, « Quand la France envahissait et bombardait la Syrie », sur Le Point, (consulté le )
  4. US Department of State, « Syria » (consulté le )
  5. Jean-Rémy Bézias, « Georges Bidault et le Levant: l'introuvable politique arabe (1945-1946) », Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), vol. 42, no 4,‎ , p. 609–621 (ISSN 0048-8003, lire en ligne, consulté le )
  6. « Pour de Gaulle, céder aux sollicitations en transférant les Troupes spéciales sous l'autorité libanaise et syrienne était impensable tant que la France n'aurait pas obtenu, au besoin par la pression directe, la possession de bases stratégiques reconnue par traité » ; face à de Gaulle, Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance, adopte une position plus modérée, Jean-Rémy Bézias, « Georges Bidault et le Levant: l'introuvable politique arabe (1945-1946) », Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), vol. 42, no 4,‎ , p. 609–621 (ISSN 0048-8003, lire en ligne, consulté le )
  7. Jean-Baptiste Duroselle & André Kaspi, Histoire des relations internationales, de 1945 à nos jours, Malakoff, [Armand Colin], , 683 p. (ISBN 978-2-200-60174-4), p. 39-41
  8. « LES RELATIONS DE LA FRANCE AVEC LE LIBAN ET LA SYRIE », sur lemonde.fr, (consulté le )
  9. Henri de Wailly, 1945 l'Empire rompu: Syrie, Algérie, Indochine, [Perrin], , 312 p. (ISBN 978-2-262-04032-1)
  10. (en) Thomas, Martin, The French Empire at War, 1940-1945 Studies in Imperialism, Manchester University Press, (ISBN 9780719065194)
  11. James Barr, A Line in the Sand, 2011, Simon & Schuster, p. 302
  12. James Barr, A Line in the Sand, 2011, Simon & Schuster, p. 306
  13. « France-Syrie, un passé qui ne passe pas », sur www.lhistoire.fr (consulté le )
  14. (en) Werth, Alexander, De Gaulle: A Political Biography., Simon and Schuster, (ISBN 9780671194147), p. 186

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]