Belgitude — Wikipédia

La belgitude est un terme utilisé pour exprimer l'âme et l'identité des Belges.

L'étendue de l'interrogation identitaire des Belges avec le sens aigu de l'autodérision qui les caractérise. Le terme a été forgé, au détour des années 1970-1980, par allusion au concept de négritude exprimé par Léopold Sédar Senghor. Jacques Brel utilise le mot "belgitude" dès 1971. Le mot apparaît sur un cahier de travail : "Elle est dure à chanter, ma belgitude."

Identité belge[modifier | modifier le code]

Arno (2014) par le peintre belge Willy Bosschem.

À partir des années 1830, la citation de Jules César lors de sa conquête de 54 sur la tribu celtique des Belges, les décrivant « De tous ceux-là les plus courageux sont les Belges » ( Horum omnium fortissimi sunt Belgæ), a été beaucoup utilisée dans les livres d'histoire belges alors que le nouvel État indépendant forme son identité. Certains faits de nature patriotique sont mis en valeur comme la révolution belge de 1830 ; puissance économique, industrielle et coloniale passée ; mais aussi la souffrance commune et la résistance lors des deux guerres mondiales.

Stromae aux NRJ Music Awards 2011.

Des personnalités historiques sont présentées comme belges étant nées ou ayant vécu sur ce territoire (Ambiorix, Godefroy de Bouillon, Charles Quint, Brueghel, Rubens, Mercator, Vésale, etc.), des personnalités belges contemporaines qui revendiquent leur belgitude sont mises en avant, qu'elles soient célèbres dans le monde francophone (Jacques Brel, Annie Cordy, Franquin, Benoît Poelvoorde, Philippe Geluck, Virginie Efira, Virginie Hocq, Maurane, Arnoetc.) ou dans le monde entier (Magritte, Simenon, Hergé, Eddy Merckx, Toots Thielemans, Stromae etc.), ainsi que des personnages de fiction dont la popularité est internationale (Tintin, Spirou, les Schtroumpfs, Bob Morane, le commissaire Maigret, Hercule Poirot etc.).

Les Belges se définissent également par une identité flamande et wallonne, formant une identité complexe.

L'idée de belgitude et sa première grande manifestation dans le numéro de la Revue de l'ULB intitulé La Belgique malgré tout ! a suscité une réplique (au moins implicite), dans le Manifeste pour la culture wallonne[1].

Le terme belgitude entre dans le dictionnaire Larousse en 2011[2], et dans le Robert un an plus tard[3].

Critique de la belgitude[modifier | modifier le code]

Le roi Baudouin de Belgique, qui s’est opposé à la loi Lallemand-Michielsen sur l’avortement.

Pour Jacques Dubois et Jean-Marie Klinkenberg, la belgitude est un concept totalement artificiel, un sophisme, une invention bruxelloise[4], créé a posteriori pour tenter de combler le manque flagrant d’unité culturelle en Belgique[5].

La belgitude est artificielle car elle n'a pris que chez les francophones de Belgique (surtout à Bruxelles); les Flamands ne se reconnaissent pas dans cette abstraction et les chantres de la belgitude font partie, pour la plupart, de la sphère culturelle belge francophone.

La belgitude serait synonyme de marginalité[6]

La belgitude, c'est d’abord une réécriture de l'histoire qui fait remonter la Belgique à la nuit des temps et qui oublie allègrement que comtés, duchés, et principautés qui l’ont composée furent longtemps ennemis et ne connurent pas d’État commun et centralisé avant leur intégration dans la France révolutionnaire. La belgitude s’approprie les princes français, espagnols, allemands et autrichiens qui régnèrent sur les provinces belges pour en faire des souverains nationaux : Godefroy de Bouillon, Charlemagne, Philippe le Bon, Charles Quint... Alors que ces personnages ignoraient la notion même de l’entité Belgique et auraient été fort étonnés de se voir affublés du qualificatif de Belges[7].

Sous une apparente bonhomie, la belgitude relève du chauvinisme : on considère le surréalisme comme typiquement belge, le belge s'attribue lui-même ses propres qualités intrinsèques (l'humour, la modestie, l’esprit de dérision, etc.). Pierre Skilling affirme qu'Hergé voyait la monarchie comme « une forme légitime de gouvernement », remarquant au passage que « les valeurs démocratiques semblent absentes dans ce type de bande dessinée classique franco-belge »[8]. La Syldavie, en particulier, est décrite avec beaucoup de détails, Hergé l'ayant dotée d'une histoire, de coutumes et d'une langue qui est en fait du dialecte flamand bruxellois. La belgitude se définit par opposition aux autres cultures : ni allemande, ni néerlandaise... La belgitude, étant presque exclusivement partagée par les Belges francophones, cherche principalement à se différencier de la culture française. Pour ce faire, elle se base sur des stéréotypes qu’elle renforce : le Français est considéré comme chauvin et arrogant, tandis que le Belge est supposé humble et courtois.

Ce processus d’auto-définition et d’exclusion de l’« autre » est une stratégie courante pour légitimer le régime en place[9] : la belgitude relève du mythe destiné à créer une unité identitaire factice et à démarquer (de manière tout aussi factice) le Belge de ses voisins, à le distancier des « autres » qui ne partagent pas ses qualités et "ses" héros historiques[9].

L'identité belge apparaît comme une identité « en creux » : elle se définit surtout par tout ce qu'elle n'est pas. Le Belge n'est ni Français, ni Néerlandais, ni Allemand, tout en étant un peu de tout cela : ancien sujet des Habsbourg d'Espagne puis d'Autriche, ancien citoyen de la République française, puis du Premier Empire, Néerlandais après le Congrès de Vienne, enfin devenu indépendant à la faveur d'un consentement paternel des grandes puissances.[réf. nécessaire] La belgitude ne nie pas seulement les cultures française, néerlandaise et allemande de ses habitants ; mais aussi l'identité régionale de ses habitants. Ainsi la belgitude est la négation des identités flamande et wallonne. José Fontaine, militant régionaliste wallon et philosophe, définira d'ailleurs la belgitude dans ces termes :

« C'est cela la belgitude, l'idée qu'être belge c'est avoir l'identité de la non-identité, d'être petit, minuscule, sans épaisseur, médiocre, hybride... tous défauts revendiqués comme tels et qui, assumés, deviennent la gloire belge actuelle. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une négation de la Wallonie, c'est la négation de toute appartenance, l'acceptation du vide, du non-sens, de l'errance, du non-lieu, du vide comme étant le plein. »

Une friterie typique à Bruxelles

D’un côté, la belgitude est un concept qui glorifie les points communs entre Flamands et Wallons : la bière, le chocolat, les moules-frites... Aliments qui tiennent lieu d'identité nationale.

D’autre part, la négation des identités wallonnes et flamandes trouve son lieu d’expression privilégié dans ce que José Fontaine appelle le « discours antiwallon »[10] qui découle de la belgitude et qui déprécie systématiquement la Wallonie et ses habitants, empêchant ces derniers d’avoir une image positive d’eux-mêmes ou de leur région autrement qu’à travers la Belgique et Bruxelles. Voici un exemple de ce discours anti-wallon dans La Belgique toujours grande et belle (un des ouvrages fondateurs de la belgitude) ; Thierry Smits y écrit dans un texte intitulé « il y a autant de nains de jardin en Flandre qu’en Wallonie » :

« ... je ne me sens Wallon à aucun égard – mais si je devais suivre la filière du droit du sang, vu la famille de mon père, je serais peut-être wallon ? Aïe ! Heureusement je ne suis pas cette filière là. [...] c’est une région pour laquelle j’ai parfois un léger sentiment de mépris, parce que j’ai l’impression qu’ils ont perdu une guerre. J’ai l’image d’une région perdante, que culturellement j’associe à des chansonnettes et à l’accordéon[11]. »

Dans ses Petites mythologies belges, Jean-Marie Klinkenberg a étudié de manière plaisante le thème de la belgitude, avec les instruments de l'anthropologie et de la sémiotique.

Le concept de belgitude exprimerait la difficulté du Belge à se définir comme tel. Plus profondément, la difficulté qu'il a à gérer le conflit entre ses tendances centripètes (je suis moi) et ses tendances centrifuges (je suis germain, je suis latin, ...).

Au quotidien, ce malaise trouve à se "consoler" dans le folklore dont les termes s'articulent sur une récupération a priori de l'ironie d'autrui : culture alimentaire (moules-frites, chicons, chocolat), breuvages nationaux (bière, genièvre), fêtes locales (gilles de Binche, fêtes estudiantines...), etc.

En art et littérature, la belgitude s'exprime majoritairement dans le surréalisme.

Chantres et icônes de la belgitude[modifier | modifier le code]

Eddy Merckx en 2009

Manifestations diverses de la belgitude[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. C'est ce que proposent comme analyse les collaborateurs de Histoire de la littérature belge, parue chez Fayard en 2003: Michel Biron écrit dans ce livre (citant notamment Michel Otten): "Pour les écrivains flamands et wallons, on n'écrit jamais de nulle part." (p. 495)
  2. « Belgitude dans le Petit Larousse illustré » dans 7sur7.be, 27 juin 2011, consulté le 28 juin 2011
  3. « Belgitude fait son entrée au Robert » dans Le Soir, quotidien belge, 22 juin 2012.
  4. Antoine Pickels & Jacques Sojcher, Belgique toujours grande et belle, Éditions Complexe, 1998,p. 13.
  5. « La belgitude, c'est le supplétif à l'angoisse existentielle de la bourgeoisie bruxelloise », Jacques Sojcher, La Belgique malgré tout, 1980
  6. Susan Bainbrigge, Culture and identity in Belgian francophone writing : dialogue, diversity and displacement, Peter Lang, (lire en ligne).
  7. Anne Morelli, Les grands mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Evo-histoire, 1995, Bruxelles, p. 10
  8. (en) Pierre Skilling, « The Good Government According to Tintin », Comics As Philosophy, University Press of Mississippi, 2005, p. 173–234 (ISBN 978-1-57806-794-7)
  9. a et b Anne Morelli, Op. Cit., p. 8
  10. José Fontaine, Le discours anti-wallon en Belgique francophone, in Toudi, no 13-14, Graty, 1998.
  11. Antoine Pickels & Jacques Sojcher, Op. Cit., pp.113-114.
  12. « Le message de Van Damme pour l'équipe belge » [vidéo], sur YouTube (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Hughes Dumont (dir.), Christian Franck (dir.), François Ost (dir.) et Jean-Louis de Brouwer (dir.), Belgitude et crise de l'État belge : Actes du colloque organisé par la Faculté de droit des Facultés universitaires Saint-Louis le 24 novembre 1988, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, , 306 p. (ISBN 2-8028-0069-8)
  • Jean C. Baudet, A quoi pensent les Belges ?, Jourdan, Bruxelles, 2010.
  • Jean C. Baudet, Les plus grands Belges, La Boîte à Pandore, Paris, 2014.
  • Yves Montmayeur, Mad in Belgium, Belgique, 2021. Documentaire centré sur la belgitude dans le cinéma belge.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]