Antiquité — Wikipédia

Le complexe funéraire de Gizeh, Ancien Empire égyptien, v. 2600-2500 av. J.-C.
Le « caillou Michaux », stèle babylonienne du XIe siècle av. J.-C. inscrite en écriture cunéiforme. Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France.
Fantassins perses, détail de la « frise des archers » du palais de Darius à Suse (Iran). V. 510 av. J.-C., musée du Louvre.
Statue en bronze du Dieu de l'Artémision, v. 460 av. J.-C. Musée national archéologique d'Athènes.
Détail du fût de la colonne Trajane, Rome, début IIe siècle.
Église Saint-Siméon-le-Stylite, mont Siméon, Syrie, Ve siècle.
Mosaïque de l'impératrice Théodora, basilique Saint-Vital de Ravenne, VIe siècle.

L'Antiquité (du latin antiquus signifiant « antérieur, ancien ») est une époque de l'histoire. Classiquement, elle couvre la période allant de l'invention de l'écriture vers 3300-3200 av. J.-C. jusqu'à la chute de l'Empire romain d'Occident en 476. Elle couvre l'Europe, l'Asie occidentale et le Nord de l'Afrique.

Par le développement ou l'adoption de l'écriture, l'Antiquité succède à la Préhistoire. Certaines civilisations de ces périodes charnières n'avaient pas d'écriture, mais sont mentionnées dans les écrits d'autres civilisations : on les place dans la Protohistoire. Le passage de la Préhistoire à l'Antiquité s'est donc produit à différentes périodes pour les différents peuples.

De la même manière, dans l'historiographie occidentale, l'Antiquité précède le Moyen Âge qui précède lui-même l'Époque moderne. Cette périodisation n'est pas forcément adaptée hors du monde occidental et vouloir l'appliquer nolens volens n'a pas grand sens.

La majorité des historiens estiment que l'Antiquité commence dans la seconde moitié du IVe millénaire avant notre ère (v. 3500−3000 av. J.-C.) avec l'invention de l'écriture en Mésopotamie et en Égypte. Ces deux civilisations fondent les premiers États et les premières villes, puis développent des royaumes territoriaux de plus en plus stables et étendus, ces phases de croissance étant interrompues par des périodes de division et d'instabilité. L'Égypte antique se forge dès le début autour du principe idéal d'une monarchie unifiée, dominant toute la vallée du Nil et s'étendant au-delà pour obtenir les ressources dont elle a besoin.

Le premier développement de la Mésopotamie se fait en particulier autour de sa région la plus méridionale, le pays de Sumer, au IIIe millénaire av. J.-C., où se constituent notamment l'écriture cunéiforme qui sera reprise par de nombreux pays du Proche-Orient ancien, et une culture savante qui sert également de référence même longtemps après sa disparition en tant qu'entité culturelle (autour de la fin du même millénaire). Son héritage est préservé et prolongé au millénaire suivant par des peuples parlant une langue sémitique, l'akkadien, qui coexistaient avec elle jusque-là, finalement rassemblés autour de la monarchie de Babylone. Plus au nord émerge dans la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C. une autre puissance mésopotamienne, l'Assyrie. Aux marges de ce premier monde antique se trouvent la civilisation de l'Élam dans le sud-ouest de l'Iran, et celle des Hittites au cœur de l'Anatolie. À la même époque, le Nouvel Empire égyptien porte la puissance de ce pays à son apogée.

Après une phase de reflux marqué à la fin du IIe millénaire av. J.-C., de nouvelles entités ethniques et culturelles se forment à partir du moule antérieur, en particulier en Syrie et au Levant (Araméens, Phéniciens, Philistins, Israélites). Au début du Ier millénaire av. J.-C., l'Assyrie pose les bases d'un empire qui domine progressivement la majeure partie du Moyen-Orient. Lui succède à la fin du VIe siècle av. J.-C. un empire de Babylone, dont la conquête par les Perses en 539 av. J.-C. marque la fin de la domination mésopotamienne. L'empire perse s'étend plus loin que ses prédécesseurs, intégrant notamment l'Égypte, qui n'était pas parvenue à restaurer sa puissance passée.

L'Antiquité classique, qui va d'environ 776 av. J.-C. (date supposée des premiers Jeux olympiques) jusqu'à la crise de l'Empire romain du IIIe siècle (au plus tard jusqu'en 284 avec l'avènement de Dioclétien), est traditionnellement la période de référence de l'Antiquité, celle des civilisations grecque et romaine classiques. Elle est en particulier marquée dans sa première partie par l'émergence de la civilisation grecque antique puis le rayonnement culturel d'Athènes, et sa rivalité avec Sparte, la résistance des deux aux tentatives d'hégémonie perse. Le rayonnement de la culture grecque s'étend avec la conquête de l'empire perse par le roi macédonien Alexandre le Grand, qui marquent le début de la période hellénistique, durant laquelle des dynasties gréco-macédoniennes dominent les pays des plus anciennes civilisations antiques.

Dans l'ouest du monde méditerranéen, l'Italie passe au même moment sous le contrôle de la République romaine, qui étend ensuite sa domination sur toutes les rives de la Méditerranée, soumettant les royaumes hellénistiques, et s'imprégnant profondément de culture grecque. À la fin du Ier siècle av. J.-C., Rome devient une monarchie, l'empire romain, qui connaît son apogée au IIe siècle (la pax romana), avant de connaître une période d'instabilité interne et de menaces extérieures au IIIe siècle face à un nouvel empire perse à l'est et aux raids de peuples « barbares » sur sa frontière nord.

La date de fin de l'Antiquité est débattue et imprécise. La déposition du dernier empereur romain d'Occident en 476 est un repère conventionnel pour l'Europe occidentale, mais d'autres bornes peuvent être significatives de la fin du monde antique. Mais la notion d'Antiquité tardive s'est imposée depuis les années 1970, définissant une période à cheval entre l'Antiquité et le haut Moyen Âge conventionnels, connaissant de profonds changements politiques, économiques et culturels, avec la christianisation, qui amène par exemple une redéfinition de l'héritage classique, et plus largement donne un poids croissant au fait religieux. Elle se prolonge au moins jusqu'à la conquête musulmane (au plus tard en 800).

Contours et définitions[modifier | modifier le code]

Le développement de la notion d'époque « antique »[modifier | modifier le code]

La notion d'une époque historique désignée comme l'Antiquité a des racines anciennes : au Haut Moyen Âge les mots latins antiquus ou antiquitas peuvent désigner la période gréco-romaine, puis en italien chez Dante en 1303-1308 le terme antico désigne les périodes pré-chrétiennes, et Boccace désigne par antichità une période historique. En français, le terme « antiquité » désigne une période historique chez Montaigne (v. 1580). Mais il s'agit en général de désignations vagues, et à ces périodes les termes d'« antiques » et d'« antiquités » sont avant tout employés à propos d'œuvres d'art anciennes, dignes d'être collectées et imitées, le cadre chronologique et culturel n'étant affiné que progressivement. L'antiquaire français Bernard de Montfaucon publie en 1719 L'antiquité expliquée et représentée en figures qui prend pour objet les œuvres d'art grecques et romaines jusqu'à la fin du IVe siècle. En allemand coexistent deux termes pouvant servir à désigner une période « antique », Altertum et Antike. Les travaux fondateurs de Johann Joachim Winckelmann sont décisifs pour l'histoire de l'art antique, puis à la fin du XVIIIe siècle (avec notamment avec Auguste et Friedrich Schlegel), se répand le concept d'une période « antique », par opposition à une époque « moderne », qui en vient finalement à désigner la culture antique (et plus particulièrement sa littérature), puis la période des civilisations grecque et romaine, souvent sous la forme de la paire « Antiquité classique » (allemand klassisches Altertum, anglais Classical Antiquity). La notion d'Antiquité en tant qu'époque historique s'impose progressivement au XIXe siècle, d'abord chez les historiens de l'art, puis en histoire littéraire et enfin dans les études historiques en général, et son usage est bien établi au début du XXe siècle, au moins à partir des années 1920. L'émergence de cette notion s'accompagne de celle des grandes autres périodes historiques, à partir de la Renaissance en particulier : le Moyen Âge et l'époque moderne. Avec Christoph Cellarius autour de 1700 la césure entre période ancienne et médiévale est située durant la période qui va de Constantin à la fin de l'Empire romain. Puis, sous les Lumières c'est la conversion de Constantin, marquant le passage de l'ère païenne à l'ère chrétienne, qui est plus spécifiquement vue comme la rupture entre les deux. Mais la question de savoir où placer la limite reste discutée (voir plus bas)[1],[2].

Cette périodisation de l'histoire qui se met en place en Europe après la fin de l'époque médiévale repose souvent sur des critères moraux, qui conduisent progressivement à l'idéalisation de l'Antiquité gréco-romaine, par contraste avec le Moyen Âge vu comme une période intermédiaire vue sous un jour négatif, tandis que le début de l'époque moderne marque un renouveau. Cette opposition résulte en partie de l'approche des humanistes de la Renaissance, qui considéraient qu'ils revivifiaient le savoir de la période antique, avec laquelle ils étaient séparés par une période obscure. Ce sont surtout les accomplissements culturels de l'époque gréco-romaine (ces deux cultures étant alors souvent non distinguées) qui sont alors mis en avant[2]. Ce découpage est surtout critiqué dans son approche du Moyen Âge, défini à la négative et vu comme une période intermédiaire, une sorte d'« Âge sombre » de la civilisation, conséquence d'une décadence, qui n'est plus vraiment opératoire au regard des évolutions de la recherche historique[3]. L'émergence de la notion d'« Antiquité tardive » est en partie destinée à résoudre ce problème en constituant une périodisation plus pertinente réunissant la fin de l'Antiquité et le début du Moyen Âge, au regard des évolutions sociales et culturelles[4].

L'étude de l'Antiquité[modifier | modifier le code]

L'histoire de l'Antiquité européenne s'appuie traditionnellement sur l'exploitation des textes hérités de l'Antiquité, en premier lieu ceux des historiens antiques (Hérodote, Thucydide, Tite-Live, Polybe, etc.), et plus largement toute la littérature grecque et latine qui a continué à être recopiée, donc le champ des « études classiques », qui prend en particulier son essor à partir de la Renaissance. Comme pour les autres périodes de l'histoire, l'histoire antique se constitue progressivement en champ d'étude autonome à partir de la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, avec la création de chaires académiques, de revues et séries de livres spécialisés, etc. tout en adoptant les principes de la discipline historique « scientifique » qui se mettent alors en place[5],[6].

À côté de cela, l'histoire antique s’appuie grandement sur l'étude d'objets du passé antique (inscriptions, œuvres d'art, objets divers, ruines de bâtiments, etc.) et leur recherche et leur découverte constituent un aspect essentiel de la discipline. L'intérêt des humains pour les choses de leur passé lointain est présent dès l'Antiquité : des pharaons et prêtres égyptiens comme des monarques et savants babyloniens exhument des inscriptions de leurs aïeux, les copient et en analysent les caractéristiques ; des érudits chinois de la fin de l'Antiquité et d'après s'intéressent aux vases en bronze des premières dynasties, analysent leurs formes et inscriptions, et éditent et commentent les illustres auteurs du passé ; une même attitude envers les choses anciennes s'observe dans la Grèce et la Rome antiques (notamment dans les Antiquités de Varron), où on forge deux mots pour désigner les érudits s'adonnant à ces recherches : antiquitates et antiquarius, « antiquaire ». La caractéristique commune de ces hommes dans ces différentes civilisations sont d'être « des lettrés, capables de déchiffrer les écritures anciennes et qui collectionnent, souvent avec acharnement, des objets inscrits qu'ils s'efforcent, parfois avec succès, de dater et d'interpréter. » (A. Schnapp). L'humanisme de la Renaissance européenne se caractérise par un intérêt nouveau pour les choses antiques, et donne un essor aux antiquaires. Elle concerne en priorité l'Antiquité gréco-romaine, mais s'étend aussi au passé des autres régions d'Europe, du Moyen-Orient et même de l'Amérique précolombienne que l'on découvre alors. Les antiquaires effectuent des classements typologiques des objets (monnaies, armes, inscriptions, éléments architecturaux, etc.), certains conduisent des fouilles qui préfigurent l'archéologie, et cherchent à dater et interpréter ce qu'ils découvrent[7]. Selon l'évolution tracée par A. Momigliano, c'est de la confrontation des travaux des historiens et des antiquaires que naît l'histoire antique, discipline fondée sur une confrontation entre sources écrites et vestiges matériels, soumis à une analyse critique de plus en plus pointilleuse afin de pouvoir mieux les exploiter pour produire un discours historique[8],[9],[10].

L'archéologie en tant que telle émerge à partir du XVIIIe siècle, de l'exploration des ruines antiques à Herculanum et Pompeï, aussi en Égypte lors de l'expédition française, qui débouche sur l'achèvement du déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens par Jean-François Champollion, qui permet le développement de l'égyptologie. La discipline se développe au XIXe siècle et élargit son champ d'étude : exploration de sites classiques comme Delphes, Délos ou encore Olympie ; découverte des sites égéens pré-classiques avec les découvertes de Heinrich Schliemann à Troie et Mycènes, et d'Arthur Evans à Cnossos ; extension de l'égyptologie aux phases prédynastiques à la suite de Flinders Petrie[11] ; mise au jour des capitales assyriennes (Nimroud, Khorsabad, Ninive) qui amorcent la redécouverte de l'ancienne Mésopotamie, alors que le déchiffrement des écritures cunéiformes aboutit grâce à l'exhumation de nombreux textes, ce qui marque le début de l'assyriologie, l'étude de la Mésopotamie antique (et plus largement celle du Proche-Orient ancien) par les historiens. Les découvertes archéologiques deviennent donc indispensables pour l'étude de l'histoire ancienne[12].

Il n'empêche que pendant longtemps l'histoire antique reste vue comme l'apanage de l'historien (donc le spécialiste de l'étude des textes), l'histoire est considérée comme la discipline centrale, et les autres disciplines dont les travaux sont mobilisés dans la construction du discours historique sur l'Antiquité (archéologie, numismatique, philologie, etc.) sont vues comme des « sciences auxiliaires ». Cette vision des choses est remise en question par l'autonomisation plus marquée de ces disciplines (en particulier avec l'essor de la « nouvelle archéologie » dans les années 1970), et s'impose dans les dernières décennies du XXe siècle une nouvelle situation dans laquelle la primauté de l'historien n'est plus de mise en histoire ancienne. Cela se marque en France par l'adoption dans le milieu de la recherche de l'expression de « Sciences de l'Antiquité », permettant une approche pluridisciplinaire dans laquelle l'histoire n'est qu'une discipline parmi d'autres permettant de reconstruire le passé antique[13]. Le nombre limité de sources empêche néanmoins d'approcher de nombreux domaines des civilisations antiques[14].

L'histoire ancienne constitue dans le champ des études historiques une branche à part, qui a pu être décrite par certains de ses propres pratiquants comme « provinciale ». Parce qu'elle repose sur un nombre de sources écrites limité et a priori peu extensibles (du moins dans le contexte grec et romain), il est même arrivé par le passé qu'on prédise qu'elle toucherait un jour à ses limites. C'était sans compter sur la possibilité de jeter un regard neuf sur des textes connus depuis longtemps, et surtout sur l'apport des découvertes venant d'autres disciplines s'intéressant aussi aux périodes antiques[15].

La pratique de l'histoire ancienne requiert de plus une forme de dépaysement, notamment pour éviter l'écueil d'y plaquer des notions modernes sans discernement ou d'y chercher une forme de modernité qui n'en est pas en atténuant les spécificités des mentalités antiques (comme l'illustrent les débats sur la nature de la démocratie athénienne et ses similitudes et différences avec les démocraties modernes). Les civilisations antiques restent un monde différent, complexe à comprendre pour des gens contemporains[16]. Néanmoins, la barrière n'est pas forcément infranchissable, car, comme le soulignait C. Nicolet en s'interrogeant sur les mentalités économiques de l'Antiquité, « les Anciens ne sont pas les Modernes, mais ils ne sont pas non plus des habitants d'une autre planète[17]. »

Les bornes de l'histoire antique[modifier | modifier le code]

Le début de l'Antiquité[modifier | modifier le code]

Traditionnellement, le début de l'histoire ancienne, et donc le début de l'histoire tout court, est placé avec l'apparition de l'écriture, qui donne accès aux sources écrites, qui sont le type de document qu'étudient en priorité les historiens. Plus largement, l'invention de l'écriture est considérée comme un des plus grands accomplissements de l'espèce humaine, qui marquerait selon certains l'entrée dans « la civilisation » (au sens culturel)[18]. Par suite, selon les régions du monde, le passage de la Préhistoire à l'Histoire se produit lorsque l'écriture est inventée ou adoptée.

Cela revient à dire, en l'état actuel de la documentation, que l'histoire débute lorsque les scribes d'Uruk en Basse Mésopotamie et d'Abydos en Égypte commencent à inscrire des signes pictographiques sur des tablettes d'argile et des poteries, quelque part vers 3300-3200 avant J.-C. Néanmoins, les positions actuelles des spécialistes de cette période, sans remettre en cause la césure majeure qui a lieu à ce moment-là, sont de mettre l'emphase sur les changements politiques et sociaux que reflète l'apparition de l'écriture (apparition de l'État et des villes, développement de l'administration, etc.), plutôt que sur ce développement en lui-même. Ces phénomènes sont apparus grâce à l'apport des découvertes archéologiques qui restent primordiales pour connaître les sociétés mésopotamienne et égyptienne de ces périodes[19],[20].

Pour les civilisations connues par des textes de peuples voisins mais n'ayant elle-même pas adopté l'écriture, on parle parfois de « protohistoire ». Cela concerne notamment la Gaule avant la conquête romaine.

La fin de l'Antiquité[modifier | modifier le code]

Traditionnellement la fin de l'Empire romain d'Occident en 476, point d'orgue de la « décadence de l'Empire romain », marque la fin de l'Antiquité. La chute de Rome, qui s'accompagne d'autres événements marquants (notamment sa prise par les Goths en 410), est sur le plan symbolique quelque chose de très important, qui a suscité une grande quantité d'études réinterprétant sans cesse ce phénomène, qui n'a pas fini de faire réfléchir[21]. Pour marquer la fin de l'Antiquité, d'autres dates antérieures ont pu être proposées, comme l'Édit de Milan de 313 qui autorise le Christianisme, ou bien la fondation de Constantinople en 330, ou encore la partition de l'Empire romain en deux en 395. Mais comme vu plus haut, depuis l'entre-deux guerres au moins les historiens ont commencé à remettre en cause l'importance sur le plan historiographique du déclin de l'Empire romain d'Occident. Ils ont mis en évidence une période d'Antiquité tardive[4] qui s'étend au-delà de l'année 476 — l'importance de l'événement qu'est la chute de Rome de 476 ayant du reste été très minimisée par les recherches récentes[22] — et établit une continuité de la culture antique jusqu'à l'avènement de l'Islam, couvrant alors la première partie du « haut Moyen Âge » du découpage chronologique traditionnel. L'Antiquité tardive est depuis devenue une période historique à part entière. Elle s'achève au plus tard autour de 800 de notre ère[23].

Sources[modifier | modifier le code]

Les sources particulièrement mobilisées par les spécialistes de l'histoire ancienne sont :

  • des sources littéraires, notamment les travaux d'historiens antiques tels qu'Hérodote, Thucydide, Polybe, Tite-Live, etc., mais plus largement l'ensemble de la production littéraire gréco-romaine (poésie, philosophie, géographie, sciences, théologie, correspondance privée, etc.) qui a été transmise jusqu'à l'époque moderne[24], également la Bible et la littérature en hébreu et araméen anciens ; ces sources dites « secondaires » sont en revanche quasiment absentes pour les civilisations du Proche-Orient ancien, dont l'histoire doit être reconstituée par des sources « primaires »[25] ;
  • des sources épigraphiques, des textes retrouvés sur des sites antiques[26],[27] : les inscriptions sur pierre retrouvées sur les sites antiques, qui constituent une source importante pour l'Antiquité gréco-romaine, mais qui sont également présentes dans les autres civilisations antiques ; les ostraca, écrits sur tessons de poteries ou éclats de calcaire, constituent une autre source écrite importante ; les textes sur tablettes d'argile, essentiellement les centaines de milliers de tablettes cunéiformes, qui couvrent une vaste gamme de sujets (gestion, administration, religion, sciences, littérature, éducation, correspondance officielle et privée, etc.) et constituent l'essentiel de la documentation écrite provenant des civilisations du Proche-Orient ancien[28] ;
  • des sources papyrologiques (textes écrits sur papyrus)[29],[30] : il s'agit d'une source importante pour la civilisation égyptienne antique, les conditions climatiques de ce pays permettant une bonne conservation de cette matière, et très variée ; le papyrus est également le matériau privilégié d'écriture dans le monde gréco-romain avant d'être supplanté par le manuscrit (après 500 apr. J.-C.) ;
  • des monnaies (la numismatique)[31] : les pièces de monnaie sont un objet d'étude pour l'histoire politique, l'iconographie, l'économie ;
  • des sources archéologiques[32],[33] : les vestiges matériels (bâtiments, objets, restes organiques) identifiés sur les sites antiques sont une source majeure pour l'histoire ancienne, et les nouvelles découvertes permettent d'enrichir les connaissances (cela comprend aussi les monnaies et sources épigraphiques et papyri mentionnés précédemment qui sont des artefacts exhumés sur des sites) ;
  • des sources iconographiques, des images, ce qui rejoint le champ de l'histoire de l'art ; l'analyse des images peut être mobilisée pour mieux comprendre de nombreux domaines des civilisations anciennes (religion, politique, etc.)[34],[35].

Les premières civilisations antiques[modifier | modifier le code]

La façade du grand temple de Ramsès II à Abou Simbel (Égypte), v. 1265 av. J.-C.
Statue du roi Gudea de Lagash (Sumer), dédiée au dieu Ningishzida, v. 2120 av. J.-C. Girsu, musée du Louvre.
La porte des nations de Persépolis (Iran), règne de Xerxès Ier, v. 475 av. J.-C.

La première partie de l'Antiquité débute par le passage de la Préhistoire à l'Histoire. Elle est dominée par les deux grandes civilisations que sont l'Égypte pharaonique et la Mésopotamie, quoiqu'il soit devenu courant de parler de « Proche-Orient ancien »[36], désignation englobant l'espace allant de l'Anatolie et du Levant jusqu'au plateau Iranien, en passant par la Syrie, la Mésopotamie, débordant vers l'Arabie, le sud du Caucase et l'Asie centrale ; on y inclut parfois l’Égypte et la Nubie, ce qui permet d'avoir dans un même objet d'étude toutes ces civilisations pré-classiques, mais cette acception est minoritaire. Redécouvertes à partir du XIXe siècle, ces civilisations ont souvent été replacées dans une perspective historique eurocentrée comme des antécédents et un « berceau » de « la » civilisation, à la première place d'une séquence qui comprend ensuite l'Antiquité gréco-romaine, le Moyen Âge, puis l'Europe moderne et contemporaine. Cela est partiellement vrai, mais également réducteur, ne serait-ce que parce que l'évolution historique ne peut être résumée à une séquence linéaire de civilisations, celles-ci ayant toujours des origines variées[37]. D'un autre côté, il y a eu un malaise croissant devant l'emploi du terme « oriental ». En effet, celui-ci charrie des préjugés raciaux, en plus de marquer une coupure entre ces premières civilisations et celle de la Grèce antique, alors que s'est installé un discours inscrivant la seconde dans la continuité des premières et que son développement ne pouvait être compris sans prendre en compte ces influences[38]. Une autre conséquence des approches euro-centrées toujours prégnante est le fait que ces civilisations ont souvent été étudiées dans une perspective chrétienne, sous le prisme des textes bibliques, comme l'histoire des peuples interagissant, souvent de façon négative, avec les Israélites, peuple élu posant les bases du salut de l'humanité[39].

Les recherches actuelles ne plaident plus en faveur d'un foyer unique à l'origine de ces évolutions : on identifie plusieurs centres, ayant émergé à des époques différentes, connaissant des étapes de développement similaires, mais essentiellement construites sur une origine qui leur est propre (endogène), avec des influences extérieures limitées voire inexistantes[40]. De fait, loin d'être un commencement, ces civilisations sont elles-mêmes les héritières des cultures qui expérimentent plusieurs millénaires plus tôt la « révolution néolithique », entre le Levant et le Zagros (le « Croissant fertile »), foyers qui essaiment vers les régions voisines par la suite (avec également l'apport d'un foyer de domestication saharien dans le cas égyptien, mais généralement tenu pour moins important). Elles récupèrent donc les avancées du mode de vie néolithique et ses évolutions postérieures durant le Chalcolithique : sédentarité, organisation communautaire villageoise ; économie reposant sur l'agriculture et l'élevage, puis l’arboriculture, l'irrigation ; le travail de la céramique, puis du métal (cuivre) développé postérieurement, industrie textile ; des réseaux de circulation des biens et des savoirs couvrant un vaste espace, etc. Ce sont des sociétés qui sont généralement vues comme égalitaires, quoi qu'organisées vers les périodes tardives en « chefferies », dont le cadre de vie et l'organisation politique sont en tout cas pré-étatiques et pré-urbains[41],[42],[43],[44]. Dans leur sillage, l'Égypte et la Mésopotamie expérimentent un ensemble de changement fondamentaux qui a pu être rangé sous la dénomination de « révolution urbaine », remplissant les critères permettant de les considérer comme des « civilisations » au sens culturel, selon les propositions de G. Childe en 1950[45]. À sa suite, les travaux actuels insistent plus sur l'apparition des premiers États, qui se caractérisent en particulier par : une stratification sociale notable, permettant de distinguer une élite dirigeante, visible notamment dans l'archéologie par la présence d'une architecture monumentale (résidences, sanctuaires, tombes) et d'un art reflétant l'idéologie de l'élite dirigeante ; un réseau d'habitat hiérarchisé, dominé par une ville principale, impliquant une forme de centralisation des activités ; l'existence d'une spécialisation des activités et d'une organisation de la production, du stockage et des échanges à l'échelle de la société ; des pratiques rituelles et un culte organisés par les élites[46].

L'Égypte et la Mésopotamie sont deux des quatre ou cinq civilisations à inventer l'écriture, et elles le font en même temps et avant les autres, autour de 3400-3200 av. J.-C. Cela marque en principe le début de l'histoire, mais la situation est généralement envisagée sous un angle plus complexe. Les plus anciens documents écrits étant de nature administrative et le produit des institutions des premiers États, cette invention doit être replacée au sein des autres changements survenant à l'époque, qui, pris ensemble révèlent la profondeur du bouleversement à l'origine de l'Histoire, la civilisation et/ou l'État, selon la dénomination privilégiée. Ainsi, selon M. Liverani :

« Le début de la trajectoire historique est marqué par un phénomène d'une importance énorme, à l'heure actuelle supposé marquer le passage de la Préhistoire à l'Histoire au sens propre du terme. Le phénomène peut être désigné de différentes manières. Nous pouvons utiliser l’appellation de « révolution urbaine » si nous voulons souligner les formes de démographie et d’habitat, ou de « première urbanisation » si nous prenons en compte les cycles ultérieurs d’urbanisation. On peut parler de l'origine de l'État ou de l'État primitif, si l'on préfère en souligner les aspects politiques. On peut aussi mettre en exergue le début d'une stratification socio-économique marquée, et des métiers spécialisés, si l'on veut souligner le mode de production. Nous pouvons également utiliser le terme « origine de la complexité », si nous essayons de réunir tous les différents aspects sous un concept unificateur. L'origine de l'écriture a également été considérée comme marquant le début de l'histoire au sens propre du terme, à cause de l'idée dépassée qu'il n'y aurait pas d'histoire avant que des sources écrites ne soient disponibles. Mais maintenant qu'une telle idée est considérée comme simpliste ou fausse, nous pouvons toujours considérer l'écriture comme le point culminant le plus évident et symbolique de tout le processus[47]. »

Ces civilisations couvrent en gros 3 000 ans d'histoire, soit plus de la moitié des temps considérés comme « historiques », donc plus que toutes les autres périodes de l'histoire réunies. Elles constituent donc un champ chronologique très vaste. À la différence des civilisations antiques postérieures, leurs traductions littéraires ont été perdues après leur disparition (à l'exception notable de la Bible hébraïque) et leur histoire est peu documentée par les auteurs de l'Antiquité classique, donc peu de sources secondaires sont disponibles pour les étudier. Aussi les sources les documentant sont en quasi-totalité des sources primaires issues de fouilles archéologiques (régulières ou clandestines)[25]. Certaines régions (Égypte, Israël) sont mieux couvertes par les fouilles que les autres, a fortiori quand il s'agit de pays ayant connu des troubles politiques pendant plusieurs décennies, comme la Mésopotamie (l'Irak). Du fait de la capacité des tablettes cunéiformes à traverser le temps, certaines phases de l'histoire mésopotamienne sont très abondamment documentées du point de vue textuel, ce qui permet de connaître de nombreux aspects de leur administration, de leur société, de leur économie et de leur culture sur quelques années voire décennies, contrastant avec de longues phases de vide documentaire pour lesquelles même la chronologie et l'histoire politique sont incertaines. Cela reflète en partie les hasards des découvertes, mais aussi la tendance de la documentation à suivre la puissance et la stabilité politique, car elle est plus abondante durant les périodes d'unification et de centralisation politique que pour celles de division et de déclin des institutions, donnant des « âges obscurs » du point de vue documentaire[48].

Cadre chronologique[modifier | modifier le code]

La chronologie de ces périodes est très discutée, les dates étant incertaines et approximatives jusqu'au VIIe siècle av. J.-C. Pour les plus hautes époques, les incertitudes excèdent la centaine d'années. Cela suppose de donner des dates choisies en général par convention parmi les différentes propositions (ainsi la « chronologie moyenne » qui est la plus courante pour la Mésopotamie), qui ne sont donc qu'indicatives[49].

Le découpage chronologique pour l'Égypte antique repose sur une alternance entre des périodes d'unification et de prospérité, les « Empires », et des périodes de division et de déclin supposé, les « Périodes intermédiaires ». En Mésopotamie, le découpage s'articule autour de phases archéologiques et d'autres reposant sur les événements politiques ou culturels.

Le découpage reposant sur les données archéologiques, découlant de la vieille théorie des « âges » de pierre et de métal est plus englobant, le seul partagé entre les différentes régions de ces hautes époques, vu qu'il est assez rare qu'un découpage chronologique ou culturel plus précis s'applique sur plusieurs régions. La notion d'âge du bronze, avec ses subdivisions en âge du bronze ancien (v. 3400/3000-2000 av. J.-C.), âge du bronze moyen (v. 2000-1500 av. J.-C.) et âge du bronze récent (v. 1500-1200 av. J.-C.), est très courante dans les études sur le Proche-Orient ancien.

Égypte antique[modifier | modifier le code]

Mésopotamie[modifier | modifier le code]

  • Période d'Uruk récent (v. 3400-3000 av. J.-C.) : apparition des premières villes et premiers États, l'écriture se développe vers 3200 av. J.-C.
  • Période des dynasties archaïques (v. 2900-2340 av. J.-C.) : division en plusieurs cités-États (Uruk, Ur, Lagash, Kish, etc.).
  • Période d'Akkad (v. 2340-2190 av. J.-C.) : Sargon d'Akkad met fin à la période des cités-États en les incluant dans le premier état territorial, qui se mue vite en véritable empire, notamment grâce à l'action de son petit-fils Naram-Sin.
  • Période néo-sumérienne (v. 2150-2004 av. J.-C.) : nouvelle unification par la troisième dynastie d'Ur, Ur-Namma et son fils Shulgi, qui établissent un nouvel empire dominant la Mésopotamie.
  • Période paléo-babylonienne (ou amorrite) (v. 2004-1595 av. J.-C.) : apparition de dynasties amorrites qui se partagent la Mésopotamie : Isin, Larsa, Eshnunna, Mari, puis Babylone, qui finit par dominer toute la région sous le règne de Hammurabi, avant de décliner lentement jusqu’à la prise de la ville par les Hittites vers 1595 av. J.-C.
  • Période « médio-babylonienne » (v. 1595 av. J.-C.-1000 av. J.-C.) et période « médio-assyrienne » (v. 1400-1000 av. J.-C.) : les Kassites fondent une nouvelle dynastie qui domine Babylone pendant plus de quatre siècles. Au nord, le Mittani exerce sa domination avant de se faire supplanter par le royaume médio-assyrien. Cette période se termine avec une crise grave, provoquée notamment par les assauts des Araméens.
  • Période néo-assyrienne (934-609 av. J.-C.) : les Assyriens établissent un empire dominant tout le Proche-Orient pendant environ deux siècles, qui s'effondre à la fin du VIIe siècle av. J.-C. sous les coups des Babyloniens et des Mèdes.
  • Période néo-babylonienne (625-539 av. J.-C.) : les Babyloniens reprennent à leur profit une partie de l'empire néo-assyrien, notamment grâce à l'action de Nabuchodonosor II.
  • Période achéménide (539-331 av. J.-C.) : Babylone succombe à son tour (539 av. J.-C.) sous les coups de Cyrus II qui incorpore la Mésopotamie dans l'empire perse. Fin des dynasties autochtones mésopotamiennes. Alexandre le Grand conquiert la Mésopotamie en 331 av. J.-C.

Les débuts de la civilisation égyptienne[modifier | modifier le code]

Carte des principales entités géographiques et des principaux sites de l'Égypte antique.

La période prédynastique égyptienne voit les fondations de l’État pharaonique égyptien être progressivement posées entre la fin du Ve millénaire av. J.-C. et celle du IVe millénaire av. J.-C., d'abord avec la culture de Badari en Moyenne-Égypte, puis la culture de Nagada en Haute-Égypte, alors qu'en Basse-Égypte se développe la culture de Maadi-Bouto, ouverte aux influences proche-orientales. L'expansion de la culture de Nagada vers les autres régions marque le début du processus d'unification de la vallée du Nil et de formation de l'État, qui se concrétise à la fin du millénaire[50]. Abydos fonctionne alors comme une nécropole royale, en lien avec les deux autres sites majeurs que sont Nagada puis Hiérakonpolis. Les premiers signes écrits permettent d'identifier le début de l'administration et la présence de souverains formant une « dynastie 0 » absente de l'historiographie traditionnelle, dont il n'est pas assuré qu'elle ait dominé toute l'Égypte[51].

L'unification est traditionnellement attribuée au roi Ménès, assimilé à Narmer, identifié par des sources écrites et artistiques. C'est le premier roi de la première dynastie égyptienne, régnant vers 3000 av. J.-C. Avec lui s'ouvre la période thinite (v. 3000-2700 av. J.-C.) qui comprend les deux premières dynasties, la première phase d'un royaume égyptien unifié et plus largement la période qui parachève la formation de la civilisation égyptienne pharaonique. Elle est documentée par les découvertes effectuées dans les nécropoles d'Abydos et de Saqqarah[52].

La période de l'Ancien Empire (v. 2700-2200 av. J.-C.) s'ouvre apparemment sans rupture avec la précédente. La IIIe dynastie est dominée par la figure de Djoser, le premier pharaon à se faire enterrer dans une pyramideSaqqarah), dont le maître d’œuvre serait l'architecte Imhotep. La IVe dynastie est celle du pharaon Snéfrou puis de ses successeurs Khéops, Khéphren et Mykérinos, qui construisent d'imposantes pyramides à Gizeh près de Memphis, la nouvelle capitale. La Ve dynastie et la VIe dynastie, marquée par les longs règnes de Pépi Ier et Pépi II, sont des périodes d'épanouissement du pouvoir monarchique et de développement administratif. Le pharaon de l'Ancien Empire est un personnage d'essence divine, bénéficiant d'un culte après sa mort, qui revêt des aspects « solaires » avec l'essor du culte du dieu-soleil auquel il est assimilé (visible notamment dans l'érection de temples solaires). Il est appuyé par une élite administrative puissante qui érige à son tour ses tombes privées (dans des mastabas richement ornés). L'Ancien Empire voit également une phase d'expansion vers la Nubie et hors de la vallée du Nil, pour l'acquisition de matières premières, et l’établissement de relations commerciales et diplomatiques avec le Levant (Byblos, Ebla), aussi en direction du pays de Pount (vers l’Éthiopie)[53].

La dynamique centralisatrice s'essouffle à la fin de la VIe dynastie, à laquelle succède la première Période intermédiaire (v. 2200-2030 av. J.-C.), qui comprend quatre dynasties, qui ont pu régner au même moment sur des parties différentes du pays. Le pays s'est en effet divisé politiquement, entre plusieurs centres de pouvoir (Memphis, Hérakléopolis, Thèbes). La période est mal documentée, mais les générations postérieures en ont retenu l'image d'un temps chaotique, marqué par des guerres et des famines, un traumatisme à ne plus reproduire[54].

Sumer et ses voisins[modifier | modifier le code]

La Mésopotamie entre dans l'ère historique, étatique et urbaine au IVe millénaire av. J.-C., durant la période d'Uruk. Celle-ci doit son nom à la ville la plus étendue de cette période, située dans le sud de la Mésopotamie, qui est également le lieu de découverte du plus grand ensemble de monuments et des premières tablettes écrites (essentiellement de nature administrative), datés d'environ 3300-3000 av. J.-C. La période précédant cet essor est très mal connue. On sait que des villes émergent au début du IVe millénaire av. J.-C. dans le nord de la Mésopotamie (Tell Brak), également en Iran du sud-ouest (Suse), où sont également attestés des documents précédant la mise au point définitive de l'écriture (jetons comptables, tablettes numériques, premiers pictogrammes). Il est clair que la « révolution urbaine » n'est pas cantonnée à la seule Basse Mésopotamie. Il n'empêche que c'est cette dernière qui exerce la plus grande influence culturelle durant cette période, appuyée sur une économie agricole très productive grâce à ses canaux d'irrigation dérivés de ses deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate, qui sont également des voies navigables facilitent les échanges, donc des éléments très favorables au développement d'une civilisation urbaine. Les régions voisines reprennent divers aspects de la culture « urukéenne », et des comptoirs ou colonies venus de Basse Mésopotamie semblent se développer en Haute Mésopotamie[55],[56],[57].

La « phalange » de l'armée de Lagash sur la stèle des vautours. Vers 2450 av. J.-C., musée du Louvre.

En dépit du recul de l'influence sud mésopotamienne au tournant du IIIe millénaire av. J.-C., la civilisation urbaine continue de prospérer au IIIe millénaire av. J.-C. La partie sud de la Basse Mésopotamie (la période des dynasties archaïques), le pays de Sumer, est constitué de plusieurs royaumes, des cités-États, disposant d'institutions bien organisées (des palais et des temples), dirigées par une élite puissante et riche (comme en témoignent les tombes royales d'Ur du milieu du millénaire). L'usage de l'écriture se développe, pour des finalités administratives mais aussi des activités savantes (archives de Girsu, Shuruppak, Adab). Du point de vue ethnique, on distingue deux peuples principaux coexistant dans le Sud mésopotamien à cette période : les Sumériens, un peuple parlant le sumérien, une langue isolée, dominante dans la partie la plus méridionale de la Mésopotamie, et derrière qui on voit généralement les inventeurs de l'écriture mésopotamienne ; les « Akkadiens », terme qui recouvre en fait un ensemble de populations parlant des langues sémitiques, majoritaires dans la partie nord[58],[59]. Encore plus au nord, les autres populations sont là aussi majoritairement de langue sémitique. Des royaumes pratiquant l'écriture mésopotamienne se développent en Syrie sous l'influence sumérienne, au moins à partir du milieu du millénaire (Mari, Ebla, Nagar, Urkesh)[60] et les sociétés connaissent un processus de hiérarchisation sociale marquée (tombes de Tell Umm el-Marra). Dans le sud-ouest iranien se développe la civilisation élamite, organisée autour de plusieurs entités politiques situées dans des régions hautes, et dont le principal centre urbain et culturel est la ville de Suse, située dans les régions basses au contact de la Mésopotamie ; elle a d'abord mis au point son propre système d'écriture, « proto-élamite », avant d'adopter le cunéiforme[61],[62].

Cette époque s'achève par l'apparition de l'empire d'Akkad (v. 2340-2190 av. J.-C.), premier État qui parvient à unifier les cités de Mésopotamie, sous la direction de Sargon d'Akkad, une des grandes figures de l'histoire mésopotamienne. Cet empire domine aussi une partie de la Syrie et du plateau Iranien et connaît son apogée sous le règne de Naram-Sîn. Après la chute d'Akkad au début du XXe siècle av. J.-C., dont les artisans principaux seraient les Gutis, peuple venu des montagnes occidentales, il se passe quelques décennies de division politique, durant lesquelles prennent place le règne de Gudea de Lagash, connu pour ses nombreuses statues en diorite, et celui de Puzur-Inshushinak en Élam, qui voit l'élaboration d'une nouvelle écriture, l'élamite linéaire. Puis un nouvel empire n'émerge depuis la Mésopotamie, celui de la troisième dynastie d'Ur (v. 2112-2004 av. J.-C.). Il est couramment vu comme l'archétype de l’État mésopotamien centralisateur et bureaucratique, au moins dans ses intentions, dont le plus éloquent témoignage sont les dizaines de milliers de tablettes administratives qu'il a laissées derrière lui[63],[64].

L'âge du bronze moyen[modifier | modifier le code]

La première moitié du IIe millénaire av. J.-C. correspond dans la chronologie des âges des métaux à l'âge du bronze moyen (v. 2000-1600 av. J.-C.). Elle voit le développement d'États territoriaux dans plus de régions que précédemment, sans que des pôles culturels centraux ou des puissances politiques hégémoniques n'émergent à nouveau. Cela donne naissance à un monde multi-centré, intégrant d'anciennes périphéries (Anatolie, Syrie), qui ont désormais un niveau de développement technologique et socio-politique similaire à ceux de l’Égypte et de la Mésopotamie. Alors que la situation politique est très fragmentée au début du millénaire, progressivement se constituent des puissances régionales se partageant le concert politique dans une sorte d'équilibre des pouvoirs, situation qui prend sa forme définitive durant l'âge du Bronze récent. Par ailleurs, on voit une extension de l'espace couvert par les réseaux d'échanges vers l'ouest, avec l'intégration de la Crète, mais une rétractation à l'est où les routes commerciales du Golfe et du plateau Iranien sont moins actives à la fin de la période (ce qui semble lié à l'effondrement de la civilisation de l'Indus après 1900 av. J.-C.)[65].

L'Égypte est réunifiée vers 2030 av. J.-C. par la dynastie de Thèbes, la XIe dynastie, avec Montouhotep II qui rétablit l'autorité et le prestige monarchique. C'est le début du Moyen Empire (v. 2030-1780 av. J.-C.). La XIIe dynastie, des rois nommés Sésostris et Amenemhat, marque l'apogée de cette période, grâce à une reprise en main active de l'administration, ravagée par les troubles antérieurs. L'activité de ces rois à Karnak près de Thèbes et dans l'oasis du Fayoum témoigne de leur puissance et de leur richesse retrouvées. Ils parviennent également à reprendre le contrôle sur la Nubie. En revanche, si leur influence est perceptible au Levant méridional, il n'est pas assuré qu'elle se soit accompagnée d'une domination politique, et l’Égypte est à l'écart du concert international proche-oriental durant cette période. Du point de vue culturel, cette période est notamment marquée par une floraison littéraire et l'affirmation du dieu thébain Amon[66].

Au Proche-Orient, le début du IIe millénaire av. J.-C. voit des chefs tribaux des Amorrites, peuple originaire de Syrie, s'installent à la tête de royaumes aussi bien en Syrie qu'en Mésopotamie, et y établissent des dynasties concurrentes, tout en formant un ensemble culturel cohérent (un koinè), reposant en bonne partie sur l'héritage syro-mésopotamien ancien mais aussi sur des pratiques originales (visibles notamment dans les relations diplomatiques). Les principaux royaumes de cette période (période paléo-babylonienne, période d'Isin-Larsa) sont Isin et Larsa dans le sud mésopotamien, Eshnunna dans les régions à l'est du Tigre, Mari sur l'Euphrate dont le palais royal a livré des milliers de tablettes, essentielles pour la connaissance de cette période, Yamkhad (Alep) et Qatna en Syrie intérieure. Assur est à cette époque une cité peu puissante politiquement, mais ses marchands ont tissé un réseau commercial très lucratif en Anatolie, documenté par des milliers de tablettes mises au jour à Kültepe (période paléo-assyrienne). Un autre réseau commercial très actif est celui du golfe Persique, qui profite aux villes du sud mésopotamien (Ur, Larsa) avant de se rétracter. Autour de 1800 av. J.-C. un souverain amorrite nommé Samsi-Addu parvient à unifier toute la Haute Mésopotamie, mais à sa mort en 1775 son royaume s'effondre. Hammurabi de Babylone (1792-1750 av. J.-C.) parvient ensuite à dominer la majeure partie de la Mésopotamie. Avec lui, le royaume babylonien devient une des principales puissances du monde antique (première dynastie de Babylone). Ses successeurs parviennent à se maintenir au pouvoir tout en perdant peu à peu des territoires, jusqu'à la chute de Babylone sous les coups des Hittites en 1595 av. J.-C.[67],[68]

Cet acte marque la montée en puissance d'un autre royaume amené à durer, implanté dans le pays appelé Hatti d'où vient le nom Hittites, au cœur de l'Anatolie. Ses rois constituent à la fin du XVIIe siècle av. J.-C. un royaume en mesure de vaincre les deux grands royaumes amorrites, Alep et Babylone. Néanmoins, des querelles dynastiques freinent son expansion[69].

Plus au sud, le Levant central et méridional (Canaan) est peu documenté par les textes, mais on y décèle l'existence de petits royaumes comme celui de Byblos, qui prospère grâce au commerce avec l'Égypte. Les populations sémitiques du Levant ont alors des contacts réguliers avec la vallée du Nil, s'y rendent en nombre, et c'est probablement dans ce milieu que sont élaborés les premières formes d'alphabet, dérivées des hiéroglyphes (alphabet protosinaïtique).

C'est aussi dans ce contexte qu'un groupe de populations sémitiques, les Hyksos, s'implante dans le delta du Nil et y fonde des dynasties, la plus importante régnant à Avaris. Ils causent des pertes territoriales importantes aux rois thébains de la XIIIe dynastie dynastie, qui disparaît peu après. C'est la deuxième Période intermédiaire (v. 1750-1550 av. J.-C.). Au sud, la Nubie, le pays de Koush, se rend indépendante sous la direction des rois de Kerma. L'« invasion » hyksos et la division qui s'ensuit sont vus comme de grands malheurs dans la tradition postérieure égyptienne ; elle introduit des influences asiatiques, mais la tradition égyptienne résiste, y compris en pays dominé par les Hyksos où elle conserve une grande influence. Les souverains indépendants de Thèbes parviennent progressivement à prendre le contrôle de la situation[70].

Fresque de la procession nautique d’Akrotiri (Santorin), détail, v. 1650-1500 av. J.-C.

Dans le monde égéen, l'âge du bronze est divisé entre trois aires culturelles : la Crète de culture « minoenne », les Cyclades de culture « cycladique » et la Grèce continentale de culture « helladique ». Elles se développent depuis la fin du IVe millénaire av. J.-C. et présentent toutes des spécificités, tout en entretenant des contacts les unes avec les autres. La Crète connaît l'essor le plus marqué durant le Bronze moyen, stimulée par les relations avec les régions orientales. Elle est cependant moins centralisée que ces dernières, les « palais » de Cnossos, Phaistos et Malia ne fonctionnant manifestement pas comme des centres administratifs de royaumes très hiérarchisés à l'image de ceux du Proche-Orient, mais peut-être plutôt comme des centres cérémoniels. Elle dispose de ses propres écritures, les hiéroglyphes crétois et le Linéaire A, non déchiffrées. Vers la fin de la période Cnossos semble devenir le site principal, et l'influence minoenne s'étend sur son voisinage, notamment dans les Cyclades comme l'atteste le site d'Akrotiri sur l'île de Santorin (détruit par l'éruption du volcan voisin, vers la fin du XVIe siècle av. J.-C.). Il est néanmoins excessif d'y voir une « thalassocratie ». Les poteries minoennes se retrouvent jusqu'au Proche-Orient[71].

À l'autre extrémité dans le plateau Iranien, l'Élam reste une puissance politique majeure, bénéficiant notamment des retombées économiques des routes de l'étain reliant les mines situées plus à l'est à la Mésopotamie. Ce sont les armées de ce royaume qui ont porté le coup de grâce à la troisième dynastie d'Ur au début de la période, et elles réalisent régulièrement des incursions en Babylonie durant les siècles suivants, sans parvenir à s'y imposer durablement[72].

L'âge du bronze récent[modifier | modifier le code]

La période qui va d'environ 1600 à 1200 av. J.-C. est couramment définie au Moyen-Orient comme un âge du bronze récent. Dans la continuité de la phase précédente avec laquelle elle présente de nombreux points communs, elle est caractérisée du point de vue géopolitique par la présence de royaumes de puissance équivalente dominant le concert politique international, l'Égypte entrant alors en contact direct avec les grands royaumes du Proche-Orient. La concentration politique et a conduit à un système reposant sur une poignée de grandes puissances : l’Égypte, les Hittites, le Mittani puis l'Assyrie, Babylone et l'Élam[65]. Apparaissent alors des « empires » constitués de nombreux royaumes vassaux soumis durablement par un des grands royaumes, qui se disputent en particulier la domination de la riche région de Syrie, et dont l'activité diplomatique est notamment documentée par les lettres d'Amarna. Le « monde connu » de l'époque va de la mer Égée jusqu'à l'Iran, avec un début d'intégration de la Méditerranée orientale.

En Égypte, le roi thébain Ahmôsis Ier vainc les Hyksos vers 1540 av. J.-C., puis Koush (Nubie), ce qui marque le début de la XVIIIe dynastie, et du Nouvel Empire (v. 1540-1200 av. J.-C.). C'est la période la mieux documentée de l’Égypte pharaonique, en particulier grâce à l'activité de ses souverains. La XVIIIe dynastie rétablit la prospérité de l'Égypte, et après le règne de Hatchepsout, la seule femme à avoir régné par elle-même dans ce royaume, Thoutmosis III réalise plusieurs campagnes militaires qui lui permettent de se tailler un empire au Levant (surtout à Canaan), et d'aller jusqu'à l'Euphrate, faisant de l’Égypte une puissance du Proche-Orient, luttant contre le Mittani et les Hittites pour l'hégémonie sur les riches cités de Syrie. Avec lui s'affirme la figure du pharaon combattant, reprise par ses successeurs. Au sud, l'empire égyptien va en Nubie jusqu'à la quatrième cataracte, et les mines d'or de ce pays servent grandement la politique pharaonique, à l'intérieur comme à l'extérieur. Les rois se font inhumer dans la vallée des Rois près de Thèbes qui, bien que pour la plupart pillées dès l'Antiquité (à l'exception notable du tombeau de Toutankhamon), ont livré et livrent encore d'importantes informations sur l'histoire de la période. Les temples égyptiens de Karnak (Louxor) et d'ailleurs font l'objet de grands travaux reflétant la puissance du royaume et de son grand dieu, Amon-Rê. L'époque amarnienne (du nom de la résidence royale d'alors, Tell el-Amarna) au milieu du XIVe siècle av. J.-C., sous le roi Amenhotep IV /Akhénaton, voit la promotion du dieu Aton, réforme religieuse qui entraîne beaucoup de débats[73].

Après sa mort et le règne bref de Toutankhamon qui doit sa célébrité à la découverte de sa tombe, la succession houleuse aboutit à la mise en place de la XIXe dynastie. Ses rois doivent rapidement intervenir au Levant où leur domination est bousculée par les offensives hittites (voir plus bas). Cette affaire se solde sous le règne de Ramsès II avec la conclusion d'une paix durable (et après la fameuse mais non décisive bataille de Qadesh) qui permet à l'Égypte de consolider sa domination sur ses provinces asiatiques (après des pertes notables comme Ugarit et l'Amurru). Par la suite, les Libyens font peser une menace plus directe sur le delta du Nil à la fin de la dynastie, qui se prolonge au début de la suivante, la XXe dynastie (la dynastie des Ramsès), qui est amenée à voir la fin de l'empire égyptien[74].

En Syrie et en Haute Mésopotamie, la puissance dominante au début de la période est le royaume du Mittani, dirigé par une élite hourrite depuis les cités de la région du Khabur (sa capitale, Wassukanni, n'a pas été identifiée). Fondé dans des conditions obscures au XVIe siècle av. J.-C., il domine les royaumes syriens (Alep, Ugarit, Alalakh, Qatna, etc.) et étend son influence jusqu'à l'est du Tigre (visible notamment à Nuzi, dans le royaume d'Arrapha). En Syrie, il doit défendre sa zone d'influence face aux incursions des Égyptiens et des Hittites[75],[76]. Les petits royaumes de Syrie et du Liban que se disputent les grandes puissances (Alep, Ugarit, Karkemish, Alalakh, Ebla, Qatna, Amurru, Byblos, Tyr, Sidon, etc.) sont alors dirigés par des cités prospères, inscrites dans la continuité culturelle de la période précédente ; Ugarit est en particulier bien documenté, et présente la spécificité d'être le premier site pour lequel soit attesté un usage courant d'une écriture alphabétique (alphabet ougaritique)[77].

En Anatolie, l'histoire du royaume hittite est marquée par différents soubresauts qui permettent à d'autres entités politiques de prendre de l'autonomie, en particulier l'Arzawa[78] (de population louvite) en Asie mineure et le Kizzuwatna[79] en Cilicie, qui balance entre Hittites et Mittani. Sur leur frontière nord ils font face à la menace permanente d'attaques des Gasgas, ensemble de tribus montagnardes qui ne sont jamais soumises durablement[80]. Au XIVe siècle av. J.-C. le royaume hittite reprend de la puissance (période du « Nouvel Empire », v. 1400-1200 av. J.-C.). Sa capitale, Hattusa, est dominée par une citadelle imposante où se trouve le palais royal, et dispose de nombreux temples. Elle a livré une abondante documentation cunéiforme qui sert de base à la reconstitution de l'histoire hittite. Sur le plan militaire, le roi Suppiluliuma Ier (1344-1322 av. J.-C.) parvient à rétablir son autorité en Anatolie puis à enfoncer les lignes du Mittani en Syrie, avant de prendre sa capitale, ce qui porte un coup fatal à son statut de grande puissance. Ses successeurs consolident leur emprise sur la Syrie face aux Égyptiens (notamment lors de la bataille de Qadesh) et en Anatolie (destruction de l'Arzawa)[81].

La Babylonie connaît au milieu du IIe millénaire av. J.-C. une grave crise politique, économique et peut-être aussi écologique. Elle est partagée entre une dynastie fondée par des Kassites (peuple apparemment originaire du Zagros) qui règne sur Babylone, et la première dynastie du Pays de la Mer qui domine le sud. Les premiers l'emportent et réunifient le sud mésopotamien, avant d'entreprendre la reconstruction de ces grandes villes et la remise en valeur de ses campagnes. La dynastie kassite de Babylone (v. 1595-1155 av. J.-C.) est celle qui occupe le plus longuement le trône de cette cité, asseyant ainsi son autorité et son prestige en tant que capitale politique et aussi ville sacrée. Bien que d'origine étrangère, les rois kassites se fondent dans le moule culturel babylonien, qui connaît alors un rayonnement sans précédent. La langue babylonienne sert de langue diplomatique dans tout le Moyen-Orient, et est enseignée dans les principales chancelleries, y compris en Égypte ; ses textes littéraires phares, tels que l’Épopée de Gilgamesh, se diffusent en même temps et avec eux l'influence culturelle babylonienne[82].

Dans le monde égéen, se développent des entités politiques plus importantes, en Asie mineure : l'Arzawa et ses successeurs ; Troie, alors un important site fortifié qui pourrait correspondre au royaume de Wilusa des textes hittites[83]. La Crète perd son influence à la suite de troubles (apparemment internes) au milieu du XVe siècle av. J.-C., et lui succède une période de prépondérance culturelle de la Grèce continentale, où apparaît la civilisation mycénienne (la phase récente des cultures « helladiques »). Reprenant en partie de l'héritage minoen, qui se mêlent aux traditions locales antérieures, elle se développe autour de plusieurs cités (Mycènes, Pylos, Thèbes) et s'étend par la suite (par conquête ?) en direction de la Crète (où Cnossos et La Canée sont les sites principaux). Elle est apparemment partagée entre plusieurs royaumes dirigés depuis des citadelles fortifiées où sont érigés des palais, où des scribes produisent à l'image des royaumes orientaux des documents administratifs, mais dans une nouvelle écriture, le Linéaire B, qui transcrit une forme ancienne du grec. Les tombes rondes (à tholos) de Mycènes témoignent de la richesse accumulée par les souverains du début de la période (« trésor d'Atrée »)[84]. Il est tentant de voir derrière ces royaumes ceux des Achéens des temps héroïques décrits par Homère, mais il n'y a pas d'information sur leur histoire politique ; les textes hittites évoquent cependant un pays appelé Ahhiyawa quelque part vers l'Égée, dont le nom ressemble fortement à celui des Achéens homériques[85].

La défaite du Mittani face aux Hittites rabat les cartes du jeu politique proche-oriental, en ouvrant la voie aux ambitions d'un autre royaume de Mésopotamie du nord, l'Assyrie. Il est formé à partir de sa capitale éponyme, Assur, ce nom désignant aussi le dieu national Assur, considéré comme le véritable souverain du royaume (royaume médio-assyrien, v. 1400-1050 av. J.-C.). En quelques années, dans la seconde moitié du XIVe siècle av. J.-C., ce royaume s'affirme comme une puissance militaire rivalisant avec les Hittites et Babylone. Puis au XIIIe siècle av. J.-C. ses rois consolident leur emprise sur la Haute Mésopotamie en annexant ce qu'il restait du Mittani puis en implantant des lieux de pouvoir dans la région (Dur-Katlimmu, Tell Sabi Abyad, Tell Chuera, etc.) et infligent des défaites cinglantes aux deux autres grandes puissances rivales[86].

Du côté de l'Iran, l'Élam est sorti des âges obscurs grâce à une série de rois dynamiques, qui entreprennent d'importants travaux à Suse et dans sa région (Chogha Zanbil, fondée par le roi Untash-Napirisha). Puis au début du XIIe siècle av. J.-C. une nouvelle lignée de rois, les Shutrukides, met sur pied une redoutable machine de guerre, qui s'étend vers la Mésopotamie. En 1155, ils s'emparent de Babylone et mettent fin à la dynastie kassite, emportant de nombreux trésors depuis la Babylonie, dont la stèle du Code de Hammurabi[87]. Mais ils ne sont pas en mesure de capitaliser sur leur succès, battent en retraite avant de subir la revanche babylonienne lors d'une offensive conduite par le roi Nabuchodonosor Ier (vers 1100). Cette victoire donne un regain de dynamisme à Babylone, notamment grâce à la récupération de la statue du grand dieu national Marduk qui avait été emportée en butin par les Élamites ; c'est sans doute à cette période qu'est écrit Enuma elish, le principal texte mythologique babylonien, célébrant la toute-puissance de cette divinité et de sa ville[88].

Effondrement et recompositions[modifier | modifier le code]

Ramsès III face aux Peuples de la mer, d'après un bas-relief de Médinet Habou.

La fin de l'âge du bronze et la période de transition vers l'âge du fer, au début du XIIe siècle av. J.-C., voient de grands bouleversements se produire dans tout le Moyen-Orient et en Méditerranée orientale. Le point de rupture est ce qui est souvent caractérisé comme un « effondrement », parfois comme une crise « systémique », qui voit la fin des grands royaumes du Bronze récent. L'empire hittite disparaît définitivement dans des conditions obscures et sa sphère de domination plonge dans le chaos. Les palais de la civilisation mycénienne ont eux aussi cessé d'être occupés dans des conditions tout aussi énigmatiques, et ne sont pas rebâtis, ce qui se traduit au bout de quelques décennies par la fin pure et simple de cette civilisation. L'Égypte est assaillie par des Libyens venus de l'ouest et les « Peuples de la mer », une sorte de coalition de peuples dont on situe les origines vers le monde égéen ou l'Anatolie orientale, voire Chypre. Ils sont repoussés. La vallée du Nil est donc épargnée, mais une partie des assaillants se retrouve vers le Levant méridional, où l'administration égyptienne perd pied (sans que l'on sache bien pourquoi ni comment). Plus au nord sur le littoral syrien, les villes d'Ugarit et d'Alalakh sont détruites, peut-être par d'autres Peuples de la mer, et définitivement abandonnées. Et en Syrie émerge à la fin du XIIe siècle av. J.-C. un nouveau groupe de populations turbulentes, les Araméens, qui secouent la domination assyrienne sur la Haute Mésopotamie occidentale, puis se retrouvent aussi en Babylonie où ils rajoutent au chaos déjà existant en raison de l'instabilité dynastique succédant à la chute des Kassites. La conjugaison de ces catastrophes a incité à chercher des causes globales, au-delà des problèmes inhérents à chaque royaume. On a pu mettre en avant l'impact de migrations de divers « Barbares » mis en mouvement par des crises (causées par des sécheresses ?), qui, par effet domino, se répercutent depuis le monde égéen jusqu'au Levant ; ou des crises sociales internes aux royaumes levantins, où sont attestées durant tout l'âge du bronze des populations vivant aux marges et causant potentiellement des troubles (Habiru, tribus nomades). Encore une fois, le phénomène admet des variations géographiques, certaines régions résistant mieux que d'autres (cités phéniciennes, Assyrie). En tout cas, c'est tout le monde des palais de l'âge du bronze qui connaît sa fin, ouvrant la voie à une période de recompositions majeures qui est fondamentale pour la suite de l'histoire antique, connaissant d'importantes innovations comme la diffusion de la métallurgie du fer et de l'alphabet, et l'apparition de nombreuses « nations »[89],[90]. Les changements qui ont lieu en Grèce et dans le monde méditerranéen à la même période sont à inscrire dans ce contexte (voir plus bas).

La situation politique de l'Égypte au milieu du VIIIe siècle av. J.-C.

En Égypte, la fin de l'âge du bronze coïncide avec la XXe dynastie. L'empire égyptien du Levant disparaît après le règne de Ramsès III, ce qui porte un coup important à la prospérité du royaume. Le pouvoir pharaonique perd de son autorité, alors que les prêtres d'Amon de Thèbes exercent une autorité de plus en plus forte. La troisième Période intermédiaire voit l'installation d'une dynastie de prêtres d'Amon à Tanis dans le delta, où ils doivent aussi faire de la place à des dynasties fondées par des chefs Libyens. Au même moment, la Nubie (Kouch) recouvre son indépendance sous la direction des rois de Napata. Ceux-ci profitent de la situation chaotique de l'Égypte pour y intervenir, et ils trouvent pour principaux rivaux les rois libyens de Saïs. Comme aucun ne prend le dessus, cette rivalité débouche sur une nouvelle division du pays entre Haute et Basse Égypte dans la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C. L'Égypte est dès lors placée sous la domination de dynasties étrangères, situation qui se prolonge par la suite[91].

Si l'empire hittite s'effondre, plusieurs royaumes vassaux de Syrie du nord et d'Anatolie orientale occupés par des branches cadettes de la famille royale hittite survivent à cette période, en premier lieu Karkemish et Melid (Malatya). Ils servent de base à la formation d'entités politiques dites « néo-hittites », qui sont en fait surtout peuplées de locuteurs du louvite (une langue parente du hittite), et aussi d'autres populations (notamment des Araméens)[92]. Le reste de l'Anatolie connaît d'importants changements après la disparition du royaume hittite. En Anatolie centrale, l'ancien pays hittite est occupé par de nouveaux arrivants, les Phrygiens, dont le roi le plus fameux est Midas (Mita dans les textes assyriens), qui dans la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C. domine un territoire allant jusqu'en Cappadoce. Après avoir subi des offensives assyriennes, le royaume phrygien est détruit par de nouveaux arrivants, les Cimmériens, en 695 av. J.-C.[93]. Plus à l'ouest s'est formé vers la même période le royaume de Lydie, autour de sa capitale Sardes, dont le roi le plus célèbre est son dernier, Crésus (v. 561-547). C'est là qu'auraient été mises au point les plus anciennes pièces de monnaie[94].

En Syrie intérieure émerge dès la fin de l'âge du bronze une nouvelle population ouest-sémitique, les Araméens, groupe semi-nomade qui connaît une expansion rapide et s'implante dans les villes syriennes. Leur essor se fait aux dépens des Assyriens qui perdent une grande partie de la Djézireh, et plus à l'ouest en Syrie centrale après le retrait des Hittites. Ils constituent plusieurs royaumes, souvent mêlés à des éléments louvites (Sam'al, Arpad, Hamath, Damas, Guzana). Les Araméens s'étendent aussi en Babylonie orientale, où ils causent de nombreux troubles avant de coexister plus pacifiquement avec les populations locales ; ils y conservent un mode de vie tribal et semi-nomade à la différence de ce qui se passe plus au nord. Les Araméens de Syrie sont les principaux adversaires des Assyriens durant leur première phase d'expansion, étant soumis puis absorbés, pour finalement former une communauté culturelle assyro-araméenne. Bien que dominés politiquement, les Araméens ont une influence considérable puisque leur langue et leur alphabet se diffusent dans tout le Moyen-Orient à partir de cette période[95].

En Babylonie à la même période, arrive une autre population, sans doute d'origine ouest-sémitique et liée aux Araméens, les Chaldéens. Ils forment des entités politiques organisées autour de villes et villages, pratiquant l'agriculture et le commerce, prospérant rapidement au point de jouer un rôle majeur dans la vie politique de la région à partir du IXe siècle av. J.-C. Ils sont très actifs dans la résistance face à l'Assyrie[96].

Il en résulte un temps d'épreuves pour les deux principaux royaumes mésopotamiens, Babylone et l'Assyrie, qui survivent durant cette période mais avec des fortunes diverses. En Babylonie, plusieurs dynasties se succèdent à la tête du royaume, certaines parvenant à restaurer un ordre temporaire, mais jamais de façon durable[97],[98]. L'Assyrie parvient à préserver son cœur historique autour de ses principales villes (Assur, Ninive, Arbèles) et sans doute des têtes de pont dans les régions voisines. C'est sur cette base qu'elle peut partir à la reconquête des territoires perdus dès la seconde moitié du Xe siècle av. J.-C., marquant le début de l'époque néo-assyrienne (qui va jusqu'en 612/609). Se met progressivement en place une organisation militaire très efficace, appuyée sur des campagnes annuelles visant à prélever le tribut de ceux qui se soumettent, et à châtier très brutalement ceux qui résistent. Les souverains assyriens font coucher par écrit puis sculpter sur des bas-reliefs leurs faits militaires, y compris leurs exactions (destructions, pillages, massacres, déportations). Ils se rendent rapidement hégémoniques en Syrie face aux royaumes araméens et néo-hittites, puis atteignent la côte méditerranéenne, et reprennent aussi leurs tentatives d'expansion en Babylonie. Ils ne parviennent cependant pas à asseoir leur domination, suscitant contre eux de nombreuses révoltes, qui rassemblent dans des coalitions de plus en plus de royaumes hostiles à leurs ambitions. Mais ils sortent la plupart du temps vainqueurs de ces affrontements[99],[100].

Haut d'un carquois en bronze de Sarduri II d'Urartu (764-735 av. J.-C.) gravé de frises représentant le roi sur son char. Musée de l'Ermitage.

L'Anatolie orientale connaît aussi une période de développement politique, autour du lac de Van où émerge dans le courant du IXe siècle av. J.-C. le royaume d'Urartu. Suivant en grande partie le modèle de l'Assyrie (au moins sur le plan idéologique), et une organisation territoriale adaptée à son territoire montagneux, ses rois conquièrent les régions alentour. Ils y implantent des forteresses pour les diriger, où ils entassent les ressources prélevées sur les campagnes, qui font également l'objet d'aménagements. Ils se posent en rivaux des Assyriens, leur disputant l'hégémonie sur les régions hautes du Tigre et de l'Euphrate, et leur causant quelques revers au début du VIIIe siècle av. J.-C.[101],[102].

Détail du sarcophage d'Eshmunazar de Sidon et de son inscription en alphabet phénicien, Ve siècle av. J.-C. Musée du Louvre.

Les cités côtières de la côte libanaise sont celles qui parmi les cités cananéennes de l'âge du bronze ont le mieux résisté aux troubles de la fin de la période. Au début de l'âge du fer, elles forment un ensemble prospère et dynamique, divisé en plusieurs royaumes, en premier lieu Tyr qui a une position prééminente, avec aussi les cités d'Arwad, Sidon et Byblos. Ils développent une écriture alphabétique qui sert de modèle aux autres alphabets qui vont se diffuser durant l'âge du fer et asseoir le triomphe de cette forme d'écriture. Les Grecs nomment cet espace la Phénicie, et leurs habitants les Phéniciens. À compter de la fin du IXe siècle av. J.-C. les Phéniciens implantent des comptoirs et des cités autour de la Méditerranée (Chypre, Tunisie, Malte, Sicile, Sardaigne, Tunisie), y formant une diaspora. Ils font du commerce avec plusieurs régions méditerranéennes, notamment en Grèce, où leur alphabet sert de modèle à l'alphabet local. La prospérité des cités phéniciennes en fait des cibles toutes désignées pour l'Assyrie[103],[104].

Chypre, qui a été très bouleversée par la période de la fin de l'âge du bronze, reçoit manifestement un important afflux de populations grecques, à qui sont attribuées les fondations de plusieurs cités, et l'île est aussi une région d'accueil de la diaspora phénicienne, avec la fondation de Kition. Se forme ainsi un réseau urbain important, marqué par la coexistence de petits royaumes de culture grecque ou phénicienne, souvent prospères mêlant divers éléments. Cela donne une nouvelle facette au profil culturel original de l'île, pont entre les mondes égéen et levantin. Ces royaumes attirent l'attention des puissances continentales qui proclament la dominer (Assyrie, peut-être aussi Tyr, puis l'Égypte)[105],[106].

Plus au sud, la côte méridionale de Canaan est la région qui a connu les bouleversements les plus importants, puisque c'est là qu'est la plus visible l'implantation des Peuples de la mer, par le biais de différents éléments matériels rappelant les cultures du monde égéen, notamment la poterie peinte. Les Philistins sont ceux dont l'implantation a eu le plus de succès (mais il s'en trouvait d'autres, comme les Tjeker). Ils s'emparent de plusieurs cités de Canaan, dont les principales deviennent les capitales de royaumes philistins (la « Pentapole » : Gaza, Ekron, Ashkelon, Gath, Ashdod), et le pays prend le nom de Philistie. Ils se fondent rapidement dans la population locale, au point que leur langue, sans doute indo-européenne, disparaît rapidement et que les dialectes sémitiques restent dominants. De même la culture matérielle prend un profil local, et les dieux vénérés sont surtout sémitiques (Dagon, Baal-zebub). Les Philistins sont connus par la Bible comme de redoutables guerriers, s'étendant en direction de l'intérieur, devenant les ennemis mortels des Israélites qui ne parviennent à les repousser qu'après une longue période de conflits[107].

En effet, dans les hautes terres du Levant méridional, émerge au même moment l'Israël antique. Son histoire est certes documentée par la Bible, mais il est difficile de retrouver la vérité historique derrière des textes écrits et remaniés tardivement (surtout à compter du VIe siècle av. J.-C.) pour conter une saga nationale sous le prisme de l'Alliance entre Dieu et le peuple d'Israël. La critique textuelle des livres bibliques, les découvertes archéologiques et l'apport des textes provenant des régions voisines permettent d'affiner un peu la connaissance de cette période. En gros, tout ce qui est relaté dans la Torah (époque des Patriarches, esclavage en Égypte, Exode hors d'Égypte et conquête de Canaan) est renvoyé au rang de récits légendaires ayant au mieux un rapport lointain avec des personnes et des faits ayant réellement existé ; cela est cependant présenté comme historique par les approches plus conservatrices et fondamentalistes. On retient en revanche que les conflits contre les Philistins rapportés dans les livres des Juges et des Rois contiennent le souvenir d'un contexte conflictuel ayant motivé les populations des hautes terres à mieux s'organiser, ce qui contribue fortement à l'émergence d'une identité collective et à l'apparition de l'État. L'archéologie identifie après la fin du Bronze récent une phase de très faible peuplement sédentaire des hautes terres, puis une réoccupation, avec une croissance progressive de l'habitat et l'apparition de sites fortifiés, se dotant d'une architecture monumentale au moins dans la seconde moitié du Xe siècle av. J.-C. Les sources textuelles extra-bibliques indiquent assurément la présence au IXe siècle av. J.-C. de deux royaumes, Israël au nord autour de Samarie, plus riche et urbanisé, et Juda au sud autour de Jérusalem, moins peuplé et plus rural, dont l'histoire correspond au moins dans les grandes lignes à ce qui est rapporté dans les deux Livres des Rois (l'existence de la monarchie unifiée étant en débat). Leur culture matérielle est similaire (par exemple maison à quatre pièces), de même que leur religion, issue du fonds cananéen, avec pour dieu national Yahweh. Les premières formes de l'alphabet hébreu sont développées durant cette période, et la pratique de l'écriture se diffuse, permettant l'émergence d'une littérature qui comprend les plus anciens textes qui devaient par la suite être intégrés au corpus biblique[108].

À l'est du Jourdain se développent également plusieurs entités politiques, peu documentées : Edom[109], Moab[110] et Ammon[111].

Dans le plateau Iranien, de profonds changements surviennent également à cette époque. Le royaume élamite a décliné et s'est divisé en plusieurs entités politiques, qui poursuivent les traditions antiques et connaissent une phase de reprise au VIIIe siècle av. J.-C. même si cette contrée semble alors marquée par l'instabilité politique. Les Élamites deviennent des alliés des Babyloniens face aux Assyriens, et ils en payent à plusieurs reprises les conséquences[112]. De nouvelles populations sont arrivées depuis l'Asie centrale, parlant des langues iraniennes. Les plus dynamiques dans un premier temps sont les Mèdes, installés dans la région de Hamadan. Les Assyriens les rencontrent pour la première fois au milieu du IXe siècle av. J.-C., et ils constituent progressivement des petits royaumes appuyés sur des sites fortifiés. Selon le récit de Hérodote ils connaissent un processus d'unification et forment un empire dominant la région, mais la fiabilité historique de ce récit a été mise en doute, le soi-disant empire mède restant élusif dans la documentation[113]. L'autre peuple iranien qui apparaît à cette période sont les Perses, qui se fixent plus au sud dans la région qui prend leur nom (l'actuel Fars), jusqu'alors un territoire de tradition élamite ; il semble d'ailleurs que se produise rapidement un mélange entre les deux populations. La région est divisée en plusieurs entités politiques, semble un temps dominée par les Mèdes, jusqu'à ce qu'une dynastie perse, passée à la postérité sous le nom d'Achéménides, ne prenne le dessus au milieu du VIe siècle av. J.-C.[114]. Autour du lac d'Ourmia les sources assyriennes et urartéennes documentent un autre peuple, les Mannéens, dont les origines sont obscures. Ils sont divisés en plusieurs royaumes qui opposent souvent une résistance difficile aux Assyriens avant de devenir leurs alliés[115].

L'essor des empires[modifier | modifier le code]

Soldats assyriens emportant des statues de divinités de vaincus. Bas-relief du palais central de Nimroud, règne de Tiglath-Phalazar III (745-727 av. J.-C.). British Museum.

Au fil du temps, les royaumes les plus puissants ont pris un aspect impérialiste affirmé, au point qu'on a coutume de désigner nombre d'entre eux comme des empires, qui sont multiethniques, exercent une hégémonie sur une majeure partie de leur monde connu, et disposent de centres du pouvoir d'une toute nouvelle dimension[116]. Ce sont les prototypes des grands empires qui dominent les périodes suivantes de l'Antiquité et au-delà.

Les conflits du IXe siècle av. J.-C. ont permis à l'empire néo-assyrien de s'affirmer comme la principale puissance militaire du Proche-Orient, aucun autre royaume ou coalition n'étant en mesure de s'opposer durablement à son expansion. Cela rompt la situation de fragmentation et d'équilibre politique qui avait dominé les premières phases de l'âge du fer. À ce stade cependant, les annexions sont plus l'exception que la norme, les rois assyriens se contentant d'une soumission des rois vaincus (si besoin remplacés par une autre personne jugée plus fidèle) et du prélèvement d'un tribut. L'expansion assyrienne profite à un groupe de hauts dignitaires qui dispose de grands pouvoirs, alors que l'autorité du centre s'affaisse dans la première moitié du VIIIe siècle av. J.-C., que l'Urartu se fait plus menaçant, et que les révoltes de pays vassaux sont toujours monnaie courante[117]. Tiglath-Phalazar III (747-722) infléchit la politique impérialiste assyrienne vers la construction d'un véritable empire territorial, en procédant à l'annexion des vaincus, alors que le pouvoir royal se renforce, réduisant la marge de manœuvre des grands du royaume. Cette politique est poursuivie par ses successeurs, les rois « Sargonides » (Sargon II, Sennachérib, Assarhaddon et Assurbanipal) qui portent l'empire néo-assyrien à son apogée. L'Urartu, la Babylonie, l'Élam puis l'Égypte sont vaincus à plus d'une reprise, les royaumes de Syrie et du Levant annexés l'un après l'autre, une partie de leur population déportée et délocalisée dans d'autres provinces, ou en Assyrie même[118].

Dans ce pays, sont érigées des capitales de plus en plus monumentales : après Nimroud (Kalkhu) au IXe siècle av. J.-C., Khorsabad (Dur-Sharrukin) à la fin du VIIIe siècle av. J.-C. et enfin Ninive juste après, capitale d'une taille sans équivalent, dont la citadelle voit l'érection de deux palais monumentaux où les bas-reliefs glorifient la puissance des monarques assyriens. Le pouvoir de ces derniers a pris un tournant plus autoritaire que jamais. On y collecte aussi des tablettes savantes, notamment depuis la Babylonie (qui reste en position dominante culturellement), constituant la « Bibliothèque d'Assurbanipal » qui ouvre la tradition des grandes bibliothèques savantes antiques. Ces tablettes sont essentielles pour la reconstitution par les historiens de la culture lettrée de la Mésopotamie antique[119].

Mais la domination assyrienne n'est jamais acceptée et les rois sont confrontés à des révoltes dans à peu près toutes leurs provinces, y compris en Assyrie même, où les successions engendrent à plusieurs reprises des crises. Après la mort d'Assurbanipal vers 630 ces problèmes éclatent à nouveau, mais cette fois-ci aucun des rois qui se succède ne parvient à rétablir la situation. Cela profite à un rebelle babylonien, Nabopolassar, qui repousse les Assyriens avant de les attaquer chez eux. Il est rejoint par les Mèdes, et l'alliance des deux scelle la fin de l'empire assyrien, dont les métropoles sont détruites impitoyablement entre 615 et 609 av. J.-C.[120],[121]

L'empire néo-babylonien succède à l'empire assyrien dont il reprend à peu de chose près l'extension, même si son rayon d'action est moins étendu. Son principal souverain, Nabuchodonosor II (604-569 av. J.-C.), s'assure la domination du Levant face à l'Égypte durant les dernières années du règne de son père. Il y retourne pour soumettre brutalement les cités de Phénicie, de Philistie et de Juda. L'afflux de richesses et d'hommes en Babylonie à la suite des pillages et déportations (sur lesquelles les rois babyloniens ne se sont pas étendus dans leurs textes et leur art à la différence de leurs prédécesseurs assyriens) permet à Nabopolassar et Nabuchodonosor II d'y entreprendre de grands travaux, dominés par la restauration des principaux monuments de Babylone, qui devient alors une véritable « mégapole », et affirme son statut de cité sainte et de haut lieu de la culture autour du grand temple du dieu national Marduk, l'Esagil. Les campagnes babyloniennes font également l'objet de travaux de mise en valeur, et sont très productives. Des milliers de tablettes permettent d'analyser l'économie et la société de la Babylonie de cette période. En revanche, le développement des provinces ne semblent pas vraiment avoir préoccupé les rois babyloniens, qui se sont certes appuyés sur la prospérité des cités phéniciennes mais ont laissé plusieurs régions dans la désolation après leurs destructions (Assyrie, Juda, Philistie). Après la mort de Nabuchodonosor II, les successions sont houleuses, et le seul roi à rester durablement sur le trône, Nabonide (556-539 av. J.-C.) est très contesté par une partie de l'élite babylonienne, en particulier le clergé[122],[123].

Psammétique Ier (664-610 av. J.-C.), fondateur de la dynastie saïte, faisant une offrande au dieu Rê-Horakhty. Tombe de Pabasa, Thèbes.

L'Égypte reste en retrait durant ses périodes, les dynasties qui la dominent n'étant pas en mesure de s'opposer militairement aux empires mésopotamiens. Les rois nubiens de Napata parviennent certes à asseoir leur domination sur la vallée du Nil, mais les Assyriens envahissent le pays à deux reprises et leur infligent de sévères défaites. Après cela, l'Égypte est à nouveau dominée par une lignée autochtone, la XXVIe dynastie (664-525 av. J.-C.), originaire de Saïs, qui inaugure la « Basse Époque » égyptienne (664-332 av. J.-C.). Elle se défait du protectorat imposé par les Assyriens et réunifie les deux Égyptes sous Psammétique Ier. En revanche son fils Nékao II échoue à s'implanter au Levant, défait par les Babyloniens. Au sud, les rois saïtes parviennent à vaincre Napata, dont les souverains se replient vers une nouvelle capitale, Méroé[124].

Le second vainqueur des Assyriens, les Mèdes, sont très peu documentés. Si on suit Hérodote ils auraient constitué un véritable empire après leur victoire, mais cela ne ressort d'aucune autre source de l'époque[113],[125]. Quoi qu'il en soit au milieu du VIe siècle av. J.-C. les Perses de la lignée des Achéménides conduits par Cyrus II se révoltent contre leur domination et les battent, posant alors les bases de leur empire (vers 550). Les troupes perses se dirigent ensuite en Anatolie où elles défont les Lydiens, avant d'instaurer leur autorité sur l'Ionie. Après avoir étendu son territoire vers l'Asie centrale, Cyrus s'empare de Babylone en 539, mettant ainsi fin au dernier grand royaume mésopotamien. Il prend alors possession de tout son territoire. Son fils Cambyse II conquiert l'Égypte en 525, mettant fin à la dynastie saïte. Sa mort aboutit à une révolte et à l'intronisation de Darius Ier. Celui-ci et son fils Xerxès Ier sont connus pour leurs échecs à soumettre la totalité de la Grèce lors des Guerres médiques, mais à l'échelle de leur empire, cet échec est très relatif puisqu'ils portent ses frontières à leur maximum d'extension. Les règnes suivants sont marqués par plusieurs troubles successoraux, des revers militaires tels que celui ouvrant une nouvelle période d'indépendance de l'Égypte (de 404 à 343), mais l'édifice impérial perse est solide. Il repose sur l'héritage des empires mésopotamiens, même si les Perses ont érigé de grandes capitales en Perse (Pasargades, Persépolis, Suse). Les rois perses sont à leur tour des monarques absolus, gouvernant au nom de leur grand dieu, Ahura Mazda. Ils dirigent en s'appuyant sur l'élite perse, qui dispose notamment de la direction des satrapies, grandes provinces qui sont la base de l'organisation territoriale perse, qui à l'échelle inférieure s'appuie sur les structures locales, dont les traditions ne sont pas bousculées du moment qu'elles respectent l'autorité perse. C'est donc manifestement une organisation du pouvoir souple, mais qui réagit avec brutalité lorsqu'elle est contestée[126],[127].

Dans le Levant méridional, la fin du royaume d'Israël en 722 av. J.-C. s'est accompagnée de l'essor de celui de Juda, où se produisent sans doute les premières phases rédactionnelles de nombreux textes bibliques (notamment sous le règne de Josias, 640-609), en particulier ceux proclamant la centralité du temple Yahweh de Jérusalem, maintenant que la cité rivale de Samarie est tombée. Puis les deux prises de Jérusalem qui ont lieu sous le règne de Nabuchodonosor II, qui succèdent à plusieurs défaites de Juda face à l'Assyrie, se soldent par la destruction du grand temple. Les déportations qui s'ensuivent sont certes des événements qui ont bien d'autres équivalents à la même époque, mais leur impact sur le futur est considérable. Le retour de certains d'entre eux à Juda, autorisé après la chute de Babylone, pour reconstruire le temple de Jérusalem (débutant la période du Second Temple), achève la constitution d'une diaspora judéenne, dont les pôles sont la Judée, la Babylonie, et également l'Égypte qui a accueilli des réfugiés après les destructions babyloniennes. C'est durant les époques néo-babylonienne et achéménide que le monothéisme apparaît définitivement, et que des scribes entreprennent une phase décisive de révision, rédaction et de compilation des textes constituant la Bible hébraïque, repensés à la lumière de la défaite et de l'exil : cela concerne en premier lieu le récit de la Torah (à commencer par la Genèse et l'Exode), mais aussi les livres prophétiques de Jérémie, d'Esdras, de Néhémie, d'Isaïe, ou encore le livre de Job[128],[129].

Tendances et héritages politiques et culturels[modifier | modifier le code]

Grande tablette d'inventaire et certaines des petites tablettes de gestion quotidienne dont elle centralise les informations, sur la circulation d'animaux, issues du « Bureau central » de Puzrish-Dagan, troisième dynastie d'Ur (v. 2040 av. J.-C.). Musée de l'Institut oriental de Chicago.

Sur le plan politique au moins, et sans doute aussi économique, la première partie de l'Antiquité, héritière de la période de formation des premiers États et des premières sociétés urbaines, voit donc l'affirmation sur le long terme d'entités de plus en plus durables, étendues et intégrées, le développement des premiers empires étant une tendance majeure sur le plan politique, qui a fait l'objet de nombreuses études[130]. Mais cette évolution est entrecoupée par des phases de discontinuité. En Égypte pharaonique, le découpage des historiens suit cette tendance, organisé autour d'une alternance entre « Empires » caractérisés par l'unification, la stabilité et les succès économiques et politiques, et « Périodes intermédiaires » caractérisées par la désunion, l'instabilité économique et le retrait du concert international[131]. Ces tendances cycliques voyant alterner phases d'expansion et de contraction se repèrent aussi dans le monde égéen de l'âge du bronze[132].

Ces royaumes sont liés à leurs élites, et dès qu'elles disparaissent ce qui fait leur spécificité est atténué par un retour vers des sociétés moins hiérarchisées et inégalitaires, moins encadrés par les institutions, ce qui explique aussi pourquoi elles sont des périodes « obscures » sur le plan documentaire, alors qu'il s'y passe beaucoup de choses. La perception d'« effondrements » résulte sans doute en bonne partie d'une vision de la société par le haut, alors que d'en bas (notamment au niveau des communautés rurales), elles sont peut-être moins perceptibles. Ainsi ce sont également en filigrane des révélateurs des spécificités des premiers États. Cette analyse générale du changement social sous l'angle de la « complexité » admet en pratique beaucoup de variations (régionales notamment, certaines contrées supportant mieux les « crises » que d'autres), qui nuancent certaines de ses conclusions et sont souvent mal comprises, comme l'illustrent les nombreuses discussions sur les causes des phases d'expansion et de contraction[133].

Planches vi et vii du papyrus Edwin Smith, texte chirurgical du XVIe siècle av. J.-C. Académie de médecine de New York.

Du point de vue technique et intellectuel, l'époque de la « révolution urbaine » qui marque le début de l'âge du bronze est notamment marquée par l'apparition de la poterie au tour, des alliages métalliques (notamment le bronze arsénié et le bronze à l'étain), la diffusion de l'usage de la roue, de l'araire, de l'arboriculture, de l'artisanat textile, en plus de l'écriture, le tout dans un contexte d'intensification du travail (développement de la standardisation dans la production artisanale, exploitation de la force animale). L'époque de la fin de l'âge du bronze et du début de l'âge du fer (tournant des IIe millénaire av. J.-C. et Ier millénaire av. J.-C.) voit la diffusion de la métallurgie du fer, de l'artisanat des matières vitreuses (céramiques à glaçure et verre) et de l'alphabet[134]. Dans le domaine scientifique, des savants dont l'identité n'a pas été préservée réalisent diverses avancées en médecine, mathématiques et astronomie notamment, posant les bases de l'essor scientifique qui a lieu dans la Grèce antique (où étaient en particulier reconnus les accomplissements de la médecine égyptienne et de l'astronomie babylonienne)[135].

Il est donc possible de reconnaître dans l'histoire du Proche-Orient ancien comme le fait M. Liverani des tendances de long terme vers un « élargissement de l'échelle des unités politiques, l'amélioration des technologies de production (et aussi de destruction), l'élargissement des horizons géographiques, et aussi le rôle croissant des individualités » tout en identifiant « une séquence cyclique de croissance et d'effondrement » qui crée des discontinuités[136].

Plus largement, tout un ensemble de changements décisifs dans l'histoire humaine ont lieu dans ces civilisations, qui sont souvent évoquées comme étant les « origines » de toutes sortes de choses qui sont fondamentales et dont l'existence est considérée comme allant de soi dans les civilisations qui ont existé depuis lors (État, villes, administration, impérialisme, écriture, etc.)[137]. Les « premières civilisations » sont les civilisations de beaucoup de « première fois » de l'histoire humaine, avec ce que cela implique comme tâtonnements, maladresses, échecs, réajustements, apprentissages et consolidations, aussi en matière d'influence sur les autres civilisations antiques qui ont adopté, adapté, prolongé et raffiné ces innovations. De fait, on retrouve certes souvent ces caractéristiques dans d'autres civilisations « primaires » (Chine, Mésoamérique), mais il y a lieu de considérer que c'est à partir du Proche-Orient et de l'Égypte qu'elles ont eu le plus d'impact, au moins pour les civilisations du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Europe :

  • Apparition des villes et constitution des premières sociétés urbaines : la ville devient durant ces époques un des cadres de vie essentiels des humains.
  • Apparition d'une autorité royale et d'un gouvernement : la figure du monarque, avec ses rôles symboliques (protection de son peuple) s'impose à cette période et devient le mode de gouvernement le plus répandu.
  • Apparition de l'écriture puis de l'alphabet : l'écriture cunéiforme, l'écriture hiéroglyphique, puis leurs descendants, jusqu'à l'apparition de l'alphabet, sont des innovations cruciales dans l'histoire humaine, accomplies pour la première fois dans ces régions, et diffusées à partir d'elles dans une majeure partie du monde (l'autre lieu d'origine majeur étant la Chine du Nord).
  • Apparition d'une « bureaucratie » et d'un archivage des informations : c'est la conséquence des évolutions précédentes, et d'une importance capitale pour la vie des humains ; avec l'écriture, il est possible d'enregistrer des informations et les savoirs, de les conserver et de les accumuler dans une multitude de domaines de la vie pratique et savante.
  • Apparition d'un esprit juridique et d'un sens de la justice (de l'équité), développés dans les cercles du pouvoir.
  • Apparition d'une littérature : des genres littéraires mésopotamiens et égyptiens se sont transmis dans les civilisations postérieures, par le biais de la Bible notamment, parce qu'elle relevait des mêmes traditions et s'en était inspiré ; l'impact de ces littératures sur la période classique reste encore mal établi, mais il est manifestement à prendre en considération.
  • Apparition d'un esprit encyclopédiste : les anciens Mésopotamiens développent dès l'apparition de l'écriture un goût pour la compilation des informations dans de longues listes lexicales, puis élaborent des « séries », longs textes techniques censés renfermer le savoir d'une discipline ; cela reflète une approche différente de la généralisation qui est caractéristique de l'esprit scientifique des Grecs, mais qui survit dans la vie intellectuelle des civilisations suivantes (dont la Grèce).
  • Dans le domaine intellectuel plus largement, ces civilisations posent les bases des savoirs mathématiques, médicaux et astronomiques repris et améliorés dans les civilisations classiques ; elles inventent aussi des lieux d'enseignement et des bibliothèques servant à conserver et transmettre le savoir.
  • Apparition d'un mode de découpage du temps : l'année divisée en 12 mois calquée sur le rythme de la Lune et du Soleil, et la semaine de sept jours apparaissent en Mésopotamie et au Proche-Orient antiques.
  • Apparition du monothéisme : c'est dans la religion juive qu'il se concrétise, au milieu du Ier millénaire av. J.-C., reposant manifestement sur des évolutions théologiques présentes aux périodes antérieures en Égypte et au Proche-Orient ; c'est une évolution déterminante, amenée à être adoptée par la majorité des humains[138].

L'Antiquité classique[modifier | modifier le code]

Buste de Périclès (v. 495-429 av. J.-C.), copie romaine d'après un original grec de Crésilas (430 av. J.-C.), musée Pio-Clementino.
Buste de Jules César (100-44 av. J.-C.), portrait posthume, v. 44-30 av. J.-C., musée Pio-Clementino.

L'Antiquité classique correspond à la période de l'Antiquité durant laquelle se développent les civilisations grecque et romaine, souvent désignée de façon réductrice dans les publications des pays occidentaux comme l'« Antiquité » ou le « monde antique » tout court[139].

La notion de « classique » vient du latin classicus, qui renvoie dans la Rome antique aux classes sociales (classis, les catégories taxables de citoyens), puis, dans le contexte plus précis de la critique littéraire, à des auteurs de haut niveau, donc de classe supérieure, dans les Nuits Attiques d'Aulu-Gelle (IIe siècle). Le terme en vient à désigner des modèles, une tradition à étudier et dont il faut s'inspirer. Il est repris en français au XVIe siècle pour désigner des auteurs de qualité jugée supérieure, devant servir d'exemples. Puis il prend un autre sens plus spécifique, pour désigner des moments historiques : « De manière très générale, on parle de civilisations ou d'études classiques à propos de la Grèce et de la Rome antiques en tant que sources et modèles de l'Occident. D'une manière plus précise, on qualifie de classique depuis le XIXe siècle la période historique qui voit l'apogée des cités grecques aux Ve et IVe siècles (490-338) ; l'art de cette époque est classique dans la mesure où il a servi ultérieurement de modèle[140]. » Ce sont des périodes qui ont été couramment vues comme étant de niveau supérieur, servant de références qui s'approchent de la perfection, et de modèles à suivre, en particulier dans les domaines littéraire et artistique (à la Renaissance, avec le classicisme, etc.), les autres étant renvoyées par comparaison avec cet idéal au statut de phases préparatoires, imitatrices, voire « dégénérées » (archaïque, hellénistique, baroque). Cette idéalisation et cette subjectivité marquée ne sont plus vraiment de mise dans les études historiques de ces périodes, qui y ont notamment opposé des aspects moins reluisants de ces civilisations aux yeux des modernes (exclusion des femmes de la vie publique, esclavage, traitement des étrangers et des catégories sociales basses), et de la remise en question des idées sur la supériorité de cet âge par rapport aux civilisations « orientales » ou à l'Antiquité tardive/Moyen Âge. L'emploi du terme « classique » est cependant souvent préservé dans les études historiques (surtout pour désigner plus précisément la Grèce classique), par convention, même si certains préfèrent s'en défaire pour des dénominations plus neutres[141],[142].

Cette phase débute quand la Grèce connaît un rapide développement aux VIIIe – VIe siècles av. J.-C., au contact direct du monde proche-oriental et à l'ombre de l'empire perse, évolutions qui débouchent sur la constitution d'une nouvelle civilisation grecque bien différente de celle de l'âge du bronze, organisée autour de cités, qui atteint sa forme « classique » au Ve siècle av. J.-C. Après avoir résisté aux tentatives d'intégration à l'empire perse, les cités grecques sont soumises par le royaume de Macédoine, dont le souverain, Alexandre le Grand, parvient à conquérir l'empire perse entre 333 et 330. Cela ouvre la période hellénistique, durant laquelle des dynasties gréco-macédoniennes se partagent les dépouilles de l'empire vaincu, et qui s'accompagne d'une diffusion considérable de la culture grecque, qui devient la référence du monde antique pour les phases suivantes. Les cultures des rives de la Méditerranée connaissent un essor dans la première moitié du Ier millénaire av. J.-C., à la suite de la constitution des diasporas phénicienne et grecque, stimulant l'émergence d'aires culturelles et d'entités politiques dynamiques. En Italie, la cité de Rome, organisée suivant un système républicain, soumet ses voisins directs (dont les Étrusques) puis Carthage, s'assurant la domination de cet espace tout en partant à la conquête du monde hellénistique, qui tombe rapidement face aux redoutables armées romaines. Mais en retour, le monde grec conquiert culturellement la civilisation romaine. Rome devient une monarchie à la fin du Ier siècle av. J.-C., avec la constitution d'un régime « impérial » par Auguste. En Iran et en Mésopotamie s'est alors constitué un empire rival, celui des Parthes. Le Proche-Orient hellénistique et romain voit le développement de mouvements religieux autour du judaïsme, conduisant à l'apparition du christianisme, qui est amené à jouer un rôle crucial durant les périodes tardives de l'Antiquité.

La civilisation romaine s'inscrivant par bien des aspects dans la continuité de la civilisation grecque, dont elle reprend de nombreux aspects (surtout ceux de la culture hellénistique), il est courant de parler à ce propos de culture voire de civilisation « gréco-romaine » (ou « gréco-latine »), appliquée en particulier à l'époque impériale (un « Empire gréco-romain » pour P. Veyne[143]), même si cela semble surtout pertinent pour les lettres et les arts dans lesquels les Romains ont abondamment repris aux Grecs, moins pour d'autres aspects tels que les faits religieux, juridiques et militaires. L'approche dominante est donc de voir deux civilisations distinctes se succédant avec chacune leur propre périodisation[144], plus rarement une seule civilisation[145]. Une autre manière d'aborder cette période est de prendre pour champ géographique et culturel le monde méditerranéen, ce qui permet notamment d'intégrer dans les études les contributions des Phéniciens/Carthaginois et des Étrusques et d'une manière générale les civilisations « non-classiques », et plus généralement de mettre en valeur les différentes interactions qui ont lieu sur cet espace dont l'importance s'affirme tout au long de la période[146].

Chronologie[modifier | modifier le code]

Grèce antique[modifier | modifier le code]

  • Âges obscurs (v. 1200-776 av. J.-C.) : effondrement de la civilisation mycénienne et de son organisation sociale et politique, période essentiellement connue par l'archéologie funéraire, présentant une diversité de pratiques, poterie de style « géométrique », construction de bâtiments (dont des sanctuaires), diffusion de la métallurgie du fer.
  • Époque archaïque (776-480 av. J.-C.) : période de formation des cités grecques, expansion coloniale dans la Méditerranée et la mer Noire, adoption de l'alphabet, art orientalisant, poèmes de Homère et Hésiode, philosophes présocratiques.
  • Époque classique (480-323 av. J.-C.) : après avoir repoussé les assauts des Perses (lors des guerres médiques), Athènes et Sparte sont les deux plus puissantes cités athéniennes, se confrontant avec leurs alliés respectifs dans la guerre du Péloponnèse (431-404). L'affrontement des cités se poursuit au siècle suivant (avec l'émergence de Thèbes), jusqu'à la mise en place de l'hégémonie macédonienne. Période de floraison culturelle, centrée sur Athènes : art et architecture « classiques », développement de la philosophie, la rhétorique, les sciences, etc. Cette période s'achève par la conquête de l'empire perse par Alexandre le Grand, roi de Macédoine (335-323 av. J.-C.).
  • Époque hellénistique (323-31 av. J.-C.) : les héritiers d'Alexandre se partagent les pays conquis (Égypte pour les Lagides, Proche-Orient pour les Séleucides, Macédoine pour les Antigonides), coexistant avec de nombreuses dynasties grecques ou hellénisées. Processus d'hellénisation, avec la diffusion de la culture grecque dans les régions conquises. Poursuite des traditions artistiques et intellectuelles grecques.
  • Grèce romaine (à partir de 146 à 31 av. J.-C., jusqu'en 330 ap. J.-C.) : Rome intervient en Grèce dès la fin du IIIe siècle av. J.-C., puis annexe la Grèce et les royaumes hellénistiques par étapes entre 146 av. J.-C., jusqu'en 31 av. J.-C. La Grèce fait ensuite partie de l'empire romain, dont la partie orientale est de culture dominante grecque, posant les bases de l'Empire romain d'Orient, dont l'acte de naissance peut être situé lors de la fondation de Constantinople en 330.

Rome antique[modifier | modifier le code]

  • Royauté romaine : fondation légendaire de la ville en 753 av. J.-C. selon la tradition romaine, et fin en 509 av. J.-C. avec le renversement de Tarquin le Superbe, dernier roi de Rome. Au-delà des mythes, période de constitution de la cité de Rome, domination culturelle et sans doute politique étrusque.
  • République romaine (509-27 av. J.-C.) : organisation politique autour de magistrats élus et d'un corps collégial, le Sénat, constitution d'une force militaire de plus en plus puissante qui soumet progressivement la péninsule italique, puis la Méditerranée occidentale après les défaites de Carthage (guerres puniques, entre 264 et 146). Rome établi dans la foulée son hégémonie sur le monde hellénistique, par une succession d'annexions, étendant sa domination jusqu'au Proche-Orient et en Égypte. Essor de la culture romaine de langue latine, sous une forte influence grecque. Les conquêtes ont des conséquences politiques et économiques qui conduisent à l'émergence de puissants personnages, généraux victorieux, qui prennent progressivement le dessus sur les institutions républicaines, jusqu'à César puis Auguste qui met fin à ce régime.
  • Empire romain, fondé en 27 av. J.-C. (Principat d'Auguste), dure jusqu'en 476 ap. J.-C. en Occident, et en Orient, par le biais de l'empire byzantin, jusqu'en 1453.
    • La période du « Haut-Empire » (jusqu'au IIIe siècle, au plus tard en 284) voit la grande phase d'expansion romaine s'achever et se stabiliser avec la constitution des frontières (limes), le régime impérial est une monarchie absolue, à la succession souvent houleuse, sauf durant l'âge de la pax romana qui couvre le IIe siècle. Diffusion des cités et de la citoyenneté romaines et de la culture gréco-romaine (romanisation), entre un monde latinisé à l'ouest, et hellénisé à l'est.
    • La période du « Bas-Empire » (v. 192/284, jusqu'en 476 en Occident, et 330 ou plus tard en Orient), marquée par le renforcement des défenses de l'empire après une période de troubles (instabilité dynastique, migrations germaniques, attaques des Perses), et sa division progressive entre Occident et Orient, marquant le début de l'Antiquité tardive. L'Occident romain tombe progressivement sous la coupe de dynasties germaniques (« barbares »), tandis qu'en Orient l'empire subsiste autour de Constantinople, « Nouvelle Rome », un empire grec. Cette période est marquée par la christianisation de l'empire et de ses populations.

La Grèce archaïque et classique[modifier | modifier le code]

Carte de la Grèce antique au Ve siècle av. J.-C.
La « Dame d'Auxerre », art orientalisant crétois (style dédalique), v. 640-630 av. J.-C. Musée du Louvre.

L'effondrement de la civilisation mycénienne s'est accompagné de la disparition de son système palatial, de son écriture et, plus progressivement, de ses traits matériels. Les « âges obscurs » (v. 1200-800 av. J.-C.) sont comme leur nom l'indique très pauvrement documentés et mal connus, mais il ne faut pas le voir uniquement sous l'angle du déclin. Certes les derniers siècles du IIe millénaire av. J.-C. voient un déclin marqué de la complexité (quasi-disparition des échanges, de la métallurgie du bronze, etc.) et une fragmentation culturelle du monde égéen, mais le début du Ier millénaire av. J.-C. voit la tendance s'inverser. La documentation archéologique provient surtout de cimetières, la céramique caractéristique est dite protogéométrique puis géométrique. Le changement technique majeur est le début de la métallurgie du fer (v. 1000 av. J.-C.), les échanges à longue distance reprennent, la Crète rejouant les premiers rôles, l'architecture monumentale fait progressivement son retour (Lefkandi), les traditions prenant de plus en plus de distance avec les traditions de l'âge du bronze[147]. Puis, à la fin de la période et au début de l'époque archaïque, les signes de reprise sont plus clairs chez les différents groupes de populations grecques sont établies sur le pourtour de la mer Égée (puisque, comme vu plus haut, elles ont connu une forte expansion en Asie mineure, notamment en Ionie), qui constituent progressivement la civilisation grecque antique. Cela passe par un processus de (re)constitution d'entités étatiques, à compter du VIIIe siècle av. J.-C., siècle riche en changements en Grèce, et qui prennent pour beaucoup la forme d'une cité-État (en grec polis, terme qui désigne plus largement une « ville »), amenée à devenir une caractéristique du monde grec, puis du monde méditerranéen, jusqu'à l'Antiquité tardive[148].

Selon le découpage chronologique courant, l'époque archaïque a pour début symbolique les premiers Jeux olympiques en 776 av. J.-C., et pour fin la victoire grecque à l'issue de la seconde Guerre médique en 480/479 av. J.-C. Débute ensuite l'époque classique, qui va jusqu'à la mort d'Alexandre le Grand en 323 av. J.-C., qui marque le début de l'époque hellénistique.

L'époque archaïque est certes l'époque de fixation par écrit des épopées attribuées à Homère et d'un développement de l'écriture, elle reste surtout connue par des sources écrites postérieures, qui fournissent des informations sélectives sur les événements politiques. Les découvertes archéologiques sont donc un apport inestimable pour préciser l'image de cette époque qui est par bien des aspects fondatrice. Le monde grec d'alors (donc avec les cités grecques d'Asie mineure) est divisé en plusieurs régions ayant leurs spécificités culturelles, visibles dans la culture matérielle mais aussi la forme d'alphabet employée, en dépit du fait que l'élite partage les goûts « orientalisants » qui se retrouvent dans d'autres régions de la Méditerranée. L'époque archaïque est une période d'expansion du peuplement, en Grèce et au-delà, avec le phénomène de colonisation qui aboutit à la création de cités grecques en Italie du Sud et en Sicile (la « Grande Grèce »), en France (Massalia) et sur la mer Noire, qui se rattachent chacune à une métropole située en Grèce. Cette époque est en effet celle de la naissance de la cité-État, polis, supplantant le modèle monarchique pour des gouvernements par des magistrats, organisés suivant des lois écrites (les plus connues étant celles de Sparte et d'Athènes), et ouvre la voie à l'affirmation d'identités « politiques » (par cité) qui tendent à devenir la référence fondamentale, certes jamais la seule (existent aussi des ethnè, entités politiques aux contours plus flous, coexistant parfois avec des cités, notamment au centre et nord de la Grèce avec la Thessalie, l’Épire, la Macédoine ; et les structures de parenté réelle ou fictive comme les tribus et phratries qui se mettent aussi en place). Cela s'accompagne du développement d'une vie politique très dynamique dans ce cadre où la discussion pour la prise de décision et les rivalités politiques sont constantes, aboutissant à l'élaboration de différents types de régimes politiques, définis notamment par le degré d'ouverture du corps dirigeant la vie politique de la cité, les citoyens (politai). Les systèmes sont souvent oligarchiques, avec une minorité de personnes exerçant le pouvoir. Cette période est marquée par la domination sociale d'une aristocratie marquée par un fort esprit de compétition et des rivalités parfois destructrices, aussi une culture spécifique qui se retrouve dans la poésie lyrique et la pratique du banquet (symposion). Les systèmes politiques plus ouverts ont un corps de citoyens plus large, correspondant au « peuple » (demos) de la cité ayant des prérogatives politiques, la démocratie qui finit par apparaître à Athènes à la fin du VIe siècle av. J.-C. Les nombreuses tensions qui traversent les cités (stasis) conduisent à des changements politiques, qui conduisent dans plusieurs car à la tyrannie, une forme de gouvernement qui s'affranchit des lois écrites pour octroyer le pouvoir à un seul homme (et qui à cette période peut avoir un sens négatif comme positif). Dans le domaine religieux, le développement des cités s'accompagnent de la construction de sanctuaires reflétant l'identité et le pouvoir de celles-ci, avec de grands temples. Chaque cité en vient à disposer de son propre panthéon où trône sa divinité « poliade », issue du panthéon grec commun (qui repose largement sur des bases mycéniennes), qui lui permet d'affirmer sa spécificité. La vie religieuse publique est émaillée de fêtes célébrant l'unité de la cité. Apparaissent aussi des sanctuaires panhelléniques dont les cultes impliquent tout le monde grec, l'exemple le plus éloquent étant la grande fête du sanctuaire du grand dieu Zeus d'Olympie, accompagnée de concours athlétiques, les « Jeux olympiques », qui attire hommes et offrandes. Dans l'économie, cette période voit la diffusion de l'utilisation des pièces de monnaie à partir de l'Asie mineure[149],[150].

La période archaïque est également fondatrice sur le plan intellectuel, profitant de la diffusion de l'écriture, des épopées, de l'émergence de la vie civique, en plus des influences orientales qui sont absorbées et intégrées dans la nouvelle culture grecque, qui reste de ce fait bien distincte de ses sources d'inspiration. Les cités de Ionie (Milet notamment) et de Grande Grèce sont alors les centres intellectuels les plus dynamiques. Du début de cette époque datent les œuvres primordiales attribuées à Homère (l’Iliade et l’Odyssée) et Hésiode (la Théogonie, Les Travaux et les Jours), puis à leur suite se développent les réflexions des « présocratiques » (Thalès, Pythagore, Démocrite, Héraclite, etc.) au crédit desquels sont mis le développement de la philosophie et plus largement de la science grecque, là encore à partir d'apports égyptiens et proche-orientaux remodelés dans un nouveau cadre conceptuel, qui doit manifestement beaucoup au développement de la vie civique, une société moins hiérarchisée que celles des monarchies du Moyen-Orient, avec un goût très prononcé pour le débat d'idées. Plusieurs éléments laissent à penser que les médecins, artistes et ingénieurs grecs les plus brillants égalent, voire dépassent rapidement leurs maîtres orientaux, puisque certains d'entre eux sont employés par les rois de Perse[151].

Aphrodite Braschi, du type de l'Aphrodite de Cnide, statue attribuée au sculpteur Praxitèle. IVe siècle av. J.-C., glyptothèque de Munich.

L'expansion occidentale de l'empire perse a abouti à la soumission des cités grecques d'Ionie. Quand les Perses cherchent à dominer la Grèce continentale, quelques cités choisissent de résister, sous la direction d'Athènes et de Sparte. Les guerres médiques, relatées par Hérodote qui en faisait (comme beaucoup de Grecs) une lutte de la liberté contre le despotisme, se soldent par la défaite des Perses (batailles de Marathon, Salamine, Platées), qui consolide la position dominante des deux cités dans le jeu politique grec. Ce conflit marque le début de l'époque classique. Sparte dispose d'une armée terrestre très bien organisée et de l'alliance de plusieurs cités du Péloponnèse. Athènes a de son côté une puissante marine de guerre, consolidée par les richesses qu'elle tire des mines du Laurion. Elle forme la Ligue de Délos pour tenter de libérer les cités grecques orientales, qu'elle transforme progressivement en empire maritime à sa solde (impérialisme athénien). La rivalité entre les deux cités aboutit à la guerre du Péloponnèse (431-404), période de conflits très destructeurs qui s'achève par la défaite d'Athènes. L'hégémonie spartiate tourne court face au rétablissement rapide d'Athènes et à l'émergence de Thèbes, qui dirige la ligue béotienne. Aucune des trois puissances ne parvient à prendre le dessus sur les autres, alors qu'au Nord le royaume de Macédoine monte en puissance. Son roi Philippe II (359-336 av. J.-C.) parvient à placer les cités grecques sous sa coupe, après la bataille de Chéronée (338 av. J.-C.) et la constitution de la ligue de Corinthe. Le devenir politique et militaire du monde grec est dès lors l'affaire des royaumes, les cités ayant perdu la prééminence dans ce domaine, même si elles restent le cadre de vie fondamental de la majorité des Grecs jusqu'à la fin de l'Antiquité. Lorsqu'Alexandre monte sur le trône de Macédoine en 336, il doit encore réprimer une révolte de cités puis sa domination est suffisamment consolidée pour qu'il puisse envisager de partir à la conquête de l'empire perse[152],[153].

La période classique est abondamment documentée, avant tout par la production écrite athénienne (qui est le fait d'Athéniens comme de gens originaires d'autres cités mais installés à Athènes), alors que sa rivale Sparte la « laconique » n'a quasiment rien laissé derrière elle, notamment dans le domaine architectural, ce qui fait que sa puissance serait indécelable sans sources écrites extérieures. La richesse minière et commerciale d'Athènes, sa puissance politique, son cosmopolitisme, sa vie politique intérieure dynamique et plus largement l'habitude de discourir ont stimulé une période de grande création intellectuelle, devenue une référence incontournable par la suite. La production intellectuelle de l'époque comprend des pièces de théâtre (Eschyle, Sophocle, Aristophane), des réflexions des philosophes (Socrate, Platon, Aristote), des écrits d'historiens (Hérodote, Thucydide, Xénophon), l'essor de la rhétorique (Sophistes, Isocrate). Les réalisations artistiques et architecturales sont toutes aussi marquantes, en premier lieu le chantier de l'Acropole avec le Parthénon. La ville est aussi caractérisée par son poids économique : ses riches mines, son très actif port du Pirée, ses pièces de monnaie, les « chouettes », qui sont très diffusées dans le monde antique et deviennent un étalon de référence, peut-être jusqu'au développement d'une économie « proto-capitaliste » avec échanges monétisés et mécanismes de marché (c'est débattu). Finalement, il apparaît que sa place prépondérante dans les sources de l'époque n'est pas fortuite[154]. Sa vie politique et sociale repose en partie sur le développement d'un système politique original, la démocratie athénienne, donnant une place large part aux citoyens (uniquement des hommes) dans la prise de décision politique, et en partie sur l'exploitation d'une masse d'esclaves d'origine extérieure, qui sont notamment employés dans les mines, deux facettes opposées de la liberté, qui servent de socle à l'impérialisme athénien et au prestige culturel du « siècle de Périclès », du nom de sa figure politique principale. Cela assure à la ville une importance majeure pour les siècles suivants en dépit de son déclin politique. Du reste dans ce domaine, l'époque hellénistique doit plus aux approches hiérarchiques développées à l'époque classique dans le royaume de Macédoine ou chez les tyrans des cités siciliennes, et aux ligues « fédérales » qui se développent dans plusieurs régions de Grèce pour assurer leur défense face aux agressions extérieures[155]. En dehors d'Athènes, il y a aussi une vie intellectuelle, comme l'illustre par exemple le développement durant cette période du corpus attribué à Hippocrate de Cos (mais probablement pas dû à un seul auteur), de première importance dans l'histoire de la médecine[156].

Au sortir de cette période, la Grèce est devenue un foyer culturel de premier plan, ce que les conquêtes militaires de la période hellénistique vont consolider et propager. L'hellénisme s'érige en modèle dont bien des aspects sont amenés à influencer les civilisations voisines et postérieures[157].

L'essor de la Méditerranée occidentale[modifier | modifier le code]

Routes du commerce phénicien.

La mise en relation des régions de la Méditerranée occidentale avec celles de la partie orientale (surtout la Phénicie et la Grèce) aboutit à une phase de développement de la première.

Le déclencheur est manifestement l'implantation de comptoirs et colonies venues de l'est. Ce phénomène concerne d'abord les Phéniciens, qui installent à partir du VIIIe siècle av. J.-C. des cités en plusieurs régions : Afrique du Nord (Carthage), Malte, Sicile (Motyé, Solonte), Sardaigne (Tharros, Nora), Italie (Pyrgi), Andalousie (Cadix), puis sur le littoral atlantique (Mogador au Maroc). La plus célèbre de ces fondations est Carthage, colonie de Tyr, fondée selon la légende en 814/3 av. J.-C. Cette cité devient rapidement un centre urbain et portuaire de grande importance, dirigé par un conseil oligarchique, avec des marchands et navigateurs très entreprenants, qui fondent à leur tour des colonies. Elle prend en quelque sorte la direction commerciale puis militaire des implantations phéniciennes d'Occident. D'abord tournée vers la mer, elle s'intéresse à son arrière-pays à partir du Ve siècle av. J.-C.[158] À son contact, les populations locales, les Numides, connaissent un début d'organisation politique qui aboutit à la création d'un royaume indépendant au IIIe siècle av. J.-C. sous la direction de Massinissa[159]. Il en va de même pour les groupes vivant plus loin, les Maures, unis par le roi Baga[160].

La colonisation grecque concerne avant tout la Sicile et la partie Sud de la péninsule italienne, la « Grande Grèce »[161]. Cumes est fondée vers 740 av. J.-C. puis se constituent d'autres villes qui prospèrent rapidement : Syracuse, Tarente, Naples, Héraclée etc. La colonisation grecque se porte également plus à l'est, où la principale fondation grecque est Massalia (v. 600 av. J.-C.), qui devient la porte d'entrée de l'influence grecque vers la Gaule et le nord de la péninsule Ibérique[162].

L'extension de la civilisation étrusque.
Sarcophage des Époux, art funéraire étrusque du VIe siècle av. J.-C. Exemplaire du musée national étrusque de la villa Giulia.

Le contact avec les Phéniciens et les Grecs a pour effet le développement culturel de l'Italie. Ces régions sont déjà occupées par un ensemble de peuples aux origines obscures, de langue indo-européenne ou autres[163]. Les Étrusques sont les mieux connus[164]. Ils émergent autour de l'actuelle Toscane, en Étrurie, où s'étendait la culture de Villanova (sans doute pluri-ethnique). Les élites étrusques, principalement documentés par les objets mis au jour dans leurs riches sépultures peintes, adoptent la mode « orientalisante » en s'ouvrant aux nouvelles influences. Elles empruntent l'alphabet grec pour créer un alphabet étrusque qui peut être déchiffré, mais n'est pas compris car la langue étrusque n'a aucune parenté connue qui pourrait aider à sa traduction. Émergent progressivement un ensemble de cités-États étrusques, sur les modèles grec et phénicien, prospères et dynamiques (Tarquinia, Capoue, Bologne, Vulci, etc.), qui étendent leur autorité et leur influence culturelle sur les régions alentours aux VIIe et VIe siècles av. J.-C. À leur contact en Italie centrale se trouvent plusieurs peuples non étrusques (Samnites, Sabins, Volsques, Ligures, etc.). Dans le Latium, les cités connaissent aussi un développement, au contact des Grecs et des Étrusques. Rome est fondée vers cette période, 753 av. J.-C. selon la légende, mais la formation de la cité vient sans doute bien plus tard, quoique le site soit peuplé depuis plus longtemps. La ville est d'abord dirigée par des rois, passerait un temps sous la domination d'une dynastie étrusque, avant de s'en débarrasser et de fonder la République romaine (509 av. J.-C. selon la date conventionnelle), qui commence ensuite son expansion vers les territoires voisins[165]. Au nord de la péninsule se trouvent d'autres peuples, et des Gaulois s'y installent vers la fin du Ve siècle av. J.-C., donnant naissance à la Gaule cisalpine. L'influence celtique au nord est visible dans les tombes de la culture de Golasecca. Ces Gaulois chassent progressivement les Étrusques de la plaine du Pô, et lancent des raids plus au sud, dont le fameux sac de Rome de 386 av. J.-C.[166]

La coexistence de ces différents peuples aux tendances expansionnistes engendrent des frictions et des conflits maritimes. Ainsi Carthaginois et Étrusques coalisés battent les Massaliotes et leur métropole Phocée à Alalia (Corse) en 535 av. J.-C., consolidant la position hégémonique de Carthage dans la Méditerranée orientale. Les deux siècles suivants sont marqués par des affrontements entre Carthaginois et Grecs, notamment Syracuse[167].

La « Dame d'Elche », art ibérique, Ve siècle av. J.-C. Musée archéologique national de Madrid.

La péninsule Ibérique est le lieu de fondations phéniciennes, avant tout Cadix (aussi sur Ibiza), et grecques (Emporion)[168]. Cela stimule le développement des cultures locales, où les élites et les artisans s'ouvrent à leur tour aux tendances orientalisantes. C'est le cas du pays de Tartessos, dans l'est de l'Andalousie au contact direct de Cadix, et qui dispose de riches ressources minières, qui connaît l'essor le plus important entre 750 et 550 av. J.-C. Il adopte la métallurgie du fer, ainsi que l'écriture (écriture tartessienne)[169]. Ailleurs, les textes antiques attestent la présence de peuples Ibères, et dans la partie nord l'expansion du monde celtique, donnant naissance aux « Celtibères »[168]. Là aussi la tendance à la complexification culturelle s'observe. Ainsi plusieurs régions orientales de la péninsule adoptent également l'écriture, pour transcrire des langues ibères et aussi le celtibère (écritures paléo-hispaniques)[170].

Le reste de l'Europe[modifier | modifier le code]

Le paysage ethnique de l'Europe non méditerranéenne de l'âge du fer peut être approché à partir des rares et vagues descriptions laissées par des auteurs grecs et romains, dont peu avaient visité ces contrées et compris ce qu'ils avaient sous les yeux. Tout cela ne laisse généralement qu'une impression très floue, que la recherche moderne avec son goût pour les catégorisations ethniques a eu tendance à simplifier de façon excessive. Les découvertes archéologiques ont permis de mieux connaître ces cultures, et les discussions récentes incitent à la prudence sur la correspondance entre ethnie et culture archéologique, qui est loin d'aller de soi.

Extension des cultures « celtiques » de Hallstatt (jaune) et de La Tène (vert).
Torque en or, tombe de Vix, fin VIe siècle av. J.-C. (culture de Hallstatt). Musée du Pays châtillonnais.

C'est le cas des « Celtes » évoqués par les textes grecs, catégorie ethnique qui a depuis été discutée, vu qu'on ne sait pas comment ils se dénommaient eux-mêmes. Les Romains parlent quant à eux de Gaulois. Ces peuples sont généralement associés aux deux cultures archéologiques de l'âge du fer s'étendant entre l'Europe centrale et occidentale : Hallstatt (v. 900-450 av. J.-C.) et La Tène (v. 450-50 av. J.-C.). Elles sont caractérisées par des tombes de chefs dans lesquelles se retrouve notamment du matériel d'origine grecque et romaine, symbole de son prestige aux yeux des détenteurs du pouvoir dans ces contrées, des constructions fortifiées (oppidum, dont le rôle exact est discuté), un remarquable artisanat du fer. La première période est plus spécifiquement marquée par la constitution de principautés puissantes, tandis que durant la seconde, les pouvoirs sont plus dispersés. Quoi qu'il en soit, les textes grecs indiquent que certains groupes celtes orientaux lancent en 280-279 une offensive d'envergure contre le monde hellénistique (Grande Expédition), pillant Delphes, tandis que certains s'installent en Anatolie (Galates). Et comme vu plus haut on repère également par les textes des Celtes dans le nord de l'Italie (Gaule cisalpine), la péninsule Ibérique (Celtibères), et aussi dans les Îles Britanniques. La conquête romaine de la Gaule (58-50 av. J.-C.) y met fin aux cultures archéologiques « celtes ». Alors qu'en raison de l'échec de la conquête de la Germanie, les peuples germaniques restent indépendants et aux marges du monde romain[171].

Dans la partie orientale de l'Europe, les Grecs mentionnent les Scythes, peuple essentiellement nomade, qui est au contact des colonies qu'ils établissent au nord et à l'ouest de la mer Noire. Dans la littérature scientifique moderne, le terme « scythe » a été repris pour désigner un ensemble de cultures allant jusqu'à la Sibérie occidentale, un « horizon culturel », sans qu'il ne soit possible de déterminer quels peuples cela recouvre exactement faute de sources écrites. Ces cultures sont caractérisées par la présence de tombes de chefs, en forme de tumulus, les « kourganes », au riche matériel funéraire présentant des affinités grecques et un style « de steppe » (animalier), avec des chevaux sacrifiés. L'urbanisation se développe vers 400 av. J.-C. (Kamenskoye Gorodishche)[172],[173].

Plus directement au nord de la Grèce, le peuple le plus mentionné par les Grecs sont les Thraces, qui sont soumis par les Perses puis les Macédoniens. Leurs élites sont également enterrées dans des tombes à tumulus disposant d'un riche matériel funéraire, avec des influences grecques[174]. L'ouest des Balkans est occupé par les Illyriens, qui sont eux aussi au contact d'implantations coloniales grecques (Epidamnos, Apollonia) et des Macédoniens[175].

Alexandre et la période hellénistique[modifier | modifier le code]

L'empire d'Alexandre le Grand.
Buste d’Alexandre, IIe – Ier siècles av. J.-C., British Museum.

Après la mise au pas de la Grèce par la Macédoine et sa puissante armée (reposant notamment sur la phalange), son roi Alexandre (III) part à l'assaut de l'empire perse en 336 av. J.-C. Il lui faut à peine cinq ans pour faire tomber son rival Darius III (bataille de Gaugamèles puis entrée dans Babylone en 331), et dominer l'Anatolie, le Levant, l’Égypte, et la Mésopotamie. Il poursuit sur sa lancée en emmenant ses troupes à travers le plateau Iranien, jusqu'en Asie centrale et dans la vallée de l'Indus en 326-325, avant que celles-ci ne le forcent à rebrousser chemin après une dizaine d'années de campagnes sans interruption. Entre-temps il a fondé plusieurs colonies, cités grecques dans les zones conquises, récompenses pour ses soldats et instruments de domination, la première et la plus fameuse étant Alexandrie d'Égypte. De retour en Perse puis en Babylonie, il s'attelle à l'organisation de son empire, notamment par une politique d'intégration de l'élite perse dans son appareil politique, mais sa mort en 323 laisse son héritage incertain. Conquérant par excellence, monarque absolu, personnalité hors norme, Alexandre « le Grand » est depuis l'Antiquité une figure historique et légendaire majeure aussi bien en Europe qu'au Moyen-Orient, dont la portée est très discutée : il a pu être présenté par le passé comme une sorte de héros civilisateur, d'autres fois on a mis en avant son côté destructeur ; il peut aussi bien être interprété comme un artisan d'une domination hellénique qu'un promoteur de la fusion des cultures, comme le premier roi hellénistique ou le dernier roi achéménide[176],[177].

Les royaumes des Diadoques.
Le monde hellénistique vers 281 av. J.-C.

Après la mort d'Alexandre, comme il n'avait pas de successeur désigné, ses généraux macédoniens, les Diadoques, combattent pour se partager son empire. Aucun ne l'emportant, celui-ci est divisé, et s'installent trois royaumes dominants dirigés par des dynasties macédoniennes, la Macédoine, le royaume des Lagides, et celui des Séleucides. Ils contrôlent des territoires majoritairement peuplés de non-grecs, et coexistant avec beaucoup d'autres formations politiques plus ou moins autonomes (royaumes, cités, ligues). S'ouvre alors la « période hellénistique » (323-31/30 av. J.-C.)[178],[179].

Le royaume de Macédoine passe après de nombreuses vicissitudes sous la domination de la dynastie des Antigonides, descendants d'Antigone le Borgne (qui en pratique n'a jamais régné sur la Macédoine), de 277-6 à 168-7 av. J.-C. Les rois macédoniens ont à composer avec diverses entités politiques en Grèce continentale, et ces relations engendrent des conflits à répétitions : contre une coalition menée par les cités d'Athènes et de Sparte, contre ses voisins directs, le royaume d’Épire (dirigé par Pyrrhus Ier, adversaire malheureux des Romains), devenu plus tard une ligue, les ligues d'Étolie et d'Achaïe, les ligues étant devenues une forme d'organisation politique courante en Grèce hellénistique, et contre les Illyriens. Ces conflits attirent finalement les Romains en Grèce continentale, et ceux-ci soumettent la Macédoine après plusieurs « guerres macédoniennes »[180].

Monnaie à l'effigie du roi séleucide Antiochos IV Épiphane (175-164 av. J.-C.).

Le Levant, la Mésopotamie et l'Iran sont le domaine des Séleucides, dynastie fondée par Séleucos Ier, qui est la plus marquée par l'héritage institutionnel et politique achéménide, repose en bonne partie sur les richesses de la Babylonie, aussi sur la Syrie du Nord où se trouve la « Tétrapole », cités fondées par Séleucos pour servir de centres de pouvoir, les Séleucides employant à leur tour une politique de colonisation et de fondation de cités grecques (« poliadisation ») active. Mais sa domination sur le Levant est menacée par les Lagides jusqu'à la fin du IIIe siècle av. J.-C. (les « guerres syriennes »). La taille du territoire et l'autonomie large laissée aux gouverneurs ainsi que les conflits à répétition fragilisent l'édifice séleucide, qui se morcelle dès la fin du IVe siècle av. J.-C. avec la perte de l'Indus au profit des rois indiens de l'empire Maurya. Puis à la fin du IIIe siècle av. J.-C. c'est la Bactriane qui est perdue, et au début du siècle suivant, c'est Rome qui commence à empiéter sur son territoire en lui prenant l'Anatolie, tandis qu'à l'est émerge une nouvelle menace, les Parthes, qui lui enlèvent leurs possessions orientales, puis la Babylonie en 141 av. J.-C., initiant une série de conflits. Les offensives des Romains et des Parthes des deux côtés du royaume érodent progressivement l'assise territoriale séleucide, jusqu'à l'annexion de ce qu'il en reste (en Syrie) par Rome en 64 av. J.-C.[181],[182]

En Égypte, le pouvoir est exercé par les Lagides, successeurs de Ptolémée Ier (et qui portent tout le même nom que leur ancêtre). Disposant d'un territoire cohérent autour de la vallée du Nil, riche et rarement menacé, reconnaissant les cultes et les traditions juridiques et administratives égyptiennes, ils bénéficient d'une stabilité interne que n'ont pas les autres royaumes. Leurs ambitions extérieures les entraînent cependant dans des conflits usants, en mer Égée et en Asie mineure où leur autorité est reconnue au début de la période, et surtout au Proche-Orient contre les Séleucides (guerres syriennes). Ils sont à peine mieux armés que les autres royaumes hellénistiques pour faire face à l'expansion romaine, et passent sous son autorité avant l'annexion en 31 av. J.-C.[183],[184]

Le monde hellénistique ne se résume pas à ces trois grandes puissances, outre les cités et ligues de Grèce continentale[185]. Rhodes monte en puissance au début de la période, et devient une des grandes cités commerçantes du monde grec ; elle est restée célèbre pour son colosse, érigé pour commémorer la victoire contre Démétrios Poliorcète[186]. En Asie mineure, la dynastie des Attalides installée à Pergame prospère au IIIe siècle av. J.-C. et se détache de la domination séleucide, avant de reconnaître la domination romaine[187]. Sur les bords de la mer Noire se développent des royaumes dirigés par dynasties d'origine non-grecque mais hellénisées, en Bithynie[188] et au Pont, qui connaît son apogée sous son roi Mithridate VI (120-63 av. J.-C.) connu pour être le principal opposant à la domination romaine en Anatolie[189]. La Cappadoce[190], la Commagène (avec le site de Nemrut Dağı)[191] disposent également de dynasties hellénisées. Au sud du Caucase se développent les royaumes d'Arménie (dirigé par les Orontides puis les Artaxiades)[192] et d'Atropatène[193]. Sur la côte nord de la mer Noire un royaume grec s'est constitué depuis le milieu du Ve siècle av. J.-C., le royaume du Bosphore, et il prospère jusqu'en 250, avant d'entamer un déclin face aux avancées des Scythes qui avaient été tenus en respect jusqu'alors, puis il devient un état-client de Rome[194]. En Asie centrale, en Bactriane, les rois « gréco-bactriens », issus des colonies grecques, qui se rendent indépendantes des Séleucides à la fin du IIIe siècle av. J.-C., bâtissent la ville d'Aï Khanoum qui illustre la fusion des cultures dans la région. Les derniers rois grecs de Bactriane disparaissent vers 130 av. J.-C.[195] Cet « Extrême-Orient hellénistique » se projette encore plus loin quand des rois grecs se taillent des royaumes dans la vallée de l'Indus (royaumes indo-grecs), attestés du milieu du IIe siècle av. J.-C. au début de notre ère[183].

La tendance marquante de la période hellénistique est donc l'expansion du peuplement grec, des royaumes dirigés par des dynasties gréco-macédoniennes, et de la culture grecque, ce que l'on regroupe sous le terme d'« hellénisation ». Cela s'appuie sur la fondation de nombreuses nouvelles cités, surtout en Asie, et donc d'un fort mouvement de colonisation grecque. Désormais, on trouve des centres de culture grecque hors de Grèce, en particulier à Alexandrie avec sa gigantesque bibliothèque, aussi en Syrie, et jusqu'en Bactriane. Il ne faut évidemment pas surévaluer cette influence, qui varie fortement selon les contextes, a connu des résistances, l'acculturation des populations non-grecques restant globalement limitée et les clivages ethniques marqués, et de toute manière les rois grecs n'essayèrent jamais d'imposer leur culture. Du reste, les Grecs ont intégré et réadapté des éléments orientaux à cette période (cultes « orientaux », persianismes, pratiques de gouvernement perses et égyptiennes)[196],[197].

Du point de vue intellectuel, les savants et techniciens grecs sont à nouveau très actifs à l'époque hellénistique, appuyés sur les grands centres intellectuels tels qu'Athènes et Alexandrie, mais pas seulement. Ainsi, dans le domaine des mathématiques et de la technique, cette période est marquée par les travaux d'Euclide, d'Archimède, d'Ératosthène ; l'astronomie se développe avec Aristarque de Samos et surtout Hipparque (à partir d'éléments repris des écoles babyloniennes de l'époque) ; d'autres savants accomplissent des travaux en médecine à la suite des avancées hippocratiques ; etc.[198]. Dans le domaine de la philosophie, cette période voit le développement de l'épicurisme et du stoïcisme.

La République romaine[modifier | modifier le code]

Évolution du territoire de la République et de l'Empire romains.

L'histoire des deux premiers siècles de la République romaine est essentiellement connue par des sources datant de la fin de ce régime ou du début de l'Empire (Polybe, Tite-Live), ce qui rend sa reconstitution incertaine. Il apparaît au moins que Rome met en place aux Ve et IVe siècles av. J.-C. un système d'institutions visant manifestement à s'équilibrer et dépendre les uns des autres : des magistrats en exercice, en premier lieu les deux consuls, qui dirigent les affaires de la cité pour une année ; le Sénat, conseil surtout constitué d'anciens magistrats, qui donne des avis et contrôle ; le Peuple, le corps des citoyens (des hommes adultes), organisé en centuries de poids électoral inégal (ce sont aussi des unités servant pour les impôts et pour les mobilisations militaires), qui élit les magistrats et peut se prononcer lors d'assemblées sur des affaires politiques ou militaires. La majeure partie de la population appartient au groupe des Plébéiens, qui s'oppose à l'élite monopolisant les plus hautes fonctions et les terres, les Patriciens, et obtient après une lutte âpre la possibilité d'exercer toutes les magistratures, la création de la fonction de tribuns de la plèbe, qui disposent d'un droit de veto sur les affaires politiques, et diverses mesures économiques. Se constitue ainsi une vie politique complexe, largement déterminée par les hiérarchies sociales, qui transcendent au fil du temps l'opposition entre Patriciens et Plébéiens. Les familles les plus riches (la nobilitas) se disputent les faveurs du peuple (notamment par le biais de relations entre patrons et clients), et s'appuient sur leurs accomplissements dans l'exercice des magistratures, leur prestige et leur morale. Ils tendent à exercer les charges les plus importantes, accomplies dans un ordre déterminé (cursus honorum). Avec le temps, l'afflux de richesses et les guerres contribuent à rendre la vie politique plus conflictuelle et déséquilibrée[199],[200].

Pièce de monnaie en argent romaine de 281 av. J.-C. représentant Mars, le dieu de la guerre.

La République romaine dispose d'une armée très efficace, disciplinée tout en étant ouverte aux évolutions, reposant sur les citoyens propriétaires, organisés en légions, appuyées à partir du IVe siècle av. J.-C. par des auxiliaires Latins et Italiens[201]. L'expansion romaine doit aussi son succès à une conception ouverte de la citoyenneté, qui se traduit par l'intégration de populations des cités soumises et l'accroissement du corps citoyen, également la création de colonies dans la péninsule italienne, ce qui transforme progressivement la cité en État territorial et augmente ses moyens militaires. Rome parvient après une période de difficultés à conquérir des territoires voisins, puis à établir sa domination sur l'Italie, à compter de la fin du Ve siècle av. J.-C., à peine ralentie par son sac par les Celtes (390 ou 386). Elle gagne du terrain sur les Étrusques et les Samnites, et doit ensuite vaincre ses alliés Latins qui s'inquiètent de sa montée en puissance, jusqu'à sa victoire lors de la guerre latine de 340-338. Elle peut alors accélérer sa politique expansionniste, s'appuyant sur sa redoutable armée, en fondant des colonies en des points stratégiques, gagnant des appuis chez les vaincus et éliminant les résistances (guerres samnites). Autour de 300, elle est devenue la puissance hégémonique d'Italie. Les cités de Grande Grèce sont soumises durant les premières décennies du IIIe siècle av. J.-C., et sa victoire contre Pyrrhus d'Épire puis la conquête de Tarente en 272 av. J.-C. la font connaître dans le monde hellénistique[202]. Dans le sens inverse, Rome s'ouvre de plus en plus aux influences grecques. Celles-ci étaient déjà perceptibles bien avant en Italie comme vu plus haut, mais elles s'accentuent à l'époque républicaine, et cela s'accélère avec la conquête du monde hellénistique, et s'amorce alors la formation de la culture « gréco-romaine » qui triomphe à l'époque impériale[203],[204].

Campagnes de la deuxième guerre punique.

La principale conséquence de cette expansion est le conflit avec l'ennemi principal des Grecs d'Italie et la puissance dominante de la Méditerranée orientale, Carthage. S'ouvre alors la période des guerres puniques (punique étant synonyme de carthaginois). La première (264-241) est un conflit long et difficile pour Rome, qui subit plusieurs revers et de lourdes pertes, mais parvient à l'emporter et à établir sa domination sur la Sicile, puis la Sardaigne dans la foulée. La seconde (218-201) est restée célèbre pour l'audacieuse expédition du chef des armées carthaginoises, Hannibal, qui envahit l'Italie et inflige plusieurs défaites cinglantes aux armées romaines (la plus retentissante étant Cannes, en 216). Mais la loyauté de la plupart des alliés de Rome et les campagnes de Scipion l'Africain renversent la situation en faveur de Rome, qui inflige une victoire décisive à ses ennemis sur leurs propres terres (bataille de Zama, 202). Carthage perd alors la plupart de ses possessions et se voit contrainte de réduire son armée à peau de chagrin, alors que Rome prend sa place dans la péninsule Ibérique. La troisième guerre punique (149-146) est de ce fait à sens unique : elle se solde par l'anéantissement de ce qui reste des forces carthaginoises, et la destruction de la ville. Entre-temps Rome s'est étendue vers l'est où elle s'est confrontée au royaume de Macédoine à trois reprises (guerres macédoniennes). Après la victoire de Pydna (168), elle divise son territoire. Dans les années 140, Rome fait face à des oppositions en Macédoine et en Grèce, qu'elle éteint (destruction de Corinthe en 146), puis annexe ces territoires. Elle prend aussi pied en Asie mineure où sont constituées des provinces, et en Cyrénaïque (Libye actuelle)[205].

Cette série de conquêtes successives a plusieurs conséquences majeures. D'abord, l'expansion vers le monde grec entraîne à Rome un processus d'hellénisation marquée, visible dans l'art et la littérature, avant tout chez les élites, quoique la littérature en latin connaisse un essor (Cicéron, Lucrèce, Catulle). Ces élites ont consolidé leur pouvoir et monopolisent les hautes fonctions, elles ont tiré de grandes richesses des conquêtes leur permettant d'entretenir un train de vie très dispendieux, de disposer de nombreux clients et dépendants, de vastes domaines (latifundia), beaucoup étant exploités par une masse d'esclaves issus des conquêtes (ce qui explique aussi les révoltes serviles ayant lieu à cette époque, dont celle de Spartacus). D'un autre côté la petite paysannerie, engagée dans des expéditions militaires lointaines, n'est plus en mesure de travailler ses terres, et les perd au profit des puissants, de nombreux paysans se retrouvant sans activité une fois démobilisés. Quelle que soit l'ampleur réelle du phénomène, discutée par les historiens, la croissance des inégalités sociales conduit à des tensions très graves, qui éclatent lors des tentatives des frères Gracchus de mettre en place une politique de distribution des terres, sans succès (en 133 et 123-121). Les alliés Latins et Italiens engagés dans les campagnes militaires subissent de mêmes types de désagrément, générant des révoltes, qui culminent lors de la guerre sociale (91-88) qui plonge l'Italie dans le chaos. Rome triomphe, mais en retour, elle octroie la citoyenneté aux peuples d'Italie au sud du Pô. La puissance romaine s'appuie à nouveau sur de nombreux octrois de citoyenneté, et aussi une politique de colonisation très active fournissant des terres à ceux qui en étaient dépourvus. La ville de Rome devient très vaste et très peuplée, y affluent des produits de tous les territoires dominés et d'au-delà[206],[207].

Rome fait face au tournant du Ier siècle av. J.-C. à plusieurs difficultés militaires (invasions des Cimbres et des Teutons en Gaule méridionale, révolte de Jugurtha de Numidie en Afrique) qui conduisent à une réforme de l'armée dans un sens plus professionnel, menée par Caius Marius, qui a pour effet d'ouvrir l'armée au prolétariat. La guerre sociale puis les tentatives de Mithridate VI du Pont de secouer la domination romaine en Asie mineure créent de nouveaux troubles. Les chefs militaires romains de l'époque prennent plus de pouvoir, appuyés sur leurs victoires et la fidélité de troupes qui ont désormais un rapport plus personnel à eux, et se disputent le pouvoir lors de premières guerres civiles (88-81). Sylla en sort vainqueur et devient dictateur. Bien qu'il se retire du pouvoir par la suite, cela montre la voie à d'autres généraux ambitieux et populaires : Crassus et Pompée, qui ont remporté des victoires en Asie, rejoints par Jules César avec qui ils forment le premier triumvirat pour contrôler la vie politique romaine, le Sénat étant de plus en plus soumis à leurs volontés. La disparition de Crassus au combat contre les Parthes en 53 laisse les deux autres face à face, plongeant Rome dans la guerre civile. César, auréolé de gloire et appuyé par des troupes fidèles après avoir conduit la conquête de la Gaule transalpine, choisit l'affrontement armé, qui tourne à son avantage. Les partisans de la République sont ensuite vaincus sur plusieurs champs de bataille, mais plusieurs d'entre eux assassinent César en 44 av. J.-C., alors qu'il est quasiment devenu un monarque. Un second triumvirat est fondé par les généraux de César, Marc Antoine et Lépide, rejoints par Octave, le neveu et héritier désigné de César. Les derniers partisans de la République sont vaincus, et Marc Antoine et Octave se retrouvent finalement face-à-face. Le premier, installé en Égypte auprès de la reine Cléopâtre VII, est vaincu à Actium en 31 av. J.-C. Octave a alors les mains libres pour mettre fin à la République en établissant un régime monarchique[208].

L'Empire romain[modifier | modifier le code]

Statue d'Auguste dite « de Prima Porta ». Musées du Vatican.
Vue du Forum de Rome : temple de Vespasien à gauche,