Antiprotestantisme en France — Wikipédia

Procession armée de la Ligue catholique à Paris en 1590, musée Carnavalet.
Gravure du XVIe siècle, Luther dépeint comme un monstre à sept têtes.
Affiche contre Luther, le diable lui souffle à l'oreille

L'antiprotestantisme en France est la dénonciation, la répression ou la persécution du protestantisme en France depuis la Réforme protestante jusqu'au XXe siècle.

XVIe siècle[modifier | modifier le code]

En 1521, la Sorbonne condamne certaines propositions extraites des écrits de Luther[1]. Deux ans plus tard, en 1523, Jean Vallière est condamné au bûcher : c'est le premier martyr protestant en France. En 1547, Henri II crée la Chambre ardente pour poursuivre et condamner les délits d'hérésie liés à la Réforme. Elle prononcera 450 condamnations de 1548 à 1550, dont 60 à la peine de mort[2].

XVIIe et XVIIIe siècles[modifier | modifier le code]

Dans les édits royaux du XVIIe siècle, le protestantisme est appelé systématiquement R.P.R. (Religion prétendue réformée).

En 1681, Géraud de Cordemoy publie la Conférence entre Luther et le diable au sujet de la messe avec ses commentaires[3], republié et largement diffusé dès 1875 par Isidore Liseux avec les commentaires en sus de Nicolas Lenglet Du Fresnoy.

En janvier 1686, l'évêque Bossuet célèbre Louis XIV et la Révocation de l'Édit de Nantes, ce « pieux édit qui donne le dernier coup à l'hérésie », dans son oraison funèbre du chancelier Le Tellier : « Poussons jusqu’au ciel nos acclamations ; et disons a ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente Pères dirent autrefois dans le concile de Calcédoine : "Vous avez affermi la foi ; vous avez exterminé les hérétiques : c’est le digne ouvrage de votre règne ; c’en est le propre caractère. Par vous l’hérésie n’est plus : Dieu seul a pu faire cette merveille" »[4]. En 1688, Bossuet publie l'Histoire des variations des Églises protestantes, ouvrage où il attaque le protestantisme sous l'angle doctrinal et qui connaît de nombreuses rééditions.

Catholique et ultramontain, Joseph de Maistre accuse le protestantisme d'être un facteur de dissolution. Dans un ouvrage écrit en 1798, il écrit : « Le grand ennemi de l'Europe qu'il importe d’étouffer par tous les moyens qui ne sont pas des crimes, l'ulcère funeste qui s'attache à toutes les souverainetés et qui les ronge sans relâche, le fils de l'orgueil, le père de l'anarchie, le dissolvant universel, c'est le protestantisme. Qu'est-ce que le protestantisme ? C'est l'insurrection de la raison individuelle contre la raison générale, et par conséquent c'est tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais »[5].

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

En Languedoc et alentour, la Révolution ravive les oppositions confessionnelles. Lors de la Terreur blanche de 1815, le temple de Saint-Affrique est dévasté par une foule qui brûle son mobilier[6]. Le sous-préfet refuse de rembourser les dégâts, alléguant les dégâts révolutionnaires commis contre les églises catholiques, et qu'il impute aux protestants[7].

En 1858, Louis-Gaston de Ségur publie en France Causeries familières sur le protestantisme d'aujourd'hui[8].

En 1881, le romancier Émile Zola dénonce le protestantisme dans une tribune au Figaro : « il est un esprit plus nuisible et plus redoutable encore, l'esprit protestant, qui, à cette heure, s'efforce de tout envahir, notre littérature, notre presse, notre politique […]. Là est l'ennemi ». Zola oppose le protestantisme au « génie de notre race, si primesautier, si libre », et il y voit une entrave au rationalisme[9].

Le polémiste Ernest Renauld, à la fin du XIXe siècle, publie deux livres s'attaquant au protestantisme en France. Son action s'inscrit dans le cadre de l'affaire Dreyfus, où bon nombre de protestants ont soutenu Alfred Dreyfus, comme le sénateur Scheurer-Kestner ou Francis de Pressensé[10]. Charles Maurras se profile comme un adversaire du protestantisme, considérant les protestants comme des adversaires de la nation[11]. Pour certains milieux nationalistes, le « péril » protestant menace l'identité française et cherche sournoisement à dénationaliser le pays. Le protestantisme formerait un parti et fomenterait un complot dont les alliés seraient des nations protestantes comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne[12]. L'ancien boulangiste Georges Thiébaud a tenté lui aussi de donner une orientation antiprotestante au nationalisme français.

Une politique antiprotestante à Madagascar[modifier | modifier le code]

L'antiprotestantisme se traduit par des actes dans le cas de Madagascar, objet d'une rivalité coloniale franco-anglaise. Les missions protestantes étant assimilées à l'influence britannique, elles sont visées après la conquête de l'île en 1895, reprise en main par Gallieni. Des temples sont fermés, ainsi que l'université protestante, l'académie de médecine, l'hôpital protestant[13]. Le ministre et pasteur Rainandriamampandry est fusillé en 1896 après une parodie de procès. L'insurrection des Fahavalos, qui avait donné le prétexte de cette répression, est présentée de manière biaisée par la presse française, qui ne parle que des églises catholiques détruites et fait le silence sur les temples incendiés[14].

En 1907, le gouverneur Augagneur est félicité par le Grand Orient de France pour son action contre les missions protestantes, « qui poursuivent à Madagascar une œuvre aussi néfaste du point de vue national que philosophique »[15].

XXe siècle[modifier | modifier le code]

Alphonse Magniez, ancien capitaine de l'armée française, s'attaque au protestantisme dans un essai publié en 1921[16].

En 1976, l'écrivain et journaliste Robert Beauvais publie un pamphlet, Nous serons tous des protestants, où il tente de démontrer une mainmise protestante sur la France[17]. Des traces d'antiprotestantisme subsistent à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, comme l'usage systématiquement péjoratif du mot puritain[18]. Dans son ouvrage La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, l'historien Fernand Braudel oppose l'humilité de la mort du souverain espagnol à « l'orgueil, cette divinité du siècle réformé »[19].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Francis Higman, La diffusion de la Réforme en France, 1520-1565, Genève, Labor et Fides, (ISBN 2-8309-0697-7), p. 154
  2. Francis Higman, op. cit., p. 190.
  3. Conférence entre Luther et le diable au sujet de la messe, commentaires de Géraud de Cordemoy et Nicolas Lenglet Du Fresnoy, éditeur Isidore Liseux, 1875, p.2.
  4. « Oraisons funèbres (Bossuet)/Michel le Tellier », sur fr.wikisource.org (consulté le )
  5. Joseph de Maistre, Réflexions sur le protestantisme dans ses rapports avec la souveraineté, Turin, 1798.
  6. Jules Cabantous, Documents pour servir à l'histoire du protestantisme à Saint-Affrique, Montauban, Granié, (lire en ligne)
  7. Valérie Sottocasa, « Chapitre 10. La mémoire mise en scène : enjeux identitaires », dans Mémoires affrontées : Protestants et catholiques face à la Révolution dans les montagnes du Languedoc, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (ISBN 978-2-7535-2335-7, lire en ligne), p. 313-346
  8. *Louis-Gaston de Ségur, Causeries familières sur le protestantisme d'aujourd'hui, par Mgr de Ségur, Paris et Lyon : Pélagaud, 1858, in-18, 246 p.
  9. Maxime Michelet, « Haines d’hier et d’aujourd’hui regard sur l’antiprotestantisme », sur evangile-et-liberte.net,
  10. Akadem, L’antiprotestantisme pendant l’Affaire
  11. « L'antiprotestantisme », sur Musée virtuel du protestantisme (consulté le )
  12. Comment sortir des doctrines de haine : le regard de la sociologie historique, site du CNRS.
  13. Marc Spindler, « L'antiprotestantisme à Madagascar 1895-1913 », Concurrences en mission : propagandes, conflits, coexistences, XVIe – XXIe siècle : actes du 31e colloque du CREDIC tenu à Brive-la-Gaillarde, dir. Jean-François Zorn, Karthala, (ISBN 978-2-8111-0537-2, lire en ligne), p. 150-151
  14. Jean Baubérot, « L' antiprotestantisme politique à la fin du XIXe siècle, I : Les débuts de l'antiprotestantisme et la question de Madagascar », Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses, vol. 52, no 4,‎ , p. 469 (lire en ligne)
  15. Marc Spindler, « L'antiprotestantisme à Madagascar 1895-1913 », p. 153.
  16. Alphonse Magniez, Les Faux Prophètes du protestantisme ou la fausseté du protestantisme démontrée par ses auteurs et par son origine, A. Taffin-Lefort, 1921.
  17. Robert Beauvais, Nous serons tous des protestants, Paris, Plon, (ISBN 2-259-00122-X)
  18. Jean Baubérot et Jean-Paul Willaime, Le Protestantisme, Paris, M.A. Éd., (ISBN 2-86676-267-3), p. 28
  19. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, t. 2, Armand Colin, (ISBN 2-200-37082-2), p. 513

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages anciens[modifier | modifier le code]

Études contemporaines[modifier | modifier le code]

Ouvrages généraux[modifier | modifier le code]

L'antiprotestantisme au XVIe siècle[modifier | modifier le code]

L'antiprotestantisme aux XVIIe et XVIIIe siècles[modifier | modifier le code]

  • Élisabeth Labrousse, Une foi, une loi, un roi ? La révocation de l’édit de Nantes, Paris, Payot / Genève, Labor et Fides, 1985.
  • Bernard Dompnier, Le venin de l'hérésie : image du protestantisme et combat catholique au XVIIe siècle, Paris, Le Centurion, 1985. (ISBN 2-227-32103-2)

L'antiprotestantisme aux XIXe et XXe siècles[modifier | modifier le code]

Annexes[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]